Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 2 février 2015.

Endroit : BFC Trenton, édifice 22, 74 avenue Polaris, Astra (ON).

Chefs d’accusation :

• Chef d’accusation 1 : Art. 84 LDN, a usé de violence envers un supérieur.
• Chef d’accusation 2 : Art. 85 LDN, s’est conduit d’une façon méprisante à l’endroit d’un supérieur.
• Chef d’accusation 3 : Art. 116 LDN, a volontairement endommagé un bien public.

Résultats :

VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 3 : Non coupable. Chef d’accusation 2 : Coupable.
SENTENCE : Un blâme et une amende au montant de 2000$.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. Mader, 2015 CM 3003

 

Date : 20150205

Dossier : 201314

 

Cour martiale permanente

 

Base des Forces canadiennes Trenton

Trenton (Ontario), Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Caporal G.G. Mader, contrevenant

 

 

En présence du : Lieutenant-colonel L.-V. dAuteuil, J.M.


 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Oralement)

 

[1]               La Cour a déclaré le caporal Mader coupable d’une infraction consistant à s’être conduit de façon méprisante envers un supérieur, contrairement à l’article 85 de la Loi sur la défense nationale. Il est maintenant de mon devoir à titre de juge militaire présidant cette cour martiale de déterminer la sentence.

 

[2]               Dans le contexte particulier d’une force armée, le système de justice militaire constitue l’ultime recours pour faire respecter la discipline, une dimension essentielle de l’activité militaire, dans les Forces canadiennes. Le but de ce système est de prévenir l'inconduite ou de façon plus positive de favoriser le bon comportement. C’est grâce à la discipline qu’une force armée s’assure que ses membres rempliront leur mission avec succès, de manière fiable et confiante. Le système veille aussi au maintien de l’ordre public et fait en sorte que les personnes assujetties au Code de discipline militaire soient punies de la même façon que toute autre personne vivant au Canada.

 

[3]               En l’espèce, la poursuite a suggéré à la Cour de condamner le caporal Mader à une rétrogradation. L’avocat du contrevenant a recommandé à la Cour de lui imposer une amende d’un montant se situant entre 500 et 1 000 $.

 

[4]               La détermination de la sentence en cour martiale vise fondamentalement à assurer le respect de la loi et le maintien de la discipline militaire. Or, la loi ne permet pas à un tribunal militaire d’imposer une sentence qui irait au-delà de ce qu’exigent les circonstances de l’affaire. En d’autres mots, toute sentence infligée par un tribunal doit être individualisée et représenter l’intervention minimale requise, puisque la modération est le principe fondamental de la théorie moderne de la détermination de la sentence au Canada.

 

[5]               Afin de déterminer la sentence, je dois prendre compte de certains objectifs et principes. En fait d’objectifs, je dois tenir compte des suivants :

 

a)                  protéger le public, y compris les Forces canadiennes;

 

b)                  dénoncer le comportement illégal;

 

c)                  dissuader le contrevenant et quiconque de commettre les mêmes infractions;

 

d)                  isoler au besoin les contrevenants du reste de la société; et

 

e)                  favoriser la réadaptation et la réforme du contrevenant.

 

[6]               Je dois également tenir compte des principes suivants :

 

a)                  la sentence doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction;

 

b)                  la sentence doit être proportionnelle à la responsabilité du contrevenant et aux antécédents de celui-ci;

 

c)                  l’harmonisation des peines, c’est-à-dire l’infliction de peines semblables à celles infligées à des contrevenants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables;

 

d)                  l’obligation, avant d’envisager la privation de liberté par l’emprisonnement ou la détention, d’examiner la possibilité de sanctions moins contraignantes lorsque les circonstances le justifient. En bref, la Cour ne devrait avoir recours à une sentence d’emprisonnement ou de détention qu’en dernier ressort, comme l’ont établi la Cour d’appel de la cour martiale et la Cour suprême du Canada dans leurs décisions; et

 

e)                  enfin, toutes sentences devraient être adaptées aux circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration des infractions ou à la situation du contrevenant.

 

[7]               La Cour est d’avis que la sentence en l’espèce devrait mettre l’accent sur les objectifs de dénonciation et de dissuasion générale. Il est important de retenir que le principe de dissuasion générale implique que la sentence infligée devrait non seulement dissuader le contrevenant de récidiver mais aussi dissuader toute autre personne qui se trouve dans une situation analogue de se livrer aux mêmes actes illicites.

 

[8]               Le 11 mai 2012, pendant que son superviseur, le caporal-chef Clemens, l’interrogeait au sujet de ses allées et venues l’après-midi précédent, le caporal Mader s’est mis en colère; il estimait que son intégrité, son honneur et son sens de l’éthique étaient attaqués. Il a ressenti beaucoup de colère, mais il était incapable de la verbaliser, alors il s’est défoulé sur les meubles autour de lui. Selon la description de son superviseur, il est devenu déchaîné, il a explosé, puis il a quitté le bureau.

 

[9]               Pour en arriver à ce qu’elle estime être une sentence juste et convenable, la Cour a pris compte des facteurs aggravants et des facteurs atténuants suivants. Comme facteurs aggravants, la Cour tient compte des éléments suivants :

 

a)                  la gravité objective de l’infraction. L’infraction dont vous avez été accusé est portée conformément à l’article 85 de la Loi sur la défense nationale pour s’être conduit de façon méprisante à l’endroit d’un supérieur, qui est punissable comme peine maximale par la destitution ignominieuse du service de Sa Majesté.

 

b)                  j’ai aussi pris compte à titre de facteurs aggravants de la gravité subjective de l’infraction qui, à mon avis, comporte deux aspects :

 

i.                     premièrement, vous m’avez entendu en parler et vous avez entendu les avocats le mentionner, il s’agit du respect. Les principes fondamentaux des valeurs éthiques pour les membres des Forces canadiennes mentionnent le respect de la loi et le respect d’autrui, et il s’agit d’une des choses les plus importantes à faire pour ceux qui portent l’uniforme. Il est clair que la façon dont vous avez exprimé votre insatisfaction lorsque vous avez été interrogé au sujet de vos allées et venues était totalement inappropriée dans les circonstances et vous reconnaissez cela. Le respect suppose que si vous n’êtes pas d’accord avec une attitude donnée ou encore avec des choses qui vous sont dites, il y a une manière acceptable d’y répondre ou à tout le moins d’exprimer vos sentiments à l’égard de cette attitude ou de ces propos. Lorsque cela est fait d’une manière convenable, il n’y a aucun problème. Il est clair que dans les circonstances qui nous intéressent ici, le 11 mai 2012, le problème tenait à la manière dont vous avez exprimé, avec une sorte de violence et d’une manière agressive, les sentiments que suscitaient en vous les questions qui vous étaient posées; et

 

ii.                   il y a aussi votre expérience et votre grade. Ce n’était pas la première fois qu’un superviseur vous interrogeait probablement en 2012 au sujet de certaines choses, et vous en avez probablement vu d’autres être interrogés au sujet de ce qu’ils avaient fait ou n’avaient pas fait ou de ce qu’ils avaient dit ou n’avaient pas dit, et vous saviez comment l’environnement militaire doit être respecté, et comme vous l’avez dit vous‑même, vous auriez dû faire mieux.

 

[10]           Comme facteurs atténuants, j’ai pris en compte :

 

a)                  le fait que vous avez présenté des excuses et vous avez exprimé certains regrets et des remords quant à ce que vous avez fait. Peut-être que pour certains cela est arrivé très tard dans le processus, mais le fait que vous l’ayez fait est un signe que vous assumez pleinement la responsabilité de ce que vous avez fait; c’est un bon signe;

 

b)                  l’autre chose, c’est que peu importe ce que cela a pris, en fin de compte, pour venir devant cette cour martiale, vous deviez y faire face. Peu importe ce que les gens en pensent, il est clair que pour ceux qui adopteraient un tel comportement, à n’importe quel échelon au sein de n’importe quelle unité des Forces canadiennes, ils savent que d’une manière ou d’une autre ils devraient venir, peut-être dans cette mesure, comparaître devant une cour martiale, et pour moi, ce n’est pas un événement habituel, c’est probablement inhabituel pour l’unité. Vous avez entendu votre adjudant-chef mentionner qu’il n’y avait pas beaucoup de procès par voie sommaire qui avaient été instruits jusqu’à présent et probablement moins de cours martiales. C’est toujours un événement, mais c’est aussi un message qui dit que les gens devront assumer leurs responsabilités, et cela a une sorte d’effet dissuasif, de manière générale;

 

c)                  je tiens également compte de vos limitations personnelles évoquées au cours du procès; le stress que vous viviez, et qui a été reconnu, au moment de l’incident; le fait, comme votre avocat l’a mentionné, que l’incident, selon ce que je comprends, ne vous ressemblait pas. La violence et ce genre de destruction ne correspondent pas à votre manière habituelle de faire les choses. Vous pouvez parfois ergoter, il peut vous arriver de contester certaines des raisons pour lesquelles des choses sont faites, mais habituellement vous ne réagissez pas de cette façon, de sorte que cela ne vous ressemble pas;

 

d)                  il y a le fait que votre fiche de conduite ne mentionne aucun incident similaire; et

 

e)                  puisque vous avez été déclaré coupable d’une infraction en vertu de la LDN, article 85, vous allez avoir un casier judiciaire, et un certain poids doit être accordé à ce fait.

 

[11]           Habituellement, comme l’a démontré la jurisprudence que la poursuite a présentée, une situation semblable commande, en tant que sentence à être infligée, quelque chose qui commence d’un blâme et une amende, à une réprimande et une amende, à ultimement une amende. La poursuite me demande d’envisager dans les présentes circonstances l’imposition d’une rétrogradation.

 

[12]           J’aimerais simplement rappeler la position de la Cour d’appel de la cour martiale à ce sujet, où dans R. c. Reid et Sinclair, 2010 CACM 4, au paragraphe 39, la Cour a affirmé :

 

La rétrogradation est un instrument important faisant partie de la trousse utilisée par le juge militaire dans la détermination de la peine. La rétrogradation sanctionne de manière plus efficace la perte de confiance des forces militaires envers le membre contrevenant que toute amende ou tout blâme pouvant être imposé. Cette perte de confiance s’exprime en l’instance par une rétrogradation à un poste où les contrevenantes ont perdu leur fonction de supervision.

 

Je comprends bien ce qui amène la poursuite à suggérer la sentence qu’elle suggère. J’ai bien noté ce qui a été dit au sujet de la détermination de la sentence concernant toutes les circonstances qui ont découlé de l’incident en cause.

 

[13]           Il m’apparaît clairement que la perte de confiance ne résulte pas uniquement de cet incident, au titre duquel une sentence vous est infligée aujourd’hui, mais aussi de nombreux événements subséquents qui sont survenus dans la foulée de cet incident. Je dois dire que la capacité des Forces canadiennes à accorder l’importance qui convient aux bonnes choses a grandement contribué à faire en sorte que l’affaire se termine ici. Je pense que l’unité a fait de son mieux pour employer les moyens dont elle disposait afin de composer avec l’affaire. Malheureusement, lorsque les choses ont pris une tournure administrative ou disciplinaire, il appert que le système a échoué. Il a laissé à l’unité la responsabilité de régler une situation dont elle était au courant et à l’égard de laquelle elle savait quoi faire, mais à laquelle elle ne pouvait pas apporter une solution définitive. En bref, le système n’a pas réussi à régler l’affaire aux plans administratif et disciplinaire.

 

[14]           J’ai l’impression que l’entrée de l’affaire dans le système disciplinaire résulte d’une coïncidence. Je pense que l’unité a fait ce qu’elle devait faire pour ce qui est d’enquêter et de déposer des chefs d’accusation, mais votre dossier est arrivé à un moment où un petit nombre de juges militaires traitaient un grand nombre d’affaires, et au cours d’une année très inhabituelle où de nombreuses cours martiales générales, comme celle qui était censée instruire votre procès, ont été dissoutes. L’ordonnancement était une question problématique d’une perspective pour les cours martiales. Peu importe le volume, un certain nombre de juges doivent également être disponibles, et pendant une brève période, le système n’a pas été capable de composer, je dirais, en temps opportun avec certaines circonstances et votre dossier figurait parmi ceux qui étaient pris au milieu. Au plan administratif, lorsque certaines choses sont survenues dans la cause, cela n’a débouché sur aucun résultat concret. Ces délais ont imposé un énorme fardeau à l’unité, qui a dû continuer à composer avec l’affaire, alors qu’elle savait quelles étaient les solutions, mais elle était incapable de les mettre en œuvre.

 

[15]           Le système, de manière générale, a aussi mis beaucoup de temps à reconnaître que vous ne cadriez plus avec l’environnement militaire, et tous ont dû, je dirais, composer avec la situation du mieux qu’ils pouvaient, mais, selon moi, il ne s’agit manifestement pas d’une situation qui commande une rétrogradation dans les circonstances. La présente espèce ne diffère en rien de toute autre affaire dans laquelle un contrevenant à sa première instance a perdu le contrôle de lui-même. Dans ces circonstances, je pense qu’une rétrogradation n’est toujours pas indiquée, surtout lorsque l’on considère que vous n’aviez aucune fonction de supervision. Je peux comprendre une perte de confiance, mais, selon moi, celle-ci ne résulte pas de l’incident lui-même, mais de ce qui est arrivé après tous les retards.

 

[16]           Comme je l’ai mentionné, la sentence doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction et aux antécédents du contrevenant. J’ai encore des doutes quant à savoir si la suggestion faite par la poursuite aurait été la même si elle avait été faite plus tôt dans le processus. En conséquence, contrairement à ce qui a été avancé, la Cour ne peut admettre qu’une rétrogradation serait la sentence minimale à infliger dans les présentes circonstances. Toutefois, je dirais, de manière générale pour les mêmes motifs, qu’une amende seulement ne semble pas non plus constituer une sentence appropriée.

 

[17]           À mon avis, je dirais que, beaucoup comme dans l’affaire du Caporal Menard en 2012 et dans d’autres affaires semblables, une réprimande ou un blâme et, à mon avis, un blâme et une amende constitueraient la sentence minimale que la Cour devrait infliger. Et au cours de l’incident, il y a eu de la violence, que vous avez exercée d’une manière agressive. Cela a affecté votre superviseur, de telle sorte qu’à ce jour il entretient encore des doutes quant à sa capacité à diriger des gens. Et le principe de la parité commande une telle sentence, de sorte que, selon moi, un blâme et une amende au montant de
2 000 $ seraient appropriés.

 

[18]           Caporal Mader, vous tournez la page aujourd’hui; quoi qu’on en dise, il ne s’agit pas d’un problème d’insubordination, mais d’une question de respect. Je pense que c’est fondamental. Vous êtes assez vieux pour comprendre et en tirer des leçons. Vous serez peut-être bientôt libéré des Forces canadiennes; cela ne veut pas dire que vous ne devriez pas tirer de leçons de cette affaire. Peu importe ce que l’avenir vous réserve, tous vos rapports avec autrui devraient être empreints de respect, et j’espère que sur le plan de la santé, vous prendrez du mieux et vous pourrez tout de même avoir une bonne vie, peu importe l’orientation qu’elle prendra.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[19]           VOUS CONDAMNE à un blâme et à une amende au montant de 2 000 $, payable immédiatement.


 

Avocats :

 

Le Directeur des Poursuites militaires, représenté par le major A.-C. Samson

 

Le major D.M. Hodson, Direction du Service d’avocats de la défense, avocat du caporal G.G. Mader

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