Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 11 avril 2016

Endroit : BFC Petawawa, édifice L-106, 48 terrain de parade Nicklin, Petawawa (ON)

Chef d’accusation :

• Chef d’accusation 1 : Art. 130 LDN, possession sans excuse légitime de substances explosives (art. 82(1) C. cr.).

Résultats :

• VERDICT : Chef d’accusation 1 : Non coupable.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. Watson, 2016 CM 3006

 

Date : 20160413

Dossier : 201531

 

Cour martiale permanente

 

Base des Forces canadiennes Petawawa

Petawawa (Ontario), Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Caporal R.L. Watson, accusé

 

 

En présence du Lieutenant-colonel L.-V. d’Auteuil, J.M.


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU VERDICT

 

(Oralement)

 

[1]               Le caporal Watson est accusé d’une infraction d’ordre militaire punissable en vertu de l’article 130 de la Loi sur la Défense nationale pour avoir eu en sa possession, le 27 novembre 2014 ou vers cette date, à la Base des Forces canadiennes (BFC) de Petawawa, en Ontario, une substance explosive, c’est-à-dire une grenade, contrairement au paragraphe 82(1) du Code criminel.

 

[2]               La Cour a entendu, selon leur ordre de comparution, les témoins suivants : monsieur Rosso, l’adjudant Molloy, le caporal-chef Dober, le caporal-chef Mauricio, le major Rogerson, le caporal-chef Briggs, le caporal Watson, l’accusé en l’espèce, le sergent Reid et le caporal Lindsay.

 

[3]               Par ailleurs, certains documents ont été déposés devant la Cour, soit : un exposé conjoint des faits de trois pages (pièce 3), un cartable renfermant cinq annexes à l’exposé conjoint des faits (pièce 4), et la feuille de rapport d’inspection quotidienne des contrevenants du 1er Bataillon du Royal Canadian Regiment (RCR) concernant le caporal Watson, en date du 27 novembre 2014.

 

[4]               Conformément à l’alinéa 37b) des Règles militaires de la preuve, l’accusé a, par l’entremise de son avocat et aux fins de se dispenser de la preuve, fait certaines admissions concernant les faits que le procureur de la poursuite est tenu de prouver relativement aux éléments essentiels du chef d’accusation figurant à l’acte d’accusation : l’identité, la date et le lieu de l’infraction, de même que le fait que la grenade en cause est une substance explosive, en laissant à la poursuite le fardeau de prouver hors de tout doute raisonnable le tout dernier élément de cette infraction, à savoir la possession.

 

[5]               Enfin, la Cour a pris judiciairement connaissance des éléments énumérés à l’article 15 des Règles militaires de la preuve.

 

[6]               Du 16 au 23 novembre 2014, le 1er Bataillon du Royal Canadian Regiment (1 RCR) a pris part à l’exercice (EX) SPARTAN BEAR 2014, qui se déroulait dans la zone d’entraînement de la BFC de Petawawa. À l’époque, le caporal Watson était membre de cette unité.

 

[7]               Cette opération était un exercice offensif de compagnie de niveau 4.5 comportant l’utilisation de munitions réelles, y compris la grenade C13, sur un champ de tir de campagne, dans des conditions de jour comme de nuit.

 

[8]               Avant de participer à l’exercice, le 1 RCR a exécuté un certain nombre de formations et d’exercices de tir progressifs en vue de l’acquisition des nouvelles qualifications individuelles et collectives requises pour participer à un exercice de tir de compagnie de niveau 4.5. Ces activités comprenaient une formation sur la grenade C13. Le caporal Watson y a participé, et il était qualifié dans le maniement de cette grenade.

 

[9]               Le 21 novembre 2014, le caporal Watson a été informé que les accusations pour lesquelles il avait choisi de subir un procès devant une cour martiale, le 19 août 2014, et qui ne sont pas les mêmes que celles dont la présente cour martiale est saisie, seraient traitées de manière différente. On l’a avisé que l’affaire avait été renvoyée par le service des poursuites militaires, avec la recommandation de procéder à l’instruction d’un seul chef d’accusation au moyen d’un procès par voie sommaire. On a alors fait savoir au caporal Watson que le procès par voie sommaire aurait lieu peu de temps après la fin de l’exercice. Il a passé la majeure partie de cette journée-là au téléphone, avec son avocat de la défense, afin de gérer cette situation tout à fait inattendue.

 

[10]           Un certain nombre de grenades C13 faisant partie du lot numéro CA 10M16-02 ont été distribuées au 1 RCR aux fins d’un exercice de tir de campagne lors de l’EX SPARTAN BEAR. Le 22 novembre 2014, le caporal Watson a participé, comme renfort, à une attaque offensive aux côtés de la compagnie Dukes du 1 RCR. Dans la soirée, avant d’aller se coucher, il a trouvé sur sa couchette les munitions qu’on lui avait remises en vue de l’attaque prévue pour le lendemain, c’est-à-dire sept ou huit boîtes de cartouches de 5.56 millimètres, et une grenade C13. Il a placé la grenade dans la pochette gauche de sa veste prévue à cet effet, a rempli ses chargeurs, puis s’est couché.

 

[11]           Le lendemain, soit le 23 novembre 2014, il a participé à l’attaque en compagnie de sa section, mais il n’a pas utilisé la grenade. En fait, durant l’exercice, il ne s’est approché à aucun moment d’une zone autorisée où il aurait pu utiliser une telle arme. À la fin de l’exercice, tous les membres de la section ont rendu les munitions inutilisées. Selon l’adjudant Molloy, le commandant adjoint (cmdtA) du peloton, toutes les munitions devaient être recueillies par l’entremise du cmdtA de section, et une inspection du fourbi personnel de chaque soldat devait être effectuée. Le commandant de section du caporal Watson, le caporal-chef Dober, a délégué cette tâche à son propre cmdtA, c’est-à-dire le caporal-chef Mauricio. Ce dernier a confirmé avoir procédé à une inspection visuelle de la veste tactique personnelle du caporal Watson, mais pas à une inspection physique. Aux dires du caporal Watson, aucune inspection de son fourbi personnel, notamment sa veste tactique, n’a été faite ce jour-là.

 

[12]           La remise des munitions inutilisées par les membres de la section s’est faite avec efficacité et promptitude. La section devait respecter un certain horaire afin de pouvoir prendre l’hélicoptère à temps pour retourner vers la base et remettre les armes dans la voûte. C’était également la fin de l’exercice et, jusqu’à un certain point, les gens étaient impatients de rentrer chez eux.

 

[13]           Avant de quitter le champ de tir, le caporal Watson a fourni une déclaration de munitions à son commandant de section, le caporal-chef Dober. Il a déclaré n’avoir en sa possession aucune cartouche chargée ni douille vide, ni pièce pyrotechnique ou pièce connexe. Selon ce qu’il a affirmé à la Cour, après avoir mis la grenade dans sa pochette, la veille, il l’a totalement oubliée, et au moment où il a fait sa déclaration de munitions, il était tout à fait persuadé qu’en termes de munitions réelles, y compris de grenades, il n’avait rien d’autre sur lui ni dans son fourbi personnel.

 

[14]           Avec sa section, il est retourné à la base et a placé sa veste tactique dans son casier personnel, à l’unité. Une fois l’exercice terminé, le personnel du 1 RCR, dont le caporal Watson, s’est vu accorder deux jours de permission, les 24 et 25 novembre 2014.

 

[15]           Le 27 novembre 2014, aux environs de 10 heures 30, le caporal Watson a comparu dans le cadre d’un procès par voie sommaire présidé par le major Rogerson, officier responsable, compagnie C, 1 RCR. Le caporal Watson a été déclaré coupable de l’accusation portée contre lui, et il a été condamné à une peine comprenant sept jours de consignation aux quartiers, à être purger immédiatement.

 

[16]           Comme on le lui avait ordonné, le caporal Watson a rassemblé l’équipement et son fourbi personnel dont il avait besoin pour entreprendre la période de consignation aux quartiers faisant partie de la peine qu’il devait purger à titre de contrevenant. Le sergent Reid a procédé à une pré-inspection de son fourbi personnel, en vérifiant son état et en s’assurant que tous les articles nécessaires soient disponibles en vue de l’inspection. Un certain nombre de défauts ont été relevés, notamment une pince brisée sur la veste tactique, et le caporal Watson les a corrigés. Il est ensuite parti souper.

 

[17]           Plus tard dans la soirée, alors qu’il faisait l’objet d’une inspection officielle par le caporal-chef Briggs, dans le bâtiment Y101, à la BFC Petawawa, une grenade C13 portant le numéro de lot CA 10M16-02 a été découverte dans la pochette gauche de sa veste tactique. Alors que le caporal‑chef Briggs s’est montré très réactif, en agissant rapidement devant cette découverte inattendue, le caporal Watson n’a pas prononcé un mot ni n’a manifesté aucune réaction particulière. Il a cependant déclaré que c’est à ce moment précis qu’il s’était souvenu de la grenade, qu’il avait complètement oubliée, et qu’il s’était rendu compte qu’il avait commis le plus grand impair de sa carrière.

 

[18]           Plus tard au cours de la soirée, le caporal Fenner, du 2e Régiment de la Police militaire, est arrivé sur les lieux et il a sécurisé, puis transporté la grenade C13 dans un dépôt de munitions sécurisé à la BFC Petawawa, où elle se trouve toujours.

 

[19]           Avant que la Cour expose son analyse juridique, il convient d’aborder la question de la présomption d’innocence et de la norme relative à la preuve hors de tout doute raisonnable, norme inextricablement liée aux principes fondamentaux appliqués dans tous les procès instruits sous le régime du code de discipline militaire et tous les procès pénaux. Ces principes sont naturellement bien connus des avocats, mais les autres personnes présentes dans la salle d’audience les connaissent peut-être moins.

 

[20]           Le principe de droit primordial applicable à tous les procès instruits sous le régime du code de discipline militaire et à tous les procès pénaux est la présomption d’innocence. Le caporal Watson est présumé innocent lorsque s’engage l’instance, et il le demeure tout au long de celle-ci, à moins que, par la preuve présentée, la poursuite ne convainque la Cour hors de tout doute raisonnable de sa culpabilité.

 

[21]           Deux règles découlent de la présomption d’innocence. Premièrement, la poursuite a le fardeau de prouver la culpabilité. Deuxièmement, la culpabilité doit être prouvée hors de tout doute raisonnable. Ces règles liées à la présomption d’innocence visent à faire en sorte qu’aucune personne innocente ne soit déclarée coupable.

 

[22]           Il n’y a jamais de déplacement du fardeau de la preuve, qui incombe toujours à la poursuite. Il n’incombe nullement au caporal Watson de prouver qu’il est innocent. Il n’a pas à prouver quoi que ce soit.

 

[23]           Maintenant, que signifie l’expression « hors de tout doute raisonnable »? Un doute raisonnable n’est pas un doute imaginaire ou frivole. Il ne procède ni de la sympathie ni des préjugés envers les individus visés par les procédures. Il repose plutôt sur la raison et le bon sens, et découle logiquement de la preuve ou de l’absence de preuve.

 

[24]           Il est pour ainsi dire impossible de prouver quelque chose avec une certitude absolue, et la poursuite n’est pas tenue de le faire. Une telle norme serait impossible à satisfaire. Cependant, la norme de preuve hors de tout doute raisonnable s’apparente beaucoup plus à la certitude absolue qu’à la culpabilité probable. La Cour ne doit déclarer le caporal Watson coupable que si elle est certaine de sa culpabilité. Même si la Cour croit que l’accusé est probablement coupable ou vraisemblablement coupable, cela n’est pas suffisant. Dans ces circonstances, la Cour doit donner le bénéfice du doute au caporal Watson et le déclarer non coupable, parce que la poursuite n’a pas réussi à la convaincre de sa culpabilité hors de tout doute raisonnable.

 

[25]           Pour la Cour, l’essentiel est de tenir compte du fait que la preuve hors de tout doute raisonnable s’applique à chacun des éléments essentiels de chaque accusation. Elle ne s’applique pas aux éléments de preuve pris individuellement. La Cour doit décider, en tenant compte de l’ensemble de la preuve, si la poursuite a prouvé la culpabilité du caporal Watson hors de tout doute raisonnable.

 

[26]           Le doute raisonnable s’applique à la question de la crédibilité. À l’égard de toute question, la Cour peut croire un témoin, ne pas le croire ou être incapable de se prononcer. Elle n’a pas besoin de croire ou de ne pas croire entièrement un témoin ou un groupe de témoins. Si elle a un doute raisonnable quant à la culpabilité du caporal Watson en raison de la crédibilité des témoins, elle doit le déclarer non coupable.

 

[27]           La Cour a entendu le témoignage du caporal Watson. Lorsqu’une personne accusée d’une infraction témoigne, la Cour doit apprécier ce témoignage comme elle apprécierait le témoignage de tout autre témoin, en gardant à l’esprit les instructions mentionnées plus tôt au sujet de la crédibilité des témoins. La Cour peut admettre tout ou partie du témoignage du caporal Watson, ou ne pas l’admettre du tout.

 

[28]           L’espèce fait partie de ces procédures où l’approche en matière d’évaluation de la crédibilité et de la fiabilité énoncée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. W. (D), [1991] 1 R.C.S. 742 doit être appliquée, parce que le caporal Watson a témoigné.

 

[29]           Évidemment, si la Cour croit le témoignage du caporal Watson selon lequel celui-ci n’a pas commis l’une quelconque des infractions dont il est accusé, la Cour doit conclure qu’il n’est pas coupable de cette infraction.

 

[30]           En revanche, même si la Cour ne croit pas le témoignage du caporal Watson, si ce témoignage soulève un doute raisonnable quant à un élément essentiel de l’infraction, la Cour doit déclarer le caporal non coupable de cette infraction.

 

[31]           Même si le témoignage du caporal Watson ne soulève pas de doute raisonnable au sujet d’un élément essentiel de l’infraction, si, après avoir examiné l’ensemble de la preuve, la Cour n’est pas convaincue hors de tout doute raisonnable de la culpabilité du caporal Watson, elle doit l’acquitter.

 

[32]           Au sujet de la preuve, il importe de dire que la Cour doit tenir compte uniquement de la preuve présentée dans la salle d’audience. La preuve se compose du témoignage des témoins et des choses qui sont présentées comme pièces, notamment les photos et les documents. Elle peut également consister en des admissions. Les réponses d’un témoin aux questions qui lui sont posées font partie de la preuve. Seules les réponses sont des éléments de preuve; les questions n’en sont pas, à moins que le témoin convienne que ce qui lui est demandé est exact.

 

[33]           Le caporal Watson est accusé d’avoir eu en sa possession une substance explosive sans excuse légitime. Le paragraphe 82(1) du Code criminel est ainsi libellé :

 

82(1) Quiconque, sans excuse légitime, dont la preuve lui incombe, fabrique ou a en sa possession ou sous sa garde ou son contrôle une substance explosive est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans.

 

[34]           Outre l’identité de l’accusé, la date et le lieu de l’infraction, la poursuite devait prouver hors de tout doute raisonnable les deux éléments suivants :

 

a)                 l’objet en cause était une substance explosive;

 

b)                 le caporal Watson était en possession de cette substance explosive.

 

[35]           Une fois que la possession d’une substance explosive a été prouvée hors de tout doute raisonnable par la poursuite, il incombe à l’accusé d’établir, selon une prépondérance de probabilité, qu’une excuse légitime justifiait qu’il se soit trouvé en possession d’une telle substance au moment et au lieu en question. Autrement dit, à ce stade, il revient à l’accusé de démontrer que, selon toute vraisemblance, il avait une justification ou une excuse légitime pour la possession d’une substance explosive.

 

[36]           Au vu des admissions faites par l’accusé au sujet de la plupart des éléments essentiels des accusations, il apparaît évident, pour la cour, que la poursuite a prouvé hors de tout doute raisonnable l’identité, la date et le lieu de l’infraction, ainsi que le fait que l’objet en question était une substance explosive.

 

[37]           Dès lors, le seul autre élément essentiel que la Cour doit encore examiner, à ce stade-ci, est la question de savoir si la poursuite a prouvé hors de tout doute raisonnable que le caporal Watson était en possession de cette substance explosive.

 

[38]           Une personne peut avoir une substance explosive en sa possession de diverses manières. Ainsi, si la personne a le contrôle matériel effectif de la substance, par exemple, parce qu’elle la tient dans sa main ou la garde dans sa poche, cette substance se trouve en sa possession, au sens du paragraphe 4(3) du Code criminel.

 

[39]           En ce qui a trait à l’interprétation de ce paragraphe, la Cour suprême du Canada, aux paragraphes 15 et 16 de la décision qu’elle a rendue dans l’arrêt R. c. Morelli, 2010 CSC 8, a déclaré ce qui suit :

 

[15]             Pour l’application du Code criminel, la « possession » définie au para. 4(3) s’entend de la possession personnelle, de la possession imputée et de la possession commune. Seules les deux premières de ces trois formes de possession fautive sont pertinentes en l’espèce. Nul ne conteste que la connaissance et le contrôle constituent des éléments essentiels de ces deux types d’infraction.

 

[16]             Dans le cas d’une allégation de possession personnelle, le critère de la connaissance est formé des deux éléments suivants : l’accusé doit savoir qu’il a la garde physique de la chose donnée et il doit connaître la nature de cette dernière. Il faut en outre que ces deux éléments soient conjugués à un acte de contrôle (qui ne procède pas d’un devoir civique) : Beaver c. The Queen, [1957] R.C.S. 531, p. 541542.

 

[40]           Selon la position adoptée par la poursuite, depuis le moment où le caporal Watson a placé la grenade dans la pochette gauche de sa veste tactique jusqu’à ce qu’on l’y retrouve à la faveur d’une inspection, il savait qu’il avait sous sa garde physique la grenade, tout en connaissant la nature de celle-ci. En fait, pendant toute la période concernée, l’accusé avait la grenade en sa possession. La poursuite a ajouté que ce n’est qu’après avoir fait sa déclaration de munitions que le caporal Watson s’est retrouvé en situation de possession illégale de cette arme.

 

[41]           Advenant que la Cour ne souscrive pas à cette approche, la poursuite a soutenu que la preuve circonstancielle mise en évidence au cours de la pré-inspection effectuée par le sergent Reid, le 27 novembre 2014, est suffisante pour que la Cour puisse tirer la conclusion que l’accusé savait que la grenade se trouvait en sa possession.

 

[42]           Enfin, la poursuite a fait valoir qu’au moment où le caporal-chef Briggs a trouvé la grenade lors de l’inspection de la veste tactique du caporal Watson, le 27 novembre 2014, l’accusé était alors en possession de la grenade, puisque c’est à ce moment‑là qu’il s’est rappelé qu’il la détenait.

 

[43]           L’avocat de la défense a soutenu que la notion d’oubli en ce qui a trait à la possession doit soulever un doute raisonnable dans l’esprit de la Cour quant à l’élément essentiel de possession, et qu’en conséquence, son client devait être acquitté. Essentiellement, l’avocat de la défense a indiqué à la Cour que, dans la mesure où son client avait oublié que la grenade se trouvait sous sa garde physique, du moment de sa déclaration de munitions au moment où la grenade a été retrouvée plus tard, grâce à une inspection de sa veste tactique, il n’avait pas la connaissance nécessaire pour que l’on puisse conclure à l’infraction de possession.

 

[44]           Une lecture de quelques décisions portant sur la question révèle que le concept juridique de possession due à un oubli n’a pas d’existence en droit; cela dit, la question d’un accusé qui soutient avoir oublié qu’il détenait un article afin de réfuter la mens rea nécessaire à l’infraction de possession a été examinée par certains tribunaux, mais pas de façon détaillée.

 

[45]           Il ressort clairement d’un examen de la jurisprudence, notamment les décisions R. v. Corbett, [1986] B.C.J. No. 84, R. c. Hubley, 3 N.B.R. (2d) 241 et R. v. Balak, 2016 ONCJ 44, que la défense d’oubli peut ou non être prise en compte selon les circonstances, lorsque l’acte de possession n’est pas proprement criminel ou moralement condamnable.

 

[46]           Ainsi que l’a mentionné la juge Greene de la Cour de justice de l’Ontario, dans la décision Balak, au paragraphe 101 et ici je souscris à sa position et je reprends ses propos : [traduction] « [à] mon avis, il convient dès le départ de se rappeler que toutes les infractions criminelles supposent à la fois un actus reus et une mens rea, et que ces deux éléments doivent coïncider ».

 

[47]           Au sujet de la défense d’oubli, Greene J, dans les motifs qu’elle a énoncés dans la décision Balak, a fait la déclaration suivante aux paragraphes 108 et 109 :

 

[TRADUCTION]

[108]          On peut facilement penser à de nombreuses raisons de politique pour lesquelles l’oubli ne devrait pas faire échec à la mens rea en ce qui a trait à l’infraction de possession. Et ce, en grande partie parce qu’à un certain moment dans le passé, le défendeur aura clairement été en « possession » de l’article concerné. Qui plus est, de nombreuses infractions relatives à la possession ont trait à des objets dangereux comme des stupéfiants, des couteaux ou des armes à feu. Les personnes ayant intentionnellement en leur possession des articles dangereux ne devraient pas tirer un avantage du fait d’avoir négligemment mis un objet dangereux quelque part, pour ensuite l’oublier. Enfin, à certains égards, une telle conception étroite de la possession va à l’encontre du bon sens. Supposons qu’une personne possède une bague à diamant, qu’elle la place dans une boîte verrouillée, chez elle, afin de la garder en lieu sûr, et qu’ensuite, comme elle ne l’a jamais portée, cette personne oublie que la bague se trouve là, jusqu’à ce qu’elle soit volée lors d’une introduction par effraction. Personne n’irait prétendre, dans de telles circonstances, que la bague ne se trouvait pas en la possession de la victime, et qu’elle n’a donc pas été volée. Le bon sens veut qu’un article demeure en la possession d’une personne (qu’il s’agisse de possession physique ou de possession imputée), jusqu’à ce que cette personne décide de s’en débarrasser activement.

 

[109]          En revanche, le système de justice pénale punit uniquement ceux qui sont moralement coupables à la date précisée sur la dénonciation ou l’acte d’accusation. La personne qui a oublié être en possession d’un objet illégal, et ne pouvait donc s’en débarrasser volontairement, comme elle ne l’avait plus en tête, n’est pas moralement coupable.

 

[48]           Qu’en est-il des circonstances de l’espèce? Le caporal Watson a livré calmement un témoignage clair et honnête. Il n’a jamais nié que la grenade se trouvait dans la pochette de sa veste tactique, mais il a clairement indiqué à la Cour qu’il avait oublié qu’elle était là. Il n’a jamais hésité à demander à l’avocat de reformuler ou de clarifier une question au cours de l’interrogatoire. Le compte rendu qu’il a fait de l’incident paraît logique aux yeux de la Cour, en plus d’être appuyé par les témoignages des deux parties.

 

[49]           En substance, une grenade a été fournie au caporal Watson à un certain moment au cours de l’exercice. À ce moment-là, il la détenait légalement. Lorsqu’il a fait sa déclaration de munitions, il croyait sincèrement n’avoir plus aucune munition ou grenade sur lui ni dans son fourbi personnel. Sur ce point, la Cour ne voit aucune raison de douter de ses dires. Étant fatigué et ayant l’esprit ailleurs, il est vraisemblable qu’il ait pu oublier la grenade dans sa pochette. De surcroît, d’autres témoins appelés par la poursuite et la défense ont clairement affirmé qu’au moins une fois dans leur carrière, ils avaient agi de la même façon que l’accusé, dans des circonstances très similaires où il était question de munitions et de pièces pyrotechniques, si bien que la version des faits fournie par l’accusé, à savoir qu’il avait oublié avoir des munitions sur lui, est très vraisemblable.

 

[50]           Le caporal Watson a ensuite placé sa veste tactique, avec la grenade, dans son casier pendant trois jours entiers. Rien ne permet de conclure qu’il est revenu la récupérer, ou qu’il a pu la placer à un autre endroit, voire à l’extérieur de la base. Manifestement, au cours de la période visée, il n’a jamais rien fait afin de garder la grenade pour son propre usage ou avantage, ou pour celui de quelqu’un d’autre. Ces éléments de preuve cadrent avec le fait qu’il l’a totalement oubliée, et qu’il n’avait aucune intention de l’avoir en sa possession, ainsi qu’il a affirmé à la Cour.

 

[51]           Cette situation, qui a duré jusqu’au moment où, durant l’inspection, le caporal‑chef Briggs a trouvé la grenade, cadre de façon logique avec le compte rendu de l’accusé.

 

[52]           Le fait qu’il ne se soit pas souvenu que la grenade était restée dans sa pochette indique clairement à la Cour que le caporal Watson était dénué de toute intention d’avoir en sa possession la grenade à quelque moment que ce soit entre sa déclaration de munitions et la découverte de cette dernière. Essentiellement, la Cour prête foi à son affirmation selon laquelle il ignorait détenir physiquement la grenade.

 

[53]           La Cour n’est pas d’accord avec la poursuite lorsqu’elle avance que la preuve circonstancielle établie relativement à la pré-inspection par le sergent Reid pourrait permettre à la Cour de conclure que l’accusé se souvenait qu’il avait la grenade dans sa pochette. D’après ce que la Cour a entendu à ce sujet, il est clair qu’il n’existait aucune obligation d’inspecter cette partie précise de la veste tactique de l’accusé. Il est donc probable que, ne jugeant pas nécessaire d’en faire l’inspection, l’accusé n’y ait pas prêté attention. En vérité, même le sergent Reid ou le caporal-chef Briggs n’avaient rien remarqué avant l’ouverture de la pochette.

 

[54]           Et, lorsque la pochette a été ouverte, l’accusé n’a jamais eu l’occasion de faire connaître à quiconque ses intentions relativement au fait qu’il la détenait. En vérité, le caporal‑chef Briggs a réagi promptement, sans jamais permettre à l’accusé de faire ou dire quoi que ce soit à ce sujet. Le fait est que le caporal-chef Briggs a légalement pris possession de la grenade au moment de sa découverte.

 

[55]           La Cour en arrive à la conclusion que le témoignage livré par le caporal Watson a soulevé un doute raisonnable en ce qui concerne l’élément essentiel de possession.

 

[56]           En conséquence, compte tenu de la preuve dans son ensemble, la poursuite n’a pas prouvé hors de tout doute raisonnable tous les éléments essentiels de l’infraction relative à la possession, sans excuse légitime, d’une substance explosive.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[57]           DÉCLARE le caporal Watson non coupable d’avoir eu en sa possession, le 27 novembre 2014 ou vers cette date, à la Base des Forces canadiennes (BFC) de Petawawa, en Ontario, une substance explosive, c’est-à-dire une grenade, en contravention du paragraphe 82(1) du Code criminel, ce qui constitue le seul et unique chef d’accusation figurant à l’acte d’accusation.


 

Avocats :

 

Le Directeur des poursuites militaires, représenté par le major C. Walsh et le major M.E. Leblond

 

Le major B.L.J. Tremblay, Service d’avocats de la défense, avocat du caporal R.L. Watson

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.