Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 22 février 2016

Endroit : BFC Petawawa, édifice L-106, 48 terrain de parade Nicklin, Petawawa (ON)

Chefs d’accusation :

• Chef d’accusation 1 : Art. 114 LDN, vol.
• Chef d’accusation 2 : Art. 115 LDN, a détenu un bien obtenu par la perpétration d’une infraction d’ordre militaire, sachant qu’il a été ainsi obtenu.
• Chef d’accusation 3 : Art. 130 LDN, possession de biens criminellement obtenus (art. 354(1) C. cr.).

Résultats :

VERDICTS : Chef d’accusation 1 : Non coupable. Chef d’accusation 2 : Coupable. Chef d’accusation 3 : Coupable; une suspension d’instance a été accordée par respect à la règle Kienapple.
SENTENCE : Une réprimande et une amende au montant de 500$.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. Nicholle, 2016 CM 3013

 

Date : 20160926

Dossier : 201540

 

Cour martiale permanente

 

Base des Forces canadiennes Petawawa

Petawawa (Ontario), Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Caporal D.T. Nicholle, accusé

 

 

En présence du Lieutenant-Colonel L.-V. d’Auteuil, J.M.


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

NOTE : Les données personnelles ont été caviardées conformément à « L’usage de renseignements personnels dans les jugements et protocole recommandé », approuvé par le Conseil canadien de la magistrature.

 

MOTIFS DU VERDICT

 

(Oralement)

 

[1]               Le caporal Nicholle est accusé de vol en lien avec la disparition, en janvier 2012, d’une souffleuse à neige de son unité, en vertu de l’article 114 de la Loi sur la défense nationale (LDN). À la suite de la découverte de ce bien par les autorités militaires, en novembre 2013, il est également accusé de l’avoir possédé illégalement en commettant l’infraction de recel visée à l’article 115 de la Loi sur la défense nationale, et d’avoir commis l’infraction relative à la possession d’un bien criminellement obtenu, en contravention du paragraphe 354(1) du Code criminel.

 

[2]               La Cour a entendu les témoins suivants au cours de l’audience principale : le caporal Morden, le caporal Randall, le caporal Pacheco et l’adjudant-maître Heard. Par ailleurs, avec le consentement des deux parties, les témoignages du caporal Pacheco, du sergent Lagler et de l’accusé, le caporal Nicholle, témoignages fournis par ceux-ci au cours du premier voir-dire portant sur la recevabilité d’une confession non officielle de l’accusé, ont été transférés dans le procès principal.

 

[3]               Certains documents ont également été produits en preuve :

 

a)                  pièce 3, un DVD de l’enregistrement audiovisuel de l’entrevue avec le caporal Nicholle réalisée par le caporal Pacheco en date du 16 novembre 2013;

 

b)                  pièce 4, le formulaire « Droits légaux et mises en garde » concernant l’entrevue avec le caporal Nicholle menée par le caporal Pacheco en date du 16 novembre 2013;

 

c)                  pièce 5, un DVD de l’enregistrement audiovisuel de l’entrevue avec le caporal Nicholle réalisée par l’adjudant Rose, le 20 janvier 2014;

 

d)                  pièce 6, une lettre d’excuses du caporal Nicholle, en date du 20 janvier 2014.

 

[4]                  Enfin, la Cour a pris judiciairement connaissance des éléments énumérés à l’article 15 des Règles militaires de la preuve.

 

[5]                  En janvier 2012, le caporal Nicholle faisait partie d’une petite équipe chargée de pelleter et de souffler la neige autour des bâtiments du 2e Bataillon des services, à Petawawa. Au besoin, il devait se présenter tôt le matin avec d’autres membres de son unité pour ce faire. Il avait alors en sa possession des clés lui donnant accès aux outils nécessaires pour effectuer le travail, notamment des pelles et une souffleuse à neige.

 

[6]                  Un soir de janvier 2012, alors qu’il effectuait un changement d’huile sur sa propre voiture, à l’unité, le caporal Nicholle a vu le caporal Morden, qui lui a demandé s’il pouvait l’aider à placer une souffleuse à neige à l’arrière de sa jeep parce qu’il voulait l’utiliser chez lui. Pendant que le caporal Nicholle aidait le caporal Morden, celui-ci l’a informé qu’il comptait rapporter l’appareil le lendemain matin.

 

[7]                  Comme par coïncidence, une souffleuse à neige est disparue de l’unité au début de 2012. En fait, les numéros de série des souffleuses à neige acquises par l’unité n’étaient pas conservés dans un quelconque registre, de sorte que ces dernières étaient difficiles à retracer.

 

[8]                  Quelque temps après que l’appareil eut été déclaré manquant à l’unité, le caporal Nicholle a remarqué la présence d’une souffleuse à neige dans sa cour arrière. Il a alors demandé à son voisin si c’était lui qui l’avait mise là, mais ce n’était pas le cas. Le caporal Nicholle a ensuite interrogé le caporal Morden pour savoir s’il avait rendu celle qu’il avait prise auparavant. Ce dernier lui a répondu qu’il l’avait mise dans la cour arrière de la maison du caporal Nicholle. Il a par la suite entendu quelques personnes dire que la souffleuse à neige déclarée manquante à l’unité avait été retrouvée, ce qui l’a amené à douter qu’il s’agisse de la même. Après coup, le caporal Nicholle s’est rendu compte que la souffleuse derrière sa maison était celle appartenant à son unité. Redoutant de s’attirer des ennuis pour n’avoir pas rendu la souffleuse à neige immédiatement, le caporal Nicholle n’a jamais mentionné à quiconque qu’elle se trouvait en sa possession.

 

[9]                  En août 2013, deux sources différentes ont indiqué à la police militaire que la souffleuse à neige manquante se trouvait au domicile du caporal Nicholle :

 

a)                  au début du mois d’août 2013, le caporal Morden a signalé à la police militaire qu’après s’être rendu à la maison du caporal Nicholle pour l’aider à déplacer sa laveuse et sa sécheuse, il avait remarqué qu’une souffleuse à neige semblable à celle déclarée manquante à l’unité se trouvait dans la cour arrière;

 

b)                  en août 2013, après avoir été informé par un membre de l’unité que la souffleuse à neige se trouvait chez le caporal Nicholle, l’adjudant‑maître Heard s’est rendu à la maison de ce dernier. Il y a vu ce qu’il estimait pouvoir être la souffleuse à neige manquante, puis il en a pris des photos. Il a ensuite transmis les renseignements à sa chaîne de commandement.

 

[10]              Des témoins ont décrit la souffleuse à neige comme étant de couleur verte et portant les marques distinctives du 1er Hôpital de campagne du Canada, soit le nom abrégé « 1 CF Hosp. » inscrit en lettres peintes. Ces marques étaient visibles, même si elles semblaient avoir été recouvertes de peinture en aérosol, et elles se trouvaient au même endroit que sur les autres souffleuses à neige appartenant à l’unité.

 

[11]              Le 16 novembre 2013, la police militaire a interrogé le caporal Nicholle. Celui-ci n’a rien dit au sujet de la souffleuse à neige; toutefois, il a convenu avec la police militaire qu’à son avis, la souffleuse à neige saisie était celle qui manquait à l’unité. Le même jour, la police militaire a récupéré la souffleuse à neige dans la cour arrière du caporal Nicholle pour l’emmener dans l’enceinte du détachement de la police militaire.

 

[12]              La police militaire a demandé à un membre de l’unité de déterminer de quelle souffleuse à neige il s’agissait. Le caporal Randall, un technicien en approvisionnement travaillant à l’entrepôt du quartier-maître de compagnie, au 2e Bataillon des services, s’est donc présenté sur les lieux pour inspecter la souffleuse à neige. Il a indiqué à la Cour qu’à ce moment-là, il avait fortement eu impression qu’il s’agissait de la souffleuse à neige disparue, car elle lui ressemblait.

 

[13]              Le 20 janvier 2014, le caporal Nicholle s’est soumis à un test polygraphique. À la suite de cet examen, il a été interrogé par le spécialiste du polygraphe, qui agissait alors à titre d’enquêteur. C’est à ce moment-là que le caporal Nicholle a avoué que la souffleuse à neige disparue de l’unité était bien celle qui était dans sa cour arrière; il a ensuite écrit une lettre d’excuses à l’unité.

 

[14]              Par la suite, des accusations ont été portées. L’acte d’accusation a été signé le 19 juin 2015, et la mise en accusation a été prononcée le 23 juin 2015. Quant à l’ordre de convocation, il a été signé le 7 janvier 2016, et le procès a commencé le 22 février 2016. L’audition de la preuve a duré quatre jours.

 

[15]              Avant d’exposer l’analyse juridique de la Cour, il convient de traiter de la présomption d’innocence et de la norme de la preuve « hors de tout doute raisonnable », norme qui est inextricablement liée aux principes fondamentaux appliqués dans tous les procès instruits sous le régime du code de discipline militaire et tous les procès pénaux. Ces principes sont naturellement bien connus des avocats, mais les autres personnes présentes dans la salle d’audience les connaissent peut-être moins.

 

[16]              Le principe de droit primordial applicable à tous les procès instruits sous le régime du code de discipline militaire et à tous les procès pénaux est la présomption d’innocence. Le caporal Nicholle est présumé innocent lorsque s’engage l’instance, et il le demeure tout au long de celle-ci, à moins que, par la preuve présentée, la poursuite ne convainque la Cour hors de tout doute raisonnable de sa culpabilité.

 

[17]              Deux règles découlent de la présomption d’innocence. Premièrement, la poursuite a le fardeau de prouver la culpabilité. Deuxièmement, la culpabilité doit être prouvée hors de tout doute raisonnable. Ces règles liées à la présomption d’innocence visent à faire en sorte qu’aucune personne innocente ne soit déclarée coupable.

 

[18]              Il n’y a jamais de déplacement du fardeau de la preuve, qui incombe toujours à la poursuite. Il n’incombe nullement au caporal Nicholle de prouver qu’il est innocent. Il n’a pas à prouver quoi que ce soit.

 

[19]              Maintenant, que signifie l’expression « hors de tout doute raisonnable »? Un doute raisonnable n’est pas un doute imaginaire ou frivole. Il ne procède ni de la sympathie ni des préjugés envers les individus visés par les procédures. Il repose plutôt sur la raison et le bon sens, et découle logiquement de la preuve ou de l’absence de preuve.

 

[20]              Il est pour ainsi dire impossible de prouver quelque chose avec une certitude absolue, et la poursuite n’est pas tenue de le faire. Une telle norme serait impossible à satisfaire. Cependant, la norme de preuve hors de tout doute raisonnable s’apparente beaucoup plus à la certitude absolue qu’à la culpabilité probable. La Cour ne doit déclarer le caporal Nicholle coupable que si elle est certaine de sa culpabilité. Même si la Cour croit que l’accusé est probablement coupable ou vraisemblablement coupable, cela n’est pas suffisant. Dans ces circonstances, la Cour doit donner le bénéfice du doute au caporal Nicholle et le déclarer non coupable, parce que la poursuite n’a pas réussi à la convaincre de sa culpabilité hors de tout doute raisonnable.

 

[21]              Pour la Cour, l’essentiel est de tenir compte du fait que la preuve hors de tout doute raisonnable s’applique à chacun des éléments essentiels de chaque accusation. Elle ne s’applique pas aux éléments de preuve pris individuellement. La Cour doit décider, en tenant compte de l’ensemble de la preuve, si la poursuite a prouvé la culpabilité du caporal Nicholle hors de tout doute raisonnable.

 

[22]              Le doute raisonnable s’applique à la question de la crédibilité. À l’égard de toute question, la Cour peut croire un témoin, ne pas le croire ou être incapable de se prononcer. Elle n’a pas besoin de croire ou de ne pas croire entièrement un témoin ou un groupe de témoins. Si elle a un doute raisonnable quant à la culpabilité du caporal Nicholle en raison de la crédibilité des témoins, elle doit le déclarer non coupable.

 

[23]              En ce qui concerne la preuve, il est important de dire que la Cour ne peut prendre en compte que celle qui est présentée en salle d’audience. La preuve se compose du témoignage des témoins et des choses qui sont présentées comme pièces, notamment les photos et les documents. Elle peut également consister en des admissions. Les réponses d’un témoin aux questions qui lui sont posées font partie de la preuve. Seules les réponses sont des éléments de preuve; les questions n’en sont pas, à moins que le témoin convienne que ce qui lui est demandé est exact.

 

[24]     Le caporal Nicholle est accusé de vol. L’article 114 de la Loi sur la Défense nationale dispose que :

 

(1)                 Le vol constitue une infraction passible au maximum, sur déclaration de culpabilité, d’un emprisonnement de quatorze ans, si l’auteur, au moment de sa perpétration, est de par son grade, ses fonctions ou son emploi, ou par suite de tout ordre légitime, chargé de la garde ou de la distribution de l’objet volé, ou en a la responsabilité, et d’un emprisonnement de sept ans, dans le cas contraire.

 

(2)                 Pour l’application du présent article :

 

a)                   le vol est le fait soit de prendre soit de détourner à l’usage d’une personne, frauduleusement et sans apparence de droit, une chose susceptible d’être volée, dans l’une ou l’autre des intentions suivantes :

 

(i)                 priver, momentanément ou définitivement, le propriétaire, ou quiconque ayant un droit spécial de propriété ou autre sur la chose, de celle-ci ou de celui-ci,

 

(ii)               la mettre en gage ou la déposer en garantie,

 

(iii)              s’en dessaisir à une condition touchant son retour que l’on peut ne pas être en mesure de remplir,

 

(iv)             s’en servir de telle manière qu’il soit impossible de la remettre dans l’état où elle était au moment où elle a été prise ou détournée;

 

b)                   le vol est commis dès que son auteur déplace la chose, fait en sorte qu’elle se déplace, la fait déplacer, ou commence à la rendre déplaçable, dans l’intention de la voler;

 

c)                   la prise ou le détournement peut être frauduleux, même si l’opération se fait ouvertement et sans effort de dissimulation;

 

d)                   il est indifférent que la chose appropriée ait été prise aux fins de détournement ou qu’elle ait été, au moment du détournement, en la possession légitime de celui qui se l’approprie.

 

(3)                 Sont considérés comme susceptibles de vol les biens matériels ayant un propriétaire et qui peuvent être déplacés, ou rendus déplaçables. Sont considérés comme susceptibles de vol les biens matériels ayant un propriétaire et qui peuvent être déplacés, ou rendus déplaçables.

 

[25]     Outre l’identité de l’accusé, la date et le lieu de l’infraction, la poursuite devait prouver hors de tout doute raisonnable :

 

a)                  que le caporal Nicholle s’est emparé de l’objet mentionné à l’acte d’accusation;

 

b)                  qu’il n’avait aucun droit sur cet objet;

 

c)                  que la privation de l’objet a été faite frauduleusement et sans apparence de droit;

 

d)                  que le caporal Nicholle s’est emparé momentanément ou définitivement de l’objet mentionné;

 

e)                  la propriété de l’objet mentionné dans l’acte d’accusation.

 

[26]              Compte tenu de l’aveu de l’accusé quant au fait que la souffleuse à neige retrouvée dans sa cour arrière était la même que celle qui manquait à l’unité, il ne fait aucun doute, pour la Cour, que la poursuite a prouvé hors de tout doute raisonnable : la propriété de la souffleuse à neige; l’absence de droit de l’accusé sur celle-ci; le fait que la privation du bien a été faite frauduleusement et sans apparence de droit; et enfin, le fait que l’accusé s’est emparé définitivement de ce bien.

 

[27]              En ce qui concerne la prise de possession de la souffleuse à neige par le caporal Nicholle, la poursuite s’appuie essentiellement sur le témoignage de l’accusé à la police quant au fait qu’il a aidé le caporal Morden à mettre la souffleuse dans sa jeep.

 

[28]              Dans la disposition pertinente, la prise est essentiellement définie comme l’acte physique de déplacer une chose, quelle qu’elle soit, dans l’intention de la voler.

 

[29]              La preuve établissant que le caporal Nicholle a pris la souffleuse à neige est réduite au minimum et, à certains égards, elle porte à confusion. Essentiellement, alors que le caporal Nicholle se trouvait à l’unité à une fin personnelle, une autre personne lui a demandé de l’aider à mettre la souffleuse à l’arrière d’une jeep. À ce stade, il n’a pas comparu en tant que personne accusée d’avoir aidé le caporal Morden à commettre l’infraction de vol.

 

[30]              Le caporal Morden a témoigné devant la Cour, et aucune des deux parties ne l’a jamais interrogé au sujet des circonstances dans lesquelles la souffleuse à neige a vraisemblablement été prise à l’unité dans l’intention de la voler.

 

[31]              En outre, si la Cour a bien compris le récit fourni par l’accusé, ce dernier a eu l’impression que le caporal Morden empruntait la souffleuse à neige pour une très courte période. Rien ne me laisse croire qu’il n’avait pas l’autorisation de le faire. De fait, ainsi que le caporal Morden l’a précisé dans sa réponse au cours de son contre-interrogatoire par l’avocat de la défense, il n’existait aucune pratique ou politique claire visant à permettre aux membres de l’unité d’emprunter des outils. Selon la nature de l’objet concerné, une autorisation verbale suffisait parfois, alors que dans d’autres cas, un membre pouvait tout simplement faire savoir qu’il prenait un petit objet dans l’intention de le rendre plus tard. Quant à des objets de plus grande taille, par exemple un véhicule, les emprunter n’aurait même pas été envisagé.

 

[32]              Pour ce qui est du moment où la souffleuse à neige a été placée à l’arrière de la jeep, la Cour ne dispose d’aucun élément de preuve qui lui permettrait de conclure que le caporal Morden n’était pas autorisé à emprunter la souffleuse à neige pour la nuit.

 

[33]              La poursuite a proposé à la Cour de se fonder sur l’alinéa 72(1)b) de la Loi sur la défense nationale pour conclure que le caporal Nicholle était partie à l’infraction de vol et coupable de celle-ci, au motif qu’il aurait tout fait, dans les circonstances, pour aider le caporal Morden à commettre cette infraction.

 

[34]     Je ne puis souscrire à l’avis de la poursuite quant à la possibilité de tirer une telle conclusion. Pour que la Cour puisse s’appuyer sur une telle disposition, il appartient à la poursuite de prouver l’intention du caporal Nicholle de même que sa connaissance du fait que la souffleuse à neige avait été volée par le caporal Morden. Les précisions fournies à la police par le caporal Nicholle afin d’expliquer comment la souffleuse à neige prise à l’unité s’est retrouvée dans sa cour arrière ont laissé un doute dans mon esprit quant au fait que le caporal avait une telle connaissance et une telle intention au moment du vol de la souffleuse à neige.

 

[35]     Au vu des circonstances portées à la connaissance de la Cour, il est possible que l’accusé ait su que la souffleuse à neige avait été volée par le caporal Morden, tout comme il est possible qu’il ait réellement cru que le caporal Morden ne faisait que l’emprunter. En réalité, il n’y a en l’espèce aucun autre élément de preuve, y compris la version des faits donnée par le caporal Morden lors de sa comparution devant la Cour, qui aiderait celle-ci à trancher dans un sens ou dans l’autre.

 

[36]     Essentiellement, sur la foi de la preuve présentée par la poursuite, la Cour n’est pas en mesure de conclure hors de tout doute raisonnable qu’au moment des faits, le caporal Nicholle a aidé le caporal Morden à voler la souffleuse à neige.

 

[37]     Ainsi, la Cour en arrive à la conclusion que, compte tenu de la preuve dans son ensemble, la poursuite n’a pas réussi à prouver hors de tout doute raisonnable que le caporal Nicholle a pris la souffleuse à neige.

 

[38]     En conséquence, au vu de la preuve prise globalement, la poursuite n’a pas prouvé hors de tout doute raisonnable tous les éléments essentiels de l’infraction de vol.

 

[39]     Le caporal Nicholle est également accusé d’avoir détenu en sa possession une souffleuse à neige obtenue par la perpétration d’une infraction d’ordre militaire, sachant qu’elle avait été obtenue par ce moyen, en contravention de l’article 115 de Loi sur la défense nationale, dont voici le libellé :

 

Le recel ou la détention d’un bien dont on sait qu’il a été obtenu par la perpétration d’une infraction d’ordre militaire constitue une infraction passible au maximum, sur déclaration de culpabilité, d’un emprisonnement de sept ans.

 

[40]     Outre l’identité de l’accusé, la date et le lieu de l’infraction, la poursuite devait prouver hors de tout doute raisonnable :

 

a)                  que le caporal Nicholle a détenu le bien;

 

b)                  que ce bien a été obtenu par la perpétration d’une infraction d’ordre militaire;

 

c)                  que le caporal Nicholle savait que le bien avait été obtenu par la perpétration d’une infraction d’ordre militaire.

 

[41]     L’infraction de recel et l’infraction relative à la détention d’un bien sont distinctes, et elles s’excluent mutuellement. Dans le cas du recel, la possession a été d’abord obtenue alors qu’on savait que l’objet avait été volé, tandis que celui qui a « détenu » les objets les a d’abord obtenus honnêtement et n’a appris que par la suite qu’il s’agissait d’objets volés.

 

[42]     À la lumière des éléments de preuve soumis à la Cour, les inférences suivantes ont pu être tirées :

 

a)                  Le caporal Nicholle savait, le 16 novembre 2013, et a admis par la suite, que la souffleuse à neige qu’il a trouvée dans la cour arrière de sa résidence, XXXX, à Petawawa (Ontario), quelque temps après avoir aidé en janvier 2012 le caporal Morden à en placer une semblable à l’arrière de sa jeep, était celle ayant été signalée manquante à son unité.

 

b)                  Le caporal Nicholle s’est enquis de la personne qui avait mis la souffleuse à neige dans sa cour arrière, et il a découvert qu’il s’agissait du caporal Morden. Le caporal Nicholle aurait dès lors pu en conclure qu’elle avait été prise à l’unité sans intention de la rendre, ce qui revient, en somme, à voler cet appareil à l’unité, et constitue à la fois une infraction d’ordre militaire et une infraction criminelle.

 

c)                  Le caporal Nicholle, , qui faisait partie d’une petite équipe chargée du déneigement des bâtiments du 2e Bataillon des services à Petawawa, savait très bien que la souffleuse à neige, qui portait la mention qu’elle appartenait au 1er Hôpital de campagne du Canada, devait être retournée rapidement, mais il a délibérément décidé de ne pas s’enquérir davantage sur sa provenance, même s’il savait que le bien en question avait été volé. Le caporal Nicholle a clairement fait preuve d’aveuglement volontaire.

 

d)                  Le caporal Nicholle a consciemment conservé la souffleuse à neige pendant un peu moins de deux ans, sans chercher à la rapporter à un moment donné ou mettre sa propre unité au courant des circonstances. Ce n’est qu’une fois que la situation a été signalée aux autorités par deux sources externes différentes que le bien a été rapporté par la police militaire, en novembre 2013, avec son consentement.

 

[43]     Dans ces circonstances, la Cour conclut que, compte tenu de la preuve prise dans son ensemble, la poursuite a prouvé hors de tout doute raisonnable tous les éléments essentiels de l’infraction de recel.

 

[44]     Enfin, le caporal Nicholle a été accusé de possession d’un bien obtenu au moyen de la perpétration d’un crime, contrairement à l’alinéa 354(1)a) du Code criminel. Cette disposition se lit comme suit :

 

Commet une infraction quiconque a en sa possession un bien, une chose ou leur produit sachant que tout ou partie d’entre eux ont été obtenus ou proviennent directement ou indirectement :

 

a)         soit de la perpétration, au Canada, d’une infraction punissable sur acte d’accusation …

 

[45]     Outre l’identité de l’accusé, la date et le lieu de l’infraction, la poursuite devait prouver hors de tout doute raisonnable :

 

a)                  que le caporal Nicholle avait en sa possession le bien;

 

b)                  que le bien a été obtenu ou provient de la perpétration d’un crime;

 

c)                  que le caporal Nicholle savait que le bien avait été obtenu ou provenait de la perpétration d’un crime.

 

[46]     Sur le fondement du même ensemble de circonstances que celui précisé pour la deuxième accusation relative à l’infraction de recel, la Cour est en mesure de tirer les conclusions suivantes :

 

a)                  le caporal Nicholle a d’abord physiquement eu sous son contrôle, pour ensuite avoir en sa possession, le 16 novembre 2013, à son domicile, une souffleuse à neige;

 

b)                  compte tenu des circonstances, le caporal Nicholle savait que la souffleuse à neige avait été obtenue irrégulièrement, et avait été volée à son unité. Il savait également que la souffleuse à neige était celle ayant été signalée manquante à son unité;

 

c)                  le caporal Nicholle était au courant de la situation, mais il ne l’a jamais révélée, et n’a rien changé à la situation, en plus de s’abstenir délibérément de s’informer des moyens de rendre la souffleuse à neige à son unité. Il a disposé d’un délai plus que raisonnable pour corriger la situation, mais il ne l’a jamais fait.

 

[47]     Ainsi, comme pour la deuxième accusation, la Cour conclut que, compte tenu de la preuve prise dans son ensemble, la poursuite a prouvé hors de tout doute raisonnable tous les éléments essentiels de l’infraction de possession d’un bien criminellement obtenu.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[48]     DÉCLARE le caporal Nicholle non coupable du premier chef d’accusation, et coupable des deuxième et troisième chefs d’accusation mentionnés à l’acte d’accusation.


 

Avocats :

 

Le Directeur des poursuites militaires, représenté par le major A.-C. Samson et le capitaine M.L.P.P. Germain

 

Le major D. Hodson, Service d’avocats de la défense, avocat du caporal D.T. Nicholle

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