Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 11 décembre 2017

Endroit : Base de soutien de la 2e Division du Canada Valcartier, l’Académie, édifice 534, pièce 227, Courcelette (QC)

Chefs d’accusation :

Chef d’accusation 1 : Art. 130 LDN, voies de fait (art. 266 C. cr.).
Chef d’accusation 2 : Art. 130 LDN, agression sexuelle (art. 271 C. cr.).

Résultats :

VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 2 : Non coupable.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. Obele Ngoudni, 2017 CM 4019

 

Date : 20171215

Dossier : 201737

 

Cour martiale permanente

 

Base de soutien de la 2e division du Canada Valcartier

Garnison Valcartier (Québec), Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Caporal-chef F. Obele Ngoudni, accusé

 

 

En présence du : Capitaine de frégate J.B.M. Pelletier, J.M.


 

Par ordonnance de la cour rendue en vertu de l’article 179 de la Loi sur la défense nationale et de l’article 486.4 du Code criminel, il est interdit de publier ou de diffuser de quelque façon que ce soit tout renseignement qui permettrait d’établir l’identité de toute personne décrite dans le cadre des présentes procédures devant la cour martiale comme étant une victime, spécifiquement et non restrictivement la personne désignée à l’acte d’accusation par les initiales C.D.

 

MOTIFS DU VERDICT

 

(Oralement)

 

Introduction

 

[1]               Le caporal-chef Obele Ngoudni fait face à deux chefs d’accusation sous l’article 130 de la Loi sur la défense nationale (LDN) en lien avec des gestes qu’il aurait commis envers C.D., alors qu’ils faisaient tous deux parties d’une section d’ingénieurs de combat attachée à une compagnie parachutiste déployée en Pologne dans le cadre de l’Opération (Op) REASSURANCE à partir de juillet 2015. Le premier chef allègue qu’il s’est livré à des voies de fait, contrairement à l’article 266 du Code criminel, et le deuxième chef allègue une agression sexuelle, contrairement à l’article 271 du Code criminel.

 

La preuve

 

[2]               La poursuite n’a appelé qu’un seul témoin dans le cadre du procès, la victime alléguée. Lors de son interrogatoire par le procureur, C.D. a tout d’abord décrit les circonstances de son affectation sur l’Op REASSURANCE en Pologne, alors qu’elle était réserviste au 35e Régiment de Génie de combat. Elle a été avisée de cette affectation alors qu’elle était sur une tâche à Wainwright en Alberta en service de réserve de classe B auprès du 5e Régiment de Génie de Combat. Elle a participé à un court entraînement pré-déploiement avec les autres membres de sa section d’ingénieurs, qui étaient tous des hommes, tous membres de la Force régulière et tous des parachutistes. Le rôle de la section était de supporter une compagnie parachutiste d’infanterie. Elle a témoigné à l’effet que son intégration avait été correcte, incluant sa vie avec trois co-chambreurs masculins. Par contre, elle a dit que l’ambiance au sein de la section s’était détériorée suite à une blessure à la cheville, qu’elle a subie lors d’une marche forcée avec rucksack le vendredi 24 juillet 2015, moins de dix jours après son arrivée en Pologne. Elle a relaté deux incidents où des blagues de mauvais goût à caractère sexuel avaient été faites en sa présence, mais pas à son endroit. Elle a dit qu’à un certain moment, juste avant de quitter pour un congé au Canada le 30 septembre 2015, elle s’est confiée à l’officier des affaires publiques, personne-ressource pour les affaires de harcèlement et d’inconduites sexuelles en lien avec les situations difficiles qu’elle vivait. Suite à son retour de congé le 15 octobre, elle a été en mesure de verbaliser un certain nombre de griefs qui ont été mis par écrit dans une plainte datée du 26 octobre. Suite à cette plainte, C.D. a été réaffectée à une autre section et logée à un autre endroit. Elle a admis s’être éloigné de la section avant même sa réaffectation, préférant se tenir avec le caporal Jung, une amie policier militaire avec qui elle voyageait au cours des week-ends de congé pour visiter des sites touristiques en Pologne ou dans les pays limitrophes. D’autres policiers militaires partageaient le transport et certains temps libres avec elles.

 

[3]               En ce qui concerne les agressions alléguées, C.D. a témoigné à l’effet qu’entre le 27 et le 31 juillet 2015, alors qu’elle se déplaçait avec une canne en conséquence de sa blessure, elle quittait sa chambre pour se rendre accomplir une tâche de menuiserie en compagnie des autres membres de la section à l’extérieur lorsqu’elle a vu le caporal-chef Obele Ngoudni sortir de sa chambre derrière elle. Marchant lentement en raison de sa condition, elle a témoigné à l’effet que le caporal-chef Obele Ngoudni lui avait infligé un sévère coup de pied au derrière, ayant senti l’impact de sa botte entre son anus et son coccyx, un coup qui l’a gelé jusque dans la colonne. Elle s’est immédiatement retournée et a fixé le caporal-chef Obele Ngoudni avec un air interrogateur, celui-ci répondant en semblant minimiser son geste, à l’effet de ne pas mal prendre ça, que le coup n’était pas si fort. Elle n’était pas d’accord, disant que ça avait sonné. Le caporal-chef Obele Ngoudni aurait alors ri et l’incident s’est clos dans l’incompréhension de la part de C.D., qui ne comprenait pas pourquoi le caporal-chef Obele Ngoudni s’était permis d’entrer ainsi dans sa bulle. Elle ne s’est pas plainte de l’évènement, mentionnant qu’elle n’avait pas confiance en sa chaîne de commandement, qu’elle a décrit comme étant composée de ses supérieurs immédiats au sein de la section, c’est-à-dire le caporal-chef Giocondese et les sergents Ferdinand et Arseneau-Verret.

 

[4]               C.D. a aussi décrit un second incident, s’étant déroulé selon elle entre le 30 août et le 4 septembre 2015, alors qu’elle s’afférait à réaliser des travaux de menuiserie dans un espace dédié à ce genre de tâches, juste à l’extérieur de la baraque où elle et les membres de sa section logeaient. Alors qu’elle portait une botte de marche à la cheville, obtenue des services médicaux, elle travaillait à monter un meuble lorsqu’elle a fait tomber la perceuse à batterie dont elle avait besoin. Se penchant pour la ramasser, elle a senti un morceau de métal s’appuyer sur son postérieur au niveau de l’anus, dans la craque des fesses. Elle s’est retournée et a alors vu le caporal-chef Obele Ngoudni derrière elle. Il tenait une équerre de métal dans les mains, assis sur une buche, près de la table. Elle a ajouté que le caporal-chef Obele Ngoudni avait dit « Toc » alors qu’il l’a touché avec l’équerre, ce qu’elle considère être la preuve que son geste était volontaire. Après s’être retournée vers le caporal-chef Obele Ngoudni elle était très fâchée et a même vu noir, constatant que le caporal-chef Obele Ngoudni riait de la situation. Elle s’est éloignée momentanément pour reprendre son calme. Elle a mentionné que deux membres de la section étaient près lorsque cet évènement s’est produit, se souvenant précisément que le caporal Leroux-Lauzière était alors afféré à scier une pièce de bois, tenue par un autre membre de la section dont elle ne se souvient pas de l’identité. Selon elle, ceux-ci étaient trop afférés à leurs tâches pour avoir connaissance de ce qui s’était passé. Elle ne s’est pas plainte suite aux évènements, mentionnant encore une fois qu’elle n’avait pas confiance en sa chaîne de commandement immédiate.

 

[5]               C.D. a témoigné avoir parlé pour la première fois de son insatisfaction en lien avec sa situation et avec certains évènements désagréables qu’elle vivait lors de sa conversation avec l’officier des affaires publiques juste avant de quitter en congé le 30 septembre 2015. Les évènements de violence décrits ci-haut étaient mentionnés dans sa plainte de harcèlement du 26 octobre 2015, mais ont été l’objet d’une enquête de la police militaire subséquemment, ce qui a débouché sur les accusations actuelles contre le caporal-chef Obele Ngoudni.

 

[6]               En contre-interrogatoire, C.D. a été interrogée longuement sur des déclarations qu’elle a fournies suite aux évènements, en commençant par sa plainte écrite de harcèlement, dans laquelle elle énumère plusieurs griefs contre plusieurs membres de la section ingénieur, incluant les évènements qui soutiennent les accusations devant cette cour, mentionnées au paragraphe 4 de sa plainte qui compte 19 paragraphes. Cette plainte a été rédigée suite à une ou des rencontres avec l’officier des affaires publiques et un autre officier au retour de C.D. de son congé, pour faire suite à la discussion qu’elle avait eu avec l’officier des affaires publiques avant son départ. On a aussi référé C.D. à une déclaration donnée à deux policiers militaires du contingent canadien le 12 novembre 2015 et une autre donnée aux mêmes policiers le 16 décembre 2015. De plus, on a référé C.D. à un document du 29 Octobre 2015 en lien avec la plainte de harcèlement écrite 3 jours plus tôt, mais portant plus spécifiquement sur ses perceptions en tant que plaignante. En règle générale, C.D. a offert une ou des explications en lien avec les incohérences ou omissions suggérées par l’avocat de la défense en contre-interrogatoire. C.D. a aussi été interrogée sur les faits qui se sont produits, supportant la version donnée en interrogatoire direct. Elle a admis avoir eu certaines difficultés avec sa condition physique au moment de son arrivée en Pologne, mais a nié toute suggestion à l’effet que des situations conflictuelles ont pu survenir, entre autres avec le caporal-chef Obele Ngoudni, en raison de ses performances qui n’auraient pas toujours été à la hauteur. Elle a mentionné avoir eu une altercation avec le caporal-chef Obele Ngoudni dans le cadre d’un exercice de démolition et a affirmé que malgré le bris de sécurité allégué, ses gestes ne généraient aucun danger réel. La situation a été résolue suite à des explications en présence d’un supérieur.

 

[7]               La défense a appelé d’autres membres de la section du caporal-chef Obele Ngoudni, en commençant par deux personnes en position de supervision : le sergent Arseneau-Verret et le caporal-chef à la retraite Giocondese. Ceux-ci ont partagé leurs observations en ce qui concerne la performance et surtout l’attitude de C.D. lors du déploiement en Pologne, du moins jusqu’à ce que celle-ci soit retirée de la section d’ingénieurs au retour de son congé. Le sergent Arseneau-Verret, commandant de la section, a décrit plusieurs manquements de la part de C.D. dans l’exécution de tâches, incluant un bris de sécurité soulevé par le caporal-chef Obele Ngoudni au cours d’un exercice de démolition. Il a aussi décrit le refus de C.D. d’accepter l’aide offerte, insistant pour mentionner qu’elle connaissait sa job et allant même jusqu’à blâmer des militaires plus expérimentés devant la troupe lorsque ses manquements étaient révélés. En contre-interrogatoire, le sergent Arseneau-Verret a décrit avoir imposé une mesure plus formelle décrite comme étant une « partie 5 » suite à la piètre performance de C.D. sur la première course de compagnie le 20 juillet, premier lundi en déploiement. Il était aussi présent lors de la blessure subie le 24 juillet et a mentionné qu’à chaque fois que C.D. revenait en devoir sans restriction médicale et participait aux exercices de conditionnement physique, elle se rendait invariablement au médical par la suite pour obtenir une restriction subséquente pour un autre deux semaines. Pour sa part, M. Giocondese a dit avoir été assigné pour aider C.D. dans les exercices physiques considérant les défaillances qui avaient été observées. En ce qui a trait aux travaux de menuiserie, ces deux témoins ont dit que C.D. participait peu aux travaux, malgré les efforts pour l’inclure dans les projets, en dépit de ses restrictions médicales. Ils n’ont pas eu connaissance de l’incident de l’équerre. Personne ne leur a rapporté de quelconques incidents envers C.D. impliquant une équerre, un coup de pied au derrière ou de quelconques propos déplacés de la part du caporal-chef Obele Ngoudni ou d’autres personnes. Malgré les efforts des avocats pour placer certains évènements dans le temps, ces témoins étaient généralement incertains en ce qui concerne les dates précises sauf que le sergent Arseneau-Verret a été en mesure d’expliquer la séquence des évènements ayant occupé la section à partir de leur arrivée en Pologne le 15 juillet 2015.

 

[8]               Par la suite, la défense a fait entendre quatre collègues du caporal-chef Obele Ngoudni et de C.D., au même niveau hiérarchique. Ils ont tous dit ne pas avoir eu connaissance de quelconques incidents concernant une équerre ou un coup de pied au derrière, à l’exception du caporal Bédard qui n’a pas été interrogé là-dessus. Ils ont tous dit ne pas avoir entendu de quelconques propos déplacés envers C.D., bien que certains aient admis que des blagues ayant des connotations vulgaires ou sexuelles étaient quelquefois échangées. Par contre, aucun de ces témoins n’a été en mesure de confirmer la présence de C.D. à ces moments-là. Deux de ces témoins particulièrement actifs au niveau de la menuiserie ont dit que C.D. ne participait que sporadiquement aux travaux de menuiserie. Une certaine emphase a été mise sur le moment auquel les travaux de menuiserie ont débuté par rapport au début du déploiement et au premier exercice multinational à l’horaire. Bien que le sergent Arseneau-Verret eut dit qu’il n’y avait pas de temps pour ce genre de travaux avant le retour du premier exercice en août 2015, les subordonnés plus souvent afférés à ces tâches n’ont pas été aussi catégoriques, certains témoignant à l’effet que de petits travaux avaient lieu dès le début de la rotation, d’autres ne pouvant se souvenir de quand les travaux de menuiserie ont débuté.

 

[9]               La défense a également appelé le caporal Marie-Ève Jung, de la police militaire, qui a confirmé s’être liée d’amitié avec C.D. alors qu’elles étaient toutes deux déployées en Pologne de l’été 2015 à février 2016. Elle a confirmé que les deux voyageaient souvent ensemble les week-ends de congé. Elle a mentionné que malgré qu’elle ait dévoilé cette amitié à ses supérieurs, elle s’est vu assigner à l’enquête ayant donné lieu aux accusations devant la cour le 3 mai 2016, alors qu’elle était de retour au travail à Valcartier. Par contre, elle n’a pas contribué significativement à la progression de l’enquête. Le caporal-chef Obele Ngoudni ayant refusé de la rencontrer, son rôle s’est limité à informer C.D. de la progression de l’enquête.

 

[10]           La défense a finalement appelé l’accusé, le caporal-chef Obele Ngoudni. Dès le début de son témoignage, celui-ci a nié en bloc que les deux évènements sujets des accusations se soient produits. La majeure partie des réponses aux questions de son avocat ont servi à établir une ligne de temps expliquant où il se trouvait à des moments précis, en se basant, signe des temps, sur les photos contenues dans son téléphone, montrant ses occupations pendant son déploiement en Pologne, incluant pendant les jours où la preuve de la poursuite révèle que les infractions auraient été commises. Il a offert en preuve l’impression de prises d’écran de onze de ces photos. Il a également offert en preuve l’impression d’une prise d’écran issue du logiciel Monitor Mass en usage au sein de l’armée révélant les jours où il a sauté en parachute, ainsi que des copies de deux certificats qui lui ont été conférés suite à des sauts à certaines dates. Se faisant, il a établi, en lien avec le premier évènement, qu’il n’était à Glébokie que du 27 au 29 juillet, dates incluses dans la fenêtre où C.D. a mentionné que cet incident avait eu lieu, bien qu’une journée entre ces dates ait été consacrée à une visite de l’endroit où il se trouvait en exercice dès les petites heures du matin le 30 juillet. En lien avec le 2e évènement, il a soutenu en se basant sur les photos prises qu’il n’était pas du tout à Glébokie entre le 30 août et le 4 septembre, dates auxquelles C.D. a mentionné que cet incident avait eu lieu, considérant qu’il s’était rendu à un camp de saut de l’armée polonaise au plus tard le 30 août, qu’il avait reçu l’instruction requise sur l’équipement polonais le 31 août et avait effectué son saut le 1er septembre, quittant pour le long voyage de retour vers Glébokie le 4 septembre, suite à une cérémonie de remise de certificats ce jour-là. Le caporal-chef Obele Ngoudni a témoigné sur sa relation avec C.D., décrivant l’incident de l’exercice de démolition comme étant la seule occasion conflictuelle entre les deux. Il a finalement fourni certains renseignements sur sa carrière militaire et sa situation familiale, présentant une preuve de bonne réputation.

 

[11]           En contre-interrogatoire, le caporal-chef Obele Ngoudni a été interrogé sur les dates d’autres évènements au cours de son déploiement. Il a nié avoir fait des blagues de nature sexuelle et même d’en avoir entendu lors du déploiement en Pologne, expliquant que suite aux multiples présentations sur le sujet du harcèlement et des inconduites à caractère sexuel, tous marchaient les fesses très serrées. Il a concédé qu’il était possible qu’il eut suivi C.D. dans le corridor à un moment donné et qu’il ait réalisé des travaux de menuiserie en sa présence, mais il a encore une fois nié que les gestes répréhensibles faisant l’objet des accusations se soient produits.

 

L’évaluation de la preuve

 

Questions en litige

 

[12]           Les parties ont consacré leurs efforts en plaidoirie essentiellement sur la question de savoir si la preuve est suffisante pour prouver hors de tout doute raisonnable que les gestes allégués ont effectivement été posés par le caporal-chef Obele Ngoudni, aux dates présentées en preuve. Considérant qu’à la suite du procès il n’y a que deux témoins qui se sont prononcés sur la survenance ou non de ces évènements, C.D. et le caporal-chef Obele Ngoudni, il est clair que ce qui est en litige dans ce procès est la détermination que je dois faire sur la base des faits en ce qui a trait à la crédibilité et la fiabilité du témoignage de ces deux personnes.

 

L’évaluation de la crédibilité

 

[13]           La Cour suprême a reconnu dans l’arrêt R. c. R.E.M., 2008 CSC 51 que l’évaluation de la crédibilité est un exercice difficile et délicat qui ne se prête pas toujours à une énonciation complète et précise. 

 

[14]           Pour juger de la crédibilité d’une personne, le juge du procès doit se fier sur une myriade de facteurs. Certains sont propres à la personne dont la crédibilité est évaluée, c’est-à-dire son comportement ou son attitude à la barre. D’autres s'étendent au-delà de l'évaluation du témoignage pour porter sur la présence ou l’absence d’indices de véracité tels que la cohérence, la vraisemblance, le manque de motivation à concocter, etc. L’évaluation de la crédibilité ne relève pas de la science exacte. Les impressions du juge du procès sont basées entre autres sur son expérience, sa logique et son intuition en lien avec la manière dont la preuve lui a été présentée. Même s’il peut être difficile de décrire avec précision l’enchevêtrement complexe des impressions qui se dégagent de l’observation et de l’audition des témoins, ainsi que des efforts de conciliation des différentes versions des faits, le juge du procès a l’avantage de pouvoir observer et entendre les témoins et est le mieux placé pour arriver à des conclusions justes et appropriées.

 

[15]           Je vais tenter d’être aussi précis que possible dans mes observations sur la crédibilité de manière à ce qu’on puisse bien comprendre mes conclusions, surtout considérant le respect que je dois aux personnes impliquées ainsi qu’aux membres des Forces armées canadiennes qui ont un intérêt légitime dans les procédures devant la cour martiale.

 

[16]           En tant que juge des faits, je peux accepter ou rejeter rien, une partie ou la totalité de la preuve offerte par un témoin entendu au cours du procès. L’évaluation de la fiabilité ou de la crédibilité n’a pas à être réalisée sur la base de tout ou rien. Un témoin peut être considéré comme fiable sur certains aspects et non fiable sur d'autres. Cependant, il est entendu que pour soutenir une déclaration de culpabilité, le témoignage doit être fiable et capable de supporter le fardeau de la preuve sur une question spécifique ou dans son ensemble. Le tribunal doit évaluer la preuve de chaque témoin, à la lumière de l'ensemble de la preuve, sans aucune présomption, sauf la présomption d'innocence.

 

[17]           La chose la plus importante à retenir sur la crédibilité est qu’il ne s’agit pas d’un concours entre C.D. et le caporal-chef Obele Ngoudni. En effet, en tant qu’accusé ce dernier est présumé innocent, non seulement avant et au début du procès, mais également tout au long du procès. Ce n’est pas parce que j’ai pu être impressionné par le témoignage de C.D. au début du procès, considérant sa franchise et sa spontanéité, que le fardeau de la preuve s’est dès lors transféré sur les épaules du caporal-chef Obele Ngoudni. Ce fardeau est toujours resté sur les épaules de la poursuite. Je ne peux aucunement présumer de la culpabilité avant la fin de la preuve et des plaidoiries. Avant que je puisse déclarer un accusé coupable, je dois être convaincu, hors de tout doute raisonnable, de l’existence de tous les éléments essentiels des infractions qui lui sont reprochées. La norme de preuve hors de tout doute raisonnable est inextricablement liée à la présomption d’innocence, un principe fondamental régissant tous les procès criminels. Cette norme s’applique à l’évaluation de la crédibilité. Donc, si j’en viens à conclure que deux témoins affirmant le contraire l’un de l’autre sont également crédibles et que je ne sais qui croire, cela voudra dire que la poursuite n’aura pas été en mesure de déplacer la présomption d’innocence dont jouit l’accusé et je devrai le déclarer non coupable.

 

[18]           Je ne dois donc pas arriver à un verdict en décidant si je crois la preuve de la défense ou la preuve de la poursuite. Lorsque des témoignages contradictoires sont rendus, la démarche à suivre est celle mentionnée par les deux avocats lors de leur plaidoirie sur la base de l’arrêt R. c. W.(D.), [1991] 1 R.C.S. 742, où la Cour suprême du Canada à la page 757 explique la méthode d’évaluation de la crédibilité que les juges des faits doivent suivre pour respecter l’obligation fondamentale imposée à la poursuite de faire la preuve des infractions hors de tout doute raisonnable. Si je crois le témoignage de l’accusé à la lumière de toute la preuve, je dois l’acquitter; si je ne crois pas le témoignage de l’accusé, mais qu’il suscite en moi un doute raisonnable, je dois également l’acquitter. Finalement, même si le témoignage de l’accusé ne suscite en moi aucun doute, je dois me demander si, compte tenu de la preuve que j’accepte, je suis convaincu de la culpabilité de l’accusé hors de tout doute raisonnable.

 

[19]           Quant au sens de l’expression « hors de tout doute raisonnable », la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt R. c. Lifchus, [1997] 3 R.C.S. 320, nous indique qu’un doute raisonnable n’est ni imaginaire ni frivole, et ne doit reposer ni sur la sympathie ni sur un préjugé. Il s’appuie plutôt sur la raison et le bon sens, et repose logiquement sur la preuve ou l’absence de preuve. Il ne me suffit pas, en tant que juge des faits, de croire que l’accusé est probablement ou vraisemblablement coupable. En pareilles circonstances, ce dernier doit se voir accorder le bénéfice du doute et être acquitté parce que la poursuite ne m’aura pas convaincu de sa culpabilité hors de tout doute raisonnable. D’un autre côté, je dois garder à l’esprit qu’il est virtuellement impossible de prouver quoi que ce soit avec une certitude absolue, et la poursuite n’y est pas tenue.

 

La crédibilité de l’accusé

 

[20]           Le caporal-chef Obele Ngoudni a témoigné pour sa défense. Lorsqu’interrogé par son avocat, sa déposition était franche, claire et directe. Il s’agit d’un homme qui s’explique clairement, de manière logique et complète. Lors du contre-interrogatoire, il a fourni des réponses pouvant paraître évasives alors qu’il a manifesté à quelques reprises certains signes d’impatience, mentionnant entre autres qu’il ne « [pouvait] pas répondre à cette question-là » lorsqu’il était confronté à des questions plus pointues. Ceci étant dit, certaines questions étaient effectivement difficiles à répondre de par leur formulation alambiquée. Dans les circonstances, on peut comprendre une certaine prudence, qui ne doit pas automatiquement être assimilée à une volonté claire d’éviter de répondre. Les signes d’impatience qu’il a démontrés me portent à croire que le caporal-chef Obele Ngoudni est prompt, mais cette caractéristique ne le rend pas non crédible pour autant. Il a quand même gardé son calme, même lorsque confronté à des questions très personnelles sur son comportement antérieur.

 

[21]           Le témoignage du caporal-chef Obele Ngoudni concordait avec d’autres éléments de preuve, surtout en ce qui a trait à la séquence des activités de la section dans les premiers mois du déploiement en Pologne. Je suis conscient que la preuve relative à ces activités a été présentée en grande partie par les témoins de la défense avant le témoignage de l’accusé. Il n’est donc pas surprenant qu’il y ait concordance. Sauf que le caporal-chef Obele Ngoudni n’est pas arrivé les mains vides. Les prises d’écran imprimées de ses photos et du logiciel Monitor Mass confèrent de la crédibilité à son témoignage en ce qui concerne la ligne de temps pertinente, incluant pendant les jours où la preuve de la poursuite révèle que les infractions auraient été commises. Malgré les doutes soulevés par la poursuite sur la fiabilité de ces preuves qui auraient pu être fabriquées, je suis d’avis que ces documents ne sont pas moins fiables que les notes prises par un témoin de manière contemporaine à un évènement et qui sont utilisées pour assister un témoignage rendu beaucoup plus tard. Le caporal-chef Obele Ngoudni a été en mesure de témoigner précisément sur certaines dates à l’aide de ces documents. Bien que des documents de ce type ne puissent possiblement pas suffire pour prouver un fait contesté hors de tout doute raisonnable, ils sont suffisamment fiables pour conférer de la crédibilité à un témoignage.

 

[22]           Certains diront qu’il est facile pour un accusé de nier en bloc de manière convaincante. Peut-être, sauf qu’on doit se rappeler que cela peut être la vérité. Un accusé se croyant injustement accusé sur la base de quelque chose qui selon lui ne s’est pas produit a le droit de témoigner à cet effet pour le dire. Considérer un tel témoignage suspect en soi irait à l’encontre de la présomption d’innocence. Sur la base de son témoignage et à la lumière de l’ensemble de la preuve, je ne suis pas en mesure de conclure que le caporal-chef Obele Ngoudni n’est pas crédible.

 

La crédibilité des témoins de la défense

 

[23]           En ce qui a trait aux témoins de la défense qui servaient au sein de la section d’ingénieurs avec le caporal-chef Obele Ngoudni, je suis conscient que je me dois d’être très prudent en évaluant leur crédibilité considérant les liens de proximité qu’ils entretenaient et entretiennent encore avec l’accusé et, pour la plupart, le potentiel significatif d’animosité que ceux-ci peuvent entretenir envers C.D., qui a formulé une plainte de harcèlement contre plusieurs d’entre eux. Je ne vois pas l’utilité de commenter en détail sur la crédibilité de chacun des témoins de la défense, considérant qu’aucune des conclusions que je suis appelé à formuler sur la culpabilité ou non de l’accusé n’est basée exclusivement sur l’un de ces témoignages. Je tiens à préciser que le degré de fiabilité du témoignage des confrères du caporal-chef Obele Ngoudni était très faible en ce qui concerne les détails tels que sur les dates et les durées des évènements, considérant surtout le temps qui s’est écoulé depuis ceux-ci. Ceci étant dit, je n’ai pas de raisons de douter de la franchise des témoins de la défense sur certaines questions de faits périphériques. C’est le cas entre autres des moments, du type et de la participation aux travaux de menuiserie ainsi que des activités générales de la section. En ce qui concerne le caporal Jung, je ne doute pas de sa crédibilité, mais l’impact de son témoignage est limité et n’apporte rien de bien nouveau considérant l’ensemble de la preuve.

 

La crédibilité et la fiabilité du seul témoin de la poursuite

 

[24]           C.D. a témoigné de manière franche et objective et sans animosité excessive envers l’accusé. En tant que seule témoin de la poursuite, elle s’est vu conférer un rôle difficile en ce qui a trait à la preuve d’éléments plus techniques tels que les dates des infractions. Elle a témoigné de manière détaillée en fournissant les éléments de preuve requis, et ce, en motivant les détails de son témoignage adéquatement, admettant sans détour lorsque sa mémoire ne lui permettait pas de conclure sur un fait en particulier. Malgré les meilleurs efforts de l’avocat de la défense pour soulever de nombreuses contradictions alléguées lors d’un long et rigoureux contre-interrogatoire, C.D. a pris le temps de lire ses déclarations antérieures et a expliqué la plupart des contradictions soulevées sans perdre son calme.

 

[25]           Ceci étant dit, je note que le témoignage qu’elle a rendu devant moi au procès diffère de ce qu’elle a précédemment déclaré en ce qui a trait à trois éléments que je considère significatifs. Premièrement, elle a mentionné au procès être certaine que le premier évènement du coup de pied s’est déroulé entre le 27 et le 31 juillet parce qu’elle marchait avec une canne à ce moment-là, et qu’elle a eu cette canne qu’entre ces deux dates. Pourtant, le 12 novembre 2015, elle a déclaré aux policiers qu’elle était en béquilles à ce moment. Deuxièmement, encore lors de cette déclaration le 12 novembre, elle a dit que le deuxième évènement avait eu lieu une semaine après le premier alors qu’elle a témoigné au procès que le deuxième évènement se serait produit du 30 août au 4 septembre, soit environ un mois après le premier évènement. Finalement, je note que son témoignage est à l’effet que lors du deuxième évènement, le caporal Leroux-Lauzière était occupé à scier tout près à l’autre extrémité de la table de menuiserie avec un autre membre de la section dont elle ne se souvenait pas de l’identité. C’était la première fois que cette distinction était faite entre deux personnes et le reste de la section. Dans ses déclarations antérieures, elle mentionnait que tous les membres de la section faisaient des travaux de menuiserie. Je suis conscient qu’il s’agit là d’une possible omission dans les déclarations antérieures, mais ce changement dans la description des évènements m’amène à m’interroger sur la fiabilité du témoignage de C.D.

 

[26]           Je suis également conscient que lors de son témoignage, C.D. m’a semblé très prudente en ce qui a trait à ce qu’elle devait exprimer par rapport à toute faute ou mésentente. Elle a résisté aux suggestions à l’effet qu’il y avait eu des conflits au sein de la section. Elle a semblé minimiser toute faute qu’elle pourrait avoir commise, entre autres lors de l’exercice de démolition, mais chose plus rare a également minimisé toute faute que d’autres pourraient avoir commis, entre autres en lien avec les relations de travail qui s’étaient détériorées selon elle dans la section. Elle m’a semblé vouloir épargner des gens ou des institutions, et ce, en faisant ce qu’on s’attendait d’elle comme témoin de la poursuite, c’est-à-dire présenter le narratif des deux évènements reprochés au caporal-chef Obele Ngoudni. Dans le contexte où le présent dossier provient d’une plainte de harcèlement qu’elle a rédigé suite à des rencontres avec une et ensuite deux officiers supérieurs, il appert que l’affaire a pris des proportions inattendues pour elle, ce qu’elle a d’ailleurs confirmé en contre-interrogatoire. Je crois qu’à un certain moment un train s’est mis en marche et elle est devenue l’un des wagons.

 

[27]           Je tiens compte également de la preuve à l’effet que suite à sa plainte de harcèlement le 26 octobre, ce sont les policiers militaires du contingent canadien de l’Op REASSURANCE qui ont proactivement communiqué avec C.D. pour parler du contenu du paragraphe 4 de sa plainte, qui faisait état de gestes de nature physique attribués au caporal-chef Obele Ngoudni. Il appert qu’à ce moment, ces policiers n’étaient pas des inconnus pour C.D. La preuve révèle que C.D. passait de nombreux week-ends en voyages touristiques dans des destinations européennes à proximité en compagnie de sa bonne amie le caporal Jung et voyageait vers ces endroits avec d’autres membres de la police militaire. Certains extraits des entrevues avec les deux policiers militaires révèlent certains encouragements, par le supérieur et en présence d’un policier qui semblait assez proche d’elle pour permettre l’échange de certaines familiarités, ce qui est entièrement compréhensible considérant le temps qu’elle passait avec ce groupe de gens qui semblait, en réalité, constituer le principal et possiblement seul filet social de C.D. lors de son déploiement. Je dois donc être conscient que C.D., considérant la préférence pour la bonne entente manifestée lors de son témoignage, ait pu ne pas vouloir décevoir ses interlocuteurs dans ses déclarations, qui ont mené à des accusations et à son témoignage devant la cour.

 

Analyse

 

[28]           Considérant la question en litige identifiée ci-haut, je ne vois pas l’utilité d’exposer les éléments essentiels des infractions en détail, d’autant plus que les éléments essentiels de ce type d’accusation sont bien connus. Le présent dossier repose essentiellement sur la crédibilité. Je crois pouvoir disposer de la question simplement en expliquant pourquoi la preuve est selon moi suffisante ou non pour prouver hors de tout doute raisonnable que les gestes allégués ont effectivement été posés par le caporal-chef Obele Ngoudni, aux dates alléguées en preuve. Se faisant, je dois me rappeler, tel que mentionné plus tôt, que la notion de doute raisonnable s’applique aux questions de crédibilité.

 

[29]           Ici, un élément essentiel pour chacune des infractions est le moment, soit les dates, des infractions alléguées. Les dates mises en preuve diffèrent de dates alléguées dans les détails de l’acte d’accusation, mais l’acte d’accusation ne constitue pas une preuve. Ce qui compte c’est ce qui a été dit par C.D.

 

[30]           Pour le premier chef associé à l’évènement du coup de pied, C.D. a affirmé clairement à de nombreuses reprises que cet évènement se serait produit entre le 27 et le 31 juillet 2015. Elle a témoigné être certaine de ces dates parce qu’elle se souvenait qu’elle manipulait une canne au moment d’être frappée et a dit avoir utilisé une canne uniquement entre ces dates. La preuve révèle que l’accusé était sur les lieux pendant quelques jours durant cette période. Sauf que je dois me demander si je peux me fier à la preuve de C.D. sur ces dates pour conclure que l’élément temporel du moment des infractions a été prouvé hors de tout doute raisonnable. Du moment où le témoignage de C.D. est basé sur son souvenir qu’elle se déplaçait avec une canne, la crédibilité et fiabilité de ce témoignage repose sur cet aspect, surtout considérant que le témoignage a lieu plus de deux ans après les faits. Par contre, dans une déclaration antérieure le 12 novembre 2015, soit un peu plus de trois mois après les faits, C.D. disait qu’elle était en béquilles au moment où elle a reçu le coup de pied du caporal-chef Obele Ngoudni.

 

[31]           Je dois ajouter que la trame narrative soutenue par C.D. est préoccupante. Elle mentionne qu’elle a quitté sa chambre à la suite ou peu de temps après ses confrères alors qu’ils se rendaient tous faire des travaux de menuiserie à l’arrière du bâtiment. Sauf que la preuve que j’accepte est à l’effet qu’il y avait peu de travaux de menuiserie en cours à ce moment, en raison des préparatifs préalables au départ pour la première tâche opérationnelle significative impliquant la section, c’est-à-dire la pratique d’avance de compagnie avec munitions réelles, nécessaire préliminaire à l’Exercice ALLIED SPIRIT II devant se tenir en Allemagne quelques jours après. Même si j’accepte que C.D. a pu être exclue des tâches de préparation pour être affectée à des travaux de menuiserie en raison de sa blessure, il est surprenant qu’elle n’ait pas relaté le tourbillon d’activités qu’il devait y avoir à ce moment. À l’entendre, tout ce qui se passait pour tous les membres de la section était des travaux de menuiserie. Ceci ne concorde pas avec le reste de la preuve. Conséquemment, je ne peux pas faire autrement que d’avoir un doute sur le moment pertinent au premier chef d’accusation. À la lumière de ce témoignage constituant la totalité de la preuve de la poursuite sur cette question, je me dois de conclure que la preuve n’a pas été faite hors de tout doute raisonnable du moment de l’infraction alléguée.

 

[32]           En ce qui a trait au deuxième chef d’accusation, la preuve apportée par le seul témoin de la poursuite est à l’effet que l’incident de l’équerre aurait eu lieu entre le 30 août et le 4 septembre. Par contre, le caporal-chef Obele Ngoudni a témoigné de manière crédible et supporté par des documents à l’effet qu’il n’était pas au camp Glébokie entre ces dates. Encore une fois, la seule conclusion qui s’impose est que cet élément n’a pas été prouvé hors de tout doute raisonnable en ce qui a trait au deuxième chef.

 

[33]           Je m’en voudrais de disposer de ce dossier simplement sur la question plutôt technique des dates des infractions. En réalité, la version de C.D. suscite en moi certains doutes au niveau de la vraisemblance que je dois exprimer. Tel que mentionné par l’avocat de la défense, les gestes allégués, surtout le premier incident où le caporal-chef Obele Ngoudni aurait asséné un violent coup de pied par-derrière à une consœur blessée qui se déplaçait avec peine à l’aide d’une canne, constituent un geste d’une grande méchanceté qui est contraire à toute notion de comportement acceptable au sein des Forces armées canadiennes (FAC). Pourtant, la poursuite n’a présenté aucune preuve d’un quelconque contexte pouvant fournir un début d’explication pour ce geste qui autrement est complètement irrationnel, surtout dans le contexte où les membres de la section, incluant le caporal-chef Obele Ngoudni, venaient de recevoir diverses présentations sur l’importance d’un comportement exemplaire, à la lumière des préoccupations sur la question du harcèlement et autres comportements inappropriés, principalement, mais non exclusivement, en matière sexuelle. Le seul début de contexte fourni par la poursuite est à l’effet que C.D. était la seule femme, la seule réserviste et le seul membre de la section qui n’était pas parachutiste. Sauf que ces faits n’ont pas été suivis d’une quelconque preuve à l’effet que ces différences puissent avoir donné lieu à des gestes de discrimination ou de traitement inapproprié ou même inéquitable de la part de ses collègues. Aucun geste du genre n’a été plaidé par la poursuite. Il m’est impossible en partant de ces faits d’arriver à rationaliser la conduite alléguée de la part du caporal-chef Obele Ngoudni, d’autant plus que la preuve de C.D. elle-même est silencieuse sur tout mauvais traitement concret dont elle a pu souffrir. Au contraire, elle a affirmé qu’elle a été traitée correctement par ses confrères.

 

[34]           En l’absence de contexte, je me dois de conclure à des gestes de violence gratuits de la part du caporal-chef Obele Ngoudni, et ce, hors de tout doute raisonnable. Ayant vu le témoignage du caporal-chef Obele Ngoudni et interagi avec lui en salle d’audience lors de son témoignage, j’ai un doute à l’effet qu’il puisse avoir agi ainsi. Même si ses tatouages et sa carrure imposante pourraient le faire paraître intimidant à prime abord, j’ai eu l’occasion d’entendre témoigner un homme intelligent, logique et rationnel qui m’a apparu fortement dédié à sa carrière militaire et à son rôle au sein de l’armée canadienne. Sa réaction et son regard en ma direction lorsque le sténographe a presque abimé l’original de ses diplômes de parachutiste portugais et polonais avant que j’intervienne pour accepter des copies en preuve au lieu des originaux m’indiquent que je suis en présence de quelqu’un qui ressent une énorme fierté par rapport à la chose militaire. Il m’est impossible de ne pas avoir un doute à l’effet qu’un tel militaire puisse, à jeun, poser des gestes de violence gratuits envers une consœur blessée, d’autant plus que de tels gestes soient presque certainement de nature à compromettre significativement sa carrière, surtout considérant les mesures fermes qui venaient alors d’être prises pour sensibiliser les membres de la section aux comportements inappropriés.

 

Conclusion

 

[35]           En résumé donc, j’ai un doute raisonnable à la lumière de la preuve de la poursuite sur les gestes supportant les premier et deuxième chefs d’accusation et je dois conséquemment prononcer un acquittement à l’égard de ces deux chefs.

 

[36]           En terminant, je tiens à exprimer une pensée pour C.D., qui tel qu’il appert de son témoignage n’est pas la locomotive qui a tiré cette affaire jusqu’au stade du procès, mais qui a tout de même eu à porter 100% de la preuve de la poursuite sur ses épaules. Il serait dommage que suite au résultat auquel je viens de faire état sur la base de la nécessaire application de la présomption d’innocence, elle soit pointée du doigt pour avoir fabriqué une histoire alors que ce n’est pas du tout ce que je conclus. Ma conclusion est à l’effet que malgré les meilleurs efforts de C.D., la poursuite n’a pas été en mesure de déplacer la présomption d’innocence en prouvant les infractions hors de tout doute raisonnable. Il n’y a aucun blâme envers quiconque dans cette conclusion. J’ai confiance que cette décision n’affectera pas le nécessaire support apporté aux victimes d’actes répréhensibles allégués ainsi que la reconnaissance et le respect de la présomption d’innocence dont bénéficient ceux qui sont accusés. Cette présomption d’innocence est à la base de notre système de justice pénale : une personne accusée peut toujours être ultimement reconnue non-coupable, comme le caporal-chef Obele Ngoudni le sera suite à ce procès.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[37]           DÉCLARE le caporal-chef Obele Ngoudni non coupable du 1er et du 2e chef d’accusation.


 

Avocats :

 

Capitaine M.-A. Ferron et Capitaine E.L.R. Rioux pour le directeur des poursuites militaires

 

Lieutenant de vaisseau J.-M. Tremblay, service d’avocats de la défense, avocat du caporal-chef F. Obele Ngoudni

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