Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 24 avril 2017

Endroit : Base de soutien de la 2e Division du Canada Valcartier, édifice 534, pièce 227, l’Académie, Courcelette (QC)

Chefs d’accusation :

Chef d’accusation 1 : Art. 83 LDN, a désobéi à un ordre légitime d’un supérieur.
Chef d’accusation 2 : Art. 84 LDN, a usé de violence envers un supérieur.
Chef d’accusation 3 : Art. 85 LDN, s’est conduit de façon méprisante envers un supérieur.

Résultats :

VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 3 : Coupable. Chef d’accusation 2 : Retiré.

SENTENCE : Détention pour une période de 21 jours et une amende au montant de 800$. L’exécution de la peine de détention a été suspendue.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. Normand-Therrien, 2017 CM 4010

 

Date : 20170503

Dossier : 201610

 

Cour martiale permanente

 

Base de soutien de la 2e Division du Canada Valcartier, Québec

Courcelette (Québec) Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Soldat J.J. Normand-Therrien, contrevenant

 

 

En présence du : Capitaine de frégate J.B.M. Pelletier, J.M.


 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Oralement)

 

Introduction

 

[1]               Soldat Normand-Therrien, ayant accepté et enregistré votre plaidoyer de culpabilité sur le premier et le troisième chef à l’acte d’accusation, la Cour vous déclare coupable de ces deux chefs en vertu des articles 83 et 85 de la Loi sur la défense nationale (LDN), pour avoir, le 17 mars 2016, désobéi à un ordre de l’adjudant-chef Boucher (1er chef) et pour vous être conduit de façon méprisante envers lui (3e chef). 

 

Une recommandation conjointe est présentée à la Cour

 

[2]               Il est maintenant de mon devoir d’imposer la sentence. La poursuite et la défense ont présenté une recommandation conjointe à la Cour en ce qui concerne la peine à être imposée. Les avocats recommandent que cette Cour impose une sentence composée d’une peine de détention d’une durée de 21 jours et d’une amende au montant de 800 dollars. Les avocats recommandent conjointement à la Cour de suspendre l’exécution de la peine de détention en vertu de l’article 215 de la LDN.

 

[3]               Le juge militaire à qui on propose une recommandation conjointe sur la peine à imposer est sévèrement limité dans l’exercice de sa discrétion sur sentence. Bien qu’ultimement je doive seul exercer le pouvoir discrétionnaire de déterminer la peine, je ne peux écarter une recommandation conjointe que si j’ai de sérieux motifs de le faire. La Cour suprême a précisé récemment dans l’arrêt R. c. Anthony-Cook, 2016 CSC 43 qu’un juge présidant un procès ne devrait pas écarter une recommandation conjointe relative à la peine, à moins que la peine proposée soit susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ou qu’elle soit, par ailleurs, contraire à l’intérêt public.

 

[4]               Ce seuil indéniablement élevé pour que je rejette la soumission conjointe a été fixé en raison des multiples considérations d’intérêt public au soutien de l’imposition de la sentence conjointement recommandée. En effet, dans ces cas, la poursuite accepte de recommander une peine que l’accusé est disposé à accepter, minimisant ainsi le stress et les frais liés aux procès. De plus, pour ceux qui éprouvent des remords sincères, un plaidoyer de culpabilité offre une occasion de commencer à reconnaître leurs torts. Le plus important avantage est la certitude qu’offrent les ententes menant à des recommandations conjointes, autant pour l’accusé que pour la poursuite qui désire obtenir ce que le procureur estime être un règlement approprié de l’affaire dans l’intérêt public.

 

[5]               Ceci étant dit, même si la certitude quant au résultat est importante pour les parties, ce n’est pas l’objectif ultime du processus de détermination de la peine. En m’acquittant de mon devoir d’évaluer si la recommandation conjointe qui m’est présentée est acceptable, je dois également garder à l’esprit les objectifs disciplinaires du Code de discipline militaire. Tel que mentionné par la Cour suprême dans l’arrêt R. c. Généreux, [1992] 1 R.C.S. 259, la raison d’être d’une cour martiale, en tant que tribunal militaire, est entre autres de permettre aux FAC de s'occuper des questions qui touchent directement le maintien de la discipline, l'efficacité et le moral des troupes. Les cours martiales permettent de faire respecter la discipline efficacement. La sentence est la culmination du processus disciplinaire suite à un procès ou un plaidoyer. C’est la seule occasion pour la Cour de traiter des besoins disciplinaires générés par la conduite du contrevenant et ce, sur un établissement militaire, devant public incluant plusieurs membres de l’unité actuelle ou antérieure du contrevenant ainsi que, de plus en plus, en présence de victimes. 

 

[6]               La détermination de la peine dans le cadre d’un procès en cour martiale comporte donc un aspect disciplinaire important. Lorsqu’une recommandation conjointe est soumise à la cour, le juge militaire doit s’assurer, au minimum, que les faits pertinents à la situation du contrevenant et à la perpétration de l’infraction soient non seulement considérés mais également expliqués adéquatement dans ses motifs relatifs à la sentence et ce, dans une mesure qui peut ne pas être toujours nécessaires pour une cour civile siégeant en matière criminelle dans un centre-ville du pays. Ces exigences propres à l’imposition de la peine ne s’écartent pas des balises fixées par la Cour suprême en ce qui concerne les recommandations conjointes, tel qu’il appert du paragraphe 54 de l’arrêt R. c. Anthony-Cook.

 

Preuve et arguments considérés

 

[7]               Il est malheureux que lors de l’audience sur la détermination de la peine en l’espèce, la poursuite a initialement présenté une preuve et des arguments incomplets, comme si le rôle de la Cour n’était que d’apposer une étampe « approuvée » sur la recommandation conjointe préparée par les parties à l’extérieur de la salle de cour. Je comprends qu’à l’audience sur la détermination de la sentence, les parties avaient initialement prévu faire entendre la preuve de plusieurs témoins, incluant deux experts, dans le cadre d’un débat devant être fortement contesté. Quelques minutes avant l’heure prévue, les parties ont avisé la Cour qu’ils étaient parvenus à une entente sur la sentence et ont demandé plus de temps pour se préparer à cette nouvelle réalité. La Cour a acquiescé au-delà de ce qui était demandé, ajournant l’audience au lendemain matin, en demandant aux parties de bien se préparer.

 

[8]               Lors de la reprise de l’audience, en lieu et place de témoignages, la poursuite a déposé la pièce 8, un sommaire conjoint des faits qui devait clore la présentation de la preuve nécessaire à la détermination de la sentence, considérant que la défense n’avait aucune preuve additionnelle à offrir. Il est par contre devenu évident au moment de la plaidoirie de la poursuite que certaines considérations nécessaires à la détermination de la sentence n’étaient pas en preuve et que rien dans la preuve ou la jurisprudence ne supportait l’imposition de la peine de détention et surtout la suspension de celle-ci, qui nécessite l’exercice d’une discrétion assujettie à un test en deux étapes appliqué par la plupart des cours martiales depuis 2010, suite à la décision R. v. Paradis, 2010 CM 3025.

 

[9]               Devant cette situation, la Cour a fait part aux avocats de ses préoccupations et les a invités à y répondre, en permettant la réouverture de la preuve sur la détermination de la sentence après un ajournement additionnel. Au retour de cette pause forcée, la poursuite a déposé la pièce 9, un nouveau sommaire conjoint des faits comportant des paragraphes supplémentaires pour répondre aux préoccupations de la Cour. De plus, les parties ont fait état, dans leurs plaidoiries, de deux précédents jurisprudentiels permettant de mieux comprendre où la sentence suggérée se trouve dans la fourchette des sentences potentielles, un échantillon plutôt pauvre mais suffisant considérant le test de l’arrêt Anthony-Cook qui priorise à priori l’examen de l’intérêt public et non la justesse d’une recommandation commune.

 

[10]           Je suis d’avis que le deuxième sommaire conjoint des faits comble les lacunes initialement identifiées. Combiné aux documents déposés en application de l’Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes 112.51 et au sommaire des circonstances lu par le procureur et admis par le soldat Normand-Therrien à l’ouverture de l’audience sur la sentence, je suis d’avis que la preuve est suffisante pour me permettre d’exécuter mon devoir d’évaluer si la recommandation conjointe qui m’est présentée est acceptable.

 

Les infractions

 

[11]           Mon analyse débute tout d’abord par les infractions. Pour apprécier le caractère acceptable de la recommandation conjointe, la Cour a tenu compte de la gravité objective des infractions sur la base des peines maximales pouvant être imposées.  L’auteur d’une infraction visée à l’article 85 de la LDN encourt comme sentence maximale la destitution ignominieuse du service de Sa Majesté. Les infractions de désobéissance à un ordre légitime visées à l’article 83 de la LDN sont objectivement plus graves, puisque leur auteur encourt comme peine maximale l’emprisonnement à perpétuité. Il s’agit de l’une des infractions le plus sévèrement punie du Code de discipline militaire.

 

[12]           Les faits relatifs à la perpétration des infractions sont révélés par le sommaire des circonstances et des faits lu par le procureur de la poursuite, ainsi que, dans une certaine mesure, du deuxième sommaire conjoint des faits admis en preuve. Les circonstances des infractions sont les suivantes :

 

a)                  Le 17 mars 2016, le soldat Normand-Therrien subi un procès sommaire où il est reconnu coupable et condamné à une amende de 200 dollars et huit jours de confinement aux quartiers. L’adjudant-chef Boucher, Sergent-Major Régimentaire de son unité, est présent à ses côtés pour l’occasion.

 

b)                  Pendant cette journée, le soldat Normand-Therrien était anxieux. Visiblement troublé, il a demandé poliment, à plusieurs reprises, à ce qu’on lui accorde un court instant pour se calmer. Ces demandes ont été refusées. Pendant la pause entre la condamnation et la sentence, il a dit à l’adjudant-chef Boucher qu’il allait craquer.

 

c)                  Après l’imposition de la sentence, l’adjudant-chef Boucher a ordonné au soldat Normand-Therrien d’utiliser un pas militaire pour quitter les lieux et lui a ensuite donné l’ordre de se mettre en place repos.  Alors que l’adjudant-chef Boucher s’apprêtait à mentionner la liste du matériel militaire dont va avoir besoin le soldat Normand-Therrien lors de son confinement aux quartiers, ce dernier a quitté le rang en criant qu’il n’en peut plus et qu’il a besoin de prendre l’air.

 

d)                 Suite à la réaction du soldat Normand-Therrien, l’adjudant-chef Boucher lui donne l’ordre de revenir immédiatement en place repos. Le soldat Normand-Therrien répond « Non, je ne reviendrai pas en place repos. Ma vie est finie. Ça fait un an et demi que je demande de l’aide. L’armée c’est de la marde. Vous êtes tous contre moi ».  L’ordre est répété à deux occasions, et le soldat Normand-Therrien répond également, et ce, à plusieurs reprises « Si non, quoi? » en se dirigeant vers une porte menant à l’extérieur.

 

e)                  En chemin, le soldat Normand-Therrien donne un coup sur une boîte de ventilation, sans causer de dommages. L’adjudant-chef Boucher lui dit alors «c’est assez» et s’approche du soldat Normand-Therrien pour tenter de le ramener à l’ordre. En conséquence, le soldat Normand-Therrien se retourne, pousse l’adjudant-chef Boucher sur la poitrine et lui dit de le lâcher. Suite à cette poussée, le soldat Normand-Therrien, toujours en crise, est immédiatement maîtrisé par l’adjudant-chef Boucher et l’adjudant Chevrette, un des membres de l’unité ayant assisté à la scène.

 

f)                   Tout au long de l’évènement, le soldat Normand-Therrien a eu de la difficulté à conserver son calme ce qui a notamment eu pour conséquence qu’il a crié à plusieurs reprises à l’endroit de l’adjudant-chef Boucher tout en faisant preuve d’un comportement inapproprié à son endroit. Par contre, la poussée que le soldat Normand-Therrien a donnée à l’adjudant-chef Boucher a impliqué un faible niveau de violence et n’était pas préméditée. Personne ne fut blessé à la suite de l’altercation, au cours de laquelle l’adjudant-chef Boucher a gardé son calme. Le soldat Normand-Therrien s’est excusé auprès de l’adjudant-chef Boucher peu de temps après l’altercation. 

 

Le contrevenant

 

[13]           En ce qui concerne le contrevenant, la Cour tient compte du fait que le soldat Normand-Therrien est âgé de 26 ans. Il a entrepris sa période de service militaire actuelle dans le métier de spécialiste des systèmes de communication et d’information de l’Armée en février 2013. Après la réussite des qualifications militaires de base et de l’armée, il a reçu l’instruction spécifique à son métier à l’École de l'électronique et des communications des Forces canadiennes à Kingston jusqu’en juillet 2015 pour être ensuite affecté à son unité actuelle, le Quartier général et Escadron des transmissions du 5e Groupe-brigade mécanisé du Canada.

 

[14]           La fiche de conduite du soldat Normand-Therrien révèle qu’il a connu des problèmes disciplinaires lors de son séjour à Kingston, ayant subi un procès sommaire pour s’être conduit de manière méprisante envers un supérieur en juillet 2015. Les infractions pour lesquelles le soldat Normand-Therrien reçoit sa sentence aujourd’hui sont en lien avec ses agissements du 17 mars 2016, immédiatement suite à un procès sommaire dans le cadre duquel il faisait face à une accusation d’absence sans permission ainsi que deux chefs de conduite méprisante résultant d’un incident le matin du 1er décembre 2015. Depuis ce temps, il a connu un autre épisode disciplinaire, ayant subi un procès sommaire le 20 septembre 2016 pour absence sans permission et conduite méprisante, en lien avec un incident en date du 22 juin 2016. Ce plus récent épisode démontre que les difficultés disciplinaires du contrevenant se sont poursuivies plus récemment, celles-ci étant typiquement la résultante de situations ponctuelles de conflit avec des supérieurs. La Cour utilise cette plus récente condamnation pour mieux comprendre la situation actuelle du contrevenant et non en tant que facteur aggravant, la condamnation du 20 septembre 2016 n’ayant pas été prononcée au moment de la perpétration des infractions pour lesquelles le contrevenant reçoit sa sentence aujourd’hui.

 

[15]           La preuve révèle que le docteur Anne Labonté, psychiatre, a rencontré le soldat Normand-Therrien le 4 février 2017 pour une évaluation psychiatrique à la demande de ses avocats, en préparation pour ce procès. Selon elle, le soldat Normand-Therrien souffrirait de dépression majeure et d’anxiété depuis 2014. Elle est  d’avis que les soins et traitements psychiatriques reçus par le soldat Normand-Therrien étaient insuffisants à la lumière de ce nouveau diagnostic et que les troubles mentaux du soldat Normand-Therrien ont augmenté sa propension à commettre les infractions en cause. Elle soutient même que si le soldat Normand-Therrien avait reçu les soins adaptés à son diagnostic de dépression majeure et d’anxiété, il aurait pu rester calme lors de l’épisode du 17 mars 2016.

 

[16]           Le soldat Normand-Therrien n’a pas témoigné lors des procédures. Au sommaire conjoint des faits déposé par les procureurs, il reconnaît aujourd’hui que son comportement était inacceptable et touchait le cœur de la discipline militaire en ce qui a trait au respect de l’autorité et des consignes. Il ajoute que le présent procès en cour martiale a été particulièrement stressant pour lui. Il indique qu’il sera libéré des FAC le 22 mai 2017, soit dans 19 jours. En prévision de sa libération, il s’affaire actuellement à mettre en place une entreprise employant actuellement trois personnes. La santé de cette entreprise est dépendante de sa présence.

 

[17]           Selon l’opinion non contredite du docteur Labonté, la détention dans un établissement militaire aurait un effet dévastateur sur le soldat Normand-Therrien en risquant d’aggraver la condition médicale de celui-ci. De plus, le soldat Normand-Therrien a besoin de soins dans sa langue maternelle, soins qui lui seront difficilement accessibles s’il est détenu, selon le major Norbash, psychiatre offrant des soins de santé au Centre de détention d’Edmonton, cité au sommaire conjoint des faits.

 

Facteurs aggravants

 

[18]           L’objet d’infractions telles que celles visées aux articles 83 et 85 de la LDN est de protéger et de préserver les valeurs fondamentales de la discipline militaire, cette qualité que tout militaire doit posséder pour lui permettre de faire passer les intérêts du Canada et du service avant ses propres intérêts. Elle lui est nécessaire parce qu’il doit obéir promptement et volontiers, sous réserve qu’ils soient légitimes, à des ordres qui peuvent avoir pour lui des conséquences très graves telles que des blessures ou même la mort. On qualifie la discipline de qualité parce qu’au bout du compte, bien que pouvant se développer et être favorisée par l’instruction militaire, la formation et la pratique, cette valeur l’une des conditions fondamentales de l’efficacité opérationnelle de toute force armée — doit être intériorisée.

 

[19]           La poursuite a soutenu que la Cour devait prendre en compte un certain nombre de facteurs aggravants, qui essentiellement peuvent être réduits à deux facteurs principaux : la gravité subjective des infractions dans le contexte et la fiche de conduite du contrevenant.

 

[20]           La Cour considère comme facteurs aggravants, dans les circonstances de cette affaire, le fait que les infractions ont été commises immédiatement après la conclusion d’un procès sommaire, processus disciplinaire formel présidé en public sur les lieux de travail par un officier, en l’espèce le commandant adjoint de l’unité. La désobéissance et la conduite méprisante visaient le sergent-major régimentaire de l’unité, un membre clé de l’équipe de commandement qui porte le grade le plus élevé chez les non-officiers et occupe des fonctions clés au niveau disciplinaire. De plus, les infractions ont été commises en présence d’au moins deux sous-officiers supérieurs et d’autres membres de l’unité. Elles reflètent des actes d’insubordination et des propos méprisants, ainsi qu’une atteinte, même mineure, à l’intégrité physique d’un supérieur. Un tel comportement ne peut avoir pour effet que de nuire à la cohésion et au moral au sein de l’unité, bien qu’un impact réel n’ait pas été démontré par la preuve en l’espèce.

 

[21]           La Cour est aussi d’avis que la fiche de conduite du soldat Normand-Therrien, comportant deux condamnations antérieures en lien avec deux épisodes d’insubordination en juillet et décembre 2015 constitue en effet un facteur aggravant qui doit être pris en compte dans l’évaluation de la sentence, en tenant compte du contexte, incluant les problèmes de santé mentale dont le soldat Normand-Therrien souffrait depuis 2014 selon le docteur Labonté.

 

Facteurs atténuants

 

[22]           La Cour a également considéré les facteurs atténuants suivants, tels que soulevés par l’avocat de la défense :

 

a)                  Tout d’abord, le plaidoyer de culpabilité du contrevenant, que la Cour considère comme étant une indication de ses remords, conformément à la preuve à l’effet qu’il accepte la responsabilité pour son comportement répréhensible. Cette admission de responsabilité a été faite en public, devant des membres de son unité, dans cette cour.

 

b)                  Deuxièmement, malgré mes observations antérieures sur la gravité subjective de l’infraction, il demeure que la preuve révèle un comportement étroitement lié à ce que le contrevenant a considéré comme étant un traitement injuste de la part de ses supérieurs, alors qu’il vivait un stress significatif en lien avec le procès sommaire et qu’on lui refusait une période de temps pour se calmer. La poussée donnée à l’adjudant-chef Boucher n’était pas préméditée et semblait être le résultat du fort désir du soldat Normand-Therrien de s’éloigner de la situation stressante qu’il vivait de manière à reprendre ses esprits à l’air frais. Je considère qu’en effet, les circonstances étaient difficiles pour le contrevenant et les autres personnes présentes. Ceci étant dit, et malgré les excuses du soldat Normand-Therrien peu après l’incident, son comportement ne peut être excusé : le contrevenant se devait de faire preuve de contrôle même dans les circonstances difficiles auxquelles il était confronté.

 

c)                  Troisièmement, je considère comme atténuante la condition médicale du soldat Normand-Therrien qui, selon la preuve, a pu avoir un impact sur sa réaction le 17 mars 2016, qui aurait pu être différente s’il avait eu en main les outils qu’un diagnostic de sa condition en temps opportun aurait pu lui fournir.  Encore une fois, il ne s’agit pas d’une excuse.

 

d)                 Finalement, je considère que la réhabilitation du soldat Normand-Therrien est amorcée et qu’à son jeune âge, il a le potentiel de continuer à contribuer à la société canadienne dans une capacité civile pour de nombreuses années.

 

Objectifs de détermination de la peine devant être privilégiés

 

[23]           Je suis venu à conclure que, dans les circonstances de la présente affaire, l’imposition de la sentence devrait cibler des objectifs de dénonciation et de dissuasion, la peine à être imposée devant non seulement dissuader le contrevenant, mais également d’autres personnes qui, dans une situation similaire, pourraient songer à commettre le même type d’infraction. Ceci étant dit, l’atteinte de ces objectifs ne doit pas compromettre la réhabilitation du contrevenant, surtout alors qu’il amorce une nouvelle carrière dans le monde civil.

 

Évaluation de la recommandation conjointe

 

[24]           Tel que mentionné précédemment, pour établir la peine appropriée dans la présente affaire, je dois en tout premier lieu évaluer la recommandation conjointe des avocats et son impact, en appliquant le critère promulgué récemment par la Cour suprême à l’effet qu’un juge du procès ne devrait pas écarter une recommandation conjointe relative à la peine, à moins que la peine proposée soit susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ou qu’elle soit, par ailleurs, contraire à l’intérêt public.

 

[25]           La question que je dois déterminer n’est pas si j’aime la peine qui m’est conjointement recommandée ou si je peux arriver à quelque chose de mieux. En effet, le seuil que cette recommandation doit atteindre pour que je la rejette fait en sorte que toute opinion autre que je pourrais avoir sur ce qui constituerait une sentence adéquate n’est pas suffisante pour me permettre de rejeter la recommandation conjointe qui m’a été faite.

 

[26]           La Cour suprême a fixé un seuil aussi élevé pour écarter des recommandations conjointes de manière à ce que leurs indéniables avantages ne soient pas compromis. Les avocats de la poursuite et de la défense sont bien placés pour en arriver à une recommandation conjointe qui reflète tant les intérêts du public que ceux de l’accusé. En principe, ils connaîtront très bien la situation du contrevenant et les circonstances de l’infraction, ainsi que les forces et les faiblesses de leurs positions respectives. Le procureur militaire est chargé de représenter les intérêts des autorités militaires et de la collectivité civile pour faire en sorte que justice soit rendue. On exige de l’avocat de la défense qu’il agisse dans l’intérêt supérieur de l’accusé, et il doit notamment s’assurer que le plaidoyer de celui-ci soit donné de façon volontaire et éclairée. Les avocats représentant les deux parties sont tenus, sur le plan professionnel et éthique, de ne pas induire la Cour en erreur. Bref, ils sont entièrement capables d’arriver à des règlements équitables et conformes à l’intérêt public.

 

[27]           Pour décider si une recommandation conjointe déconsidérerait l’administration de la justice ou serait contraire à l’intérêt public, je dois me demander si, malgré les considérations d’intérêt public qui appuient l’imposition de la peine recommandée, elle correspond si peu aux attentes des personnes raisonnables instruites des circonstances de l’affaire que ces dernières estimeraient qu’elle fait échec au bon fonctionnement du système de justice pénale. En effet, comme tout juge devant examiner une recommandation conjointe, je dois éviter de rendre une décision qui fait perdre au public renseigné et raisonnable, incluant les membres des FAC, sa confiance dans l’institution des tribunaux, incluant la cour martiale.

 

[28]           La personne raisonnablement renseignée a des attentes qui sont en lien avec les sentences précédemment imposées pour des crimes similaires. En ce sens, la Cour suprême, en rendant l’arrêt Anthony-Cook, n’a pas totalement évacué la justesse de la sentence proposée du test devant être utilisé pour évaluer les recommandations conjointes. Cette double considération était présente dans le test employé par les cours martiales avant qu’Anthony-Cook ne soit rendu, considérant que dans sa décision R. c. Taylor, 2008 CACM 1, la Cour d’appel de la cour martiale avait mandaté l’utilisation en cour martiale du test développé par la Cour d’appel du Québec dans l’arrêt R. c. Douglas (2002), 162 C.C.C. (3d) 37. Je trouve révélateur qu’au paragraphe 31 d’Anthony-Cook, le juge Moldaver de la Cour suprême, ne semble pas en mesure d’expliquer en quoi le test d’évaluation qu’il propose est différent du test de l’arrêt Douglas. Pour moi, ces tests sont similaires et je m’explique mal pourquoi les avocats soumettant des recommandations conjointes depuis Anthony-Cook sont aussi hésitants à expliquer comment la sentence recommandée s’accorde avec des sentences imposées dans le passé pour des infractions similaires dans des circonstances similaires.

 

[29]           La Cour a obtenu des avocats certaines références à des décisions antérieures en l’espèce. En ce qui concerne la peine de détention proposée, il s’agit d’une peine ayant été imposée dans le passé pour une infraction similaire, bien que le degré de violence utilisé ait été de beaucoup supérieur à la violence utilisée en l’espèce. En effet dans R. c. Burton, 2014 CM 2024, le contrevenant s’était vu imposer une peine de 30 jours de détention pour avoir agressé un supérieur après avoir perçu un reproche de sa part dans un courriel transmis le jour même. L’exécution de la peine a été suspendue. En ce qui a trait à l’amende, il s’agit d’une peine maintes fois imposée dans des circonstances similaires, notamment dans l’affaire R. v. Gagnon, 2015 CM 4013, en combinaison avec une réprimande. Je suis d’avis que l’imposition d’une amende est particulièrement importante lorsque la recommandation des parties spécifie que l’exécution d’une peine d’incarcération soit suspendue. Voir à cet effet R. v. Boire, 2015 CM 4010, aux paragraphes 27 et 28.

 

[30]           En ce qui concerne la suspension de l’exécution de la peine de détention sous l’autorité de l’article 215 de la LDN, la Cour a insisté pour que les parties discutent du test en deux étapes qui a été initialement énoncé par le juge militaire d’Auteuil aux paragraphes 74 à 89 de la décision Paradis. Je suis d’avis que les parties ont démontré au niveau requis que dans les circonstances de la présente affaire, les exigences de ce test ont été rencontrées en raison de la condition médicale du soldat Normand-Therrien et l’impact que l’exécution d’une peine de détention aurait exceptionnellement sur lui en raison de cette condition, surtout en tenant compte des difficultés à obtenir un suivi médical en français s’il était détenu à Edmonton. J’ai aussi considéré l’impact de cette détention sur ses projets déjà amorcés en prévision d’un retour très prochain à la vie civile, surtout le suivit que nécessite une entreprise en démarrage. Je suis également d’avis que la suspension de la peine de détention ne compromettrait pas la confiance du public dans l’administration de la justice militaire dans les circonstances de l’infraction, incluant les circonstances justifiant la suspension. La décision Gagnon révèle que des comportements similaires ont été punis par des sentences ne comportant pas de détention. Un observateur renseigné et raisonnable ne serait pas susceptible de perdre confiance dans l’administration de la justice considérant la situation difficile du contrevenant, sa libération prochaine et le fait qu’il devra payer une amende de 800 dollars, conséquence réelle des infractions sanctionnées.

 

[31]           En considérant la nature des infractions, les circonstances dans lesquelles elles ont été commises, les principes d’imposition de la peine applicable, et les facteurs aggravants et atténuants mentionnés précédemment, je ne suis pas en mesure de conclure que la sentence recommandée conjointement par les procureurs, c’est-à-dire une peine de détention pour une période de 21 jours, suspendue, combinée à une amende de 800 dollars est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ou est par ailleurs contraire à l’intérêt public. Je dois donc accepter de l’entériner.

 

[32]           Soldat Normand-Therrien, les circonstances de la perpétration des infractions dont vous vous êtes reconnu coupable dénotent un comportement totalement incompatible avec le service au sein des FAC. Malgré le stress que ce procès vous a apporté, votre inconduite se devait d’être sanctionnée par des accusations. Maintenant que vous avez payé votre dette envers le système de justice militaire et que vous allez rejoindre le monde civil sous peu, je me permets de vous conseiller de ne pas considérer les problèmes disciplinaires que vous avez eus dans l’armée comme étant non-pertinents pour votre vie future. Le respect des personnes, surtout celles en autorité, n’est pas une valeur réservée aux FAC. Vos réactions négatives à l’exercice de l’autorité par vos supérieurs sont susceptibles de se reproduire si vous n’apprenez pas à mieux gérer vos émotions. De plus, en tant qu’entrepreneur, vous devrez obtenir le respect de vos employés et réagir avec calme si ceux-ci s’emportent à votre endroit. Je peux seulement espérer qu’un jour vous prendrez du recul par rapport à vos manquements au niveau de la discipline personnelle car il s’agit d’une qualité requise pour quiconque désirant contribuer positivement à la société dans le respect des lois.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[33]           VOUS CONDAMNE à la détention pour une période de 21 jours et à une amende de 800 dollars, payable dès maintenant.

 

[34]           SUSPEND l’exécution de la peine de détention en application de l’article 215 de la LDN. Si vous êtes libéré des FAC avant le paiement complet de votre amende, le solde dû sera exigible le jour de votre libération.


 

Avocats :

 

Le directeur des poursuites militaires, tel que représenté par le capitaine de corvette V. Pagé et capitaine M.-A. Ferron

 

Major A. Gélinas-Proulx et capitaine de corvette M. Létourneau, service d’avocats de la défense, avocats du soldat J. J. Normand-Therrien

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