Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 4 avril 2016

Endroit : Centre Asticou, bloc 2600, pièce 2601, salle d’audience, 241 boulevard de la Cité-des-Jeunes, Gatineau (QC)

Chefs d’accusation :

• Chefs d’accusation 1, 2 : Art. 85 LDN, s’est conduit d’une façon méprisante à l’endroit d’un supérieur.
• Chef d’accusation 3 : Art. 129 LDN, comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

Résultats :

• VERDICTS : Chef d’accusation 1 : Coupable. Chefs d’accusation 2, 3 : Non coupable.
• SENTENCE : Une amende au montant de 500$.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

Référence : R. c. Lefebvre, 2016 CM 1005

Date : 20160404

Dossier : 201542

Cour martiale permanente

Salle d’audience du centre Asticou

Gatineau (Québec), Canada

Entre :

Sa Majesté la Reine

- et -

Caporal M.J.G. Lefebvre, contrevenant

Devant : Le colonel M. Dutil, J.M.C.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DE LA SENTENCE

(Oralement)

[1]               Le caporal (à la retraite) Lefebvre a reconnu sa culpabilité à l’égard d’un chef d’accusation fondé sur l’article 85 de la Loi sur la défense nationale, à savoir de conduite méprisante à l’endroit d’un supérieur. Quiconque est reconnu coupable de cette infraction encourt comme peine maximale la destitution ignominieuse du service de Sa Majesté. L’accusation est formulée ainsi :

« Premier chef d’accusation S’EST CONDUIT DE FAÇON MÉPRISANTE À

Article 85 de la LDN                  L’ENDROIT D’UN SUPÉRIEUR

Détails : En ce que, le 30 octobre 2014 ou vers cette date, il a, à Ottawa (Ontario), déclaré au M 2 Mazereeuw : [traduction] « vous voulez que je laisse mon tour de garde, j’en ai ma claque de cette merde », ou quelque chose du même ordre. »

[2]               Pour plus de clarté, la Cour reproduit l’énoncé des circonstances qui fut déposé durant l’audience de détermination de la peine :

« 1.      À tout moment pertinent, le Cpl Lefebvre était membre de la Force régulière des Forces armées canadiennes et travaillait comme officier de la police militaire auprès de l’unité de police militaire (Ottawa).

2.                  Le Cpl Lefebvre était de service le 30 octobre 2014 et, tout comme son partenaire le Cplc Smith, il devait se présenter au mess des officiers à 9 h 15 pour une attribution des missions.

3.                  S’apercevant que le Cpl Lefebvre se trouvait encore dans les locaux de la police militaire à 9 h 15, le M 2 Mazereeuw, son supérieur, lui a demandé pourquoi il n’était pas encore parti.

4.                  Le Cpl Lefebvre a répondu, à propos du Cplc Smith : [traduction] « Il est en train de pisser », ou quelque chose du même ordre, en la présence d’autres membres de l’unité de police militaire : le Cplc Adams, le Cpl Roulston, le Cpl Cruickshanks, et deux commissionnaires, M. Cyr et M. Pepin.

5.                  Jugeant cette réponse contraire au professionnalisme, le M 2 Mazereeuw a invité le Cpl Lefebvre à le joindre dans son bureau pour en discuter.

6.                  Durant la discussion, le Cpl Lefebvre est devenu très agité, puis a crié : [traduction] « Vous voulez que je laisse mon tour de garde, j’en ai ma claque de cette merde », ou quelque chose du même ordre.

7.                  Le Cpl Lefebvre est alors sorti en trombe du bureau tout en criant [traduction] « c’est des conneries », ou quelque chose du même ordre, puis il a enlevé sa veste pare‑éclats et l’a jetée au sol, en la présence du M 2 Mazereeuw, du Cplc Smith, du Cplc Adams, du Cpl Roulston, du Cpl Cruickshanks, et des deux commissionnaires, M. Cyr et M. Pepin.

8.                  Le Cpl Lefebvre s’est ensuite efforcé, dans un accès de colère, et n’importe comment, d’enlever sa ceinture d’arme. Par souci de sécurité, le M 2 Mazereeuw a prié le Cplc Smith de se saisir de la ceinture du Cpl Lefebvre pour qu’il la retire en toute sécurité. »

[3]               Un exposé conjoint des faits (pièce 7) révèle aussi que le contrevenant a été libéré des Forces canadiennes le 29 février 2016 pour raisons médicales, et qu’il réside maintenant à Toronto, où il vit en union de fait. Il commence un programme d’études à l’école de cinéma de Toronto et, au 4 avril 2016, il étudiait la conception et le développement de jeux vidéo. Il n’a pas d’emploi et il recevra une pension des Forces canadiennes (FC) au montant de 1 054 $ par mois, ainsi qu’une autre pension du RARM, qui lui permettra de toucher 75 p. 100 de sa solde au sein des FC, laquelle était de 5 649 $ par mois au moment de sa libération. Un état de stress posttraumatique (ESPT) a été diagnostiqué au contrevenant en mars 2015 (voir pièce 8), conséquence d’une mission en Afghanistan, et il connaît un problème d’alcoolisme qu’il doit encore résoudre. La thérapie qu’il suit pour traiter son ESPT est actuellement suspendue car elle accentuait son problème d’alcool. Le contrevenant a montré un bon comportement depuis les événements et n’a pas été mêlé à d’autres incidents de nature disciplinaire ou criminelle. Il n’avait pas d’antécédents disciplinaires ou criminels. Le caporal Lefebvre paie 2 145 $ par mois en remboursement d’une hypothèque, ce qui comprend les redevances d’entretien et les primes d’assurance (maison et véhicule). Il paie aussi 600 $ par mois pour son véhicule. Le solde de sa carte de crédit est de 4 456 $ et il rembourse ce qu’il peut chaque mois. Ses précédents rapports d’appréciation du personnel (RAP) étaient satisfaisants. Il a été décrit comme un membre qualifié, enthousiaste et motivé, et aussi comme un camarade charismatique, respecté de ses collègues. Son ancien surveillant‑chef a témoigné que l’incident a eu certaines répercussions sur l’unité, mais qu’elles n’ont pas été de longue durée. Il a affirmé que le contrevenant avait été par ailleurs un bon et serviable membre de l’unité et qu’il ignorait, à l’époque, qu’il souffrait d’un ESPT.

[4]               Se fondant sur cette preuve, l’avocat de la poursuite recommande à la Cour de lui infliger une amende de 1 200 $, afin de remplir les objectifs de dénonciation et de dissuasion générale. La défense recommande une amende de 200 $.

[5]               L’objet essentiel de la détermination de la peine par une cour martiale est de contribuer au respect de la loi et au maintien de la discipline militaire, en infligeant une sanction qui réponde à l’un ou plusieurs des objectifs suivants :

a)      la protection du public, y compris des Forces armées canadiennes;

b)      la dénonciation des comportements illégaux;

c)      l’effet dissuasif de la sanction, non seulement pour le contrevenant, mais également pour d’autres qui pourraient être tentés de commettre de telles infractions;

d)      la réadaptation et la réinsertion sociale du contrevenant.

[6]               La peine doit aussi prendre en compte les principes suivants :

a)      elle doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction, aux antécédents du contrevenant et à son degré de responsabilité;

b)      elle doit être semblable aux peines infligées à des contrevenants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables;

c)      la cour doit aussi respecter le principe selon lequel le contrevenant ne doit pas être privé de sa liberté s’il est possible, eu égard aux circonstances, de lui infliger une peine moins contraignante; toutefois, la cour doit agir avec retenue lorsqu’elle détermine la peine, en veillant à prononcer la sanction qui représente l’intervention minimale requise pour préserver la discipline.

[7]               En l’espèce, les objectifs principaux de la détermination de la peine sont la dissuasion générale, la dénonciation et la réinsertion sociale.

[8]               Les circonstances aggravantes, en l’espèce, sont les suivantes :

a)      La gravité objective de l’infraction. L’article 85 de la Loi sur la défense nationale dispose que l’auteur de cette infraction encourt comme peine maximale la destitution ignominieuse du service de Sa Majesté. C’est une infraction grave.

b)      Le rang, la connaissance et l’expérience du contrevenant. Le contrevenant savait que son comportement était répréhensible et qu’il n’aurait pas dû agir sous le coup de la frustration et de la colère envers son supérieur ainsi qu’envers ses autres collègues et les commissionnaires.

[9]               Les circonstances atténuantes sont les suivantes :

a)      le plaidoyer de culpabilité, qui montre que le contrevenant accepte la responsabilité de son acte;

b)      l’absence de tout antécédent disciplinaire ou criminel;

c)      le fait qu’il s’agit là d’un incident isolé, très bref et spontané, qui était rattaché à son problème de santé au moment de l’infraction;

d)      le fait qu’il a maintenant été libéré des Forces armées canadiennes pour raisons médicales et que sa réhabilitation est bien engagée, encore que sa situation financière soit fragile pour l’instant.

[10]           Durant leurs conclusions, les deux parties ont présenté à la Cour plusieurs précédents au soutien de leurs positions ou pour faire la distinction entre leurs positions respectives. Toutes les peines prononcées dans ces précédents avaient consisté en un blâme ou une réprimande, en plus d’une amende se situant entre 800 $ et 2400 $. Manifestement, la présente affaire se situerait à l’extrémité inférieure de la gamme des sanctions applicables à des infractions semblables.

[11]           L’avocat de la défense a invoqué les principes énoncés à l’article 734 du Code criminel, selon lequel une amende ne peut être infligée à un contrevenant que si le tribunal est convaincu que le contrevenant a la capacité de la payer. Ici, les deux parties s’accordent pour dire qu’une amende est la sanction qui convient. Dans l’arrêt R. c. Topp, 2011 CSC 43, [2011] 3 R.C.S. 119, le juge Fish, s’exprimant pour la Cour suprême du Canada, faisait les observations suivantes, aux paragraphes 20 à 23 :

[20]       Avant d’infliger l’amende au délinquant, le tribunal doit donc conclure formellement que celui‑ci est en mesure de la payer. En l’absence de preuve étayant une telle conclusion, la partie qui demande l’imposition d’une amende ne saurait avoir gain de cause.

[21]       Le paragraphe 734(2) n’impose pas un fardeau de preuve formel à la partie qui propose l’amende. En pratique, cependant, il le fait dans une certaine mesure car, en droit, le tribunal ne peut infliger une amende au délinquant que s’il est convaincu que ce dernier est capable de la payer. Or, cela suppose nécessairement que le tribunal tire d’abord une conclusion formelle en se fondant sur la preuve et les renseignements dont il a été dûment saisi conformément aux art. 720 à 724 du Code criminel.  En l’absence de preuve suffisante étayant une telle conclusion, la partie qui propose l’amende ne saurait avoir gain de cause.

[22]       En ce sens, le par. 734(2) impose à la partie qui propose l’amende le fardeau de convaincre le tribunal que le délinquant est en mesure de la payer.  Pour s’acquitter de ce fardeau, cette partie peut se fonder sur l’ensemble des éléments de preuve pertinents qui ont été soumis au tribunal au stade de la détermination de la peine, y compris les preuves et les renseignements fournis par toute autre partie ou autrement obtenus de façon régulière par le juge, par exemple en vertu du par. 723(3) du Code criminel.

[23]       La partie qui s’oppose à l’amende — souvent, mais pas toujours, le délinquant — a évidemment le droit de présenter toute preuve ou tout renseignement admissible au stade de la détermination de la peine qui tend à démontrer que le délinquant est incapable de la payer.  Cette partie n’est toutefois pas tenue de s’acquitter d’un fardeau de preuve formel — qu’il s’agisse d’un fardeau de présentation de la preuve ou d’un fardeau de persuasion — pour s’opposer à l’amende.  Elle demeure libre d’avancer que la preuve invoquée par la partie qui propose l’amende ne saurait convaincre le tribunal que le délinquant est capable de la payer.

[12]           Compte tenu de la preuve présentée à la Cour, des circonstances de l’infraction, et de la situation du contrevenant, je suis d’avis qu’une peine juste et équitable est une amende de 500 $, et que cette peine répond aux objectifs de dénonciation, de dissuasion générale et de réinsertion sociale.

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[13]           VOUS DÉCLARE coupable du premier chef d’accusation, aux termes de l’article 85 de la Loi sur la défense nationale.

 

[14]           VOUS CONDAMNE à une amende de 500 $, payable en cinq mensualités de 100 $, à compter du 1er mai 2016, sous la forme de chèques visés faits à l’ordre du Receveur général du Canada. L’avocat de la poursuite vous communiquera sur‑le‑champ, par l’entremise de votre avocat, l’adresse et le bureau où les paiements en cause devront être faits.

 

Avocats :

Le capitaine P. Germain, pour le Directeur des poursuites militaires

Le capitaine de corvette P. Desbiens, Service d’avocats de la défense, avocat du caporal M.J.G. Lefebvre.

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