Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 17 mars 2017

Endroit : Centre Asticou, bloc 2600, pièce 2601, salle d’audience, 241 boulevard de la Cité-des-Jeunes, Gatineau (QC)

Chef d’accusation :

Chef d’accusation 1 : Art. 129 LDN, acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

Résultats :

VERDICT : Chef d’accusation 1 : Coupable.
SENTENCE : Une réprimande et une amende au montant de 1800$.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. Hamelin, 2017 CM 4005

 

Date : 20170317

Dossier : 201638

 

Cour martiale permanente

 

Centre Asticou

Gatineau (Québec) Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Major T.N.A. Hamelin, contrevenant

 

 

En présence du capitaine de frégate J.B.M. Pelletier, J.M.


 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Prononcés de vive voix)

 

Introduction

 

[1]               Major Hamelin, ayant accepté et enregistré votre plaidoyer de culpabilité à l’égard du premier chef d’accusation figurant à l’acte d’accusation, la Cour vous déclare maintenant coupable du chef d’accusation prévu à l’article 129 de la Loi sur la défense nationale (LDN) pour l’utilisation non autorisée d’un système informatique du Ministère de la Défense nationale (MDN) dans le but d’accéder au matériel dont le principal objet est la pornographie, la nudité ou les actes sexuels.

 

Présentation d’une soumission conjointe

 

[2]               Je dois maintenant imposer la sentence. Il s’agit d’une affaire dans laquelle les parties ont présenté à la cour une soumission conjointe. Le procureur de la poursuite et l’avocat de la défense ont recommandé l’imposition d’une sentence composée d’une réprimande et d’une amende au montant de 1 800 $.

 

[3]               Cette soumission limite considérablement mon pouvoir discrétionnaire quant à la détermination de la sentence appropriée. Je ne suis pas tenu de suivre la proposition, quelle qu’elle soit. Cependant, comme tout autre juge de première instance, je ne devrais pas écarter une soumission conjointe à moins que la peine proposée soit susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ou qu’elle soit par ailleurs contraire à l’intérêt public, comme l’a indiqué la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Anthony-Cook, 2016 CSC 43.

 

[4]               Bien qu’il m’incombe d’évaluer le caractère acceptable de la soumission conjointe, le seuil requis pour s’en écarter est indubitablement élevé puisque les soumissions conjointes tiennent compte de considérations d’intérêt public importantes. La poursuite convient de recommander une sentence que l’accusé est disposé à accepter afin d’éviter le stress d’un procès et de permettre aux contrevenants qui ont des remords de commencer à faire amende honorable. Les soumissions conjointes présentent des avantages pour les victimes, les témoins, la poursuite et l’administration de la justice en général, car le temps, les ressources et les dépenses ainsi économisées peuvent être alloués à d’autres affaires. Le gain le plus important pour tous les participants est la certitude qu’apporte une soumission conjointe, pour l’accusé bien sûr, mais aussi pour la poursuite qui cherche à obtenir ce que son procureur militaire estime être un règlement approprié de l’affaire dans l’intérêt public.

 

[5]               Or, la certitude de l’issue ne constitue pas le but ultime du processus de la détermination de la sentence. Je dois également garder à l’esprit l’objectif disciplinaire du code de discipline militaire et des tribunaux militaires au moment d’exercer la fonction de la détermination de la sentence qui m’incombe à titre de juge militaire. Comme l’a souligné la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Généreux, [1992] 1 R.C.S. 259, le code de discipline militaire porte avant tout sur le maintien de la discipline et de l’intégrité au sein des Forces armées canadiennes (FAC), mais il remplit aussi un rôle de nature publique du fait qu’il vise à punir une conduite précise qui menace l’ordre et le bien-être publics. Les cours martiales permettent aux autorités militaires de faire respecter la discipline interne de manière efficace. La peine est la conséquence ultime du constat, à l’issue d’un procès ou d’un plaidoyer de culpabilité, qu’il y a eu manquement au code de discipline militaire. La détermination de la sentence se déroule habituellement dans un établissement militaire, en public et en présence de membres de l’unité du contrevenant.

 

[6]               L’imposition d’une sentence lors d’une cour martiale remplit donc une fonction disciplinaire. Conformément à l’article 112.48 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC), le juge militaire prononce une sentence proportionnée à la gravité de l’infraction et aux antécédents du contrevenant. En cas de soumission conjointe, le juge militaire qui inflige la peine doit s’assurer à tout le moins que les circonstances liées à l’infraction, à la situation du contrevenant et à la soumission conjointe sont non seulement prises en compte, mais également suffisamment énoncées dans le jugement relatif à la sentence. Cette exigence en matière de la détermination de la sentence en cour martiale ne diminue en rien la portée des directives de la Cour suprême concernant les soumissions conjointes, comme l’énonce le paragraphe 54 de l’arrêt R. c. Anthony-Cook, précité.

 

Éléments considérés

 

[7]               En l’espèce, le procureur de la poursuite a lu un sommaire des circonstances et a fourni les documents exigés par l’article 112.51 des ORFC. Le sommaire des circonstances renvoie à un aveu que le major Hamelin a fait aux enquêteurs à la première occasion et donne des détails quant à sa situation personnelle au moment de la perpétration de l’infraction. La défense n’a fourni aucun autre élément de preuve à des fins d’atténuation de la peine.

 

[8]               En plus de ces éléments de preuve, la Cour a aussi bénéficié des observations des avocats au soutien de leur position conjointe quant à la sentence, laquelle repose sur les faits et les facteurs pertinents en l’espèce, ainsi que sur la jurisprudence applicable à des cas semblables. Ces observations et éléments de preuve me permettent d’être suffisamment informé pour me conformer à l’exigence de tenir compte de toute conséquence indirecte de la sentence et d’imposer une peine adaptée en fonction du contrevenant et de l’infraction commise.

 

Le contrevenant

 

[9]               Le major Hamelin est un officier du génie en construction âgé de 30 ans qui, au moment de la perpétration de l’infraction, travaillait pour le Groupe des opérations immobilières des Forces canadiennes à Ottawa, tout juste après avoir été promu à son grade actuel et avoir été muté de Gagetown. Il s’est joint à la Force régulière en juillet 2003, a étudié au Collège militaire royal du Canada et, après avoir terminé sa formation  de logisticien, il a été affecté à Bagotville. Il a obtenu un reclassement en janvier 2009 et a travaillé comme ingénieur en construction à Borden et à Gagetown, à l’École du génie militaire des Forces canadiennes. Il a une épouse et deux jeunes enfants.

 

[10]           Le major Hamelin travaille toujours pour le Groupe des opérations immobilières des Forces canadiennes. La Cour a appris que le major Hamelin avait fourni un rendement tout à fait satisfaisant au sein de cette unité depuis le moment de l’infraction. Il n’a fait l’objet d’aucune sanction administrative par suite de la perpétration de l’infraction et ne devrait pas faire l’objet d’aucune sanction puisque la chaîne de commandement estime qu’il s’est réadapté.

 

L’infraction

 

[11]           Pour évaluer le caractère acceptable de la soumission conjointe, la Cour a tenu compte de la gravité objective de l’infraction, comme l’indique la peine maximale qui peut être infligée. Les infractions visées par l’article 129 de la LDN sont passibles d’une destitution ignominieuse du service de Sa Majesté.

 

[12]           Les faits entourant la perpétration de l’infraction en l’espèce sont relatés dans le sommaire des circonstances lu par le procureur de la poursuite, et leur exactitude a été officiellement admise par le major Hamelin. Les circonstances peuvent être résumées comme suit :

 

a)         En juin 2015, un technicien civil de systèmes d’information qui agit également comme enquêteur en matière de sécurité a rapporté au Service national des enquêtes des Forces canadiennes (SNEFC) une activité suspecte sur le compte d’utilisateur du major Hamelin. Une analyse subséquente de son disque dur a révélé que 90 fichiers comportant des images pornographiques avaient été téléchargés ou visionnés entre le 8 et le 18 juin 2015, et qu’ils avaient ensuite été effacés;

 

b)         Lors de l’entrevue du 11 février 2016 avec les enquêteurs du SNEFC, le major Hamelin a admis avoir visionné les images en question au travail. Il a déclaré avoir été surpris d’avoir eu accès à des sites pornographiques malgré les pare-feux. Il savait que les Directives et ordonnances administratives de la Défense interdisaient l’utilisation des ordinateurs et des réseaux du MDN pour regarder de la pornographie;

 

c)         Même s’il savait que ses actes étaient répréhensibles, le major Hamelin a continué à tester les limites des pare-feux en accédant à des images pornographiques et en les téléchargeant pendant près de deux semaines. Il a dit aux enquêteurs qu’il avait accepté le risque et qu’il trouvait « excitant » le fait de ne pas se faire prendre.

 

Facteurs aggravants

 

[13]           En l’espèce, les circonstances de la perpétration de l’infraction révèlent à mon avis un grand manque de respect de la part du major Hamelin à l’égard de ses fonctions en tant qu’officier supérieur et de son obligation de se conformer aux ordonnances régissant la protection de la sécurité des ordinateurs et systèmes d’information du MDN.

 

[14]           Plus particulièrement, j’estime que le fait que l’infraction ait été commise au travail alors que le major Hamelin aurait dû s’acquitter de ses tâches officielles est un facteur aggravant. Cela constitue un abus de la confiance qui lui était accordée à titre d’officier supérieur. L’infraction concernait 90 images pornographiques, lesquelles ont été visionnées ou téléchargées pendant une période de quelques jours. Il ne s’agit donc pas d’une faiblesse ponctuelle. Enfin, fait important, l’infraction révèle une violation consciente d’une ordonnance importante liée à la sécurité informatique, un problème qui doit être pris très au sérieux par le MDN et le personnel des FAC.

 

Facteurs atténuants

 

[15]           La Cour a aussi tenu compte des arguments suivants en ce qui a trait aux facteurs atténuants résultant soit des circonstances de l’infraction, soit de la situation du contrevenant dans le cas présent :

 

a)         Premièrement et avant toute chose, j’estime que le plaidoyer de culpabilité du major Hamelin est une indication claire que le contrevenant assume l’entière responsabilité de ses actes dans le cadre du présent procès public en présence des membres de la communauté militaire. Le plaidoyer a été communiqué à la première occasion.

 

b)         Deuxièmement, la longue période qui s’est écoulée depuis la perpétration de l’infraction. Pendant cette période de 18 mois, le contrevenant a fourni un rendement adéquat même si cette affaire traînait et qu’il collaborait avec les autorités. Il a également avoué sa responsabilité à la première occasion, il y a 13 mois.

 

c)         Enfin, le major Hamelin n’a pas de casier judiciaire ni d’antécédents disciplinaires, et le comportement qui lui est reproché ne semble pas correspondre à son comportement habituel, compte tenu du fait qu’il a eu une belle carrière avant et après. Je ne doute pas qu’il peut continuer à apporter une contribution positive à la société canadienne à l’avenir.

 

Objectifs de la détermination de la sentence sur lesquels il faut insister en l’espèce

 

[16]           Les circonstances de l’espèce exigent qu’on accorde la priorité aux objectifs de dénonciation et de dissuasion générale au moment de déterminer la sentence du contrevenant. Par ailleurs, toute sentence imposée ne devrait pas compromettre la réadaptation du major Hamelin.

 

Évaluation de la soumission conjointe

 

[17]           La première chose que je dois faire est d’évaluer la soumission conjointe et de déterminer si elle est acceptable. Le procureur de la poursuite et l’avocat de la défense ont tous deux recommandé que la Cour inflige une réprimande et une amende au montant de 1 800 $ pour respecter les exigences de la justice. Je ne peux écarter la soumission conjointe que si j’estime que la sentence proposée est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ou si elle est par ailleurs contraire à l’intérêt public.

 

[18]           La question que je dois me poser à titre de juge militaire n’est pas celle de savoir si la sentence conjointement proposée me convient ni celle de savoir si j’aurais proposé quelque chose de mieux. Le seuil à respecter pour écarter des soumissions conjointes est très élevé, et l’opinion que je pourrais avoir quant à la sentence qui s’impose ne suffit pas pour rejeter la soumission conjointe qui m’a été présentée.

 

[19]           Selon la Cour suprême du Canada, un seuil aussi élevé s’impose pour que l’on retire tous les avantages des soumissions conjointes. Le procureur de la poursuite et l’avocat de la défense sont les mieux placés pour arriver à une soumission conjointe qui reflète à la fois les intérêts du public et ceux de l’accusé. Ils connaissent très bien la situation du contrevenant et les circonstances de l’infraction, ainsi que les forces et les faiblesses de leurs positions respectives. Le procureur de la poursuite, qui propose la peine, entretient un lien avec la chaîne de commandement. Il connaît les besoins des communautés militaires et civiles et il est chargé de représenter les intérêts de la communauté en s’assurant que justice soit faite. L’avocat de la défense doit agir dans l’intérêt supérieur de l’accusé, notamment en s’assurant que l’accusé donne son plaidoyer de façon volontaire et éclairée. Les deux avocats sont tenus, sur les plans professionnel et éthique, de ne pas induire la Cour en erreur. En résumé, ils sont entièrement capables d’arriver à un règlement équitable et conforme à l’intérêt public.

 

[20]           Au moment de déterminer si une sentence conjointement proposée est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ou si elle est par ailleurs contraire à l’intérêt public, je dois me demander si, malgré les questions d’intérêt public qui appuient l’imposition d’une sentence, la soumission conjointe correspond si peu aux attentes de personnes raisonnables instruites des circonstances de l’affaire que ces dernières estimeraient qu’elle fait échec au bon fonctionnement du système de justice militaire. Je dois évidemment éviter de rendre une décision qui fait perdre au public renseigné et raisonnable, y compris les membres des FAC, sa confiance dans l’institution des tribunaux.

 

[21]           Je crois qu’une personne raisonnable et renseignée sur les circonstances de l’espèce s’attendrait à ce que le contrevenant, un officier supérieur, se voie infliger une sentence comportant des peines qui expriment la désapprobation du manquement disciplinaire et le manque de confiance, en plus d’avoir une incidence personnelle sur le contrevenant. L’imposition d’une réprimande et d’une amende est cohérente avec ces attentes.

 

[22]           Compte tenu de tous ces facteurs, de même que des circonstances de l’infraction et de la situation du contrevenant, des principes de la détermination de la sentence applicable et des facteurs aggravants et atténuants mentionnés précédemment, je ne puis conclure que la sentence conjointement proposée par les avocats est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ou qu’elle est par ailleurs contraire à l’intérêt public. Par conséquent, la Cour doit y souscrire.

 

[23]           En vertu du paragraphe 145(2) de la LDN, les modalités de paiement d’une amende sont laissées à l’appréciation du tribunal militaire qui l’inflige. Lors de l’audience de la détermination de la sentence, le procureur de la poursuite ne s’est pas opposé à la demande formulée par l’avocat de la défense que l’amende soit payée par versements mensuels de 300 $.

 

[24]           Major Hamelin, les circonstances entourant l’accusation pour laquelle vous avez plaidé coupable révèlent le très mauvais choix que vous avez fait de ne pas respecter les ordonnances applicables à l’utilisation des systèmes informatiques du MDN. J’admets que cet incident représente une erreur de votre part, pour laquelle vous avez été tenu responsable devant le système de justice militaire. Je sais que votre réadaptation est bien entamée et je suis sûr que vous pouvez vous réjouir à la perspective d’apporter, pendant de nombreuses années encore, une contribution positive aux FAC et à la société canadienne à n’importe quel titre.

 

POUR CES RAISONS, LA COUR :

 

[25]           VOUS CONDAMNE à une réprimande et à une amende au montant de 1 800 $ payable en six versements mensuels de 300 $, et ce, à compter du 15 avril 2017 au plus tard. Si vous êtes libéré des FAC pour quelque raison que ce soit avant le paiement complet de l’amende, le solde impayé sera exigible à la veille de votre libération.


 

Avocats :

 

Le Directeur des poursuites militaires, représenté par le major M. Pecknold et le capitaine L.L. Scantlebury

 

Le major A.H. Bolik, service d’avocats de la défense, avocat du major T.N.A. Hamelin

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