Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 7 décembre 2015

Endroit :

Chefs d’accusation :

• Chefs d’accusation 1, 2, 4, 5, 7 : Art. 129 LDN, comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.
• Chefs d’accusation 3, 6, 8 : Art. 95 LDN, a maltraité une personne qui en raison de son grade lui était subordonnée.

Résultats :

• VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 2, 3, 4 : Coupable.
• SENTENCE : Un blâme et une amende au montant de 4000$.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. Duhart, 2015 CM 4023

 

Date : 20151211

Dossier : 201544

 

Cour martiale permanente

 

Base de soutien de la 5e Division du Canada Gagetown

Oromocto (Nouveau-Brunswick), Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Le sergent D.C. Duhart, contrevenant

 

 

En présence du Capitaine de frégate J.B.M. Pelletier, J.M.


 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Oralement)

 

INTRODUCTION

 

Les chefs d’accusation

 

[1]        Le sergent Duhart a été déclaré coupable de quatre chefs d’accusation portés en vertu du Code de discipline militaire relativement au harcèlement sexuel et au mauvais traitement de deux de ses subalternes qui servaient sous sa supervision immédiate au 42e Centre des Services de santé des Forces canadiennes, à la Garnison Gagetown, entre août 2011 et mars 2014. Deux des chefs d’accusation sanctionnent un comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline en vertu de l’article 129 de la Loi sur la défense nationale pour s’être livré à du harcèlement contrairement à la Directive et ordonnance administrative de la Défense (DOAD) 5012‑0. Ces deux chefs d’accusation se rapportent à des commentaires de nature sexuelle, faits à deux subalternes, à plusieurs reprises. Les deux autres chefs d’accusation sont liés au fait d’avoir maltraité une personne qui en raison de son grade lui était subordonnée contrairement à l’article 95 de la Loi sur la défense nationale. Ces deux chefs d’accusation se rapportent à un incident distinct d’attouchements non souhaités au visage et à la taille de chacune des plaignantes.

 

Les éléments tenus compte

 

[2]        Il m’incombe maintenant à titre de juge militaire présidant la présente Cour martiale permanente de déterminer la sentence. Pour ce faire, j’ai tenu compte des principes de la détermination de la sentence qu’appliquent les tribunaux ordinaires du Canada ayant compétence en matière pénale ainsi que les cours martiales. J’ai également tenu compte des faits de l’espèce, des trois pièces déposées par la poursuite lors de l’audience de la détermination de la sentence et des plaidoiries des avocats.

 

L’objet du système de justice militaire

 

[3]        Le système de justice militaire constitue l’ultime recours pour assurer le respect de la discipline dans les Forces armées canadiennes, et est une composante essentielle de l’activité militaire. Ce système a pour but de favoriser un bon comportement en permettant l’infliction de la peine appropriée en cas d’inconduite. C’est grâce à la discipline qu’une force armée s’assure que ses membres rempliront leurs missions avec succès et d’une manière fiable.

 

LES OBJECTIFS ET PRINCIPES DE LA DÉTERMINATION DE LA SENTENCE

 

[4]        L’objectif fondamental de la détermination de la sentence par une cour martiale est d’assurer le respect de la loi et le maintien de la discipline par l’infliction de peines qui répondent au moins à l’un des objectifs suivants :

 

a)                  protéger le public, ce qui comprend les Forces armées canadiennes;

 

b)                  dénoncer le comportement illégal;

 

c)                  dissuader le contrevenant et quiconque de commettre les mêmes infractions;

 

d)                  isoler au besoin les contrevenants du reste de la société; et

 

e)                  réadapter et réformer les contrevenants.

 

[5]        Lorsqu’il s’agit de déterminer la sentence appropriée, le juge doit également tenir compte des principes suivants :

 

a)                  la sentence doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction;

 

b)                  la sentence doit être proportionnelle à la responsabilité et aux antécédents du contrevenant;

 

c)                  la sentence doit être analogue aux sentences qui ont été infligées à des contrevenants ayant commis de semblables infractions dans de semblables circonstances;

 

d)                  le cas échéant, le contrevenant ne devrait pas être privé de sa liberté, si une peine moins contraignante peut être justifiée; et

 

e)                  toutes sentences devraient être adaptées aux circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration des infractions ou à la situation du contrevenant.

 

[6]               Cela dit, la peine infligée par un tribunal devrait constituer l’intervention minimale nécessaire qui est adéquate dans les circonstances particulières. Cela veut dire, pour une cour martiale, infliger la sentence composée de la peine minimale ou la combinaison de peines que requiert le maintien de la discipline.

 

[7]               Les Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes exigent que le juge d’une cour martiale infligeant une sentence tienne compte de « toute conséquence indirecte du verdict ou de la sentence; et prononce une sentence proportionnée à la gravité de l’infraction et aux antécédents du contrevenant. » La sentence infligée doit être adaptée au contrevenant et à l’infraction qu’il a commise. La sentence doit également être analogue à celles qui ont été infligées à des contrevenants ayant commis de semblables infractions dans de semblables circonstances.

 

LES INFRACTIONS ET LE CONTREVENANT

 

Les infractions

 

[8]               Les circonstances des infractions ont été relatées à la Cour par les deux plaignantes et par trois autres témoins de la poursuite qui travaillaient à l’Unité de prestation de soins de santé « A » (UPSS « A ») du Centre de santé de Gagetown. Les deux plaignantes servaient comme techniciennes médicales (tech méd) sous la supervision immédiate du sergent Duhart, avec environ cinq autres tech méd. Au début, le sergent Duhart était responsable adjoint (second e/n) en tant que caporal‑chef, puis est devenu responsable (resp) de l’UPSS « A » à la suite de sa promotion à son grade actuel en 2013. Plusieurs des remarques ou gestes attribués au contrevenant par ces témoins ont été subséquemment admis par le contrevenant lors de son témoignage. Les circonstances sont les suivantes :

 

a)                  Au début de février 2014, le caporal M conversait avec une collègue dans la salle des tech méd et disait ne pas être enthousiaste à l’idée d’aller chez le dentiste lorsque le sergent Duhart est intervenu dans la conversation. Il a demandé comment elle pouvait détester aller chez le dentiste alors qu’elle avait des dents si blanches, mentionnant que « ça doit être parce que vous avez beaucoup de sperme dans la bouche ». Il a ensuite dit qu’il se demandait « à qui ce sperme peut bien appartenir » étant donné que son mari était déployé à l’époque.

 

b)                  Après la conversation, le caporal M était très vexé que son superviseur ait pu lui dire une chose pareille et a estimé qu’elle encaissait ce genre de remarques depuis trop longtemps et en ressentait l’effet combiné. Un peu plus tard, le sergent Duhart a remarqué qu’elle avait l’air contrariée et lui a demandé si elle était de mauvaise humeur parce qu’elle avait ses règles. Il a également commencé à lui enfoncer le doigt dans le visage et dans l’oreille de façon agaçante. Elle lui a dit d’arrêter mais il a continué jusqu’à ce qu’elle lui dise d’arrêter sans quoi elle lui briserait la main. Il a alors arrêté. Cet incident est visé par la déclaration de culpabilité à l’égard du deuxième chef d’accusation.

 

c)                  Il s’est produit un autre incident lorsque le caporal M conversait avec une collègue au sujet du fait qu’elle se préparait pour le retour de déploiement imminent de son mari. Le sergent Duhart a interrompu la conversation pour lui demander si elle s’était « rasée au complet » pour le retour de son mari. Elle a tout de suite supposé qu’il faisait allusion au rasage de sa région vaginale, compte tenu de ses expériences antérieures avec le sergent Duhart et de son style de plaisanteries. Elle a dit qu’elle trouvait cette remarque grossière et que cela la rendait nerveuse et mal à l’aise, alors qu’elle avait une conversation à bâtons rompus avec une collègue.

 

d)                  À plusieurs reprises au lieu de travail, le sergent Duhart a tenu une banane dans son entrejambe ou dans la fermeture éclair de son pantalon. Une fois, il a demandé au caporal M si elle voulait une bouchée de la banane, alors qu’il se tenait à un pied devant la chaise sur laquelle elle était assise.

 

e)                  À plusieurs reprises alors que le sergent Duhart se rendait à la salle de bain, il a lancé à toutes les personnes présentes qu’il avait besoin d’aide pour tenir son pénis, car il était « trop lourd ». Il a demandé si quelqu’un pouvait tenir « dix livres » ou employé des termes en ce sens. Une fois, le sergent Duhart a demandé au caporal M si elle pouvait « tenir son pénis » pendant qu’il allait aux toilettes, car il avait mal au dos.

 

f)                    Quand il arrivait au travail le matin, le sergent Duhart demandait aux personnes présentes si elles avaient rêvé de lui la nuit précédente ou au cours de la fin de semaine. Cette question a été posée directement aux deux plaignantes à quelques reprises. Le matelot de 2e classe C s’est fait murmurer la question à l’oreille. On a supposé que le sergent Duhart faisait allusion à un rêve de nature sexuelle.

 

g)                  Un matin, le caporal M est allée chercher une paire de bottes de combat dans la pièce où elle les avait oubliées l’avant‑midi précédent. Ses bas et ses sous‑vêtements étaient pliés dans ses bottes. Le sergent Duhart a lancé « Ah oui! Je trouvais que ça sentait pas mal la fermentation ».

 

h)                  À l’époque où le matelot de 2e classe C était manifestement enceinte, le sergent Duhart est entré au travail en demandant « Comment va mon bébé aujourd’hui? » Elle a senti qu’il laissait entendre qu’il était le père de l’enfant, ce qui l’a fâchée parce que son mari était également tech méd au 42e Centre des Services de santé.

 

i)                    Le matelot de 2e classe C a confié au sergent Duhart, son superviseur, qu’en raison d’incidents passés, elle souffrait d’une maladie mentale pour laquelle elle recevait des traitements réguliers. Dès qu’il a été au courant de son état, le sergent Duhart lui a fait subir ce qu’il a qualifié de « contrôles de sensibilité », qui consistaient à se placer derrière elle quand elle ne s’y attendait pas et à lui faire fléchir les genoux, à la saisir par les cheveux ou par la taille quand elle était assise sur une chaise. Il a continué cette pratique après s’être fait dire d’arrêter. Il agissait ainsi pour voir comment elle réagirait. Si elle ne bronchait pas, il disait qu’elle avait une « bonne journée », en voulant dire que son état était bien contrôlé. Elle a dit que cela la faisait se sentir vulnérable et déclenchait certains des symptômes liés à son état. Ce comportement est visé par le verdict de culpabilité à l’égard du quatrième chef d’accusation porté en vertu de l’article 95 de la Loi sur la défense nationale pour mauvais traitement d’un subalterne.

 

[9]               Quant aux répercussions que ces « plaisanteries » importunes et attouchements non souhaités ont eues sur les victimes, elles ont toutes deux affirmé qu’elles n’appréciaient pas du tout le fait d’être traitées ainsi par leur supérieur. Les remarques du sergent Duhart les ont déprimées. Elles se sont toutes les deux adressées directement aux supérieurs du sergent Duhart, à plusieurs reprises, pour leur demander d’intervenir. Malheureusement, elles n’ont reçu aucune aide. Une des victimes a affirmé qu’on lui avait dit « Il est comme ça le sergent Duhart. » en voulant dire qu’elle devrait s’y faire. Les deux victimes ont eu l’impression que leur situation était désespérée et, il leur est arrivé, de ne pas vouloir retourner au travail, car elles allaient devoir affronter le sergent Duhart.

 

Le contrevenant

 

[10]           Le sergent Duhart est un technicien médical, âgé de 38 ans, originaire de Terre‑Neuve, qui sert au 42e Centre des Services de santé des Forces canadiennes Gagetown depuis 2010. Il s’est enrôlé dans les Forces armées canadiennes en avril 2000 en tant que monteur de lignes. Après avoir suivi une formation professionnelle initiale et élémentaire, il a servi au 1er Hôpital de campagne du Canada à Petawawa, au Centre des Services de santé à Halifax et à son détachement à St. John’s ainsi qu’à bord d’un navire. Il a participé à une opération à bord du NCSM Iroquois au sein d’un groupe de la flotte navale de l’OTAN pendant quatre mois en 2006. Il est actuellement dans une catégorie médicale temporaire qui pourrait compromettre un service futur au sein des Forces armées canadiennes. Il a trouvé une conjointe de fait depuis son enrôlement et il a une fille de 11 ans.

 

[11]           Le commandant et le chef d’unité du contrevenant ont témoigné pour la poursuite lors de l’audience de la détermination de la sentence. Ils connaissaient peu le sergent Duhart, ayant tous deux été nommés récemment. Ce qui m’apparaît important dans leur témoignage, du point de vue du contrevenant, c’est que des mesures administratives ont été prises à la suite des événements, à l’origine des infractions, et que la période de surveillance dont le sergent Duhart a fait l’objet s’est achevée avec succès. Le sergent Duhart n’a pas eu de comportement douteux depuis. Je crois comprendre qu’il continuera à travailler à l’unité sous étroite supervision après le prononcé de la sentence.

 

[12]           Le témoignage de l’adjudant Dickson, un adjoint au médecin qui travaille en collaboration étroite avec le sergent Duhart depuis le mois d’août de cette année, est encore plus important du point de vue du contrevenant. Il a dit que le sergent Duhart était venu le voir dès le début et lui avait carrément demandé d’être le mentor dont il disait avoir besoin. Le sergent Duhart a démontré une volonté et une capacité d’accepter les conseils et de les suivre. D’après ce que l’adjudant Dickson a vu du comportement du sergent Duhart, il croit qu’on peut compter sur lui pour superviser des subalternes de façon adéquate et appropriée. Il a évalué très franchement le rendement clinique du sergent Duhart et a dit qu’il possédait un potentiel dans la moyenne pour un sergent. L’adjudant Dickson a dit qu’il « serait dommage de sous‑employer » le sergent Duhart étant donné qu’il avait mérité son grade et les responsabilités qui s’y rattachent. L’unité perdrait donc une expertise considérable et une importante contribution s’il devait être renvoyé ou sous‑employé.

 

[13]           Enfin et surtout, le sergent Duhart a témoigné à l’audience de la détermination de la sentence. Manifestement secoué et manquant de mots pour décrire comment il se sentait, il a témoigné des rendez‑vous médicaux auxquels il doit se présenter parce qu’il est en dépression. Il a dit être embarrassé par ses actes et en avoir honte. Il a directement présenté des excuses à l’une des victimes qui était présente à la Cour, affirmant ne pas avoir voulu lui manquer de respect à elle ou à son mari, et être terriblement désolé de ce qu’il avait dit et fait. Il a également dit regretter d’être un embarras pour son unité.

 

LA POSITION DES PARTIES RELATIVEMENT À LA SENTENCE

 

La poursuite

 

[14]           En ce qui a trait à la détermination de la sentence appropriée, la poursuite a insisté sur les objectifs de dénonciation et de dissuasion et a demandé à la présente Cour d’infliger une sentence de détention d’une durée de cinq à dix jours.

 

La défense

 

[15]           En réponse aux observations de la poursuite, l’avocat de la défense a fait valoir qu’une sentence privative de liberté n’était pas justifiée. Il affirme que le sergent Duhart a reçu une leçon dure et je considère ces observations comme signifiant que l’avocat de la défense prétend que le principal objectif de la détermination de la sentence en l’espèce est celui de la réadaptation. La sentence suggérée par l’avocat de la défense est donc un blâme, assorti d’une amende entre 2 000 $ et 2 500 dollars.

 

ANALYSE

 

La gravité objective des infractions

 

[16]           Pour déterminer une sentence équitable et appropriée, la Cour a tenu compte de la gravité objective des deux infractions de comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline et des deux infractions de mauvais traitements à des subalternes comme en témoignent les peines maximales qu’elle pourrait infliger. Les infractions prévues à l’article 129 de la Loi sur la défense nationale sont punissables de destitution ignominieuse du service de Sa Majesté et les infractions prévues à l’article 95 de la Loi sur la défense nationale sont punissables d’un emprisonnement de moins de deux ans. Une seule sentence peut être infligée pour l’ensemble des infractions.

 

Les facteurs aggravants

 

[17]           Les circonstances des infractions démontrent à la Cour une tendance à avoir un comportement et à faire des commentaires constituant du harcèlement sexuel de la part d’un sous‑officier (s/off) supérieur exerçant des fonctions de supervision au lieu de travail, à l’endroit surtout de deux subalternes de sexe féminin consistant en des commentaires inappropriés et, parfois très crus de nature sexuelle. Ce comportement était répétitif et s’est manifesté pendant des mois et des mois. Dans le cadre de ce harcèlement sexuel, il y a eu deux incidents d’attouchements non souhaités qui, à l’égard de victimes psychologiquement vulnérables en l’espèce, ont constitué des mauvais traitements à des subalternes, même si le degré de violence manifesté était minimal.

 

[18]           J’estime, aux fins de la détermination de la sentence, que la présente affaire porte en réalité sur du harcèlement au travail. C’est grave. Comme l’a conclu la Cour suprême du Canada dans Janzen c. Platy Enterprises Ltd., [1989] 1 R.C.S. 1252 au paragraphe 56 :

 

Le harcèlement sexuel en milieu de travail est un abus de pouvoir tant économique que sexuel. Le harcèlement sexuel est une pratique dégradante, qui inflige un grave affront à la dignité des employés forcés de le subir. En imposant à un employé de faire face à des gestes sexuels importuns ou à des demandes sexuelles explicites, le harcèlement sexuel sur le lieu de travail est une atteinte à la dignité de la victime et à son respect de soi, à la fois comme employé et comme être humain.

 

[19]           Ce principe n’est pas formulé uniquement dans la jurisprudence de la Cour suprême; il figure dans la politique DOAD 5012‑0 des Forces armées canadiennes sur la prévention et la résolution du harcèlement qui reconnaît que « [t]ous les membres des FAC et les employés du MDN ont le droit d’être traités avec équité, respect et dignité dans un milieu de travail exempt de harcèlement, et ils ont par ailleurs la responsabilité de traiter les autres de la même façon. » Il s’agit d’une norme qui a été régulièrement appliquée par les dirigeants des Forces armées canadiennes, tant sur le plan administratif que par le biais de poursuites intentées sous le régime du Code de discipline militaire, notamment devant les cours martiales.

 

[20]           Le comportement que le sergent Duhart a affiché en l’espèce était importun et aurait dû être considéré comme tel à plusieurs reprises. Même si je devais convenir que le sergent Duhart voyait plusieurs de ses remarques comme des plaisanteries, il reste qu’il aurait dû se rendre compte que ses plaisanteries n’étaient pas drôles. Cela est d’autant plus vrai du fait qu’on lui avait confié des responsabilités de supervision l’obligeant à porter une attention particulière à ses subalternes et à voir à leur bien‑être. Les infractions révèlent de graves lacunes sur le plan du leadership et un facteur aggravant évident.

 

[21]           L’autre facteur aggravant en l’espèce tient au traumatisme que les actes du sergent Duhart ont causé aux deux victimes. L’une d’elles était peut‑être vulnérable en raison de circonstances indépendantes de la volonté du contrevenant, mais il lui incombait en tant que supérieur de l’aider, plutôt que d’aggraver son état. Les deux victimes en avaient tellement assez du comportement du contrevenant qu’elles ne voulaient plus se présenter au travail et sont devenues déprimées. Toutefois, je reconnais que le sentiment de désespoir qu’elles ont fini par éprouver n’était pas entièrement attribuable au sergent Duhart. Ces personnes sont allées voir les supérieurs du sergent Duhart pour obtenir de l’aide à l’égard du harcèlement sexuel qu’elles subissaient dans leurs rapports avec lui. De leur point de vue, on a refusé de les aider. Je les crois. J’estime que le sentiment de désespoir qu’elles ont fini par éprouver ne peut être attribué uniquement au mauvais comportement du contrevenant, mais qu’il découlait également de l’inaction des officiers plus haut placés dans la chaîne de commandement. Ils ne semblent pas eux non plus avoir satisfait à la norme de comportement prescrit par la DAOD 5012‑0.

 

Les facteurs atténuants

 

[22]      La Cour a également tenu compte des facteurs atténuants suivants, tels qu’ils ont été mentionnés dans les plaidoiries des avocats et établis par la preuve présentée relativement à l’atténuation de la sentence, plus particulièrement par l’avocat de la défense :

 

a)                  D’abord et avant tout, le témoignage du sergent Duhart lors de l’audience de la détermination de la sentence selon lequel il regrettait ses actes et ses excuses à la victime présente. La Cour y voit un véritable signe de remords et une indication qu’il assume l’entière responsabilité de ce qu’il a fait. Cette admission de responsabilité s’est produite au cours d’une audience publique très officielle de la présente Cour martiale, en présence des membres de son unité et de sa chaîne de commandement;

 

b)                  Le fait que le sergent Duhart n’a pas de fiche de conduite et a servi les Forces armées canadiennes avec honneur pendant plus de 15 ans et, en assumant, des responsabilités accrues et, on peut présumer, en réalisant des accomplissements importants;

 

c)                  Les admissions de faits du sergent Duhart qui ont permis que le présent procès se déroule plus rapidement et plus efficacement même si ce facteur n’a pas tout à fait le même effet qu’un plaidoyer de culpabilité;

 

d)                  Le fait que le comportement et l’attitude du sergent Duhart semblent avoir beaucoup changé depuis que des mesures ont été prises contre lui par sa chaîne de commandement, moment auquel il a finalement dû faire face au caractère inacceptable de son comportement et aux répercussions que ses actes ont eues sur ses subalternes.

 

e)                  L’âge du sergent Duhart et le fait qu’il peut contribuer à la difficile mission confiée à son unité. Comme l’a mentionné l’adjudant Dickson, cette contribution serait plus efficace si le sergent Duhart se voyait confier des responsabilités correspondant à son grade et à son expérience. Peu importe son avenir dans les Forces canadiennes, il reste que le sergent Duhart est sur la voie de la réadaptation et peut encore apporter une contribution positive à la société canadienne à n’importe quel titre.

 

Les objectifs de la détermination de la sentence sur lesquels il faut insister en l’espèce

 

[23]           Je suis arrivé à la conclusion que dans les circonstances particulières de l’espèce, il faut insister pour déterminer la sentence sur les objectifs de dénonciation et de dissuasion. Compte tenu de la nature des infractions, la Cour fait siennes les remarques du juge Lamont de la Cour martiale permanente dans R. c. Caporal Priemus, 2006 CM 2013 au paragraphe 9 selon lesquelles les victimes de harcèlement ont droit au respect de leurs pairs, de leurs supérieurs et de leurs subalternes, ajoutant ceci :

 

[...] [l]a Cour doit aussi être préoccupée par l’effet dissuasif. Les membres des Forces canadiennes, notamment les membres féminins qui sont le plus souvent [victimes] de ce comportement, doivent avoir l’assurance que leur dignité est respectée par les autres membres.

 

[24]           Cela dit, je crois également que la réadaptation est importante en l’espèce. La preuve révèle qu’après que sa chaîne de commandement eut pris des mesures à l’égard de son comportement, le sergent Duhart n’a pas commis d’autres infractions. Il a apporté une contribution productive depuis, malgré les limitations liées à ses rendez‑vous médicaux. Il est possible de conclure à la lumière de la preuve entendue pendant le procès du sergent Duhart, qu’au moment où il a commis les infractions, ne bénéficiait pas du mentorat et du soutien qu’une personne soudainement investie d’une fonction de leadership devrait avoir. Il a été propulsé au poste de resp en l’absence du sergent et au moment de sa promotion, semblait travailler pour quelqu’un qui ne tenait peut‑être pas suffisamment compte de la nécessité de fournir un milieu de travail exempt de tout comportement inapproprié pouvant constituer du harcèlement.

 

La sentence de détention proposée par la poursuite

 

[25]           Comme je l’ai déjà mentionné, la poursuite me demande d’infliger une sentence de détention d’une durée de cinq à dix jours, une durée qui est en réalité symbolique car il est difficile d’imaginer que quelqu’un puisse s’engager dans un réel processus de réflexion et de rééducation en si peu de temps. À l’appui de cette demande, la poursuite a attiré mon attention sur quatre décisions, vraisemblablement pour indiquer la gamme des sentences qui pourraient s’appliquer dans des affaires semblables. La seule décision portant sur une sentence de détention est la décision R. c. Snow, 2015 CM 4003 dans laquelle j’ai accepté, le 16 mars de cette année, une recommandation conjointe des avocats d’imposer une détention d’une durée de sept jours et une amende de 1 000 $. Il s’agissait d’une affaire où un caporal‑chef avait tendu une embuscade à un caporal dans le stationnement de son unité pour lui asséner un coup de poing, car il soupçonnait le caporal d’avoir eu des rapports intimes avec son épouse. L’affaire du Caporal-chef Snow n’a rien à voir avec la présente affaire qui, je le répète, porte sur du harcèlement sexuel et des mauvais traitements connexes de la part d’un superviseur à l’endroit de deux subalternes. Dans les trois autres décisions soumises par la poursuite dont les circonstances ressemblent à celles de l’espèce, la sentence la plus sévère qui a été infligée consistait en un blâme et une amende de 4 000 $ dans R. c. McCabe et Gibson, 2010 CM 2008. Ce en tenant compte du fait, bien sûr, que la sentence infligée dans R. c. Mat1 Bernier, 2002 CM 15 où une rétrogradation imposée au procès a été réduite à un blâme en appel, un détail dont j’ai dû me rendre compte par moi-même sur le banc hier. L’autre décision soumise était R. c. Whitten, 2012 CM 4004, dans laquelle le juge militaire a accepté une recommandation conjointe d’un blâme et une amende de 3 000 $.

 

[26]           À la fin de ses plaidoiries, la poursuite a reconnu n’avoir connaissance d’aucune affaire de harcèlement sexuel ou de mauvais traitements à des subalternes dans des circonstances semblables à celles de l’espèce, où une sentence de détention a été infligée. En fait, la poursuite n’a même pas été en mesure de soumettre à la Cour une affaire où la peine suivante dans l’échelle des peines, c’est‑à‑dire, la rétrogradation, a été infligée pour du harcèlement sexuel.

 

[27]           Donc, ce que la poursuite demande à la Cour, c’est d’élargir la gamme des sentences applicables pour y ajouter la détention, une sentence privative de liberté qui ne devrait être infligée qu’en dernier recours.

 

[28]           Je tiens à dire que la Cour n’est pas isolée de la société ni des Forces armées canadiennes. Je sais que les Forces armées canadiennes ont fait l’objet d’une attention accrue ces derniers temps en ce qui concerne l’inconduite sexuelle. Bien qu’aucune preuve n’ait été présentée pour expliquer en quoi consiste l’opération (Op) HONOUR, le CANFORGEN 130/15 qui constitue l’ordre de l’actuel chef d’état‑major de la défense à l’ensemble des Forces armées canadiennes peut être pris en connaissance judiciaire en vertu de l’article 15 des Règles militaires de la preuve, compte tenu de son caractère extraordinaire. Ce message portait sur l’inconduite sexuelle et l’Op HONOUR. Je serais disposé à examiner de la preuve et des arguments étayés par de la doctrine et de la jurisprudence, qui expliqueraient en quoi il serait approprié d’élargir la gamme des sentences pour les infractions d’inconduite sexuelle. On ne m’a rien fourni de tel à l’audience de la détermination de la sentence d’hier. Dans ces circonstances, je suis forcé de conclure que la proposition de détention de la poursuite n’a été faite que pour la forme et qu’elle manque totalement de substance. Si la punition de l’inconduite sexuelle est importante pour les Forces armées canadiennes, je m’attendrais à ce que les procureurs militaires la traitent comme telle et préparent de la preuve et des observations en matière de la détermination de la sentence permettant à un juge, agissant judiciairement, d’élargir la gamme des sentences ou à tout le moins d’infliger une sentence ne faisant pas partie de la gamme en raison de circonstances particulièrement aggravantes.

 

[29]           Certains diront que, en tant que juge chargé de la détermination de la sentence, je pourrais combler les lacunes de la poursuite, faire mes propres recherches et étayer l’infliction d’une sentence ne faisant pas partie de la gamme habituelle. Une telle affirmation ne tient pas compte du fait que, à titre de juge, je suis tenu d’agir judiciairement, en me fondant sur la preuve et le droit qui me sont soumis. Je ne puis à la fois être la poursuite et un juge. Cela serait injuste pour le sergent Duhart et, en fait, desservirait l’administration de la justice.

 

[30]           Par conséquent, compte tenu de l’absence totale de justification à l’égard d’une sentence de détention dans la présente affaire, je ne l’envisagerai pas. Ce, même en tenant compte de l’offre que l’avocat de la défense a faite en réponse à ma question selon laquelle l’accusé préférerait la détention pour une courte période à l’emprisonnement. Une sentence qui n’est pas appropriée ne peut être rendue acceptable par le consentement des avocats.

 

La détermination de la sentence appropriée

 

[31]           Un principe important veut que la Cour inflige la peine la moins sévère permettant de maintenir la discipline. Comme je viens de le mentionner, la peine de détention est exclue. La peine suivante par ordre de gravité est la rétrogradation. J’estime que cette peine fait partie de la gamme des sentences qui peuvent être infligées dans une affaire comme l’espèce compte tenu de R. c. Sergent A. Quinn, 2000 CM 65, qui n’a pas été mentionnée par la poursuite à l’audience de la détermination de la sentence mais qui a été portée à mon attention dans le cadre des plaidoiries relatives au verdict sur la portée de l’article 95 plus tôt au cours du procès. Il s’agit d’un précédent dont je ne peux faire abstraction. Dans cette décision, le juge militaire Ménard a déclaré l’accusé coupable de trois chefs d’accusation de mauvais traitements portés en vertu de l’article 95 et a imposé une rétrogradation au grade de caporal. Il s’agissait, toutefois, d’une deuxième infraction semblable pour le sergent Quinn, un facteur aggravant important qui n’existe pas en l’espèce.

 

[32]           Après avoir déterminé la peine maximale que je peux infliger, je dois éviter de faire l’erreur de commencer mon analyse par cette peine. Je dois plutôt commencer mon analyse par la peine la moins sévère proposée par l’avocat de la défense et me demander si cette peine ou combinaison de peines serait suffisante pour atteindre les objectifs de la détermination de la sentence que j’ai établis ci‑dessus, à savoir la dénonciation, la dissuasion et la réadaptation. Je remonterai ensuite l’échelle figurant à l’article 139, au besoin.

 

[33]           La peine combinant un blâme et une amende, proposée comme point de départ par la défense, est‑elle suffisante pour atteindre ces objectifs de la détermination de la sentence? On l’a considérée comme telle par le passé et on ne m’a présenté aucun argument de fond expliquant pourquoi elle serait inadéquate maintenant. Il me semble clair, cependant, que l’effet d’une telle peine par rapport à l’objectif de la dénonciation du comportement du contrevenant est plus faible que dans le cas d’une rétrogradation. Pourtant, je ne peux faire abstraction des répercussions que la tenue du présent procès a eues, non seulement sur le contrevenant, mais aussi sur l’unité et sur l’ensemble de la collectivité militaire ici à la Garnison Gagetown. Elle indique que le comportement du contrevenant n’a pas été toléré. Il est puni et la tenue de ce processus en public a un effet dissuasif et permet d’atteindre le double objectif de la dissuasion générale et particulière, comme chacune des nombreuses personnes ayant assisté à l’instance peut l’attester.

 

[34]           Il s’agit d’un cas serré. J’ai mis en balance le degré d’inconduite que la présente affaire fait ressortir et les répercussions sur les victimes attribuables au comportement du contrevenant avec les répercussions importantes qu’une rétrogradation aurait sur le sergent Duhart et son unité. En effet, selon l’adjudant Dickson, qui m’a donné l’impression d’être digne de confiance, l’unité serait désavantagée par la perte de la contribution que le contrevenant peut apporter, au grade de sergent. Compte tenu de la preuve et de la jurisprudence qui m’ont été soumises à l’audience de la détermination de la sentence, ainsi que des plaidoiries des avocats, j’estime qu’on ne m’a pas présenté suffisamment d’arguments de fond pour conclure qu’un blâme assorti d’une amende importante ne permettrait pas d’atteindre les objectifs de la détermination de la sentence en l’espèce. Je conclus que la sentence minimale qui sert les intérêts de la justice dans le cas d’un contrevenant qui en est à sa première infraction comme le sergent Duhart correspond à la sentence maximale qui m’a été présentée dans la jurisprudence pertinente qui m’a été soumise par la poursuite à l’audience de la détermination de la sentence, c’est‑à‑dire, un blâme assorti d’une amende de 4 000 $.

 

[35]           Sergent Duhart, les circonstances des quatre chefs d’accusation dont je vous ai déclaré coupable révèlent un comportement scandaleux et totalement inacceptable de la part de quiconque est en service. Vous le comprenez maintenant. Je crois que les regrets que vous avez exprimés dans cette salle d’audience hier et les excuses que vous avez présentées directement à l’une des victimes et aux hauts dirigeants de votre unité sont sincères. Cependant, on ne saurait trop insister sur la gravité de ce que vous avez fait et les répercussions de votre comportement sur autrui. Sans le témoignage de l’adjudant Dickson hier, vous auriez quitté cette salle d’audience en tant que caporal. Ses paroles, ainsi que la sincérité dont vous avez fait preuve hier m’ont convaincu que votre attitude a changé et que vous êtes sur la voie de la réadaptation. La route est longue et vous allez devoir faire face à de la méfiance et à des jugements de valeur pendant un certain temps. Prenez‑le pour ce que ça vaut, mais vous devez savoir que moi, qui vous ai jugé et infligé une sentence, je pense que vous pouvez sortir de cette salle d’audience la tête haute, après avoir fait front et avoir démontré que vous êtes en train de devenir une meilleure personne qui a appris de ses erreurs et qui ne commettra pas d’autres infractions. Le reste de votre vie commence maintenant, essayez de passer à autre chose.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[36]           VOUS CONDAMNE à un blâme et à une amende au montant de 4 000 $, payable en dix versements mensuels de 400 $, commençant au plus tard le 1er février 2016. Dans l’éventualité où vous seriez libéré des Forces armées canadiennes avant que l’amende soit entièrement acquittée, tout solde impayé sera exigible le jour précédant votre libération.


 

Avocats :

 

Le Directeur des Poursuites militaires, représenté par le major D. Martin

 

Le major D. Hodson, Direction du Service d’avocats de la défense, avocat du sergent D.C. Duhart

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