Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 24 mars 2017

Endroit : BFC Kingston, édifice Forde, pièce 101, 9 avenue Byng, Kingston (ON)

Chefs d’accusation :

Chef d’accusation 1 : Art. 83 LDN, a désobéi à un ordre légitime d’un supérieur.
Chef d’accusation 2 : Art. 88 LDN, a déserté.
Chef d’accusation 3 : Art. 129 LDN, comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.
Chef d’accusation 4 : Art. 90 LDN, s’est absenté sans permission.
Chef d’accusation 5 : Art. 101.1 LDN, a omis de se conformer à une condition d’une promesse remise sous le régime de la section 3.

Résultats :

VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 3, 5 : Coupable. Chef d’accusation 2 : Coupable de l’infraction moindre et incluse de s’être absenté sans permission. Chef d’accusation 4 : Non coupable.

SENTENCE : Détention pour une période d’un jour, une rétrogradation au grade de caporal et une amende au montant de 1000$. La Cour a suspendu l’exécution de la peine de détention.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. Conway, 2017 CM 4006

 

Date : 20170324

Dossier : 201716

 

Cour martiale permanente

 

Base des Forces canadiennes Kingston

Kingston (Ontario), Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Sergent M.M. Conway, contrevenant

 

 

En présence de : Capitaine de frégate J.B.M. Pelletier, J.M.


 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Oralement)

 

Introduction

 

[1]        Sergent Conway, la Cour ayant accepté et enregistré votre plaidoyer de culpabilité se rapportant au premier chef d’accusation, pour l’infraction moindre et incluse d’absence sans permission se rapportant au deuxième chef d’accusation, ainsi que pour les troisième et cinquième chefs d’accusation, figurant sur l’acte d’accusation, elle vous déclare maintenant coupable de ces chefs d’accusation aux termes des articles 83, 90, 129 et 101.1 de la Loi sur la défense nationale (LDN), à savoir désobéissance à un ordre légitime, absence sans permission, conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline et défaut de respecter une condition, respectivement.

 

Une recommandation conjointe est proposée

 

[2]               Je dois maintenant prononcer la sentence. Il s’agit ici d’un cas où une recommandation conjointe est présentée à la cour. Les avocats de la poursuite et de la défense m’ont tous deux soumis de prononcer une sentence composée d’une peine de détention d’une durée d’une journée, prenant en compte les 39 jours de détention avant procès, d’une rétrogradation et d’une amende au montant de 1 000 $. La recommandation conjointe inclue aussi la suspension d’exécution de la peine proposée de détention.

 

[3]               La recommandation conjointe des avocats restreint sévèrement mon pouvoir discrétionnaire de déterminer la peine adéquate. Je ne suis pas tenu d’y souscrire. Toutefois, à l’instar de tout autre juge du fond, je ne peux m’écarter d’une recommandation conjointe que si la peine proposée est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ou d’être par ailleurs contraire à l’intérêt public, ainsi que l’écrivait la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Anthony‑Cook, 2016 CSC 43.

 

[4]               Alors qu’il est mon devoir d’évaluer l’acceptabilité de la recommandation conjointe qui m’est présentée, je ne puis m’en écarter à la légère, car les recommandations conjointes répondent à d’importantes considérations d’intérêt public, puisqu’elles permettent d’éviter les frais d’un procès et qu’elles offrent une possibilité aux contrevenants pleins de remords de commencer à reconnaître leurs torts. Les avantages des recommandations conjointes s’étendent aux victimes, aux témoins, à la poursuite et à l’administration de la justice en général, en ce sens qu’elles permettent d’épargner temps et ressources, qui peuvent alors être employés à d’autres fins. Le gain le plus important pour l’ensemble des participants est la certitude que procure une recommandation conjointe, à l’accusé bien sûr, mais également à la poursuite, laquelle souhaite obtenir ce qui, aux yeux d’un procureur militaire, représente pour l’intérêt public une résolution adéquate de l’affaire.

 

[5]               Or, la certitude d’un résultat n’est pas l’objectif ultime du processus de la détermination de la peine. Je dois aussi garder à l’esprit l’objectif disciplinaire du code de discipline militaire et des tribunaux militaires lors de la détermination de la peine, une fonction m’étant attribuée en tant que juge militaire. Comme l’écrivait la Cour suprême dans l’arrêt R. c. Généreux, [1992] 1 R.C.S. 259, le code de discipline militaire porte avant tout sur le maintien de la discipline et de l’intégrité au sein des Forces armées canadiennes (les FAC), mais il joue aussi un rôle de nature publique en sanctionnant un comportement précis qui menace l’ordre public et le bien‑être de la société. Grâce aux cours martiales, les autorités militaires sont en mesure de faire respecter efficacement la discipline interne. La sanction imposée à l’issue d’un procès ou d’un plaidoyer de culpabilité est la suite logique du constat qu’il y a eu manquement au code de discipline militaire. La sentence est prononcée dans un établissement militaire, en public, et en la présence de membres de l’unité du contrevenant.

 

[6]               Le prononcé d’une sentence par une cour martiale représente donc l’accomplissement d’une fonction disciplinaire. L’article 112.48 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC) prévoit que le juge militaire prononce une sentence proportionnée à la gravité de l’infraction et aux antécédents du contrevenant. Lorsqu’une recommandation conjointe lui est faite, le juge militaire qui impose la peine doit s’assurer, à tout le moins, que les circonstances de l’infraction, la situation du contrevenant et la recommandation conjointe sont non seulement prises en compte, mais encore suffisamment exposées dans la décision portant sur la peine. Cette obligation des cours martiales en matière de la détermination de la peine ne réduit en rien la portée des directives données par la Cour suprême concernant les recommandations conjointes, directives qui sont exposées au paragraphe 54 de l’arrêt R. c. Anthony‑Cook.

 

Les éléments pris en considération

 

[7]               En l’espèce, le procureur de la poursuite a lu un énoncé des circonstances et produit les documents requis par l’article 112.51 des ORFC. Un exposé conjoint des faits et des aveux a aussi été déposé sur consentement afin de renseigner la Cour sur des faits concernant l’état de santé du sergent Conway, son comportement en détention et les mesures administratives prises par son unité à son égard. J’ai également reçu en preuve plusieurs lettres exposant les vues du commandant par intérim concernant l’incidence du comportement du sergent Conway sur l’unité. Une lettre du commandant supérieur a été déposée, dans laquelle il expose ses vues sur l’importance de corriger ses manquements disciplinaires. Elles ont évidemment été accueillies favorablement par le directeur des poursuites militaires, étant donné que des accusations ont été portées en vue d’un procès devant une cour martiale, mais elles me sont peu pertinentes en tant que juge militaire.

 

[8]               La défense a produit, avec l’assentiment de la poursuite, une lettre d’un médecin de l’air confirmant la condition médicale du sergent Conway. Par-dessus tout, le sergent Conway s’est présenté à la barre pour livrer le contenu d’une lettre d’excuses, dont une copie a été admise comme pièce.

 

[9]               Outre cette preuve, la Cour a aussi pu bénéficier des observations des avocats, à l’appui de leur position commune concernant la peine, compte tenu des faits et considérations pertinents à cette affaire, en prenant compte également de précédents portant sur des affaires semblables. Ces observations ainsi que la preuve produite me renseignent suffisamment pour être en mesure de tenir compte de toute conséquence indirecte de la peine et d’imposer une sanction adaptée au contrevenant concerné et aux infractions commises.

 

La situation du contrevenant et les circonstances des infractions

 

[10]           Le sergent Conway, âgé de 37 ans, est un spécialiste des systèmes de communication et d’information de l’Armée de terre, qui travaille pour l’École de l’électronique et des communications des Forces canadiennes (EECFC) à Kingston depuis juillet 2013, après avoir été promu à son grade actuel. En juin 2016, sergent Conway s’est vu accorder un horaire de travail réduit par suite d’une contrainte à l’emploi pour raisons médicales (CERM), suite à un diagnostic d’épisode dépressif majeur, dont les symptômes s’étaient manifestés en 2015, pour réapparaître en avril 2016, après une rupture conjugale. En septembre 2016, sergent Conway a appris qu’il était atteint d’un trouble de stress post-traumatique (TSPT), conséquence d’événements survenus au cours d’une période d’affectation à l’étranger.

 

[11]           Le sergent Conway s’est enrôlé dans la Force régulière en novembre 1999, après avoir servi dans les communications avec la réserve à l’Île‑du‑Prince‑Édouard à partir d’avril 1997. Une fois sa formation de poseur de ligne terminée, il a eu plusieurs affectations, principalement à Kingston, mais aussi à Greenwood et à Shilo. Au cours des 20 dernières années, il a été déployé en Bosnie, au Moyen‑Orient deux fois, et en Afghanistan.

 

[12]           Les ennuis du sergent Conway ont commencé en juillet 2016, en raison du caractère sporadique des rapports et communications entre lui‑même et son unité. Le 12 juillet, un horaire formel de rapports a été élaboré au cours d’une entrevue durant laquelle des superviseurs ont clairement expliqué au sergent Conway les attentes de l’unité à la lumière de sa CERM. Un horaire formel de rapports fut imposé, indiquant que sergent Conway allait devoir se rapporter par téléphone tous les mardis à 10 heures. De plus, il lui a été confirmé que toutes les obligations concernant la nécessité d’obtenir une autorisation de congé pour pouvoir quitter la région de Kingston continuaient de s’appliquer. Le 19 juillet 2016, sergent Conway ne s’est pas rapporté à son unité comme il le devait. Malgré plusieurs tentatives de communiquer avec lui, il n’a pas pu être localisé. Le 26 juillet, sergent Conway ne s’est pas présenté à une rencontre prévue avec son travailleur social à l’Unité interarmées de soutien du personnel (UISP).

 

[13]           Le 9 septembre 2016, il a rencontré deux membres de son unité et a promis de se présenter en personne à l’EECFC le 13 septembre 2016, ce qu’il a fait. Le 16 septembre 2016, le sergent Conway a confirmé avec l’UISP de Kingston un programme de retour au travail, en signant un protocole d’entente qui prévoyait que son service normal s’étendrait de 8 heures à 16 heures chaque jour et par lequel il reconnaissait devoir rendre compte de l’endroit où il se trouvait et être joignable par sa chaîne de commandement durant cette plage horaire. Conformément à l’entente, sergent Conway était autorisé, durant les heures de service, à travailler depuis son domicile et à se rendre au gymnase. Il était tenu de se présenter à tous les rendez‑vous prévus et devait rencontrer chaque semaine en personne l’adjudant-maître Tobin à 10 heures, chaque mercredi matin.

 

[14]           Du 30 septembre 2016 au 11 octobre 2016, le sergent Conway a manqué plusieurs rendez‑vous médicaux, et les tentatives des autorités militaires pour communiquer avec lui sont restées vaines. Sa paye fut arrêtée après qu’on l’eut déclaré comme personne absente le 31 octobre 2016. En décembre 2016, il s’est rendu dans l’Est du Canada pour visiter sa petite amie. En janvier 2017, toujours absent des FAC, sergent Conway a été admis aux soins intensifs à l’Hôpital général de Kingston, après avoir été agressé par des inconnus. Il a subi un grave traumatisme, à savoir une fracture du crâne avec hémorragie intracrânienne. Le sergent Conway a consenti à se présenter à la clinique de la Base des Forces canadiennes (BFC) Kingston pour un examen médical et à obtenir une assistance médicale militaire auprès du médecin-chef intérimaire de la base. L’examen a eu lieu le 27 janvier. Le sergent Conway s’est vu attribuer une catégorie médicale permanente avec restrictions à haut risque, notamment : inaptitude à travailler dans un environnement militaire, inaptitude à être déployé ou à se voir confier des renseignements sensibles. Il a également été arrêté par la police militaire pour absence sans permission.

 

[15]           Après avoir été accusé aux termes des articles 90 et 88 de la LDN le 27 janvier, le sergent Conway s’est vu imposer le maintien sous garde. Il a été libéré le 30 janvier 2017 moyennant des conditions imposées par un juge militaire, notamment l’obligation de se présenter en personne à 10 heures les jours de travail, sauf congé autorisé, et l’obligation d’être joignable par téléphone. Le 9 février 2017, le sergent Conway a dû se plier à une mesure corrective, à savoir mise en garde et surveillance, pour avoir omis de se présenter le 19 juillet 2016 et chaque semaine du 6 octobre 2016 au 26 janvier 2017, ainsi que pour avoir omis de se présenter à deux rendez‑vous fixés par le 33e Centre des Services de santé. Le sergent Conway s’est vu imposer une autre mesure corrective, sous la forme d’un avertissement écrit, le 15 février 2017, en raison d’un problème de comportement, à savoir mésusage du véhicule de service et mensonge à son superviseur.

 

[16]           Le 17 février 2017, le sergent Conway ne s’est pas présenté à 10 heures précises, comme il s’était engagé à le faire, étant arrivé en retard, à environ 10 heures 20. L’adjudant-maître Tobin lui a dit que son absence avait été signalée à la police militaire et qu’il devait demeurer sur place jusqu’à l’arrivée de celle‑ci. Le sergent Conway est alors devenu agité et agressif. L’adjudant-maître Tobin lui a donné l’ordre de s’asseoir et d’attendre dans son bureau l’arrivée de la police militaire, mais le sergent Conway a quitté le bureau et a disparu. Il a été arrêté peu après par un membre de la police militaire, dans un véhicule de police identifié, qui avait vu le sergent Conway en train de courir en direction de son domicile sur la BFC Kingston. Au déclenchement des gyrophares et des sirènes, le sergent Conway a sauté dans une benne à rebuts avant d’être arrêté.

 

[17]           Le 17 février 2017, après son arrestation, le sergent Conway a été accusé de plusieurs nouvelles infractions. Il s’est aussi vu imposer une mesure corrective, à savoir mise en garde et surveillance, pour, encore une fois, avoir menti à son superviseur, omis de soumettre un formulaire de demande de congé et ne pas avoir été joignable par téléphone. Le même jour, son commandant a signé un avis d’intention de recommander sa libération des FAC aux termes de l’item 2a) du tableau de l’article 15.01 des ORFC, à savoir conduite non satisfaisant en raison de ses refus continus et persistants de se soumettre aux ordres et aux directives de la chaîne de commandement.

 

[18]           Le sergent Conway est en détention avant procès depuis le 17 février, un juge militaire ayant ordonné le 22 février son maintien en détention, à la suite d’une deuxième audition sur mise en liberté. Durant sa détention avant procès, le sergent Conway a été rencontré chaque jour par une équipe de cinq professionnels de santé. Bien qu’il soit actuellement stable, les médecins ont exprimé l’avis que le maintien de son incarcération risquait d’entraîner une dégradation de sa santé mentale. Durant sa période de détention avant procès, le sergent Conway a été décrit comme un prisonnier modèle par la police militaire et il a assisté et participé pleinement à tous les programmes et traitements recommandés par son équipe soignante.

 

La gravité objective des infractions

 

[19]      Pour apprécier le caractère acceptable ou non de la recommandation conjointe, la Cour a tenu compte de la gravité objective des infractions, tel qu’elle ressort de la peine maximale qui peut être prononcée. Les infractions prévues par l’article 83 de la LDN sont punissables d’un emprisonnement à perpétuité. Les autres infractions sont punissables de peines maximales moins lourdes, destitution ignominieuse pour l’infraction prévue par l’article 129 de la LDN, et emprisonnement d’une durée de moins de deux ans pour les deux autres infractions prévues par les articles 90 et 101.1 de la LDN.

 

Les facteurs aggravants

 

[20]           Les circonstances des infractions en l’espèce révèlent, chez le sergent Conway, une perte de conscience progressive, mais significative, quant à ses fonctions les plus élémentaires au sein des FAC en tant que membre de la force régulière. Chronologiquement, les incidents se rapportant au troisième chef d’accusation, en juillet 2016, montrent qu’il a négligé à deux reprises de se présenter, comme il devait le faire, une fois par semaine, la condition minimale qui lui avait été imposée, compte tenu de son état de santé. Il y a ensuite la longue période d’absence sans permission, entre le 6 octobre 2016 et le 27 janvier 2017. Finalement, les événements du 17 février, à la suite de sa libération moyennant les conditions imposées par un juge militaire, quand, encore une fois, le sergent Conway ne s’est pas présenté à l’heure et, pour empirer les choses, a désobéi à un ordre direct de son supérieur qui lui avait enjoint de demeurer dans son bureau, le sergent Conway décidant plutôt de quitter l’immeuble à pied avant d’être arrêté peu après par la police militaire.

 

[21]           Je crois que le comportement du sergent Conway fait ressortir les facteurs aggravants suivants :

 

a)                  la durée de son absence sans permission, qui en l’espèce se chiffre à 114 jours, donc une longue période;

 

b)                  la nature répétitive des infractions commises par le sergent Conway, ainsi que l’atteste le non‑respect répété de son obligation de se présenter, en ce qui concerne, non seulement, l’infraction d’absence sans permission, mais également le troisième chef, pour l’infraction prévue par l’article 129, et le cinquième chef, pour défaut de respecter une condition;

 

c)                  le grade du contrevenant, qui, en tant que sergent, non seulement a suffisamment d’expérience pour comprendre l’importance de se présenter à son unité comme il devait le faire, mais également aurait dû, en tant que leader, être en mesure de comprendre les conséquences du non‑respect de son obligation de se présenter, et surtout de son incapacité à saisir la gravité d’une désobéissance à l’ordre légitime de sa supérieure, pour ce qui concerne le premier chef, à savoir l’infraction prévue par l’article 83;

 

d)                 le fait que les infractions ont constitué un abus de la considération accordée par son unité à ses ennuis de santé, considération qui a conduit à la liberté notable qui lui a été offerte de ne se présenter qu’une fois par semaine, à partir de l’été 2016. Ces concessions s’accompagnaient d’une obligation correspondante, selon laquelle un membre qui n’a pas tous ses moyens doit s’efforcer d’aller mieux et respecter les conditions minimales imposées. Le sergent Conway a plutôt abusé des accommodations qui lui étaient accordées en s’absentant sans permission. Ce faisant, il a abusé de la confiance de sa supérieure et de la chaîne de commandement.

 

[22]           La Cour doit se montrer prudente dans l’appréciation de ce qui constitue, d’après les circonstances, des facteurs aggravants. En effet, les facteurs aggravants ont pour effet d’alourdir la peine qui serait autrement justifiée. La présence de facteurs aggravants ne sera pas acceptée à la légère, car ils doivent en effet être déterminés selon la norme de preuve la plus élevée, c’est-à-dire la preuve hors de tout doute raisonnable, s’il y a des désaccords sur les faits sous‑jacents.

 

[23]           Il est particulièrement important de considérer avec prudence les facteurs qui sont inclus dans la nature ou dans les éléments des infractions dont un contrevenant a été déclaré coupable, à la suite d’un procès ou d’un plaidoyer de culpabilité. Ainsi, en l’espèce, des éléments de preuve ont été produits témoignant de l’important fardeau que les infractions commises par le sergent Conway ont fait subir à son unité, en particulier sa longue absence, sans oublier les tâches additionnelles accomplies par plusieurs personnes pour le trouver, le faire appréhender, puis vérifier s’il se conformait aux conditions de sa mise en liberté. Or, ce sont là des efforts qui font partie de la fonction de gestion du personnel militaire, une fonction exercée invariablement au sein des FAC, à la suite de toute situation imprévue mettant en cause leurs membres. L’obligation de service, jusqu’à libération en bonne et due forme, qui est imposée aux membres de la force régulière a pour corollaire une obligation de supervision de la part des supérieurs. Un membre qui ne se présente pas au travail engendre manifestement un fardeau additionnel pour sa chaîne de commandement. Mais tel est le cas aussi pour un membre qui se blesse, qui est retenu pour une affectation dans un court délai en dehors de l’unité ou qui prend un congé parental. Les FAC sont à même de composer avec ces aléas.

 

[24]           Le fait de ne pas se présenter au travail, pour un membre des FAC, constitue une infraction pénale d’absence sans permission, ce qui n’est pas le cas pour d’autres employés des secteurs public ou privé. L’existence même d’une telle infraction dans le code de discipline militaire, une particularité du service au sein des FAC, témoigne des inconvénients et de la perte de capacité militaire qu’entraîne une telle absence. Lorsqu’un contrevenant est reconnu coupable de cette infraction, il est passible de la peine prévue dans la loi, peine dont la rigueur doit être appréciée en fonction des circonstances de l’infraction et du niveau de responsabilité du contrevenant. Des facteurs tels que la durée de l’absence, sa répétition, la perte directe de capacité en raison des tâches assignées au contrevenant, mais qui n’ont pas pu être accomplies, comptent parmi les facteurs servant à définir la rigueur de la sanction. Or, des facteurs indépendants de la volonté du contrevenant, par exemple les tâches additionnelles de superviseurs contraints de réaffecter du personnel, et les tâches de gestion du personnel qu’il faut accomplir concernant le contrevenant, ne devraient pas avoir pour effet d’alourdir la peine. Plus précisément, les décisions de déposer des accusations, d’arrêter le contrevenant, de le maintenir sous garde jusqu’à ce qu’il soit conduit devant un juge militaire, de le détenir avant son procès, de tenir un procès et d’administrer les suites de toute peine requièrent toutes d’importantes ressources, mais ne dépendent pas de la volonté du contrevenant et ne devraient pas être considérées comme des facteurs aggravants au moment de fixer la peine.

 

[25]           L’autre piège à éviter lorsqu’il s’agit d’établir les facteurs aggravants est le risque de laisser des possibilités ou perceptions devenir des faits incontestés pouvant alourdir la peine. Toute idée selon laquelle ceux à qui sont consentis des aménagements en raison d’un problème de santé mentale peuvent présenter pour la chaîne de commandement une difficulté insurmontable a été compensée par la tenue de ce procès en audience publique, en la présence de membres intéressés de la communauté militaire et du public. Il se trouve que le sergent Conway se voit aujourd’hui imposer une peine, parce qu’il s’est comporté d’une manière qui est jugée incompatible avec la norme fixée par les FAC quand elles lui ont consenti des accommodations. Il en ressort que tout abus des accommodations consentis pour des raisons médicales ne saurait être toléré. Cela seul est une conséquence suffisante pour que l’on soit dispensé d’alourdir la peine imposée au contrevenant à cause des perceptions négatives que ses actes ont pu susciter.

 

Les facteurs atténuants

 

[26]      La Cour a également tenu compte, dans la présente affaire, des facteurs atténuants suivants qui avaient trait aux circonstances de l’infraction ou à la situation du contrevenant :

 

a)                  d’abord et avant tout, le plaidoyer de culpabilité du sergent Conway, qui a permis d’éviter la tenue d’un procès et qui, à mes yeux, montre clairement qu’il assume la pleine responsabilité de ses actes, dans ce procès public, en présence de membres de son unité et de la collectivité militaire;

 

b)                  deuxièmement, les excuses sincères exprimées par le sergent Conway lorsqu’il s’est présenté à la barre;

 

c)                  troisièmement, le fait que le sergent Conway n’a pas d’antécédents criminels ou disciplinaires;

 

d)                 quatrièmement, les longs états de service du sergent Conway au sein des FAC, y compris des déploiements à l’étranger, attestant ce que l’on pourrait qualifier de contribution précieuse aux opérations et à l’entraînement des FAC, d’après les informations dont je dispose;

 

e)                  cinquièmement, les ennuis de santé du sergent Conway. Il se trouve que le comportement regrettable du sergent Conway au cours des derniers mois a coïncidé avec des problèmes de santé mentale et avec une rupture conjugale. On lui a diagnostiqué un TSPT, comme c’est le cas pour de nombreux anciens combattants ayant participé à des missions. Cette pathologie n’est pas une excuse, mais elle permet de mettre en contexte le combat qu’il mène pour faire les bons choix en vue d’aller mieux. Il faut aussi considérer les difficultés additionnelles causées par les graves blessures qu’il a subies lors d’une agression en janvier dernier;

 

f)                   enfin, le comportement exemplaire du sergent Conway durant sa détention au cours du dernier mois. Il y a donc lieu d’espérer que le sergent Conway sera en mesure de changer ses manières de faire et d’apporter à l’avenir une véritable contribution à la société canadienne.

 

Les objectifs de la détermination de la peine sur lesquels il convient ici d’insister

 

[27]      Je partage l’avis des avocats pour qui les circonstances de la présente affaire requièrent de se concentrer sur les objectifs de dénonciation, de même que de dissuasion spécifique et générale, au moment d’imposer une peine au contrevenant. En même temps, la peine imposée ne devrait pas compromettre la réinsertion sociale du sergent Conway, surtout compte tenu de ses ennuis de santé.

 

Appréciation de la recommandation conjointe

 

[28]           La première chose que je dois faire est d’apprécier la recommandation conjointe et de déterminer si elle est acceptable. Le procureur de la poursuite et l’avocat de la défense m’ont tous deux recommandé de prononcer une sentence comprenant une détention d’une journée, une rétrogradation au rang de caporal et une amende au montant de 1 000 $. La recommandation conjointe préconise aussi la suspension d’exécution de la peine proposée de détention. Je peux passer outre à la recommandation conjointe uniquement si je suis d’avis que la peine proposée serait susceptible de discréditer l’administration de la justice ou serait d’une autre manière contraire à l’intérêt public.

 

[29]           En tant que juge militaire, la question que je dois me poser n’est pas de savoir si je souscris à la peine qui est conjointement proposée ou si je serais arrivé à une solution plus adéquate. En effet, le seuil à atteindre pour que puisse être écartée une recommandation conjointe est très élevé, et l’opinion que je pourrais avoir sur une peine adéquate ne m’autorise pas à rejeter la recommandation conjointe qui m’a été présentée.

 

[30]           Si la Cour suprême du Canada impose un seuil aussi élevé, c’est parce qu’il est nécessaire que tous les avantages des recommandations conjointes puissent se concrétiser. Le procureur de la poursuite et l’avocat de la défense sont bien placés pour s’entendre sur une recommandation conjointe qui tienne compte de l’intérêt du public et de celui de l’accusé. Ils connaissent très bien la situation du contrevenant et les circonstances relatives aux infractions, ainsi que les forces et les faiblesses de leurs positions respectives. Le procureur de la poursuite qui propose la peine communique avec la chaîne de commandement. Il ou elle connaît les besoins des collectivités civile et militaire et il est chargé de représenter ces intérêts en veillant à ce que justice soit rendue. L’avocat de la défense doit veiller à l’intérêt supérieur de l’accusé, notamment en s’assurant que son plaidoyer est volontaire et éclairé. Les deux avocats sont tenus, sur les plans professionnel et éthique, de ne pas induire le tribunal en erreur. En résumé, ils sont tout à fait à même d’arriver à une solution qui soit juste et en phase avec l’intérêt public.

 

[31]           Pour déterminer si une peine conjointement soumise est susceptible de jeter le discrédit sur l’administration de la justice ou si elle est par ailleurs contraire à l’intérêt public, je dois me demander si, malgré les considérations d’intérêt public qui militent en faveur de la peine soumise, recommandation conjointe est si peu en accord avec les attentes de personnes raisonnables, instruites des circonstances de l’affaire, qu’elles estimeraient qu’elle fait obstacle au bon fonctionnement du système de justice militaire. Je dois en effet éviter de rendre une décision qui conduirait un public renseigné et raisonnable, dont les membres des FAC, à retirer sa confiance à l’institution judiciaire.

 

[32]           Je crois effectivement qu’une personne raisonnable et renseignée, instruite des circonstances de la présente affaire, s’attendrait à ce que le contrevenant soit condamné à des peines qui à la fois expriment une désapprobation envers le manquement à la discipline et entraînent des répercussions personnelles pour lui-même. Une peine comprenant une détention, une rétrogradation et une amende est en accord avec de telles attentes.

 

[33]           Cette personne renseignée saurait que des infractions d’absence sans permission pour de longues durées, comme celle dont il s’agit ici, et des infractions de non‑respect d’une condition imposée par un juge militaire, ont été sanctionnées par des peines privatives de liberté à de nombreuses occasions par le passé, ainsi qu’en témoignent les précédences citées par le procureur de la poursuite, à savoir R. c. Grenier, 2013 CM 4014, R. c. Caza, 2014 CM 3002, et R. c. Caicedo, 2015 CM 4020. Ces précédents montrent qu’une période de détention dans des circonstances comme celles de la présente affaire pourrait osciller entre 30 et 60 jours, compte tenu des peines concomitantes proposées par les avocats. Cette personne renseignée serait aussi en état de comprendre les importantes répercussions personnelles que peut avoir une détention avant procès.

 

[34]           Une rétrogradation est proposée en l’espèce pour accompagner la principale sanction, à savoir la détention. Dans le cas d’un contrevenant ayant le grade de sergent, cette sanction aurait pour effet de rétrograder le contrevenant au grade de caporal, puisque, en droit, la qualité de caporal‑chef n’est pas un grade, mais une nomination. En l’occurrence, cette sanction entraîne une baisse importante du statut et de la solde, et son effet dissuasif est considérable. Elle tient lieu aussi d’instrument de dénonciation, particulièrement utile quand l’infraction à punir révèle une perte justifiée de la confiance requise pour que l’on soit apte à accomplir les tâches assignées à un poste de supervision. Telle est la conclusion à laquelle est arrivé la juge Bennett, s’exprimant pour la Cour d’appel de la cour martiale du Canada (CACM), lorsqu’elle a rejeté les appels interjetés par les matelots de 1re classe Reid et Sinclair, 2010 CACM 4, à l’encontre des peines qui leur avaient été imposées. Elles avaient perdu leurs grades de maître de 2e classe. La juge Bennett s’est exprimée ainsi sur leur rétrogradation :

 

La rétrogradation sanctionne de manière plus efficace la perte de confiance des forces militaires envers le membre contrevenant que toute amende ou tout blâme pouvant être imposé. Cette perte de confiance s’exprime en l’instance par une rétrogradation à un poste où les contrevenantes ont perdu leur fonction de supervision. Une rétrogradation était une composante nécessaire d’une peine indiquée en l’instance.

 

[35]           Enfin, l’imposition d’une amende est une sanction qui est utile pour assurer une répercussion personnelle supplémentaire de la peine imposée, en particulier dans des cas tels que celui‑ci, où une personne renseignée saurait que le contrevenant ne se verra pas confier de tâches militaires en uniforme dans un avenir prévisible et qu’il fait face à une réelle perspective de libération des FAC. Un montant de 1 000 $ est suffisant, combiné aux autres sanctions proposées, pour répondre ici aux objectifs de détermination de la peine.

 

[36]           La durée de la détention que proposent les avocats est d’une journée, par application de ce qui a été qualifié de crédit pour le temps passé en détention avant procès. On en arrive à une peine de 40 jours de détention, ce qui se situe à l’intérieur de la fourchette que j’estime raisonnable, comme il a été mentionné plus haut. En ce qui concerne la suspension d’exécution de la peine de détention aux termes de l’article 215 de la LDN, je partage l’avis des avocats pour qui le sergent Conway répond au double critère de la suspension d’exécution d’une peine privative de liberté, un critère exposé à l’origine par le juge militaire d’Auteuil dans la décision R. c. Paradis, 2010 CM 3025, aux paragraphes 74 à 89. Il a été établi, selon la prépondérance des probabilités, que la situation particulière du sergent Conway justifiait une telle suspension, surtout compte tenu de son état de santé, des 39 jours passés en détention avant procès, et de l’avis d’un praticien de la santé pour qui un prolongement de la détention compromettrait un peu plus sa santé mentale. Je reconnais aussi qu’une suspension d’exécution de la peine de détention ne minerait pas la confiance du public dans le système de justice militaire, eu égard aux circonstances des infractions et à la situation du contrevenant, y compris aux circonstances particulières justifiant une suspension d’exécution. Une personne renseignée connaissant les répercussions personnelles importantes d’une privation de liberté de 39 jours jusqu’à la tenue d’un procès comprendrait en effet la pertinence de suspendre l’exécution d’une période additionnelle de détention d’une journée et ainsi d’épargner au contrevenant l’obligation de purger la peine.

 

[37]           Compte tenu de tous ces facteurs, de même que des circonstances relatives aux infractions et de la situation du contrevenant, des principes applicables en matière de la détermination de la peine ainsi que des facteurs aggravants et atténuants mentionnés précédemment, je ne puis conclure que la peine proposée conjointement par les avocats est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ou qu’elle serait par ailleurs contraire à l’intérêt public. La Cour acceptera donc cette recommandation.

 

[38]           Aux termes du paragraphe 145(2) de la LDN, les modalités de paiement d’une amende sont laissées à l’appréciation du tribunal militaire qui l’impose. Lors de l’audience sur la détermination de la peine, le procureur de la poursuite ne s’est pas opposé à la demande de l’avocat de la défense qui souhaitait que l’amende soit payable par versements mensuels de 200 $, à moins que le contrevenant soit libéré des FAC.

 

[39]           Sergent Conway, les circonstances des infractions pour lesquelles vous avez plaidé coupable sont graves. Elles révèlent un fort décalage entre vos actes et les exigences fondamentales du service militaire auxquelles vous aviez souscrit. J’appuie la recommandation conjointe qui m’a été faite, ce qui signifie que vous serez bientôt libre de partir. Souvenez‑vous toutefois que vous faites encore partie des Forces canadiennes. Vous demeurez tenu d’observer les obligations de service que vos superviseurs décideront de vous imposer. Qui plus est, comme tout citoyen, vous êtes tenu de respecter la loi. Je vous libère et j’espère que vous avez appris quelque chose durant votre détention au cours du dernier mois et que vous avez passé le cap, avec la résolution de ne pas répéter vos erreurs. J’espère aussi que vous vous servirez de ce que vous avez appris pour recouvrer la santé et votre équilibre. Tirez avantage de l’aide qui vous est offerte. Beaucoup de gens vous ont aidé jusqu’à maintenant. Ne les décevez pas.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[40]           VOUS CONDAMNE à une détention d’une durée d’un jour, à une rétrogradation au grade de caporal et à une amende au montant de 1 000 $, payable en cinq versements mensuels de 200 $, dont le premier aura lieu au plus tard le 15 avril 2017. Si, pour quelque raison, vous êtes libéré des FAC avant que l’amende soit entièrement acquittée, le solde impayé sera exigible la veille de votre libération.

 

[41]           SUSPEND l’exécution de la peine de détention, conformément à l’article 215 de la LDN.


 

Avocats :

 

Le Directeur des poursuites militaires, tel que représenté par le major C. Walsh

 

Major A.H. Bolik, Service d’avocats de la défense, avocat du sergent M.M. Conway

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