Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 25 janvier 2016

Endroit : Centre Asticou, bloc 2600, pièce 2601, salle d’audience, 241 boulevard de la Cité-des-Jeunes, Gatineau (QC)

Chefs d’accusation :

• Chef d’accusation 1 : Art. 125c) LDN, dans l’intention d’induire en erreur, a altéré un document établi à des ministérielles.
• Chef d’accusation 2 : Art. 125a) LDN, a fait volontairement une fausse inscription dans un document officiel établi par elle.

Résultats :

• VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 2 : Coupable.
• SENTENCE : Un blâme et une amende au montant de 3000$.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. Buckley, 2016 CM 1001

 

Date : 20160201

Dossier : 201555

 

Cour martiale permanente

 

Centre Asticou

Gatineau (Canada)

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

 -et -

 

L’adjudant-maître D.R. Buckley, contrevenant

 

 

En présence du Colonel M. Dutil, juge militaire en chef


 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Oralement)

 

[1]        L’adjudant-maître Buckley a admis sa culpabilité à deux chefs d’accusation portés en vertu de l’article 125 de la Loi sur la défense nationale pour des infractions se rapportant à des documents. Une personne déclarée coupable de ces infractions encourt comme peine maximale un emprisonnement de trois ans ou d’une peine moindre. Les chefs d’accusation sont les suivants :

 

Premier chef d’accusation

al. 125c) LDN

 

 

 

 

 

 

 

Deuxième chef d’accusation

al. 125a) LDN

DANS L’INTENTION D’INDUITE EN ERREUR, A ALTÉRÉ UN DOCUMENT ÉTABLI À DES FINS MINISTÉRIELLES

 

Détails : En ce que, entre le 11 juin 2013 et le 3 octobre 2014, à ou près de Comox (Colombie-Britannique), dans l’intention d’induire en erreur, a altéré un document établi à des fins ministérielles, soit un formulaire DND 279, intitulé « Programme FORCE ».

 

A FAIT VOLONTAIREMENT UNE FAUSSE INSCRIPTION DANS UN DOCUMENT OFFICIEL ÉTABLI PAR ELLE À DES FINS MINISTÉRIELLES

 

Détails : En ce que, le ou vers le 8 septembre 2014, à ou près de la Base des Forces canadiennes Comox (Colombie-Britannique), a fait une inscription dans le système de gestion des ressources humaines indiquant qu’elle avait réussi son évaluation du Programme FORCE, sachant que cette inscription était fausse.

 

[2]        Pour plus de clarté, la Cour reproduit ici l’énoncé des faits produit pendant le prononcé de la sentence :

 

1.         L’adjudant-maître Buckley (l’adjum) s’est enrôlée dans les Forces armées canadiennes (FAC) le 3 juillet 1986. Elle s’est enrôlée dans le métier de commis de finance, qui a été fusionné avec le métier de commis de soutien à la gestion des ressources (SGR) en 1997. L’adjum Buckley a complété tous ses cours de niveaux de qualifications jusqu’au niveau 6A, qu’elle a complété en 2004. Elle a été mutée à la Base des Forces canadiennes (BFC) Comox en juillet 2011, et a été promue à son grade présent le 9 août 2010. D’août 2013 à octobre 2014 l’adjum Buckley était le commis-surintendant de la 19e Escadre.

 

2.         La BFC Comox est la base opérationnelle de la 19e Escadre Comox. La 19e Escadre comporte deux escadrons opérationnels, qui utilisent des aéronefs de patrouille à long rayon d’action CP-140 Aurora, des avions de recherche et de sauvetage CC-115 Buffalo, et des hélicoptères CH-149 Cormorant. Ces aéronefs font de la surveillance au-dessus de l’océan Pacifique, mènent des opérations de recherche et de sauvetage sur la côte de la Colombie-Britannique et dans l’océan Pacifique, et soutiennent les missions intérieures et étrangères. Le 19Escadron d’entretien (air), l’École de recherche et de sauvetage des Forces canadiennes et les opérations régionales des cadets (air) sont tous basés à la BFC Comox. Le commis-surintendant de la 19e Escadre est le surintendant de tous les commis SGR de toutes les unités de la 19e Escadre Comox et de la BFC Comox. Entre 2013 et 2014 il y a eu de 35 à 37 commis SGR qui y travaillaient. Le commis-surintendant est aussi le militaire du rang responsable du suivi du rapport d’appréciation du rendement des militaires du rang, offre son expertise sur des sujets précis au personnel supérieur de l’escadre, est le conseiller du Groupe professionnel militaire (GPM) pour les commis de soutien à la gestion des ressources, et est le coordonnateur de formation pour tous les commis SGR et supervise directement le personnel du registre central de la 19e Escadre.

 

3.         Le 11 septembre 2014, mademoiselle Vee Dion, coordonnatrice au conditionnement physique de la 19e Escadre, reçoit un courriel de l’adjum Buckley lui recommandant de faire certaines modifications aux dossiers qui sont sous la garde de mademoiselle Dion des résultats aux examens FORCE des membres de la 19e Escadre des FAC. La plupart des modifications demandées par l’adjum Buckley concernaient des unités spécifiques de membres, ou la date à laquelle un membre devrait s’inscrire pour passer son prochain examen de condition physique; cependant, dans ce même courriel, l’adjum Buckley demandait aussi à mademoiselle Dion de noter dans son dossier qu’elle-même, l’adjum Buckley, avait réussi l’examen FORCE le 8 septembre 2014. Mademoiselle Dion connaît personnellement l’adjum Buckley, et ne se souvenait pas l’avoir vu au gymnase le matin de l’examen du 8 septembre. Mademoiselle Dion a alors vérifié dans le système de gestion des Ressources humaines (SGRH), qui indiquait que l’adjum Buckley avait réussi l’examen FORCE le 8 septembre, mais la façon dont l’information était entrée au système n’était pas compatible avec la méthode normale d’inscription des résultats d’examens. Mademoiselle Dion était certaine de ne pas avoir fait l’inscription elle-même. Par ailleurs, mademoiselle Dion décida donc de chercher le formulaire papier (formulaire DND 279) des résultats de l’adjum Buckley à l’examen FORCE du 8 septembre 2014. Aucun document n’a été trouvé, et l’adjum Buckley a été incapable d’en fournir une copie. Mademoiselle Dion décida donc de discuter de ces incohérences avec mademoiselle Bobbi Howard-Muir, gestionnaire du programme de soutien aux employés.

 

4.         Suite à ces informations, mademoiselle Howard-Muir a communiqué avec l’adjum Buckley, qui l’avisa, dans un courriel daté du 18 septembre 2014, qu’elle n’avait toujours pas retrouvé sa copie du formulaire DND 279 pour le test du 8 septembre 2014, et qu’elle repasserait donc l’examen en novembre. Il était impossible pour l’adjum Buckley de faire cet examen avant novembre puisqu’elle devait être en service à la Station des Forces canadiennes Alert pour le mois d’octobre, en remplacement d’un membre en congé. Suite à ce devoir temporaire, elle devait être déployée à la SFC Alert en 2015.

 

5.         Puisqu’aucun DND 279 confirmant l’inscription dans le SGRH indiquant que l’adjum Buckley avait passé l’examen FORCE le 8 septembre 2014 avait été retrouvé, mademoiselle Howard-Muir a communiqué avec la chaîne de commandement de l’adjum Buckley par le biais de l’adjudant-chef (l’adjuc) Rowley, l’adjudant-chef de la branche des services administratifs. Dans un courriel daté du 16 septembre 2014, l’adjum Buckley avait auparavant confirmé à l’adjuc Rowley qu’elle « avait fait son examen FORCE et que le formulaire avait été envoyé à toutes les personnes devant en recevoir une copie ».

 

6.         Le formulaire DND 279 sert à diverses fins officielles. Un formulaire individualisé est préparé pour chaque membre des Forces armées canadiennes lors de son examen de condition physique. On y retrouve les détails personnels du membre, une brève évaluation de santé, une proposition d’exercices à faire, et le résultat de l’examen de condition physique. Ce formulaire permet de prendre connaissance que le membre a satisfait aux exigences du DOAD 5023-1, Critères minimaux d’efficacité opérationnelle liés à l’universalité du service, au DOAD 5023-2, Programme de conditionnement physique, et au CANFORGEN 038/13 Lancement du nouvel examen de condition physique des FAC. Conformément à ces ordres et règlements, tous les membres de la Force régulière des FAC, à moins d’exemption pour un des motifs prévus au DOAD 5023-2, devaient avoir complété leur évaluation de norme minimale de condition physique, le test EXPRES des FC ou l’examen de forme opérationnelle requise dans le cadre de l’emploi des FAC (FORCE) normes d’évaluation minimales de condition physique au cours des périodes d’évaluation annuelle de 2013 et 2014. Les renseignements inscrits sur le formulaire DND 279 font ensuite partie du rapport d’appréciation de rendement (RAR) annuel, utilisé par les comités de sélection. Il doit normalement y avoir cinq copies du DND 279 : la première copie est envoyée au Service de bien-être et moral des Forces canadiennes/Directeur de la condition physique; la deuxième copie est signée par le commandant du membre et est placée dans son dossier médical par le chirurgien‑chef de la base; la troisième copie est aussi signée par le commandant du membre et placée dans le dossier personnel du membre; la quatrième copie est gardée par la section locale du programme de soutien à la condition physique du personnel des Forces canadiennes; et la dernière copie est remise au membre. Néanmoins, aucune copie du DND 279 de l’adjum Buckley établissant qu’elle aurait complété l’examen de condition physique du 8 septembre 2014 n’a été retrouvée dans le dossier personnel de l’adjum Buckley ou ailleurs. Puisque l’incohérence ne pouvait être résolue, le Service national des enquêtes des Forces canadiennes (SNEFC) a été avisé et une enquête a eu lieu.

 

7.         L’adjum Buckley a été interrogée sous serment par le sergent (le sgt) Groenveld du SNEFC le 4 novembre 2014. Elle déclara que le 8 septembre 2014 elle avait utilisé le mot de passe d’une collègue, mademoiselle Eby, pour accéder au SGRH et y avait fait une inscription indiquant qu’elle avait réussi l’examen FORCE le jour même. Suite à l’examen du dossier personnel de l’adjum Buckley, aucun formulaire d’évaluation de condition physique DND 279 n’a été retrouvé pour 2014. L’enquête a démontré que l’adjum Buckley n’était pas présente à l’examen FORCE le 8 septembre 2014 à la BFC Comox, et qu’il n’y a aucun document attestant qu’elle aurait complété le test FORCE ou EXPRES en 2014 à la Base des Forces canadiennes Comox ou à la Base des Forces canadiennes Esquimalt. Elle savait qu’elle faisait une fausse déclaration en faisant l’inscription dans le SGRH indiquant qu’elle avait réussi le test FORCE le 8 septembre 2014 et qu’elle répondait aux exigences du DOAD 5023-2. Elle savait aussi que cette inscription serait prise en considération sur son prochain RAR, et que tout comité de sélection qui la considérerait pour une promotion en aurait connaissance. Elle savait enfin que cette information serait examinée par le Groupe d’aide au départ (GAD) lors des vérifications de préparation pour son déploiement à la SFC Alert.

 

8.         L’enquête du SNEFC a révélé que le DND 279 le plus récent retrouvé dans le dossier personnel de l’adjum était un examen FORCE daté du 27 septembre 2013; cependant, l’étude de ce DND 279 démontre de nombreuses anomalies laissant croire que ce formulaire a été modifié pour que ce soit le nom et les renseignements personnels de l’adjum Buckley qui y apparaissent mais qu’il s’agit plutôt du DND 279 d’un autre membre des FAC. L’adjum Buckley a aussi admis sous serment au sgt Groenveld que c’est son écriture qu’on retrouve sur les altérations. L’enquête a démontré que le DND 279 relatif à la passation d’un examen FORCE à la BFC Comox le 12 juin 2013 appartient au caporal Michael Veilleux, un opérateur de vol de mission de soutien au 19e Escadre. Le nom, les renseignements personnels et la date de l’examen identifiés sur le formulaire ont été altérés entre le 12 juin 2013 et le 3 octobre 2014 par l’adjum Buckley. Elle a ensuite fait placer le DND 279 altéré dans son dossier personnel, sachant qu’il serait utilisé comme s’il était authentique. En conséquence, les rapports d’appréciation du rendement (RAR) de l’adjum Buckley pour l’année 2013-2014 indique qu’elle a réussi son examen de condition physique.

 

9.         Des chefs d’accusation ont été portés contre l’adjum Buckley le 21 avril 2015 en vertu de l’article 125 de la Loi sur la défense nationale. Le dossier a été envoyé devant la cour martiale par le commandant de la 19e Escadre. Il n’y a pas eu d’élection puisqu’une audition par voie sommaire n’était pas considérée possible. L’autorité de renvoi, le commandant de la 1re Division aérienne du Canada, a envoyé le dossier au directeur des poursuites militaires. Le 5 août 2015, le capitaine de corvette S. Torani, un officier autorisé conformément au paragraphe 165.15 de la Loi sur la défense nationale, a émis la mise en accusation des deux chefs d’accusation à l’acte d’accusation.

 

[3]        Suivant ces faits, la poursuite recommande une sentence de rétrogradation au grade d’adjudant, alors que l’avocat de la défense suggère qu’un blâme et une amende de 3 000 $ seraient justifiés dans les circonstances. Le procureur de la poursuite soumet que la sentence imposée devrait être de nature dissuasive et servir un objectif de dénonciation et de réhabilitation, et que ce cas n’est pas à propos de l’altération de documents établis à des fins ministérielles reliés à un examen de condition physique, ou deux examens de condition physique, ni à propos du fait d’avoir volontairement falsifié un document relatif à l’échec ou à la réussite d’un examen de condition physique. Il soumet que ce cas concerne plutôt un abus de confiance sérieux, par abus ou perte, par un militaire du rang supérieur qui a utilisé non seulement ses connaissances et son expérience mais aussi son grade et son autorité de commis-surintendant de la 19e Escadre pour abuser de la confiance de sa chaîne de commandement pour son propre intérêt, notamment pécuniaire.

 

[4]        Pendant les auditions sur la sentence, la poursuite a fait entendre cinq témoins, dont le colonel T.P. Dunne, commandant de la 19e Escadre Comox; le major B.J. Zimmerman, l’officier du soutien administratif du personnel de l’escadre; l’adjudant-chef J.E. Rowley, l’ancien adjudant-chef de la branche des services administratifs de l’escadre; l’adjudant-chef J.C.J. Parent, 1’adjudant-chef de la 19e Escadre Comox; et l’adjudant T.L.S. Graham, commis-chef du 19e Escadron d’entretien (air) Comox.

 

[5]        Le colonel Dunne a témoigné qu’il est arrivé à Comox en 2014. Il souligne qu’en tant que commis-surintendant de la branche administrative, la contrevenante était la personne ressource pour toutes les problématiques touchant l’administration et la gestion des ressources humaines et qu’elle lui portait parfois conseil. Il témoigne qu’il avait confiance en ses aptitudes de commis-surintendant. Le colonel a mentionné que la nomination de la contrevenante pour sa mutation à Alert en tant qu’adjudant supérieur a bien fait paraître son organisation. Du moment où il a été informé des allégations pesant contre la contrevenante, le colonel Dunne a annulé sa mutation et l’a déchargée de son poste puisqu’il avait perdu toute confiance en la contrevenante et ne croyait pas qu’il serait possible de lui refaire confiance. Selon lui, l’adjudant-maître Buckley a violé le système qu’elle était censée protéger.

 

[6]        Au moment des faits, le major Zimmerman était le superviseur immédiat de l’adjudant-maître Buckley. Il souligne les grandes qualités de la contrevenante et dit qu’il a reçu un choc lorsqu’il a appris les allégations qui pesaient contre elle. Il ajoute que la décision de la démettre de ses fonctions et de l’affecter à un autre poste sur la base a été prise par l’escadre et que son rendement à ce nouveau poste était bon. Le major Zimmerman soutient qu’il ne l’engagerait pas de nouveau comme commis-surintendant mais que le plaidoyer de culpabilité de l’adjudant-maître Buckley aide beaucoup à rebâtir la confiance qu’il avait en elle. Le major Zimmerman témoigne aussi qu’il n’a pas noté de conséquences directes sur la discipline résultant de ces événements.

 

[7]        L’adjudant-chef Rowley témoigne qu’il n’était pas le superviseur immédiat de la contrevenante mais qu’il la conseillait dans son cheminement de carrière à l’intérieur de l’Aviation royale canadienne. Selon lui, le rôle de l’adjudant-maître comme commis-surintendant était de surveiller et protéger le SGRH. L’adjudant-chef Rowley mentionne que la contrevenante occupait un poste important dans l’escadre et avait un rôle de modèle pour tous les commis. En outre, elle remplaçait l’adjudant-chef lorsqu’il devait s’absenter. Il établit clairement qu’il ne l’aurait pas recommandé pour une mutation ou une promotion si elle n’avait pas réussi les examens normaux de condition physique. L’adjudant-chef Rowley a recommandé à sa chaîne de commandement de démettre l’adjudant-maître Buckley de ses fonctions puisqu’elle était sous enquête policière et ce, même s’il connaissait peu de choses des allégations. Il avait des inquiétudes à propos du moral au sein de l’escadre administrative. Il n’a plus confiance en la contrevenante comme adjudant-maître et a exprimé sa grande déception. Aucun des témoins n’a discuté avec la contrevenante au sujet des infractions étant donné que ses fonctions de commis-surintendant lui ont été retirées.

 

[8]        Enfin, l’adjudant Graham a témoigné des conséquences qu’a eues pour elle et sa famille l’obligation de remplacer l’adjudant-maître Buckley à pied-levé, particulièrement dans un contexte où son mari militaire a été choisi pour remplacer l’adjudant-maître Buckley pour le déploiement à Alert.

 

[9]        La Cour a également entendu les témoignages de l’adjudant-maître Buckley, du capitaine de vaisseau R.B.I. Hopkins, J8, Commandement des opérations interarmées du Canada, et de l’adjudant-chef T. Beers, gérant de carrière des commis du Soutien à la gestion des ressources et aux sténographes judiciaires. L’adjudant-chef Beers témoigne qu’il connaît la contrevenante depuis 1986. En tant que gérant de carrière de la contrevenante, il a été mis au courant qu’elle faisait l’objet d’une enquête et qu’elle avait été démise de ses fonctions de commis-surintendant de la 19e Escadre Comox. Après avoir confirmé avec sa chaîne de commandement qui lui était toujours permis d’être employée dans un poste relié aux finances, il l’a mutée à l’extérieur de Comox à la cellule J8 du Commandement des opérations interarmées du Canada à titre d’adjudant-maître des finances en juillet 2015. En plus de ses responsabilités en tant qu’adjudant-maître des finances, elle occupe aussi la position de sergent-major du de la branche, une position de leadership où elle conseille le commandant en matière de discipline, de moral et de bien-être pour les militaires du rang de l’unité.

 

[10]      Le capitaine de vaisseau Hopkins côtoie quotidiennement avec la contrevenante. Depuis l’arrivée de l’adjudant-maître Buckley au sein de la cellule J8, il a développé un grand respect pour elle. Il admire son éthique de travail, son dévouement et son sérieux. Il ajoute qu’elle est un modèle pour son personnel. Le capitaine de vaisseau Hopkins a remarqué que l’adjudant-maître Buckley a souffert de stress dans les cinq derniers mois alors qu’elle attendait son audience en cour, mais il note que cette situation n’a pas eu de conséquences négatives sur son rendement ni sur ses relations avec le personnel. Connaissant les accusations pesant contre l’adjudant-maître Buckley et son plaidoyer de culpabilité, le capitaine de vaisseau Hopkins croit qu’il s’agit d’une erreur qui n’aurait pas dû être commise, mais qu’il s’agit, et il met l’accent sur ce point, d’une erreur. Il témoigne qu’elle est un excellent adjudant-maître et un membre précieux des Forces canadiennes et du Commandement des opérations interarmées du Canada. Le capitaine de vaisseau Hopkins donnerait accès au système de gestion des ressources humaines à l’adjudant-maître Buckley et ce, malgré son plaidoyer de culpabilité aux chefs d’accusation portés contre elle.

 

[11]      L’adjudant-maître Buckley a témoigné des difficultés qu’elle a vécues à Comox pendant sa dernière mutation, alors qu’elle croyait qu’il s’agirait de l’emploi de ses rêves puisque cela signifiait qu’elle serait réunie avec sa famille pour la première fois de sa carrière. Étant célibataire, elle n’a jamais eu besoin de concilier son travail et sa vie de famille. Vivant à Comox, elle pourrait être présente pour ses parents âgés et partager cette responsabilité avec ses frères et sœurs. Elle explique que pendant la première année, elle a été très occupée car le personnel était stressé et devait accomplir plusieurs tâches à la fois. Pendant sa deuxième année, elle a été nommée adjudant supérieur des services logistiques en plus d’être commis-surintendant intérimaire de l’escadre. Selon son témoignage, elle a éprouvé des difficultés à gérer la conciliation entre l’importante charge de travail qu’elle avait et son nouveau rôle de soutien de ses parents. Elle relate qu’elle n’a pas fait attention à elle-même et a pris plus de 50 livres pendant ces deux premières années; tout cela était sa faute. Elle admet qu’elle s’est menti à elle-même et qu’elle a menti à sa chaîne de commandement, à ses supérieurs et à toutes les personnes qui auraient pu être touchées par les fausses inscriptions faites au SGRH et par les altérations apportées aux formulaires indiquant qu’elle avait réussi les examens de condition physique. L’adjudant-maître Buckley souhaiterait ne jamais avoir posé ces gestes et regrette de ne pas avoir recherché de l’aide lorsqu’elle en avait besoin. Elle soumet qu’elle était épuisée et qu’elle avait le moral à zéro. Elle témoigne également qu’au moment des infractions elle était en mauvaise forme physique, qu’elle devait faire ses examens de condition physique et qu’elle savait qu’elle ne les réussirait pas. Elle a donc paniqué et pris la voie la plus facile pour régler son problème.

 

[12]      Elle explique qu’elle n’a pas perpétré les infractions dans le but d’obtenir une promotion. Pour elle, il s’agissait plutôt d’en finir avec cet examen. Questionnée sur les circonstances entourant les fausses inscriptions au SGRH, elle explique qu’après son retour de congé au mois d’août, on lui a annoncé qu’elle avait été choisie pour aller à Alert. Excitée par cette perspective et voyant cette mutation comme une occasion de reprendre sa vie en main et de mettre un terme au cycle incessant d’être surchargée de travail et de devoir prendre soin de ses parents, elle avait hâte d’être loin de la maison et de ses obligations usuelles. Elle savait qu’elle devait sous peu participer au briefing du GAD. L’adjudant-maître Buckley témoigne que son but en allant à Alert était de reprendre sa vie en main et de se remettre en forme. Elle décrit le stress et l’anxiété vécus au cours des 16 derniers mois et explique qu’elle a appris qu’elle devait être capable de prendre soin d’elle-même si elle souhaitait aider les autres. Selon elle, ses actions étaient inacceptables. Elle souhaite être la meilleure personne possible pour sa famille et ses amis, pour sa chaîne de commandement et pour ses subordonnés. Elle comprend la position de son ancienne chaîne de commandement de Comox, mais elle affirme qu’elle a appris de ses erreurs et qu’elle croit pouvoir encore faire une différence. Enfin, elle explique qu’en tant que commis-surintendant de la 19e Escadre, elle n’était pas la gardienne du SGRH, mais a plutôt utilisé son savoir pour y avoir accès.

 

[13]      Il est important de mentionner l’énorme preuve documentaire déposée à l’audition sur la sentence démontrant la personnalité et les accomplissements antérieurs de l’adjudant-maître Buckley depuis 2002. Toutes ses évaluations démontrent qu’elle est une employée exceptionnelle et un leader obtenant les plus hautes reconnaissances dans tous les domaines, y compris pour sa fiabilité, son éthique et ses valeurs. Son potentiel a constamment été évalué comme exceptionnel. Elle est reconnue comme étant un leader dévoué. Des lettres récentes écrites par des personnes ayant travaillé avec l’adjudant‑maître Buckley à Comox et qui ont appris des chefs d’accusation auxquels elle faisait face sont également impressionnantes. Elle y est décrite comme une personne professionnelle, réellement respectée et dévouée, qui a une grande fierté de porter l’uniforme et qui illustre l’expression « le service avant soi ».

 

[14]      L’objectif fondamental de la détermination de la sentence par une cour martiale est d’assurer le respect de la loi et le maintien de la discipline en infligeant des peines visant l’un ou plusieurs des objectifs suivants :

 

a)         protéger le public, y compris les Forces canadiennes;

 

b)         dénoncer le comportement illégal;

 

c)         dissuader le contrevenant et quiconque de commettre les mêmes infractions; et

 

d)         réadapter et réformer les contrevenants.

 

[15]      La sentence prononcée par la Cour doit également tenir compte des principes suivants :

 

a)         elle doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction, elle tient compte des antécédents du contrevenant et de son degré de responsabilité;

 

b)         elle infligée devrait être semblable à celles infligées à des contrevenants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables; et

 

c)         la Cour doit également respecter le principe selon lequel le contrevenant ne devrait pas être privé de liberté si des sanctions moins contraignantes peuvent être justifiées dans les circonstances. Toutefois, la Cour doit faire preuve de retenue lorsqu’elle détermine la sentence et elle doit infliger la sanction la moins sévère nécessaire pour maintenir la discipline.

 

[16]      Les principaux objectifs de la détermination de la sentence propre à ce cas sont la dissuasion générale, la dénonciation et la réhabilitation.

 

[17]      Les facteurs aggravants sont les suivants :

 

a)         La gravité objective de l’infraction : l’article 125 de la Loi sur la défense nationale prévoit qu’une personne déclarée coupable de cette infraction encourt un emprisonnement maximal de trois ans ou une peine moindre. Il s’agit d’une infraction sérieuse.

 

b)         Le grade, les connaissances et l’expérience de la contrevenante : l’adjudant-maître Buckley avait un grade d’influence requérant connaissances et expérience et elle savait que de falsifier et d’altérer des documents, dans les circonstances, n’était pas le comportement attendu d’une personne dans sa position.

 

c)         L’abus de confiance et la position de confiance de l’adjudant-maître Buckley : En tant que commis-surintendant de la 19e Escadre, une position clé de la direction, elle a prévariqué cette confiance en altérant un document établi à des fins ministérielles, et en mentant à l’adjudant-chef Rowley, en lui disant qu’elle avait réussi son examen de condition physique en septembre 2014. Elle a abusé de cette confiance en faisant une fausse inscription dans le système SGRH et en tentant d’obtenir de la coordonnatrice au conditionnement physique qu’elle modifie des registres en sa faveur. Ces actions ont pour conséquence la perte de la confiance de ses supérieurs et de ses subordonnés.

 

d)         Le caractère délibéré et planifié dans la commission de ces infractions.

 

[18]      Les facteurs atténuants sont les suivants :

 

a)         L’enregistrement d’un plaidoyer de culpabilité à la première occasion possible et la responsabilisation par rapport aux infractions qui ressort du témoignage de l’adjudant‑maître Buckley. La Cour croit que ses remords sont authentiques.

 

b)         Le dossier de service exceptionnel de la contrevenante : l’adjudant‑maître Buckley a eu une carrière remarquable au sein des Forces canadiennes depuis sont enrôlement en 1986 et a reçu de nombreux honneurs et distinctions tout au long de sa carrière. Elle a constamment démontré qu’elle était une professionnelle dévouée dans toutes les facettes de sa carrière militaire. La commission de ces infractions ne peut pas être séparée ou évacuée du contexte dans lequel elles ont eu lieu. À ce moment, l’adjudant‑maître Buckley était mentalement et physiquement épuisée et ne gérait pas bien cette situation. La Cour croit que ces actions ne sont pas représentatives des qualités et valeurs dont l’adjudant‑maître Buckley a fait preuve tout au long de sa carrière. Le témoignage du capitaine de vaisseau Hopkins expose d’ailleurs ce qui devrait être une approche mesurée de ce dossier, en opposition à une position inflexible et rigide ne laissant place ni à la compréhension ni à la rédemption.

 

c)         L’absence de tout autre dossier disciplinaire ou criminel.

 

d)         Le maintien de sa performance de l’adjudant‑maître Buckley depuis la commission de ces infractions : Elle a été démise de son poste et privée de ses responsabilités de commis-surintendant de Comox lorsque l’enquête a débuté. Elle a aussi perdu l’occasion d’être déployée à Alert. Elle a été employée sur la base dans des postes qui ne correspondaient pas à son grade et à son expérience et elle a continué d’exécuter ses tâches de façon exemplaire. Suite à sa mutation dans une position de leadership au Commandement des opérations interarmées du Canada à l’été 2015, elle a su gagner la confiance de sa nouvelle chaîne de commandement grâce à la qualité de son rendement et à ses aptitudes personnelles.

 

[19]      Dans leurs plaidoiries, les deux parties ont soumis à la Cour une multitude de décisions pour soutenir ou distinguer leurs positions. La poursuite invoque principalement le jugement dans Reid et Sinclair c. Sa Majesté la Reine, 2010 CACM 4, 20 avril 2010, ainsi que sur l’arrêt récent de la Cour suprême du Canada dans R c. Lacasse, 2015 CSC 64, 17 décembre 2015, et soumet qu’une sentence à une rétrogradation au grade d’adjudant serait la sentence minimale qui permettrait de renforcer la discipline dans les circonstances et ce, malgré la jurisprudence récente en matière d’infractions similaires qui de façon constante comporte des peines de blâme, de réprimande et d’amende (notamment R. c. Miller, 2012 CM 2014; R. c. Lewis, 2012 CM 2006; R. c. Collins, 2012 CM 4017; R. c. Scott, 2012 CM 2013; R. v. Biron, 2010 CM 4009). La poursuite soutient que l’abus de confiance est un facteur aggravant en vertu de l’alinéa 718.2(a) iii) du Code criminel.

 

[20]      La Cour reconnaît que la contrevenante a abusé de la confiance impartie au grade et à la position qu’elle occupait au moment des infractions; cependant, l’alinéa 718.2(a)iii) du Code criminel trouve application seulement lorsqu’il s’agit d’un abus de confiance de la victime, ce qui n’est pas le cas ici. On ne peut pas considérer que la chaîne de commandement de la 19e Escadre Comox ou que l’adjudant Graham sont des victimes de ces infractions. Il n’y a aucune preuve qu’un préjudice ou une perte ait été subi par une quelconque personne dans ce dossier, comme ce pourrait être le cas dans une situation de fraude ou de vol de l’employeur. De plus, la Cour n’est pas en accord avec la justification apportée par la poursuite au soutien de leur recommandation fondée dans Reid et Sinclair ainsi que R. c. Lacasse. La base de données dont il est question dans Reid et Sinclair était hautement confidentielle et partagée avec nos alliés. En outre, l’intention soutenant la commission de l’infraction était malicieuse.

 

[21]      La Cour ne considère pas que la décision récente de la Cour suprême dans R c. Lacasse, qui justifie l’imposition d’une sentence plus élevée que celle normalement infligée dans la jurisprudence récente, pourrait raisonnablement s’appliquer dans le cas présent. Le contexte de l’affaire Lacasse implique des infractions extrêmement graves telles que la conduite en état d’ébriété causant des lésions corporelles ou la mort, pour lesquelles les cours de différentes régions du pays ont jugé que les objectifs de dissuasion et de dénonciation devaient être accentués afin de démontrer la condamnation de ces gestes par la société. Quatre enjeux sont identifiés par la Cour suprême dans l’affaire Lacasse. Le premier concerne la norme d’intervention à appliquer lors d’un appel sur la sentence, alors que le deuxième analyse la validité de la décision du juge de première instance de considérer la fréquence des cas de conduite avec faculté affaiblie dans la région comme un facteur pertinent au prononcé de la sentence. Le juge Wagner, pour la majorité, a déclaré au paragraphe 58 :

 

[58]       Il se présentera toujours des situations qui requerront l’infliction d’une sentence à l’extérieur d’une fourchette particulière, car si l’harmonisation des sentences est en soi un objectif souhaitable, on ne peut faire abstraction du fait que chaque crime est commis dans des circonstances uniques, par un délinquant au profil unique. La détermination d’une sentence juste et appropriée est une opération éminemment individualisée qui ne se limite pas à un calcul purement mathématique. Elle fait appel à une panoplie de facteurs dont les contours sont difficiles à cerner avec précision. C’est la raison pour laquelle il peut arriver qu’une sentence qui déroge à première vue à une fourchette donnée, et qui pourrait même n’avoir jamais été infligée par le passé pour un crime semblable, ne soit pas pour autant manifestement non indiquée. Encore une fois, tout dépend de la gravité de l’infraction, du degré de responsabilité du délinquant et des circonstances particulières de chaque cas. Je rappelle les propos du juge LeBel à ce sujet :

 

Un juge peut donc prononcer une sanction qui déroge à la fourchette établie, pour autant qu’elle respecte les principes et objectifs de la détermination de la sentence. Une telle sanction n’est donc pas nécessairement inappropriée, mais elle doit tenir compte de toutes les circonstances liées à la perpétration de l’infraction et à la situation du délinquant, ainsi que des besoins de la collectivité au sein de laquelle l’infraction a été commise. (Nasogaluak, par. 44).

 

[22]      Dans les circonstances de cette cause, y compris celle de la contrevenante, la Cour n’est pas satisfaite que l’adjudant-maître devrait être condamnée à une rétrogradation pour promouvoir l’efficacité opérationnelle des Forces canadiennes ou pour encourager le respect de la loi, le maintien de la discipline et le maintien de la confiance dans les Forces canadiennes et ses membres. Comme la jurisprudence récente le mentionne, la dissuasion générale, la dénonciation du comportement et la réhabilitation peuvent être atteintes par un blâme et une amende appropriée, sans être inapte.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[23]      DÉCLARE la contrevenante coupable des premier et deuxième chefs d’accusation en vertu de l’article 125 de la Loi sur la défense nationale.

 

[24]      CONDAMNE la contrevenante à un blâme et à une amende au montant de 3 000 $, payable en trois montants égaux de 1 000 $ débutant le 15 février 2016.

 

 

Avocats :

 

Le Directeur des Poursuites militaires, représenté par le major E.J. Cottrill

 

Le major B.L.J. Tremblay, Direction du Service d’avocats de la défense, avocat de l’adjudant‑maître D.R. Buckley

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.