Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 20 février 2017

20-22 février 2017 : Parc Victoria, édifice Fort Ogilvie, 5 chemin Garrison, Sydney (NÉ)

18 avril 2017 : Centre Asticou, bloc 2600, pièce 2601, salle d’audience, 241 boulevard de la Cité-des-Jeunes, Gatineau (QC)


Chefs d’accusation :

Chefs d’accusation 1, 2 : Art. 130 LDN, voies de fait (art. 266 C. cr.).
Chefs d’accusation 3, 4, 5, 6, 7, 8 : Art. 129 LDN, comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

Résultats :

VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 2, 3, 4 : Retirés. Chefs d’accusation 5, 7, 8 : Coupable. Chef d’accusation 6 : Coupable sur des faits qui sont matériellement différents des faits allégués dans les détails du chef d’accusation.
SENTENCE : Une réprimande et une amende au montant de 2000$.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. Clark, 2017 CM 1006

 

Date : 20170418

Dossier : 201611

 

Cour martiale permanente

 

Centre Asticou

Gatineau (Québec), Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Lieutenant de vaisseau J.C. Clark, contrevenant

 

 

En présence du Colonel M. Dutil, J.M.C.


 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Oralement)

 

[1]               Le lieutenant de vaisseau Clark a admis sa culpabilité le 22 février 2017 à Sydney, en Nouvelle-Écosse, à l’égard de quatre chefs d’accusation de comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline portés contre lui en vertu de l’article 129 de la Loi sur la défense nationale. Trois chefs d’accusation portaient sur des incidents de harcèlement distincts, en vertu de la Directive et ordonnance administrative de la défense (DOAD) 5012-0, Prévention et résolution du harcèlement, alors que le quatrième chef d’accusation avait trait à des commentaires inappropriés qu’il avait fait à une subordonnée.

 

[2]               Nous sommes en présence d’une soumission conjointe des avocats quant à la sentence, soit une réprimande ainsi qu’une amende au montant de 2 000 $. Cette soumission conjointe a été présentée conformément au droit canadien actuel dont fait état la Cour suprême du Canada dans R. c. Anthony-Cook, 2016 CSC 43. Dans cet arrêt, la Cour a énoncé le critère juridique que les juges du procès doivent appliquer lorsqu’ils reçoivent une soumission conjointe des avocats.

 

[3]               Si la soumission conjointe n’est pas contraire à l’intérêt public ou n’est pas susceptible de déconsidérer l’administration de la justice, la cour ne devrait pas l’écarter. La Cour suprême du Canada a très clairement dit qu’il est souhaitable que les avocats de la poursuite et de la défense s’entendent sur une soumission conjointe relativement à la sentence, mais également qu’ils sont responsables de la soumission. En d’autres mots, le juge ne peut pas modifier leur soumission, même très légèrement. De telles ententes sont non seulement courantes, mais aussi essentielles au bon fonctionnement de tout système de justice, militaire comme pénal, parce qu’elles libèrent des ressources qui peuvent être allouées à d’autres affaires qui en ont plus besoin. Nous devons faire confiance au jugement, à l’expérience et à la compétence des avocats du système judiciaire.

 

[4]               Les soumissions conjointes présentent beaucoup d’avantages, dont, évidemment, celui de permettre à la poursuite d’obtenir une déclaration de culpabilité lorsque la preuve comporte quelques faiblesses. Toutefois, l’un des avantages les plus importants est qu’elles permettent d’économiser des ressources en n’ayant pas à appeler de témoins et d’épargner aux plaignants ou aux victimes un témoignage au sujet des événements qui ont mené aux accusations. Elles sont aussi utiles pour la défense en ce sens que l’accusé sait à quelle sentence s’attendre. Elles permettent donc aux deux parties de savoir qu’il est fort probable, si elles s’acquittent de leur fardeau, que leur soumission sera acceptée.

 

[5]               À la suite de la présentation des plaidoyers de culpabilité, les parties ont remis à la Cour un Sommaire des circonstances et un Sommaire conjoint des faits, lesquels sont reproduits ci‑après. Ces documents fournissent une description détaillée des événements qui ont mené au dépôt des accusations auprès de la Cour ainsi que les renseignements pertinents pour la détermination d’une sentence juste et appropriée.

 

« Sommaire des circonstances

 

1.                 À tous les moments pertinents, le ltv J.C. Clark commandant du détachement de la BFC Halifax, détachement Cape Breton (Nouvelle-Écosse), situé à Sidney.

 

2.                 Mary MacIsaac est une employée civile du MDN qui, aux moments pertinents, travaillait comme nettoyeuse pour la Garnison Victoria Park. À de nombreuses occasions, le ltv Clark s’est joint à Mme MacIsaac et à ses collègues civils dans leur salle à repas pendant les pauses. Le ltv Clark a souvent engagé des conversations où il abordait des sujets à connotation sexuelle qui ont mis Mme MacIsaac mal à l’aise. Ses commentaires incluaient :

 

a.                 des détails intimes de sa relation avec sa femme;

b.                  qu’une voisine lui aurait offert de lui faire une « pipe ».

 

3.                 Par la suite, lors d’une réunion de départ qui a eu lieu le dernier jour de son affectation à Sydney avec le détachement, le ltv Clark et d’autres personnes ont eu une conversation au cours de laquelle le cpl Essembre a raconté qu’il se promenait nu dans sa maison et que cela fâchait sa femme parce que leur voisine âgée pourrait le voir. Le ltv Clark a ensuite dit d’une voix forte à Mme MacIsaac, devant des collègues militaires et civils :

 

« Cela fait un moment que la vieille femme n’a pas vu un jeune homme nu, pas vrai, Mary. »

 

4.                 Tous ces commentaires ont gêné Mme MacIsaac. Elle se sentait obligée de l’écouter parce qu’il était l’officier responsable, et c’est pourquoi elle ne voyait pas comment elle aurait pu dénoncer cette situation difficile. En raison de ces commentaires, Mme MacIssac n’aimait plus se rendre au travail, car elle se sentait mal à l’aise dans son milieu de travail.

 

5.                 Le cplc Forrest est un commis de soutien à la gestion des ressources (SGR) qui, aux moments pertinents, était employée comme commis aux finances pour le détachement de la BFC Halifax, détachement Cape Breton.

 

6.                 En octobre 2014, le ltv Clark lui a demandé combien elle avait d’enfants. Elle lui a répondu qu’elle en avait quatre, ce à quoi le ltv Clark a répondu : « Wow! On aurait pensé que vous auriez gardé vos jambes serrées après deux ». Elle a été choquée par ce commentaire.

 

7.                 Au cours de l’hiver 2015, le ltv Clark a fait venir à son bureau le sgt Forrest et lui a parlé d’une voisine qui lui avait récemment fait des avances et offert de lui faire une « pipe », sans condition.

 

8.                 Le cpl Melnick est un commis de soutien à la gestion des ressources (SGR) qui, aux moments pertinents, travaillait comme commis pour le détachement de la BFC Halifax, détachement Cape Breton.

 

9.                 À une occasion, le ltv Clark lui a raconté qu’il s’était bagarré un jour avec une femme de grande taille et qu’il avait dû la « repousser par les nichons », propos qui ont mis mal à l’aise le cpl Melnick.

 

10.             Au cours de l’hiver 2015, le ltv Clark lui a parlé de sa voisine qui lui avait fait des avances et offert de lui faire une « pipe », sans condition, ce qui l’avait mise mal à l’aise.

 

11.             En raison de ces commentaires, le cpl Melnick n’aimait plus se rendre au travail. Elle n’y était pas à l’aise.

 

12.             À tous les moments pertinents, le maj Timbury était affectée au détachement de la BFC Halifax, détachement Cape Breton. Elle faisait partie des effectifs en formation avancée (EFA) et terminait une maîtrise en administration des affaires.

 

13.             À la mi-avril 2014, alors qu’elle travaillait au détachement, le maj Timbury a dit qu’elle allait prendre congé la semaine suivante pour rendre visite à son fiancé. Le ltv Clark aurait dit quelque chose qui ressemblait à : « Amusez-vous, vous ne marcherez pas droit à votre retour ». Des sous-officiers supérieurs étaient également présents. Le commentaire faisait allusion au fait que le maj Timbury devrait s’adonner à des activités sexuelles avec son partenaire au cours de la semaine. Pour le maj Timbury, le commentaire était choquant et humiliant. Elle s’est sentie très mal à l’aise et a éprouvé de la colère et de l’embarras.

 

14.             Le 20 mai 2014, le détachement a tenu une activité dans un établissement local dans le cadre d’une journée de divertissement. Lorsque le maj Timbury est arrivée à la salle de billard, le ltv Clark l’a invitée à faire une partie. Au cours de l’après-midi, il a fait divers commentaires qui sont devenus de plus en plus inappropriés. Le premier commentaire qui l’a mise mal à l’aise a été fait après qu’elle lui eut fait une remarque au sujet du fait qu’il lui laissait des coups à l’autre extrémité de la table. Il lui a répondu que c’était pour qu’il soit plus difficile pour elle de frapper les balles et qu’elle ait à se pencher sur la table. À la suite de ce commentaire, le m 2 Lake s’est approché de la table et a demandé qui était en train de gagner. Le ltv Clark a répondu à voix haute : « Maintenant, il ne devrait plus lui rester que sa culotte ». Des militaires subalternes de niveau très inférieur se trouvaient suffisamment près pour entendre ce qui avait été dit. Les commentaires ont rendu le maj Timbury mal à l’aise et elle s’est sentie sapée et non respectée. Le lendemain, le maj Timbury a parlé de ces commentaires avec le ltv Clark et il s’est excusé.

 

15.             Le ltv Clark savait ou aurait dû savoir que les commentaires dénoncés étaient de nature à offenser ses interlocutrices. En raison des événements qui ont donné lieu aux accusations, le ltv Clark a perdu le respect des militaires et des employés susmentionnés. Le moral de l’unité a été affecté par le comportement du ltv Clark.

 

16.             Le Ltv Clark connaissait l’interdiction énoncée dans la DAOD 5012‑0.

 

17.             Les commentaires susmentionnés ont causé un préjudice au bon ordre et à la discipline. »

 

« Sommaire conjoint des faits

 

1.                 Le commandant du détachement à Sydney relève du cmdt des services d’administration de la Base des Forces canadiennes (BFC) Halifax pour les services de soutien de la force fournis aux unités de la 36e brigade en poste au Cape Breton. Le commandant du détachement est l’officier supérieur de la station et à ce titre est responsable du rendement, du comportement et de la discipline des membres du personnel des FAC en poste à la station de la BFC Halifax. En tant que membre supérieur des FAC à la station, le commandant de détachement doit aussi collaborer avec le service de ressources humaines civil pour l’embauche et la supervision des employés civils du MDN qui travaillent à la station. Le commandant du détachement est en tout temps responsable de la sécurité et du bien‑être de tous les membres du personnel qui travaillent à la station.

 

2.                 Le commandant du détachement est l’officier divisionnaire de tous les membres du personnel des FAC en poste à la station de la BFC Halifax.

 

3.                 Le commandant de détachement relève, par l’entremise du capitaine de corvette qui est l’officier d’administration du personnel de la base, du commandant des services d’administration de la BFC Halifax.

 

4.                 Le capv Chris Sutherland était le commandant de la BFC Halifax du 10 juillet 2015 au 31 mars 2017. Il a été informé de la teneur des allégations qui ont donné lieu aux accusations pour lesquelles le ltv Clark a été déclaré coupable en lisant les déclarations des victimes.

 

5.                 Voici un résumé de l’opinion exprimée par le capv Chris Sutherland, en sa qualité de commandant de la base, au sujet du comportement du ltv Clark :

 

a.                 Le comportement du ltv Clark n’est pas digne d’un officier chargé de la santé, de la sécurité et du bien-être d’autrui.

 

b.                 Les FAC ont la responsabilité de choisir le bon officier, celui qui possède l’expérience de leadership et les compétences appropriées pour s’acquitter des tâches qui lui sont confiées. Les FAC ont envoyé un « dirigeant toxique » au détachement de Sydney qui a, par son comportement, miné le moral de l’unité et nui au bon ordre et à la discipline.

 

c.                 Les membres du personnel du MDN, des FAC et les civils sous contrat qui relevaient du ltv Clark ont perdu confiance en les FAC/le MDN en tant qu’institution chargée de prendre soin de leur bien-être et de leur fournir un milieu de travail sécuritaire et respectueux. Le ltv Clark a échoué à fournir un milieu de travail sécuritaire et respectueux aux personnes sous sa responsabilité.

 

d.                Si le comportement répréhensible du ltv Clark n’est pas adéquatement sanctionné, on en entendra parler et cela aura une incidence sur la capacité des FAC/du MDN d’attirer et de retenir des recrues parce que celles-ci craindront d’être victimes de l’inconduite de ceux dont elles relèvent.

 

6.                 Le ltv Clark s’est joint aux FC en février 1987 comme soldat dans le métier de commis en administration.

 

7.                 Le ltv Clark est propriétaire avec sa femme d’une maison à Fall River, Nouvelle-Écosse, sur laquelle ils ont une hypothèque.

 

8.                 Le ltv Clark a deux enfants, âgés de 14 et 11 ans, qui vivent à la maison de Fall River.

 

9.                 Le ltv Clark est actuellement en restriction imposée à Ottawa et réside sur la rue Cooper.

 

10.             Le ltv Clark indique qu’il dispose d’un revenu disponible, après dépenses, d’environ 300 $ par mois.

 

11.             En raison de ces incidents, un examen administratif a été entrepris pour qu’une décision soit prise sur la question de savoir s’il devrait être libéré des Forces armées canadiennes.

 

12.             Après avoir appris comment ses commentaires ont été reçus par le maj Timbury, Mme MacIsaac, le sgt Forrest et le cpl Melnick, le ltv Clark a cherché à obtenir un traitement médical auprès des services de santé mentale des Forces canadiennes pour une éventuelle déficience cognitive qui affecterait son jugement ou sa capacité à comprendre ce qui est approprié.

 

13.             Les services de santé des Forces canadiennes ont initialement refusé de le référer pour une consultation en santé mentale. Le ltv a insisté et on l’a récemment informé qu’il obtiendrait une consultation, mais il ne l’a pas encore eue.

 

14.             Le ltv Clark reconnaît maintenant qu’il aurait dû savoir que les commentaires relatés dans le Sommaire des circonstances étaient de nature à offenser ses interlocutrices, mais il a déclaré qu’il ne l’a réalisé que lorsqu’il a été traduit devant la cour martiale.

 

15.             Seule le maj Timbury a informé le ltv Clark qu’elle avait été offensée par ses commentaires, qu’il avait faits lors de leur partie de billard (voir le paragraphe 14 de la pièce 7). Mme MacIsaac, le sgt Forrest et le cpl Melnick ne le lui ont jamais dit.

 

16.             Aucun des commentaires mentionnés dans le Sommaire des circonstances ne laissait entendre une possibilité de contact entre le ltv Clark et le maj Timbury, Mme MacIsaac, le sgt Forrest ou le cpl Melnick. »

 

[6]               Le contrevenant s’est joint aux Forces armées canadiennes (FAC) en tant que soldat en 1987 et est devenu un officier en 2006. Au cours de sa carrière, il a participé à plusieurs déploiements, notamment en Syrie, en Égypte et en Haïti. Des documents additionnels ont aussi été déposés, avec le consentement des parties, pendant l’audience de la détermination de la sentence, dont les rapports d’appréciation du personnel des années 2012 à 2014. Ceux-ci indiquent que le rendement du contrevenant était par ailleurs exceptionnel avant les incidents en cause, et que les personnes qui le connaissent depuis plusieurs années à titre personnel et professionnel ont une haute estime de lui comme officier, père attentionné et personne respectée dans sa collectivité. Ces documents, qui donnent un portrait complet des infractions et du contrevenant, ont mené les avocats à formuler la recommandation conjointe eu égard aux principaux objectifs de la détermination de la sentence applicables en l’espèce, à savoir la dissuasion générale et la dénonciation. Pour parvenir à la soumission conjointe, les avocats ont pris en considération les facteurs aggravants les plus pertinents, dont le grade et le poste du contrevenant au moment des faits et le fait qu’il ne s’agissait pas d’un incident isolé de conduite inappropriée. En ce qui concerne les facteurs atténuants, il convient d’accorder tout le poids voulu aux plaidoyers de culpabilité de l’accusé et au raisonnement sous‑jacent décrit dans le Sommaire conjoint des faits. Compte tenu des circonstances, la Cour estime que le ltv Clark a pleinement reconnu sa responsabilité et que ses aveux de culpabilité constituent l’expression sincère de son remord à l’égard de sa conduite passée. Il a 53 ans et a consacré sa carrière à servir son pays. Les circonstances exposées me satisfont, tout comme le raisonnement présenté pour démontrer le respect du critère énoncé par la Cour suprême du Canada. La soumission conjointe respecte l’intérêt public et ne déconsidère pas l’administration de la justice.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[7]               VOUS DÉCLARE coupable de quatre chefs d’accusation de comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline contrairement à l’article 129 de la Loi sur la défense nationale.

 

[8]       VOUS CONDAMNE à une réprimande et à une amende au montant de 2 000 $, payable le 30 avril 2017.


 

Avocats :

 

Le Directeur des poursuites militaires, représenté par le major D.J.G. Martin

 

Le lieutenant-colonel D. Berntsen, Service d’avocats de la défense, avocat du lieutenant de vaisseau J.C. Clark

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