Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 25 août 2015.

Endroit : Base des Forces canadiennes Trenton, bâtisse 22, salle 322, 74 avenue Polaris, Astra (ON) et Centre Asticou, bloc 2600, pièce 2601, salle d’audience, 241 boulevard de la Cité-des-Jeunes, Gatineau (QC).

Chefs d’accusation :

• Chefs d’accusation 1, 2, 3 : Art. 130 LDN, utilisation non autorisée d’ordinateur (art. 342.1 C. cr.).

Résultats :

• VERDICTS : Chef d’accusation 1 : Retiré. Chefs d’accusation 2, 3 : Non coupable.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. O’Brien, 2015 CM 1012

 

Date : 20150831

Dossier : 201522

 

Cour martiale permanente

 

Base des Forces canadiennes Trenton

Trenton (Ontario) Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Caporale-chef O’Brien, I.M.G., Requérante

 

Devant : Colonel M. Dutil, J.M.C.


 

DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE SOUS L’ARTICLE 7 DE LA CHARTE CANADIENNE DES DROITS ET LIBERTÉS POUR VIOLATION DU DROIT À LA SÉCURITÉ

 

(Oralement)

 

INTRODUCTION

 

[1]               La requérante fait face à deux chefs d’accusation pour des infractions punissables selon l’article 130 de la Loi sur la défense nationale, contrairement à l’article 342.1 du Code criminel, pour avoir frauduleusement obtenu, directement ou indirectement, des services d’ordinateur entre le 1er janvier 2011 et le 5 février 2013, soit d’une part le Système d’information – Sécurité et police militaire (SISEPM)[1] et d’autre part le Centre d’information de la police canadienne (CIPC)[2]. Elle soumet que ses droits garantis sous l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés ont été violés contrairement aux principes de justice fondamentale. La requérante n’invoque pas une violation de l’article 11(b) de ladite Charte relative au droit d’une personne accusée d’être jugée dans un délai raisonnable. Se fondant essentiellement sur l’arrêt Sa Majesté la Reine c. Perrier, 2000 CACM-434, 24 novembre 2000, elle invoque que son droit à la sécurité a été enfreint contrairement au principe de justice fondamentale exigeant une justice expéditive dans le cadre du système de justice militaire énoncé dans ledit arrêt, ainsi qu’en contravention au principe de justice fondamentale relatif au droit à une défense pleine et entière.

 

LA PREUVE

 

[2]               Outre la connaissance judiciaire aux termes de l’article 15 des Règles militaires de la preuve, la preuve au soutien de la requête est composée des éléments suivants :

 

a.                   Un sommaire conjoint des faits (VD1-2);

 

b.                  La transcription de l’entrevue de la caporale-chef O’Brien avec le maître de 2e classe Dingwall en date du 7 octobre 2013 (VD1-3);

 

c.                   Un DVD de l’enregistrement de l’entrevue du 7 octobre 2013 d’une durée approximative de trois heures visionné lors de l’audition de la requête (VD1-4);

 

d.                  Une copie des Ordres du Groupe de la police militaire des Forces canadiennes suivants : 2-705, 2-705.1, 2-730 et 2-730.1 (VD1-5);

 

e.                   Une lettre en date du 3 juin 2103 signée par le lieutenant-colonel R.P. Delaney à l’effet que les attestations de police militaire du caporal-chef O’Brien sont suspendues (VD1-6);

 

f.                   Une lettre en date du 8 avril 2013 adressée à la caporale-chef O’Brien et signée par le major P.G. Casswell lui souhaitant la bienvenue relativement à sa nouvelle mutation au sein du Service national des enquêtes (VD1-7);

 

g.                  Trois articles de journaux relatifs aux championnats régionaux et nationaux de badminton en 2014 et 2015 soulignant la performance de la caporale-chef O’Brien (VD1-8, VD1-9 et VD1-10);

 

h.                  Un document intitulé « Admissions de la défense » (VD1-11);

 

i.                    Les témoignages de la caporale-chef O’Brien et du maître de 2e classe Dingwall.

 

[3]               Pour la bonne compréhension du dossier, je reproduis le sommaire conjoint des faits (VD1-2) et les admissions de la défense (VD1-11) :

 

SOMMAIRE CONJOINT DE FAITS (VD1-2)

 

1.                  Le 6 mai 2013, le SNE a ouvert une enquête à l’endroit de la requérante, une policière militaire, pour utilisation non autorisée de services d’ordinateur. La requérante était soupçonnée d’avoir recherché quatre personnes sur SAMPIS et CPIC à des fins autres que pour l’application de la loi et d’avoir divulgué ces renseignements à son mari, contrairement aux politiques d’utilisation de SAMPIS et CPIC.

 

2.                  Le 7 mai 2013, Cplc Beacom du SNE est chargée d’enquêter.

 

3.                  Le 8 mai 2013, Cplc Beacom a initié une demande afin d’obtenir les rapports des recherches de la requérante sur CPIC et SAMPIS depuis deux ans. Le rapport de CPIC a été reçu et analysé par l’enquêteur Beacom le 9 mai 2013 et celui de SAMPIS, le 16 mai 2013.  Le Cplc Beacom a observé que certains des quatre noms avaient été recherchés par la requérante.  Le Cplc Beacom a identifié environ 18 autres personnes qui ont été l’objet de recherches suspicieuses effectuées par la requérante sur SAMPIS et/ou CPIC.  Le Cplc Beacom a rapporté cette information dans le rapport d’enquête.

 

4.                  Le 30 mai 2013, le M2 Dingwall, enquêteur au SNE, a été assigné au dossier en remplacement du Cplc Beacom.  Au moment de son assignation, le M2 Dingwall était sur un cour et ce, jusqu’au 12 juin 2013.

 

5.                  Le 4 juin 2013, les attestations de police militaire de la requérante lui ont été retirées en lien avec l’enquête qui a mené aux accusations dans le présent dossier.

 

6.                  Le 19 juin 2013, M2 Dingwall a commencé à prendre connaissance de l’enquête.

 

7.                  Du 26 juin au 1 juillet, et du 20 juillet au 5 août 2013, M2 Dingwall était en congé.

 

8.                  Du 6 au 9 août, les 22 et 23 août 2013, M2 Dingwall était affecté à d’autres tâches. Les 19 et 20 septembre 2013, M2 Dingwall participait à une autre enquête.

 

9.                  Pendant les mois d’août, septembre et octobre 2013, M2 Dingwall était en charge des préparations pour un cours.

 

10.              Le 7 octobre 2013, la requérante a été interviewée par M2 Dingwall. Lors de son entrevue, la requérante a admis avoir recherché les personnes qu’elle était soupçonnée d’avoir recherchées frauduleusement sur SAMPIS et CPIC, elle a expliqué les raisons qui avaient motivées certaines de ses recherches, elle a reconnu sa signature sur les documents qui traitent de la politique d’utilisation de SAMPIS et CPIC et elle a expliqué sa compréhension de cette politique d’utilisation.

 

11.              La requérante n’était pas en mesure de se souvenir des raisons pour lesquelles elle avait recherché certaines personnes sur CPIC et SAMPIS mais a expliqué qu’elle agissait de bonne foi et que ses notes indiqueraient les raisons de ses recherches.

 

12.              Entre le 15 octobre et le 1 novembre 2013, M2 Dingwall participait à un cours.

 

13.              Du 8 au 10, les 15 et 16 novembre 2013, M2 Dingwall était en congé.

 

14.              Du 17 au 19 novembre 2013, M2 Dingwall participait à une formation.

 

15.              Du 29 novembre au 1 décembre 2013, M2 Dingwall était en congé.

 

16.              Les 10, 16 et 17 décembre 2013, M2 Dingwall était en formation.

 

17.              Le 16 décembre 2013, le M2 Dingwall a laissé un message à la requérante dans le but de lui fournir une mise à jour et pour lui demander si elle voulait participer à une seconde entrevue.

 

18.              Le 17 décembre 2013, la requérante a informé M2 Dingwall que l’enquête prenait trop de temps et que cela lui causait du stress.

 

19.              Entre le 20 décembre 2013 et le 5 janvier 2014, M2 Dingwall était en congé.

 

20.              Dans le cadre de son enquête, le 31 janvier 2014, le M2 Dingwall a tenté d’obtenir les cahiers de notes de la police militaire du Cplc O’Brien.  Certains cahiers de notes lui furent divulgués par l’unité, les autres étant en la possession du Cplc O’Brien.  N’étant pas autorisée à garder ses cahiers de notes de la police militaire, le Cplc O’Brien a retourné deux cahiers de note le 10 Avril 2014.  Le dernier cahier de note a été retourné par le Cplc O’Brien chez elle, le 3 juillet 2014.

 

21.              Du 6 au 10 février 2014, M2 Dingwall participait à une autre enquête.

 

22.              Du 14 au 17 février, du 7 au 16 mars 2014, M2 Dingwall était en congé.

 

23.              Le 7 avril, du 22 au 25 avril, du 27 avril au 17 mai, et du 28 au 31 mai 2014, M2 Dingwall participait à des formations.

 

24.              Du 6 au 8, les 11 et 12 juin 2014, M2 Dingwall était en congé.

 

25.              Les 18, 19, et du 22 au 28 juin 2014, M2 Dingwall était en formation.

 

26.              Du 28 juin au 6 juillet 2014, M2 Dingwall était en congé.

 

27.              Du 20 au 25 juillet 2014, M2 Dingwall était cité comme témoin à une cour martiale.

 

28.              Du 26 juillet au 11 août 2014, M2 Dingwall était en congé.

 

29.              Les 18 et 19 août 2014, M2 Dingwall était en formation.

 

30.              Pendant les mois de septembre et octobre 2014, M2 Dingwall participait à la préparation d’un cours.

 

31.              Du 14 au 21 septembre 2014, M2 Dingwall participait à une autre enquête.

 

32.              Du 25 au 27 septembre 2014, M2 Dingwall était en congé.

 

33.              Du 30 septembre au 2 octobre, les 6 et 7 octobre 2014, M2 Dingwall était en formation.

 

34.              Du 20 octobre au 7 novembre 2014, M2 Dingwall participait à un cours.

 

35.              Le 12 novembre 2014, l’enquête était terminée.

 

36.              Le 3 décembre 2014, la requérante a été accusée en vertu d’un procès-verbal de procédure disciplinaire.

 

37.              Le 9 janvier 2015, le service d’avocats de la défense recevait une demande d’avocat.

 

38.              Le 9 janvier 2015, une demande à l’autorité de renvoi de connaître d’une accusation a été expédiée à l’autorité de renvoi.

 

39.              Le 15 janvier 2015, l’autorité de renvoi a transmis cette demande au directeur des poursuites militaires.

 

40.              Le 16 janvier 2015, le capc Desbiens a été assigné comme avocat de la défense. Une demande de divulgation de la preuve a été envoyée à la poursuite le même jour.

 

41.              Le 30 janvier 2015, un procureur militaire a été assigné au dossier.

 

42.              Du 2 février au 6 février 2015, le procureur militaire assigné au dossier était en cour dans un dossier.

 

43.              Du 14 février 2015 au 1er mars 2015, le procureur militaire assigné au dossier était en congé.

 

44.              Du 9 au 13 mars, le procureur militaire assigné au dossier était en cour dans un dossier.

 

45.              Le 20 mars 2015, la poursuite a prononcé la mise en accusation de la requérante.

 

46.              Le 25 mars 2015, la défense a reçu divulgation de la preuve.

 

47.              Le 13 avril 2015, la poursuite a invité la défense à participer à une conférence de coordination afin de choisir une date de procès. Le même jour, l’avocat de la requérante a informé la poursuite qu’il n’avait pas fini d’étudier la preuve et que la requérante n’avait pas encore fait son choix entre une cour martiale générale ou permanente. Pour cette raison, il préférait attendre avant de participer à une conférence.

 

48.              Le 21 avril 2015, l’avocat de la requérante informait la poursuite qu’il avait terminé d’étudier la preuve, qu’il avait reçu des directives de la requérante et qu’il était prêt à participer à une conférence.

 

49.              Le 22 avril 2015, l’avocat de la requérante a contacté l’administrateur adjoint de la cour martiale afin de programmer une conférence avec le juge militaire en chef. Les parties ont participé à une conférence et ont discuté de la possibilité de tenir le procès en juillet.

 

50.              La poursuite a informé le juge militaire en chef qu’elle ne pouvait procéder avant le 24 août. La date du procès a été fixée au 25 août 2015.

 

ADMISSIONS DE LA DÉFENSE (VD1-11)

 

1.                  Le Ltv Desroches était la superviseure du Cplc O’Brien à partir de la mutation de celle-ci à Ottawa à l’été 2013 et ce, jusqu’à l’été 2015.

 

2.                  Le Ltv Desroches est un officier de développement de l’instruction travaillant pendant cette période dans la section de la sélection et de l’entrainement individuel du QG du Grand Prévôt. 

 

3.                  Le Cplc O’Brien travaille dans cette section en tant que commis MITE (military individual training and education).  Elle s’occupe en plus des messages relatifs à la formation fournie à l’extérieur des Forces canadiennes, de la finance pour cette formation, aide avec le logiciel de planification et de suivi des tâches des Forces canadiennes (« CFTPO ») et avec les Normes de qualification (« Qualification Standard ») et les Plans d’instruction (« Training Plan »).  Il n’est nécessaire que d’avoir la qualification « MITE » pour accomplir ces tâches.

 

4.                  Le Ltv Desroches a observé que la performance du Cplc O’Brien allait par vague.  Les journées où le Cplc O’Brien était fatiguée et que ses tâches lui prenaient plus d’énergie pour se concentrer, les tâches étaient adaptées.  Les tâches étaient divisées en tâches plus petites avec des délais plus longs pour lui permettre de les accomplir.  Le Cplc O’Brien arrive généralement au travail à 0600hrs.  Le Ltv Desroches a observé que si le Cplc O’Brien se sentait trop fatiguée, elle en avisait le Ltv Desroches et des arrangements étaient pris pour que le Cplc O’Brien parte plus tôt.  Il est arrivé que le Ltv Desroches aide le Cplc O’Brien à prioriser ses tâches afin que ce soit plus facile pour cette dernière de distinguer les priorités. Le Cplc O’Brien a pris certains jours de congé de maladie mais pas plus que les autres. 

 

5.                  Selon le Ltv Desroches, la communication était bonne dans l’équipe et le Ltv Desroches se voulait facile d’approche pour le Cplc O’Brien.

 

6.                  Le but de la chaîne de commandement du Cplc O’Brien était qu’elle se sente bien et correcte dans son environnement de travail. Selon les observations du Ltv Desroches, le Cplc O’Brien avait de bonnes interactions avec les autres membres de la section et la dynamique était positive.

 

7.                  Le Ltv Desroches a observé aux cours des deux dernières années, que le Cplc O’Brien s’est impliquée dans son milieu de travail et qu’elle semblait aimer ce milieu.  Cplc O’Brien a organisé la fête de Noël, un tournois de hockey-balle, un « pot-luck » et aidait le Ltv Desroches avec les BBQ organisés pour l’unité. 

 

8.                  Le Cplc O’Brien était aussi impliquée dans des entrainements au gymnase.  Si la personne en charge des entraînements au gymnase est absente, le Cplc O’Brien prend en charge les entraînements.  D’ailleurs, d’autres militaires féminins allaient la voir pour qu’elle leurs montre comment exécuter des exercices.  Le Cplc O’Brien pratiquait s’entraînait au gymnase, sur les heures de travail, généralement entre 11h00 et 12h00.  Le Ltv Desroches s’entraînait à Cross-Fit avec le Cplc O’Brien.

 

9.                  L’environnement de travail était permissif quant à l’horaire de travail.  L’horaire de travail du Cplc O’Brien était donc à son choix.  Le Cplc O’Brien arrive généralement de bonne heure au travail afin de finir plus tôt et aller chercher les enfants à l’école. L’important pour la chaîne de commandement est qu’elle s’acquitte de ses tâches.

 

10.              Le Cplc O’Brien suit des cours civils par correspondance. Lorsqu’il était requis qu’elle se rende sur place pour sa formation, sa chaîne de commandement lui permettait d’y assister sur les heures de travail.  Du temps lui était aussi donné pour faire ses examens.  Le Cplc O’Brien avait un plan individuel d’apprentissage (« ILP ») et le LCol Schneider était au courant.  Le LCol Schneider a d’ailleurs demandé aux membres de la section de trouver des idées de projets intéressants pour le Cplc O’Brien.  D’ailleurs, le Cplc O’Brien a fait un travail à l’université sur le travail d’enquêteur polygraphe pour lequel le LCol Schneider a révisé son travail et lui a fourni ses commentaires.  Dans le cadre de ce travail, le Cplc O’Brien a interviewé un enquêteur polygraphe de la police militaire. 

 

11.              Le Cplc O’Brien a manifesté sa détresse au Ltv Desroches par rapport au fait de ne pas savoir ce qui arrivait.  Le Cplc O’Brien lui a manifesté  qu’elle se sentait stressée et en désarroi.  Le Ltv Desroches a référé le Cplc O’Brien à une travailleuse sociale afin qu’elle obtienne des outils pour gérer son stress.  Le Ltv Desroches se souvient avoir suggéré au Cplc O’Brien de prendre les jours une journée à la fois et voir ce qui va arriver.  À une reprise, le PM2 Rice a manifesté des préoccupations au Ltv Desroches quant au Cplc O’Brien et a suggéré qu’ils surveillent le Cplc O’Brien de plus près puisque cette dernière ne semblait pas bien aller.  Le LCol Schneider a été mis au courant. 

 

12.              Le Cplc O’Brien a manifesté au Ltv Desroche ses inquiétudes par rapport à l’incertitude concernant son future puisque les procédures étaient longues.  Elle a également manifesté ressentir du stress par rapport au fait de ne plus être enquêteur.  La chaîne de commandement essayait d’être proche du Cplc O’Brien et d’avoir de bonnes communications.  Elle avait le soutien de sa chaine de commandement.  Le Ltv Desroches mentionne ne pas être au courant si le Cplc O’Brien a déjà eu des pensées suicidaires. 

 

13.              Le Cplc O’Brien n’a jamais demandé à être muté dans une autre section bien qu’elle fût déçue de ne pas être mutée au Service National d’Enquête (SNE) et devenir polygraphe. 

 

14.              Le Cplc O’Brien a soumis sa candidature pour la formation de protection rapprochée mais ne pouvait pas être sélectionnée car elle n’avait pas son attestation de policière militaire.  Lorsqu’elle s’est fait annoncer la nouvelle, le Cplc O’Brien s’est mise à pleurer et semblait découragée.  Le Cplc O’Brien s’était beaucoup préparé pour sa candidature.  À un autre moment, des postes étaient ouverts à Yellowknife mais ne pouvait y aller puisqu’elle n’avait pas ses attestations de policière militaire. 

 

[4]               L’ensemble de la preuve entendue et déposée durant l’audition de la requête révèle qu’une plainte a été transmise et qu’elle émanait de l’unité du conjoint de la requérante, et ce, relativement à des allégations que celui-ci avait obtenu de l’information visant quatre personnes de son unité à l’effet que celles-ci avaient un casier judiciaire. Puisque ce type d’information n’est normalement pas accessible au public, mais plutôt par des personnes autorisées comme les corps policiers, y compris la police militaire, l’enquêteur soupçonne alors  que la requérante, elle-même policier militaire, pourrait avoir été la source de son mari. Tel qu’il appert du sommaire des faits, l’enquêteur initial obtient les rapports de recherche de la requérante sur CPIC et SAMPIS et elle constate que les quatre noms d’individus ont fait l’objet d’une recherche qui semble avoir été effectuée par la requérante. L’enquêteur identifie aussi que dix-huit personnes ont aussi fait l’objet de recherches suspicieuses. Il appert que sur la foi de l’information disponible et du sérieux des allégations, les autorités du Grand Prévôt des Forces canadiennes décident de suspendre les attestations de la police militaire de la caporale-chef O’Brien, tel qu’en fait foi la lettre du 3 juin 2013 (VD1-6). Le paragraphe 2 de ladite lettre énonce ce qui suit :

 

« 2.    As the National Defence Act Section 156 suspending authority and in light of the seriousness of the allegations, I hereby suspend immediately the NDA Section 156 Military Police appointment of MCpl O’Brien for the alleged breaches of the Code under the following articles:

 

a.                   4(j), which states: no member of the Military Police shall: use military police information, military police resources or their status as a member of the military police for a private or unauthorized purpose; Reference A alleges that MCpl O’Brien has contravened this article of the Code by her actions, whereby in a complaint filed with the 2 Military Police Squadron on 19 March 2013 she accessed military police information using CPIC/SAMPIS without legitimate reason for a private purpose;

 

b.                  4(k), which states: no member of the Military Police shall; disclose military police information unless authorized; Reference A alleges that MCpl O’Brien has contravened this article of the Code by her actions, whereby in complaint filed with the 2 Military Police Squadron on 19 March 2013, she disclosed military police information to an unauthorized recipient; and

 

c.                   4(l) which states; no member of the Military Police shall engage in conduct that is likely to discredit the Military Police or calls into question the member’s ability to carry their duties in a faithful and impartial manner. Reference A alleges that MCpl O’Brien has contravened this article of the Code by her actions of accessing military police information through CPIC/ SAMPIS without legitimate reason and disclosing military police information to an unauthorized person.

 

3.         The Commanding Officer 2 Military Police Squadron is to remove the member’s credentials, firearm and MP accoutrements used in the continuum of force and advise the Deputy Commander when all disciplinary, criminal and unit action are completed. MCpl O’Brien can be employed, as with any other CF member, in CF functions not requiring the NDA Section 156 appointment and authorities, or requiring the use of MP intermediary weapons. The unit is to forward the member’s credentials to the CF MP Gp, Deputy Provost Marshal – Policy and Plans.

 

4.         The Deputy Provost Marshal – Resource Management is to suspend the member’s CPIC and SAMPIS privileges. »

 

[5]               Tel qu’il était énoncé dans la lettre précitée, le superviseur de la requérante la rejoignit au téléphone le lendemain alors qu’elle était à la maison en début de congé. Il lui intima de se présenter au travail. Elle a témoigné à l’effet qu’une fois qu’elle prend place dans le bureau de son officier commandant en compagnie de son superviseur, on l’informe que ses attestations de police militaire sont suspendues. La caporale-chef O’Brien a dit à la cour qu’à l’annonce de cette nouvelle et de la remise de la lettre du 3 juin, elle voit noir. N’ayant peu ou pas de souvenir de cette rencontre, elle nous dit avoir été sous le choc. Elle pleure et elle voit son rêve de devenir enquêteur au Service national des enquêtes et technicien de polygraphe s’écrouler. Elle dit toutefois que la rencontre a été longue et qu’on aurait pris environ quarante-cinq minutes pour lui expliquer le contenu de la lettre. La caporale-chef O’Brien aurait quitté la réunion sans trop se souvenir et s’être présentée au travail le lendemain plutôt que de rester à la maison alors qu’elle était en congé parce qu’elle ne voulait pas être seule avec son jeune bébé en raison de son état psychologique suite à la suspension dont elle venait de faire l’objet. La caporale-chef O’Brien se rend alors au travail en tenue de combat et elle se sent diminuée et humiliée de se retrouver ainsi face à ses collègues. La caporale-chef O’Brien a témoigné à l’effet qu’il lui a pris plusieurs mois avant de se remettre très partiellement du choc qu’elle a subi le 4 juin 2013 lorsqu’on a suspendu ses attestations de police militaire. Elle ajoute que ce n’est que lorsqu’elle rencontre le maître de 2e classe Dingwall le 7 octobre 2013 lors de l’entrevue qu’elle comprend pour la première fois la raison pour laquelle ses attestations avaient été suspendues. Elle tombe encore sous le choc. Elle qui pensait que la source des mesures dont elle faisait l’objet était liée entre ce qui s’était passé entre son mari et son sergent-major, elle comprenait qu’on lui reprochait d’avoir fait un usage illégitime de CPIC et de SAMPIS.

 

[6]               La caporale-chef O’Brien a témoigné des répercussions sur sa santé en lien avec la suspension de ses attestations de police militaire le 4 juin 2013 jusqu’à aujourd’hui. Elle a d’ailleurs rencontré des travailleurs sociaux à maintes reprises depuis les évènements pour tenter de gérer l’anxiété, le stress et l’angoisse attribuables à cette affaire. Elle dit souffrir de pertes de mémoire et de troubles du sommeil. Elle a aussi éprouvé des difficultés matrimoniales parce qu’elle reprochait à son mari d’être responsable de ce qui lui arrivait. Cela est chose du passé maintenant, mais elle continue d’avoir de la difficulté à être une mère présente et attentive envers ses trois enfants. La caporale-chef O’Brien dit aussi avoir des moments dépressifs et avoir eu des idées suicidaires, notamment en février 2015 lorsqu’elle a voulu passer sur un feu rouge. Même si elle se sent encore vraiment mal, la caporale-chef O’Brien fournit tous les efforts dans l’accomplissement de ses fonctions parce qu’elle est perfectionniste. Anémique depuis plusieurs années, elle s’entraîne très fort physiquement et elle s’implique avec enthousiasme dans plusieurs activités sociales de la police militaire pour démontrer qu’elle est forte, compétente et joviale malgré sa tristesse et le stress qui la ronge depuis plus de deux ans. Par ailleurs, la caporale-chef O’Brien a témoigné à l’effet qu’elle n’a pas voulu rencontrer de médecin ou de thérapeute et qu’elle refusait de prendre des médicaments qui pourraient l’aider parce qu’elle ne voulait pas que cela lui nuise dans sa carrière de policier militaire et l’impression qu’elle s’est faite de l’efficacité de ces méthodes à l’égard d’autres personnes de son entourage. Il ne fait aucun doute que les évènements qui ont débuté avec la suspension de ses attestations de police militaire jusqu’à aujourd’hui lui ont causé du stress et de l’anxiété et que l’écoulement du temps lui semble interminable. Le fait de porter la tenue de combat depuis plus de deux ans plutôt que l’uniforme de policier militaire ou les vêtements civils d’enquêteur contribue à la stigmatisation qu’elle croit subir, parce que les policiers militaires savent, selon elle, que cela signifie qu’il y a quelque chose de « wrong avec toi ». Finalement, la caporale-chef O’Brien a indiqué qu’en plus d’avoir été perdu sa mutation au Service national des enquêtes en raison de la suspension de ses attestations de police militaire, elle s’est vu refuser plusieurs cours et l’opportunité de déploiement depuis cette date.

 

[7]               Il convient de souligner que durant toute la période postérieure à la suspension de ses attestations de police militaire, la requérante a continué d’être employée et rémunérée dans une unité du Groupe de la police militaire et qu’elle a reçu le soutien de sa chaîne de commandement durant cette période (voir VD1-11).

 

[8]               Outre ce qui est mentionné au sommaire conjoint des faits, le maître de 2e classe Dingwall a expliqué que cette enquête était la seule dont il était responsable en raison du poste qu’il occupait lors de cette période à titre de sergent des opérations et responsable de la surveillance mobile, ainsi que le coordonnateur de la formation au sein d’une section du Service national des enquêtes. Il semble que cette enquête lui ait été confiée en raison de son expérience et du fait qu’elle visait un policier militaire. Lors de son témoignage, il a précisé qu’il a pris connaissance du dossier d’enquête le 19 juin 2013 et en avoir discuté avec l’enquêteur initial. Il produit et transmet un plan d’enquête à ses supérieurs peu après. Il rencontre plusieurs témoins, y compris les personnes à l’origine de la plainte à l’endroit de la caporale-chef O’Brien et les superviseurs de la requérante. Il fait également la demande des rapports de recherches de la requérante sur CPIC et SAMPIS qui couvrent la durée de sa mutation à Trenton alors qu’elle y était en compagnie de son mari. Au surplus, il obtient les postes occupés durant cette période par la requérante durant son séjour à Trenton, afin d’y faire les recoupements nécessaires à son enquête parce que les recherches de l’enquêteur initial ne couvraient que la période où le mari de la requérante était en poste à sa nouvelle unité. Selon l’enquêteur Dingwall, cette décision d’élargir l’enquête visait la couverture d’une période plus large et plus approfondie, même si cela rendait celle-ci plus complexe parce qu’elle révélait ainsi environ 6000 lignes de rapports supplémentaires. Il devait passer cette information au peigne fin et la juxtaposer avec la fonction occupée par la requérante au moment où elle avait fait une recherche spécifique, et ce, afin de trouver des éléments de preuve relativement à la légitimité des recherches de la requérante durant la période visée. En ce qui a trait aux carnets de notes de la requérante qu’il a obtenus dans le cadre de son enquête, il est opportun de souligner que le dernier a été retourné le 3 juillet 2014 par la requérante qui l’avait en sa possession à sa maison de Belleville, alors qu’elle était en poste à Ottawa. Suite à l’obtention des notes, l’enquêteur a pu finaliser son enquête et obtenir des avis juridiques. L’enquête a été complétée le 12 novembre 2014.

 

[9]               En ce qui a trait à l’entrevue du 7 octobre 2013, (VD1-3 et VD1-4), il convient de souligner que durant ladite entrevue, l’enquêteur a clairement exprimé à la requérante qu’elle en était une de nature disciplinaire et criminelle pour des infractions en vertu de l’article 129 de la Loi sur la défense nationale et l’article 342.1 du Code criminel. Lors de cette entrevue, la requérante a admis avoir fait des recherches sur les personnes qu’elle était soupçonnée d’avoir recherchée frauduleusement sur CPIC et SAMPIS, mais elle a fourni des explications pour chacune de ses recherches. Au surplus, elle a ajouté que ses recherches étaient légitimes et faites de bonne foi. Lorsque qu’elle ignorait le nom d’une personne qu’on lui soumettait à l’égard d’une recherche spécifique, la requérante essayait de fournir une explication logique. La requérante reconnaissait également comprendre les politiques d’utilisation de ces banques de données, ainsi que sa signature sur des documents à cet effet.

 

LA POSITION DES PARTIES

 

La requérante

 

[10]           La requérante soumet que son droit à la sécurité protégé en vertu de l’article 7 de la Charte a été violé parce que les circonstances de cette affaire ne respectent pas le principe de justice fondamentale exprimée par la Cour d’appel de la cour martiale dans l’arrêt Sa Majesté la Reine c. Perrier, selon lequel le système de justice militaire exige une justice expéditive. Elle ajoute également qu’en raison du délai écoulé depuis les évènements qui lui sont reprochés et de l’impact de ces délais sur sa capacité de se souvenir des évènements en raison de troubles de la mémoire attribuables à ces délais, mais aussi en raison des conséquences néfastes sur sa santé mentale et physique depuis que ses attestations de police militaires furent suspendues le 4 juin 2013, son droit à la sécurité a été enfreint parce qu’elle n’est pas en mesure d’exercer son droit à une défense pleine et entière.

 

[11]           Se fondant sur l’arrêt Perrier, la requérante soumet que le début de la période de calcul de l’ensemble des délais dans cette affaire correspond au jour de la suspension de ses attestations de police militaire, soit le 4 juin 2013. Le délai total pour les fins de l’analyse sous l’article 7 serait de 26 mois. Selon la requérante, elle était déjà accusée à partir du 4 juin 2013, date la suspension de ses attestations de police militaire, même si les accusations n’ont été portées que le 3 décembre 2014. La requérante soumet que les effets de la suspension de ses attestations de police militaires sont très graves que ce soit sur sa santé physique et mentale, ainsi que sur sa carrière, notamment le fait d’avoir perdu l’opportunité de servir au sein du Service national des enquêtes et d’avoir fait l’objet de refus de la part de sa chaîne de commandement de lui donner l’opportunité de suivre certains cours de carrière et de participer à un déploiement. La requérante soumet que la suspension de ses attestations de police militaire, soit le stress, la dépression et la stigmatisation qu’elle a vécu durant toutes les procédures ont porté atteinte à sa sécurité d’une manière non conforme au principe de justice selon lequel le système de justice militaire exige une justice expéditive. Elle évoque ainsi avoir subi un préjudice important qui ne fera que s’accroitre à moins que la cour ordonne l’arrêt des procédures aux termes de l’article 24(1) de la Charte. Selon la requérante, l’enquête n’était pas complexe et rien ne permettait aux enquêteurs d’élargir le cadre de l’enquête au-delà des vingt-deux noms identifiés par l’enquêteur initial.

 

L’intimée

 

[12]           L’intimée soumet que la requête doit être rejetée parce que la suspension des attestations de la police militaire aux termes des ordres pertinents du Groupe de la police militaire (VD1-5) n’est en rien comparable à une suspension des fonctions militaires tel qu’elle existait dans l’arrêt Perrier. Un membre de la police militaire peut se faire suspendre ses attestations s’il est soupçonné d’inconduite au même titre que le médecin pourrait être suspendu par le Collège des médecins s’il était soupçonné d’inconduite que celles-ci font l’objet d’accusations disciplinaires ou criminelles subséquentes. La requérante reconnait que les délais dans cette affaire sont imputables à la poursuite et que le point de départ qui devrait être retenu pour les fins du calcul du délai correspond à la date de l’entrevue de la requérante avec l’enquêteur Dingwall le 7 octobre 2013. L’intimée soumet que le préjudice subi par la requérante trouve sa source lorsque ses attestations de police militaire ont été suspendues. Au surplus, l’intimée soumet que la requérante a continué d’être employée au sein de la police militaire, même si elle occupait des fonctions administratives, et qu’elle a continué d’être rémunérée. L’intimée soumet que la requérante n’a pas fait l’objet de stigmatisation, mais qu’elle a plutôt eu le soutien de sa chaîne de commandement et de ses superviseurs immédiats.

 

[13]           En ce qui a trait aux prétentions de la requérante que l’enquête du Service national des enquêtes était de nature administrative, l’intimée soumet qu’elle était au contraire de nature disciplinaire et criminelle. L’intimée rejette les prétentions de la requérante à l’effet que la suspension de ses attestations de la police militaire se comparent au traitement dont Perrier fut l’objet. Elle soutient que cela n’est pas fondé à la lumière des remarques du juge Goodwin dans l’arrêt Larocque c. Sa Majesté la Reine, 2001 CACM 002, 20 août 2001, au paragraphe 54 :

 

[54] Comment l'appelant peut-il prétendre à une atteinte à son droit « à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne », parce qu'on lui retire ses titres de créance de policier militaire, alors qu'en même temps, il demeure au travail, il effectue des tâches et assume des responsabilités compatibles avec son grade? De plus, il continue de recevoir sa solde.

 

[14]           L’intimée soumet que la requérante connaît les accusations qui ont été portées contre elle depuis décembre 2014 ainsi que la preuve de la poursuite pour en avoir reçu la divulgation et qu’elle n’a fait aucune demande de divulgation supplémentaire. Selon l’intimée, même si mémoire fait défaut à certains égards, son droit à une défense pleine et entière n’en est pas affecté.

 

ANALYSE ET DÉCISION

 

[15]           L’article 7 de la Charte se lit comme suit :

 

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.

 

Se fondant sur l’arrêt Perrier, la requérante soumet que l’État a porté atteinte à son droit à la sécurité parce qu’elle n’a pas respecté le principe de justice fondamentale exigeant une justice expéditive dans le système de justice militaire, ainsi qu’en contravention au principe de justice fondamentale relatif au droit à une défense pleine et entière.

 

[16]           Avec respect, la Cour est d’avis que la Cour d’appel de la cour martiale s’est prononcée sur l’effet de l’arrêt Perrier dans deux décisions subséquentes rendues peu de temps après dans le contexte de l’article 7 de la Charte. D’une part, la Cour d’appel de la cour martiale a distingué la situation qui prévalait dans Perrier et celle du caporal-chef Larocque qui avait vu ses attestations de police militaire suspendues à la suite d’accusation d’harcèlement criminel, d’avoir désobéi à un ordre d’un supérieur ainsi que de s’être servi d’un véhicule à des fins non-autorisées. Dans ses motifs concordants, le juge Goodwin s’exprimait comme suit, aux paragraphes 54 et 55 :

 

[54] Comment l'appelant peut-il prétendre à une atteinte à son droit « à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne », parce qu'on lui retire ses titres de créance de policier militaire, alors qu'en même temps, il demeure au travail, il effectue des tâches et assume des responsabilités compatibles avec son grade? De plus, il continue de recevoir sa solde.

 

[55] Cette instance se distingue nettement de celle concernant l'adjudant-maître Perrier, où notre Cour a conclu le 24 novembre 2000 à une atteinte au droit de celui-ci garanti par la Charte :

 

- Très brièvement

 

L'adjudant Perrier s'était reconnu l'auteur d'un vol de 40,000 $- Le juge militaire dans ce procès avait retenu 24 mois de la fin de l'enquête, ajoutant ainsi 6 mois après la mise en accusation. Ce délai avec les autres mesures, telles : le relevé de ses fonctions, la cessation du versement de sa solde, le début des mesures de « Clairance », des forces, etc... De plus aucune preuve n'avait été fournie pour expliquer ce long délai.

 

D’autre part, la Cour d’appel de la cour martiale s’exprimait encore une fois relativement au principe de justice fondamentale abordé dans l’arrêt Perrier dans Sa Majesté la Reine c. Langlois, 2001 CACM 3 aux paragraphes 16 à 18 :

 

[16] Dans Perrier, il est vrai que cette Cour, au paragraphe 44 de ses motifs, a référé au

“principe de justice fondamentale qui exige une justice expéditive”, mais c’était, selon moi, dans le contexte de l’abus de procédure. Il faut se rappeler que dans Perrier, l’accusé était passé aux aveux le 7 août 1997, qu’il avait été suspendu sans solde le 13 août 1997 et que la mise en accusation n’avait eu lieu que le 22 juin 1999. Perrier, à mon avis, n’a établi comme principe de justice fondamentale que l’obligation d’inculper avec célérité la personne qui avoue avoir commis le crime.

 

[17] Dans Larocque, je constate que le juge Létourneau, au paragraphe 17, a identifié le principe de justice fondamentale de manière plus précise que ne l’avait fait la Cour dans Perrier. Le principe, pour lui, dans les circonstances, était le suivant:

 

...une personne qui est arrêtée sans mandat parce que les autorités ont des motifs raisonnables de croire qu’elle a commis une infraction, qu’elle soit détenue ou remise en liberté, doit être mise en accusation dès que cela est matériellement possible et sans retard injustifié, sauf si, dans l’exercice de leur discrétion, les autorités renoncent à poursuivre.

 

[18] La conclusion qui s’impose, à mon avis, est que le délai pré-inculpatoire est un facteur dont on peut tenir compte pour identifier un principe de justice fondamentale, mais que ce facteur à lui seul n’emporte pas un manquement à la justice fondamentale. Le délai pré inculpatoire doit, plutôt, être associé à d’autres facteurs dont l’effet combiné place la conduite de l’État dans cette “catégorie résiduelle” décrite comme suit par le juge L’Heureux-Dubé dans O’Connor (supra, paragraphe 12) à la page 463:

 

...l’ensemble des circonstances diverses et parfois imprévisibles dans lesquelles la poursuite est menée d’une manière inéquitable ou vexatoire au point de contrevenir aux notions fondamentales de justice et de miner ainsi l’intégrité du processus judiciaire.

 

[17]           La cour rejette les prétentions de la requérante à l’effet qu’elle était à toute fin pratique accusée le 4 juin 2013 lorsque ses attestations de police militaires furent suspendues. La cour rejette également ses prétentions à l’effet qu’elle n’a su ce qu’on lui reprochait que lors de l’entrevue du 7 octobre 2013 avec l’enquêteur Dingwall. D’une part, la lettre l’informant de la suspension de ses attestations énonce suffisamment les raisons pour lesquelles ses attestations de police militaire ont été suspendues. Même si cette lettre ne mentionne pas les incidents particuliers dont elle était soupçonnée, elle ne peut prétendre que les renseignements n’étaient pas suffisants et que le choc qu’elle a eu, s’échelonnant sur plusieurs mois, l’aurait empêché de relire cette lettre et de la comprendre ou de se la faire expliquer par la suite. La requérante est une policière militaire d’expérience dont la candidature avait été retenue pour devenir enquêteur au Service national des enquêtes. Au surplus, la suspension des attestations de police militaire est une mesure administrative préventive applicable uniquement aux personnes nommées en vertu de l’article 156 de la Loi sur la défense nationale qu’il ne faut pas confondre avec un conseil de révision de carrière ou des mesures administratives applicables à l’ensemble des militaires des Forces canadiennes comme la mise en garde et surveillance ou la suspension des fonctions militaires.

 

[18]           En ce qui a trait à l’enquête qui visait le caporal-chef O’Brien, la cour rejette les prétentions de la requérante à l’effet qu’elle était de nature administrative et que l’enquêteur Dingwall n’avait pas de motifs raisonnables et probables de croire que d’autres infractions avaient été commises par la requérante. D’une part, la cour est satisfaite que cette enquête, par un enquêteur du Service national des enquêtes, visait à établir la preuve ou l’absence de preuve pouvant mener à des accusations disciplinaires ou criminelles. L’enquêteur Dingwall a témoigné que l’enquête avait été déclenchée à la suite d’une plainte de deux individus. Il ne s’agissait pas d’une enquête administrative faite à la suite d’une demande de la chaîne de commandement du caporal-chef O’Brien pour des fins administratives liées au Comité de révision des attestations de police militaire (voir Ordre 2-730 et 2-730.1, VD1-5). L’enquêteur a clairement indiqué à la requérante lors de l’entrevue du 7 octobre 2013 que le cadre de son enquête était de nature disciplinaire et criminelle. D’autre part, les motifs de l’enquêteur Dingwall pour élargir son enquête afin de couvrir la période où la requérante et son mari étaient en poste simultanément à Trenton sont logiques et cohérents. L’élargissement du cadre de l’enquête et les méthodes de l’enquêteur ont certes contribué à prolonger la durée totale de l’enquête, mais ces actions étaient justifiées par l’enquêteur. Il n’avait pas à mettre fin à son enquête parce que la personne visée par l’enquête trouvait que cela avait assez duré.

 

[19]           La cour accepte que la requérante a vécu un stress important, de l’anxiété et des moments dépressifs à partir du moment où ses attestations de police militaire ont été suspendues, et ce, sur la foi de son propre témoignage. Il serait toutefois erroné en fait et en droit de conclure que sa situation s’apparente avec celle de Perrier à la lumière des autres décisions de cette trilogie, soit les décisions de la Cour d’appel de la cour martiale dans Larocque et Langlois. Même si la cour comprend très bien le raisonnement de la requérante sur cette question, la cour ne peut retenir le 4 juin 2013 comme constituant le point de départ du délai. La cour conclut que le point de départ du calcul du délai est le 7 octobre 2013 lors de l’entrevue avec l’enquêteur Dingwall. Cela a pour effet de réduire la durée totale de la période de vingt-six à vingt-deux mois, ce qui demeure en soit un délai très important qui doit être expliqué. La preuve ne permet pas de conclure que la période totale de l’enquête était déraisonnable dans les circonstances en raison de la complexité de l’enquête attribuable aux délais inhérents associés à la validation manuelle de 6000 lignes d’information entreprises par l’enquêteur Dingwall. Au surplus, l’enquêteur Dingwall a expliqué qu’il s’agissait d’une enquête délicate parce qu’elle visait un policier militaire et qu’il devait la mener seul à toutes fins pratiques. Il a expliqué son emploi du temps et les autres fonctions qu’il devait assumer durant cette période. Le témoignage de la requérante illustre abondamment que le stress, l’angoisse et l’anxiété qu’elle a subi est attribuable en très grande partie à la suspension de ses attestations de police militaire. Force est de conclure que les circonstances de cette affaire ne sont pas suffisantes pour conclure à la violation de l’article 7 en contravention au principe de justice fondamentale exprimé dans l’arrêt Langlois à l’effet qu’une personne doit être mise en accusation dès que cela est matériellement possible et sans retard injustifié, sauf si, dans l’exercice de leur discrétion, les autorités renoncent à poursuivre. Ici, l’enquête s’est terminée en novembre 2014 et les accusations initiales étaient portées moins d’un an plus tard.

 

[20]           En ce qui a trait au volet de la requête qui allègue l’atteinte au droit à la sécurité de la requérante parce que sa santé mentale et ses pertes de mémoire l’empêche de pouvoir exercer son droit à une défense pleine et entière, la cour n’est pas satisfaite qu’il existe une prépondérance de preuve pour soutenir une telle affirmation. Qu’elle prétende ne pas avoir su et ne pas encore savoir pourquoi ses attestations de police militaire ont été suspendues parce qu’elle a été sous le choc pendant plusieurs mois dès l’annonce de sa suspension n’est pas supporté par la preuve. La lettre du 3 juin 2013 lui fournit les motifs de la suspension de ses attestations de police militaire, même si elle ne mentionne pas d’incidents spécifiques. Il s’agit d’allégations suffisamment précises dans le contexte de l’application des règles entourant la gouvernance du Groupe de la police militaire. Les pertes de mémoire et les autres éléments qu’elle invoque pour son incapacité de pouvoir bénéficier d’une défense pleine et entière doivent être évalués dans le contexte des procédures de cette cour martiale. Le visionnement de l’entrevue qu’elle a accordée le 7 octobre 2013 permet de constater qu’elle a fourni des explications à l’enquêteur à l’égard de chacune des questions qu’il lui a été posées. Lorsqu’elle était incapable de fournir une explication précise, elle exprimait son incapacité de le faire en donnant ses motifs. Par exemple, lorsque l’enquêteur lui donnait le nom d’une personne à l’égard de laquelle elle aurait effectué une recherche et qu’elle ne connaissait pas ledit nom, la requérante indiquait qu’elle avait peut-être effectué la recherche à la demande d’un autre policier militaire. Une telle explication est logique et cohérente dans les circonstances. La requérante sait depuis décembre 2014 ce qui lui est reproché lors du dépôt des accusations initiales et la mise en accusation a été prononcée en mars 2015, et ce, au même moment où elle recevait la divulgation de la preuve. À titre de policier militaire d’expérience, elle a pu ou elle pouvait prendre des notes dans le cadre de ses enquêtes ou dans l’accomplissement de toutes ses fonctions de police militaire pour l’ensemble de la période visée. Que sa mémoire soit défaillante à certains égards depuis juin 2013, elle avait les moyens et la formation nécessaire pour utiliser des outils qui lui rafraîchirait la mémoire pour les actions qu’elle a prises dans le cadre de ses fonctions durant la période visée par les accusations. D’ailleurs, la preuve indique que l’enquêteur a obtenu un certain nombre des carnets de notes de la requérante relativement à la période visée par les accusations. Là encore, la cour n’est pas satisfaite que la requérante a établi une prépondérance de preuve qu’elle est incapable d’exercer son droit à une défense pleine et entière en raison de ses pertes de mémoire. Si la requérante est insatisfaite des détails qui apparaissent aux deux chefs d’accusation, la cour lui accorde la permission de présenter à nouveau une requête pour détails.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR

 

[21]           REJETTE la requête.

 


 

Avocats :

 

Directeur des poursuites militaires tel que représenté par Major A.-C. Samson et Major A. Van Der Linde

 

Capitaine de corvette P.D. Desbiens, avocat de la défense pour la requérante



[1] Dans ce jugement, les sigles SISEPM (Système d’information – Sécurité et police militaire) et sa version anglaise SAMPIS (Security and Military Police Information System) sont employés de façon interchangeable.

[2] Dans ce jugement, les sigles CIPC (Centre d’information de la police canadienne) et sa version anglaise CPIC (Canadian Police Information Centre) sont utilisés de façon interchangeable.

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