Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 22 février 2016

Endroit : BFC Petawawa, édifice L-106, 48 terrain de parade Nicklin, Petawawa (ON)

Chefs d’accusation :

Chef d’accusation 1 : Art. 114 LDN, vol.
Chef d’accusation 2 : Art. 115 LDN, a détenu un bien obtenu par la perpétration d’une infraction d’ordre militaire, sachant qu’il a été ainsi obtenu.
Chef d’accusation 3 : Art. 130 LDN, possession de biens criminellement obtenus (art. 354(1) C. cr.).

Résultats :

VERDICTS : Chef d’accusation 1 : Non coupable. Chef d’accusation 2 : Coupable. Chef d’accusation 3 : Coupable; une suspension d’instance a été accordée par respect à la règle Kienapple.
SENTENCE : Une réprimande et une amende au montant de 500$.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. Nicholle, 2016 CM 3014

 

Date : 20160926

Dossier : 201540

 

Cour martiale permanente

 

Base des Forces canadiennes Petawawa

Petawawa (Ontario), Canada

 

Entre :

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Caporal D.T. Nicholle, contrevenant

 

 

En présence du Lieutenant‑colonel L.‑V. d’Auteuil, J.M.


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Oralement)

 

[1]               La Cour a déclaré le caporal Nicholle non coupable à l’égard du premier chef d’accusation et a prononcé un verdict de culpabilité à l’égard des deuxième et troisième chefs d’accusation. Compte tenu de l’application de la règle prohibant les condamnations multiples qui découle du principe énoncé dans l’arrêt Kienapple, la Cour a décidé de suspendre les procédures à l’égard du troisième chef d’accusation.

 

[2]               Il m’incombe maintenant, à titre de juge militaire présidant la cour martiale permanente, de déterminer la sentence à imposer à l’égard de ce chef.

 

[3]               Dans le contexte particulier d’une force armée, le système de justice militaire constitue l’ultime recours pour assurer le respect de la discipline, qui est une dimension essentielle de l’activité militaire dans les Forces armées canadiennes. Ce système vise à prévenir toute inconduite ou, d’une façon plus positive, à promouvoir le bon comportement. C’est grâce à la discipline que les forces armées s’assurent que leurs membres remplissent leurs missions avec succès, en toute confiance et d’une manière fiable. Le système de justice militaire voit aussi au maintien de l’ordre public et s’assure que les personnes assujetties au code de discipline militaire sont punies de la même façon que toute autre personne vivant au Canada.

 

[4]        En l’espèce, le procureur de la poursuite a suggéré que la Cour condamne le contrevenant à une rétrogradation. Par ailleurs, l’avocat de la défense a recommandé à la Cour d’infliger au contrevenant une amende au montant de 500 $.

 

[5]        L’imposition d’une sentence devant une cour martiale a pour objectif essentiel de contribuer au respect de la loi et au maintien de la discipline et, d’un point de vue plus général, d’une société juste, paisible et sûre. Toutefois, le droit ne permet pas à un tribunal militaire d’imposer une sentence plus sévère que ne le requièrent les circonstances. Autrement dit, toute sentence infligée par un tribunal doit être adaptée au contrevenant et représenter l’intervention minimale requise puisque la modération est le principe fondamental de la théorie moderne de la détermination de la sentence au Canada.

 

[6]        Lorsqu’elle prononce une peine, la Cour doit prendre en compte l’un ou plusieurs des objectifs suivants :

 

a)                  protéger le public, y compris les Forces armées canadiennes;

 

b)                  dénoncer le comportement illégal;

 

c)                  dissuader le contrevenant, et quiconque, de commettre les mêmes infractions;

 

d)                  isoler, au besoin, les contrevenants du reste de la société;

 

e)                  réadapter et reformer les contrevenants.

 

[7]        Lorsqu’il détermine la sentence à infliger, le tribunal militaire doit également tenir compte des principes suivants :

 

a)                  la sentence doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction;

 

b)                  la peine est proportionnelle au degré de responsibilité du contrevenant et aux antécédents de celui-ci;

 

c)                  l’harmonisation des peines, c’est-à-dire l’infliction de peines semblables à celles infligées à des délinquants dans des circonstances semblables;

 

d)                  l’obligation, avant d’envisager la privation de liberté, si applicable en l’espèce, d’examiner la possibilité de sanctions moins contraignantes lorsque les circonstances le justifient. Bref, le tribunal ne devrait avoir recours à une peine d’emprisonnement ou de détention qu’en dernier ressort comme ont été bien établi dans des décisions de la Cour d'appel de la cour martiale du Canada et de la Cour suprême du Canada;

 

e)         finalement, la peine devrait être adaptée aux circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration de l’infraction ou à la situation du contrevenant.

 

[8]        Dans les circonstances particulières de l’espèce, la sentence doit viser surtout les objectifs de dénonciation et de dissuasion générale. Il est important de retenir que le principe de dissuasion générale implique que la sentence infligée devrait non seulement dissuader le contrevenant de récidiver, mais aussi dissuader toute autre personne qui se trouve dans une situation analogue de se livrer aux mêmes actes illicites.

 

[9]        Les circonstances dans la présente affaire peuvent se résumer comme suit :

 

a)                  En janvier 2012, on a signalé la disparition d’une souffleuse à neige à l’unité du contrevenant.

 

b)                  Lors de l’entretien mené par la police militaire, le 16 novembre 2013, et comme le caporal Nicholle a admis lui‑même par la suite, on a constaté que la souffleuse à neige qui se trouvait dans l’arrière‑cour de sa résidence, quelque temps après avoir aidé le caporal Morden, en janvier 2012, à mettre un engin semblable dans sa jeep, était celle dont on avait signalé la disparition.

 

c)                  À un moment donné, après avoir prêté assistance au caporal Morden, en janvier 2012, le caporal Nicholle a demandé qui avait mis la souffleuse à neige dans son arrière‑cour. Le caporal Morden lui a répondu que c’était lui qui l’avait fait.

 

d)                  Le caporal Nicholle était alors en mesure de conclure que la souffleuse à neige qui provenait de l’unité avait été prise sans aucune intention de la retourner, ce qui constituait essentiellement du vol à son unité, soit une infraction d’ordre militaire.

 

e)                  Le contrevenant, qui faisait partie d’une petite équipe chargée du déneigement des bâtiments du 2e Bataillon des services à Petawawa, savait très bien que la souffleuse à neige, qui portait la mention qu’elle appartenait au 1er Hôpital de campagne du Canada, devait être retournée rapidement, mais il a délibérément décidé de ne pas s’enquérir davantage sur sa provenance, même s’il savait que le bien en question avait été volé. Le caporal Nicholle a clairement fait preuve d’aveuglement volontaire.

 

f)                    Le caporal Nicholle a consciemment conservé la souffleuse à neige pendant un peu moins de deux ans, sans chercher à la rapporter à un moment donné ou mettre sa propre unité au courant des circonstances. Ce n’est qu’une fois que la situation a été signalée aux autorités par deux sources externes différentes que le bien a été rapporté par la police militaire, en novembre 2013, avec son consentement.

 

[10]     Pour déterminer la sentence, la Cour a tenu compte des facteurs aggravants suivants :

 

a)                  La gravité objective de l’infraction. Vous avez été accusé en vertu de l’article 115 de la Loi sur la défense nationale. Ce type d’infraction est passible d’une peine maximale d’emprisonnement de sept ans.

 

b)                  Il y a également, comme l’a fait valoir le procureur de la poursuite, la question de la confiance. Caporal Nicholle, vous devez comprendre qu’au regard de ses outils et de leur utilisation, les Forces armées canadiennes comptent principalement sur l’intégrité et l’honnêteté de ses membres, afin d’assurer une bonne gestion. De toute évidence, vous n’avez pas réfléchi à la gravité de la situation dans laquelle vous vous êtes mis vous‑même, lorsque vous avez conservé le bien en question à votre résidence. Pour l’essentiel, vous avez trahi la confiance de vos pairs et de vos supérieurs à l’époque.

 

c)                  Il y a aussi la question de l’aveuglement volontaire dont vous avez manifestement fait preuve, et du manque de collaboration afin de régler rapidement cette affaire. Il vous a fallu beaucoup de temps pour admettre que la souffleuse à neige qui se trouvait dans votre arrière‑cour était celle dont on avait signalé la disparition à votre unité, et vous n’avez pris aucune mesure pour régler convenablement l’affaire.

 

d)                  Enfin, il y a votre rang et votre expérience. À l’époque, en 2012, vous comptiez environ sept ans de service. Compte tenu de votre formation et de votre expérience, vous connaissiez bien les procédures ainsi que de l’honnêteté et de l’intégrité requises par les membres des Forces armées canadiennes. Dans ces circonstances, votre rang et votre expérience sont considérés comme des facteurs aggravants.

 

[11]     La Cour a pris également en compte les facteurs atténuants suivants :

 

a)                  Pour l’essentiel, il s’agit de votre état de santé. Certes, je ne dispose pas d’éléments de preuve détaillés et clairs sur vos problèmes de santé, mais je comprends que vous êtes toujours aux prises avec le stress post‑traumatique (TSPT), fait non contesté par la poursuite, et que ces troubles découlent directement de votre service. J’estime qu’il s’agit là d’un facteur atténuant.

 

b)                  Il y a aussi la question du temps écoulé. À cet égard, je ne vise personne en particulier, car j’estime que, par coïncidence, il s’agit de l’effet cumulatif de la façon dont les personnes concernées ont traité cette affaire, et que les faits ne se résument pas à une personne ou à une organisation en particulier. Dès que vous avez reconnu, en janvier 2014, que la souffleuse à neige qui se trouvait dans votre arrière‑cour était celle dont on avait signalé la disparition à votre unité, l’enquête était essentiellement terminée à mon avis. Par la suite, il a fallu environ neuf mois avant que le dossier soit mis à jour. Bien qu’il fût question d’un bien porté disparu depuis janvier 2012, le système a fini par déposer des accusations en septembre de la même année, après environ neuf mois. Le délai a donc été long. On parle d’un délai plus long que d’habitude, mais pas exagéré, pourtant un délai plus long que la normale avant que la chaîne de commandement agisse dans cette affaire. La même constatation s’applique à la poursuite qui a été saisie du dossier entre novembre 2014 et juin 2015. Ce retard n’a pas été expliqué à la Cour. De plus, le dossier ne fait état d’aucune particularité qui puisse rendre complexe la présente affaire. Il s’agit donc d’un peu de retard, mais pas exagéré. Or, ce cumul de retards ne sert à rien et, en fin de compte, je comprends qu’il n’y a pas d’incidence marquée en quelque sorte, compte tenu du fait qu’il a fallu sept mois au système judiciaire pour formuler une conclusion après quatre jours de procès. Pour ce qui est du délai dans son ensemble et de son effet cumulatif, je pense que je dois considérer qu’il s’agit d’un facteur atténuant dans les circonstances. Vous devez comprendre que la détermination de la sentence a davantage d’incidence à proximité du moment de l’incident. Plus le temps passe, la sentence qui aurait pu avoir été prononcée un an ou deux ans auparavant devient moins pertinente, étant donné que l’incident est survenu deux ou trois ans auparavant. Il s’agit à présent d’un délai de quatre ans. Par conséquent, je dois considérer ce retard comme un facteur atténuant.

 

[12]           Je ne suis pas d’accord avec la poursuite qui suggère une rétrogradation. Comme nous enseigne la Cour d’appel de la cour martiale, la rétrogradation est un mécanisme très particulier qu’il convient d’appliquer dans les cas où les fonctions et les actes de la personne concernée ainsi que les circonstances de l’incident visé, dans leur ensemble, amènent la cour à conclure que la possibilité que cette personne continue d’exercer les mêmes fonctions et de détenir le même rang est nulle. À mon avis, tel n’est pas le cas en l’espèce. Il s’agit plutôt de la question de la confiance. Comme je l’ai déjà mentionné, l’honnêteté et l’intégrité dont doit faire preuve chacun des membres permettent d’assurer le fonctionnement de l’organisation. Or, on ne vous a pas confié la garde de toutes ces souffleuses à neige ou de quelque autre pièce d’équipement. Vous ne faisiez pas partie du quartier‑maître. Vous bénéficiez d’une autorisation d’accès réservé, j’en conviens, mais les circonstances ne permettent quand même pas de conclure qu’il n’y a plus d’espoir en ce qui vous concerne et que vous n’êtes plus fiable. Il n’en est pas question. Les circonstances ne révèlent pas cela; donc, j’estime que la rétrogradation n’est pas applicable.

 

[13]           Toutefois, pour tenir compte d’un certain manque de confiance, je ne suis pas non plus d’accord avec votre avocat quant à l’imposition d’une amende seulement. J’estime qu’il convient que l’intervention minimale nécessaire de la Cour porte sur une réprimande combinée à une amende. La réprimande tient compte du manque de confiance démontré, mais aussi de la possibilité que vous vous repreniez et, pour l’essentiel, que vous continuiez d’exercer vos fonctions à titre de caporal, conducteur de matériel mobile de soutien (conducteur MMS) au sein des Forces armées canadiennes. L’amende sera aussi conforme au principe de la dénonciation que j’ai déjà mentionné et au principe de la dissuasion générale. Par conséquent, une sentence composée à la fois d’une réprimande et d’une amende serait conforme à l’application de ces deux principes, la dénonciation et la dissuasion générale. Je retiens toutefois la suggestion de votre avocat, de fixer l’amende au montant de 500 $.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[14]           VOUS CONDAMNE à une réprimande et à une amende au montant de 500 $ payable par versements mensuels de 100 $ à partir du 1er octobre 2016 et pour les quatre mois suivants. Si vous êtes libéré avant le paiement du montant intégral, alors le solde devra être payé avant votre libération des Forces armées canadiennes.


 

Avocats :

 

Le Directeur des poursuites militaires, représenté par le capitaine M.L.P.P. Germain

 

Le major D. Hodson et le capitaine P. Cloutier, Service d’avocats de la défense, avocats du caporal D.T. Nicholle

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.