Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 6 novembre 2017

Endroit : Base de soutien de la 2e Division du Canada Valcartier, l’Académie, édifice 534, pièce 227, Courcelette (QC)

Chefs d’accusation :

Chef d’accusation 1 : Art. 86b) LDN, a adressé à des justiciable du Code de discipline militaire des propos provocateurs tendant à créer une querelle.
Chef d’accusation 2 : Art. 130 LDN, s’être livré à des voies de fait (art. 266 C. cr.)

Résultats :

VERDICTS : Chef d’accusation 1 : Non coupable. Chef d’accusation 2 : Retiré.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. Scotto D’Anielo, 2017 CM 1015

 

Date : 20171110

Dossier : 201701

 

Cour martiale permanente

 

Base de soutien de la 2e division du Canada Valcartier

Courcelette (Québec), Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Adjudant-maître L.A.S. Scotto D’Anielo, accusé

 

 

En présence du : Colonel M. Dutil, J.M.C.


 

MOTIFS DU VERDICT

 

(Oralement)

 

Introduction

 

[1]               L’adjudant-maître Scotto D’Anielo est accusé, aux termes de l’alinéa 86b) de la Loi sur la défense nationale, d’avoir adressé à des justiciables du code de discipline militaire des propos provocateurs de nature à susciter une querelle. L’exposé des détails de l’accusation énonce ce qui suit :

 

Détails : En ce que, le ou vers le août 2015, à ou près du camp Glebokie, Pologne, il a dit à des militaires « Quand vous avez des choses à régler, vous pouvez régler ça sur le quai à coups de poing dans la face » ou quelque chose du genre.

 

La Preuve

 

[2]               La preuve de la poursuite repose sur les témoignages de trois militaires qui auraient été présents lorsque les paroles alléguées auraient étés prononcées par l’accusé, alors que la défense a appelé cinq témoins durant ce procès, dont trois d’entre eux auraient aussi entendu les paroles de l’adjudant-maître Scotto D’Anielo. Le premier témoin de la poursuite, le caporal-chef Olmstead-Guénette a d’abord soutenu qu’il a participé à Opération (OP) REASSURANCE à Glebokie en Pologne en tant que membre de la compagnie A du 3e bataillon Royal 22e Régiment à titre de fusilier C7 pour une période de trois mois. Il ne se souvenait pas des dates de son déploiement, mais il a ensuite dit qu’il y était de novembre 2015 à février 2016. Selon ses dires, la compagnie A était composée d’environ 110 personnes. L’adjudant Dodier était son adjudant de peloton tandis que l’adjudant-maître Scotto D’Anielo était le sergent-major de la compagnie. Il a reconnu avoir été condamné à deux reprises lors de procès par voie sommaire pour querelle et désordre en 2010 et en 2016. La condamnation de 2016 est liée à la bagarre qu’il a eue avec le caporal Proulx-Oloko au bord du lac près du camp Glebokie. Il a indiqué que cette bagarre aurait eu lieu durant l’été, même s’il ne se souvenait pas des dates. En d’autres mots, il a de la difficulté à situer dans le temps les incidents pertinents à cette affaire. Lors de son procès sommaire en lien avec l’incident impliquant le caporal Proulx-Oloko, le caporal-chef (caporal au moment des faits allégués) Olmstead-Guénette a voulu justifier ses gestes en s’appuyant sur des paroles que l’adjudant-maître Scotto D’Anielo aurait prononcées lors d’une parade matinale de la compagnie A durant OP REASSURANCE. Selon lui, l’accusé aurait dit aux membres de la troupe, un mois après son altercation, à l’automne lors d’une journée pluvieuse et fraîche, près des baraques : « Dans mon temps, quand on avait quelque chose à se régler, on se frappait sur la gueule. Si vous avez quelque chose à vous régler, allez le faire en silence sur le bord du lac. » Le caporal-chef Olmstead-Guénette a soutenu qu’il a interprété que les paroles attribuées à l’adjudant-maître Scotto D’Anielo lui signifiaient que ce n’était pas si grave que ça pour les membres de la troupe de régler leurs comptes entre eux-mêmes et de garder ça au plus bas niveau. En réponse à la question du procureur lui demandant de préciser si l’expression « garder cela au plus bas niveau » signifiait de se donner des coups de poing, le caporal-chef Olmstead Guénette a répondu que non. Toutefois, il admet avoir tenté de justifier sa bagarre avec Proulx-Oloko sous prétexte que ce qu’il aurait entendu de l’adjudant-maître lui permettait de soutenir que s’être battu sur le bord du lac n’était pas si grave que ça. Lors de son contre-interrogatoire, le caporal-chef Olmstead-Guénette a reconnu clairement qu’après les paroles prononcées par l’adjudant-maître Scotto D’Anielo, il ne croyait pas qu’il était autorisé à se battre, mais régler ses problèmes au plus bas niveau au bord du lac, en silence. Il a affirmé qu’il n’a jamais été encouragé à se battre sur le bord du lac en Pologne. Il a reconnu qu’il n’avait aucun souvenir des dates entourant sa présence en Pologne ni de la date de son procès par voie sommaire. Que ce soit durant une enquête d’unité ou de police relativement à la bagarre, il n’a jamais été question avec lui des propos allégués de l’adjudant-maître Scotto D’Anielo.

 

[3]               Le deuxième témoin appelé par la poursuite est le caporal Gauthier qui était également membre de la compagnie A lors de l’OP REASSURANCE de l’été 2015 à février 2016. Selon ses dires, l’adjudant-maître Scotto D’Anielo aurait transmis un message lors de la parade quotidienne matinale au lendemain de l’attaque d’un caporal-chef dans son sommeil par un caporal qui avait eu lieu dans les baraques. Selon lui, l’accusé aurait transmis le message selon lequel qu’il n’y avait pas de problème à aller régler nos problèmes sur le quai à coups de poing sur la gueule et que cela ne le dérangeait pas. Selon lui, il y aurait eu une autre altercation le lendemain de cette parade entre deux membres de la compagnie. En réponse à la question du procureur, le caporal Gauthier a dit que l’adjudant-maître Scotto D’Anielo aurait prononcé ces paroles : « Les boys, quand vous avez des problèmes, allez les régler sur le quai. » Selon lui, l’adjudant-maître aurait ajouté « à coup de poings sur la gueule ». Selon lui, l’accusé aurait également émis des commentaires à l’endroit des membres de la troupe au début de l’opération indiquant que les gens pouvaient aller le voir pour se parler entre hommes et que des claques sur la gueule ne le dérangeaient pas. Le caporal Gauthier a affirmé n’avoir été aucunement dérangé ou affecté par de tels propos et que ce n’était rien de grave. Il a ajouté que cela ne le dérangeait pas de régler des choses de cette manière. Durant le contre-interrogatoire, il a admis sans détour qu’il n’aimait pas l’accusé et qu’il avait été victime de représailles de la part de l’adjudant-maître Scotto D’Anielo qui l’aurait évincé de la compagnie de parachutistes et durant OP REASSURANCE relativement à son retrait de l’exercice qui devait se dérouler au Portugal. Il a affirmé ne pas avoir entendu ou se souvenir que l’accusé a utilisé les mots « je l’ai fait avec un bon chum de chasse », lorsqu’il parlait de bagarre, mais avoir dit « Dans mon temps, on réglait ça à coup de claques sur la gueule. » Questionné par la défense, le caporal Gauthier a affirmé ne pas se souvenir que l’accusé aurait dit « Maintenant, icitte, quand vous aurez de quoi à régler, à place de le faire en public, allez le faire sur le bord du quai en silence. » Lorsque pressé par l’avocat de la défense que son témoignage indiquait que selon lui, au lendemain d’une attaque d’un caporal envers un caporal-chef durant son sommeil, l’adjudant-maître Scotto D’Anielo était mécontent et qu’il aurait dit à la troupe lors de la parade matinale quelque chose qui les aurait incités à se bagarrer en disant « les gars allez-vous battre, sur le bord du quai! », le caporal Gauthier a répondu en disant « Ça ressemble à ça! » Il a affirmé ne pas croire qu’il aurait pu mal entendre.

 

[4]               Le dernier témoin de la poursuite est un autre membre de la compagnie A lors de l’OP REASSURANCE en Pologne en 2015-2016, soit le caporal-chef Léveillé. Il a témoigné relativement à une parade qui aurait eu lieu un matin vers sept heures avant le départ par autobus pour l’Exercice (EX) Allied Spirit qui devait avoir lieu en Allemagne. Cette parade convoquée par l’accusé visait à confirmer la présence des membres de la troupe qui partaient pour l’exercice. Il a affirmé qu’après la parade, l’adjudant-maître Scotto D’Anielo a demandé aux membres de la troupe d’aller le voir et de se rapprocher de lui. Il leur aurait dit ce qui suit : « Écoutez les gars, moi je n’ai pas de trouble à ce que vous régliez vos problèmes en arrière sur le quai, ça s’est déjà fait dans le passé, pif paf on a réglé ça et pis tsé asteure on est rendu des bons chums de chasse ». Il dit présumer que ce qu’il dit avoir entendu impliquait des contacts physiques, des coups de poing. Selon lui, les paroles de l’accusé justifiaient que s’ils avaient besoin de régler des problèmes entre les membres de la troupe, ils allaient être protégés si la force physique était utilisée et qu’ils avaient donc un certain droit d’y avoir recours. En contre-interrogatoire, il a dit n’avoir jamais entendu les mots « coups de poing » de la part de l’accusé. Mais, il aurait entendu l’accusé prononcer les mots « dans mon temps » et « bons chums de chasse ». Il n’a pas pris les propos de l’adjudant-maître Scotto D’Anielo au pied de la lettre et il ne se serait pas battu suite à ses propos. Selon le caporal-chef Léveillé, l’intervention de l’accusé ce matin-là visait à ce qu’il n’y ait plus de bagarres entre les membres de la troupe et non un accroissement du nombre de bagarres. Selon lui, le but de l’accusé n’était pas que les membres de la compagnie se battent, mais qu’il y ait moins de bagarres. Encore une fois selon lui, l’accusé était déçu des membres de la compagnie ce matin-là parce qu’il y avait des bagarres entre les membres de la troupe, mais le caporal-chef Léveillé a précisé qu’il a trouvé assez comique la manière dont l’adjudant-maître Scotto D’Anielo avait transmis son message. Encore une fois, il n’a pas pris ces propos de l’accusé au pied de la lettre.

 

[5]               La défense a appelé cinq témoins. Le capitaine Guay a témoigné qu’il a effectué une enquête sommaire à la suite des procès sommaires des caporaux Olmstead-Guénette et Proulx-Oloko. Outre les deux belligérants, il a rencontré le caporal-chef Léveillé et l’adjudant Gosselin dans le cadre de son enquête qui visait à déterminer si les leaders avaient fait leur travail dans le contexte des bagarres. Le capitaine Guay a dit que le caporal Olmstead-Guénette lui avait clairement indiqué qu’il n’avait jamais été encouragé à se battre. Il ne lui a jamais parlé de l’adjudant-maître Scotto D’Anielo de quelque manière que ce soit durant l’entrevue. Au final, il en ressortait une querelle entre deux amis où l’alcool avait joué un rôle significatif et les deux belligérants tentaient de minimiser l’altercation entre eux. Le caporal Lessard, un policier militaire présent en Pologne durant OP REASSURANCE, a également témoigné sur l’enquête qu’il a menée relativement à cette bataille suite à une plainte faite par l’accusé lui-même. Il a lui aussi rencontré les belligérants à quelques reprises. Le caporal Lessard a affirmé qu’il ne fut jamais question de l’accusé durant ces entrevues ou de paroles qu’il aurait pu prononcer de quelque manière que ce soit.

 

[6]               La défense a par la suite appelé trois personnes de la compagnie A qui étaient présents lors de la parade durant laquelle, ou après celle-ci où l’adjudant-maître aurait prononcé des paroles qui font l’objet du litige. L’adjudant Dodier était l’adjoint du peloton 3 de la compagnie A. À ce titre, il participait tous les matins aux parades orchestrées par l’accusé avec les membres de son peloton vers sept heures. Il prenait place devant son peloton. Il a témoigné qu’il entendait très bien ce que disait l’accusé lors de ces parades parce que l’adjudant-maître Scotto D’Anielo parlait assez fort pour que tous les gens présents comprennent ce qu’il avait à dire. En ce qui a trait aux incidents de bagarre impliquant les membres de son peloton, il se souvenait que le premier incident impliquait le caporal-chef agressé durant son sommeil qui aurait eu lieu au début du tour et d’un autre incident qui avait eu lieu plus tard sur le bord du feu près du quai entre deux amis. L’adjudant Dodier a affirmé que l’intervention de l’accusé au sujet des bagarres avait eu lieu peu après le premier incident. L’adjudant-maître Scotto D’Anielo aurait dit entre autres aux membres de la troupe que lorsque deux individus voulaient en venir aux coups, surtout après avoir consommé d’alcool, il valait mieux attendre au lendemain parce que les gens allaient être sobres et il leur serait plus facile de régler leurs différends. L’adjudant Dodier a compris que le message de l’accusé était de deux ordres : on ne veut pas de bagarres et si vous voulez vous battre, retirez-vous donc avant d’en venir aux coups. Selon ce témoin, l’accusé en appelait aux membres de la troupe pour qu’ils s’interposent si un des leurs voulait en venir aux coups, afin de le soustraire de la situation. Finalement, l’adjudant Dodier a affirmé qu’il n’a jamais été contacté par qui que ce soit pour donner sa version des faits dans le cadre d’une enquête disciplinaire visant l’accusé.

 

[7]               L’adjudant McDougall a aussi témoigné devant la cour. Lui aussi était membre de la compagnie A lors de l’OP REASSURANCE. Il était l’adjoint du peloton 1. Il corrobore les témoignages relatifs à la clarté des propos de l’accusé lorsqu’il s’adressait à la troupe lors des parades matinales. Il corrobore également le témoignage de l’adjudant Dodier relativement au moment où les incidents de bagarre durant le tour, soit celui de l’intrusion dans la chambre du caporal-chef durant son sommeil et celui impliquant Olmstead-Guénette et Proulx-Oloko sur le bord du feu près d’un lac. Il a témoigné de ce qu’il se souvient des paroles de l’accusé sur parade lorsqu’il s’est adressé à la troupe au sujet des bagarres. L’adjudant McDougall se rappelle que l’accusé avait eu vent de querelles entre les membres de la troupe et qu’il n’était vraiment pas content ce matin-là. Il se souvient que l’accusé s’est exprimé de la manière suivante aux membres de la troupe : « Si vous avez un verre dans le nez, repensez à vos affaires et allez-vous coucher. Si vous aviez envie de vous taper sur la gueule, l’envie va vous avoir passé! » L’adjudant McDougall retient de ces propos qu’il était inacceptable de régler ses problèmes au moyen de bagarres au sein d’une organisation cohésive comme la compagnie de parachutistes. Selon ce témoin, il était clair pour lui que l’accusé voulait que ça cesse et que c’était inacceptable. L’adjudant McDougall a pris le soin de répéter ces messages aux membres de son peloton peu après. Il se souvient que ces propos ont eu lieu lors de la parade qui a eu lieu peu après l’intrusion de nuit, dont il ne se souvient de la date, mais qui aurait eu lieu au début du mois d’août, alors que la troupe se préparait à partir en Allemagne pour un exercice. Il conclut en disant que personne ne l’a contacté dans le cadre d’une enquête relativement aux propos qu’aurait exprimés l’accusé et qui font l’objet du litige.

 

[8]               Le caporal Lauzon a été le dernier témoin appelé par la défense. Il était membre de la section de reconnaissance de la compagnie A durant OP REASSURANCE. Il a décrit le positionnement des membres de la troupe lors des parades matinales comme l’avait fait l’adjudant Dodier. En ce qui concerne l’allocution de l’accusé relatif aux bagarres, il mentionne qu’elle a eu lieu après la parade matinale formelle peu après l’incident de l’intrusion de nuit. Selon le caporal Lauzon, l’adjudant-maître Scotto D’Anielo leur a fait un pep talk en lançant un avertissement à ses troupes en leur disant que « Dans son temps, c’était de même que ça marchait, à se battre, mais que maintenant dans la nouvelle armée canadienne ça ne produisait plus comme ça ». Selon ses dires, l’allocution de l’adjudant-maître aurait duré entre 10 et 15 minutes. Il soutient qu’au début de son intervention, l’accusé a amené le tout d’une manière humoristique, mais qu’à la fin son message était clair. Si les gens avaient des problèmes à régler, il leur demandait d’aller sur le bord du quai et de régler cela entre adultes. De cette façon, il n’y aurait plus de problème. Selon sa compréhension, l’adjudant-maître ne voulait plus de batailles. Le caporal Lauzon a témoigné que les propos de l’accusé, l’adjudant-maître Scotto D’Anielo, ont un l’effet pour lui de le dissuader à se battre s’il en avait le goût et d’attendre au lendemain pour que la tension ne monte pas et ultimement régler ses différends sans l’utilisation de la force.

 

Analyse et Décision

 

[9]               Je vais traiter en premier lieu de la question de la présomption d’innocence et de la norme de preuve hors de tout doute raisonnable qui s’appliquent dans tous les procès. Le premier, et le plus important des principes de droit applicables à toutes les causes criminelles ou pénales, est la présomption d’innocence. Deux règles découlent de la présomption d’innocence. D’une part, il incombe à la poursuite d’établir la culpabilité de l’accusé. En second lieu, la culpabilité doit être établie hors de tout doute raisonnable. Ces règles liées à la présomption d’innocence visent à faire en sorte qu’aucune personne innocente ne soit déclarée coupable. À l’ouverture de son procès, l’adjudant-maître Scotto D’Anielo est présumé innocent et cette présomption ne cesse de s’appliquer que si la poursuite a présenté une preuve qui convainc la cour de sa culpabilité hors de tout doute raisonnable.

 

[10]           Le fardeau de la preuve appartient à la poursuite et n’est jamais renversé. L’adjudant-maître Scotto D’Anielo n’a pas le fardeau de prouver qu’il est innocent. Il n’a pas à prouver quoi que ce soit. Un doute raisonnable n’est pas un doute imaginaire ou frivole. Il n’est pas fondé sur un élan de sympathie ou un préjugé à l’égard d’une personne visée par les procédures. Au contraire, il est fondé sur la raison et le bon sens. Il découle logiquement de la preuve ou d’une absence de preuve.

 

[11]           Il est pratiquement impossible de prouver quoi que ce soit avec une certitude absolue, et la poursuite n’est pas tenue de le faire. Une telle norme serait impossible à satisfaire. Cependant, la norme de preuve hors de tout doute raisonnable s’apparente beaucoup plus à la certitude absolue qu’à la culpabilité probable. La cour ne doit pas déclarer l’adjudant-maître Scotto D’Anielo coupable à moins d’être sûre qu’il est coupable. Même si la cour croit que l’adjudant-maître Scotto D’Anielo est probablement coupable ou vraisemblablement coupable, cela n’est pas suffisant. Dans ces circonstances, la cour doit accorder à l’adjudant-maître Scotto D’Anielo le bénéfice du doute et le déclarer non coupable parce que la poursuite n’aurait pas réussi à convaincre la cour de sa culpabilité hors de tout doute raisonnable.

 

[12]           Si la preuve, l’absence de preuve, la fiabilité ou la crédibilité d’un ou plusieurs témoins soulèvent un doute raisonnable sur la culpabilité de l’adjudant-maître Scotto D’Anielo, la cour doit déclarer l’adjudant-maître Scotto D’Anielo non coupable.

 

[13]           Il n’est pas inhabituel que la preuve soit contradictoire ou que des préoccupations légitimes subsistent dans l’esprit de la Cour à la suite d’un témoignage ou qu’un témoignage soulève d’autres questions également laissées sans réponses. Il arrive que le témoignage d’un témoin comporte des contradictions ou que des témoins aient des souvenirs différents des événements. La Cour peut retenir entièrement ou en partie le témoignage d’un témoin, ou le rejeter en totalité. De nombreux facteurs influent sur la version des faits présentée par un témoin, dont le passage du temps, et le fait d’avoir été en mesure ou non d’observer tout – et avec précision – ce qui s’est passé.

 

[14]           On peut se poser plusieurs questions, par exemple : Le témoin a‑t‑il eu une bonne occasion de faire de telles observations? Dans quelles circonstances les observations ont elles été faites? Dans quel état se trouvait le témoin? L’événement lui‑même était‑il inusité ou courant? Le témoin semble‑t‑il avoir une bonne mémoire? Le témoin a‑t‑il des raisons de se souvenir des faits au sujet desquels il témoigne? L’incapacité ou la difficulté du témoin à se souvenir de certains faits est-elle authentique, ou semble‑t‑il ne s’agir que d’une excuse pour éviter de répondre aux questions? Le témoignage du témoin semble‑t‑il raisonnable et cohérent? Son témoignage est‑il semblable ou différent de celui donné par d’autres témoins sur les mêmes faits? Le témoin a‑t‑il dit ou fait quelque chose de différent auparavant? Les incohérences relevées dans son témoignage rendent-elles ses principaux éléments plus ou moins fiables ou dignes de foi? L’incohérence concerne-t‑elle un aspect important ou un détail mineur? Semble‑t‑il s’agir d’une erreur commise de bonne foi? S’agit‑il plutôt d’un mensonge délibéré? S’agit‑il d’une omission ou d’une contradiction avec une déclaration antérieure? Y a‑t‑il une explication à ce sujet? L’explication est-elle logique?

 

[15]           Le comportement du témoin est un autre facteur à prendre en compte; cependant, les apparences peuvent être trompeuses. Témoigner à un procès n’est pas une expérience courante pour bon nombre de témoins. Nous savons que les gens réagissent et se présentent différemment. Il y a simplement trop de variables pour que le comportement d’un témoin à la barre soit l’unique facteur ou le facteur le plus important dans la décision d’une Cour. En fin de compte, il appartient à la Cour de déterminer quels sont les éléments de preuve qu’elle juge crédibles et fiables. Il n’existe pas de formule magique permettant de déterminer quelle partie du témoignage d’un témoin est crédible et quel poids lui accorder dans la décision à rendre. La Cour peut se poser des questions comme : Est-ce que le témoin semblait honnête? Y a‑t‑il une raison pour laquelle ce témoin ne dirait pas la vérité? Le témoin a‑t‑il des raisons de rendre un témoignage plus favorable à une partie qu’à une autre?

 

[16]           La règle du doute raisonnable s’applique à la question de la crédibilité. À l’égard de toute question, la Cour peut croire un témoin, ne pas le croire ou être incapable de se prononcer à cet égard. Il n’est pas nécessaire qu’elle croie entièrement un témoin ou un groupe de témoins ou qu’elle ne leur prête aucunement foi. Si la Cour a un doute raisonnable quant à la culpabilité de l’accusé pour des motifs liés à la crédibilité des témoins, c’est donc que la poursuite n’est pas parvenue à démontrer la culpabilité hors de tout doute raisonnable.

 

[17]           Dans cette affaire, les éléments essentiels d’identité et de lieu de l’infraction ne sont pas en litige. Le fait que les propos étaient dirigés envers des justiciables du code de discipline militaire est également prouvé hors de tout doute raisonnable.

 

[18]           Les témoignages des personnes appelées par la défense sont tous crédibles et fiables. Ils n’ont aucun intérêt dans cette affaire et leurs témoignages sont directs et éloquents en plus d’être cohérents et logiques. En ce qui a trait aux témoins de la poursuite, leur version est problématique à plusieurs égards. Le caporal-chef Olmstead-Guénette est celui qui a attribué les propos litigieux à l’accusé dans le but de se sortir lui-même de mesures disciplinaires prises à son endroit suite à la plainte formulée par l’accusé. Lors de son contre-interrogatoire, le caporal-chef Olmstead-Guénette a reconnu clairement qu’après les paroles prononcées par l’adjudant-maître Scotto D’Anielo, il ne croyait pas qu’il était autorisé à se battre, mais plutôt qu’il devait régler ses problèmes au plus bas niveau au bord du lac, en silence. Il a affirmé qu’il n’a jamais été encouragé à se battre sur le bord du lac en Pologne. Le caporal Gauthier, lui, n’aime pas l’accusé et il se dit avoir été victime de représailles de sa part. Les propos qu’il attribue à l’accusé ne le dérangent aucunement. Il reconnaît ne pas avoir entendu certaines paroles de l’accusé qui lui ont été suggérées par la défense ou qu’il ne s’en souvient tout simplement pas. Finalement, le caporal-chef Léveillé tient un double discours. L’accusé aurait dit à la troupe ce qui suit : « Écoutez les gars, moi je n’ai pas de trouble à ce que vous régliez vos problèmes en arrière sur le quai, ça s’est déjà fait dans le passé, pif paf on a réglé ça et pis tsé asteure on est rendu des bons chums de chasse ». Il dit présumer que ce qu’il dit avoir entendu impliquait des contacts physiques, des coups de poing. Selon lui, les paroles de l’accusé justifiaient que s’ils avaient besoin de régler des problèmes entre eux, ils allaient être protégés si la force physique était utilisée et qu’ils avaient donc un certain droit d’y avoir recours. En contre-interrogatoire, il a dit n’avoir jamais entendu les mots « coups de poing » de la part de l’accusé. Mais, il aurait entendu l’accusé prononcer les mots « dans mon temps » et « bons chums de chasse ». Comme je l’ai dit plutôt, il soutient qu’il n’a pas pris les paroles de l’adjudant-maître Scotto D’Anielo au pied de la lettre et qu’il ne se serait pas battu suite à ses propos. Selon le caporal-chef Léveillé, l’intervention de l’accusé ce matin-là visait à ce qu’il n’y ait plus de bagarres entre les membres de la troupe et non un accroissement du nombre de bagarres. Si c’est le cas, comment peut-il souffler le chaud et le froid? Il est simplement incohérent de prétendre que l’accusé déçu de sa troupe en raison de bagarres et qui n’en veut plus, les encouragerait à le faire ou, pis encore, qu’une personne raisonnable utilise ces propos comme une permission tacite ou implicite d’avoir recours à la violence. En d’autres mots, il semblerait que certaines personnes entendent bien ce qu’elles veulent entendre ou n’écoutent tout simplement pas l’ensemble des propos ou les sortent de leur contexte pour leurs propres fins.

 

[19]           Il est opportun de souligner que l’accusé faisait aussi face à une accusation de s’être livré à des voies de faits en lien avec cette affaire et que ce chef d’accusation a été retiré par la poursuite au début du procès. Et j’apporte cette précision parce que lors de sa plaidoirie l’avocat de la défense a évoqué les conséquences directes que les accusations portées contre l’accusé ont eues sur lui, sa réputation et à l’égard de sa conjointe, une employée du Ministère de la Défense nationale, qui a vu sa cote de sécurité révoquée à la suite des accusations portées contre lui. Ce n’est pas rien. Sur la foi de la preuve de la poursuite uniquement, la cour aurait facilement eu un doute raisonnable relativement au caractère provocateur des propos de l’accusé et sur la question de savoir si ces propos étaient de nature à susciter une querelle dans les circonstances aux yeux d’une personne raisonnable. Or, la défense a choisi d’appeler une preuve qui n’était pas nécessaire, mais elle l’a fait dans le but avoué de démontrer à la cour que cette affaire n’aurait jamais dû aboutir devant la cour martiale si une enquête plus rigoureuse avait eu lieu relativement aux paroles prononcées par l’accusé. J’acquiesce avec la suggestion de la défense qu’il était pourtant si simple d’éviter tout cela. Par exemple, il aurait été facile de parler à chacun des adjudants de peloton de la compagnie A pour éviter les dérapages. L’adjudant-maître Scotto D’Anielo n’avait pas à prouver son innocence, mais il l’a fait. Il l’a fait pour rétablir sa réputation entachée. Cela ne doit pas être. Cela ne devrait pas être. Toute la preuve appelée par la défense était facilement disponible pour la poursuite ou à ceux qui ont choisi de mener cette affaire. Le fait que cette affaire ait pu se rendre devant un tribunal dans les circonstances soulève plusieurs questions. Si la cour avait entendu cette preuve dans le cadre d’une requête pour abus de procédures, elle élaborerait davantage sur le sujet, mais dans les circonstances la cour s’en tiendra au prononcé du seul verdict possible.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[20]           DECLARE l’adjudant-maître Scotto D’Anielo non coupable de l’accusation, soit querelle et désordre, porté aux termes de l’alinéa 86b) de la Loi sur la défense nationale.


 

Avocats :

 

Capitaine M.-A. Ferron pour le directeur des poursuites militaires

 

Major B.L.J. Tremblay et Capitaine D.G.N. Samson, service d’avocats de la défense, avocat de l’adjudant-maître L.A.S. Scotto D’Anielo

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