Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 6 février 2017

Endroit : BFC Gagetown, édifice F-1, 100 chemin Broad, Oromocto (NB)

Chefs d’accusation :

Chef d’accusation 1 : Art. 130 LDN, a causé des lésions corporelles par négligence criminelle (art. 221 C. cr.).
Chef d’accusation 2 : Art. 124 LDN, a exécuté avec négligence une tâche militaire.
Chef d’accusation 3 : Art. 129 LDN, acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

Résultats :

VERDICTS : Chef d’accusation 1 : Retiré. Chefs d’accusation 2, 3 : Coupable.
SENTENCE : Détention pour une période de 90 jours et une rétrogradation au grade de soldat. Conformément à l’article 215 de la Loi sur la défense nationale, l’exécution de la peine de détention a été suspendue.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. Morton, 2017 CM 4003

 

Date : 20170214

Dossier : 201614

 

Cour martiale permanente

 

Base de soutien de la 5e Division du Canada Gagetown

Oromocto (Nouveau-Brunswick), Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Caporal-chef K.P. Morton, contrevenant

 

 

En présence du : Capitaine de frégate J.B.M. Pelletier, J.M.


 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Oralement)

 

INTRODUCTION

 

[1]               Le 12 juin 2015, en fin de matinée, un véhicule blindé Coyote suivait une piste à la Base des Forces canadiennes (BFC) Gagetown jusqu’à ce qu’un arbre tombé de manière à être presque à angle droit avec le sol bloque sa route. Le soldat Tanner conduisait. À ce moment-là, elle avait environ 45 à 50 minutes d’expérience de conduite de ce véhicule puisqu’il s’agissait de son premier jour de formation pratique sur le Coyote dans le cadre de sa période de perfectionnement 1 (PP 1) du cours de membre d’équipage de blindé. Au-dessus d’elle, installé au poste de tireur était son collègue le soldat Wuerch, qui avait conduit ce véhicule pour la première fois plus tôt ce matin-là. Au commandement du véhicule était le caporal-chef Morton, l’instructeur, qui se trouvait à la position du chef d’équipage. Après avoir vu l’obstacle, le soldat Tanner a arrêté le véhicule. Le caporal-chef Morton lui a indiqué qu’ils allaient faire demi-tour, mais lui a ensuite dit qu’elle pouvait passer à travers l’arbre si elle le voulait. Après une brève discussion, le soldat Tanner a acquiescé et a avancé le véhicule près de l’arbre. Le tronc atteignait la partie supérieure de la caisse du véhicule, à un endroit où le coupe-fil qui se trouvait devant elle touchait à l’arbre. Le soldat Wuerch a allumé sa caméra vidéo personnelle pour filmer ce dont il pensait allait être le véhicule passant à travers l’arbre. Les événements qui ont suivi étaient imprévus et tragiques. Dès que le caporal-chef Morton a dit au soldat Tanner d’appuyer sur l’accélérateur, le véhicule a foncé vers l’avant, l’arbre a brisé le coupe-fil du véhicule et a violemment heurté la tête du soldat Tanner, lui causant des blessures importantes au visage.

 

[2]               Par suite de cet incident, le caporal-chef Morton faisait l’objet de trois accusations en vertu du Code de discipline militaire : la première était en vertu de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale (LDN) pour avoir causé des lésions corporelles à autrui par négligence criminelle, infraction décrite à l’article 221 du Code criminel; la deuxième était en vertu de l’article 124 de la LDN pour avoir exécuté une tâche militaire de façon négligente et la troisième était en vertu de l’article 129 de la LDN pour avoir commis un acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

 

[3]               Après avoir consenti à la présentation de plusieurs pièces et avoir entendu le témoignage de deux témoins au procès, j’ai accueilli la demande présentée par le caporal-chef Morton dans le but de modifier son plaidoyer de culpabilité pour plaider coupable aux deuxième et troisième chefs d’accusation alors qu’il avait initialement plaidé non coupable. La poursuite a ensuite retiré le dernier chef d’accusation fondé sur l’article 130. Après avoir accepté et enregistré le plaidoyer de culpabilité à l’égard des deuxième et troisième chefs figurant à l’acte d’accusation, la Cour a déclaré le caporal-chef Morton coupable de ces chefs d’accusation en vertu des articles 124 et 129 de la LDN.

 

[4]               Je dois maintenant déterminer et imposer une sentence appropriée, équitable et juste.

 

FAITS ET CIRCONSTANCES

 

[5]               Les faits pertinents à la détermination de la sentence ont soit été admis dans les pièces ou dans les témoignages entendus pendant le procès avant la présentation du plaidoyer et à l’audience de détermination de la sentence. L’élément de preuve le plus important est la séquence vidéo de l’incident recueillie sur la caméra du soldat Wuerch, laquelle permet à la cour de comprendre les circonstances de l’incident décrit précédemment. En outre, j’ai examiné l’ensemble de la preuve reçue et entendue à l’audience de détermination de la sentence, y compris le sommaire des circonstances lu par le procureur de la poursuite, et dont le contrevenant a reconnu l’exactitude, ainsi que les témoignages et les documents reçus à titre de pièces. Il convient de souligner certains de ces éléments de preuve.

 

[6]               J’ai reçu à titre de pièce un exposé conjoint des faits qui explique la gravité des blessures subies par le soldat Tanner lors de l’incident, les soins médicaux qu’elle a reçus depuis, les autres traitements qui risquent d’être nécessaires et son pronostic à long terme. Aux fins de l’imposition d’une sentence, il n’est pas contesté que les infractions ont causé des blessures graves. Le soldat Tanner a été affecté à un régiment blindé à Edmonton et a récemment été promu au grade de caporal. Elle a témoigné au procès et est restée présente pour l’audience de la détermination de la sentence. J’ai été impressionné par son courage, par les efforts qu’elle a déployés pour reprendre sa vie en main et par le fait qu’elle ait pardonné au caporal-chef Morton, malgré l’expérience traumatique qu’elle a vécue.

 

[7]               Le lieutenant-colonel Hutt, commandant de l’École du Corps blindé royal canadien et commandant (cmdt) du contrevenant, a expliqué à l’audience de la détermination de la sentence que le caporal-chef Morton avait été relevé de ses fonctions à titre de chef d’équipage et instructeur après l’incident. Il n’a pas occupé un poste de chef d’équipage depuis, mais il a donné des cours à l’école pendant une semaine peu de temps après l’incident. Le lieutenant-colonel Hutt a expliqué quelles étaient ses attentes à l’égard des instructeurs et des chefs d’équipage et a souligné qu’il est d’important d’avoir un bon jugement et la sécurité des autres à cœur, surtout lorsqu’il est question d’étudiants. En plus d’avoir été relevé de ses fonctions à l’école, le caporal-chef Morton a fait l’objet d’une mesure corrective de mise en garde et de surveillance (MG et S) pendant une période qui est maintenant terminée. Le commandant estime que l’incident du 12 juin 2015 était un exemple malheureux du grave manque de jugement et de leadership dont a fait preuve le caporal-chef Morton alors que ce sont des compétences que doivent posséder les instructeurs et chefs d’équipage. Par conséquent, il n’avait plus confiance en la capacité du caporal-chef Morton d’assumer ces rôles et l’a affecté à d’autres tâches, parfois avec d’autres unités de la BFC Gagetown. Il a dit qu’il lui serait difficile de regagner confiance en le caporal-chef Morton, mais que cela n’était pas impossible. Cela exigerait toutefois beaucoup de temps. Trois rapports d’appréciation du personnel (RAP) annuels couvrant la période du 1er avril 2013 au 31 mars 2016 ont été produits et ils indiquent une baisse importante dans l’évaluation du rendement et du potentiel du caporal-chef Morton à la suite de l’incident de juin 2015.

 

[8]               La défense a appelé le caporal-chef Morton à témoigner sur la détermination de la sentence. Ce dernier a exprimé des regrets pour ce qui s’est passé et a présenté devant la cour des excuses bien senties au caporal Tanner. Il a dit à quel point il était désolé pour ce qu’elle avait dû endurer et ce qu’elle devait encore subir en raison de ses actes.

 

[9]               Le caporal-chef Morton a aussi décrit sa situation familiale. Sa femme agit à titre de technicienne médicale ici à Gagetown, mais elle suit actuellement un cours de perfectionnement professionnel de cinq mois à la BFC Borden qui se terminera en mai, un cours requis pour être promue au grade supérieur. Le caporal-chef Morton s’occupe donc seul de ses deux jeunes enfants de deux et quatre ans. Bien qu’il bénéficie d’un solide soutien familial de la part de ses beaux-parents et de ses parents à Saint John, il affirme que ses enfants sont plus à l’aise en sa compagnie qu’en compagnie de leurs grands-parents.

 

[10]           Dans son témoignage, le caporal-chef Morton a parlé de la culpabilité qu’il a ressentie à la suite de l’incident et des répercussions que cela a eues sur sa vie. Il a expliqué que sa vie familiale avait été touchée puisqu’il avait peur de mal évaluer une situation potentiellement dangereuse et ainsi causer des blessures à ses enfants ou leur décès. Il a ajouté que ses sentiments de culpabilité et de honte l’ont amené à élaborer un plan pour se suicider, auquel il n’a pas donné suite parce qu’il se souciait de ses enfants et ne voulait pas les laisser. Il a été hospitalisé après avoir fait part de ses pensées suicidaires à des professionnels de la santé mentale. Il participe régulièrement à des séances de psychothérapie avec un psychiatre et un travailleur social. Il prend des médicaments pour traiter les symptômes associés à son trouble de santé mentale.

 

[11]           Le docteur Walker est le psychiatre traitant du caporal-chef Morton. Il a témoigné à la demande et avec le consentement de son patient dans le but de donner des détails sur l’état mental, le traitement et le pronostic de ce dernier, qui souffre d’un trouble dépressif majeur et qui a récemment reçu un diagnostic de trouble de stress post-traumatique (TSPT) découlant de l’incident de juin 2015. Le docteur Walker a bien expliqué ses observations et le plan de traitement qu’il a élaboré avec le caporal-chef Morton, qu’il voit aux trois ou quatre semaines depuis juin 2016. Le docteur Walker a expliqué son rôle comme membre d’un groupe composé de trois professionnels de la santé, dont la psychothérapeute qui voit le caporal-chef Morton le plus souvent. Il a souligné l’importance d’établir un rapport et d’assurer la continuité des soins pour accroître les chances de réussite et un retour vers le mieux-être. Il a parlé des regrets ressentis par le caporal-chef Morton relativement à l’incident de juin 2015 et a donné des précisions sur plusieurs symptômes dont souffre le caporal-chef Morton et sur son approche relative au traitement de ces symptômes. Il a aussi expliqué les idées suicidaires du caporal-chef Morton et la raison pour laquelle ses enfants sont un facteur préventif important, bien qu’ils soient également une source de culpabilité en raison des doutes et de l’anxiété qu’éprouve le caporal-chef Morton par rapport à ses compétences parentales. Enfin, le docteur Walker a expliqué les circonstances qui l’ont amené à poser un diagnostic de TSPT à l’égard du caporal-chef Morton et a indiqué qu’il est difficile de simuler une telle condition.

 

[12]           La thérapeute du caporal-chef Morton, lieutenant de vaisseau Donovan, a fourni des renseignements supplémentaires dans une lettre. Elle décrit les symptômes ressentis par le caporal-chef Morton en raison du stress causé par l’incident de juin 2015 et de ses conséquences, y compris le processus disciplinaire et les procédures judiciaires en cours. Elle a confirmé qu’il ressent de la culpabilité et de la honte et a expliqué la façon dont ces sentiments se manifestent. Elle a expliqué son plan de traitement relativement au TSPT récemment diagnostiqué et a exprimé son opinion quant aux répercussions négatives que pourrait avoir l’emprisonnement du caporal-chef Morton sur les efforts qu’il devra faire pour se rétablir.

 

POSITION DES PARTIES

 

Poursuite

 

[13]           Le procureur de la poursuite soutient que je devrais imposer une sentence composée d’une peine de détention de 90 jours et d’une rétrogradation au grade de soldat, soit une rétrogradation d’un grade vu que le poste de caporal-chef est une nomination, et non un grade. Dans ses observations, le procureur a insisté sur les objectifs de dénonciation et de dissuasion générale tout en soutenant qu’il avait tenu compte des principes de dissuasion spécifique et de réadaptation lorsqu’il a décidé d’accorder la priorité à la peine axée sur la réadaptation qu’est la détention plutôt qu’à l’emprisonnement.

 

[14]           Le procureur soutient également qu’une sentence privative de liberté s’impose puisque le comportement du caporal-chef Morton était non seulement suffisant pour conclure à la responsabilité criminelle, mais constituait également un cas particulièrement flagrant de négligence dans le commandement d’un véhicule blindé. Le contrevenant avait le devoir élémentaire d’envisager et de prévenir les conséquences. Le procureur affirme que la rétrogradation est nécessaire; il s’agit d’un exemple parfait d’échec sur le plan du leadership puisque la responsabilité fondamentale des dirigeants consiste à assurer la sécurité de leurs troupes. En ce qui concerne la possibilité de suspendre la peine de détention, le procureur soutient que des ressources sont disponibles pour répondre aux besoins en santé mentale du contrevenant à la Caserne de détention et prison militaire des Forces canadiennes (CDPMFC) à Edmonton et que des membres de la famille peuvent s’occuper des enfants en l’absence du contrevenant. Le procureur affirme que si la peine de détention n’est pas purgée, cela aura pour effet de miner la confiance du public dans l’administration de la justice militaire.

 

Défense

 

[15]           Par suite d’une entente conclue avec le procureur en ce qui concerne le plaidoyer de culpabilité et le retrait du premier chef d’accusation, l’avocat de la défense est tenu de dire qu’il est justifié d’imposer une peine de détention de 90 jours. Cependant, il ajoute que des circonstances exceptionnelles liées à la situation familiale et à la santé mentale du contrevenant exigent la suspension de cette période de détention. L’avocat de la défense prétend qu’il est possible d’atteindre les objectifs de la détermination de la sentence sans imposer une peine de rétrogradation. Il recommande plutôt d’imposer une amende importante pouvant aller jusqu’à 10 000 $, ce qui attirerait l’attention des autres et permettrait d’atteindre l’objectif de dissuasion tout en imposant un fardeau financier moins lourd au caporal-chef Morton que la baisse de salaire attribuable à une rétrogradation.

 

[16]           En réponse aux observations du procureur, l’avocat de la défense souligne les conséquences qu’a eues l’incident sur le caporal-chef Morton, qui se punira toujours pour ce qui s’est produit, peu importe la sentence qui est imposée. Conscient de l’importance des objectifs de dissuasion et de dénonciation, l’avocat de la défense indique qu’il faut s’assurer que la sentence imposée ne nuira pas au processus de réadaptation du contrevenant. Sur la foi de la preuve déposée par les professionnels de la santé, ce serait le cas si la sentence de détention n’était pas suspendue et si le contrevenant perdait son grade. L’avocat de la défense n’a pas essayé d’amoindrir les circonstances graves de l’infraction et les répercussions importantes qu’elle a eues sur le caporal Tanner. Je suis donc invité à tenir compte de la dimension humaine de la situation du caporal-chef Morton et à éviter d’imposer une sentence en me fondant seulement sur la preuve convaincante que j’ai vue dans la vidéo de l’incident et sur la gravité des blessures subies par le caporal Tanner.

 

ANALYSE

 

Objectifs et principes de la détermination de la sentence

 

[17]           La présente affaire porte sur des infractions militaires, commises dans un contexte militaire par un contrevenant qui est en service actif à temps plein dans la Force régulière. Lorsque je m’acquitte de mon devoir de déterminer la sentence, je dois donc garder à l’esprit le but du système de justice militaire, c’est-à-dire promouvoir le bon comportement par la sanction adéquate de l’inconduite. Le fait que les tribunaux militaires déterminent la sentence permet d’améliorer la discipline, l’efficacité et le moral essentiel à l’efficacité opérationnelle des Forces armées canadiennes (FAC), créant ainsi des conditions essentielles à la réalisation d’une mission.

 

[18]           Cette spécificité militaire ne signifie pas que les objectifs et principes applicables à la détermination de la sentence par les cours martiales doivent être différents de ceux appliqués par les cours de juridiction criminelle au Canada. La détermination de la sentence vise fondamentalement à assurer le respect de la loi et le maintien de la discipline militaire en infligeant des peines visant un ou plusieurs des objectifs suivants, lesquels sont mentionnés à l’article 718 du Code criminel :

 

a)                  dénoncer le comportement illégal et le tort causé par celui-ci aux victimes ou à la collectivité;

 

b)                  dissuader les délinquants et quiconque, de commettre des infractions semblables et, par le fait même, protéger le public, y compris les FAC;

 

c)                  isoler, au besoin, les délinquants du reste de la société;

 

d)                  favoriser la réinsertion sociale des délinquants;

 

e)                  assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité;

 

f)                    susciter la conscience de leurs responsabilités chez les délinquants, notamment par la reconnaissance du tort qu’ils ont causé.

 

[19]           Lorsqu’il s’agit de déterminer la sentence appropriée, le juge doit également tenir compte des principes suivants :

 

a)                  la peine est proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du contrevenant ;

 

b)                  l’adaptation de la peine aux circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration de l’infraction ou à la situation du contrevenant;

 

c)                  l’harmonisation des peines, c’est-à-dire l’infliction de peines semblables à celles infligées à des contrevenants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables;

 

d)                  l’obligation, avant d’envisager la privation de liberté par l’emprisonnement ou la détention, d’examiner la possibilité de sanctions moins contraignantes lorsque les circonstances le justifient;

 

e)                  la sentence doit constituer l’intervention minimale nécessaire qui est adéquate, compte tenu des circonstances. Pour une cour martiale, cela signifie qu’il faut imposer une sentence composée d’une peine minimale ou d’une combinaison de sanctions nécessaires pour maintenir la discipline, la bonne organisation et le moral.

 

[20]           Aux termes des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC), pour déterminer la sentence, le juge d’une cour martiale tient compte de toute conséquence indirecte du verdict ou de la sentence, et prononce une sentence proportionnée à la gravité de l’infraction et aux antécédents du contrevenant. Certes, la détermination de la sentence est un processus individuel tant pour les cours martiales que pour les cours de juridiction criminelle au Canada. Je ferai d’abord quelques remarques au sujet du contrevenant, puis au sujet de l’infraction.

 

Le contrevenant

 

[21]           Le caporal-chef Morton est un membre d’équipage de blindé âgé de 30 ans qui, au moment des infractions, travaillait comme instructeur à l’École du Corps blindé royal canadien à Gagetown. Il s’est enrôlé dans la Force régulière à Saint John (N.-B.), en octobre 2005. Après avoir réussi l’instruction de base et la qualification de membre d’équipage en 2007, il a été muté aux Royal Canadian Dragoons de Petawawa. Il a été déployé en Afghanistan pendant près de sept mois en 2009-2010. Il a ensuite été muté à Gagetown, dans ses fonctions actuelles d’appui à l’instruction en août 2014. Avant l’incident de juin 2015, il avait été un instructeur de conduite dans au moins trois autres cours de conduite de véhicules Coyote dans le cadre de la PP 1.

 

[22]           Il ressort de la preuve que l’incident du 12 juin 2015 a eu des conséquences importantes sur la carrière militaire du caporal-chef Morton, comme on pouvait s’y attendre vu la gravité des blessures subies par une élève qui était sous sa responsabilité. Le caporal-chef Morton n’a pas été chef d’équipage depuis. Sauf pour une période d’une semaine peu de temps après l’incident, il n’a pas travaillé comme instructeur à l’École du Corps blindé; il s’est plutôt vu attribuer diverses tâches administratives à l’École et à la base. Il a fait l’objet d’une mise en garde et surveillance (MG et S) et il a été évalué pendant six mois, bien qu’il soit difficile de comprendre comment certaines conditions de la MG et S ont pu faire l’objet d’une surveillance complète si le caporal-chef Morton ne travaillait plus comme instructeur pendant cette période. Cette mesure officielle m’indique que le caporal-chef Morton avait des raisons d’être préoccupé par son avenir dans les FAC puisque la MG et S constitue la dernière mesure administrative avant la libération obligatoire. Cette mesure corrective formelle, jumelée au retrait de son poste d’instructeur et au contenu de son RAP de 2015-2016, aurait clairement indiqué au caporal-chef Morton que sa chaîne de commandement avait perdu confiance en ses capacités.

 

[23]           Cette situation professionnelle donne une idée du contexte des témoignages offerts par le caporal-chef Morton et les deux professionnels de la santé qui l’ont traité en lien avec ses symptômes de dépression et d’anxiété et leur apporte de la cohérence. J’estime que les explications du Dr Walker sont convaincantes eu égard au sentiment général de culpabilité ressenti par le caporal-chef Morton, lequel est attribuable à sa crainte de ne pas pouvoir subvenir aux besoins de sa famille. Je reconnais que le caporal-chef Morton a éprouvé beaucoup de remords à la suite de l’incident de juin 2015, qui est la source du trouble dépressif majeur dont il a reçu le diagnostic en mars 2016, soit quelques semaines après son retour au travail à la suite d’une période de congé parental. Il a aussi été établi que le caporal-chef Morton a récemment reçu un diagnostic de TSPT par suite de l’incident. Ce diagnostic a été établi une fois que certains symptômes ont été reconnus à un moment où le caporal-chef Morton avait décidé d’arrêter de prendre ses médicaments parce qu’il craignait qu’ils l’empêchent de bien s’occuper de ses enfants. Même si le caporal-chef vient tout juste de recevoir le diagnostic du TSPT, il devra bientôt suivre un traitement, en commençant par la psychoéducation quant au TSPT.

 

[24]           La situation familiale a une incidence immédiate sur le caporal-chef Morton. Sa femme est partie suivre un cours jusqu’en mai et, pendant ce temps, le caporal-chef Morton s’occupe de ses deux jeunes enfants tous les jours. Cela étant dit, le caporal-chef Morton bénéficie, au besoin, du soutien de ses parents et de ses beaux-parents. Cependant, j’ai été informé que si les grands-parents apportent leur soutien, ils doivent payer des frais de déplacement et des dépenses connexes et perdent leurs revenus d’emploi.

 

Les infractions

 

[25]           Lorsqu’elle a évalué les observations présentées par les avocats à propos de la sentence à imposer, la Cour a tenu compte de la gravité objective des infractions. À cette fin, elle s’est appuyée sur la peine maximale qu’elle pourrait infliger. Les infractions prévues aux articles 124 et 129 de la LDN sont passibles au maximum de destitution ignominieuse du service de Sa Majesté ou d’une peine moindre.

 

[26]      Les circonstances entourant la perpétration immédiate des infractions ont été décrites précédemment. Elles ont été établies au moyen de la vidéo de l’incident diffusée en cour, de photographies montrant des parties de l’incident, le véhicule blindé Coyote et l’arbre en question. J’ai examiné tous les éléments de preuve produits dans le cadre de mon analyse des infractions, y compris les renseignements relatifs aux blessures subies par suite de l’incident.

 

[27]           Bien que le caporal-chef Morton ait plaidé coupable à deux infractions, l’acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline qu’il a admis avoir commis semble être une violation des instructions d’utilisation du véhicule blindé Coyote, soit essentiellement un « manuel de l’utilisateur », préparées par le fabricant, mais mises en page et publiées par les FAC avec l’autorisation du Chef d’état-major de la Défense (CEMD). Ce chef d’accusation est une composante technique de l’infraction principale prévue à l’article 124 de la LDN, soit la négligence dans l’exécution des tâches militaires. Comme l’a convenu le procureur, le comportement qui doit faire l’objet de sanctions aux fins de la détermination de la sentence est le fait que le caporal-chef Morton, à titre de commandant d’équipage, n’ait pas assuré la sécurité du soldat Tanner, l’élève au volant du véhicule, lorsqu’il lui a permis de pousser un arbre avec le véhicule blindé Coyote dont il était responsable le 12 juin 2015.

 

Gravité du comportement

 

[28]           En ce qui concerne la gravité du comptement, j’estime que les gestes posés par le caporal-chef Morton le 12 juin 2015, lorsqu’il a permis à la conductrice de pousser un arbre qui était tombé avec un véhicule blindé Coyote, constituent un écart marqué par rapport à la norme du comportement auquel on s’attend d’un commandant d’équipage dans l’exercice de ses fonctions militaires.

 

[29]           Selon les instructions d’utilisation du véhicule, les utilisateurs doivent faire preuve de prudence lorsqu’ils s’approchent d’un obstacle et doivent [traduction] « éviter de heurter des arbres de plus de 3 pouces de diamètre ». L’arbre en question avait un diamètre d’environ 10,5 pouces et une circonférence d’environ 2 pieds et 9 pouces. Il mesurait environ 69 pieds et était placé à l’horizontale parmi plusieurs arbres apparemment en santé encore debout dans un secteur boisé de densité moyenne. L’arbre bloquait la route et formait presque un angle droit. Quiconque s’en approchait pouvait le voir puisqu’il était assez haut par rapport au sol. Lorsque le véhicule s’est trouvé près de l’arbre, le tronc touchait la partie supérieure de la caisse du véhicule.

 

[30]           Le caporal-chef Morton était non seulement un commandant d’équipage qualifié, mais aussi un instructeur chargé de communiquer les paramètres d’utilisation du véhicule aux élèves, surtout dans les situations où il faut faire preuve de prudence, tel qu’indiqué dans les instructions. Il aurait dû être en mesure de reconnaître que la situation n’était pas sécuritaire. Le caporal-chef Morton possédait les connaissances techniques qui auraient dû lui permettre de savoir que la situation était dangereuse, mais il aurait également dû savoir qu’il avait l’obligation d’assurer la sécurité de ses subordonnés en ce qui a trait au mouvement du véhicule puisqu’il s’agissait d’une des tâches essentielles qu’il devait accomplir à titre d’instructeur du cours de la PP 1, comme il était indiqué dans le document qu’il avait signé en février 2015.

 

[31]           J’ai du mal à comprendre comment le caporal-chef Morton a pu agir d’une façon qui allait tellement à l’encontre de ce qu’il connaissait, tant sur le plan technique que sur le plan de la sécurité. Je crois qu’il aurait dû lui paraître évident qu’une situation dangereuse se présentait. Il a eu le temps d’évaluer la situation et de prendre une décision éclairée dans le but d’éviter le danger, qu’il aurait dû anticiper à titre de commandant d’équipage qualifié. Ce n’est pas comme si l’arbre était apparu de l’autre côté d’une crête ou dans un tournant de la route. Il a vite vu l’arbre, le véhicule s’est arrêté avant d’atteindre l’obstacle et il a envisagé de faire demi-tour. Or, il a choisi le pire plan d’action lorsqu’il a offert à l’élève, déterminée à montrer à son instructeur qu’elle pouvait conduire le véhicule en toute confiance, la possibilité de conduire à travers l’arbre.

 

[32]           De ce que j’ai vu, même si j’estime qu’il s’agissait d’une situation clairement dangereuse, je comprends pourquoi le soldat Tanner s’est montrée disposé à accepter la proposition de son instructeur et à conduire à travers l’arbre. À ce moment-là, elle avait moins d’une heure d’expérience, elle voulait prouver qu’elle avait ce qu’il fallait pour réussir son cours et elle avait confiance que son instructeur savait ce qu’il faisait. Lorsqu’elle s’est retrouvée encore plus près de l’arbre, seul un coupe-fil d’un quart de pouce d’épaisseur protégeait son visage du tronc. Or, elle n’a pas hésité à faire avancer le véhicule pendant que son collègue le soldat Wuerch filmait, convaincu lui aussi qu’ils allaient passer à travers l’arbre. Cette situation de confiance n’est pas propre au milieu militaire : des superviseurs ont été tenus responsables pour avoir mis des employés subalternes en danger, dans le domaine de la construction par exemple. Cependant, les forces militaires peuvent représenter de plus grands risques vu que les membres du personnel subalterne doivent utiliser des appareils auxquels ils ne sont pas habitués, qu’ils ont le devoir d’obéir et qu’ils sont formés pour agir dans des situations fondamentalement dangereuses, notamment les combats.

 

[33]           Tous ces facteurs rendent le rôle des instructeurs encore plus important en ce qui a trait à la sécurité. Ceux qui sont confiés aux instructeurs représentent l’avenir des FAC et de l’Armée. Ils ne sont pas qu’un nom et qu’un grade. Ils sont la fille, le fils, le frère, la sœur, l’ami et même la mère ou le père de quelqu’un. Les efforts déployés par les instructeurs par rapport à leurs élèves visent à leur donner confiance afin qu’ils puissent faire fonctionner quelconque plateforme, véhicule ou appareil pour lesquels ils doivent suivre une formation. Le moment où l’élève acquiert cette confiance représente toute une réalisation pour l’instructeur, mais également un risque puisque l’élève est alors très enthousiaste et confiant, mais possède très peu de connaissances pratiques, surtout en ce qui concerne les risques liés à l’utilisation de l’équipement. C’est donc à ce moment-là que les élèves ont le plus besoin de la vigilance de leur instructeur, ne serait-ce que pour les protéger contre eux-mêmes. Malheureusement, c’est à ce moment que le caporal-chef Morton a laissé tomber ses élèves et cela a eu de graves conséquences. L’infraction constitue un manquement grave à l’obligation d’assurer la sécurité. Elle constitue également un échec important sur le plan du leadership du fait que les dirigeants ont l’obligation de veiller à la sécurité de leurs subalternes lorsqu’ils prennent des décisions, et ce, même si le fait de prendre la bonne décision sur le plan de la sécurité revient souvent à rejeter les suggestions des subalternes qui ont une perception différente des risques. La promotion de la sécurité est aussi une tâche très ingrate puisque le succès se définit habituellement par l’absence de résultats négatifs non définis ou mal compris.

 

La culpabilité morale du contrevenant

 

[34]      Dans l’évaluation de la gravité des manquements du caporal-chef Morton, je sais que le contrevenant n’avait pas l’intention de blesser qui que ce soit. Les infractions de négligence sont d’une nature différente de celle, par exemple, des infractions de voie de fait où le contrevenant emploie volontairement la force contre une personne, souvent avec l’intention de causer une blessure. Il faut comprendre que le comportement du caporal-chef Morton est répréhensible malgré tout. En effet, comme l’a dit la juge McLachlin, avant qu’elle ne devienne juge en chef, à la page 66 de l’arrêt R. c. Creighton, [1993] 3 R.C.S. 3 :

 

En effet, dans une société qui, expressément ou implicitement, autorise les gens à se livrer à une large gamme d’activités dangereuses qui risquent de compromettre la sécurité d’autrui, il est raisonnable d’exiger que les personnes qui choisissent de participer à ces activités et qui possèdent la capacité fondamentale d’en comprendre le danger se donnent la peine de se servir de cette capacité. Non seulement l’omission de ce faire dénote-t-elle une faute morale, mais c’est à bon droit que la sanction du droit criminel est appliquée afin de dissuader les autres personnes qui choisissent de se lancer dans de telles activités d’agir sans prendre les précautions qui s’imposent. [Référence omise.]

 

Et aux pages 69 et 70 :

 

En ce qui concerne les activités non réglementées, le gros bon sens suffit normalement pour qu’une personne qui s’interroge sur le risque de danger inhérent à une activité puisse apprécier ce risque et agir en conséquence, que l’acte en question consiste à lancer une bouteille (comme dans l’affaire R. c. DeSousa) ou à prendre part à une bagarre dans un débit de boissons. Pour bon nombre d’activités, comme la conduite d’un véhicule automobile, nécessitant l’obtention d’un permis, on doit posséder des connaissances et une expérience minimales avant de se voir accorder l’autorisation de s’y livrer (voir l’arrêt R. c. Hundal). […]

 

Le droit criminel prescrit une unique norme minimale que doivent observer tous ceux qui se livrent à l’activité en question, pourvu qu’ils jouissent de la capacité requise pour se rendre compte du danger, cette norme devant être évaluée en tenant compte de toutes les circonstances de l’affaire, y compris les événements imprévus et les renseignements erronés auxquels le destinataire a raisonnablement ajouté foi. En l’absence d’une norme minimale constante, l’obligation juridique se trouverait être minée et la sanction pénale banalisée.

 

[35]      Il ne fait aucun doute que la situation en l’espèce dénote la culpabilité morale de la part du caporal-chef Morton. Ce dernier était formé et qualifié en tant que commandant d’équipage et il était expressément chargé de veiller à la sécurité de ses élèves. Il possédait la capacité requise pour se rendre compte du danger que posait l’arbre tombé à travers la route. Il aurait dû se donner la peine de se servir de cette capacité en se souciant des risques et en agissant de manière à assurer la sécurité de toutes les personnes présentes. Non seulement l’omission de ce faire dénote une faute morale, mais exige une sanction.

 

Les objectifs de la détermination de la sentence devant être soulignés en l’espèce

 

[36]      Je conviens avec les avocats qu’au moment de déterminer la sentence du contrevenant en l’espèce, les circonstances exigent que la priorité soit accordée aux objectifs de dénonciation et de dissuasion générale. Je dois toujours garder à l’esprit l’objectif de réadaptation quand j’examine les répercussions de la sentence proposée sur la réadaptation du contrevenant.

 

Les facteurs aggravants et atténuants

 

[37]           Comme le prévoient les principes de la détermination de la sentence, une sentence devrait être adaptée aux circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration de l’infraction ou à la situation du contrevenant. Cela étant dit, il faut se rappeler qu’un seul facteur aggravant ou atténuant, pris en vase clos, ne peut justifier une augmentation ou une diminution de la sentence à un niveau qui en ferait une sentence inappropriée.

 

[38]           Les circonstances des infractions en l’espèce révèlent les facteurs aggravants suivants :

 

a)                  Le fait que le caporal-chef Morton était expressément responsable d’assurer la sécurité des élèves : Le contrevenant agissait à titre de personne-ressource et d’autorité auprès de ses élèves, y compris celle qui était au volant au moment de l’accident, qui se fiaient sur lui pour assurer leur sécurité puisqu’ils n’avaient pas eux-mêmes les connaissances et l’expérience de conduite pour le faire, soit moins d’une heure en l’espèce. Cela constitue un facteur aggravant par rapport à la négligence dans le commandement d’un véhicule conduit par un conducteur qualifié. En l’espèce, il y a eu manquement à l’obligation additionnelle qui lui incombait à titre d’instructeur.

 

b)                  Le fait que le caporal-chef Morton a eu le temps de bien évaluer les risques : Il ne s’agit pas d’une situation où le commandant d’équipage, face à une situation soudaine et imprévue, a pris une mauvaise décision. En l’espèce, le véhicule s’est immobilisé là où il y avait l’obstacle. Le caporal-chef Morton a donc eu le temps de prendre certaines mesures pour bien évaluer les risques posés par l’arbre tombé à travers la route et pour atténuer ou éliminer ces risques.

 

c)                  Enfin, et surtout, les répercussions des infractions sur le caporal Tanner : Le caporal Tanner a subi de graves blessures au visage de l’incident. Ces blessures ont limité sa capacité à poursuivre sa formation et à contribuer au travail de son groupe professionnel militaire, notamment parce que ses besoins médicaux continus l’empêchent d’être déployée. Les blessures nécessitent encore des procédures et des traitements médicaux. Elles lui ont causé et lui causera encore parfois une douleur intense et prolongée et elles risquent de n’être jamais complètement guéries.

 

[39]           La Cour a aussi tenu compte des facteurs atténuants suivants, lesquels sont soit liés à la perpétration des infractions ou à la situation du contrevenant :

 

a)                  Le plaidoyer de culpabilité du caporal-chef Morton : Même si cela n’a pas été exprimé à la première occasion, le plaidoyer de culpabilité indique que le contrevenant assume la responsabilité de ses actes. Quand le procureur lui a demandé des détails sur son comportement lors du contre-interrogatoire, il n’a pas tenté de faire porter à d’autres la responsabilité de ce qui était arrivé.

 

b)                  Les excuses présentées par le caporal-chef Morton au caporal Tanner et les regrets qu’il a exprimés : Je crois que les regrets qu’il a exprimés sont sincères, compte tenu surtout des sentiments qu’il a communiqués aux professionnels de la santé au cours de la dernière année en ce qui concerne l’incident. Lors de l’audience publique, le caporal-chef Morton s’est excusé directement au caporal Tanner pour ce qu’elle a subi et ce qu’elle doit encore endurer en raison des actes qu’il a commis le 12 juin 2015. Ces excuses étaient, à mon avis, senties et sincères.

 

c)                  La collaboration du caporal-chef Morton avec les autorités : Il a collaboré avec les autorités pendant l’enquête et tout au long de ce procès en faisant des aveux et en consentant à l’introduction de la preuve.

 

d)                  La santé mentale du caporal-chef Morton : Il a été prouvé que le caporal-chef Morton souffre d’un trouble dépressif majeur et d’un TSPT en raison de l’incident du 12 juin 2015 et de ses conséquences. La maladie mentale peut être un facteur atténuant même s’il s’agit d’une conséquence, comme en l’espèce, plutôt qu’une circonstance de l’infraction. Il convient de souligner que même si la santé mentale du contrevenant n’a pas un effet déterminant sur la détermination d’une sentence appropriée, il faut en tenir compte si celle-ci faisait de l’emprisonnement une peine plus lourde pour le contrevenant que pour une personne qui ne souffre pas d’une maladie mentale. Il a été prouvé que c’était le cas en l’espèce à la lumière du témoignage du docteur Walker sur l’importance du rapport établi entre un patient et les membres de son équipe de santé mentale, lequel pourrait être compromis par l’emprisonnement, et ce, même dans un établissement qui fournit un accès à des services d’aide en santé mentale.

 

e)                  La situation familiale du caporal-chef Morton : Actuellement, le caporal-chef Morton s’occupe seul de ses deux jeunes enfants. Dans la mesure du possible, les tribunaux évitent d’imposer des sentences qui auront un effet préjudiciable sur les enfants ou sur les autres membres de la famille. Ce principe s’applique seulement lorsqu’il n’y a aucun autre aspect ou qu’il n’y a pas aucun aspect plus important exigeant une sentence sévère ou dissuasive.

 

f)                    Le fait que le caporal-chef Morton n’a ni de casier judiciaire ni de dossier disciplinaire antérieur.

 

g)                  Enfin, l’âge du caporal-chef Morton et son service honorable : Le contrevenant compte plus de 11 ans de service, y compris un déploiement à l’étranger et ce que l’on peut présumer comme ayant constitué une précieuse contribution aux opérations et à l’instruction d’après les renseignements dont je dispose. Il est clair que le caporal-chef Morton souffre de problèmes de santé mentale, mais il peut en guérir, ce qui lui permettrait de réaliser son plein potentiel et de continuer, vu son jeune âge, à contribuer positivement à la société canadienne pour de nombreuses années à venir.

 

La peine de détention

 

[40]           Comme je l’ai déjà mentionné, les avocats de la poursuite et de la défense recommandent l’imposition d’une peine de détention de 90 jours à titre de peine principale ou de composante de la sentence en l’espèce. La période de 90 jours est la période de détention maximale pouvant être imposée. Cette peine, applicable seulement aux militaires du rang, sert un objectif de réadaptation, contrairement à la peine d’emprisonnement. L’étendue de l’entente conclue par les parties est limitée puisque l’avocat de la défense soutient que l’exécution de la peine de détention devrait être suspendue vu la situation familiale exceptionnelle et l’état mental du caporal-chef Morton. Or, la question de savoir si la détention devrait être suspendue ne se pose pas tant que la peine de détention est jugée appropriée selon les circonstances de l’infraction et la situation du contrevenant. Je dois donc d’abord déterminer si la détention est une peine appropriée.

 

[41]           La peine de détention n’a pas souvent été imposée pour des infractions de négligence ayant causé des blessures, et ce, probablement en raison de la durée de détention limitée, du fait qu’elle ne peut pas être imposée aux officiers et du fait qu’elle a été jugée inappropriée pour les contrevenants qui avaient été libérés des FAC lors de la détermination de la sentence. Or, la peine de détention a été imposée notamment dans les affaires R. c. Orton, 2010 CM 3020 et, plus récemment, R. c. Cadieux, 2016 CM 4008, lesquelles portent toutes les deux sur des accidents liés au maniement des armes à feu ayant causé des blessures. Il est donc manifeste que la détention fait partie des peines appropriées que les cours martiales peuvent imposer dans des circonstances comme celles de l’espèce. Il reste à savoir si cette peine devrait être imposée. La détention est une peine qui comporte une période d’emprisonnement et avant de l’imposer, je dois être convaincu qu’aucune autre peine moins sévère ne peut constituer la sanction principale dans les circonstances de l’espèce. J’arrive à la conclusion que, au vu des facteurs aggravants mentionnés précédemment et des objectifs de dénonciation et de dissuasion générale auxquels ma sentence doit satisfaire, la détention constitue la peine minimale appropriée en l’espèce. Cette conclusion est conforme aux observations des avocats.

 

[42]           À mon avis, la période de 90 jours, soit la durée maximale de détention pouvant être imposée, constitue la durée minimale d’emprisonnement devant être imposée dans les circonstances de l’espèce. Le fait que le caporal-chef Morton n’ait pas fait preuve de diligence, la gravité des blessures causées et la nécessité de dissuader ceux qui pourraient devoir effectuer des tâches militaires semblables d’agir sans prendre les précautions qui s’imposent sont des facteurs qui commandent habituellement une période d’emprisonnement plus longue, justifiée par la nécessité d’infliger une peine plus sévère. Cela étant dit, en tenant dûment compte du principe de modération que je dois respecter, je conviens avec les parties que l’existence de facteurs atténuants importants, surtout le plaidoyer de culpabilité, les excuses, la santé mentale et la situation familiale du contrevenant, me permet de reconnaître que la peine de détention de 90 jours constitue l’intervention minimale nécessaire dans les circonstances. L’imposition d’une peine de détention de 90 jours servira de précédent pour les affaires subséquentes, peu importe que je décide de suspendre l’exécution de la peine de détention à la demande de la défense. Bien qu’il soit tentant de trouver un compromis qui comblerait l’écart entre les parties, je suis arrivé à la conclusion qu’il ne faut pas réduire la période de détention puisqu’elle pourrait ainsi être imposée sans suspension et que la durée de la peine de détention serait alors inadéquate.

 

La peine de rétrogradation

 

[43]           Le procureur propose d’imposer une rétrogradation en plus de la peine principale de détention. Dans le cas d’un contrevenant qui possède le grade que la plupart appellent le grade de caporal-chef, cette peine aurait pour effet de rétrograder le contrevenant au grade de soldat puisqu’en droit, le caporal-chef Morton est un caporal qui a été nommé caporal-chef. Dans les circonstances, l’imposition de cette peine entraîne une baisse importante du statut et du salaire pour le contrevenant, tout comme pour la rétrogradation de sergent à caporal.

 

[44]           La rétrogradation a été imposée à plusieurs reprises dans des cas de négligence dans l’exécution des fonctions militaires, notamment au début des années 2000 dans les affaires Major Paik et Capitaine Ives, dont la négligence avait contribué au décès par électrocution d’un sapeur. Une rétrogradation a été imposée dans l’affaire Major Hirter, qui a mal effectué une démonstration de tir réel et qui a ainsi entraîné la mort d’un soldat. Des rétrogradations ont aussi été imposées dans les affaires Major Lunney, 2012 CM 2012, Major Watts, 2013 CM 2006 (condamnation annulée en appel) et Adjudant (à la retraite) Ravensdale, 2013 CM 1001, soit les trois personnes accusées relativement à une explosion qui a tué un soldat et en a blessé quatre autres pendant un exercice de tir effectué en Afghanistan en 2012. Je conclus que la rétrogradation fait partie des peines qu’un juge chargé de la détermination de la sentence peut infliger dans une affaire comme celle de l’espèce.

 

[45]           Le témoignage du lieutenant-colonel Hutt, commandant du contrevenant, selon lequel il a démis le caporal-chef Morton de ses fonctions à titre d’instructeur et de chef d’équipage puisqu’il n’avait plus confiance en sa capacité d’exercer un leadership et de faire preuve de jugement laisse entendre que la peine de rétrogradation est appropriée dans les circonstances. La rétrogradation est une peine qui doit être envisagée quand l’infraction devant faire l’objet de sanctions révèle un manquement dans l’exercice des pouvoirs conférés par le grade. Voilà la conclusion à laquelle est arrivée la juge Bennett lorsqu’elle a rédigé pour la CACM et qu’elle a rejeté les appels interjetés à l’égard d’une sentence dans Matelot de 1re classe Reid et Sinclair, 2010 CACM 4, puisque cette affaire se rapporte à une rétrogradation de deux maîtres de 2e classe. Elle a formulé les commentaires suivants sur la peine de rétrogradation :

 

La rétrogradation est un instrument important faisant partie de la trousse utilisée par le juge militaire dans la détermination de la peine. La rétrogradation sanctionne de manière plus efficace la perte de confiance des forces militaires envers le membre contrevenant que toute amende ou tout blâme pouvant être imposé. Cette perte de confiance s’exprime en l’instance par une rétrogradation à un poste où les contrevenantes ont perdu leur fonction de supervision. Une rétrogradation était une composante nécessaire d’une peine indiquée en l’instance.

 

[46]           J’ai tenu compte de l’argument de l’avocat de la défense selon lequel l’infraction ne correspond pas au comportement habituel du contrevenant. J’en conviens, puisque c’est le cas de la plupart des infractions de négligence attribuables à une réaction particulièrement inadéquate d’une personne confrontée à une situation de risque dans le cadre d’une activité donnée. Habituellement, l’objectif de dissuasion vise à décourager ceux qui pourraient songer à commettre un acte illégal. Toutefois, dans les cas de négligence, l’objectif de dissuasion vise les personnes qui n’ont aucune intention malveillante. Dans l’arrêt R. c. Lacasse, 2015 CSC 64, le juge Wagner de la Cour suprême du Canada a écrit que les objectifs de dissuasion et de dénonciation « revêtent une importance particulière à l’égard d’infractions susceptibles d’être commises par des citoyens habituellement respectueux des lois ». Il a ajouté que « ce sont ces derniers, davantage que les multi-récidivistes, qui sont sensibles à des peines sévères ». Je crois que ces citoyens respectueux des lois sont les personnes les plus susceptibles d’être dissuadées par la menace de peines sévères. Ce serait une erreur de ne pas imposer une rétrogradation parce que le caporal-chef Morton n’avait pas d’intentions malveillantes. En effet, cette peine peut dissuader d’autres personnes dans une situation semblable de négliger leurs responsabilités à l’égard de la sécurité d’autrui. Plusieurs personnes ont de telles responsabilités dans l’armée, sur cette base et dans l’unité du contrevenant.

 

[47]           De même, je comprends bien les difficultés auxquelles le contrevenant sera exposé puisqu’il devra se présenter dans son unité et à sa base en tant que soldat. Je peux imaginer, comme tous ceux qui ont déjà eu le privilège d’être promus à un grade supérieur au grade de base dans les FAC, à quel point cette peine peut être douloureuse. Cependant, cette douleur est la raison pour laquelle la peine de rétrogradation peut permettre d’atteindre les objectifs de dénonciation et de dissuasion générale en l’espèce.

 

[48]           Je reconnais que l’imposition d’une rétrogradation entraînera une réduction de salaire de plus de mille dollars, avant les taxes, par mois. Je crois que cette conséquence est nécessaire dans les circonstances. Comme l’a reconnu le juge militaire Lamont lorsqu’il a imposé une rétrogradation au Major Lunney (supra), il est important de se rappeler que le grade n’est pas perdu à jamais. Il est possible de le retrouver beaucoup plus rapidement qu’il avait été initialement obtenu puisque la personne rétrogradée respecte les conditions préalables à la promotion. Il faut simplement qu’elle ait la chance de regagner la confiance de la chaîne de commandement.

 

Les peines moins sévères pouvant être infligées

 

[49]           J’ai examiné la proposition de l’avocat de la défense visant à imposer une amende importante au lieu d’une rétrogradation. Cependant, je ne crois pas qu’une telle peine produirait un effet satisfaisant pour atteindre les objectifs de dénonciation et de dissuasion, même s’il s’agissait d’une amende au montant de 10 000 $, comme il a été mentionné dans les observations. Pour ce qui est de la négligence, je crois qu’une amende peut être tout à fait appropriée, surtout pour des violations d’ordre technique qui n’ont pas causé de blessures importantes. Cependant, une amende risque de ne pas envoyer le bon message quand les conséquences de l’infraction sont graves, notamment des blessures qui marquent à vie, surtout quand elles ont été subies par un subalterne. Il faut aussi tenir compte du fait que l’imposition d’une amende risque de donner l’impression que les contrevenants qui détiennent un grade supérieur, et donc un salaire supérieur, se trouvent dans une meilleure position pour se permettre de payer les sanctions pécuniaires que ceux qui reçoivent un salaire moins élevé. En effet, la vie et la sécurité ont la même valeur pour tout le monde.

 

[50]           J’ai aussi examiné la peine que constitue le blâme ou la peine moins sévère de la réprimande, mais j’estime que ni l’une ni l’autre ne permettrait d’atteindre les objectifs de la détermination de la sentence en l’espèce, où une personne a subi des blessures graves. Je crois que cette conclusion est conforme aux raisons données par la CACM dans R. c. Major A.G. Seward, 1996 CMAC-376, quand elle est intervenue pour modifier la décision du comité de la cour martiale générale qui avait imposé un blâme, le remplaçant plutôt par une peine d’emprisonnement de trois mois et un renvoi.

 

La détermination de la sentence appropriée

 

[51]           Pour toutes ces raisons, j’ai conclu qu’une sentence composée de la peine de détention pour une période de 90 jours et d’une rétrogradation au grade de soldat constitue l’intervention minimale nécessaire dans les circonstances de l’espèce. Pour arriver à cette conclusion, j’ai pris en compte toutes les conséquences indirectes du verdict ou de la sentence, y compris celles mentionnées dans les observations en ce qui a trait au fait que le contrevenant ne pourra plus recevoir la décoration des Forces canadiennes du fait qu’il a été déclaré coupable, qu’il a maintenant un casier judiciaire et, comme je l’ai déjà indiqué, qu’il doit vivre avec les conséquences financières de la peine de rétrogradation.

 

Suspension de la peine de détention

 

[52]           L’avocat de la défense a affirmé que la peine de détention de 90 jours devrait être suspendue. L’article 215 de la LDN prévoit ce qui suit :

 

Le tribunal militaire peut suspendre l’exécution de la peine d’emprisonnement ou de détention à laquelle il a condamné le contrevenant.

 

[53]           J’estime que cette disposition appuie la thèse selon laquelle la question de la suspension de la sentence d’emprisonnement ne se pose que lorsque le juge qui prononce la sentence a conclu que le contrevenant devait se voir infliger une sentence d’emprisonnement ou de détention, après avoir appliqué les principes de la détermination de la sentence appropriés dans les circonstances de l’infraction et la situation du contrevenant.

 

[54]           Comment les juges militaires déterminent-ils si une sentence doit être suspendue? En l’absence de critères prévus par la loi en matière de suspension, les juges militaires chargés de déterminer la sentence qu’il convient d’imposer aux contrevenants en cour martiale ont élaboré au fil du temps deux exigences qui doivent être satisfaites. Pour faire suspendre une peine d’emprisonnement ou de détention, le contrevenant doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que ses circonstances particulières justifient une telle suspension. Si le contrevenant s’acquitte de son fardeau, la Cour doit se demander si une suspension de la peine d’emprisonnement ou de détention aurait pour effet de miner la confiance du public dans le système de justice militaire, dans les circonstances entourant les infractions et la situation du contrevenant, y compris notamment les circonstances particulières justifiant une suspension.

 

[55]           Ce critère à deux volets est illustré dans les décisions que j’ai rendues dans R. c. Boire, 2015 CM 4010 et R. c. Caicedo, 2015 CM 4020, dans lesquelles je me suis fondé sur un critère d’abord élaboré par le juge militaire d’Auteuil dans R. c. Paradis, 2010 CM 3025, aux paragraphes 74 à 89.

 

L’existence de circonstances justifiant une suspension

 

[56]           En l’espèce, le caporal-chef Morton fait valoir que son état de santé mental actuel, combiné avec la situation familiale difficile dans laquelle il se trouve, justifierait la suspension de la peine de détention. À l’appui, l’avocat de la défense a fait référence au témoignage du caporal-chef Morton, lequel était étayé par le témoignage de son psychiatre traitant le docteur Walker et les observations produites avec le consentement de sa psychothérapeute actuelle, le lieutenant de vaisseau Donovan. En réplique, le procureur fait référence à un exposé conjoint des faits qu’il a produit, dans lequel il révèle que des services en santé mentale sont offerts aux personnes détenues à la Caserne de détention et prison militaire des Forces canadiennes (CDPMFC) à Edmonton, là où le contrevenant devra servir sa peine de détention si elle n’est pas suspendue. Le procureur soutient également que la garde des enfants est prévue en cas d’absence du caporal-chef Morton.

 

[57]           Du point de vue de santé mental, le docteur Walker a souligné l’importance du rapport que lui et le lieutenant de vaisseau Donovan ont établi au fil du temps avec le caporal-chef Morton, favorisant ainsi des conditions optimales pour son traitement et améliorant ses chances de rétablissement. Il ne s’agit pas d’un cas où les circonstances particulières justifiant la suspension de la peine de détention sont fondées uniquement sur le témoignage du contrevenant, soit le bénéficiaire direct de la suspension. Les deux professionnels de la santé mentale ont, dans leur témoignage, confirmé, expliqué et étoffé les faits relatés par le caporal-chef Morton. Plus particulièrement, le docteur Walker a souligné le fait que, pour le caporal-chef Morton, sa famille est sa raison de vivre, ce qui n’est pas à négliger vu l’épisode qu’il a vécu assez récemment au cours duquel il a exprimé des idées suicidaires actives. Au vu des éléments de preuve entendus, il est incontestable que ses enfants constituent sa principale source de motivation pour se remettre de ses problèmes de santé mentale. Savoir qu’ils existent n’offre pas les mêmes bienfaits que de les voir tous les jours.

 

[58]           Je reconnais les efforts déployés par le procureur pour démontrer que, pendant les moments où il serait loin de toute distraction extérieure pendant sa détention à Edmonton, le contrevenant pourrait réfléchir à sa réadaptation et s’y concentrer. Or, la CDPMFC n’est pas un centre de mieux-être. La routine quotidienne est exigeante, la supervision est constante et l’entretien du fourbi et des quartiers peut, tout au mieux, être décrit comme un « entraînement de base sur les stéroïdes ». Il a aussi été établi que le caporal-chef Morton souffre d’anxiété et éprouve des symptômes liés aux troubles mentaux, comme des retours en arrière, un émoussement émotionnel et de l’insomnie. Ces symptômes sont actifs, même s’ils sont contrôlés, notamment par des médicaments prescrits par le docteur Walker. Selon les témoignages présentés par les professionnels de la santé mentale, l’admission à une caserne de détention et le stress lié au respect d’une routine stricte susciteraient beaucoup d’anxiété et éloigneraient le caporal-chef Morton de ses principales ressources de mieux-être, soit ses enfants et son équipe de santé mentale.

 

[59]           Je n’ai rien entendu à l’effet que le caporal-chef Morton ne peut pas servir une sentence de détention. Cependant, exiger une telle preuve imposerait un fardeau trop lourd. Le caporal-chef Morton a démontré que le stress accru qu’il subirait pendant la phase d’adaptation à la détention risquerait d’empirer son problème de santé mentale, plus précisément son anxiété. Il a aussi été prouvé qu’à ce stade-ci, la détention aurait pour effet de retarder le traitement prévu pour son TSPT, lequel devait se faire par le biais d’une thérapie avec la psychothérapeute avec qui il a créé un lien. À la lumière des circonstances exceptionnelles semblables qui ont été acceptées dans des décisions antérieures de la cour martiale, y compris les affaires Ravensdale, Boire et Caicedo précitées, ainsi que l’affaire R. c. Paradis, 2015 CM 1002, j’estime que le caporal-chef Morton s’est acquitté du fardeau qui lui incombait de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que sa situation personnelle justifie une suspension de la peine de détention.

 

La confiance du public dans le système de justice militaire

 

[60]      En ce qui concerne la deuxième exigence, la Cour doit se demander si une suspension de la peine de détention en l’espèce aurait pour effet de miner la confiance qu’a le public dans le système de justice militaire, compte tenu des circonstances de perpétration de l’infraction et de la situation du contrevenant, y compris les circonstances particulières justifiant une suspension. Je conclus qu’un observateur raisonnablement informé considérerait les circonstances particulières concernant la santé mentale du caporal-chef Morton comme des circonstances convaincantes. Cependant, ces circonstances ne sont pas les seuls facteurs pertinents pour déterminer si une suspension minerait la confiance du public dans le système de justice militaire.

 

[61]      Effectivement, ce même observateur, appelé à évaluer la peine infligée par une cour martiale, n’examinerait pas seulement les peines imposées. Il tiendrait aussi compte de leur incidence réelle sur le contrevenant qui sort d’une cour martiale à la clôture de l’instance. Comme je l’ai conclu dans l’affaire R. c. Boire, supra, l’incidence réelle d’une sentence dans son ensemble est pertinente à la question de savoir si la suspension d’une peine privative de liberté minerait la confiance du public dans le système de justice militaire. À mon avis, un observateur raisonnable s’attendrait à ce que le contrevenant, qui a admis avoir fait preuve de négligence dans les circonstances de l’affaire et avoir contribué aux blessures graves dont souffre encore le caporal Tanner, sorte de la cour martiale avec des conséquences importantes et concrètes. J’estime que c’est le cas ici avec la peine de rétrogradation qui sera infligée au contrevenant, laquelle aura des conséquences très réelles et directes sur son statut et son salaire.

 

[62]           Le procureur, qui s’oppose à la suspension de la période de détention, a affirmé que la confiance d’un observateur raisonnable serait minée si la peine de détention imposée n’était pas servie, peu importe la situation dans laquelle se trouve le caporal-chef Morton. Je ne suis pas d’accord. Le procureur n’a pas le fardeau d’établir hors de tout doute raisonnable, le niveau de confiance d’un observateur raisonnable fictif. Cependant, l’observateur que m’a présenté le procureur semble n’avoir aucune ouverture, c’est-à-dire que la peine imposée doit être servie. Cet observateur ne semble pas conscient des répercussions très réelles que peuvent avoir les maladies mentales sur la vie des personnes touchées, lesquelles ont été reconnues par les FAC, surtout dans les efforts qu’elles ont déployés pour réduire la stigmatisation qui a été pendant beaucoup trop longtemps liée à ces maladies dans notre communauté militaire. J’ai du mal à imaginer une situation dans laquelle la confiance de cet observateur dans le système de justice militaire ne serait pas minée par une suspension d’une peine d’emprisonnement.

 

[63]           Je préfère imaginer un observateur raisonnable qui a suffisamment d’empathie pour comprendre la situation dans laquelle se trouve le caporal-chef Morton en raison de son trouble de santé mentale et pour reconnaître l’importance de sa relation avec ses enfants dans son processus de rétablissement. L’observateur raisonnable que j’imagine serait aussi au courant de cas où la santé mentale a été reconnue comme une circonstance exceptionnelle justifiant une suspension, saurait que la valeur jurisprudentielle d’une peine est fondée sur la peine imposée et sa durée, et non sur sa suspension, et serait au fait des autres cas de négligence dans l’exécution du devoir militaire où les sentences d’emprisonnement ont été suspendues. Enfin, l’observateur raisonnable que j’imagine reconnaîtrait l’effet de dénonciation et de dissuasion générale qu’une peine de rétrogradation a sur un contrevenant détenant le grade de caporal-chef, qui continue de servir dans les FAC en tant que soldat, tout en tenant compte de la gravité de la négligence du contrevenant et de la gravité des blessures subies par le caporal Tanner.

 

[64]      Pour ces raisons, je ne puis conclure qu’un observateur raisonnable, au fait de l’ensemble des circonstances entourant les événements, affirmerait que la suspension de l’exécution de la peine de détention est susceptible de miner la confiance du public dans le système de justice militaire dans le cas du caporal-chef Morton. Par conséquent, l’exécution de la peine de détention sera suspendue.

 

Un dernier coup d’œil à la sentence

 

[65]           Après avoir mûrement réfléchi, je suis arrivé à la conclusion que je devais imposer une sentence composée d’une peine de détention de 90 jours et d’une rétrogradation au grade de soldat pour servir les fins de la justice, mais que je devais aussi suspendre l’exécution de la sentence de détention. Je suis conscient du fait que la seule incidence réelle de la sentence sur le contrevenant sera la peine de rétrogradation. Je crois néanmoins que cette sentence réduite suffit à préserver la considération dont jouit l’administration de la justice militaire et à atteindre les objectifs applicables de la détermination de la sentence.

 

[66]           En terminant, les deux avocats ont renvoyé à l’affaire Adjudant (à la retraite) Ravensdale, supra, dans leurs observations. Je crois que les circonstances de l’espèce sont moins sévères que celles de Ravensdale, où un soldat a été tué et quatre autres ont été blessés par suite de la négligence du contrevenant. D’un point de vue légal, la sentence que j’impose aujourd’hui est moins sévère que celle imposée dans Ravensdale. Or, je suis bien conscient que les effets concrets de la sentence que j’impose au caporal-chef Morton sont plus sévères que ceux de la sentence imposée dans Ravensdale, dont la période d’emprisonnement de six mois avait été suspendue et dont la rétrogradation au grade de sergent était symbolique puisqu’il avait été libéré des FAC un an avant son procès. Au final, l’adjudant (à la retraite) Ravensdale est sorti de la cour martiale avec une amende au montant de 2 000 $ comme seule peine réelle, mais cela était attribuable à des circonstances exceptionnelles, surtout en ce qui concerne les sentences très clémentes infligées à ses supérieurs parce que ceux-ci ont été déclarés coupables d’avoir joué un rôle dans l’incident mortel. L’affaire Ravensdale ne sert pas de référence pour les autres affaires de négligence, surtout celles ayant trait à des blessures graves ou à un décès.

 

CONCLUSION ET DÉCISION

 

[67]           La sentence que j’ai dû imposer aura d’importantes répercussions sur vous, Caporal-chef Morton. Cependant, la négligence dont vous avez fait preuve dans l’exécution de vos tâches le 12 juin 2015 était également importante et a eu des conséquences désastreuses sur le caporal Tanner. Je suis convaincu que vous reconnaissez la gravité de votre manque de jugement et de leadership. Comme l’a dit votre avocat, il n’y a aucun gagnant en l’espèce. Vous discuterez de la sentence avec votre avocat et aussi avec les professionnels de la santé qui s’occupent de vous. J’espère que la sentence imposée vient clore un chapitre très douloureux. Vous n’êtes âgé que de 30 ans. Après avoir pris le temps de réfléchir, vous vivrez le reste de votre vie et continuerez de faire des efforts pour être en santé. Si vous décidez de poursuivre votre carrière militaire, faites-le la tête haute. Vous avez fait face aux conséquences de vos actes pendant le procès et, après avoir subi la sentence que je vous inflige, j’estime que vous aurez payé votre dette. Reprendre le service en tant que soldat sera sans doute difficile. Cependant, vous êtes beaucoup plus qu’un nom et qu’un grade. Vous êtes un mari, un fils, un beau-fils, un ami et, plus important encore, un père. Peu importe votre grade, vous avez droit au même respect que tout autre membre de l’Armée. Je suis sûr que vous aurez une chance raisonnable de retrouver la confiance de vos pairs et de vos supérieurs, qui ont décidé il y a moins d’un an que vous devriez rester dans l’Armée. On doit maintenant vous donner la chance de réaliser votre plein potentiel et de contribuer pleinement à votre pays.

 

POUR CES RAISONS, LA COUR :

 

[68]           VOUS CONDAMNE à la détention pour une période de 90 jours et à une rétrogradation au grade de soldat.

 

[69]           SUSPEND l’exécution de la peine de détention en vertu de l’article 215 de la LDN.

 


Avocats :

 

Le Directeur des poursuites militaires, représenté par le major D. Martin et le capitaine G.

Moorehead

 

M. D. Hodson et le capitaine P. Cloutier, Services d’avocats de la défense, avocat du caporal-chef K.P. Morton

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.