Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 11 juillet 2016

Endroit : Base de soutien de la 3e Division du Canada, détachment Wainwright, édifice 627, Denwood (AB).

Chefs d’accusation :

• Chef d’accusation 1 : Art. 130 LDN, agression sexuelle causant des lésions corporelles (art. 272 C. cr.).
• Chef d’accusation 2 : Art. 130 LDN, fait de vaincre la résistance à la perpétration d’une infraction (art. 246a) C. cr.).

Résultats :

VERDICTS : Chef d’accusation 1 : Coupable. Chef d’accusation 2 : Non coupable.
SENTENCE : Emprisonnement pour une période de 42 mois et destitution.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence: R. c. Beaudry, 2016 CM 4011

 

Date: 20160715

Dossier: 201523

 

Cour martiale permanente

 

Base des Forces canadiennes Wainwright

Wainwright (Alberta) Canada

 

Entre:

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Caporal R.P. Beaudry, contrevenant

 

 

En présence du: Capitaine de frégate J.B.M. Pelletier, J.M.


 

Restriction à la publication : Par ordonnance de la cour rendu en vertu de l’article 179 de la Loi sur la défense nationale et de l’article 486.4 du Code criminel, il est interdit de publier ou de diffuser, de quelque façon que ce soit, tout renseignement permettant d’établir l’identité de la personne décrite dans le présent jugement comme étant le plaignant.

 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Oralement)

 

INTRODUCTION

 

[1]               Suite à son procès en cour martiale permanente, le caporal Beaudry a été reconnu coupable du premier chef d’accusation porté contre lui, en vertu de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale (LDN), pour avoir commis une agression sexuelle causant des lésions corporelles, contrairement à l'article 272 du Code criminel. Il a été trouvé non coupable du deuxième chef d’accusation pour avoir tenté de vaincre la résistance à la perpétration d'une infraction, contrairement à l'alinéa 246a) du Code criminel.

 

[2]               Il est maintenant de mon devoir, en tant que juge militaire présidant cette cour martiale permanente, de fixer la peine. Dans le cours de mes délibérations, j’ai pris en considération les principes applicables à la détermination de la peine qui s’imposent aux cours de juridiction criminelle et pénale au Canada ainsi qu’aux cours martiales. J’ai également pris en considération les faits pertinents à la présente cause, tels qu’ils ont été établis par les témoignages entendus et les documents déposés, autant lors du procès que lors de l’audience sur la détermination de la peine. J’ai bien sûr considéré les plaidoiries des avocats, autant de la poursuite que de la défense.

 

LES OBJECTIFS ET LES PRINCIPES APPLICABLES

 

[3]               De manière générale, le système de justice militaire est le moyen ultime pour imposer la discipline au sein des Forces armées canadiennes (FAC) et un élément fondamental de la vie militaire. Tel que reconnu par la Cour suprême du Canada, le but d’un système de justice et de tribunaux militaires est de permettre aux forces armées de disposer des outils nécessaires pour faire respecter la discipline interne de manière à encourager l’efficacité et le moral. En effet, c’est par la discipline qu’une force armée peut demeurer prête à intervenir à la demande du gouvernement et peut s’assurer que ses membres accomplissent, de manière fiable et digne de confiance, des missions remplies de succès. En permettant la sanction des personnes assujetties au code de discipline militaire, ce système sert également l’intérêt du public à ce que les lois soient respectées par tous.

 

[4]               La détermination de la peine a donc pour objectifs essentiels de favoriser l’efficacité opérationnelle des FAC en contribuant au maintien de la discipline, de la bonne organisation et du moral, et de contribuer au respect de la loi. Ces objectifs essentiels peuvent être atteints par l’infliction de sanctions visant un ou plusieurs des objectifs suivants :

 

a)         protéger le public, qui inclut les FAC;

 

b)         dénoncer les comportements illégaux;

 

c)         dissuader les contrevenants et les autres personnes de commettre des infractions;

 

d)         réparer les torts causés aux victimes ou à la collectivité;

 

e)         isoler, au besoin, les contrevenants des autres officiers et militaires du rang ou de la société en général;

 

f)          réintégrer les contrevenants dans la société ou dans la vie militaire.

 

[5]               Le tribunal qui détermine la peine à infliger tient compte également des principes suivants :

 

a)         l’harmonisation des peines : considérant que la peine doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction commise, ainsi qu’au degré de responsabilité du contrevenant, le juge doit infliger des peines semblables à celles infligées à des contrevenants semblables ayant commis des infractions semblables dans des circonstances semblables;

 

b)         l’infliction de la peine la moins sévère possible qui permette de maintenir la discipline, la bonne organisation et le moral;

 

c)         l’obligation, avant d’envisager la privation de liberté par l’emprisonnement ou la détention, d’examiner la possibilité de sanctions moins contraignantes lorsque les circonstances le justifient;

 

d)         la prise en compte des conséquences indirectes du verdict de culpabilité ou de la sentence;

 

e)         la modulation de la peine en lien avec les circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration de l’infraction ou à la situation du contrevenant.

 

[6]               Toute punition devant être imposée devrait correspondre à l’intervention minimale nécessaire dans les circonstances. Dans le cadre d’une cour martiale, cela veut dire imposer une sentence composée de la peine ou combinaison de peines les moins sévères qui permettent d’assurer le maintien de la discipline.

 

[7]               Les Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes spécifient que le juge qui impose la sentence doit tenir compte des conséquences indirectes de la condamnation et de la sentence, qui doit être proportionnelle à la gravité des infractions et au degré de responsabilité du contrevenant. La sentence doit donc être adaptée au contrevenant et aux infractions qu’il ou elle a commis. Je vais débuter mon analyse par une discussion sur l’infraction, pour ensuite discuter du contrevenant.

 

L’INFRACTION ET LE CONTREVENANT

 

Les circonstances de l’infraction

 

[8]               Dans le cadre du procès, les faits suivants ont été acceptés par la Cour et constituent les circonstances de l’infraction, telles que décrites par la victime, le soldat L.D., lors de son témoignage. Le 5 septembre 2014, elle a soupé à sa chambre sur la base de Wainwright en compagnie de son amie Marilyn Danis, qui s’était déplacée du Québec pour lui rendre visite. Elles se sont ensuite rendues au bar JD’s dans la municipalité de Wainwright où elles ont rencontré des amis, entres autres le caporal Drouin et le contrevenant, le caporal Beaudry, qu’elle connaissait pour l’avoir rencontré à deux reprises lors de soirées à l’établissement voisin. Le soldat L.D. a pris quelques consommations au bar. Son humeur et son énergie étaient affectés positivement par l’alcool mais elle pouvait fort bien conserver son équilibre et discuter de manière cohérente. Elle a relaté ses quelques conversations avec le caporal Beaudry au cours de la soirée et le fait que celui-ci a demandé si elle aimait le sexe et répétait être intéressé à avoir des relations sexuelles avec elle et, si possible, avec son amie. Le caporal Beaudry lui a également touché les fesses et l’entre-jambe au cours de la soirée. Elle a témoigné ne pas avoir fait de cas de cela et avoir trouvé ça drôle. Elle a dit avoir été claire à l’effet qu’il n’y aurait pas de sexe entre eux. Environ 30 minutes avant le last call, au bar, elle a accepté la proposition du caporal Beaudry de se rendre chez lui en compagnie de Mme Danis et du caporal Drouin pour prendre d’autres consommations et continuer à discuter.

 

[9]               Une fois rendus à la résidence du caporal Beaudry, située sur la base militaire de Wainwright, le caporal Drouin et Mme Danis se sont assis au salon. Le caporal Beaudry est demeuré debout et a demandé au soldat L.D. si elle désirait monter en haut dans sa chambre. Elle a répondu par la négative, en ajoutant qu’il n’y aurait pas de sexe entre eux. Le caporal Beaudry a insisté en disant qu’ils n’allaient que parler. Elle s’est dit d’accord mais a encore une fois mentionné qu’il n’y aurait pas de sexe. Elle est montée à l’étage, alors que le caporal Drouin et Mme Danis demeuraient en bas. Une fois en haut, le contrevenant a ouvert la porte de sa chambre. Le soldat L.D. est demeurée dans le cadre de la porte alors que le caporal Beaudry se rendait à la salle de bains située de l’autre côté du corridor. Le caporal Beaudry est, par la suite, revenu dans la chambre, mais cette fois dévêtu, ne portant qu’une serviette sur les hanches.

 

[10]           Le caporal Beaudry a alors fermé la porte et a annoncé : « On va avoir du sexe. » Elle a répondu : « Non. » Le caporal Beaudry l’a alors empoigné à la gorge avec une main, la poussant sur le lit. Il lui a dit qu’il ne voulait pas l’entendre parler, que si elle criait ou pleurait elle n’avait aucune idée de ce qu’il pourrait lui faire. Elle a eu peur et a figé. Il s’est dirigé vers elle, lui a enlevé son pantalon et sa culotte, et a forcé une pénétration vaginale et ensuite orale. Il l’a mordu violemment au bras alors qu’elle tentait de le repousser, causant alors une lésion. Il l’a aussi pincé violemment à quelques endroits, entre autres, à l’intérieur de sa cuisse droite pour qu’elle garde ses jambes ouvertes après qu’il l’eut mordu. Après avoir éjaculé en partie dans son vagin et en partie dans sa bouche, il s’est couché sur le dos. Le soldat L.D. est alors sortie en ramassant ses vêtements, prétextant devoir se rendre au travail pour un quart débutant dans une heure.

 

Les conséquences de l’infraction

 

[11]           Dans le cadre de l’audience sur la détermination de la peine, la Cour a entendu le sergent Hartling, supérieure du soldat L.D. aux cuisines de la base, décrire la transformation qui s’est opérée chez le soldat L.D. suite à l’agression dont elle fut victime. Une militaire enjouée et dynamique qui avait un excellent potentiel de leadership est devenu effacée, timide et introvertie, comme si la vie s’était évaporée de son corps. Le sergent Hartling a dit que le soldat L.D. est demeurée tout de même une travailleuse infatigable qui semblait se plaire, malgré tout, dans la cuisine, mais que dès qu’elle était distraite par toute correspondance ou demande se rapportant à son agression, elle devenait si bouleversée qu’elle devait se retirer de ses tâches et souvent de son lieu de travail.

 

[12]           Le soldat L.D. a témoigné, non sans peine, mais avec beaucoup de courage, sur les impacts de l’agression sur elle. Elle a dit que dans les jours qui ont suivis l’agression, une fois de retour au travail, elle allait plutôt bien lorsqu’occupée à la cuisine en tant que cuisinière, mais qu’elle se sentait horriblement seule une fois de retour à la maison et ce, malgré le support de ses amis. Par la suite, le poids de l’agression a eu des effets sur sa capacité à trouver le sommeil, ce qui a affecté son travail où elle avait des difficultés à se concentrer, se coupait et se brulait constamment, et était hypersensible, pleurant souvent en présence de collègues. Elle a obtenu du soutien en santé mentale et de la part de l’aumônerie, en plus de se voir prescrire des médicaments pour pouvoir dormir, et des antidépresseurs. Il lui fut très difficile d’annoncer ce qui s’était produit à ses parents, et ceux-ci ont été foudroyés et fortement attristés par cette nouvelle, une situation rendue plus difficile considérant la distance entre Wainwright et leur domicile au Québec. À l’heure actuelle, par contre, le soldat L.D. a dit aller mieux. Elle consulte l’intervenante en santé mentale sur demande seulement et a arrêté la médication depuis plus d’un mois, ce qui lui fait du bien car elle n’aime pas l’effet des médicaments sur elle. Bien que son témoignage devant la cour fût une épreuve, elle s’est dite soulagée que cette importante étape dans son cheminement soit terminée, le report inattendu du procès à l’automne 2015 ayant été un coup dur pour elle. Malgré des problèmes d’anxiété et certains cauchemars, le soldat L.D. a repris une vie plus normale.

 

Les circonstances du contrevenant

 

[13]           Le caporal Beaudry est âgé de 32 ans. Il s’est joint aux FAC en septembre 2008 en tant que technicien en munitions. Après son instruction de base et son cours de métier, il a été affecté à Wainwright en 2010 et sert depuis l’été dernier à Edmonton. Il a été déployé en Afghanistan en 2013. Il est marié et n’a pas d’enfants.

 

[14]           Le caporal Beaudry n’a pas fait entendre de preuve relativement à sa performance. Son commandant a témoigné pour la poursuite et n’avait que très peu à dire lorsque l’avocat du contrevenant lui a demandé si elle avait été informée de choses positives relativement à la performance et au potentiel du caporal Beaudry. Elle a répondu qu’il avait fait un travail apprécié auprès d’une unité de la réserve lors d’une affectation consécutive à la mise en accusation, alors qu’on devait lui trouver du travail qui ne contrevienne pas à ses conditions de libération.

 

[15]           L’étude des documents soumis lors de l’audience sur la détermination de la peine révèle que le caporal Beaudry a été arrêté et détenu initialement pour trois jours en septembre 2014. Il appert avoir été arrêté et détenu de nouveau par la suite pour bris de condition. Il a subi cinq condamnations en procès par voie sommaire pour des absences sans permission depuis l’agression qu’il a commise en septembre 2014, bien que l’une de celle-ci fût pour une absence en juin 2014. Je mentionne ceci non parce qu’il s’agit de facteurs aggravants, mais bien parce que ces faits me permettent de comprendre que le caporal Beaudry n’a pas réintégré les rangs de manière entièrement productive depuis les évènements de septembre 2014. Le commandant du caporal Beaudry a témoigné de façon éloquente sur ce sujet. En répondant aux questions de la Cour, elle a dit que le caporal Beaudry a été avisé au cours des dernières semaines qu’une décision avait été prise d’ordonner sa libération administrative des FAC le mois prochain. Cette libération obligatoire est à l’initiative de sa chaine de commandement qui estime qu’il est inapte à continuer son service militaire, principalement à cause de facteurs en son pouvoir, c’est-à-dire sa contravention de la politique des FAC sur les drogues et des faiblesses qui imposent un fardeau excessif à l'administration des FAC.

 

[16]           L’avocat du caporal Beaudry a transmis des excuses au nom de son client avant de débuter sa plaidoirie sur la peine à imposer. Il a dit que celui-ci était sous le choc et avait de la difficulté à s’exprimer, mais qu’il avait tout de même des remords. L’avocat a dit que le caporal Beaudry s’excusait au soldat L.D. pour ce qu’il a fait, disant qu’il avait une croyance sincère, mais, tel qu’il appert du verdict, non raisonnable, dans le consentement du soldat L.D. aux activités sexuelles le 6 septembre 2014. 

 

POSITION DES PARTIES SUR LA SENTENCE

 

La poursuite

 

[17]           Le procureur militaire caractérise l’infraction commise d’agression sexuelle grave qui doit être punie par une peine de quatre ans d’emprisonnement, de manière à rencontrer les principes de dénonciation et de dissuasion générale qui doivent, selon lui, avoir priorité en l’espèce. Il s’agit, selon lui, de la peine minimale permettant de maintenir la discipline.

 

La défense

 

[18]           Pour sa part, la défense admet que la gravité objective de l’infraction nécessite l’imposition d’une peine d’emprisonnement. Selon lui, la peine devrait être d’une durée de six mois et devrait être assortie d’une destitution du service de Sa Majesté. De cette manière, la peine pourra rencontrer les principes de dénonciation et dissuasion identifiés par la poursuite tout en ne compromettant pas la rencontre du principe de réhabilitation.

 

ANALYSE

 

La caractérisation des infractions

 

[19]           Tel que mentionné précédemment, le but d’un système de tribunaux militaires distinct est de permettre aux forces armées de traiter des questions qui touchent la discipline, l’efficacité et le moral, en plus de permettre la sanction des personnes assujetties au code de discipline militaire de la même manière que tout autre citoyen, pour assurer le respect des lois dans la société canadienne en général. Dans ce cas-ci, la peine que la Cour doit imposer doit rencontrer ces deux objectifs. D’un côté, il y a un certain aspect militaire dans les circonstances des infractions et dans la perspective de ce procès tenu sur la base de Wainwright. D’un autre côté, je dois imposer une peine à un militaire que les autorités des FAC prévoient libérer de ses rangs très bientôt en lien avec sa mauvaise conduite. Dans ces circonstances, la peine que j’impose doit absolument répondre aux intérêts plus larges de la société. La Cour sanctionne le contrevenant en lien avec un crime grave, non seulement pour les forces armées, mais aussi pour notre société en général. La peine à être imposée doit donc protéger les intérêts des citoyens de l’Alberta et d’ailleurs dans la société civile, dont le contrevenant fera très bientôt partie. 

 

Les objectifs à favoriser

 

[20]           Je suis venu à conclure que dans les circonstances de la présente affaire, l’imposition de la sentence devrait cibler les objectifs de dénonciation, de dissuasion et de réhabilitation. La peine à imposer doit absolument exprimer la notion que le comportement du contrevenant est inacceptable, autant en société qu’au sein des FAC. Elle doit dissuader autant le contrevenant que d’autres personnes qui, dans une situation similaire, pourraient songer à agir de manière similaire. Par contre, la sentence ne doit pas miner indûment les efforts de réhabilitation significatifs que devra entreprendre le caporal Beaudry qui, à 32 ans, a une opportunité de changer et de se réhabiliter pour contribuer de façon positive tant que membre de la société.

 

La gravité objective de l’infraction

 

[21]           Dans son évaluation de ce qui pourrait constituer une peine juste et appropriée, la Cour a considéré la gravité objective de l’infraction qui, tel que prévu à l’article 272 du Code criminel, est passible d’un emprisonnement maximal de 14 ans.

 

Les facteurs aggravants

 

[22]           Les objectifs de la détermination de la peine, prévus aux articles 718 et suivants du Code criminel, se doivent d’être pris en compte par les cours martiales. La peine doit être augmentée ou diminuée en lien avec les circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration de l’infraction ou à la situation du délinquant. Dans sa plaidoirie, le procureur a soumis à la Cour certaines remarques sur la sévérité subjective de l’infraction. Il a dit que les circonstances de l’infraction sont graves, citant la catégorisation adoptée par la Cour d’appel de l’Alberta dans R. v. Arcand, 2010 ABCA 363. Je suis d’accord en ce qui concerne la gravité de l’infraction. Je reconnais le caractère violent et soudain de l’attaque ainsi que les menaces proférées à la victime dans le cadre de l’agression, à l’effet qu’elle devait se taire ou elle ne savait pas ce qu’il pourrait lui arriver. Il est évident pour moi que l’expérience que le contrevenant a imposée à la victime avait tout pour traumatiser n’importe quelle personne.

 

[23]           L’impact psychologique significatif de l’agression décrit par le soldat L.D. à la Cour lors de l’audition sur la peine, corroboré en partie par les propos de sa supérieure qui a eu connaissance de ces impacts au travail, me convainquent d’une atteinte grave à l’intégrité psychologique de la victime, ce qui constitue un facteur aggravant. Les impacts physiques sont aussi considérés. Bien que les lésions physiques subies par le soldat L.D. soient dans le bas d’une échelle de gravité potentielle en ce qui concerne les lésions corporelles, elles ont causé de l’inconfort et ont affecté son apparence pendant quelques semaines.

 

[24]           Le procureur militaire s’est exprimé longuement sur les questions de discipline et d’impact des infractions sur l’unité lors de sa plaidoirie, et je n’ai pas l’intention de discuter de chacun des points soulevés. Il est vrai qu’au grade de caporal-chef, à ce moment-là, le caporal Beaudry occupait le premier niveau de responsabilité de leadership au sein de l’armée et avait une responsabilité spéciale envers les militaires subalternes. Par contre, la différence de grade n’était pas en facteur dans les circonstances de l’infraction. Ce qui est beaucoup plus important, c’est que le caporal Beaudry a attaqué une collègue, membre des FAC. Il l’a bien sûr attaqué physiquement, mais a également et surtout attenté à sa dignité. Nous avons tous joints les forces armées pour des raisons diverses. Nul doute que le devoir des membres des FAC est de contribuer à une force militaire confrontée régulièrement à des menaces de nature diverse. Une personne qui consent à compromettre sa sécurité personnelle pour contribuer à combattre ces menaces ne devrait pas, en plus, subir les attaques de ses frères ou de ses sœurs d’arme. La Directive et ordonnance administrative de la Défense (DOAD) 5019-5, sur l’inconduite sexuelle, décrit l’impact négatif de ce genre de comportement sur la sécurité, le moral, la discipline et la cohésion au sein des FAC. En termes simples, ces comportements rendent les FAC moins fortes. La preuve révèle clairement que l’agression commise par le contrevenant était contraire à son devoir de ne pas attenter à la sécurité d’une consœur et a affaibli les FAC. C’est un facteur aggravant, considérant que le caporal Beaudry devait être parfaitement au courant de la norme de conduite s’appliquant à lui à cet égard.

 

Les facteurs atténuants

 

[25]           La Cour a également considéré les facteurs atténuants suivants :

 

a)                  l’absence d’antécédents du contrevenant;

 

b)                  les excuses et remords exprimés par l’avocat du contrevenant en son nom, bien qu’il eut été de loin préférable que ceux-ci soient exprimés de vive voix par le caporal Beaudry. C’est avec une certaine réticence que j’accepte de considérer ces excuses en tant que facteur atténuant, considérant le langage peu flatteur utilisé par le contrevenant en référant à la victime lors de son interrogatoire au procès, ce qui m’amène à croire que les remords exprimés pourraient ne pas être entièrement sincères. Ceci étant dit, il est possible que le procès et ma décision d’hier matin eut permis une certaine prise de conscience de la part du contrevenant et, considérant les propos de son avocat à l’effet que le caporal Beaudry éprouvait des difficultés à s’exprimer, j’ai décidé de tenir compte de ses remords en tant que facteur pouvant atténuer la peine;

 

c)                  la courte période de détention avant procès subie par le caporal Beaudry, ainsi que le fait que sa liberté eut été partiellement restreinte en raison des conditions qui lui ont été imposées depuis septembre 2014. Même si les détails de ces conditions ne m’ont pas été communiqués, le fait d’être restreint par un ordre de nature quasi-judiciaire, en plus de devoir vivre avec le stress inhérent au statut de personne accusée d’agression sexuelle avec lésions en attente de procès doit être considéré comme atténuant dans le contexte militaire où le système judiciaire cohabite avec les devoirs de gestion du personnel imposés aux autorités militaires en tant qu’employeur, non seulement de l’accusé, mais également de la victime alléguée et souvent des témoins. Il importe également de mentionner qu’une période de temps significative s’est écoulée entre ce procès et la commission de l’infraction en septembre 2014, et que le report du procès devant se tenir en novembre 2015, à la dernière minute et sans responsabilité de la part des parties, a compliqué la vie du caporal Beaudry, autant que ce report a compliqué la vie de la victime et des autorités de l’unité;

 

d)                  la collaboration du caporal Beaudry avec les autorités policières dans le cadre de l’enquête;

 

e)                  la contribution passée du caporal Beaudry au service du public au sein des FAC, incluant un déploiement en Afghanistan. Cette contribution devrait lui offrir la preuve qu’il a encore le potentiel de contribuer positivement au sein de la société canadienne dans le futur.

 

[26]           L’avocat de la défense suggère que l’infraction n’est pas la plus grave, considérant que dans l’esprit du caporal Beaudry il y avait consentement, et que sa situation est fort différente d’un contrevenant qui se cache dans un buisson pour attaquer et agresser sexuellement des passants. Je tiens dûment compte des circonstances de l’infraction dans ma détermination de la peine à imposer, entre autres, du niveau de gravité des lésions physiques causées à la victime, qui sont dans le bas du registre des lésions possibles. Par contre, je ne suis pas prêt à considérer que le fait que la victime ait été attaquée dans la maison d’un collègue au lieu d’avoir été attaqué soudainement par un étranger est un facteur atténuant. La croyance déraisonnable au consentement de la part du contrevenant ne constitue pas, non plus, un facteur atténuant.

 

La détermination de la ou des peines à imposer

 

[27]           Les deux parties s’entendent à l’effet que, dans les circonstances de la présente affaire, la peine minimale que la cour doit imposer pour atteindre les objectifs de dénonciation et dissuasion précités comporte une période d’emprisonnement. La question est de savoir la durée de cette peine et si elle devrait être combinée à une peine de destitution du service de Sa Majesté, tel que recommandé par la défense.

 

[28]           En ce qui a trait aux soumissions des parties, je conclus des représentations de l’avocat de la défense que les peines imposées pour des infractions d’agression sexuelle devant les tribunaux militaires se retrouvent dans un éventail très large, qui inclut entre 30 jours et 36 mois, la peine ayant été imposée par la cour martiale dans l’affaire R. c. Royes, 2013 CM 4034. Je me dois, par contre, de rejeter carrément la proposition de la défense d’imposer une peine de 6 mois, même en comprenant que la peine proposée aurait été de 12 mois, n’eut été de la suggestion de greffer une peine de destitution à l’emprisonnement. La défense ne m’a soumis aucune autorité pour démontrer qu’une peine aussi légère pourrait être appropriée pour une infraction d’agression sexuelle causant des lésions.

 

[29]           Je suis d’avis que les représentations de la poursuite pour une peine d’emprisonnement d’une durée de quatre ans, ou 48 mois, ne sont pas déraisonnables, à la lumière des deux précédents mentionnés, c’est-à-dire les affaires Royes, précitée, et R. c. Lough, 2011 CM 2022, qui ont résulté en l’imposition de peines de 36 et 34 mois respectivement. Il est évident que les circonstances de ces deux affaires sont différentes l’une de l’autre, et différentes des circonstances de l’espèce. Il est impossible de trouver deux dossiers identiques. Ceci étant dit, je suis entièrement d’accord avec les motifs du juge Perron dans l’affaire Royes, et je crois que la peine qu’il a imposée dans cette affaire était entièrement appropriée aux circonstances, c’est-à-dire une agression sexuelle avec pénétration sur une collègue saoule au point d’être inconsciente, que le caporal-chef Royes avait réaccompagné dans sa chambre, ici même sur la base de Wainwright. Je note, par contre, que la gravité objective des infractions dans la présente affaire est plus élevée. Les infractions d’agression sexuelle causant des lésions sont considérées uniquement comme des actes criminels, qui sont passibles d’un emprisonnement maximal de 14 ans et non des infractions hybrides passibles d’un maximum de 10 ans d’emprisonnement comme les agressions sexuelles. De plus, je suis d’avis que les circonstances de la présente affaire sont plus graves. Il y a eu une attaque physique, des menaces et une interaction empreinte de violence. Je suis donc d’avis que, dans la présente cause, je dois imposer une peine d’emprisonnement un peu plus sévère que ce que le juge Perron a imposé dans Royes. La proposition de la poursuite m’apparaît donc comme étant entièrement justifiée.

 

[30]           Je dois mentionner par contre que j’ai beaucoup de difficultés avec les représentations de la poursuite, lorsque qu’on me soumet des arguments et du matériel sur les politiques traitant des inconduites de nature sexuelle au sein des FAC, incluant des initiatives tel que l’Opération HONOUR, et que l’on me demande d’imposer la même peine qu’on demanderait à un juge lors d’un procès en cour civile. Je veux être bien clair que je ne suis pas lié, en tant que juge, par les prises de position de l’État-major, et je ne me préoccupe aucunement de l’opinion que l’État-major puisse se faire de mes décisions. Il se trouve, par contre, que dans ce cas, je crois être en accord avec eux en ce qui a trait au fait que, selon moi, une personne qui se livre à une agression de nature sexuelle sur une collègue n’a pas sa place dans les FAC. Il est donc malheureux que le procureur n’a pas tenu bon de recommander l’une ou l’autre des peines que l’article 140.1 de la LDN prévoit expressément comme pouvant accompagner une peine d’emprisonnement pour plus de deux ans, c’est à dire la destitution ou la destitution ignominieuse du service de Sa Majesté.

 

[31]           Je crois fermement que l’imposition de l’une de ces peines est de nature à favoriser surtout les principes de dénonciation, mais aussi de dissuasion générale que la poursuite a identifiés comme devant être favorisés en l’espèce. Je suis conscient que le contrevenant devait, de toute manière, être forcé à quitter les FAC le mois prochain, et donc que l’impact sur la dissuasion spécifique est réduit, bien que non éliminé. Par contre, le verdict de cette Cour et sa sentence devrait, selon moi, être reflété de manière claire en ce qui concerne les raisons pour lesquelles le caporal Beaudry n’est plus membre des FAC. En ce qui a trait au choix entre la destitution ou la destitution ignominieuse du service de Sa Majesté, je suis d’avis que la destitution est plus susceptible de respecter l’important principe de réhabilitation que je garde à l’esprit en imposant la peine. Le caporal Beaudry a le potentiel de se réhabiliter et il pourrait vouloir servir Sa Majesté à titre civil à nouveau dans le futur. J’éviterai donc de lui imposer une peine qui rendrait ce service impossible en vertu de l’alinéa 141(2) de la LDN.

 

[32]           Je me rends aux arguments de la défense à l’effet que l’imposition d’une peine de destitution doit opérer une réduction de la durée de la peine d’emprisonnement qui l’accompagne. Dans les circonstances particulières de cette affaire, surtout les facteurs atténuants que j’ai mentionnés, une réduction correspondant à six mois d’emprisonnement m’apparaît appropriée. 

 

Les ordonnances à imposer

 

[33]           Étant donné que l’infraction d’agression sexuelle causant lésions, prévue à l’article 272 du Code criminel, constitue une infraction primaire au sens de l’alinéa 196.11a) de la LDN et de l’article 487.04 du Code criminel, je me dois, en vertu de l’alinéa 196.14(1) de la LDN, de rendre une ordonnance autorisant le prélèvement sur le contrevenant du nombre d’échantillons de substances corporelles jugé nécessaire pour analyse génétique à des fins médicolégales.

 

[34]           De plus, en ce qui concerne la demande d’ordonnance enjoignant le contrevenant à se conformer à la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels, l’infraction d’agression sexuelle causant lésions, prévue à l’art. 272 du Code criminel, est une infraction désignée au sens de l’article 227 de la LDN et de l’alinéa 490.011(1)a) du Code criminel. L’ordonnance demandée est donc obligatoire. L’article 227.02 de la LDN porte sur la durée de l’ordonnance. Étant donné que l’infraction d’agression sexuelle causant lésions, prévue à l’art. 272 du Code criminel, est punissable par l’emprisonnement pour une période de 14 ans, j’ordonne, en application du paragraphe 227.02(2) de la LDN, que le contrevenant se conforme à la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels pour une période de 20 ans.

 

[35]           Conformément à la demande de la poursuite, je suis d’avis que dans les circonstances de cette affaire, il y a lieu de rendre une ordonnance interdisant au contrevenant d’avoir en sa possession des armes à feu, une arme prohibée, une arme à autorisation restreinte, un dispositif prohibé, des munitions, des munitions prohibées ou des substances explosives, conformément à l’article 147.1 de la LDN. Cette ordonnance sera d’une durée de dix ans à compter d’aujourd’hui.

 

[36]           Caporal Beaudry, les circonstances de l’infraction dont je vous ai trouvé coupable sont troublantes. Vous vous êtes comporté comme un criminel en imposant votre volonté d’assouvir votre appétit sexuel sur le soldat L.D. quand, où et comment vous le vouliez sans aucun respect pour sa volonté et sa dignité. Se faisant, je dois maintenant vous traiter comme un criminel en vous envoyant en prison.

 

[37]           Votre comportement est également totalement incompatible avec le service au sein des FAC. Je vais donc utiliser les pouvoirs qui me sont conférés par la loi pour accélérer votre départ de cette institution dont vous vous êtes rendu indigne.

 

[38]           Je crois que vous avez un problème très sérieux de gestion de colère et d’attitude envers les femmes que vous devez régler. Je vous invite à faire usage des opportunités qui vous seront offertes dans les établissements carcéraux au cours des prochains mois pour travailler là-dessus. Le choix est le vôtre, vous avez le potentiel comme tout contrevenant de vous réhabiliter.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[39]      VOUS CONDAMNE à une peine d’emprisonnement d’une durée de 42 mois et à la destitution du service de Sa Majesté.


 

Avocats:

 

Le directeur des poursuites militaires, tel que représenté par la capitaine de corvette S.C. Leonard et le major P. Rawal

 

Maître M. Morin

Morin Lessard avocats

118 rue Saint-Jean-Baptiste

Victoriaville, Québec, G6P 4G1

Avocat du caporal R.P. Beaudry

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