Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 6 février 2017

Endroit : BFC Gagetown, édifice F-1, 100 chemin Broad, Oromocto (NB)

Chefs d’accusation :

Chef d’accusation 1 : Art. 130 LDN, a causé des lésions corporelles par négligence criminelle (art. 221 C. cr.).
Chef d’accusation 2 : Art. 124 LDN, a exécuté avec négligence une tâche militaire.
Chef d’accusation 3 : Art. 129 LDN, acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

Résultats :

VERDICTS : Chef d’accusation 1 : Retiré. Chefs d’accusation 2, 3 : Coupable.
SENTENCE : Détention pour une période de 90 jours et une rétrogradation au grade de soldat. Conformément à l’article 215 de la Loi sur la défense nationale, l’exécution de la peine de détention a été suspendue.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. Morton, 2017 CM 4008

 

Date : 20170206

Dossier : 201614

 

Cour martiale permanente

 

Base de soutien de la 5Division du Canada Gagetown

Oromocto (Nouveau-Brunswick), Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine, requérante

 

- et -

 

Caporal‑chef K.P. Morton, intimé

 

 

En présence du : Capitaine de frégate J.B.M. Pelletier, J.M.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

DÉCISION CONCERNANT UNE REQUÊTE DE CHANGEMENT DU LIEU DU PROCÈS

 

(Oralement)

 

Introduction

 

[1]               En vertu d’un ordre de convocation livré par l’Administratrice de la cour martiale (ACM) le 13 septembre 2016, l’accusé doit être jugé devant une cour martiale permanente, présidée par le soussigné juge militaire, conformément à l’acte d’accusation en date du 29 juin 2016, selon lequel il aurait commis trois infractions en vertu de la Loi sur la défense nationale (LDN). Le lieu du procès mentionné dans l’ordre de convocation est l’édifice F-1, où est aménagé le lieu de la salle d’audience de la Base des Forces canadiennes (BFC) Gagetown et où se déroulent depuis des années les procès devant cour martiale sur cette base.

 

La requête

 

[2]               Par avis d’une requête reçu le 27 janvier 2017, le procureur de la poursuite a demandé que le lieu du procès soit changé et que le procès ait lieu à l’amphithéâtre de l’édifice J‑7 de la BFC Gagetown, dont la capacité d’accueil est plus grande que la présente salle d’audience.

 

[3]               Il est précisé que la requête repose sur une information provenant du commandant de formation du Centre d’instruction au combat, l’officier supérieur immédiat du commandant de l’accusé, le commandant de l’école du Corps blindé royal canadien, estimant qu’au moins 100 militaires assisteront chaque jour au procès à titre d’observateurs. Le commandant de l’école du Corps blindé royal canadien estime que 50 de ces militaires seront des membres de son unité. L’amphithéâtre de l’édifice J‑7 peut accueillir jusqu’à 200 personnes assises lorsqu’il est aménagé en salle d’audience alors qu’environ 45 personnes peuvent s’asseoir dans la présente salle d’audience.

 

La preuve

 

[4]               Cette information figure dans un exposé conjoint des faits produit avec le consentement de la défense, lequel exposé fait également état des raisons impérieuses pour lesquelles il est souhaitable que le personnel militaire assiste au procès. En résumé, il s’agit d’un procès important et, pour des raisons éducatives, le personnel militaire devrait avoir accès à la décision et au raisonnement du juge militaire. Par conséquent, la présence des militaires sera obligatoire, dans la mesure où ils respectent leurs autres engagements.

 

[5]               Pendant les plaidoiries, le procureur de la poursuite, qui répondait aux questions de la cour, a confirmé que l’information concernant les préoccupations des deux commandants avait été transmise par courriel à l’ACM. Or, l’ACM a de toute évidence décidé de ne pas changer le lieu du procès puisque l’ordre de convocation n’a pas été modifié en ce sens.

 

[6]               La poursuite a également produit en preuve un document dans lequel se trouve un tableau indiquant, sur un axe, quatre autres endroits où pourrait se tenir une cour martiale sur la BFC Gagetown, incluant l’amphithéâtre de l’édifice J-7, ainsi que des commentaires exposant les raisons pour lesquelles ces endroits respectent les 14 conditions figurant sur l’autre axe. La liste de conditions est tirée d’un document rédigé et publié par l’ACM. En outre, de nombreuses photos de l’amphithéâtre du bâtiment J-7, aménagé en salle d’audience, ont été produites, de même que des photos des salles attenantes qui pourraient servir à la cour et aux avocats.

 

Thèse des parties

 

[7]               Pendant les plaidoiries, les deux parties ont clairement dit que l’établissement où siège actuellement la cour, conformément à l’ordre de convocation, ne posait aucun problème. Essentiellement, la poursuite me demande d’ordonner que le procès se transporte à l’édifice J-7, qui serait un meilleur endroit simplement parce qu’il peut accueillir un plus grand nombre d’observateurs.

 

[8]               L’intimé consent à la requête et il souscrit de ce fait à la volonté de son commandant et à celles du supérieur de son commandant soit le commandant du Centre de la formation, où il travaille actuellement.

 

Le droit applicable

 

[9]               Le paragraphe 165.19(2) de la LDN et le sous-alinéa 111.02(2)b) des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC), pris par le gouverneur en conseil, confèrent à l’ACM le pouvoir de délivrer un ordre de convocation indiquant le lieu du procès. Ce pouvoir a été reconnu par les cours martiales dans les décisions R. c. Wilcox, 2009 CM 2024 et R. c. Semrau, 2010 CM 1003. L’article 111.13 des ORFC donne à penser que le lieu du procès est un besoin administratif qui doit être déterminé en consultation avec les autorités de l’unité. L’article 111.12 des ORFC dispose qu’il incombe au commandant de l’unité du lieu où se tiendra la cour martiale de fournir le soutien nécessaire pour que la cour martiale se déroule d’une façon digne et militaire.

 

[10]           Le rôle des juges militaires sur les questions qui incombent par règlement à l’ACM, s’agissant de la convocation d’une cour martiale en application de l’alinéa 111.02(2) des ORFC, se limite strictement à un aspect : la date et l’heure de l’assemblée des membres de la cour martiale générale, ainsi que le précise le sous-alinéa 111.02(2)d). Rien dans la LDN et son règlement d’application ne permet aux juges militaires de jouer un rôle dans la décision de l’ACM quant au choix du lieu d’un procès.

 

Analyse

 

[11]           Après avoir appliqué le cadre règlementaire aux faits qui m’ont été présentés, je conclus qu’en maintenant l’ordre de convocation en vue de la tenue d’un procès à l’édifice F‑1, l’ACM a pris une décision quant au lieu du procès qui ne concerne pas le juge militaire. La fonction d’ACM a été créée par la loi et les décisions de l’ACM peuvent être contestées par voie de contrôle judiciaire tel qu’il a été conclu dans Société Radio-Canada (Canadian Broadcasting Corporation) c. Canada (Procureur général), 2016 CF 933. Rien dans la loi ne confère au juge militaire le pouvoir de procéder au contrôle judiciaire d’une décision de l’ACM.

 

[12]           Cela étant dit, même si, comme juge militaire, je n’ai aucun rôle officiel à jouer dans le choix du lieu du procès qui est indiqué dans l’ordre de convocation délivré par l’ACM, je conviens avec les parties que, dès lors que l’instance a commencé, comme ce fut le cas ce matin, j’ai le pouvoir d’accueillir une requête visant à changer le lieu du procès en application de l’alinéa 179(1)d) de la LDN. En fait, si le pouvoir accordé par l’article 179 est vaste, il n’est pas illimité. Je peux changer le lieu d’un procès si une partie soulève une question qui relève de ma compétence, dont celle de la bonne administration de la justice dans la présente instance. Entrent dans cette catégorie de questions de compétence qui touchent au lieu du procès celles qui pourraient compromettre le déroulement du procès, du point de vue de la poursuite, de la défense ou de la cour, au point de jeter des doutes sur la bonne administration de la justice.

 

[13]           Dans la preuve et les observations qui m’ont été présentées, je n’ai rien entendu au sujet du lieu du procès mentionné dans l’ordre de convocation qui pourrait me préoccuper quant à la conduite de la défense ou de la poursuite, ou encore quant à la question du déroulement de la cour martiale de façon digne et militaire. Au contraire, la salle où la cour siège actuellement a été construite expressément, et à grands frais pour le public, pour servir de salle d’audience des tribunaux militaires. Elle se compare très avantageusement aux autres installations à vocation particulière des Forces armées canadiennes (FAC) et aux salles d’audience des zones civiles du pays. L’appui dont j’ai eu le privilège de bénéficier en tant que juge militaire ayant le plus souvent siégé dans la présente salle d’audience au cours des dernières années, et en particulier du personnel du Centre d’instruction au combat, a été exceptionnel. Il n’y a rien à redire de la présente salle d’audience ou du personnel appelé à prêter main forte aux cours martiales qui sont tenues ici, comme les deux parties en conviendront sans doute.

 

[14]           Je reconnais que l’avocat de la poursuite soutient qu’il ne me demande pas de réviser la décision de l’ACM. Dans les faits, cependant, c’est ce qu’il me demande de faire.

 

[15]           Toutes les questions qui ont été soulevées à l’appui de la présente requête sont de nature administrative, plutôt que judiciaire. Les préoccupations évoquées sont celles des autorités militaires. Elles ont été transmises à l’ACM, qui aurait pu décider de modifier l’ordre de convocation pour que le présent procès ait lieu à l’édifice J‑7.

 

[16]           L’ACM est par règlement expressément habilité à choisir le lieu du procès, ce qu’en ma qualité de juge militaire, je ne suis pas.

 

[17]           L’ACM est par règlement expressément habilité à consulter la chaîne de commandement lorsqu’il s’agit de répondre aux besoins administratifs, y compris le lieu du procès. Je ne le suis pas.

 

[18]           L’ACM connaît les nombreux facteurs administratifs, tels que les coûts et la raison d’être des dépenses engagées par le passé pour la construction d’installations à vocation particulière, qui sont susceptibles d’influer sur la décision d’utiliser ou non ces installations pour abriter les cours martiales. Je ne les connais pas.

 

[19]           Je répète qu’en tant que juge militaire, je n’ai aucun rôle à jouer dans le choix du lieu du procès qui est indiqué dans un ordre de convocation, mais il reste que j’ai le pouvoir d’accorder une requête visant à ce que ce lieu soit changé. Or, ce n’est pas parce que je dispose d’un pouvoir que je dois l’exercer. Il m’apparaît évident que l’autorité la plus compétente pour statuer sur les questions soulevées dans la présente requête est l’ACM. Par conséquent, puisqu’aucune question relevant de ma compétence en matière d’administration de la justice n’a été soulevée dans la présente instance, je refuse d’intervenir.

 

[20]           Je reconnais que les audiences publiques sont la pierre angulaire d’une société libre et démocratique. Que le plus grand nombre possible de personnes assistent aux audiences des cours martiales, notamment des officiers supérieurs, des membres de la famille et des journalistes, contribue à maintenir la confiance du public dans l’intégrité du système de justice militaire et à le sensibiliser à ce qui se passe dans une cour martiale.

 

[21]           Nombreux sont les procès au Canada où, faute de place, des spectateurs n’ont pas pu entrer dans la salle d’audience. L’article 180 de la LDN prévoit une restriction à l’accès du public aux débats. Ce n’est pas parce que les salles d’audience ont des limites de capacité que les procès sont moins ouverts au public. Qu’une affaire donnée suscite un niveau élevé d’intérêt public n’a jamais été une raison de transporter un procès dans une autre salle d’audience. Il en est ainsi parce que, comme l’a expliqué la Cour suprême de la Colombie‑Britannique dans l’arrêt R. v. Pilarinos and Clark, 2001 BCSC 1332, la salle d’audience est un lieu d’enquête solennelle, non un lieu de divertissement. Il est plus facile de réaliser cette enquête solennelle dans une salle d’audience comme celle‑ci que dans un amphithéâtre.

 

[22]           Je reconnais que les cours martiales attirent beaucoup de gens ici à Gagetown. C’est sans doute à cause de l’appui solide exprimé par la direction à de nombreux niveaux. On peut penser que tout espace supplémentaire dont nous pourrions disposer grâce à des rénovations effectuées à la présente salle d’audience serait bien utile. En attendant, j’estime que, compte tenu que la vaste majorité du personnel qui participe à l’instance agit dans l’exercice de ses fonctions et qu’elle relève ainsi des autorités militaires, la capacité d’accueil actuelle de la présente salle permet encore d’atteindre les objectifs d’accroissement de la compréhension de la justice militaire et de la confiance dans ce système. Une rotation du personnel intéressé permettrait au plus grand nombre possible de gens de bénéficier de l’expérience. On pourrait recourir au service des communications internes pour donner accès, à des fins éducatives, aux décisions rendues par la cour, tel que requis. Je tiens à dire qu’en tout temps, la présence de la presse dans la présente salle d’audience devra être assurée, compte tenu du rôle qu’elle joue dans l’accès du public aux débats. Par ailleurs, les personnes qui ont un intérêt particulier dans l’affaire, comme les amis ou la famille de l’accusé ou toute victime doivent bénéficier d’une priorité d’attribution des sièges.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[23]           REJETTE la requête.

 

Avocats :

 

Le directeur des poursuites militaires, tel que représenté par le major D. Martin et le capitaine G. Moorehead

 

Monsieur D. Hodson et le capitaine P. Cloutier, Service d’avocats de la défense, avocats du caporal-chef K.P. Morton

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