Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 13 juin 2016

Endroit : 3e Escadre Bagotville, édifice 81, rue Windsor, Alouette (QC)

Chefs d’accusation :

• Chef d’accusation 1 : Art. 130 LDN, agression sexuelle (art. 271 C. cr.).
• Chef d’accusation 2 : Art. 95 LDN, a maltraité une personne qui en raison de son grade lui était subordonnée.
• Chef d’accusation 3 : Art. 97 LDN, ivresse.

Résultats :

VERDICTS : Chef d’accusation 1 : Coupable de l’infraction moindre et incluse de voies de fait (art. 266 C. cr.). Chefs d’accusation 2, 3 : Coupable.
SENTENCE : Un blâme et une amende au montant de 2500$.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. Laferrière, 2016 CM 3016

 

Date : 20161021

Dossier : 201574

 

Cour martiale permanente

 

Base des Forces canadiennes Bagotville, Québec

Alouette (Québec) Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Sergent J.S.J.A. Laferrière, accusé

 

 

En présence du : Lieutenant-colonel L.-V. d'Auteuil, J.M.

 


 

Restriction à la publication : Par ordonnance de la cour rendue en vertu de l’article 179 de la Loi sur la défense nationale et de l’article 486.4 du Code criminel, il est interdit de publier ou de diffuser, de quelque façon que ce soit, tout renseignement permettant d’établir l’identité de la personne décrite dans le présent jugement comme étant la plaignante.

 

MOTIFS DU VERDICT

 

(Oralement)

 

[1]               Le sergent Laferrière a été accusé d’une infraction punissable en vertu de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale pour agression sexuelle contrairement à l’article 271 du Code criminel, d’avoir maltraité une personne qui, en raison de son grade, lui est subordonné contrairement à l’article 95 de la Loi sur la défense nationale, et d’ivresse contrairement à l’article 97 de la Loi sur la défense nationale.

 

[2]               Essentiellement, la poursuite prétend que l’accusé aurait commis ces infractions dans la soirée du 14 au 15 décembre 2014 alors qu’il se trouvait avec la plaignante et en présence d’un autre militaire au bar l’Aventurier, situé dans la ville de La Baie, province de Québec.

 

[3]               La poursuite a cité deux témoins : la plaignante et le sous-lieutenant Ouellet. Aucun document n’a été introduit comme preuve au soutien des accusations.

 

[4]               Le sergent Laferrière a décidé de témoigner pour sa propre défense. Il a aussi fait des admissions à propos des éléments essentiels relatifs à l’identité et à la date concernant les trois infractions.

 

[5]               Au moment de l’incident allégué, au soutien des accusations, le sergent Laferrière et la plaignante se connaissait depuis environ un an et demi. L’accusé avait été responsable de la formation de la plaignante à son arrivée à l’unité, puis il a été son superviseur pendant toute cette période. Ils maintenaient une relation strictement professionnelle.

 

[6]               Le dimanche 14 décembre 2014 en soirée, l’unité qui compte très peu de membres a tenu un vin et fromage à la résidence de l’un des membres de l’unité à titre de party de Noël de l’unité. Essentiellement, le fromage était fourni et chaque membre devait apporter une bouteille de vin.

 

[7]               Le sergent Laferrière et la plaignante se sont rendus séparément à cet événement qui comptait environ entre dix et vingt personnes. Le sous-lieutenant Ouellet a aussi été invité à titre d’ancien membre de cette unité et il s’est aussi rendu de manière séparée au même endroit. Il connaissait l’accusé et la plaignante pour avoir travaillé avec eux auparavant à cette même unité.

 

[8]               L’accusé a consommé un ou deux verres de vin, un verre de rhum et Sprite et deux bières durant le vin et fromage. La plaignante a aussi consommé un peu d’alcool.

 

[9]               Le sergent Laferrière a discuté avec les différents convives, incluant la plaignante, durant la soirée. Il s’est rendu fumer à l’extérieur à quelques reprises en compagnie de la plaignante.

 

[10]           Initialement, l’accusé avait l’intention de retourner chez lui après la soirée en utilisant le service de raccompagnement Nez rouge. Cependant, le sous-lieutenant Ouellet a proposé d’aller le reconduire chez lui car il était en mesure de conduire. Il a fait la même proposition à la plaignante.

 

[11]           À la fin de la soirée, après les salutations d’usage, l’accusé est monté dans le véhicule du sous-lieutenant Ouellet en avant du côté passager, et la plaignante a fait de même en s’assoyant sur le siège arrière. Les deux étaient joyeux et festifs, mais ils ne ressentaient pas tellement l’effet de l’alcool.

 

[12]           Alors qu’ils étaient en direction de leur résidence respective, l’idée d’aller prendre un verre au bar l’Aventurier a été évoquée par le sergent Laferrière. La plaignante a protesté, mais le sous-lieutenant Ouellet était d’accord et considérant qu’il était celui qui conduisait, il s’est donc rendu à cet endroit dans la ville de La Baie. La plaignante a dû se résigner à se rendre à cet endroit.

 

[13]           À l’arrivé au bar, le sergent Laferrière a payé un verre à la plaignante et au sous-lieutenant Ouellet. Il y avait seulement quatre ou cinq personnes présentes, dont un individu qui célébrait son 20e anniversaire de naissance. La plaignante a dansé avec ce dernier en raison de cette célébration.

 

[14]           Par la suite, l’accusé et la plaignante ont consommé d’autre alcool. Le sous-lieutenant Ouellet a surveillé sa propre consommation d’alcool car il avait l’intention de conduire quand il quitterait le bar.

 

[15]           Les trois ont dansé et parlé en effectuant des allers-retours entre le bar et la piste de danse. Ils ont aussi échangé avec les autres personnes présentes.

 

[16]           À un certain moment durant la soirée, alors qu’elle était assise au bar entre le sous-lieutenant Ouellet à sa droite et le sergent Laferrière à sa gauche, ce dernier aurait glissé la main sur son dos jusqu’à l’endroit où débute ses fesses. Elle n’a rien dit. Il lui aurait dit qu’il ne pouvait s’en empêcher car elle était trop jolie (« I can’t help it. You’re just too cute. ») Il aurait recommencé une seconde fois lui touchant un peu plus au niveau des fesses et elle l’a repoussé. Elle lui a dit d’arrêter. L’accusé a glissé encore une fois sa main sur le dos de la plaignante et le sous-lieutenant Ouellet lui a tapé sur la main en lui disant que ce n’était pas cool.

 

[17]           Elle est sortie. Le sergent Laferrière est allé la rejoindre à l’extérieur pour fumer avec elle. Le sous-lieutenant Ouellet est allé la rejoindre en lui apportant son manteau et sa sacoche et il leur a dit qu’il était temps de quitter.

 

[18]           Selon le sous-lieutenant Ouellet, la plaignante l’aurait d’abord approché durant la soirée pour lui dire que le sergent Laferrière l’aurait touché de manière inappropriée. Il lui a alors conseillé de lui faire comprendre qu’elle voulait qu’il cesse cela.

 

[19]           Il a dit qu’il a vu l’accusé mettre une main sur le ventre et l’autre main sur le dos de la plaignante, qu’il a entendu la plaignante distinctement dire au sergent Laferrière d’arrêter.

 

[20]           Selon lui, le sergent Laferrière a commencé à suivre la plaignante en tentant de la toucher afin de l’agripper par la taille, et cette dernière s’est déplacée à l’extérieur et est revenue à l’intérieur, tout en changeant d’endroit pour éviter l’accusé. Finalement, le sous-lieutenant Ouellet a décidé qu’il était temps de partir afin de faire cesser tout cela.

 

[21]           L’accusé et la plaignante se sont assis à l’arrière et, durant le trajet jusqu’à la résidence du sergent Laferrière, ce dernier aurait essayé de la toucher encore, mais elle déviait ses mains. Selon le sous-lieutenant Ouellet, le sergent Laferrière donnait du coude simplement dans le but de taquiner la plaignante. Le sous-lieutenant Ouellet est allé d’abord reconduire l’accusé à sa résidence, puis la plaignante.

 

[22]           Le sergent Laferrière et la plaignante ont tous les deux témoignés qu’ils n’auraient pas conduit lorsqu’ils ont quitté le bar car ils ressentaient les effets de l’alcool qu’ils avaient consommé ce soir-là.

 

[23]           L’accusé a témoigné pour sa défense et il a affirmé qu’il n’a pas touché la plaignante, sauf à deux reprises, soit quand il est arrivé au bar, il lui a touché au dos lorsqu’il s’est adressé à elle pour attirer son attention car il voulait savoir ce qu’elle voulait consommer, puis à une autre reprise durant la soirée lorsqu’il l’a tassé afin de passer pour se diriger à un autre endroit.

 

[24]           Il a dit à la Cour qu’il n’a aucun souvenir qu’elle lui a dit de cesser de la toucher, que si elle lui avait dit, il ne l’aurait pas compris, soit en raison de sa difficulté à bien comprendre la langue anglaise ou encore en raison de la musique qui était très forte. Il nie aussi catégoriquement lui avoir dit qu’il ne pouvait s’empêcher de la toucher parce qu’elle était trop jolie.

 

[25]           Il affirme que s’il lui a touché les fesses, cela était accidentel ou que c’était quelqu’un d’autre.

 

[26]           Deux jours après l’incident, le sous-lieutenant Ouellet est allé informer le superviseur de l’accusé et de la plaignante, l’adjudant Powers, afin de l’aider à gérer tout problème au travail entre les deux en raison de l’incident allégué.

 

[27]           L’adjudant Powers a confronté la plaignante et cette dernière lui a raconté sa version des faits de l’incident. Le même jour, la plaignante s’est rendue à la police militaire pour porter plainte et donner sa version des faits. Une enquête a suivi. La mise en accusation a eu lieu le 12 novembre 2015 et le procès, qui devait débuter le 13 juin 2016, a plutôt débuté le 17 octobre 2016 à la demande des parties.

 

[28]           Avant que la Cour n’expose son analyse juridique, il convient d’aborder la question de la présomption d’innocence, du fardeau et de la norme de preuve hors de tout doute raisonnable, norme inextricablement liée aux principes fondamentaux appliqués dans tous les procès pénaux, de la question de crédibilité et de la fiabilité des témoignages, de la notion de preuve et des éléments essentiels concernant chacune des infractions dont fait l’objet le sergent Laferrière. Si l’ensemble de ces principes sont évidemment bien connus des avocats, ils ne le sont peut-être pas des autres personnes présentes dans la salle d’audience.

 

[29]           Le premier et le plus important des principes de droit applicables à toutes les causes découlant du code de discipline militaire et du code criminel est la présomption d’innocence. À l’ouverture de son procès, le sergent Laferrière est présumé innocent et cette présomption ne cesse de s’appliquer que si la poursuite a présenté une preuve qui convainc la Cour de sa culpabilité hors de tout doute raisonnable.

 

[30]           Deux règles découlent de la présomption d’innocence. La première est que la poursuite a le fardeau de prouver la culpabilité. La deuxième est que la culpabilité doit être prouvée hors de tout doute raisonnable. Ces règles sont liées à la présomption d’innocence et visent à assurer qu’aucune personne innocente n’est condamnée.

 

[31]           Le fardeau de la preuve appartient à la poursuite et n’est jamais renversé. Le sergent Laferrière n’a pas le fardeau de prouver qu’il est innocent. Il n’a pas à prouver quoi que ce soit.

 

[32]           Que signifie l’expression « hors de tout doute raisonnable »? Un doute raisonnable n’est pas un doute imaginaire ou frivole. Il n’est pas fondé sur un élan de sympathie ou un préjugé à l’égard d’une personne visée par les procédures. Au contraire, il est fondé sur la raison et le bon sens. Il découle logiquement de la preuve ou d’une absence de preuve.

 

[33]           Il est pratiquement impossible de prouver quoi que ce soit avec une certitude absolue, et la poursuite n’est pas tenue de le faire. Une telle norme serait impossible à satisfaire. Cependant, la norme de preuve hors de tout doute raisonnable s’apparente beaucoup plus à la certitude absolue qu’à la culpabilité probable. La Cour ne doit pas déclarer le sergent Laferrière coupable à moins d’être sûr qu’il est coupable. Même si elle croit que le sergent Laferrière est probablement coupable ou vraisemblablement coupable, cela n’est pas suffisant. Dans ces circonstances, la Cour doit accorder au sergent Laferrière le bénéfice du doute et le déclarer non coupable parce que la poursuite n’a pas réussi à convaincre la Cour de sa culpabilité hors de tout doute raisonnable.

 

[34]           Il est important pour la Cour de se rappeler que l’exigence de preuve hors de tout doute raisonnable s’applique à chacun des éléments essentiels d’une infraction. Elle ne s’applique pas aux éléments de preuve individuels. La Cour doit décider, à la lumière de l’ensemble de la preuve, si la poursuite a prouvé la culpabilité du sergent Laferrière hors de tout doute raisonnable.

 

[35]           Le doute raisonnable s’applique à la question de la crédibilité. À l’égard de toute question, la Cour peut croire un témoin, ne pas le croire ou être incapable de décider. La Cour n’a pas besoin de croire ou de ne pas croire entièrement un témoin ou un groupe de témoins. Si la Cour a un doute raisonnable quant à la culpabilité du sergent Laferrière en raison de la crédibilité des témoins, la Cour doit le déclarer non coupable.

 

[36]           Si la preuve, l’absence de preuve, la fiabilité ou la crédibilité d’un ou plusieurs témoins soulèvent dans l’esprit de la Cour un doute raisonnable sur la culpabilité du sergent Laferrière sur un chef d’accusation, la Cour doit le déclarer non coupable de ce chef.

 

[37]           La Cour a entendu le sergent Laferrière témoigner. Lorsqu’une personne accusée d’une infraction témoigne, la Cour doit évaluer son témoignage comme elle le ferait à l’égard de tout autre témoin, en suivant les directives mentionnées plus tôt au sujet de la crédibilité des témoins. La Cour peut accepter la preuve du sergent Laferrière en totalité ou en partie ou l’écarter entièrement.

 

[38]           Évidemment, si la Cour croit le témoignage du sergent Laferrière selon lequel il n’a pas commis les infractions reprochées, elle doit le déclarer non coupable.

 

[39]           Cependant, même si la Cour ne croit pas le témoignage du sergent Laferrière, mais que son témoignage soulève néanmoins dans son esprit un doute raisonnable quant à un élément essentiel de l’infraction, elle doit le déclarer non coupable de cette infraction.

 

[40]           Même si le témoignage du sergent Laferrière ne soulève pas dans l’esprit de la Cour un doute raisonnable quant à un élément essentiel de l’infraction reprochée, si, après avoir examiné l’ensemble de la preuve, elle n’est pas convaincue hors de tout doute raisonnable de la culpabilité du sergent Laferrière, elle doit l’acquitter.

 

[41]           La Cour ne doit examiner que la preuve qui lui est présentée dans la salle d’audience. Elle est constituée de témoignages et de pièces produites. Elle peut également comprendre des admissions, comme c’est le cas ici, car les avocats des deux parties se sont entendus sur certains faits.

 

[42]           Les réponses d’un témoin aux questions qui lui sont posées font partie de la preuve. Les questions, par contre, ne constituent pas de la preuve, à moins que le témoin ne soit d’accord avec ce qui est demandé. Seules les réponses constituent de la preuve.

 

[43]           Maintenant, qu’en est-il des différents éléments essentiels pour chacune des accusations à être prouvées par la poursuite?

 

[44]           Le sergent Laferrière est accusé d’agression sexuelle. L’article 271 du Code criminel est ainsi rédigé :

 

271              Quiconque commet une agression sexuelle est coupable :

 

                a) soit d’un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de dix ans

 

[45]           Dans l’arrêt R. c. Chase, [1987] 2 RCS 293, à la page 302, le juge McIntyre a donné une définition de l’agression sexuelle :

 

L’agression sexuelle est une agression, au sens de l’une ou l’autre des définitions de ce concept au par. 244(1) [maintenant le paragraphe 265(1)] du Code criminel, qui est commise dans des circonstances de nature sexuelle, de manière à porter atteinte à l’intégrité sexuelle de la victime.

 

[46]           Le paragraphe 265(1) du Code criminel énonce notamment :

 

265 (1) Commet des voies de fait, ou se livre à une attaque ou une agression, quiconque, selon le cas :

 

a)          d’une manière intentionnelle, emploie la force, directement ou indirectement, contre une autre personne sans son consentement ;

 

[47]           Dans l’arrêt R. c. Ewanchuk, [1999] 1 RCS 330, au paragraphe 23, il a été établi que :

 

            Pour qu’un accusé soit déclaré coupable d’agression sexuelle, deux éléments fondamentaux doivent être prouvés hors de tout doute raisonnable : qu’il a commis l’actus reus et qu’il avait la mens rea requise. L’actus reus de l’agression consiste en des attouchements sexuels non souhaités. […]

 

[…] est établi par la preuve de trois éléments : (i) les attouchements, (ii) la nature sexuelle des contacts, (iii) l’absence de consentement.

 

[48]           Le consentement met en cause l’état d’esprit de la plaignante. La plaignante a-t-elle volontairement consenti à ce que l’accusé fasse ce qu’il a fait, de la manière dont il l’a fait, au moment où il l’a fait? Autrement dit, la plaignante voulait-elle que l’accusé fasse ce qu’il a fait? Un accord volontaire est un accord que donne une personne qui est libre d’être en accord ou en désaccord, de son propre gré.

 

[49]           Le seul fait que la plaignante n’ait pas résisté ni livré bataille ne veut pas dire qu’elle a consenti à ce que l’accusé a fait. Le consentement suppose nécessairement que la plaignante sait ce qui va arriver et décide, sans l’influence de la force, de menaces, de craintes, de fraude ou d’un abus d’autorité, de laisser les événements se produire.

 

[50]           La mens rea est l’intention de se livrer à des attouchements sur une personne, tout en sachant que celle-ci n’y consent pas, en raison de ses paroles ou de ses actes, ou encore en faisant montre d’insouciance ou d’aveuglement volontaire à l’égard de cette absence de consentement.

 

[51]           Ainsi, la poursuite devait prouver les éléments essentiels suivants hors de tout doute raisonnable : l’identité de l’accusé en tant qu’auteur de l’infraction, la date et le lieu allégués dans l’acte d’accusation.

 

[52]           La poursuite devait également prouver les éléments additionnels suivants :

 

a)                  que le sergent Laferrière avait employé la force, directement ou indirectement, contre la plaignante;

 

b)                  que le sergent Laferrière avait employé la force de manière intentionnelle contre la plaignante;

 

c)                  que la plaignante n’avait pas consenti à l’emploi de la force;

 

d)                  que le sergent Laferrière avait connaissance de l’absence de consentement de la plaignante ou qu’il a fait preuve d’insouciance ou d’aveuglement volontaire à cet égard; et

 

e)                  que les contacts du sergent Laferrière à l’endroit de la plaignante étaient de nature sexuelle.

 

[53]           Le sergent Laferrière est aussi accusé d’avoir maltraité une personne qui en raison de son grade lui est subordonnée. L’article 95 de la Loi sur la défense nationale se lit comme suit :

 

95           Quiconque frappe ou de quelque autre façon maltraite un subordonné — par le grade ou l’emploi — commet une infraction et, sur déclaration de culpabilité, encourt comme peine maximale un emprisonnement de moins de deux ans.

 

[54]           Pour que la Cour tire la conclusion selon laquelle le sergent Laferrière est coupable de l’infraction d’avoir maltraité la plaignante qui lui aurait été subordonnée par le grade, la poursuite doit prouver hors de tout doute raisonnable les éléments essentiels suivants :

 

a)         l’identité du sergent Laferrière en tant qu’auteur de l’infraction alléguée;

 

b)         la date de l’infraction;

 

c)         l’endroit de l’infraction;

 

d)         le fait que le sergent Laferrière a maltraité la plaignante;

 

e)         le fait que la plaignante était une subordonnée par le grade du sergent Laferrière;

 

f)          l’état d’esprit blâmable du sergent Laferrière.

 

[55]           Chaque membre des Forces canadiennes doit respecter la dignité de toute personne, y compris celle de ses subordonnés. Une telle infraction vise essentiellement à éviter les situations d’abus de pouvoir ou d’autorité au sein d’une telle organisation, lequel abus pourrait ainsi miner la confiance et le moral devant habiter les soldats accomplissant leur mission.

 

[56]           Comme je l’ai mentionné dans ma décision R. c. Murphy, 2014 CM 3021, en ce qui a trait à l’état d’esprit blâmable, la poursuite doit prouver hors de tout doute raisonnable que le sergent Laferrière avait l’intention d’user de son autorité ou d’user de violence dans le cadre de l’existence d’un tel lien hiérarchique.

 

[57]           Finalement, en ce qui concerne l’accusation d’ivresse dont fait l’objet le sergent Laferrière, l’article 97 se lit comme suit :

 

97 (1)                     Quiconque se trouve en état d’ivresse commet une infraction et, sur déclaration de culpabilité, encourt comme peine maximale un emprisonnement de moins de deux ans, sauf s’il s’agit d’un militaire du rang qui n’est pas en service actif ou de service — ou appelé à prendre son tour de service — , auquel cas la peine maximale est un emprisonnement de quatre-vingt-dix jours.

 

(2)           Pour l’application du paragraphe (1), il y a infraction d’ivresse chaque fois qu’un individu, parce qu’il est sous l’influence de l’alcool ou d’une drogue :

 

a)  soit n’est pas en état d’accomplir la tâche qui lui incombe ou peut lui être confiée;

 

b)  soit a une conduite répréhensible ou susceptible de jeter le discrédit sur le service de Sa Majesté.

 

[58]           Les éléments essentiels constituant cette infraction sont les suivants :

 

a)                  l’identité du sergent Laferrière en tant qu’auteur de l’infraction;

 

b)                  la date de l’infraction;

 

c)                  l’endroit de l’infraction;

 

d)                  que le sergent Laferrière était sous l’influence de l’alcool ou d’une drogue;

 

e)                  que le sergent Laferrière n’était pas en état d’accomplir la tâche qui lui incombait ou pouvait lui être confiée ou qu’il a eu une conduite répréhensible ou susceptible de jeter le discrédit sur le service de Sa Majesté.

 

[59]           La question centrale dans cette cause est de déterminer si le sergent Laferrière a commis ou non les gestes allégués par la poursuite et qui ont donné lieu aux accusations. Il n’appartient pas à l’accusé de démontrer que les événements n’ont pas eu lieu. La Cour n’a pas non plus la tâche de comparer les versions entre elles et choisir l’une d’elle plutôt qu’une autre. Il s’agit pour la Cour de déterminer, à la lumière de l’ensemble de la preuve, si elle est satisfaite, hors de tout doute raisonnable que les événements qui sont à la base des infractions alléguées, ont bel et bien eu lieu.

 

[60]           Le sergent Laferrière a témoigné pour sa défense. Il a rendu son témoignage de manière calme. L’essence de sa version des faits corroborent essentiellement celles de la plaignante et du sous-lieutenant quant au déroulement de la soirée : le vin et fromage, le déplacement au bar, la séquence des événements dans le bar, le départ du bar et le retour à la résidence.

 

[61]           Les événements qu’il a relatés à la Cour diffèrent sur un seul point majeur, soit le fait qu’il a touché et agrippé la plaignante durant la soirée au bar alors qu’elle lui aurait dit de cesser de faire cela.

 

[62]           Essentiellement, le sergent Laferrière a nié catégoriquement avoir dit à la plaignante qu’il ne pouvait s’empêcher de la toucher parce qu’elle était trop jolie.

 

[63]           Par contre, sur le fait qu’elle lui aurait dit d’arrêter de la toucher, il a mentionné qu’il n’a aucun souvenir qu’elle lui aurait dit cela, et que si elle lui avait dit, il aurait pu ne pas comprendre ce qu’elle disait en raison de sa capacité limité à comprendre la langue anglaise ou parce que la musique était trop forte.

 

[64]           Ainsi, il appert à la Cour que l’accusé donne ouverture au fait que la plaignante aurait pu dire et faire une telle chose. En effet, la musique ne semblait pas être un problème durant l’ensemble de la soirée passée au bar car, selon son témoignage, il était en mesure d’avoir diverses conversations dans un endroit où il y avait très peu de monde. La Cour ne comprend pas pourquoi soudainement il aurait été difficile pour lui de ne pas comprendre dans ces circonstances ce que la plaignante lui disait et qui a été entendue de manière distincte par un témoin indépendant, soit le sous-lieutenant Ouellet.

 

[65]           Quant à sa compréhension de l’anglais, la Cour comprend que le sergent Laferrière travaillait depuis déjà plus d’un an avec la plaignante dans les deux langues officielles et que sa compréhension de l’anglais semblait excellente, compte tenu du fait que quelques mois plus tard, un test de profil linguistique en faisait le constat, et qu’à la Cour, il n’a pas exigé d’interprète lorsque la plaignante a témoigné en anglais. En fait, cette raison semble très peu plausible.

 

[66]           La Cour retient du témoignage de l’accusé qu’il s’est limité à nier d’avoir prononcé certaines paroles et d’avoir commis certains gestes, tout en minimisant la possibilité, pour certaines raisons, d’avoir entendu l’avertissement de la plaignante.

 

[67]           La preuve présentée par la poursuite à l’effet que l’accusé à toucher et agripper la plaignante est probante dans les circonstances et la négation par l’accusé des gestes et des paroles à la base des infractions qui lui sont reprochées n’est nullement convaincante. Ses propos soulèvent un doute quant à sa volonté de dire la vérité tel qu’il la perçoit vraiment et quant à l’exactitude de son récit sur ce sujet.

 

[68]           En conséquence, la Cour conclut que sur l’incident qui est à la base des accusations devant cette Cour, le témoignage du sergent Laferrière n’est pas crédible et fiable.

 

[69]           Même si la Cour ne retient pas le témoignage de l’accusé, il appert qu’il ne soulève pas un doute raisonnable quant au fait que l’incident en question s’est déroulé tel que démontré par la poursuite.

 

[70]           Finalement, il appert que le témoignage de la plaignante apparaît à la Cour comme crédible et fiable. Elle a témoigné de manière calme et cohérente. Elle n’a pas hésité à apporter certains correctifs à ses réponses lorsqu’elle a été confrontée sur certains aspects de son témoignage. Par exemple, elle a reconnu qu’il lui était difficile de témoigner sur l’état d’ébriété de l’accusé sur la seule base de sa consommation d’alcool alors qu’elle n’a pas vraiment tenu un compte exact de ce qu’il avait consommé ce soir-là.

 

[71]           Quant au sous-lieutenant Ouellet, il a été celui qui avait contrôlé le plus sa consommation d’alcool lors de la soirée de l’incident et sa mémoire était encore excellente en ce qui a trait aux événements. Il n’avait aucun parti pris et il était plus soucieux du bien-être de ses collègues qu’autre chose dans les circonstances. Son témoignage était précis, crédible et fiable.

 

[72]           En conséquence, la Cour conclut que les témoignages de la plaignante et du sous-lieutenant Ouellet sont tout à fait crédible et fiable.

 

[73]           Maintenant, en ce qui a trait à l’accusation d’agression sexuelle, la Cour est satisfaite hors de tout doute raisonnable que la poursuite a démontré que le sergent Laferrière a utilisé la force à l’égard de la plaignante, et ce, de manière intentionnelle et sans son consentement, et qu’il avait connaissance d’une telle absence de consentement de la part de la plaignante.

 

[74]           De plus la Cour est satisfaite que la poursuite a rencontré son fardeau de preuve quant à l’identité, la date et le lieu de cet infraction. Quant à la défense de croyance honnête, mais erronée, de la part de l’accusé quant au consentement qui aurait été donné par la plaignante de se laisser toucher, la Cour est d’avis qu’il n’existe aucune preuve donnant une vraisemblance à cette défense et la Cour ne donnera pas ouverture à ce moyen de défense.

 

[75]           Par contre, la Cour est loin d’être convaincue hors de tout doute raisonnable de la nature sexuelle et charnelle des contacts en question. En effet, à l’exception de la preuve qui démontre que la plaignante aurait été touchée brièvement au haut des fesses, il n’y a aucune autre preuve qui a été introduite à l’effet de démontrer une telle chose. Plusieurs éléments comme la nature exacte du toucher, la main avec laquelle cela a été fait, la manière dont elle a été touchée, les vêtements qu’elle portait, le temps que cela a duré n’ont pas été démontré. En fait, la Cour a très peu de preuve quant à elle pour en arriver à une telle conclusion.

 

[76]           En conséquence, la Cour en vient à la conclusion, en considérant l’ensemble de la preuve, que la poursuite n’a pas démontré hors de tout doute raisonnable, l’élément essentiel qu’est la nature sexuelle des contacts.

 

[77]           Par contre, tous les autres éléments essentiels ont été démontré par la poursuite hors de tout doute raisonnable, et en conséquence, la Cour déclare l’accusé coupable de l’infraction moindre et incluse de voies de fait.

 

[78]           En ce qui a trait à l’infraction de mauvais traitement à un subalterne, la Cour est satisfaite que les éléments suivants ont été prouvés hors de tout doute raisonnable par la poursuite : l’identité, la date, le lieu et le lien de subordination.

 

[79]           L’incident qui s’est déroulé au bar faisait suite à un party qui réunissait les membres d’une unité. C’est dans ce contexte officiel que l’accusé et la plaignante ont été réunis et lorsqu’ils ont décidé de prolonger la soirée avec le sous-lieutenant Ouellet au bar l’Aventurier, ce contexte existait encore. Lorsqu’il a touché la plaignante, le sergent Laferrière demeurait un collègue mais aussi un supérieur à l’égard de la plaignante et il s’attaquait ainsi à son intégrité physique et psychologique sans son consentement.

 

[80]           Il a ainsi brimé et malmené en quelque sorte une subalterne, qui lui a d’ailleurs souligné l’existence du lien de subordination lorsqu’elle lui a dit de cesser de faire cela. Malgré tout, il a continué, et ce, en présence d’un autre militaire qui connaissait aussi l’existence de ce lien.

 

[81]           La Cour en vient à la conclusion que la poursuite a aussi démontré hors de tout doute raisonnable que le sergent Laferrière a maltraité la plaignante ainsi que son intention d’agir comme il l’a fait auprès de la plaignante.

 

[82]           En conséquence, considérant l’ensemble de la preuve, la Cour en vient à la conclusion que la poursuite a démontré tous les éléments essentiels de cette accusation hors de tout doute raisonnable et trouve ainsi coupable l’accusé d’avoir maltraité une personne qui en raison de son grade lui était subordonnée.

 

[83]           Finalement, quant à l’accusation d’ivresse, la Cour est satisfaite que la poursuite a démontré hors de tout doute raisonnable les éléments essentiels suivants : l’identité, la date et le lieu de l’infraction et que le sergent Laferrière était sous l’influence de l’alcool.

 

[84]           La Cour conclut que la poursuite s’est aussi déchargée de son fardeau de preuve quant à l’élément essentiel concernant la conduite répréhensible de l’accusé. La conduite de l’accusé, telle que décrite par la plaignante et le sous-lieutenant Ouellet, est blâmable car il s’en est pris à l’intégrité physique et psychologique d’une subordonnée et collègue malgré qu’elle ait tenté de lui faire comprendre de cesser ce qu’il faisait. Elle ne voulait pas être touchée ni agrippée par la taille dans un bar par l’accusé, et il l’a quand même fait.

 

[85]           En conséquence, considérant l’ensemble de la preuve, la Cour en vient à la conclusion que la poursuite a démontrée tous les éléments essentiels de cette dernière accusation hors de tout doute raisonnable et trouve ainsi coupable l’accusé d’ivresse.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[86]           DÉCLARE le sergent Laferrière non coupable d’agression sexuelle mais coupable de l’infraction moindre et incluse de voies de fait contrairement à l’article 266 du Code criminel; et

 

[87]           DÉCLARE le sergent Laferrière coupable du deuxième chef d’accusation, d’avoir maltraité une personne qui en raison de son grade lui était subordonnée contrairement à l’article 95 de la Loi sur la défense nationale; et coupable du troisième chef d’accusation d’ivresse contrairement à l’article 97 de la Loi sur la défense nationale.


 

Avocats :

 

Le directeur des poursuites militaires, tel que représenté par le major A.J. Van Der Linde et capitaine M.D. Ferron

 

Major P.-L. Boutin, service d’avocats de la défense, avocat du sergent J.S.J.A. Laferrière

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