Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 3 décembre 2015

Endroit : 315 rue Williams, Sherbrooke (QC)

Chefs d’accusation :

• Chef d’accusation 1 : Art. 130 LDN, utilisation non autorisée de services d’ordinateur (art. 342.1(1)a) C. cr.).
• Chefs d’accusation 2, 3 : Art. 129 LDN, acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

Résultats :

• VERDICTS : Chef d’accusation 1 : Retiré. Chefs d’accusation 2, 3 : Coupable.
• SENTENCE : Une rétrogradation au grade de soldat et une amende au montant de 500$.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. Laporte, 2015 CM 3016

 

Date : 20151203

Dossier : 201521

 

Cour martiale permanente

 

Manège militaire William

Sherbrooke (Québec) Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Caporal E. Laporte, contrevenant

 

 

Devant : Lieutenant-colonel L.-V. d’Auteuil, J.M .

 


 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Oralement)

 

[1]               Caporal Laporte, la cour accepte et enregistre votre plaidoyer de culpabilité relativement au deuxième et au troisième chef d’accusation apparaissant à l’acte d’accusation et par le fait même vous déclare coupable aujourd’hui de ces deux chefs. Quant au premier chef d’accusation évidemment la cour ne le considèrera pas puisqu’il a été retiré par la poursuite. Donc la cour n’a pas d’autre chef d’accusation à traiter à ce stade-ci.

 

[2]               Maintenant, il m’incombe à titre de juge militaire présidant la cour martiale de déterminer la peine à être infligée au caporal Laporte.

 

[3]               Le système de justice militaire constitue l’ultime recours pour faire respecter la discipline qui est une dimension essentielle de l'activité militaire dans les Forces canadiennes. Ce système a pour but de prévenir toute inconduite ou d'une façon plus positive, de veiller à promouvoir la bonne conduite. C'est au moyen de la discipline que les forces armées s'assurent que leurs membres rempliront leurs missions avec succès, en toute confiance et fiabilité. Le système de justice militaire veille également au maintien de l'ordre public et à s’assurer que les personnes assujetties au Code de discipline militaire sont punies de la même façon que toute autre personne vivant au Canada.

 

[4]               Il est important de rappeler que le droit ne permet pas à un tribunal militaire d'imposer une sentence qui se situerait au-delà de ce qui est requis dans les circonstances de l'affaire. En d'autres mots, toute peine infligée par le tribunal doit être individualisée et représenter l'intervention minimale requise puisque la modération est le principe fondamental des théories modernes de la détermination de la peine au Canada.

 

[5]               Ici, le procureur de la poursuite et l’avocat du contrevenant ont présenté une recommandation conjointe quant à la peine à être infligée. Ils ont recommandé que la cour impose une rétrogradation au grade de soldat et une amende de cinq cents dollars (500 $) afin de répondre aux exigences de la justice. Bien que la cour ne soit pas liée par cette recommandation conjointe, il est généralement reconnu que le juge qui prononce la peine ne devrait s’en écarter que lorsqu’il a des raisons impérieuses de le faire. Ces raisons peuvent notamment découler du fait que la peine n’est pas adéquate, qu’elle est déraisonnable, qu’elle va à l’encontre de l’intérêt public ou qu’elle a pour effet de jeter le discrédit sur l’administration de la justice. À cet effet, je réfère aux critères développés dans l’arrêt R. c. Taylor, 2008 CACM 1, au paragraphe 21.

 

[6]               L'objectif fondamental de la détermination de la peine par une cour martiale est d'assurer le respect de la loi et le maintien de la discipline par l'infliction de peines visant un ou plusieurs objectifs :

 

a)                  protéger le public, y compris les Forces canadiennes;

 

b)                  dénoncer le comportement illégal;

 

c)                  dissuader le contrevenant et quiconque de commettre les mêmes infractions;

 

d)                 isoler, au besoin, les contrevenants du reste de la société; et

 

e)                  réadapter et réformer les contrevenants.

 

[7]               Les peines infligées qui composent la sentence imposée par un tribunal militaire doivent également prendre en compte les principes suivants :

 

a)               la proportionnalité par rapport à la gravité de l'infraction;

 

b)               la responsabilité du contrevenant et les antécédents de celui-ci;

 

c)               l'harmonisation des peines, c'est-à-dire l'infliction de peines semblables à celles infligées à des délinquants pour des infractions semblables commises dans des circonstances similaires;

 

d)              le cas échéant, le contrevenant ne doit pas être privé de liberté si une peine moins contraignante peut être justifiée dans les circonstances. En bref, la cour ne devrait avoir recours à une peine d'emprisonnement ou de détention qu'en dernier ressort comme il a été établi dans les décisions de la Cour d'appel de la cour martiale du Canada et de la Cour suprême du Canada;

 

e)               enfin, toute peine devrait être adaptée aux circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration des infractions et à la situation du contrevenant.

 

[8]               Je conclus que dans les circonstances particulières de cette cause, la peine doit viser surtout les objectifs de dénonciation et de dissuasion générale. Il faut se rappeler que la dissuasion générale ne vise pas seulement le contrevenant, mais aussi tout autre militaire qui serait tenté de commettre des infractions similaires ou semblables et de décourager ces gens de les commettre.

 

[9]               Le caporal Laporte est un technicien médical qui s’est enrôlé dans les Forces canadiennes en 2009. Il a été promu à son grade actuel en août 2011. Alors qu’il était un réserviste membre de la 52e Ambulance de campagne, il participait à un programme de maintien des compétences à la garnison St-Jean.

 

[10]           Le 31 octobre 2013, alors qu’il en était à sa dernière journée de participation à cette formation, il a consulté et imprimé une partie du dossier médical concernant le caporal-chef Lambert. De plus, il a consulté une partie du dossier médical de la caporale Laliberté. Au moment où il a consulté et imprimé ces parties de ces différents dossiers, le caporal Laporte savait exactement ce qu’il faisait. En effet, en ce qui a trait à l’utilisation des renseignements contenus dans les dossiers médicaux du Service de santé des Forces armées canadiennes, il avait reçu la formation appropriée et il avait même signé une entente de confidentialité et d’accès au système en juillet 2013.

 

[11]           La preuve a démontré qu’il a agi ainsi pour des motifs purement personnels car il avait un conflit de nature juridique avec le caporal-chef Lambert relativement à l’achat de la maison de ce dernier et ce qui impliquait par le fait même la notaire à l’époque de la transaction, la caporale Laliberté.

 

[12]           Le caporal-chef Lambert s’est exprimé par écrit à la cour et il s’est dit senti « trahi, violé et humilié » par la façon dont le caporal Laporte a agi à l’égard des informations contenues dans son dossier médical au sein des Forces canadiennes.

 

[13]           Un acte d’accusation a été préparé et signé par la poursuite le 6 novembre 2015 et aujourd’hui, le 3 décembre, la cour se trouve à traiter de ces accusations.

 

[14]           Pour en arriver à ce qu'elle croit être une peine juste et appropriée, la cour a tenu compte des circonstances aggravantes et atténuantes étayées par les faits présentées devant cette cour à travers divers documents.

 

[15]           En ce qui concerne les facteurs aggravants, la cour retient trois aspects :

 

a)                  D'abord, Caporal Laporte, il y a l’abus de confiance. Vous connaissiez la valeur, la sensibilité des renseignements qui étaient contenus dans les dossiers médicaux et personnels des individus qui étaient visés. Vous saviez pertinemment la confidentialité qui entourait les informations qui étaient contenues dans le système et dans les dossiers médicaux, et cette notion est très importante au sein des Services médicaux. En 2013, vous aviez la formation et l’expérience nécessaires qui démontrent que ce que vous avez fait, vous l’avez fait en toute connaissance de cause. Vous saviez que vous abusiez de la confiance de vos supérieurs et de vos pairs en accédant à ces renseignements-là et en les imprimant.

 

b)                  Le deuxième aspect que je retiens en termes de facteur aggravant est le fait que vous avez fait ça pour des fins purement personnelles. Ce n'est pas dans le cadre d’une opération, ce n'est pas dans le cadre d’une demande qui vous avait été faite par un supérieur ou dans le cadre d’un dossier militaire; c'est simplement pour vos propres fins personnelles que vous êtes allé chercher ces renseignements-là. Les circonstances ne démontrent aucune autre motivation qui aurait pu justifier d’agir de cette manière, et ceci, constitue aussi un facteur aggravant.

 

c)                  Finalement, je retiens l’impact sur l’une des victimes que de tels gestes ont eu. Il a soulevé le fait qu’il ne sait toujours pas, et ne savait pas à l’époque, la façon dont ont été traitées et disséminées ces informations-là. L’ont-elles été ou ne l’ont-elles pas été, ce n’est pas nécessairement pertinent à l’affaire, mais pour un individu, de savoir que ces données ont été utilisées et qu’elles pourraient faire l’objet d’une divulgation à des personnes qu’il ne connaît même pas ou qu’il connaît mais que ces informations-là ne seraient pas révélées par lui-même constitue en soi un impact sur les individus qui étaient visés, plus particulièrement caporal-chef Lambert.

 

[16]           Maintenant, quant aux facteurs atténuants :

 

a)                  En tout premier lieu, il y a votre plaidoyer de culpabilité. Ce geste représente pour la cour un signe clair et authentique de vos remords ainsi que du fait que vous prenez l'entière responsabilité pour les gestes que vous avez commis. En ce sens, c’est un facteur très important que la cour retient et qui est atténuant.

 

b)                  Je retiens aussi l’absence d’annotation sur la fiche de conduite. La fiche de conduite des Forces canadiennes, on y inscrit de façon générale les bons coups et les mauvais coups. En termes de mauvais coup, il n’y en a aucun. En fait, c'est la première fois que vous vous retrouvez dans une telle situation en termes de discipline ou de toute autre accusation de nature criminelle, et je tiens compte de cet aspect.

 

c)                  Il y a évidemment votre situation personnelle. D’abord sur le plan militaire, vous avez fait l’objet d’une mesure administrative. Vos gestes ont fait l’objet d’une enquête, et à ce que je comprends, on vous a donné un avis d’intention, et par la suite on vous a donné une mise en garde et surveillance pour les gestes que vous avez posés, donc on vous mettait sur une forme de probation. Même si cette mesure administrative ne constitue pas une peine en soi, il s’agit quand même d’un geste qui a un effet dissuasif pas juste sur vous mais sur les autres aussi qui comprendront que s’ils agissent ainsi, il y a des mesures qui vont être prises à leur égard.

                                                                                                               

d)                 Il y a aussi le fait que vous avez décidé de quitter les Forces canadiennes. C’est sûr que je n’ai pas les motifs exacts, les circonstances exactes, mais je comprends que peu de temps après avoir reçu la mise en garde et surveillance, soit deux jours après, vous avez indiqué aux autorités militaires votre intention de quitter les Forces canadiennes, ce que vous avez fait un peu plus tard.

 

e)                  Sur le plan purement personnel, l’année 2015 semble être une année où vous réglez plusieurs choses, et en ce sens-là c’est positif. Vous essayez de régler les choses pour repartir à neuf au niveau de votre vie. Vous avez eu une condamnation de nature civile qui implique des obligations monétaires, vous avez un jugement à votre égard, affaire qui était peut-être au cœur des motivations qui vous ont incité à commettre les gestes pour lesquels vous êtes devant la cour aujourd’hui. Cette condamnation ne vous concerne pas juste vous personnellement mais aussi votre ex-conjointe. Il y a le fait aussi que vous avez déclaré faillite, donc sur le plan financier, c'est l’option que vous avez choisie afin de vous refaire une santé financière. Il y a le fait aussi que vous vivez une séparation, cela s’exprime par le paiement d’une pension alimentaire, mais ce qui entoure cela aussi ce sont des évènements qui dans votre vie sont importants, qui demandent une réorganisation et la conséquence, entre autres, est le fait que vous vivez maintenant chez votre mère et que vous lui payez un certain montant pour l’aider à affronter les dépenses qui sont causés par votre présence chez elle.

 

f)                   Finalement, il y a le fait que vous êtes étudiant ce qui indique que vous essayez d’obtenir des compétences pour aller dans un autre métier ou une autre profession afin de refaire votre vie, mais le fait d’être étudiant fait en sorte que vous ne pouvez pas retrouver un emploi à temps plein mais vous avez quand même un emploi chez Costco, donc vous n’avez pas pris l’attitude de vous asseoir, de quitter les Forces, de vous asseoir puis de ne rien faire. Vous avez pris le taureau par les cornes, vous avez décidé de régler vos affaires. Pour moi, c’est une indication que vous voulez aborder les choses dans un angle différent, plus positif, afin d’être un actif à la société ainsi que pour les gens qui vous entourent. Ces différents signes-là, quant à moi, constituent des facteurs atténuants dont je dois tenir compte actuellement.

 

[17]           On m’a suggéré la rétrogradation pour le geste que vous avez commis. Tel que je l’ai mentionné tout à l’heure dans la cause de R. c. Reid et Sinclair, 2010 CACM 4, la Cour d’appel de la cour martiale a clairement énoncé que la rétrogradation exprime toute la perte de confiance que l’institution militaire peut avoir envers un membre. Et cette perte de confiance-là va au-delà du blâme ou de la simple réprimande car c’est en raison surtout des fonctions et non du grade mais des fonctions que vous occupiez et des responsabilités que vous aviez à titre de technicien médical et de l’accès privilégié que vous aviez à des renseignements que vous vous retrouvez ici aujourd’hui devant cette cour.

 

[18]           Ce qui a été commis, si je comprends bien les circonstances, fait en sorte que cette confiance qui a été perdue à votre égard au sein du monde militaire ne pourrait être retrouvée et la rétrogradation serait l’expression de cette perte de confiance qui ne pourrait pas être retrouvée compte tenu des fonctions et des responsabilités que vous aviez. À mon avis, ça correspond aussi à une peine qui dénonce adéquatement les gestes qui ont été posés et qui aura pour effet de dissuader d’autres techniciens médicaux qui pourraient être tentés de faire la même chose que vous ou toute autre personne dans le monde médical serait tentée en raison d’un privilège qu’ils ont d’accéder à des données confidentielles qui sont fournies pour des fins médicales et qui doivent servir pour ces fins-là, de les utiliser d’une autre manière particulièrement pour des fins personnelles. Donc, vous comprendrez que la rétrogradation dans les circonstances apparaît raisonnable, sévère mais raisonnable. Le fait de l’assortir à une peine m’apparaît tout aussi raisonnable et le montant de cinq cents dollars (500 $) qui est suggéré à la cour, compte tenu de votre situation financière, et le fait qu’on m’a suggéré aussi son paiement en plusieurs versements, fait en sorte que je me dois d’accepter cette suggestion.

[19]           Donc, par conséquent, la cour accepte la recommandation conjointe des avocats quant à la peine et vous condamne à une rétrogradation au grade de soldat et au paiement d’une amende de cinq cents dollars (500 $) étant donné que cette peine ne va pas à l’encontre de l’intérêt public et n’est pas susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.

 

 

 

 

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[20]           DÉCLARE le caporal Laporte coupable des infractions visées aux deuxième et troisième chefs d’accusation qui constituent l’infraction prévue à l’article 129 de la Loi sur la défense nationale.

 

ET

 

[21]           CONDAMNE le contrevenant à une rétrogradation au grade de soldat et une amende de cinq cents dollars (500$) payable en quatre versements égaux de cent vingt-cinq dollars (125 $), le paiement débutant le 15 décembre 2015 et continuant ainsi pour les trois mois qui suivent.

 


 

Avocats :

 

Le directeur des poursuites militaires, tel que représenté par le major J.S.P. Doucet.

 

Major C.E. Thomas, avocat de la défense pour le caporal Laporte.

 

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