Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 19 mai 2015.

Endroit : Collège militaire royal du Canada, réfectoire Yeo, pièce 205, 22 avenue Amiens, Kingston (ON), et Base des Forces canadiennes Kingston, édifice Dunlop, édifice A-26, 5 chemin d’Artisan, Kingston (ON).

Chefs d’accusation :

• Chefs d’accusation 1, 2 : Art. 130 LDN, agression sexuelle (art. 271 C. cr.).


Résultats :

VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 2 : Non coupable.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. Whitehead, 2016 CM 3001

 

Date : 20160112

Dossier : 201425

 

Cour martiale permanente

 

Collège militaire royal du Canada

Kingston (Ontario) Canada

 

Entre :

 

Élève-officier A.R. Whitehead, requérant

- et -

 

Sa Majesté la Reine, intimée

 

 

En présence du Lieutenant-colonel L.-V. d’Auteuil, J.M.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Restriction à la publication : Se fondant sur l’article 179 de la Loi sur la défense nationale et l’article 486.4 du Code criminel, la Cour interdit la publication ou la diffusion de quelque façon que ce soit de tout renseignement obtenu dans le cadre du présent procès devant la Cour martiale permanente qui permettrait d’établir l’identité de quiconque est décrit en l’espèce comme étant les plaignantes.

 

MOTIFS DE LA DÉCISION CONCERNANT LE STATUT DE LA PERSONNE QUI A RECUEILLI LA DÉCLARATION DE L’ACCUSÉ

 

(Oralement)

 

[1]               En l’espèce, l’élève-officier Whitehead demande à la Cour d’entendre et de décider une question mixte de droit et de fait qu’il soulève conformément à l’article 112.07 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC). La question survient après l’ouverture du procès et après que l’accusé a plaidé non coupable aux deux accusations figurant dans l’acte d’accusation et durant la présentation de la preuve par la poursuite.

 

[2]               L’élève-officier Whitehead, le requérant en l’espèce, est accusé de deux infractions d’ordre militaire punissables sous le régime de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale (LDN) parce qu’il aurait commis, le 1er septembre et le 1er novembre 2013, ou vers ces dates, au Collège militaire royal du Canada (CMRC), situé à Kingston, une agression sexuelle contre deux élèves-officiers des Forces armées canadiennes, en contravention de l’article 271 du Code criminel.

 

[3]               La poursuite voudrait déposer en preuve une déclaration que l’élève-officier Whitehead a faite le 19 septembre 2013 au major Heather Smith, aumônier. Cette déclaration concerne la deuxième accusation à l’acte d’accusation.

 

[4]               L’accusé fait valoir que, comme la déclaration avait été adressée à une personne en autorité, la Cour doit tenir un voir-dire afin de trancher la question du caractère volontaire quant à l’admissibilité de cette déclaration.

 

[5]               La poursuite est d’avis que le major Smith, aumônier, n’était pas une personne en autorité au moment où l’accusé lui a fait sa déclaration.

 

[6]               La Cour estime qu’un voir-dire doit être tenu afin de déterminer si l’accusé a soumis une question valable à l’examen de la Cour, soit celle de savoir si le major Smith était une personne en autorité au moment où il a fait sa déclaration. Malgré le fait que cet aumônier n’a participé ni à l’arrestation ni à la détention ni à l’interrogatoire ni à la poursuite de l’accusé, la nature de sa fonction, son grade et l’environnement militaire exigeaient une telle procédure dans le contexte de l’affaire qui nous occupe.

 

[7]               Durant le voir-dire, la poursuite a eu la possibilité de démontrer que la personne qui avait recueilli la déclaration n’était pas une personne en autorité. De plus, les deux parties ont dit à la Cour qu’elle pouvait, si elle était appelée à le faire, trancher la question du caractère volontaire de la déclaration faite par l’accusé et de la violation des droits que la Charte garantit à celui-ci, parce qu’elles considèrent que les éléments de preuve nécessaires ont été produits dans le respect des règles durant l’audience et qu’elles ont eu l’occasion d’aborder ces questions dans le cadre de leur plaidoirie finale respective présentée à la Cour.

 

[8]               Si la Cour conclut que le major Smith est une personne en autorité, la poursuite aura le fardeau de prouver, hors de tout doute raisonnable, que l’accusé a volontairement fait sa déclaration.

 

[9]               En ce qui concerne les éléments de preuve, de nombreux courriels envoyés avant et après le moment où la déclaration a été faite ont été présentés par les deux parties afin de démontrer l’approche adoptée par les autorités du Collège militaire royal concernant cette affaire. Deux témoins ont été entendus : l’élève-officier Whitehead, l’accusé en l’espèce, et le major Smith, la personne qui a recueilli sa déclaration.

 

[10]           Le 10 septembre 2013, le Directeur - Cadets (D Cad), le lieutenant-colonel Lemyre, a convoqué une réunion d’urgence pour discuter d’un incident possiblement grave qui avait eu lieu au cours des jours précédents. Le major Smith, aumônier, a participé à cette réunion.

 

[11]           Plus tard ce jour-là, l’aumônier a rencontré la plaignante au sujet de l’incident et lui a demandé de lui transmettre par écrit son récit des événements.

 

[12]           Le D Cad a rencontré l’élève-officier Whitehead le jour même et l’a informé des allégations faites contre lui par la plaignante. Des restrictions lui ont été imposées : ne pas être en contact avec la plaignante; ne pas participer aux exercices d’escrime; et déménager dans une autre chambre d’un autre escadron, située sur un autre étage.

 

[13]           L’aumônier a informé le D Cad du fait que la plaignante semblait être hésitante à donner suite à l’affaire. Le D Cad lui a dit durant une conversation qu’aucune mesure disciplinaire ne serait prise contre l’élève-officier Whitehead si les allégations n’étaient pas portées à cet échelon, mais que d’autres moyens de régler l’affaire pouvaient être envisagés.

 

[14]           Le 12 septembre 2013, la plaignante a dit à l’aumônier qu’elle avait décidé de ne pas faire une déclaration ou de porter plainte par écrit et qu’elle ne voulait pas donner suite à l’affaire. Elle a convenu avec l’aumônier d’étudier la possibilité de recourir à la médiation avec l’élève-officier Whitehead, en la présence de cette dernière ou de l’un des travailleurs sociaux, si elle pouvait atteindre certains de ces buts : pouvoir dire à l’accusé que ce qu’il avait fait était mal; qu’il s’excuse; et demander à l’accusé qu’il garantisse de ne plus jamais refaire une telle chose.

 

[15]           Le 13 septembre 2013, le D Cad a rencontré l’élève-officier Whitehead afin de vérifier qu’il serait dans le bon état d’esprit pour la médiation. Il a également informé par courriel l’aumônier du fait qu’il avait parlé à l’élève-officier Whitehead.

 

[16]           Le 17 septembre 2013, l’aumônier a appris par un courriel transmis par la plaignante que celle-ci avait rencontré seule l’élève-officier Whitehead, contrairement à ce qui lui avait été proposé, et qu’après qu’ils eurent discuté, celui-ci lui avait présenté ses excuses. La plaignante a ajouté qu’elle avait également discuté avec son capitaine et lui avait assuré que tout allait bien aller.

 

[17]           Le même jour, l’aumônière a informé le D Cad de la situation. Ce dernier lui a ensuite demandé sa recommandation pour régler l’incident reproché à l’élève-officier Whitehead.

 

[18]           Dans un courriel adressé au D Cad, en date du 18 septembre 2013, l’aumônier a proposé de rencontrer l’élève-officier Whitehead dans le but de lui poser des questions au sujet de la conversation qu’il avait eue avec la plaignante et de son point de vue sur la situation. Elle a également laissé entendre qu’elle pourrait chercher à savoir si l’élève-officier Whitehead aurait besoin d’aide ou de consulter quelqu’un au sujet de l’élément à l’origine de son comportement envers la plaignante. Il lui serait ensuite possible de faire une recommandation au D Cad afin de régler l’affaire et de lever ou de modifier les restrictions imposées à l’élève-officier Whitehead. Le D Cad a approuvé ce plan d’action.

 

[19]           Comme elle l’a exprimé, l’aumônière voulait faire savoir à l’élève-officier Whitehead qu’il était [TRADUCTION] « dans un sale pétrin », mais aussi que rien d’autre n’allait lui arriver. Elle voulait connaître son point de vue sur la conversation qu’il avait eue avec la plaignante. Dans le cadre de cette rencontre, l’aumônier voulait également s’assurer que ce dernier comprenait la gravité de la situation et qu’il éprouvait des remords, et elle voulait savoir s’il avait besoin de soutien sur le plan personnel relativement aux éléments qui ont pu être à l’origine de l’incident reproché.

 

[20]           L’aumônier a ensuite envoyé à l’élève-officier Whitehead un courriel l’invitant à la rencontrer à son bureau le lendemain matin, ce qu’il a accepté de faire. Il a été amené au bureau de cette dernière pour la rencontrer le matin du 19 septembre 2013 et il lui a fait une déclaration dans laquelle il relatait en substance sa version de l’incident survenu avec la plaignante.

 

[21]           Le 20 septembre 2013, l’aumônier a informé le D Cad par courriel du fait qu’elle avait eu une très bonne discussion avec l’élève-officier Whitehead et qu’elle recommandait que toutes les restrictions qui lui avaient été imposées soient retirées immédiatement. Ces restrictions ont été retirées par le D Cad, qui aurait rencontré l’élève-officier Whitehead le jour même.

 

[22]           Dans un environnement militaire, une personne en situation d’autorité est autorisée à exercer son autorité sur d’autres membres des Forces armées canadiennes compte tenu de son grade, des fonctions qu’elle exerce ou du poste qu’elle occupe, dans le but d’accomplir toute tâche ou mission.

 

[23]           Dans le contexte d’une instance disciplinaire, comme c’est aussi le cas pour une instance pénale, la définition du terme « personne en autorité » a légèrement été modifiée et doit être interprétée d’une manière différente. La disposition des Règles militaires de la preuve qui s’applique à la recevabilité de l’aveu non officiel, soit le paragraphe 42(3), définit comme suit la personne en autorité :

 

Une personne en autorité est une personne qui, en ce qui concerne l’accusé, était en mesure, au moment opportun, de recourir à des incitations de la nature décrite aux paragraphes (1) et (2), ou était une personne qui aurait raisonnablement paru à l’accusé être dans une telle mesure

 

[24]           Une personne qui détient un grade militaire plus élevé que celui de la personne qui fait la déclaration n’est pas, pour cette unique raison, une personne en autorité, comme le prévoit le paragraphe 42(5) des Règles militaires de la preuve.

 

[25]           En réalité, la définition légale du terme « personne en autorité » prévue dans les Règles militaires de la preuve ne diffère pas de celle qu’a énoncée la Cour suprême du Canada dans ses arrêts R. c. Hodgson, [1998] 2 R.C.S. 449, R. c. Grandinetti, 2005 CSC 5 et Rc. S.G.T., 2010 CSC 20. Au paragraphe 22 de ce dernier arrêt, S.G.T., la Cour suprême du Canada affirme ce qui suit :

 

Une personne en autorité est habituellement quelqu’un qui « particip[e] officiellement à l’arrestation, à la détention, à l’interrogatoire ou à la poursuite de l’accusé » : Hodgson, par. 32.  Détail important, nul n’est automatiquement considéré comme une personne en autorité du seul fait de son statut.  C’est du point de vue de l’accusé que s’examine la question de savoir qui est une personne en autorité.  Pour que la personne qui reçoit la déclaration de l’accusé soit considérée comme personne en autorité, il faut que l’accusé croie qu’elle a pouvoir ou influence sur l’instance et il faut que cette croyance soit raisonnable.  Comme la preuve nécessaire à l’établissement du statut de personne en autorité relève essentiellement de l’accusé, l’exigence relative à la personne en autorité impose à ce dernier une charge de présentation.  Certes, le ministère public doit prouver hors de tout doute raisonnable le caractère volontaire d’une confession, mais il incombe à l’accusé d’établir qu’il y a au dossier des éléments de preuve à l’appui de son affirmation que la personne à qui il a fait une déclaration est une personne en autorité.

 

[26]           Sauf dans des cas exceptionnels, par exemple, lorsqu’il s’agit des éléments établissant l’actus reus de l’infraction reprochée ou d’une déclaration faite sous la contrainte résultant de la loi, la règle du caractère volontaire s’applique aux déclarations qu’un accusé fait à une personne en autorité.

 

[27]           Lorsque la poursuite veut présenter une telle déclaration et qu’elle ne s’entend pas avec l’accusé pour dire la personne qui a recueilli la déclaration est une personne en autorité, ce qui donne normalement lieu à l’application de la règle du caractère volontaire, le fardeau est déplacé et c’est à l’accusé qu’il incombe de présenter des éléments de preuve démontrant qu’il a des motifs raisonnables de croire que la personne en question était en situation d’autorité. C’est ce qu’on appelle la charge de présentation de l’accusé.

 

[28]           La question doit être tranchée du point de vue de l’accusé, mais l’accusé doit avoir des motifs raisonnables de croire que la personne ayant entendu la teneur de la déclaration était en situation d’autorité.

 

[29]           Tout au long de son témoignage, l’élève-officier Whitehead a présenté son point de vue à la Cour concernant l’affaire et la rencontre qu’il avait eue avec l’aumônier.

 

[30]           Il a confirmé les étapes suivies par les autorités dans le but de gérer cette affaire avec lui. Il est également évident qu’à son arrivée à la rencontre avec l’aumônier, son point de vue était différent de celui de cette dernière.

 

[31]           La plaignante a dit à l’élève-officier Whitehead qu’elle allait faire annuler sa plainte par l’aumônier. La plaignante a fait cette affirmation après avoir refusé de fournir une déclaration écrite, mais avant la deuxième rencontre qu’a eue l’élève-officier Whitehead avec le D Cad.

 

[32]           À l’occasion de la deuxième rencontre, le D Cad a ensuite confirmé que la plaignante avait retiré sa plainte et que l’affaire serait réglée grâce à un processus de médiation auquel il devait participer avec l’aumônier.

 

[33]           L’élève-officier Whitehead a confirmé qu’il avait eu dans sa chambre temporaire une longue conversation avec la plaignante, c’est-à-dire la conversation qu’elle avait mentionnée dans son courriel à l’aumônier, le 17 septembre 2013. Il a appris de cette dernière qu’elle allait s’organiser pour que les restrictions soient levées. Il s’est senti soulagé et triste, mais aussi terrifié parce qu’il ne savait pas si elle allait vraiment le faire.

 

[34]           Puis, quand l’élève-officier Whitehead a reçu de l’aumônier une invitation à la rencontrer, il n’a pas été surpris parce qu’il s’attendait à ce que le processus se déroule de cette manière. Comme il l’a dit à la Cour, il considérait qu’il était en train d’amorcer un processus de médiation visant à régler l’affaire à l’échelon le plus bas possible, ce qui explique pourquoi il s’attendait à ce que la plaignante soit présente à l’occasion de cette rencontre et pourquoi il a été surpris de ne pas la voir. Il a cru qu’il devait, dans le cadre de ce genre de processus, raconter sa version des faits pour permettre à la médiation d’avoir lieu.

 

[35]           L’élève-officier Whitehead a confirmé que l’aumônier lui avait posé des questions au sujet de la conversation en tête-à-tête qu’il avait eue avec la plaignante. L’aumônier lui a également parlé de sa consommation d’alcool.

 

[36]           L’élève-officier Whitehead en était à sa troisième année au Collège militaire royal du Canada. Ses parents sont membres de la communauté du Collège militaire royal de Kingston, et il faisait partie de l’équipe d’escrime et assumait des responsabilités supplémentaires en tant que capitaine de cette équipe.

 

[37]           Manifestement, vu la nature des allégations reprochées, il s’agissait d’inconduite sexuelle à l’égard d’un élève-officier, le fait pour l’élève-officier Whitehead d’avoir été stigmatisé en raison de son retrait très rapide de l’escadrille sans motifs apparents ou avertissements l’a exposé à une certaine pression. Rapidement, sa famille et la communauté du collège se sont rendu compte qu’il vivait quelque chose d’anormal.

 

[38]           Après avoir été avisé par le D Cad qu’il devait rencontrer l’aumônier afin de suivre le processus de médiation, l’élève-officier Whitehead a compris qu’il n’avait d’autre choix que d’aller lui parler au sujet de l’incident reproché survenu avec la plaignante. Il savait que, s’il ne participait pas à ce processus, il pouvait s’exposer à d’autres mesures ou sanctions et que cela ne contribuerait pas à améliorer sa situation.

 

[39]           L’élève-officier Whitehead savait très bien que l’aumônier ne faisait pas partie de la chaîne de commandement et que son rôle principal était de soutenir et de conseiller les élèves et la chaîne de commandement concernant le bien-être des élèves-officiers. Il savait aussi qu’elle n’était investie d’aucun pouvoir dans le cadre du processus disciplinaire.

 

[40]           L’élève-officier Whitehead a indiqué clairement à la Cour qu’il savait que le rôle de l’aumônière consistait à offrir son aide en vue d’une solution et qu’il n’avait pas eu l’impression d’être dans une salle d’interrogatoire. Il était nerveux, anxieux et mal à l’aise en raison du sujet abordé. L’aumônier a été poli et n’a pris aucune note. À l’époque, il craignait tout de même les conséquences que cette rencontre pourrait avoir sur son avenir, en tant qu’élève et en tant qu’officier.

 

[41]           Essentiellement, avant sa rencontre avec l’aumônier, l’élève-officier Whitehead croyait personnellement que, s’il ne participait pas au processus de médiation ou si ce processus ne se déroulait pas de la façon escomptée par les autorités, l’enquête sur l’incident reproché serait poursuivie, de sorte qu’il risquait que des accusations soient portées contre lui. C’est ce qui explique pourquoi, de son point de vue, il croyait que l’aumônier pouvait exercer un certain contrôle ou avoir une certaine influence sur les procédures disciplinaires dont il pouvait faire l’objet concernant l’incident reproché survenu avec la plaignante.

 

[42]           De plus, en aucun moment durant ce processus, les autorités du Collège militaire royal du Canada n’ont dit explicitement à l’élève-officier Whitehead qu’elles n’avaient pas l’intention de suivre le processus disciplinaire. Ce silence peut expliquer le point de vue dont il a fait part à la Cour sur cette question.

 

[43]           J’en conclus donc que le requérant s’est acquitté de son fardeau de démontrer qu’une question valable avait été soumise à l’examen de la Cour.

 

[44]           Compte tenu de cette conclusion, le fardeau est déplacé et il incombe ensuite à la poursuite de prouver hors de tout doute raisonnable que le major Smith, aumônier, n’était pas une personne en autorité.

 

[45]           Comme l’a mentionné l’élève-officier Whitehead, la rencontre à laquelle il a été invité par l’aumônier était organisée, de son point de vue, à des fins de médiation avec la plaignante. Toutefois, il est intéressant de souligner que, du point de vue de l’aumônier, la rencontre avait un autre objet, car l’étape de la médiation était terminée étant donné la longue conversation que la plaignante avait eue avec l’élève-officier Whitehead quelque temps auparavant. Leurs points de vue différents au sujet de cette rencontre expliquent bien pourquoi elle ne s’est pas déroulée de la même manière pour les deux participants.

 

[46]           À tout le moins, l’élève-officier Whitehead a cru que la rencontre avec l’aumônier portait sur le processus de médiation et n’entraînerait pas la possibilité que des accusations soient portées contre lui, comme le lui avait dit le D Cad. Il comprenait que la rencontre avait pour objet de régler l’incident reproché survenu entre lui et la plaignante, et non d’obtenir des renseignements sur ses actes de manière à ce que des poursuites puissent être intentées contre lui concernant certaines infractions d’ordre militaire.

 

[47]           Il savait que le rôle de l’aumônier à l’époque ne s’inscrivait pas dans la chaîne de commandement et qu’elle n’avait pas le pouvoir de donner des ordres ou d’enquêter relativement à toute affaire. Essentiellement, comme il l’a affirmé, son rôle consistait à aider et à soutenir les élèves qui éprouvaient des problèmes au collège. Le contexte était détendu, aucune note n’a été prise et rien concernant l’entrevue n’a été consigné ni dans un dossier, ni dans un enregistrement d’aucune sorte.

 

[48]           Avant de se présenter à la rencontre avec l’aumônier, l’élève-officier Whitehead savait que la plaignante voulait retirer la plainte qu’elle avait portée contre lui parce qu’elle le lui avait dit explicitement quelques jours auparavant.

 

[49]           L’aumônier voulait que l’élève-officier Whitehead lui relate son point de vue concernant la longue conversation qu’il avait eue avec la plaignante quelques jours auparavant, elle voulait savoir s’il éprouvait des remords au sujet de l’incident reproché et vérifier s’il avait besoin d’aide relativement à un problème personnel qui pourrait avoir été à l’origine de l’incident. Ces trois aspects ont été abordés durant cette rencontre. Cependant, les points de vue différents de l’élève-officier Whitehead et de l’aumônier quant à l’objet de la rencontre pourraient expliquer pourquoi cette dernière a été surprise par la réponse que l’élève-officier Whitehead lui a donnée lorsqu’elle lui a demandé ce qui s’était passé. Elle voulait qu’il lui parle de la conversation, mais l’élève-officier Whitehead semble avoir cru qu’on lui donnait l’occasion de s’expliquer.

 

[50]           L’absence d’intérêt de l’aumônier à l’égard de la version relatée par l’élève-officier Whitehead est étayée par le fait qu’elle ne l’a pas déclarée à la chaîne de commandement et qu’elle a recommandé au D Cad de lever toutes les restrictions qui lui avaient été imposées, malgré ce qu’il lui avait dit. Il est clair qu’elle ne voulait pas aller à l’encontre du souhait de la plaignante de ne pas donner suite à l’affaire.

 

[51]           C’est pourquoi je conclus, compte tenu de la nature de la rencontre avec l’aumônier, c’est-à-dire la médiation, du rôle de cette dernière, qui agissait à titre de conseillère ou de thérapeute, l’élève-officier Whitehead en étant pleinement conscient, de l’absence de toute note ou consignation durant la rencontre et du fait que la plaignante lui avait dit avant cette rencontre qu’elle n’entendait pas donner suite à l’affaire, que dans un tel contexte l’élève-officier Whitehead n’avait aucun motif raisonnable de croire que des procédures disciplinaires avaient été intentées ou même envisagées par les autorités compétentes.

 

[52]           Par conséquent, je conclus que la poursuite s’est acquittée de son fardeau de démontrer hors de tout doute raisonnable que rien ne permettait raisonnablement à l’élève-officier Whitehead de croire que le major Smith, aumônier, pouvait avoir une certaine influence ou exercer un certain contrôle sur les procédures disciplinaires intentées contre lui au moment où il lui a fait une déclaration lors de la rencontre.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[53]           DÉCLARE que le major Smith, aumônier, n’était pas une personne en autorité au moment où elle a recueilli la déclaration faite par l’élève-officier Whitehead.

 

 

Avocats :

 

Les majors C.E. Thomas et D. Hodson, Service d’avocats de la défense, avocats du requérant, l’élève-officier A.R. Whitehead

 

Le directeur des poursuites militaires, représenté par les majors M. Pecknold, A.‑C. Samson et J.A. Peck

 

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