Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 19 juillet 2017

Endroit : Base des Forces canadiennes Edmonton, édifice 407, chemin Korea, Edmonton (AB)

Chefs d’accusation :

Chefs d’accusation 1, 2 : Art. 90 LDN, s’est absenté sans permission.
Chef d’accusation 3 : Art. 101.1 LDN, a omis de se conformer à une condition imposée sous le régime de la section 3.

Résultats :

VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 2, 3 : Coupable.

SENTENCE : Destitution du service de Sa Majesté, une rétrogradation au grade de soldat et emprisonnement pour une période d’un jour.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. Ayers, 2017 CM 1012

 

Date : 20170802

Dossier : 201730

 

Cour martiale permanente

 

Base des Forces canadiennes Edmonton

Edmonton (Alberta) Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Caporal (à la retraite) L.J. Ayers, contrevenant

 

 

En présence du : Colonel M. Dutil, J.M.C.


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Oralement)

 

[1]               Le caporal (à la retraite) Ayers a plaidé coupable à trois accusations, soit deux chefs d’absence sans permission, infraction prévue à l’article 90 de la Loi sur la défense nationale (LDN), et un chef d’omission de se conformer à une condition, infraction prévue à l’article 101.1 de la Loi. Les accusations sont rédigées comme suit :

 

[traduction]

 

PREMIER CHEF D’ACCUSATION

 

Article 90 de la LDN

S’EST ABSENTÉ SANS PERMISSION

 

 

Détails : En ce que, à 7 h 30 le 14 octobre 2016, il était absent sans autorisation du Quartier général et Escadron des transmissions du 1er  Groupe‑brigade mécanisé du Canada, situé dans la bâtisse 400 de la Base des Forces canadiennes  Edmonton, en Alberta, et il est demeuré absent jusqu’aux environs de 8 h 50 le 25 janvier 2017.

 

 

DEUXIÈME CHEF D’ACCUSATION

 

Article 90 de la LDN

S’EST ABSENTÉ SANS PERMISSION

 

 

Détails : En ce que, à 7 h 30 le 3 février 2017, il était absent sans autorisation du Quartier général et escadron des transmissions du 1er Groupe‑brigade mécanisé du Canada, situé dans la bâtisse 400 de la Base des Forces canadiennes Edmonton, en Alberta, et il est demeuré absent jusqu’aux environs de 10 h le 22 avril 2017.

 

 

TROISIÈME CHEF D’ACCUSATION

 

Article 101.1 de la

LDN

A OMIS DE SE CONFORMER À UNE CONDITION IMPOSÉE SOUS LE RÉGIME DE LA SECTION 3

 

Détails : En ce que, le vendredi 3 février 2017, au Quartier général et Escadron des transmissions du 1er Groupe‑brigade mécanisé du Canada situé dans la bâtisse 400 de la Base des Forces canadiennes d’Edmonton, en Alberta, sans raison valable, il a omis de se présenter au personnel de service à 7 h 30, une condition de mise en liberté qui lui a été imposée sous le régime de la section 3 du code de discipline militaire.

 

[2]               Les avocats ont fait une recommandation conjointe sur la peine. Ils recommandent que le caporal (à la retraite) Ayers soit destitué, rétrogradé et condamné à une peine d’emprisonnement d’un jour. Dans R. c. Anthony‑Cook, 2016 CSC 43, la Cour suprême du Canada a exposé le critère que doivent appliquer les juges de première instance lorsque les avocats leur présentent une recommandation conjointe au sujet de la peine. En résumé, à moins que la recommandation conjointe ne soit contraire à l’intérêt public ou qu’elle soit susceptible de déconsidérer l’administration de la justice, le juge présidant le procès ne peut l’écarter. La Cour a affirmé qu’il est souhaitable que les avocats de la poursuite et de la défense s’entendent sur une recommandation conjointe relativement à la peine, mais également qu’ils sont responsables de la recommandation. Autrement dit, le juge ne peut modifier leur recommandation, même très légèrement. Non seulement les ententes de cette nature sont‑elles courantes et revêtent une importance vitale pour le bien‑être du système de justice pénale et du système de justice militaire, mais elles libèrent des ressources et permettent aux intervenants du système judiciaire d’affecter ces ressources à des affaires qui en ont davantage besoin. Les juges de première instance doivent faire confiance au jugement, à l’expérience et à la compétence des avocats du système judiciaire qui présentent ces recommandations.

 

[3]               Les recommandations conjointes comportent plusieurs avantages, notamment pour le procureur de la poursuite qui peut obtenir une condamnation même si le dossier recèle quelques lacunes. Cela permet d’économiser des ressources en évitant la convocation de témoins. Les recommandations conjointes permettent également à la défense de savoir à l’avance à quoi elle s’expose ou à tout le moins de savoir ce qu’il en est avec une certaine certitude. Il est donc permis aux deux parties de penser qu’il est fort probable, si elles s’acquittent de leur fardeau de preuve, que leur recommandation sera acceptée.

 

[4]               Un sommaire des circonstances a été présenté à la Cour suite au plaidoyer de culpabilité et est reproduit afin de fournir une description détaillée des événements qui ont mené aux accusations devant la Cour ainsi que les renseignements pertinents pour la détermination d’une peine juste et appropriée : 

 

[traduction]

 

« SOMMAIRE DES CIRCONSTANCES

 

1.               Pendant toute la période pertinente, le caporal (Cpl) Ayers était membre de la force régulière affecté au Quartier général et Escadron des transmissions du 1er Groupe‑brigade mécanisé du Canada (QG & Esc Trans 1GBMC), à la Base des forces canadiennes (BFC) Edmonton, en Alberta.

 

2.               Le 11 octobre 2016, le Cpl Ayers communique avec l’adjudant Burns (Adj), son superviseur immédiat, pour demander congé parce qu’il a été en train d’être expulsé de son logement. Il communique de nouveau avec l’Adj Burns le 12 octobre 2016 afin de prolonger son congé d’une journée, ce qui lui est accordé.

 

3.               Le 13 octobre 2016, le Cpl Ayers se présente au travail et demande un congé supplémentaire afin de terminer son déménagement. Un jour de congé supplémentaire lui est accordé, et le Cpl Ayers est avisé par l’Adj Burns  qu’il doit se présenter au travail à 7 h 30 le 14 octobre 2016 à la bâtisse 400 de la BFC Edmonton.

 

4.               Le 14 octobre 2016, le Cpl Ayers ne se présente pas au travail. Il n’avertit personne dans sa chaîne de commandement. L’Adj Burns tente à maintes reprises de communiquer avec le Cpl Ayers et lui laisse des messages vocaux qui demeurent sans réponse. Le Cpl Ayers ne reviendra pas au travail avant le 25 janvier 2017.

 

5.               Entre le 14 octobre 2016 et le 25 janvier 2017, personne dans la chaîne de commandement du Cpl Ayers ne l’a autorisé à s’absenter du travail.

 

6.               Le 17 octobre 2016, le Cpl Ayers envoie un courriel à l’Adj Burns pour l’aviser qu’il a des problèmes avec sa voiture et qu’il communiquera avec lui par téléphone. N’ayant reçu aucun appel du Cpl Ayers, l’Adj Burns tente de communiquer avec lui et lui laisse des messages vocaux, qui sont demeurés sans réponse.

 

7.               Le 18 octobre 2016, l’Adj Burns tente de nouveau de contacter le Cpl Ayers, sans succès. Le 19 octobre 2016, le Cpl Ayers prend contact avec l’Adj Burns pour le tenir au fait d’événements récents et de son état d’esprit. Il fait de même le 20 octobre 2016.

 

8.               Du 24 au 28 octobre 2016, le Cpl Ayers échange des courriels avec l’Adj Burns et le major (Maj) MacRae, aumônier pour le QG & Esc Trans 1GBMC, pour les informer qu’il suit une thérapie avec un praticien civil. Il dit qu’il va téléphoner, mais il ne le fera jamais. L’Adj Burns tente à maintes reprises d’appeler le Cpl Ayers, sans succès.

 

9.               Le 7 novembre 2016, le Cpl Ayers envoie un courriel à l’Adj Burns et au Maj MacRae pour les informer de son état psychologique. Le Maj MacRae lui répond. Il lui conseille de retourner au travail et lui dit que des options s’offrent à lui.

 

10.           Le 15 novembre 2016, le Cpl Ayers envoie un autre courriel au Maj MacRae et à l’Adj Burns, les informant de son état psychologique et qu’il souhaite à tout le moins quitter les Forces canadiennes de façon honorable. Il leur demande de venir le rencontrer le 16 novembre 2016, à 16 h, à un endroit en dehors de la base.

 

11.           Le 16 novembre 2016, à 15 h 37, le Cpl Ayers les informe qu’il est en train de faire réparer sa voiture et qu’il ne pourra pas être là pour 16 h. Le Maj MacRae lui répond qu’il vaudrait mieux qu’il vienne tôt vendredi afin que lui et l’Adj Burns l’amènent au service de santé mentale.

 

12.           Le 1er décembre 2016, le Cpl Ayers envoie un autre courriel au Maj MacRae et à l’Adj Burns les informant de son état psychologique et de son souhait de [traduction] « reprendre sa vie en main ». Le Maj MacRae lui conseille de nouveau de revenir à la base et d’obtenir de l’aide.

 

13.           Le 2 décembre 2016, le Cpl Ayers envoie un nouveau courriel au Maj MacRae et à l’Adj Burns confirmant qu’il a l’intention de retourner à la base le lundi suivant, mais qu’il craint que lui et son partenaire soient sur le point d’être expulsés, et les informant de son état psychologique. Dans sa réponse, le Maj MacRae, l’invite une fois de plus à revenir à la base et à obtenir de l’aide, et il l’informe qu’il peut à tout le moins obtenir une chambre à la base pour ne pas se retrouver à la rue.

 

14.           Le 12 décembre 2016, le Cpl Ayers envoie un courriel au Maj MacRae et à l’Adj Burns afin de leur demander d’avertir le capitaine‑adjudant du QG & Esc Trans 1GBMC qu’il a été arrêté la veille et qu’il doit comparaître en cour le 28 janvier 2017.

 

15.           Le 12 décembre 2016, l’adjudant‑chef (Adjuc) Stevens, sergent‑major régimentaire (SMR) du QG & Esc Trans 1GBMC envoie un courriel au Cpl Ayers pour l’aviser qu’il a été affecté en dehors de l’unité en raison de son absence continue et qu’il doit désormais adresser toute correspondance à la police militaire (PM). Le Cpl Ayers demande comment il doit communiquer avec sa nouvelle unité et on lui répond de prendre contact avec la police militaire.

 

16.           Aux alentours du 24 décembre 2016, l’Adjuc Stevens envoie un courriel au Cpl Ayers pour lui conseiller de réintégrer l’unité afin de recevoir de l’aide et lui dire qu’il est encore possible que sa carrière ne soit pas complètement brisée. Le Cpl Ayers répond qu’il souhaite réintégrer l’unité, mais qu’il continue d’être dans un état psychologique lamentable.

 

17.           Le 27 décembre 2016, le Cpl Ayers envoie un courriel au Maj MacRae, à l’Adj Burns et à l’Adjuc Stevens leur demandant de l’aide financière.

 

18.           Le 1er janvier 2017, le Cpl Ayers envoie un courriel au Maj MacRae, à l’Adj Burns et à l’Adjuc Stevens pour les informer que son père est décédé et qu’il est mal en point sur le plan psychologique. Le Maj MacRae répond en lui offrant ses condoléances et en l’avisant de retourner à la base. Le jour suivant, le Cpl Ayers et le Maj MacRae discutent par courriel de l’état psychologique du Cpl Ayers et des conséquences de ses actes.

 

19.           Le 25 janvier 2017, l’Adj Burns comparaît au palais de justice d’Edmonton, où il identifie le Cpl Ayers pour la PM. Le Cpl Ayers est par la suite mis sous la garde de la PM. À la suite d’une révision de mise  sous garde effectuée le même jour, le Cpl Ayers est libéré par l’officier réviseur, le capitaine N. Masood. L’ordonnance de libération du Cpl Ayers l’oblige, entre autres, à se présenter à 7 h 30 à la bâtisse 400 de la BFC Edmonton, du lundi au vendredi.

 

20.           Le 1er et le 2 février 2017, le Cpl Layers ne se présente pas au travail. Il n’a averti personne dans sa chaîne de commandement. Le maître de 2e classe (M 2) Thompson et l’Adj Burns tentent à plusieurs reprises de communiquer avec lui, mais en vain. Plus tard le 2 février 2017, le partenaire du Cpl Ayers communique avec l’Adj Burns pour l’aviser que le Cpl Ayers est à l’hôpital depuis le 1er février 2017, mais qu’il serait au travail le lendemain.

 

21.           Le 3 février 2017, à 5 h 15, le Cpl Ayers envoie un message texte à l’Adj Burns pour s’excuser de son absence des deux derniers jours. L’Adj Burns lui dit de se présenter au travail à 7 h 30, à la bâtisse 400 de la BFC Edmonton et de se rendre ensuite à l’Unité de prestation de soins de santé. Le Cpl Ayers ne se présente pas au travail ce jour‑là, et ne s’y présentera plus jamais.

 

22.           Entre le 3 février et 22 avril 2017, aucun des supérieurs du Cpl Ayers ne l’a autorisé à ne pas se présenter au travail.

 

23.           Le 6 février 2017, à 6 h 17, le Cpl Ayers envoie un courriel à l’Adj Burns pour l’informer qu’il sera là à 7 h 30. Il envoie ensuite un message à 6 h 51 pour l’informer des problèmes qu’il a avec son partenaire. L’Adj Burns lui répond qu’il doit venir travailler. Le Cpl Ayers ne se présente pas au travail.

 

24.           Le 16 février 2016, l’Adj Burns communique avec le palais de justice. On l’avise que le Cpl Ayers doit comparaître en cour le 21 février 2017.

 

25.           Le 21 février 2017, l’Adj Peters comparaît devant la Cour provinciale à Edmonton. Le Cpl Ayers ne se présente pas en cour.

 

26.           Le 22 avril 2017, le service de police d’Edmonton (SPE) communique avec la police militaire pour l’informer qu’il a arrêté le Cpl Ayers pour d’autres motifs et qu’il va le relâcher avec une citation à comparaître. La PM se rend à la division centre‑ville du SPE et met le Cpl Ayers en arrestation à la suite de la libération par le SPE à 00 h 38, le 23 avril 2017.

 

27.           À la suite de cette arrestation, le Cpl Ayers est maintenu sous garde après une révision de mise  sous garde effectuée le 24 avril 2017. Une audience de justification a lieu le 26 avril 2016, à la suite de laquelle le Cpl Ayers est libéré sous condition par le juge militaire en chef, le colonel Dutil.

 

28.           Le même jour, après son audience de justification, le Cpl Ayers est libéré des Forces armées canadiennes en vertu de l’alinéa 5f – Inapte à continuer son service militaire.

 

29.           Également le 26 avril 2017, le directeur des poursuites militaires porte trois chefs d’accusation contre le Cpl Ayers. Un ordre de convocation est donné le 12 mai 2017.

 

30.           Le 23 mai 2017, le Cpl Ayers reçoit signification de l’ordre de convocation, de l’acte d’accusation et d’une citation à comparaître à son procès devant la cour martiale, qui devait commencer le 19 juillet 2017 à la BFC Edmonton.

 

31.           Le 19 juillet 2017, une cour martiale permanente est convoquée afin de juger le Cpl Ayers pour trois infractions prévues au code de discipline militaire. Lorsque le Cpl Ayers ne se présente pas, la juge militaire présidant le procès, le capitaine de frégate Sukstorf, signe un mandat d’arrestation à l’endroit du Cpl Ayers.

 

32.           La police militaire est incapable de trouver le Cpl Ayers. Le 20 juillet 2017, la cour martiale permanente reprend le procès. Comme le Cpl Ayers n’a pas été arrêté ou retrouvé, le procès est ajourné jusqu’à ce que l’accusé puisse être traduit devant la Cour.

 

33.           Le 26 juillet 2017, le Cpl Ayers fait savoir, par l’entremise de son avocat, qu’il a l’intention de se rendre à la police militaire. Le procès est réassigné au juge militaire en chef, le colonel Dutil, et toutes les parties sont convoquées à la BFC Edmonton le 29 juillet 2017.

 

34.           Le 29 juillet 2017, le Cpl Ayers se rend à la police militaire à la BFC Edmonton et il fait mention de son intention de plaider coupable aux trois chefs d’accusation tels qu’ils figurent dans l’acte d’accusation.

 

35.           À la suite d’une audience de justification devant le juge militaire en chef, le colonel Dutil, le Cpl Ayers est libéré sous condition et son procès devant la cour martiale est ajourné jusqu’au lundi 31 juillet 2017 ».

 

[5]               Le contrevenant a été transféré à la force régulière en 2012 en tant que cuisinier. Il s’était enrôlé comme réserviste en 2008. Sa fiche de conduite fait état de deux cas d’absence sans permission survenus en janvier et juin 2016. Avant d’être libéré sous conditions en attendant son procès relativement aux accusations dont la Cour est saisie, il a passé six jours en détention.

 

[6]               Le caporal Ayers a témoigné concernant les facteurs qui ont contribué à ses souffrances au cours des dernières années et qui ont non seulement mené aux accusations dont la Cour est saisie, mais aussi à d’importants démêlés avec le système de justice pénale et à de graves difficultés financières qui se sont notamment traduites par le fait que lui et son partenaire se sont retrouvés à la rue pendant de longues périodes. Il a expliqué qu’il avait perdu toute motivation pour son travail et qu’il souffrait d’une grande dépression, d’anxiété et d’un trouble du sommeil en 2014, alors que son partenaire  faisait face à de sérieuses accusations criminelles. Les choses se sont détériorées et il n’arrivait plus à se concentrer sur ses tâches et obligations militaires, y compris celle de se présenter au travail, parce qu’il était incapable de régler ses problèmes personnels ou qu’il n’était pas disposé à le faire.

 

[7]               Il a 28 ans et il vit avec son partenaire  depuis quatre ans, au cours desquels ils ont été aux prises et continuent d’être aux prises avec de grandes difficultés. Il semble toutefois que l’avenir à court terme du contrevenant et de son partenaire  soit plus prometteur. Ils ont trouvé un nouveau logement et leur situation financière, bien que critique, est susceptible de s’améliorer au cours des prochains mois, même si elle demeure extrêmement précaire. Le caporal Ayers fait également l’objet d’accusations criminelles en instance devant la Cour provinciale de l’Alberta, lesquelles, espère‑t‑on, seront réglées sous peu. Il s’est inscrit à un programme d’éducation des adultes les soirs de semaine, qui débutera en septembre prochain. Il est également à la recherche d’un emploi. En résumé, le caporal (à la retraite) Ayers a récemment commencé à faire des démarches pour redevenir un membre actif de notre société. Tout cela est bien dommage, parce qu’il donnait un très bon rendement au sein de l’armée avant 2016. Sa frustration de ne pas avoir été promu, malgré son bon rendement, et ses problèmes personnels l’ont amené à complètement se détacher de l’armée. Il concède maintenant que son comportement était inacceptable et il assume la pleine responsabilité pour ses actions et ses omissions.

 

[8]               En formulant la recommandation conjointe sur la peine, les avocats ont tenu compte des facteurs aggravants et atténuants pertinents entourant la perpétration des infractions ainsi que de la situation du contrevenant. Le facteur le plus aggravant est la longueur de la période au cours de laquelle il s’est absenté, soit près de six mois. De plus, la conduite du caporal (à la retraite) Ayers a démontré qu’il n’était plus du tout fiable et digne de la confiance de ses supérieurs. Il a également fait preuve de peu ou d’aucun respect pour la primauté du droit. Le contrevenant a violé à maintes reprises la confiance de sa chaîne de commandement.

 

[9]               Des facteurs atténuants sont également présents en l’espèce, notamment les plaidoyers de culpabilité du contrevenant, son âge, sa situation financière et ses problèmes de santé mentale au moment où il a commis les infractions d’absence sans permission. Les avocats ont également veillé à tenir compte des principes et objectifs applicables à la détermination de la peine dans cette affaire. La poursuite est convaincue que la recommandation proposée comblerait le besoin de dissuasion générale, de dénonciation et de réhabilitation. De plus, la peine proposée répondrait aussi au besoin de dissuasion spécifique puisque le contrevenant fait l’objet d’autres accusations devant la Cour provinciale, à l’égard desquelles il doit respecter certaines conditions et dates de comparution en cour.

 

[10]           Après que la Cour ait ajourné la séance pour déterminer la peine, les parties ont eu l’occasion de présenter d’autres observations quant à la question de savoir si les peines proposées faisaient partie des mesures auxquelles la Cour peut recourir à la lumière de la décision de la Cour d’appel de la cour martiale (CACM) dans l’arrêt R. c. Tupper, 2009 CACM 5, dans lequel la majorité a accueilli l’appel et, bien qu’ayant jugé la peine infligée par le juge de première instance manifestement indiquée, annulé les peines de destitution et de détention vu qu’elles avaient été rendues théoriques par la libération administrative de l’appelant des Forces armées canadiennes (FAC). Dans l’arrêt Tupper, le juge de première instance a condamné l’appelant, le 30 octobre 2017, à la destitution et à une détention de 90 jours. En outre, l’appelant s’est vu interdire d’avoir en sa possession des armes pour une période de sept ans se terminant le 29 octobre 2014. Le tribunal a libéré l’appelant en attendant son appel. Toutefois, le contrevenant Tupper a été libéré administrativement des FAC pour conduite non satisfaisante, en vertu du sous‑alinéa 15.01 (numéro 2a)) des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC), après la tenue de son procès en cour martiale et avant l’instruction de son appel.

 

[11]           Dans son analyse de l’effet de la libération administrative du contrevenant avant l’audition de son appel sur la peine infligée par la cour martiale, la majorité a écrit aux paragraphes 60 à 64 :

 

[60]         Ce fait nouveau soulève la possibilité de mettre en application la peine. Étant donné les conditions de la peine, on se serait attendu à ce que le soldat Tupper ait purgé sa peine de détention à titre de membre des Forces canadiennes avant d'être destitué.

 

[61]         La séquence des événements décrite ci-dessus aurait permis de réaliser les objectifs de la peine élaborée avec minutie par le JMC, qui a mis l'accent sur la dénonciation et la dissuasion du public tout en tenant compte de la situation du soldat Tupper de son besoin de suivre un traitement pour mettre un terme à sa dépendance aux drogues.

 

[62          La réalité est désormais tout à fait différente. Le soldat Tupper est retourné à la vie civile. Il a depuis mis fin à sa dépendance aux drogues et fréquente l'école pour obtenir un diplôme d'études secondaires.

 

[63]         Si le JMC avait su que Tupper ferait l'objet d'une libération administrative en attendant l'issue de son appel, je suis convaincue qu'il aurait élaboré une peine qui s'accorde mieux avec le nouveau statut de civil de l'appelant, c'est-à-dire une peine qui pourrait être mise en application même après la libération de l'appelant.

 

[64]         Je n'ai toutefois pas à conjecturer ce qui aurait pu constituer une peine adéquate, car, à mon avis, le caractère définitif de la libération administrative a rendu caduques les peines de destitution et de détention.

 

Puis, aux paragraphes 67 à 79 :

 

[67]        Puisque le soldat Tupper a déjà été libéré du service militaire, il n'est plus passible des peines réservées aux soldats. Vu sa libération, il ne peut être ensuite destitué des Forces canadiennes. Dans la même veine, on ne peut le réintégrer dans l'armée pour qu'il purge une peine de détention dans une caserne militaire.

 

[68]        Les membres des Forces canadiennes sont passibles à la fois de sanctions administratives et de sanctions disciplinaires. Si un militaire est accusé d'une infraction en vertu de la LDN, du Code criminel ou d'une autre loi fédérale, et quel qu'en soit l'aboutissement, la chaîne de commandement peut prendre des mesures administratives pour traiter tout manquement à la conduite ou au rendement émanant des mêmes circonstances (DAOD 5019-0, Manquement à la conduite et au rendement).

 

[69]         Selon M. Chris Madsen (Military Law and Operations, feuilles mobiles, Aurora: Canada Law Book, 2008, à la page 2:20.40), il est possible de prendre des mesures administratives à l'encontre de soldats condamnés, tout particulièrement dans le cas de récidivistes chroniques. Il fait remarquer ce qui suit :

 

La libération pour inaptitude au service militaire est une issue courante, qui complète la peine imposée au procès ou l'emporte sur celle-ci.

 

[70]         En l'espèce, une intervention de nature administrative dans le système judiciaire militaire entraîne directement la remise de la peine.

 

[71]         Je ne laisse pas entendre que les Forces canadiennes ne peuvent pas agir comme elles l'ont fait en imposant à un délinquant une sanction administrative malgré la procédure de cour martiale. L'application du droit militaire est non seulement fonction des circonstances propres à une infraction, mais aussi des circonstances plus générales avec lesquelles doivent composer les Forces canadiennes, telles que son rôle actuel de combattant en Afghanistan.

 

[72]         Je peux imaginer des situations où l'armée voudrait se débarrasser rapidement d'un cas problème afin de rétablir la discipline et de favoriser la confiance dans ses rangs, surtout lorsque la personne concernée a manifesté le désir de quitter les Forces canadiennes.

 

[73]         Il peut aussi y avoir des situations où le besoin de suspendre la mise en application d'une peine d'emprisonnement ou de détention se fait sentir, par exemple lorsque l'expertise d'un soldat condamné est requise sur le terrain (Voir les articles 216 et suivants de la LDN; OR 114.01 et 114.02.).

 

[74]         Le major Hartson a témoigné que la discipline personnelle et la discipline en général sont [traduction] « essentielles pour la mission des Forces canadiennes en Afghanistan » (témoignage du major Hartson, dossier d'appel, vol. III, à la page 396). La chaîne de commandement aurait pu estimer qu'il y avait lieu de demander la libération du soldat Tupper, car il était considéré comme un fardeau administratif à une époque ou tout dérangement était préjudiciable aux intérêts du service et de l'unité.

 

[75]         Une décision de ce genre a toutefois des répercussions importantes, car elle peut très bien neutraliser une peine donnée, laquelle devient alors, en tout ou en partie, incompatible avec la libération administrative. Comme je l'ai déjà mentionné, c'est la conclusion à laquelle je suis arrivée dans le cadre du présent appel.

 

[76]         On a soutenu à l'audience qu'une procédure d'appel plus expéditive aurait peut-être empêché que cette situation ne se produise. Ayant examiné le présent dossier, je ne puis accepter cet argument.

 

[77]         Premièrement, connaissant l'importance de la peine au chapitre de la dénonciation et de la dissuasion du public, la chaîne de commandement aurait pu décider de relever le soldat Tupper de ses fonctions militaires au cours de la procédure, comme cela avait été fait dans Dixon, précité, au paragraphe 17, plutôt que de le libérer avec les répercussions que cette mesure a eues sur la peine.

 

[78]         Deuxièmement, un examen du résumé des inscriptions enregistrées révèle que le présent appel devait être entendu moins de 5 mois après la demande d'audience. Tous les autres délais sont attribuables aux parties. L'avis d'appel a été déposé le 30 novembre 2007, mais le mémoire ne pouvait pas l'être avant que le comité d'appel ne statue sur la demande du soldat Tupper visant à se faire représenter par un avocat militaire dans le cadre du présent appel, laquelle demande a été accueillie le 21 mai 2008. Enfin, chacune des parties a sollicité une prorogation du délai pour déposer son mémoire.

 

Conclusion

 

[79]         Pour ces motifs, je ferais droit à la demande d'autorisation d'appel et accueillerais le présent appel et, même si j'ai conclu que la sentence était manifestement indiquée, j'annulerais les peines de destitution et de détention, vu qu'elles sont caduques à la suite de la libération administrative de l'appelant des Forces canadiennes.

 

[12]           Cette décision de la CACM est depuis prise en compte dans la détermination de la peine d’un contrevenant par la cour martiale, aussi bien lorsque l’on sait qu’il sera libéré administrativement des FAC en vertu du chapitre 15 des ORFC après avoir été condamné par la cour martiale que lorsqu’il a déjà été libéré avant la tenue de son procès devant la cour martiale, en vertu des dispositions des paragraphes 60(2) et 60(3) de la LDN, ainsi libellées :

 

60(2)      Quiconque était justiciable du code de discipline militaire au moment où il aurait commis une infraction d’ordre militaire peut être accusé, poursuivi et jugé pour cette infraction sous le régime du code de discipline militaire, même s’il a cessé, depuis que l’infraction a été commise, d’appartenir à l’une des catégories énumérées au paragraphe (1).

 

(3)           Quiconque a cessé, depuis la présumée perpétration d’une infraction d’ordre militaire, d’appartenir à l’une des catégories énumérées au paragraphe (1) est réputé, pour l’application du code de discipline militaire, avoir le statut et le grade qu’il détenait immédiatement avant de ne plus en relever, et ce tant qu’il peut, aux termes de ce code, être accusé, poursuivi et jugé.

 

[13]           L’arrêt Tupper a par la suite été interprété de manière quelque peu inconsistante ou sans tenir compte du contexte dans lequel il s’inscrivait. À titre d’exemple, le Canadian Encyclopedic Digest (CED) 4th (en ligne), Military Law « Code of Service Discipline : Punishments » (XI.11), au paragraphe 234, illustre cette situation :

 

            [traduction]

 

234         L’échelle des peines qui peuvent être infligées pour avoir perpétré une infraction d’ordre militaire est la suivante : a) l’emprisonnement à perpétuité; b) l’emprisonnement de deux ans ou plus; c) la destitution ignominieuse; d) l’emprisonnement pour moins de deux ans; e) la destitution; f) la détention; g) la rétrogradation; h) la perte de l’ancienneté; i) le blâme; j) la réprimande; k) l’amende; et l) les peines mineures. Les peines mineures sont désignées comme étant : la consignation dans un navire ou aux quartiers, le travail et les exercices supplémentaires, la suppression de congé et l’avertissement. Une peine de détention infligée après la libération d’un membre peut devenir théorique, puisque le but de la détention est de maintenir la discipline et l’efficacité opérationnelle – deux principes qui ne s’appliquent pas à un membre qui a repris la vie civile. Les peines de destitution et de détention deviennent inopérantes à la suite d’une libération administrative des Forces armées canadiennes.

 

[14]           Dans R. c. Lewis, 2012 CM 2006, l’avocat du contrevenant a fait valoir que la peine de rétrogradation n’était pas une peine valide parce que le contrevenant était libéré des FAC depuis la date de commission de l’infraction, en s’appuyant sur la décision de la CACM dans Tupper, au support de la proposition à l’effet que les peines propres au milieu militaire énoncées à l’article 139 de la LDN ne s’appliquent pas à un contrevenant ayant été libéré des FAC. Selon l’avocat du contrevenant, les seules peines pouvant être valablement infligées à un ancien membre libéré sont l’emprisonnement et l’amende. Le juge militaire Lamont a fait les remarques suivantes :

 

[18]         En l’espèce, le contrevenant a déjà été libéré. Il se peut que pour cette raison, certaines des peines prévues à l’article 139 de la Loi sur la défense nationale n’aient pas le même effet sur lui que sur un membre qui continue de servir, et qu’elles ne favorisent pas l’atteinte des objectifs de la détermination de la peine auxquels j’ai déjà fait référence. C’est pourquoi il convient d’évaluer sérieusement s’il convient d’infliger une peine particulière, et non de conclure qu’une certaine peine ne peut tout simplement pas être imposée d’un point de vue juridique. Dans Tupper, la CACM n’examinait pas la question de savoir quelles peines pouvaient être imposées à un ancien membre des FC. Elle devait plutôt déterminer si les peines infligées au soldat Tupper demeuraient pertinentes étant donné que sa situation avait changé.

 

[19]         En définitive, je conclus que l’arrêt Tupper ne fait pas autorité quant à la proposition générale formulée par l’avocat du défendeur en l’espèce. Je conclus que la rétrogradation est une peine légitime en l’espèce bien que le contrevenant ait été libéré par suite de son départ à la retraite depuis la date de l’infraction. Je passe donc à la question de savoir si la rétrogradation est une peine appropriée dans l’affaire qui nous intéresse.

 

L’approche adoptée par le juge militaire Lamont n’a pas été suivie par le juge militaire Perron dans deux décisions subséquentes de la cour martiale. Premièrement, dans R. c. Weldam‑Lemire, 2011 CM 4019, la cour martiale a reconnu le défendeur coupable d’avoir désobéi à l’ordre d’un supérieur et de s’être absenté sans permission à deux reprises. Le procureur de la poursuite et l’avocat de la défense ont conjointement proposé une peine d’emprisonnement de 10 jours et une amende de 1 000 $ à payer dans un délai de 90 jours. Ils ont recommandé également que la Cour sursoie à l’application de la peine d’emprisonnement. Le contrevenant avait été libéré administrativement des FAC sous le numéro 5f) avant son procès devant la cour martiale. Dans son analyse du caractère approprié de la recommandation conjointe des avocats, le juge militaire Perron a formulé les remarques suivantes au paragraphe 21 avant d’accepter la recommandation conjointe des avocats :

 

[21]         La majorité dans Tupper a conclu que les peines de destitution du service de Sa Majesté et de détention ne peuvent être imposées à l’égard d’un contrevenant après sa libération administrative des Forces canadiennes. Je suis lié par cette décision.

 

Deuxièmement, dans R. c. Bailey, 2013 CM 4026, le juge militaire Perron a adopté la même approche en ce qui concerne l’incidence de la décision de la CACM dans l’arrêt Tupper. L’ex-soldat Bailey avait plaidé coupable à trois chefs d’accusation d’absence sans permission fondés sur l’article 90 de la LDN. Ici aussi, le procureur de la poursuite et l’avocat de la défense ont conjointement proposé une peine d’emprisonnement de dix jours et une amende de 500 $. Ils ont également recommandé que la cour suspende l’exécution de la peine d’emprisonnement. Le juge militaire Perron a accepté la recommandation conjointe, mais seulement après avoir expliqué, aux paragraphes 15 et 16, les raisons pour lesquelles il ne croyait pas que la détention était une peine appropriée étant donné que le contrevenant n’était plus un membre actif :

 

[15]         Je suis d’accord avec les avocats. En l’espèce, l’incarcération est une peine appropriée. Il s’agit d’un cas où la détention est la peine appropriée pour un contrevenant qui est encore membre des Forces canadiennes. La Cour d’appel de la cour martiale a déclaré ce qui suit aux paragraphes 58 et 59 de l’arrêt Ex‑Soldat St‑Onge c. R, 2010 CACM 7 :

 

[Citation omise.]

 

[16]         Un membre actif dans la même situation que l’ex‑Soldat Bailey pourrait bien être condamné à une peine de détention Le but de cette peine serait de faire du contrevenant un soldat plus discipliné. La Cour d’appel de la cour martiale a indiqué que les membres des FC libérés des FC ne peuvent être condamnés à une peine de détention puisque la détention ne vise plus un objectif militaire une fois le contrevenant libéré. Par conséquent, le seul type d’incarcération possible en l’espèce serait une peine d’emprisonnement. Cependant, l’emprisonnement ne semble pas une peine appropriée en l’espèce lorsqu’on tient compte des faits en cause. En fait, c’est un substitut à la détention.

 

[15]           Si la Cour devait conclure que la décision de la CACM dans l’arrêt Tupper empêche une cour martiale d’infliger des peines comme la destitution ignominieuse du service de Sa Majesté, la destitution, la rétrogradation, le blâme ou la réprimande et la détention une fois qu’un contrevenant a été libéré des FAC avant son procès devant la cour martiale, celle‑ci se devrait de rejeter la recommandation conjointe des avocats en l’espèce puisque cela entraînerait l’infliction de peines illégales. Si la Cour adopte l’approche suivie par le juge militaire Lamont dans l’arrêt Lewis, elle doit appliquer le critère énoncé par la Cour suprême du Canada dans R. c. Anthony‑Cook et déterminer si la suggestion commune est contraire à l’intérêt public ou susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.

 

[16]           La Cour souscrit à l’approche adoptée par le juge militaire Lamont ainsi qu’à la conclusion à laquelle il est parvenu dans l’arrêt Lewis, à savoir que dans l’arrêt Tupper, la CACM s’est demandé si les peines particulières infligées au soldat Tupper continuaient d’être valides compte tenu du changement dans sa situation personnelle. L’arrêt Tupper permet seulement de répondre à la question de savoir ce qui constitue une peine appropriée dans un cas particulier plutôt qu’à la question de savoir si une peine spécifique peut être infligée légalement. Dans R. c. St‑Onge, 2011 CSC 16, [2011] 1 R.C.S. 625, la Cour suprême du Canada a instruit l’appel interjeté à l’égard d’une décision par laquelle la CACM du Canada (2010 CACM 7, [2010] A.C.A.C. no 7 (QL)) avait accueilli l’appel interjeté par l’intimé à l’encontre de la peine qui lui avait été infligée par le juge du procès. Le juge Fish, s’exprimant au nom de la Cour, a déclaré ce qui suit aux paragraphes 3 et 4 de cet arrêt :

 

[3]           En l’espèce, le juge Cournoyer, dissident en Cour d’appel, aurait rejeté le pourvoi de l’intimé au motif qu’il n’était pas loisible à la Cour d’appel, en appliquant la norme pertinente, d’intervenir à l’égard de la décision du premier juge.

 

[4]           Après étude et audition, nous sommes convaincus que la dissidence en cause porte sur une question de droit aux termes de l’al. 245(2)a) de la Loi sur la défense nationale. Avec égards pour les juges majoritaires de la Cour d’appel, nous sommes également d’avis d’accueillir le pourvoi pour les motifs exprimés en Cour d’appel par le juge Cournoyer, et de rétablir la décision du premier juge relativement à la peine.

 

L’une des questions en litige dans l’arrêt St‑Onge était celle de savoir si la peine de 30 jours de prison infligée à l’appelant était appropriée au vu de l’ensemble des circonstances, notamment le fait que l’appelant avait fait l’objet d’une libération administrative des Forces canadiennes quelque temps avant la détermination de sa peine. La majorité des membres du tribunal de la CACM a accueilli l’appel de la sentence infligée par le juge militaire puisqu’ils étaient persuadés qu’une peine moins contraignante et plus appropriée était une amende de 3 000 $. Le juge Pelletier a traité de la portée de l’arrêt Tupper en ce qui a trait au caractère approprié de la peine d’emprisonnement qui avait été infligée à l’appelant. Voici ce qu’il a écrit aux paragraphes 57 à 61 :

 

[57]         La question de la justesse de la sentence se pose à la lumière de l'arrêt R. c. Tupper, [2009] A.C.A.C. no 9, rendu par la Cour. Dans cette affaire, la Cour a examiné, lors de la détermination de la peine appropriée, l'effet de la libération administrative des Forces canadiennes d'un contrevenant. Elle a conclu que la libération administrative de l'appelant des Forces canadiennes l'emportait sur les peines de détention et de destitution ignominieuse infligées à l'appelant. La Cour a conclu que, en tant que civil, l'appelant n'était plus passible des sanctions réservées expressément aux soldats. En ce qui concerne la sentence prévoyant une peine de détention pour l'appelant, la Cour a mentionné ce qui suit : « on ne peut le réintégrer dans l'armée pour qu'il purge une peine de détention dans une caserne militaire »; voir R. c. Tupper, précité, paragraphe 67.

 

[58]         La peine dans l'arrêt Tupper comprenait une période de détention. Dans le contexte militaire, la détention est une forme d'incarcération ayant un objectif particulier, soit la réhabilitation du contrevenant en qualité de membre des Forces canadiennes. Les notes du paragraphe 104.09 des ORFC l'énoncent clairement de la façon suivante :

 

(A) Comme pour toute mesure disciplinaire, la détention est une punition qui vise à réhabiliter les détenus militaires et à leur redonner l'habitude d'obéir dans un cadre militaire structuré. Ces derniers seront donc soumis à un régime d'entraînement qui insiste sur les valeurs et les compétences propres aux membres des Forces canadiennes, pour leur faire voir ce qui les distingue des autres membres de la société. Des soins spécialisés et des programmes d'orientation seront offerts par ailleurs aux détenus militaires qui en auront besoin pour les aider à surmonter leur dépendance aux drogues et à l'alcool ou à régler des ennuis de santé analogues. Une fois la peine de détention purgée, le militaire retournera à son unité, en temps normal, sans que sa carrière n'en souffre à long terme

(A) In keeping with its disciplinary nature, the punishment of detention seeks to rehabilitate service detainees, by re-instilling in them the habit of obedience in a structured, military setting, through a regime of training that emphasizes the institutional values and skills that distinguish the Canadian Forces member from other members of society. Specialized treatment and counselling programmes to deal with drug and alcohol dependencies and similar health problems will also be made available to those service detainees who require them. Once the sentence of detention has been served, the member will normally be returned to his or her unit without any lasting effect on his or her career.

 

[59]         Par ailleurs, l'emprisonnement, dans le contexte militaire, est considéré comme précédant le retour du contrevenant dans la société civile. Encore une fois, les notes de la disposition pertinente des ORFC, soit l'article 104.04, le révèlent clairement:

 

(B) Les prisonniers et les condamnés militaires auront besoin le plus souvent d'un programme intensif de recyclage et de réadaptation en vue de se réinsérer dans la société au terme de leur incarcération. Les prisons et les pénitenciers civils possèdent les ressources voulues pour offrir ce genre de programme aux détenus. Dans le but de faciliter leur conversion à la vie civile, les prisonniers et les condamnés militaires qui sont censés être libérés des Forces canadiennes seront transférés, en règle générale, dans une prison ou un pénitencier civil le plus rapidement possible dans les 30 jours suivant la sentence. Le militaire sera d'ordinaire libéré des Forces canadiennes avant son transfert dans un établissement civil.

(B) Service prisoners and service convicts typically require an intensive programme of retraining and rehabilitation to equip them for their return to society following completion of the term of incarceration. Civilian prisons and penitentiaries are uniquely equipped to provide such opportunities to inmates. Therefore, to facilitate their reintegration into society, service prisoners and service convicts who are to be released from the Canadian Forces will typically be transferred to a civilian prison or penitentiary as soon as practical within the first 30 days following the date of sentencing. The member will ordinarily be released from the Canadian Forces before such a transfer is effected.

 

[60]         La décision de la Cour dans l'affaire Tupper reflète le fait que la peine de détention ne servait plus un objectif militaire une fois que le contrevenant était libéré des Forces canadiennes. Pour des motifs qui leur étaient propres, les Forces canadiennes avaient conclu que le contrevenant était inapte à continuer son service militaire. La peine ne détention devenait alors sans objet.

 

[61]         Par ailleurs, une peine d'emprisonnement a un autre objectif, mais, encore une fois, on doit tenir compte de la libération du contrevenant des Forces canadiennes lorsqu'il faut déterminer si la peine d'emprisonnement servait un objectif militaire ou correctionnel. Dans les affaires où la personne visée a été libérée des Forces canadiennes avant qu'on lui inflige une peine, il me semble que l'accent ne devrait pas seulement reposer sur la question du statut - c'est‑à‑dire sur la question de savoir si la sanction pourrait être infligée à un civil - mais également sur la question de savoir si le changement de statut du contrevenant nuit aux objectifs militaires et correctionnels de la peine infligée.

 

Dans ses motifs dissidents, le juge Cournoyer a déclaré ce qui suit :

 

[87]         Mon collègue conclut que la peine d'emprisonnement imposée ne sert pas les objectifs de détermination de la peine établis par le Code criminel et les Règlements royaux applicables aux Forces canadiennes. Selon lui, le juge militaire a accordé un poids démesuré à la dissuasion générale et spécifique, compte tenu de l'ensemble des circonstances et notamment sa libération administrative des Forces canadiennes.

 

[88]         J'estime que nous ne devons pas intervenir. Même en tenant compte de la libération administrative des Forces canadiennes de l'appelant, l'analyse de mon collègue ne m'a pas convaincu que le juge militaire a exercé son pouvoir discrétionnaire de manière déraisonnable ou qu'il a commis une erreur de principe

 

[89]         La sentence proposée par mon collègue, tout comme celle imposée par le juge militaire, sont des peines justes et appropriées. J'estime toutefois que nous ne pouvons pas intervenir parce que notre pondération des facteurs aurait été différente de celle du juge militaire. Pour ce motif, il me semble, pour reprendre l'expression du juge Lebel dans L.M., que des raisons fonctionnelles nous interdisent de modifier la sentence imposée par le juge militaire.

 

[90]         Pour ces motifs, je suis d’avis de rejeter l’appel à l’encontre de la sentence.

 

[17]           À mon avis, la possibilité d’infliger les peines énumérées au paragraphe 139(1) de la LDN n’est restreinte que par les dispositions particulières pertinentes de la Loi et des règlements, y compris dans les cas où les paragraphes 60(2) et (3) s’appliquent. Par exemple, aucun officier ne peut être condamné à la détention (voir l’alinéa 142(1)b)), et le pouvoir d’un tribunal militaire d’infliger des peines peut être limité conformément aux règlements pris par le gouverneur en conseil (voir l’article 147). Il est entendu que les notes afférentes aux ORFC, y compris la note B relative à l’article 104.04 ou la note A relative à l’article 104.09, fournissent des renseignements utiles, mais qu’elles ne doivent pas être interprétées comme si elles avaient force de loi. L’article 1.095 des ORFC dispose que :

 

Des notes sont ajoutées aux articles des ORFC pour la gouverne des militaires. Il ne faut pas considérer qu'elles ont force de loi, mais on ne doit pas s'en écarter sans une bonne raison.

 

[18]           À moins qu’il ne soit déterminé qu’une peine particulière contrevient à une disposition précise de la Charte lorsqu’elle est infligée à une personne assujettie au code de discipline militaire qui a été libérée administrativement des FAC, la seule question qui se pose est celle de savoir si la peine est appropriée. L’objet du système de justice militaire est de maintenir la discipline, l’efficacité et le moral des troupes. L’objectif et les principes de la détermination de la peine par les cours martiales ne s’appliquent pas dans l’abstrait, mais bien en gardant à l’esprit l’objet général de ce système. Il se peut fort bien que, dans la plupart des cas, la détention, la destitution ou d’autres peines propres au milieu militaire ne servent aucun des objectifs de détermination de la peine lorsque le délinquant a réintégré la vie civile. Cela pourrait rendre les peines inefficientes et inefficaces, ou théoriques. Toutefois, ces peines ne sont pas invalides et inopérantes.

 

[19]           La recommandation conjointe des avocats de condamner le caporal (à la retraite) Ayers à la destitution, à la rétrogradation au grade de soldat et à une peine d’emprisonnement d’un jour doit contribuer au maintien de la discipline et combler le besoin de dissuasion générale, de dénonciation de la conduite et de réhabilitation. De plus, la peine proposée devrait répondre au besoin de dissuasion spécifique puisque le contrevenant fait l’objet d’autres accusations devant la cour provinciale. Si le tribunal est convaincu que les parties ont démontré qu’elle sert ces objectifs, la peine proposée atteint le seuil imposé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Anthony‑Cook.

 

[20]           La question de savoir si une peine est efficace ou non dans une situation où le contrevenant a été libéré administrativement des FAC avant son infliction exige une approche contextuelle. L’analyse doit tenir compte de l’objectif et des principes de la détermination de la peine et les appliquer en conséquence. Par exemple, si une très courte période d’incarcération est justifiée dans les circonstances, des facteurs comme l’établissement où elle sera purgée, les coûts liés au transport du contrevenant et au personnel des FAC qui accompagne le contrevenant à l’établissement carcéral, les répercussions sur le contrevenant et les ressources nécessaires peuvent fort bien être pris en considération pour recommander un type d’incarcération plutôt qu’un autre.

 

[21]           Les peines prévues au paragraphe 139(1) de la LDN n’ont pas vraiment d’équivalent dans le système de justice pénale, à l’exception des peines d’emprisonnement et des amendes. Certaines peuvent servir les mêmes objectifs que celles infligées par les tribunaux de juridiction criminelle, d’autres non. Dans le contexte civil, rien ne ressemble ou n’est équivalent aux peines de destitution ignominieuse du service de Sa Majesté et de destitution. La peine de destitution du service de Sa Majesté est réputée prendre effet le jour où l’officier ou le militaire du rang est libéré des Forces canadiennes (voir le paragraphe 141(1.1) de la Loi).

 

[22]           La destitution ne s’apparente pas à un congédiement, une mise à pied ou un licenciement par un employeur dans la société civile. Le fait qu’une personne ait été libérée administrativement des FAC avant de recevoir sa peine en cour martiale ne rend pas la peine de destitution inefficace ou théorique en soi. Non seulement ce raisonnement fait‑il abstraction de la raison d’être de cette peine en droit militaire, mais il ignore le fait que la destitution, ignominieuse ou non, du service de Sa Majesté peut avoir d’importantes répercussions sur un ancien militaire dans la vie civile. De plus, la peine de destitution envoie un message clair à la communauté militaire en ce qu’elle promeut les objectifs de la détermination de la peine liés à la dissuasion générale et la dénonciation. Dans la présente affaire, le procureur de la poursuite a expliqué à la Cour que la peine de destitution était justifiée en raison de la longue absence du contrevenant de son lieu de service, qui s’est étalée sur une période d’environ six mois. Il ne s’agissait pas du seul facteur aggravant en l’espèce. Le comportement du caporal (à la retraite) Ayers démontre qu’il était devenu complètement instable et indigne de la confiance de sa chaîne de commandement et qu’il éprouvait peu ou pas de respect pour la primauté du droit. Il a violé à maintes reprises la confiance de sa chaîne de commandement. Ce raisonnement s’applique tout aussi bien à la peine de rétrogradation. Les grades s’accompagnent d’un certain degré de confiance de la part de la chaîne de commandement. La rétrogradation proposée par les avocats sert également à promouvoir les principes de dissuasion générale et de dénonciation. La Cour est d’accord avec les avocats pour dire qu’une peine d’emprisonnement est justifiée dans les circonstances puisqu’elle sert à la fois des fins militaires et de redressement. Enfin, les avocats ont tenu compte des facteurs atténuants présents en l’espèce, y compris les plaidoyers de culpabilité du contrevenant, son âge, sa situation financière et le rôle qu’a joué son problème de santé mentale dans la commission des infractions d’absence sans permission. Par conséquent, je suis convaincu que les faits et le raisonnement qui sous‑tendent la peine proposée de manière conjointe par les avocats à la Cour lui ont été exposés en détail et que celle‑ci ne n’est pas contraire à l’intérêt public et qu’elle n’est pas susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[23]           VOUS DÉCLARE coupable de deux chefs d’absence sans permission en contravention de l’article 90 de la LDN et d’un chef d’omission de se conformer à une condition imposée sous le régime de la section 3 en contravention de l’article 101.1 de la Loi.

 

[24]           VOUS CONDAMNE à la destitution, à la rétrogradation au grade de soldat et à une peine d’emprisonnement d’un jour.


 

Avocats :

 

Major A. Van der Linde et capitaine A. Clark pour le directeur des poursuites militaires

 

Lieutenant‑colonel D. Berntsen, Service d’avocats de la défense, avocat du caporal (à la retraite) L.J. Ayers

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