Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 5 avril 2016

Endroit : BFC Trenton, édifice 22, 3e étage, 74 avenue Polaris, Astra (ON)

Chefs d’accusation :

• Chef d’accusation 1 : Art. 130 LDN, fraude (art. 380(1) C. cr.).
• Chefs d’accusation 2, 3 : Art. 117f) LDN, a commis un acte de caractère frauduleux non expressément visé aux articles 73 à 128 de la Loi sur la défense nationale.
• Chefs d’accusation 4, 5 : Art. 125a) LDN, a fait volontairement une fausse inscription dans un document officiel établit par lui.

Résultats :

• VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 3 : Non coupable. Chefs d’accusation 2, 4, 5 : Coupable.
• SENTENCE : Un blâme et une amende au montant de 1500$.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. Downer, 2016 CM 4006

 

Date : 20160413

Dossier : 201513

 

Cour martiale permanente

 

8e Escadre Trenton

Belleville (Ontario), Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Le caporal‑chef M.A. Downer, contrevenant

 

 

En présence du Capitaine de frégate J.B.M. Pelletier, J.M.


 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Oralement)

 

Les chefs d’accusation

 

[1]               Le caporal‑chef Downer a été déclaré coupable de trois chefs d’accusation en vertu du Code de discipline militaire pour des déclarations fausses qu’il avait faites le 16 août 2013, en tentant de présenter la version définitive d’une réclamation d’aide au déplacement en congé (ADC) pour laquelle il avait obtenu une avance de 600 $ des fonds publics. Le caporal-chef Downer a été déclaré coupable d’un chef d’accusation en vertu de l’alinéa 117f) de la Loi sur la défense nationale (LDN) pour avoir commis un acte de caractère frauduleux d’avoir tenté d’obtenir le versement de l’ADC et déclaré coupable de deux chefs d’accusation en vertu de l’alinéa 125a) de la LDN pour avoir volontairement fait deux fausses déclarations dans une affirmation solennelle qu’il avait signée, soumise pour que soit présentée la version définitive de sa réclamation.

 

Questions examinées

 

[2]               Il m’incombe maintenant à titre de juge militaire présidant la Cour martiale permanente de déterminer la sentence. Pour ce faire, j’ai tenu compte des principes de la détermination de la sentence appliqués par les tribunaux ordinaires du Canada ayant compétence en matière criminelle, ainsi que par les cours martiales. J’ai également tenu compte des circonstances propres à la présente affaire, révélées durant le procès ainsi que de la preuve produite à l’audience de la détermination de la sentence. Le major Dumulon‑Perreault, commandant du contrevenant, a en effet témoigné pour la poursuite et la docteure Marjorie Hogan a été appelée par la défense. Chacun d’eux a produit plusieurs pièces. Finalement, j’ai examiné avec attention les plaidoiries des avocats.

 

Objet du système de justice militaire

 

[3]               Le système de justice militaire constitue l’ultime recours pour faire respecter la discipline dans les Forces armées canadiennes, et une dimension essentielle de l’activité militaire. Ce système a pour but d’encourager les bons comportements en réprimant comme il se doit toute inconduite. C’est par la discipline qu’une organisation militaire pourra s’assurer que ses membres accomplissent avec succès leurs missions, efficacement et en toute confiance.

 

OBJECTIFS ET PRINCIPES DE LA DÉTERMINATION DE LA SENTENCE

 

[4]               L’objectif fondamental de la détermination de la sentence par une cour martiale est d’assurer le respect de la loi et le maintien de la discipline par l’imposition de peines qui répondent au moins à l’un des objectifs suivants :

 

a)                  protéger le public, ce qui comprend les Forces canadiennes;

 

b)                  dénoncer tout comportement illégal;

 

c)                  dissuader le contrevenant ou quiconque de commettre les mêmes infractions;

 

d)                  isoler au besoin les contrevenants du reste de la société; et

 

e)                  réadapter et réformer les contrevenants.

 

[5]               Lorsqu’il s’interroge sur la sentence qui devrait être prononcée, le juge doit aussi prendre compte de plusieurs principes :

 

a)                  la sentence doit être proportionnée à la gravité de l’infraction;

 

b)                  la sentence doit être proportionnée à la responsabilité et aux antécédents du contrevenant;

 

c)                  la sentence doit être semblable aux sentences imposées à de semblables contrevenants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables;

 

d)                  le contrevenant ne doit pas être privé de sa liberté s’il est possible, eu égard aux circonstances, de lui imposer une peine moins contraignante; et

 

e)                  toutes sentences doivent être alourdies ou allégées pour tenir compte des circonstances aggravantes ou atténuantes se rapportant à l’infraction ou au contrevenant.

 

[6]               Cela dit, la peine prononcée par un tribunal devrait constituer l’intervention minimale nécessaire la plus susceptible de se prêter aux circonstances. Dans le cas d’une cour martiale, cela signifie qu’elle prononcera une sentence représentant la sanction minimale ou la combinaison de sanctions minimales qui sera nécessaire pour préserver la discipline.

 

[7]               Les Ordonnances et Règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC) prévoient que le juge qui prononce une sentence en cour martiale « tient compte de toute conséquence indirecte du verdict ou de la sentence; et prononce une sentence proportionnée à la gravité de l’infraction et aux antécédents du contrevenant ». La sentence prononcée doit être adaptée au contrevenant concerné et à l’infraction qu’il ou elle a commise. La sentence doit également être semblable aux sentences prononcées contre de contrevenants semblables pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables.

 

LES INFRACTIONS ET LE CONTREVENANT

 

Les infractions

 

[8]               Les circonstances des infractions sont les suivantes :

 

a)                  Le 19 avril 2013, durant sa mutation à Ottawa, le caporal‑chef Downer a reçu une avance de 600 $ au titre d’une réclamation d’ADC résultant d’une passe de congé, accordée le 3 avril 2013 qui précisait qu’il serait en congé pendant 12 jours entre le 29 juin et le 10 juillet 2013 et qu’il se rendrait à L'Anse‑au‑Loup, à Terre‑Neuve‑et‑Labrador (T.‑N.‑L.). Comme le prévoit le chapitre 209 des Directives sur la rémunération et les avantages sociaux applicables aux Forces canadiennes, une ADC peut être obtenue par un membre des Forces armées canadiennes qui part visiter son plus proche parent.

 

b)                  Le congé autorisé pour la période du 29 juin au 10 juillet 2013 a été annulé à la demande du caporal‑chef Downer avant sa mutation d’Ottawa à Trenton (ON) quelque temps avant le 29 juin 2013.

 

c)                  Après s’être présenté à son poste à Trenton, le caporal‑chef Downer a pris un congé spécial (réinstallation) allant du 17 au 23 juillet 2013. Se fondant sur la preuve qui lui avait été présentée, la Cour a jugé, qu’à cette occasion, le caporal‑chef Downer ne s’était pas rendu à L'Anse‑au‑Loup (T.‑N.‑L.).

 

d)                  Le 13 août 2013, le caporal‑chef Downer a été informé par le personnel de la salle des rapports de la 8e Escadre qu’il devait rembourser une avance de 600 $ et qu’il devait présenter la version définitive de sa réclamation d’ADC pour éviter que cette somme ne soit prélevée sur sa solde.

 

e)                  Le 16 août 2013, le caporal‑chef Downer a demandé à la sergente Parsons de l’aider à présenter la version définitive de sa réclamation d’ADC; toutefois, comme il n’avait pas en sa possession la passe de congé estampillée par un fonctionnaire du lieu de la destination ni les reçus indiquant qu’il s’était rendu à T.‑N.‑L., la réclamation n’a pas pu être présentée dans sa version définitive. Le caporal‑chef Downer a déclaré qu’il s’était bel et bien rendu à L'Anse‑au‑Loup (T.‑N.‑L.), mais que par la suite il avait perdu tous les documents se rapportant au voyage lorsqu’un ami avait nettoyé son camion après être retourné chez lui. Vu cette information, la sergente Parsons a proposé au caporal‑chef Downer de faire une déclaration statutaire faisant état de ces faits dans l’espoir que cette affirmation serait acceptée comme preuve suffisante pour que sa réclamation puisse être présentée dans sa version définitive. Elle a entrepris de remplir un formulaire de déclaration statutaire en se fondant sur ce que lui dictait le caporal‑chef Downer. Une fois le document rempli et le caporal‑chef Downer satisfait de sa teneur, la déclaration fut reçue dans la forme solennelle par un officier commissionné.

 

f)                    Après la réception de la déclaration statutaire, la réclamation et la déclaration statutaire ont été transmises à la salle des rapports de la 8e Escadre pour approbation du paiement de la déclaration. Toutefois, le paiement n’a pas été approuvé et la réclamation n’a jamais été présentée en version définitive. Un peu après le 25 septembre 2013, l’avance de 600 $ a été reprise sur la solde du caporal‑chef Downer.

 

Le contrevenant

 

[9]               Le caporal‑chef Downer est un membre de la police militaire, âgé de 35 ans, originaire de T.‑N.‑L., qui s’est enrôlé dans les Forces armées canadiennes en octobre 1999 dans l’infanterie. Il a quitté les Forces armées canadiennes en octobre 2002. Après avoir obtenu en 2004 un diplôme en application de la loi, il s’est ré-enrôlé à nouveau en tant que policier militaire en mars 2006. Après une formation initiale de la police militaire, il a été muté en novembre 2006 à Gander (T.‑N.‑L.). En octobre 2007, il a suivi une formation d’officier de la sécurité aérienne, après quoi, en décembre 2007 il a été muté durant six mois à la Force opérationnelle interarmées Afghanistan. Il a complété en novembre 2008 son niveau de qualification 5 puis a été muté à Ottawa en 2010. En 2013, il a été muté à Trenton où il occupe encore son poste. Il vit en union de fait et il a un fils, né en juillet 2015; il a aussi un beau‑fils comme personne à charge.

 

[10]           Le major Dumulon‑Perreault, commandant du caporal‑chef Downer, a témoigné pour la poursuite sur la détermination de la sentence. Il a fourni des informations en se fondant sur sa connaissance personnelle et sur ses rapports avec le contrevenant ainsi que sur les documents obtenus du dossier personnel du contrevenant. La carrière du caporal‑chef Downer, avant les événements visés par les chefs d’accusation portés devant la Cour, peut être qualifiée d’entièrement satisfaisante malgré trois incidents qui ont nécessité une mise en garde ainsi qu’un avertissement écrit en 2008, 2009 et 2010. Je suis d’avis que ces incidents sont d’un caractère mineur et me fondant sur les témoignages entendus au procès, je suis d’avis que le rendement et le comportement du contrevenant ont été satisfaisants. Il a réussi deux importantes formations, notamment une formation exigeante d’officier de la sécurité aérienne, ainsi que ce qu’on pourrait qualifier de déploiement fructueux dans la Force opérationnelle interarmées Afghanistan. Le caporal‑chef Downer a reçu la mention élogieuse du chef d’état‑major de la Défense pour avoir monté la garde auprès d’un aéronef mis hors de combat dans un environnement hostile.

 

[11]           Toutefois, depuis la commission des infractions dont il s’agit ici, la carrière du caporal‑chef Downer a brusquement pris une mauvaise tournure. Les incidents survenus à partir de ce point ne sont pas pris en compte comme des circonstances aggravantes pour la détermination de la sentence, mais ils permettent d’illustrer la situation dans laquelle se trouve le contrevenant à l’étape de la détermination de la sentence, une situation qui a influé considérablement sur les réquisitions de la poursuite concernant la sentence à imposer. Le major Dumulon‑Perreault a précisé qu’en avril 2014, le caporal‑chef Downer avait été arrêté par la Police provinciale de l’Ontario (PPO) pour possession de marijuana. Après avoir reconnu qu’il consommait des stupéfiants, il fut astreint au régime d’une mise en garde et de surveillance. Durant cette période de surveillance, il fut soumis à un test de dépistage de drogue en décembre 2014 et le résultat était positif à la marijuana. En février 2015, à la suite d’un procès par voie sommaire le caporal‑chef Downer a été déclaré coupable de trois chefs d’accusation de s’être absenté sans permission et condamné à une amende et à 10 jours consignés aux quartiers. Tandis qu’il purgeait cette sentence, il fut convoqué au bureau d’un supérieur le 24 février 2015 pour l’examen de mesures prises à son encontre qui concernaient ses perspectives de carrière. Le caporal‑chef Downer sentait la marijuana. Un test fut donc ordonné pour en déterminer l’origine et le résultat se révéla encore une fois positif.

 

[12]           À la suite de ce dernier incident, le major Dumulon‑Perreault a recommandé à la fin de février 2015 la libération du caporal‑chef Downer en invoquant l’item 5f) de l’article 15.01 des ORFC; toutefois, les autorités compétentes du directeur de l’administration des carrières militaires à Ottawa ont décidé de ne pas suivre cette recommandation. Le commandant a témoigné avoir entendu dire que la décision de procéder à la libération était suspendue jusqu’à l’issue des procédures devant la présente Cour martiale. Interrogé par la Cour, le major Dumulon‑Perreault n’a pas pu expliquer, étant donné que les chefs d’accusation portés devant la Cour se rapportaient à des actes de caractère frauduleux commis en août 2013 et qu’ils n’ont rien à voir avec la toxicomanie constatée ultérieurement en 2014‑2015. La poursuite n’a pas non plus été en mesure d’expliquer à la Cour le raisonnement à l’origine de la décision de suspendre la libération administrative pour toxicomanie jusqu’à l’issue de procédures disciplinaires totalement étrangères à la question, d’autant plus que le caporal‑chef Downer comme bien d’autres avant lui aurait pu être jugé par la Cour après sa libération; c’est exactement ce que prévoit le paragraphe 60(3) de la LDN.

 

[13]           Cela ne veut pas dire que le directeur de l’administration des carrières militaires ou son personnel n’ont pas de raisons valides de différer une éventuelle libération du caporal‑chef Downer. C’est tout simplement que la preuve dont je dispose montre que la justification de la décision concernant la libération n’est pas comprise par le commandant de l’accusé et ne peut être expliquée par la poursuite et qu’il est impossible en vérité de la comprendre en étudiant les ordres et instructions applicables dont j’ai pris judiciairement connaissance en vertu de l’article 15 des Règles militaires de la preuve. Il y a là matière à préoccupation et j’invite la poursuite à examiner cette question si elle devait se présenter à nouveau dans le futur.

 

[14]           Un autre examen administratif qui lui semble dans les limbes, selon le major Dumulon‑Perreault, concerne les titres du caporal‑chef Downer en sa qualité de policier militaire. Ils ont été révoqués temporairement aux alentours d’avril 2014, sans doute à la suite de son arrestation par la PPO mais cela n’a pas été déterminé avec précision. Quoi qu’il en soit, une autre procédure d’examen des titres sera entreprise à la suite du présent procès, procédure au cours de laquelle il faudra se demander si les titres du caporal‑chef Downer justifiant son appartenance à la police militaire devraient être révoqués d’une manière permanente par le grand prévôt des Forces canadiennes.

 

[15]           En outre, il y a une question médicale qui à l’heure actuelle compromet fortement l’emploi du caporal‑chef Downer. Après son arrestation par la PPO en avril 2014, le caporal‑chef Downer a sollicité des traitements pour un état de stress post-traumatique (ESPT) et a été officiellement diagnostiqué en mai 2014. Le 9 septembre 2015, on lui a prescrit de très contraignantes restrictions médicales à l’emploi qui risquent fort de l’empêcher de se conformer aux exigences d’universalité du service, une situation qui requiert un examen administratif, lequel cette fois relèvera d’une autre autorité au sein de la direction de l’administration des carrières militaires à Ottawa. Suite à l’information communiquée à la Cour, il est impossible de savoir à quel moment une appréciation permanente aura lieu et à quel moment une éventuelle libération pourrait être ordonnée. Toutefois, il semble évident que le caporal‑chef Downer ne peut exercer un emploi rémunéré compte tenu des restrictions qui lui sont imposées et la seule issue envisageable à ce stade est une libération à brève ou moyenne échéance. Je crois comprendre qu’il n’est pas envisagé d’employer dans un avenir prévisible le caporal‑chef Downer comme membre de la police militaire, compte tenu des décisions à venir des autorités de la direction de l’administration des carrières militaires à Ottawa à propos de sa libération des Forces armées canadiennes, que ce soit à cause d’une inconduite ou à cause d’un non‑respect des exigences d’universalité du service pour raisons médicales, à savoir l’ESPT.

 

[16]           La docteure Marjorie Hogan, PhD, est une psychologue clinicienne à Belleville, près de la Base des Forces canadiennes Trenton. Elle est engagée dans une relation thérapeutique avec le caporal‑chef Downer depuis mars 2015, après un renvoi pour révision des autorités des Forces armées canadiennes. Témoignant pour la défense, elle a communiqué une information générale sur l’état mental du caporal‑chef Downer et sur les symptômes qu’il présente. Cet état semble avoir pour origine un déploiement en Afghanistan en 2007‑2008. Elle a affirmé que la première étape importante du traitement est le développement d’un rapport avec le patient, un rapport qui d’après elle a donné de bons résultats avec le caporal‑chef Downer malgré les hésitations qu’il avait manifestées au départ. Elle a affirmé que le caporal‑chef Downer lui avait dit que s’il consommait de la marijuana pour se calmer et pour s’endormir le soir, ce qui lui permettait d’apaiser les symptômes d’hyperexcitation, les rappels d’images et de réduire aussi les pensées intrusives. Le caporal‑chef Downer lui avait dit que la marijuana lui avait été prescrite par un médecin mais elle n’avait pas vérifié l’origine d’une telle ordonnance. La documentation médicale rédigée par la docteure Elliott, une psychiatre au Centre des services de santé des Forces canadiennes Trenton, mentionne que le caporal‑chef Downer fait de l’automédication avec la marijuana. Elle‑même et la docteure Hogan ont exprimé l’avis que l’état du caporal‑chef Downer peut être traité et qu’il pourra en guérir, mais la docteure Hogan croit que son rétablissement sera impossible dans un environnement militaire. Elle a aussi parlé de l’incidence défavorable qu’une sentence d’incarcération pourrait avoir sur le traitement du caporal‑chef Downer.

 

POSITION DES PARTIES SUR LA SENTENCE À PRONONCER

 

La poursuite

 

[17]           S’agissant de la sentence qui devrait être prononcée, la poursuite s’est attardée sur les objectifs de dénonciation et de dissuasion, priant la Cour d’imposer une sentence comprenant les sanctions suivantes : une destitution des Forces armées canadiennes et une rétrogradation.

 

La défense

 

[18]           Répondant aux réquisitions de la poursuite, la défense suggère qu’outre les objectifs de dissuasion et de dénonciation, un important objectif à prendre compte en l’espèce pour la détermination de la sentence est la réinsertion. Invoquant le principe de parité des sentences, la défense affirme que les objectifs peuvent être atteints par l’imposition d’une sentence comprenant une réprimande et une amende de 800 $ puisque des sentences de cet ordre ont été prononcées pour des infractions semblables. En outre et par souci de prudence, l’avocat de la défense a fait valoir qu’une sentence de détention n’était pas justifiée et que si elle l’était, des circonstances exceptionnelles justifieraient la suspension de cette période de détention.

 

ANALYSE

 

Gravité objective des infractions

 

[19]           Dans l’exercice consistant à évaluer ce qui serait une sentence juste et adéquate, la Cour a pris compte de la gravité objective de l’infraction en se fondant sur les sanctions maximales que la Cour pourrait imposer. La commission d’un acte de caractère frauduleux selon l’alinéa 117f) de la LDN encourt une peine d’emprisonnement de moins de deux ans. Les deux infractions consistant à faire volontairement une fausse déclaration dans un document officiel établi et signé de sa main en vertu de l’alinéa 125a) de la LDN encourt un emprisonnement de trois ans. Une seule sentence peut être prononcée par une cour martiale pour l’ensemble des infractions.

 

[20]           Aux fins de la détermination de la sentence, je considère que même si j’ai déclaré le contrevenant coupable de trois chefs d’accusation, la présente affaire concerne en réalité un seul comportement frauduleux du 16 août 2013, lorsque le contrevenant a tenté d’obtenir le versement d’un avantage auquel il n’avait pas droit. Ainsi que l’a jugé la Cour d’appel de la cour martiale dans R. c. St‑Jean, CACM 429, du 8 février 2000, il s’agit là d’une infraction grave. Le juge Létourneau s’exprimait ainsi au paragraphe 22 à propos des actes frauduleux commis par des membres des Forces armées canadiennes dans le cadre de leur emploi :

 

Dans un organisme public aussi grand et complexe que les Forces armées canadiennes, qui possède un budget considérable, qui gère une quantité énorme d’équipement et de biens de l’État et qui met en application une multitude de programmes divers, la direction doit inévitablement pouvoir compter sur le concours et l’intégrité de ses employés. Aucune méthode de contrôle, si efficace qu’elle puisse être, ne peut remplacer l’intégrité du personnel auquel la direction accorde toute sa confiance. Un abus de confiance telle la fraude est souvent très difficile à découvrir et les enquêtes qui y ont trait sont dispendieuses. Les abus de confiance minent le respect du public envers l’institution et ont pour résultat la perte de fonds publics. Les membres des Forces armées qui sont déclarés coupables de fraude, et les autres membres du personnel militaire qui pourraient être tentés de les imiter, devraient savoir qu’ils s’exposent à des sanctions qui dénonceront de façon non équivoque leur comportement et leur abus de la confiance que leur témoignaient leur employeur de même que le public et les dissuaderont de se lancer dans ce genre d’activités. L’objectif de dissuasion n’implique pas nécessairement l’emprisonnement dans de tels cas, mais il n’en exclut pas en soi la possibilité, même dans le cas d’une première infraction.

 

[21]           Les infractions constituent une tentative du caporal‑chef Downer de détourner pour son bénéfice des sommes allouées par la Couronne aux missions de la Défense nationale et, en ce sens, il ne s’agit pas d’infractions sans victime. Les deux parties reconnaissent que l’appartenance du caporal‑chef Downer à la police militaire à l’époque où il a commis les infractions constitue une circonstance aggravante. Ce point est reconnu dans la jurisprudence invoquée par la poursuite, en particulier dans R. c. Caporal-chef R.P. Joseph, 2008 CM 4008. Il est clair aussi qu’une personne ayant le même grade militaire, âge et expérience aurait dû être mieux informé avant d’agir comme il l’a fait. Cela dit, la poursuite n’a pas prouvé hors de tout doute raisonnable, comme il est de son devoir de le faire pour toute circonstance aggravante, que le contrevenant a utilisé son statut de policier militaire pour faciliter la commission de l’infraction. La poursuite n’a pas non plus prouvé hors de tout doute raisonnable la préméditation : la preuve révèle que le caporal‑chef Downer était allé trouver la sergente Parsons pour qu’elle l’aide à présenter la version définitive de sa réclamation, je n’ai pas été convaincu selon la norme requise qu’il avait projeté de faire de fausses déclarations, et de les consigner par écrit dans une déclaration statutaire.

 

Circonstances atténuantes

 

[22]           La Cour a considéré les facteurs suivants comme des circonstances atténuantes :

 

a)                  Il s’agit d’un cas portant sur un seul ensemble de fausses déclarations consignées par écrit dans une déclaration statutaire, et non de plusieurs ensembles de fausses déclarations faites au cours d’une longue période comme dans d’autres cas de fraude aux avantages sociaux. La somme en cause est d’environ 800 $, ce qui n’est pas énorme. La Cour a affaire à une tentative de fraude; il n’y a pas eu une réelle perte monétaire.

 

b)                  Le délai qui s’est écoulé depuis la commission de l’infraction en août 2013, une période de près de trois ans, qui influe sur l’objectif de dissuasion générale que la sentence est censée préserver.

 

c)                  Le fait que le caporal‑chef Downer doit être considéré comme un contrevenant qui en est à sa première infraction. Même s’il a une fiche de conduite, elle ne renferme qu’une seule déclaration de culpabilité pour trois chefs d’accusation de s’être absenté sans en janvier 2015, des infractions qui ont donc été commises après celles pour lesquelles il est l’objet de sanction aujourd’hui.

 

d)                  Le fait que le caporal‑chef Downer a servi honorablement dans les Forces armées canadiennes assumant des responsabilités accrues et atteignant des objectifs dignes de mention jusqu’à ce que commencent ses ennuis lorsqu’il fut arrêté par la Police provinciale de la PPO en avril 2014. En plus d’avoir suivi avec succès des cours ardus, il a su composer admirablement avec des conditions difficiles dans une zone de conflit, obtenant pour son service exceptionnel une reconnaissance sous la forme d’une citation élogieuse du Chef d’état‑major de la Défense.

 

e)                  Finalement, à l’âge de 35 ans, le caporal‑chef Downer est encore tout à fait à même de contribuer à la société canadienne dans l’avenir, compte tenu en particulier des pronostics favorables quant à ses chances de se remettre de l’état mental dont il souffre actuellement.

 

L’incidence de l’état mental du contrevenant

 

[23]           Les lésions psychologiques dont souffrent de nombreux militaires lorsqu’ils reviennent d’une mission, et en particulier d’Afghanistan, constituent une affaire sérieuse pour les Forces armées canadiennes, voire pour la société canadienne tout entière. Je crois qu’il est tout à fait à propos lorsqu’il s’agit de prononcer une sentence d’établir et de prendre compte de l’incidence de l’état psychologique d’un contrevenant. Pour autant, à l’exception des aspects qui rendent un accusé non criminellement responsable des actes qu’il a commis, un diagnostic de lésions psychologiques n’exonère pas un accusé de sa responsabilité pour les actes qu’il a commis.

 

[24]           La Cour partage la compassion exprimée par l’avocat de la défense pour l’état psychologique du contrevenant, un état qui semble être le résultat de son déploiement en Afghanistan. Malgré tout, l’approche adoptée par la défense, qui n’a pas compté ce facteur parmi les circonstances atténuantes en tant que telles, mais, plutôt l’a considéré comme un facteur à prendre compte dans l’évaluation de l’incidence inusitée que certaines sanctions précises pourraient avoir sur le caporal‑chef Downer, me semble la bonne approche. D’ailleurs, le dossier auquel nous avons affaire ne renferme aucune preuve montrant que l’état psychologique du caporal‑chef Downer a joué un rôle dans la commission des infractions. D’après la preuve qui m’a été soumise, certaines sanctions pourraient être particulièrement préjudiciables au caporal‑chef Downer en raison de sa maladie mentale; plus précisément, une sentence d’incarcération qui le priverait de l’aide de sa thérapeute et, qu’à coup sûr, aggraverait ses symptômes d’ESPT. Cette preuve n’a sans doute pas pour effet, par elle‑même, d’empêcher l’imposition d’une sentence carcérale qui serait requise par ailleurs. Toutefois, la prise en compte de la maladie mentale du contrevenant pourrait conduire la Cour à suspendre l’exécution d’une telle sanction si l’on estime que sa maladie mentale fait partie des « circonstances particulières justifiant une suspension de peine d’emprisonnement ou de détention » et si elle constitue un facteur autorisant la Cour à conclure qu’une telle suspension ne minerait pas la confiance du public dans le système judiciaire militaire. Voir R. c. Boire, 2015 CM 4010 aux paragraphes 23 à 28, et R. c. Caicedo, 2015 CM 4020 aux paragraphes 34 à 42.

 

Objectifs de la détermination de la sentence qui devraient être mis en évidence dans la présente affaire

 

[25]           Vu la nature des infractions, je suis arrivé à la conclusion que dans les circonstances particulières de la présente affaire ce sont les objectifs de dénonciation et de dissuasion générale qui devraient présider ici à la détermination de la sentence. En effet, comme le reconnaissait Clayton Ruby dans son texte de référence sur la détermination de la sentence, Sentencing, 8e édition aux pages 1021‑1022 :

 

Dans un état moderne où d’importants fonds publics sont octroyés, nombreux sont les citoyens de toute condition qui pourraient succomber à la tentation de se présenter sous un faux jour afin de bénéficier d’avantages auxquels ils n’ont pas droit… La dissuasion générale d’autres personnes animées du même esprit demeure un thème fondamental de la détermination de la sentence dans ce domaine.

 

S’agissant de la dénonciation, je me réfère à nouveau aux propos précédemment cités du juge Létourneau dans R. c. St‑Jean, CACM 429.

 

[26]           Cela dit, je crois aussi et d’accord avec la défense que la réinsertion est importante dans cette affaire. La sentence que je prononcerai ne devrait pas avoir d’importantes conséquences préjudiciables sur les efforts que le contrevenant devra consentir pour redevenir un membre productif de la société, compte tenu en particulier des troubles mentaux avec lesquels il doit composer. Il n’apparaît nulle part dans ce dossier que le comportement du contrevenant s’inscrit dans une tendance à commettre de manière répétitive des actes trompeurs ou frauduleux et il n’y a donc aucune raison de subordonner la réinsertion aux autres objectifs en jeu ici.

 

La sentence proposée par la poursuite

 

[27]           Comme indiqué précédemment, la poursuite recommande une sentence de destitution et de rétrogradation. C’est là une demande inusitée pour plusieurs raisons, comme elle l’a reconnu à l’étape des réquisitions. D’abord, les deux sanctions proposées précèdent et suivent la sanction de détention dans l’échelle des sanctions prévue à l’article 139 de la LDN. Priée de dire pourquoi la détention n’était pas considérée par elle comme une sanction adéquate, la poursuite a indiqué que l’objet que cette sanction est de nature corrective et qu’elle convient pour les contrevenants qui continuent de servir, ce qui n’est pas le cas du caporal‑chef Downer, qui sera vraisemblablement libéré. Se pose alors la question de l’efficacité des sanctions proposées de la destitution d’une personne sur le point d’être obligatoirement libérée et la rétrogradation.

 

[28]           La rétrogradation que je pourrais prononcer serait une rétrogradation au grade de soldat, puisque le caporal‑chef Downer est en fait un caporal désigné en tant que caporal‑chef. Or, une telle sanction ne serait efficace qu’en partie; on me dit que la rétrogradation au grade de soldat aurait pour effet que le contrevenant serait instantanément promu au grade de caporal, c’est‑à‑dire, le grade minimal qu’un membre de la police militaire, tel que le caporal‑chef Downer, peut détenir et, comme indiqué précédemment, son avenir en tant que membre de la police militaire reste encore à déterminer. Par ailleurs, il ressort de la preuve que le caporal‑chef Downer ne sert pas actuellement en uniforme et la rétrogradation n’aurait donc guère d’effet. Mise en présence de telles considérations, la poursuite a justifié sa position en affirmant que le fait de combiner la sanction de destitution et la sanction de rétrogradation garantirait l’efficacité globale de la sentence prononcée. Malgré cela, je crains qu’une destitution n’annule l’effet de la rétrogradation. À mon sens, la proposition de la poursuite paraît tautologique, pour ne pas dire contradictoire.

 

[29]           La difficulté que présente la proposition de la poursuite est le fait qu’elle se fonde largement sur la libération imminente du contrevenant des Forces armées canadiennes en raison de son état de santé ou en raison de questions disciplinaires; à savoir la déclaration de culpabilité prononcée contre lui dans ce procès jumelée à sa consommation de stupéfiants alors qu’il était en régime d’une mise en garde et surveillance en décembre 2014 puis, à nouveau, en février 2015.

 

[30]           Sur le plan médical, la preuve révèle qu’en septembre 2015 le caporal‑chef Downer a été assujetti à des restrictions à l’emploi dans le domaine militaire, ce qui l’exposait fortement au risque de ne pas pouvoir se conformer à la règle de l’universalité du service, sans compter qu’un examen médical allait être effectué par la suite. On ne sait pas si une catégorie médicale permanente a déjà été attribuée et l’on ne m’a pas informé de la date à laquelle cela serait fait. Ce que l’on sait toutefois, c’est qu’un militaire qui est médicalement inapte peut être maintenu en poste pour une durée maximale de trois ans, sous réserve de contraintes à l’emploi et celui en vertu de la section 5023-1 des Directives et ordonnances administratives de la Défense (DOAD). Il est donc trop tôt pour conclure que le caporal‑chef Downer est sur le point d’être libéré pour raisons médicales.

 

[31]           Sur le plan disciplinaire, il ressort de la preuve que ni le commandant ni la poursuite ne savent pourquoi le directeur de l’administration des carrières militaires a décidé de ne pas libérer le caporal‑chef Downer pour consommation de drogues peu de temps après que la recommandation lui en fut faite en février 2015, croyant apparemment préférable d’attendre la résolution de la présente affaire, laquelle toutes les parties en conviennent est entièrement sans rapport. Les parties n’ont pu définir ce que la « résolution finale » de la présente affaire signifie exactement. Il semblerait donc que sur le plan disciplinaire également le moment auquel une libération obligatoire pourra être décidée n’est pas connu. En conséquence, j’arrive à la conclusion que la proposition de la poursuite est fondée sur un postulat fautif, et je procéderai donc à l’analyse indépendamment d’une libération imminente.

 

[32]           La poursuite ne m’a signalé aucune jurisprudence suggérant une gamme de sentences susceptibles de convenir dans le cas présent, compte tenu des circonstances aggravantes ou atténuantes précises recensées plus haut. Selon la poursuite, des sentences de toutes sortes ont été prononcées pour fraude par le passé, allant d’une réprimande et d’une amende pour l’extrémité inférieure à un emprisonnement pour l’extrémité supérieure. Cependant, les circonstances de tels cas sont importantes et peuvent jeter une lumière sur les tendances en matière de la détermination de la sentence.

 

[33]           Me fondant sur une recherche superficielle que j’ai effectuée par le passé, j’ai constaté qu’en certaines occasions lorsque des sentences carcérales ont été prononcées par les cours martiales dans des cas de fraude, tant l’ampleur relative de la fraude que la nature répétitive ou subtile de la combine imaginée par les contrevenants était bien plus considérable que ce que l’on peut observer dans la présente affaire. Voir, par exemple, la décision R. c. Sergent Martinook, 2011 CM 2001, où le commis‑chef d’un régiment de réserve avait rédigé, signé et encaissé, pour son avantage, quinze chèques tirés sur le compte des fonds non publics de l’unité pour une fraude totale chiffrée à 17 945 $. Il fut condamné à un emprisonnement de 21 jours et à une rétrogradation au grade de caporal. Une fraude semblable avait été commise dans R. c. Caporal‑chef K.M. Roche, 2008 CM 1001, où le contrevenant avait fraudé les fonds de la Base des Forces canadiennes de Kingston de 8 700 $et avait été condamné à un emprisonnement de 14 jours et à une amende de 2 000 $, bien que la peine d’emprisonnement a été suspendue.

 

[34]           Quant à la sanction de destitution, il ne m’a été signalé aucun précédent montrant qu’une telle sanction a déjà été prononcée pour fraude. Ainsi que je m’exprimais, pour une fraude beaucoup plus grave, au paragraphe 39 de R. c. Boire, 2015 CM 4010, je trouve que la destitution est trop lourde, parce qu’elle se situe dans l’échelle des sanctions à un niveau plus élevé que la peine carcérale de détention et qu’elle a des répercussions notables et soudaines sur les moyens de subsistance du contrevenant. Je doute que cette sanction eût été demandée par la poursuite si elle n’avait pas anticipé une libération du caporal‑chef Downer. S’agissant de la peine de rétrogradation, également proposée par la poursuite, c’est très lourd selon moi au vu de la gravité relative de l’infraction et des antécédents du contrevenant dans cette affaire. En outre, comme cette sanction n’aura sans doute aucun effet, puisque le contrevenant sera automatiquement promu au grade de caporal en raison de sa qualité de membre de la police militaire, je suis convaincu que l’imposition de cette sanction ici ne servirait pas correctement les objectifs de dénonciation et de dissuasion générale.

 

La sentence proposée par la défense

 

[35]           Vu ma conclusion sur les réquisitions de la poursuite, je voudrais maintenant examiner l’idée d’une sentence combinant une réprimande et une amende de 800 $, une proposition très justement étayée par l’avocat de la défense qui a renvoyé la Cour à au moins huit précédents. Je les ai tous lus et je reconnais que tous ensemble ils montrent qu’une réprimande combinée à une amende s’inscrit dans la gamme des sanctions adéquates pour un acte frauduleux du genre auquel nous avons affaire ici. Cependant, je relève que dans sept de ces précédents, le contrevenant avait plaidé coupable. Pour six de ces huit précédents, y compris celui où un verdict de culpabilité avait été prononcé, la sentence finalement imposée fut le résultat d’une recommandation conjointe des avocats. Les sentences qui résultent de recommandations conjointes ne sont pas des sentences qui auraient été prononcées par le juge militaire. La décision que le juge a rendue dans tous ces cas de recommandations conjointes est tout simplement que la sentence proposée n’était pas déraisonnable, pas contraire à l’intérêt public et pas susceptible de déconsidérer l’administration de la justice; elle ne veut rien dire d’autre et elle n’a donc pas vocation à faire jurisprudence, mais j’examinerai ci‑après les deux autres précédents où la sentence fit l’objet d’un débat contradictoire.

 

La détermination de la sentence appropriée

 

[36]           Il est un important principe selon lequel la Cour doit prononcer la peine la moins sévère qui permette de préserver la discipline. Pour les motifs exposés plus haut, les sanctions que sont la destitution et la rétrogradation ont été écartées. Je ne crois pas qu’une sanction de détention soit requise en l’espèce; les sentences carcérales sont imposées en dernier recours, et les circonstances atténuantes qui sont en jeu ici, en particulier le fait que les infractions concernent un seul ensemble de fausses déclarations non répétées dans le temps et portant sur une somme modeste de 800 $, outre qu’elles ont été faites par un contrevenant qui en est à sa première infraction, rendraient cette sanction selon moi excessive et la question de la suspension ne se présente donc pas.

 

[37]           Ayant éliminé les sanctions les plus lourdes qui ont été proposées, expressément ou implicitement, dans les réquisitions de la poursuite, j’analyserai maintenant la sentence la moins lourde proposée par la défense et je me demanderai si cette combinaison de sanctions suffirait à satisfaire aux objectifs de la détermination de la sentence que j’ai recensés plus haut; à savoir la dénonciation, la dissuasion et la réinsertion du contrevenant. Je gravirai ensuite l’échelle des sanctions prévues à l’article 139, si besoin est.

 

[38]           Une réprimande combinée à une amende de 800 $, ainsi que la défense propose, suffit‑elle à satisfaire ici à ces objectifs la détermination de la sentence? Cette solution a été jugée suffisante dans les deux précédents qui m’ont été soumis, et dans lesquels la question de la sentence fut débattue : R. c. Joseph, 2008 CM 4008, et R. c. Taylor, 2007 CM 4012. Le cas du caporal‑chef Joseph a été évoqué par les deux avocats car il concerne un membre de la police militaire qui avait fait une fausse déclaration dans un rapport de police. Il avait été condamné à une réprimande et à une amende de 1 200 $ après avoir plaidé coupable à une infraction en vertu de l’alinéa 125a) de la LDN pour avoir déclaré qu’une entrevue avait été enregistrée comme preuve alors que ce n’était pas le cas. Le juge militaire avait fait observer que l’infraction n’avait pas été commise dans le dessein d’obtenir un avantage ou d’aider quelqu’un à commettre un acte illégal et qu’elle avait eu lieu à une époque où le contrevenant connaissait des difficultés personnelles. Je suis d’avis que l’infraction dont il s’agissait dans R. c. Joseph était moins grave que dans le cas présent et que le plaidoyer de culpabilité enregistré par le contrevenant dans ce précédent de même que la preuve d’une collaboration immédiate avec les autorités ont joué un rôle important dans l’atténuation de la sentence.

 

[39]           Quant au capitaine (retraité) Taylor, il avait plaidé coupable en à un chef d’accusation porté en vertu de l’alinéa 117f) de la LDN pour avoir présenté une lettre venant prétendument d’un organisme provincial qui donnait à entendre qu’il n’était plus tenu de verser une pension alimentaire à sa conjointe. Il a été condamné à une réprimande et à une amende de 1 000 $, inférieure de 500 $ à celle qu’il aurait par ailleurs été tenu de payer en raison du retard inexplicable qui s’était écoulé avant qu’il subisse son procès, un point qui avait été débattu à l’étape de la détermination de la sentence. L’espèce Taylor est semblable à la présente espèce, mais il reste que le capitaine Taylor avait plaidé coupable et collaboré rapidement avec les autorités, deux circonstances atténuantes qui ne sont pas présentes en l’espèce. En outre, le Taylor n’appartenait pas à la police militaire, une circonstance aggravante qui est présente en l’espèce.

 

[40]           Je crois que la sentence proposée par la défense n’est pas assez lourde pour satisfaire aux objectifs de dénonciation et de dissuasion qui, comme je l’ai dit, ont leur importance ici. Une infraction consistant en un acte frauduleux commis par un membre de la police militaire pour son gain personnel doit à l’issue d’un procès en bonne et due forme être, selon moi, punie au minimum d’un blâme. En outre, le montant de l’amende semble fixé d’après le chiffre de la tentative de fraude. Ce montant est à mon avis trop bas pour donner effet aux objectifs de la détermination de la sentence dans la présente affaire et il devrait être haussé à 1 500 $. La Cour n’a pas été informée des moyens financiers du contrevenant, mais vu le bordereau de paie que j’ai devant moi à la pièce 18, outre un calendrier de paiements qui s’accorde avec ce que la défense avait suggéré pour l’amende initiale proposée, je suis convaincu que la sentence que je m’apprête à prononcer n’aura pas d’effet préjudiciable sur la réinsertion du contrevenant.

 

[41]           Caporal‑chef Downer, les circonstances des trois chefs d’accusation dont je vous ai déclaré coupable révèlent un comportement qui est tout à fait inacceptable de la part de quiconque dans les Forces armées canadiennes, à plus forte raison de la part d’un membre de la police militaire. Vous devriez maintenant vous en rendre compte; toutefois, le très mauvais discernement que vous avez montré et les actes illégaux que vous avez commis remontent à 2013. Avec la fin des présentes procédures en cour martiale, il vous appartient de considérer tout cela comme chose du passé et de vous engager sur le chemin de la réinsertion. Et surtout, vous avez emprunté le chemin qui vous permettra de vous remettre de graves troubles mentaux. J’admire ce que vous avez accompli par le passé comme membre des Forces armées canadiennes. Malgré tout, votre avenir semble être celui d’un simple citoyen de notre société et j’espère que vous saurez tirer parti des compétences que vous avez acquises dans le domaine militaire pour devenir une personne plus saine et meilleure qui sait à quoi s’en tenir et qui ne récidivera pas.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[42]           VOUS CONDAMNE à un blâme et à une amende au montant de 1 500 $, payable en 10 mensualités de 150 $, dont la première sera versée au plus tard le 1er juin 2016. Si vous êtes libéré des Forces armées canadiennes pour quelque raison avant le paiement intégral de l’amende, alors tout solde impayé sera exigible le jour précédant votre libération.


 

Avocats :

 

Le Directeur des Poursuites militaires, représenté par le major J.S.P. Doucet et le major A.J. Van der Linde

 

Le major D. Hodson et le lieutenant de vaisseau T.N. Ticky, Direction du Service d’avocats de la défense, avocat du caporal‑chef M.A. Downer

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