Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 11 septembre 2017

Endroit : Station des Forces canadiennes St. John’s, 115 the Boulevard, St. John’s (TNL)

Chefs d’accusation :

Chefs d’accusation 1, 2 : Art. 95 LDN, a maltraité une personne qui en raison de son emploi lui était subordonnée.

Résultats :

VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 2 : Non coupable.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. Young, 2017 CM 2006

 

Date : 20170915

Dossier : 201653

 

Cour martiale permanente

 

1er Bataillon, The Royal Newfoundland Regiment

St. John’s (Terre-Neuve), Canada

 

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Caporal-chef G.P.J. Young, accusé

 

 

En présence du : Capitaine de frégate S.M. Sukstorf, J.M.


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

NOTE:     Des données personnelles ont été supprimées en conformité avec « L’usage de renseignements personnels dans les jugements et protocole recommandé » du Conseil canadien de la magistrature.

 

MOTIFS DU VERDICT

 

(Oralement)

 

L’affaire

 

[1]               Le caporal‑chef Young est accusé de deux infractions à l’article 95 de la Loi sur la défense nationale (LDN). L’acte d’accusation est ainsi libellé :

 

            [traduction]

Premier chef :

 

 

 

 

 

Deuxième chef :

Détails : En ce que le ou vers le 10 août 2015, à ou près de la Station des Forces canadiennes St. John's, à St. John's (Terre-Neuve-et-Labrador), a maltraité le soldat Baggs en lui donnant l’ordre de consommer des légumes jusqu’à ce qu’il vomisse.

 

Détails : En ce que le ou vers le 10 août 2015, à ou près de la Station des Forces canadiennes St. John's, à St. John's (Terre-Neuve-et-Labrador), a maltraité le soldat MacPhail en lui donnant l’ordre de consommer des quantités excessives d’eau.

 

[2]               Pour en arriver à ma décision, j’ai examiné et résumé les faits de l’espèce qui se dégageaient de la preuve présentée au tribunal. J’ai ensuite passé en revue les règles de droit applicables et j’ai tiré des conclusions au sujet de la crédibilité des témoins. J’ai ensuite appliqué le droit aux faits, en procédant à une analyse avant de me prononcer sur chacun des chefs d’accusation.

 

La preuve

 

[3]               Les éléments de preuve suivants ont été présentés à la cour martiale :

 

a)                  à l’audience, les dépositions des sept témoins à charge suivants, selon leur ordre de comparution :

 

i.                    M. T.A. Fiander (ex-soldat);

 

ii.                  le bombardier J.B. Lorimer-Carlin;

 

iii.                le bombardier A.C. Rembowski;

 

iv.                le soldat S.A. MacPhail;

 

v.                  le soldat J.S. Baggs;

 

vi.                le caporal W.A. Taylor;

 

vii.              le bombardier A.C. Dolomount.

 

b)                  à l’audience, les dépositions des quatre témoins à décharge suivants, selon leur ordre de comparution :

 

i.                    le caporal‑chef G. Young (l’accusé);

 

ii.                  le soldat G. Jenkins;

 

iii.                le soldat J. Williams;

 

iv.                le caporal I.P. Hawco.

 

c)                  Le tribunal a également pris connaissance judiciaire judiciairement connaissance des faits et des éléments mentionnés à l’article 15 des Règles militaires de la preuve (RMP).

 

d)                  Admissions. La défense a fait plusieurs admissions à l’ouverture du procès. L’accusé a admis les éléments portant sur son identité et le lieu des faits reprochés dans les deux chefs d’accusation. De plus, il a admis que les soldats Baggs et MacPhail étaient subordonnés au caporal‑chef Young de par le grade et le poste de ce dernier.

 

Les faits

 

[4]               Les deux incidents à l’origine des accusations dont le tribunal est saisi se sont produits le ou vers le 10 août 2015 pendant le cours de Qualification militaire de base  (QMB) (Terre) suivi à la Station des Forces canadiennes (SFC) St. John’s, à St. John’s (Terre-Neuve-et-Labrador). Le cours, d’une durée d’environ deux semaines, faisait suite au cours commun de QMB, d’une durée de cinq semaines. La plupart des étudiants ont suivi les deux cours, qui comprenaient une période de formation combinée de sept semaines. Le caporal-chef Young était instructeur uniquement pendant le cours de QMB (Terre), d’une durée de deux semaines, ne s’étant joint aux étudiants et au personnel qu’après avoir terminé sa Qualification élémentaire en leadership (QEL), en juillet 2015.

 

[5]               La plupart des stagiaires du cours étaient jeunes, leur âge variant de 16 à 18 ans. Au moment des incidents, les victimes présumées, soit les soldats Baggs et MacPhail, étaient âgés respectivement de 16 et 28 ans, tandis que l’accusé, le caporal-chef Young, était âgé de 21 ans. J’examinerai les incidents dans l’ordre dans lequel ils se sont produits le 10 août, plutôt qu’en fonction du chef d’accusation correspondant.

 

Premier incident quantités excessives d’eau

 

[6]               D’après le témoignage qu’elle a livré devant le tribunal, la journée du 10 août 2015 a commencé par un jogging matinal d’environ 3,5 kilomètres. Le soldat MacPhail a expliqué qu’elle avait eu un point de côté pendant la course du matin. Le caporal Hawco a dit au tribunal que plusieurs des stagiaires avaient pris du retard et couraient derrière le groupe. Après la course, le caporal-chef Young a parlé aux stagiaires et a conclu que leurs problèmes avaient été causés par la déshydratation. Il a déclaré qu’il avait demandé aux stagiaires s’ils s’étaient hydratés la veille ou avant la course, ce qu’ils ont dit ne pas avoir fait. En outre, le caporal-chef a indiqué au tribunal qu’il avait expliqué aux stagiaires l’importance de demeurer hydraté, en raison des températures chaudes et du niveau d’activité intense.

 

[7]               Le caporal-chef Young a expliqué qu’on avait ordonné aux instructeurs de voir à ce que personne ne se déshydrate et qu’il avait donc dû s’assurer que tout le monde s’hydrate bien. Le caporal-chef Young a déclaré qu’il faisait au moins 76 degrés Fahrenheit le 10 août et qu’en tenant compte de l’humidité, cela équivalait à environ 32  degrés Celsius, ou, tel que déterminé par la Cour, environ 90 degrés Fahrenheit. Il a déclaré qu’il faisait chaud dans les salles de classe et que tout le monde transpirait.

 

[8]               Afin de régler les problèmes de déshydratation des stagiaires, le caporal-chef Young leur a dit de garder leur gourde sur eux et de s’hydrater régulièrement tout au long de leur journée de cours. Il leur a dit de venir le rencontrer pendant les trois pauses de la journée pour finir de boire l’eau de leur gourde. Le soldat MacPhail et le caporal Hawco ont toutes deux confirmé qu’on leur avait dit de boire l’eau qui restait dans leur gourde, alors que le soldat Williams ne se rappelait pas d’un tel ordre de boire de l’eau pendant les pauses. Le soldat MacPhail et le caporal Hawco ont également déclaré qu’après avoir fini de boire l’eau de leur gourde, les stagiaires se mettaient en file afin d’emplir de nouveau leurs gourdes avant de retourner en classe. Les gourdes contenaient au maximum un litre d’eau. La plupart des témoins (le caporal Hawco et les soldats Williams et Jenkins) ont déclaré qu’ils ne se sentaient pas obligés de boire et qu’ils ne s’étaient pas non plus sentis mal à l’aise. Le caporal Hawco ne se souvenait pas que quelqu’un ait confirmé s’ils avaient bu ou non toute l’eau de leur gourde. Le caporal Hawco et le soldat MacPhail ont toutes deux indiqué au tribunal qu’elles avaient été capables de boire l’eau qui restait dans leur gourde. Le soldat Jenkins a dit que les pauses pour boire étaient détendues et le caporal Hawco a déclaré qu’elle trouvait personnellement ces pauses agréables parce qu’elles étaient plus longues, qu’elles n’étaient pas précipitées et que les gens pouvaient discuter. Le soldat MacPhail a déclaré qu’elle s’était sentie [TRADUCTION] « souffrante » et [TRADUCTION] « vraiment mal » après avoir bu autant d’eau.

 

Deuxième incident – les légumes

 

[9]               Plus tard le même jour, au souper, les stagiaires se sont retrouvés dans la zone des corvées, que les témoins ont aussi appelée [TRADUCTION] « aire multifonctionnelle » ou [TRADUCTION] « zone de tentes modulaires », où ils dormaient et prenaient leurs repas. Pendant les cinq premières semaines du cours le cours commun de QMB, le soldat Baggs a acquis la réputation de ne pas bien manger. Certains stagiaires ont déclaré que le soldat Baggs ne buvait que des boissons gazeuses et mangeait des bonbons, alors que le soldat Williams a déclaré que le soldat Baggs avait tenu le coup en mangeant environ trois Pop-Tarts par jour.

 

[10]           Le caporal Hawco a expliqué qu’elle avait été la partenaire d’équipe de tir du soldat Baggs pendant le cours de QMB (Terre), que celui-ci ne mangeait pas la majeure partie de ses repas et qu’il commençait à se sentir étourdi. Elle a dit qu’elle avait personnellement encouragé le soldat Baggs à manger ses repas et ses légumes en lui disant qu’il se sentirait mieux après.

 

[11]           Tous les témoins ont affirmé que le soldat Baggs n’aimait pas les légumes et refusait d’en manger. Le soldat MacPhail, qui s’était jointe au cours de QMB (Terre) de deux semaines, a déclaré que c’était un gag récurrent depuis le cours précédent que le soldat Baggs devait manger ses légumes. Le caporal-chef Young, qui ne s’était joint au groupe que pour le cours de deux semaines, a dit au tribunal qu’il avait remarqué, environ une semaine avant l’incident, que le soldat Baggs était toujours fatigué, paresseux, qu’il n’arrivait pas à se concentrer sur ses tâches et qu’il avait des vertiges pendant l’exercice élémentaire; il a donc commencé à s’inquiéter à son sujet. Il a appris que le soldat Baggs mangeait beaucoup de bonbons, buvait des boissons gazeuses que la plupart du temps, il ne mangeait que des pommes de terre. Les étudiants et le personnel s’entendaient pour dire que le soldat Baggs ne recevait pas l’apport nutritionnel dont il avait besoin.

 

[12]           Le soir en question (10 août 2015), le caporal-chef Young a déclaré qu’il était en train des servir des légumes dans la ligne de service lorsque le soldat Baggs est venu chercher son souper. Le soldat Jenkins a témoigné qu’il se trouvait derrière le soldat Baggs dans la file. Le soldat Jenkins a déclaré que le soldat Baggs  et le caporal-chef Young faisaient des blagues et parlaient. Il a remarqué que le caporal-chef Young avait servi une portion de légumes au soldat Baggs. Le soldat Jenkins a déclaré que lui et le soldat Baggs avaient continué à avancer dans la file et se sont ensuite rendus à la tente modulaire des hommes pour manger leur souper.

 

[13]           Le caporal-chef Young a déclaré que lorsque le soldat Baggs était dans la ligne pour la nourriture, il lui a demandé de faire de son mieux pour manger ses légumes, mais le soldat Baggs a dit qu’il n’aimait pas les légumes et ne pouvait en manger. Le caporal-chef Young a expliqué qu’il avait redemandé au soldat Baggs de faire de son mieux pour en manger et que ce dernier avait accepté. Le caporal-chef Young a ajouté qu’il avait alors mis une portion de légumes dans l’assiette du soldat Baggs. En plaisantant, le caporal-chef Young avait dit au soldat Baggs : [traduction] « Si vous ne les mangez pas, vous devrez faire une planche abdominale de 10 minutes ». Le caporal-chef Young a déclaré que le soldat Baggs avait ri, avant de répondre : [traduction] « D’accord, caporal-chef ». Même si le soldat Baggs a dit au tribunal qu’il ne se souvenait pas si c’était le caporal-chef Young qui lui avait donné des légumes quand il était dans la file, il a confirmé qu’on lui en avait bel et bien servi.

 

[14]           Le soldat Jenkins a déclaré qu’il avait remarqué, alors qu’il était dans la tente modulaire des hommes, que le soldat Baggs avait mangé la moitié de son repas et qu’il restait des légumes dans son assiette. Le soldat Jenkins a dit qu’une fois que tous les stagiaires avaient été servis, le caporal-chef Young était venu à leur rencontre et avait demandé au soldat Baggs de manger ses légumes. Plusieurs témoins, dont le soldat Baggs, ont déclaré que le caporal-chef Young avait apporté une autre assiettée de légumes au soldat Baggs. Il y a certaines divergences entre les témoignages quant à la quantité de légumes qu’il y avait dans l’assiette du soldat Baggs et quant à savoir si une portion supplémentaire lui avait été servie ou non. Cependant, un consensus s’est dégagé sur le nombre approximatif de bouchées que le soldat Baggs a tenté d’ingérer.

 

[15]           Le soldat Baggs a déclaré que le caporal-chef Young lui avait demandé de manger les légumes en blaguant, d’une manière calme et non agressive, et que le caporal-chef Young ne lui avait jamais crié après. Ceci a été confirmé par le soldat Jenkins, qui avait fait la file avec le soldat Baggs et s’était trouvé avec lui dans la tente des hommes. Le soldat Jenkins a déclaré que lorsque le soldat Baggs avait dit qu’il essaierait de manger ses légumes, les autres stagiaires avaient commencé à applaudir. Le caporal Hawco a dit au tribunal qu’elle approuvait les efforts déployés par le caporal-chef Young pour encourager le soldat Baggs à manger ses légumes, d’une part parce qu’il ne mangeait pas ses repas, d’autre part parce qu’elle l’encourageait elle aussi à manger ses légumes. Le caporal Hawco est cuisinière militaire. Elle a déclaré au tribunal qu’elle avait déjà dit au soldat Baggs que s’il manquait de nutriments, il ne se sentirait pas à cent pour cent pour faire des exercices et diverses activités, puisque le groupe devait bouger sans cesse dans la journée.

 

[16]           Le soldat Baggs a déclaré au tribunal que le caporal-chef Young lui avait dit que s’il ne mangeait pas ses légumes, tout le groupe devrait faire des planches abdominales. Il a ajouté qu’il avait décidé d’essayer pour éviter que tout le groupe ait à souffrir.

 

[17]           Il était également clair, d’après les témoignages, y compris celui du soldat Baggs, que ce dernier était plus ou moins d’accord pour essayer de manger des légumes; toutefois, la Cour a noté que le bombardier Rembowski avait également déclaré qu’en raison de la nature de leur QMB, les stagiaires étaient quelque peu terrifiés à l’idée de décevoir les instructeurs et qu’ils avaient toujours essayés à cent pour cent de faire ce que les instructeurs voulaient .

 

[18]           La plupart des témoins ont affirmé, et le tribunal accepte, que l’incident des légumes a commencé comme un défi amusant, positif et encourageant. Le soldat Williams a déclaré que la plupart d’entre eux s’étaient rassemblés pour voir si le soldat Baggs pouvait relever ce défi, parce que c’était une grosse affaire à ce moment-là. Plusieurs des témoins (les bombardiers Lorimer-Carlin et Rembowski, le caporal Hawco, l’ex‑soldat Fiander et les soldats Williams et Jenkins) étaient avec le soldat Baggs ou tout près de lui quand il a tenté de manger les légumes. Ils se tenaient autour de lui et l’applaudissaient pour le motiver et l’encourager. Le bombardier Rembowski a dit au tribunal que c’était comme lorsqu’on encourage une équipe sportive. Il a expliqué que les stagiaires qui étaient autour de lui l’encourageaient en disant : [traduction] « Allez, Baggs, juste un petit pois. » Le caporal Hawco a déclaré qu’elle était assise à deux lits de camp du soldat Baggs. Elle a dit que les gens faisaient des blagues et que l’ambiance était détendue et agréable. Le soldat Williams a déclaré que cela n’avait pas duré longtemps; le soldat Baggs n’a essayé qu’une cuillérée et c’était fini. Le soldat Williams a expliqué que le soldat Baggs avait pris une cuillerée et l’avait recrachée dans la poubelle devant lui. Il a ajouté que lorsque le soldat Baggs avait essayé de porter la fourchette à sa bouche, il avait grimacé et craché les légumes en disant : [traduction] « Non, je ne peux pas faire ça; je déteste les légumes ». Il a également dit au tribunal que le soldat Baggs avait longtemps hésité avant de s’essayer à manger les légumes.

 

[19]           Le tribunal est convaincu que les témoins (le soldat MacPhail, le bombardier Dolomount et le caporal Taylor) n’étaient pas dans les parages lorsque le soldat Baggs a été mis au défi. Le bombardier Dolomount et le soldat MacPhail ont dit au tribunal qu’elles étaient assises du côté des femmes et qu’elles mangeaient leur souper. Le soldat MacPhail a déclaré qu’en voyant ce qui se passait, elle s’est approchée. En contre-interrogatoire, elle a déclaré qu’elle n’était pas restée tout le temps. Même si le bombardier Dolomount et le soldat MacPhail ont toutes deux déclaré avoir vu le soldat Baggs se pencher au-dessus de la poubelle, elles n’ont pas été en mesure de fournir d’autres preuves dignes de foi sur l’incident lorsqu’elles ont été contre‑interrogées.

 

[20]           L’ex-soldat Fiander a déclaré qu’au début les gens pensaient que c’était une blague et que le soldat Baggs plaisantait en disant qu’il ne pouvait pas manger de légumes. Il a ajouté que l’ambiance était bonne et que les stagiaires riaient, mais que tout le monde était devenu silencieux et mal à l’aise quand il est devenu évident que le soldat Baggs ne pouvait pas manger les légumes. Le bombardier Lorimer-Carlin a dit qu’il ne pensait pas que les légumes faisaient souffrir le soldat Baggs, mais qu’ils le dérangeaient [TRADUCTION] « vraiment beaucoup ». Il a déclaré que le soldat Baggs n’arrivait pas à mettre les légumes dans sa bouche. Le bombardier Rembowski a dit au tribunal que le soldat Baggs s’était étouffé rien qu’en approchant les légumes de son visage.

 

[21]           Le soldat Baggs a admis au tribunal qu’il ne se sentait pas bien ce jour-là. Il a déclaré qu’il avait essayé de manger ses légumes parce que ses camarades du cours l’applaudissaient et l’encourageaient. Malheureusement, il a été incapable de manger les légumes et il a dit au tribunal qu’il les avait recrachés dans une poubelle. Il a confirmé qu’il n’avait pas vomi, mais recraché les légumes qu’il avait mis dans sa bouche. Il a déclaré avoir tenté à plusieurs reprises de les manger et que l’incident en entier avait duré environ deux minutes.

 

[22]           Des témoins (les bombardiers Lorimer-Carlin et Rembowski, le soldat Williams et le caporal Hawco) ont affirmé que le soldat Baggs n’avait pu porter qu’une à trois cuillerées de légumes à sa bouche avant de s’étouffer ou de les recracher dans une poubelle. Le bombardier Lorimer-Carlin, un témoin à charge, a déclaré au tribunal que le soldat Baggs n’avait mangé aucun légume. Le bombardier Rembowski, qui était également témoin à charge, a déclaré au tribunal que, même si le soldat Baggs avait mis des légumes dans sa bouche, il avait simplement été incapable de les avaler et les avait recrachés. Le bombardier Rembowski a en outre déclaré au tribunal que le soldat Baggs n’avait pas réussi à avaler un seul morceau de légumes.

 

[23]           Plusieurs témoins (le caporal Hawco, l’ex-soldat Fiander, les soldats Baggs, Williams et Jenkins ainsi que les bombardiers Lorimer-Carlin et Rembowski) ont confirmé que le caporal-chef Young avait pris l’assiette du soldat Baggs et jeté son contenu dans la poubelle quand il leur est apparu clairement que celui-ci ne pourrait manger les légumes.

 

[24]           En ce qui concerne la menace de faire faire des planches abdominales au groupe, le soldat Williams a déclaré qu’il avait pensé que tout le monde savait que c’était une plaisanterie, vu la façon dont le caporal-chef Young s’était exprimé. Le soldat Williams a déclaré qu’il savait bien que c’était une blague et qu’à son avis, ses camarades stagiaires n’avaient pas craint d’avoir à faire des planches abdominales. Le soldat Jenkins a également dit au tribunal que, même s’il savait qu’il fallait obéir aux ordres, il était clair pour lui qu’il s’était agi d’une blague. En contre-interrogatoire, il a déclaré que, d’après son expérience du cours, il pouvait faire la différence entre un ordre réel et un ordre donné pour plaisanter.

 

[25]           Certains témoins ne se souvenaient pas d’avoir fait une planche abdominale (le bombardier Lorimer-Carlin, le soldat MacPhail et le caporal Hawco). La majorité des témoins (les bombardiers Lorimer-Carlin et Rembowski ainsi que les soldats Williams et Jenkins) ont déclaré qu’ils s’étaient mis en position pour faire une planche abdominale, mais que cela avait duré au plus 30 secondes. Le caporal-chef Young a expliqué au tribunal qu’une fois que tous furent en position, il leur avait dit qu’il plaisantait, car lui-même ne pourrait pas faire une planche abdominale pendant dix minutes.

 

Appréciation de la preuve

 

Crédibilité des témoins

 

[26]           Pour prouver les allégations énoncées dans l’acte d’accusation dont le tribunal est saisi, la poursuite doit établir tous les éléments constitutifs des infractions selon la norme de la culpabilité hors de tout doute raisonnable.

 

[27]           Il n’est pas rare que des éléments de preuve présentés au tribunal se contredisent. Il arrive que les témoins se souviennent différemment des faits et le tribunal doit déterminer quels éléments de preuve il juge crédibles et fiables.

 

[28]           Plusieurs facteurs influencent l’évaluation par le tribunal de la crédibilité d’un témoin. Par exemple, il évaluera à quel point il a été possible pour le témoin d’observer les faits, et les raisons qu’il a de s’en souvenir. Un élément particulier a-t-il aidé le témoin à se rappeler les détails des faits qu’il relate? Les faits étaient-ils dignes de mention, inhabituels et frappants ou plutôt relativement anodins, donc naturellement plus faciles à oublier?

 

[29]           Le tribunal peut accepter ou rejeter tout ou une partie d’un témoignage versé au dossier. En d’autres termes, l’appréciation de la crédibilité n’est pas une question de tout ou rien. Une conclusion selon laquelle un témoin est crédible n’oblige pas le juge des faits à accepter sans réserve le témoignage en sa globalité du témoin. Surtout, la crédibilité n’est pas coextensive à la preuve  (voir R. c. Clark, 2012 CACM 3, paragraphe 42).

 

[30]           Un autre facteur dans la détermination de la crédibilité est la capacité apparente du témoin à se souvenir. Le comportement  du témoin pendant sa déposition est un facteur pouvant être utilisé pour évaluer sa crédibilité : il faut se demander si le témoin a répondu aux questions avec naturel, si ses réponses étaient précises ou évasives, ou encore hésitantes, s’il argumentait, et enfin, si son témoignage était cohérent et compatible avec les faits non contestés.

 

[31]           On ne peut non plus déduire de la conclusion selon laquelle un témoin est crédible que son témoignage est fiable. En fait, un témoin peut être tout à fait sincère et dire la vérité selon sa perception de la vérité; mais, pour plusieurs raisons, et notamment en raison du temps écoulé ou des lacunes de sa mémoire, il se peut que l'exactitude réelle du récit du témoin ne soit pas fiable. Ainsi, le témoignage d’un témoin crédible, honnête personne au demeurant, peut néanmoins ne pas être fiable (voir R. c. Clark, 2012 CACM 3, paragraphe 48, citant R. c. Morrissey (1995), 97 CCC (3d) 193 (CA Ont), page 205).

 

[32]           D’autres facteurs entrent aussi en ligne de compte. Par exemple, le témoin a-t-il un intérêt dans l’issue du procès? En d’autres termes, a-t-il une raison de favoriser la poursuite ou la défense, ou est-il impartial? Ce dernier facteur s’applique d’une manière quelque peu différente à l’accusé. Bien qu’il soit raisonnable de présumer que l’accusé a intérêt à se faire acquitter, la présomption d’innocence ne permet pas de conclure qu’il mentira lorsqu’il décide de témoigner. En clair, le fardeau n’incombe pas à l’accusé de prouver qu’il n’est pas coupable. Le fardeau incombe à la poursuite et demeure avec la poursuite de prouver les éléments de chacune des infractions alléguées.

 

[33]           La preuve présentée au tribunal comprenait le témoignage de vive voix de sept témoins convoqués par la poursuite, de trois témoins à décharge ainsi que le témoignage du caporal-chef Young.

 

[34]           L'analyse présentée dans l'arrêt R. c. W. (D), [1991] 1 R.C.S. 742 offre certaines balises permettant d’évaluer et d’équilibrer la relation entre le critère du doute raisonnable et la crédibilité (ou le manque de crédibilité) des témoins, dans le contexte des faits présentés au tribunal. En bref, je dois évaluer les accusations comme suit :

 

a)                  premièrement, si je crois le témoignage du caporal-chef Young, je dois alors prononcer l’acquittement;

 

b)                  deuxièmement, si je ne crois pas le témoignage du caporal-chef Young, mais que j’ai un doute raisonnable, je dois prononcer l’acquittement.

 

c)                  troisièmement, même si j’ai des doutes à la suite du témoignage du caporal‑chef Young, je dois me demander si, en vertu de la preuve que j’accepte, je suis convaincu hors de tout doute raisonnable par la preuve de la culpabilité de l’accusé;

 

d)                  quatrièmement, si, après un examen attentif de tous les éléments de preuve, je suis incapable de décider qui croire, je dois prononcer l’acquittement (voir R. c. H. (C.W.), (1991) 68 C.C.C. (3d) 146 (CA C.-B.)).

 

[35]           En résumé, il est possible de ne pas ajouter foi à une partie de ce que le caporal‑chef Young a dit dans son témoignage tout en continuant de douter que la poursuite a établi hors de tout doute raisonnable chacun des éléments constitutifs de l'infraction. De même, la preuve de la poursuite n'est pas établie simplement parce que le tribunal préfère le témoignage d'un témoin ou d'une victime présumée à celui du caporal-chef Young.

 

Témoins à charge

 

Le soldat MacPhail, le caporal Taylor et le bombardier Dolomount

 

[36]           Il ressort de la preuve que les cours d’été de 2015 (qui comprenait le cours commun de QMB d’une durée de cinq semaines et le cours de QMB (Terre) d’une durée de deux semaines) ont connu de nombreux problèmes et que certains étudiants avaient des doléances. Après avoir parlé à leur unité d’attache, le caporal Taylor et le bombardier Dolomount ont commencé à documenter leurs doléances. À la fin du cours, ils ont continué à consigner les préoccupations signalées lors du cours. Ils ont tous les deux contribué à la rédaction d’un document qu’ils ont diffusé en ligne. Le caporal Taylor a expliqué au tribunal qu’il avait fallu plusieurs semaines pour compiler les données. Le document a par la suite été communiqué au soldat MacPhail. Ces trois personnes ont chacune affirmé à tour de rôle devant le tribunal qu’elles s’étaient fiées à ce document pour préparer leur déposition devant la police militaire. L’avocat de la poursuite et l’avocat de la défense ont tous les deux attiré l’attention du tribunal sur cette collaboration et ces échanges. La défense s’en est à juste titre dite vivement préoccupée. À la lumière de ces faits, pour apprécier la preuve, le tribunal avait le devoir d’envisager la possibilité d’une collusion entre ces trois témoins.

 

[37]           La méthode qu’il convient d’adopter pour arrêter la norme de preuve applicable consiste à soupeser tous les éléments de preuve et non à les évaluer séparément. Il est donc essentiel d’évaluer la crédibilité et la fiabilité de chacun des témoignages à la lumière de l’ensemble de la preuve.

 

[38]           En résumé, rien n’interdit carrément d’admettre un témoignage en preuve lorsque le tribunal apprend l’existence d’une collaboration ou d’une possible collusion entre les témoins (R. c. Illes (2013), 296 C.C.C. (3d) 437 (C.A. C.‑B.)). Toutefois, le tribunal a redoublé de prudence pour évaluer le témoignage de chacun de ces trois témoins. Vu l’ensemble de la preuve, le tribunal estime que la collaboration entre ces trois témoins n’avait pas pour but de fabriquer des éléments de preuve; toutefois, le tribunal estime que leurs échanges et leur collaboration lors de la consignation des faits a eu pour effet, du moins dans le cas du caporal Taylor, d’influencer et d’adapter consciemment ou inconsciemment son récit des deux incidents. Bref, j’ai conclu que l’on pouvait ajouter foi à certaines parties du témoignage de ces trois témoins, en adaptant en conséquence la valeur de ces témoignages, alors que j’ai totalement ignoré d’autres parties de leur témoignage, à l’égard desquelles j’avais de sérieuses réserves.

 

Le caporal Taylor

 

[39]           Dans le cas du caporal Taylor, le tribunal estime que son témoignage est incompatible avec l'ensemble de la preuve fournie par les autres témoins. Il semblait rapporter des propos qui constituaient du ouï-dire. À certains moments, il a tenu des propos incendiaires sans fondement ni véracité. Lors de son contre-interrogatoire, il était évident que sa connaissance personnelle des faits portés à l’attention du tribunal était limitée.

 

[40]           Pour ce qui est de l’incident des légumes, par exemple, le caporal Taylor a déclaré que lorsque le caporal‑chef Young a constaté que le soldat Baggs ne mangeait pas son repas au complet, il lui avait demandé de manger tous ses légumes, sans quoi il y aurait des conséquences pour le reste du groupe. Le ton de son témoignage laissait entendre que les stagiaires avaient tous eu peur. Il a ajouté que les autres stagiaires avaient pris l’initiative d’encourager le soldat Baggs parce qu’ils ne voulaient pas avoir d’ennuis eux-mêmes. Le caporal Taylor a dit au tribunal que les stagiaires craignaient ce qui arriverait si le soldat Baggs ne mangeait pas ses légumes; ils l’ont donc encouragé pour qu’il arrive à le faire. Dans son témoignage, il n’a donné aucune précision sur les « conséquences » qu’aurait pu entraîner un échec du soldat Baggs. À titre comparatif, tous les autres témoins ont déclaré sans hésiter que le soldat Baggs avait été mis au défi de manger ses légumes, sans quoi tout le groupe aurait eu à faire une planche abdominale. La crainte des conséquences possibles dont a fait état le caporal Taylor porte à croire que les stagiaires auraient été obligés de faire quelque chose de totalement inacceptable. Or, l’obligation de faire une planche abdominale en tant que punition corporelle de groupe n’est pas en soi incompatible avec l’entraînement militaire normal. Il est permis de croire que l’obligation de faire une planche abdominale pendant dix minutes serait éprouvante, mais une telle punition n’est guère différente de l’obligation de faire des pompes ou de faire des tours de piste.

 

[41]           Si son récit de ce qui s’est passé dans l’incident des légumes ne peut être concilié avec l’ensemble de la preuve, il est surtout incompatible avec le témoignage des victimes présumées mentionnées dans les deux accusations dont le tribunal est saisi.

 

[42]           Le caporal Taylor a déclaré que le soldat Baggs avait dit qu’il aurait de la difficulté à obtempérer à l’ordre du caporal-chef Young et qu’il avait demandé un sac à ordures pour vomir. En contre-interrogatoire, lorsqu’on lui a demandé si le soldat Baggs avait demandé un sac à ordures, le caporal Taylor a admis qu’il n’en avait peut-être pas demandé, avant de rajouter qu’il ne s’en souvenait pas. Le caporal Taylor a également dit au tribunal que l’incident avait duré de 10 à 15 minutes; or, lorsqu’il a été contre‑interrogé sur ce point, il a déclaré spontanément que cela avait duré environ cinq minutes. Il y a eu de sérieuses divergences entre la plupart des témoignages du caporal Taylor et ceux des autres témoins.

 

[43]           L’avocat n’a jamais précisé où se trouvait exactement le caporal Taylor par rapport au soldat Baggs pendant l’incident des légumes. Même si le caporal Taylor a déclaré que le caporal-chef Young avait menacé ou obligé le groupe à faire pression sur le soldat Baggs afin qu’il mange ses légumes, il n’a pas pu rapporter ce que le caporal-chef Young avait dit. Au cours du contre-interrogatoire, le caporal Taylor a rapidement changé sa version des faits pour affirmer qu’il n’était pas sûr de ce qu’avait fait le caporal-chef Young. Il a ensuite déclaré qu’il n’était pas certain que le caporal-chef Young avait dit quelque chose, mais a ajouté que sa simple présence avait suffi à mettre de la pression.

 

[44]           Non seulement le tribunal a-t-il mis en doute sa crédibilité après avoir constaté qu’il en savait moins que ce qu’il prétendait, mais il a aussi constaté que son témoignage n’était pas fiable. Ainsi, même s’il a déclaré avec assurance que les deux incidents s’étaient produits le 10 août 2015, il était également convaincu que l'incident des légumes avait eu lieu à l’extérieur alors qu’ils se trouvaient au champ de tir C-9. Or, il a fait cette affirmation après avoir dit au tribunal qu'ils étaient en classe, dans la garnison, lors de l'incident de l'eau, le même jour. Après que le tribunal l'eut interrogé pour obtenir des éclaircissements, il a déclaré qu'ils étaient très probablement en classe le matin, puis au champ de tir l'après-midi. Toutefois, le tribunal a fait remarquer que, si c’était le cas, une grande partie des témoignages que le tribunal avait entendus au sujet des pauses échelonnées sur toute la journée de formation contredisait sa version des faits.

 

[45]           Interrogé sur les raisons pour lesquelles l'incident était relaté de façon plus positive par d'autres témoins et sur le fait que d'autres témoins avaient déclaré qu'aucune conséquence réelle n'en avait découlé, il a répondu avec insistance que c'était uniquement parce que le bombardier Dolomount avait obtenu du caporal-chef Eady qu'elle intervienne pour faire cesser l'incident. Le caporal Taylor a également dit au tribunal que le bombardier Dolomount s'était approchée du caporal-chef Eady, près des camions se trouvant sur le terrain, pour lui demander d’intervenir. Cependant, aucun des dix autres témoins, y compris la présumée victime, le soldat Baggs, n'a déclaré que l'incident s'était produit sur le terrain et n'a fait mention d'un champ de tir C-9.

 

[46]           Contre-interrogé sur ce point, il s'est montré évasif, puis a dit qu'il n'était pas sûr. Il a ajouté que le bombardier Dolomount avait abordé de façon discrète et en privé le caporal-chef Eady. Il a précisé au tribunal leur position sur le terrain par rapport à la route et aux véhicules, où le caporal-chef Eady faisait de l’observation avec d'autres membres du personnel. Interrogé à ce sujet, il n'a pas pu expliquer comment le caporal‑chef Eady avait pu intervenir aussi rapidement alors qu’elle se trouvait à une telle distance.

 

[47]           Les seuls autres témoins à mentionner la présence du caporal-chef Eady sont le bombardier Dolomount et le soldat MacPhail. Il s’agit des trois mêmes témoins qui ont collaboré étroitement avec le caporal Taylor à la préparation du document. Ce fait ne semble pas plausible, eu égard aux circonstances dans lesquelles il se serait produit. Comme cette prétendue consultation du caporal-chef Eady par le bombardier Dolomount est incompatible avec l'ensemble de la preuve fournie par tous les autres témoins, le tribunal ne lui accorde aucune valeur.

 

[48]           Interrogé par la poursuite au sujet de la réaction du soldat Baggs, le caporal Taylor n’a pas pu affirmer s’il avait vomi, mais a dit qu’il avait régurgité de la nourriture mastiquée. Plus tard, en contre-interrogatoire, il a déclaré : [traduction] « Pour être franc [je n’ai] pas regardé ce qui sortait de la bouche du soldat Baggs. »

 

[49]           En ce qui concerne l’incident de l’eau, le caporal Taylor a expliqué au tribunal qu’on leur avait dit de boire tout ce qui restait dans leur gourde et de secouer le contenant vide au-dessus de leur tête, à l’envers. Le soldat MacPhail, qui a également examiné le même document pour se rafraîchir la mémoire, a déclaré la même chose; toutefois, aucun des autres témoins de l’incident de l’eau n’a fait de déclaration en ce sens; de plus, lorsqu’on leur a posé des questions précises, ils ont tous déclaré que cela ne s’était jamais produit. Par conséquent le tribunal n’a pas tenu compte de cette explication et n’y a accordé aucune valeur.

 

[50]           Lorsqu’on lui a demandé à plusieurs reprises pourquoi le caporal-chef Young voulait qu’ils boivent de l’eau, le caporal Taylor a répondu au tribunal que le caporal‑chef Young leur avait dit qu’il voulait qu’ils boivent de l’eau jusqu’à ce qu’ils vomissent. Cette déclaration s’oppose directement aux autres témoignages et est en totale contradiction avec ce que tous les autres témoins, y compris la victime présumée, soit le soldat MacPhail, ont déclaré. Au cours du contre-interrogatoire, le caporal Taylor a été interrogé à ce sujet. Lorsqu’on lui a demandé s’il confondait cet incident avec un autre incident lié à de l’eau et un autre membre, le caporal Taylor a répondu qu’il ne le savait pas. Le caporal Taylor s’est montré évasif dans ses réponses aux questions sur l’incident de l’eau, tant celles de la poursuite que celles de la défense, et n’a jamais fait référence à la course du matin, au point de côté qu’avait eu le soldat MacPhail ni à ce que les autres témoins avaient dit concernant la préoccupation du caporal-chef Young quant au fait que les candidats évitent la déshydratation. Le caporal Taylor a également dit au tribunal que d’autres stagiaires s’étaient confidentiellement plaints auprès de lui de devoir boire de l’eau; or, lorsqu’on lui a demandé des détails et des noms, il ne s’est souvenu de rien.

 

[51]           Le tribunal avait de sérieux doutes au sujet de la véracité de son témoignage et a été forcé de s’interroger sur la raison d’être de ses propos incendiaires qui contredisaient carrément l’ensemble des témoignages. À un moment donné de son témoignage, le caporal Taylor a laissé entendre que son récit était fiable parce qu’il avait consigné les faits peu de temps après leur survenance. Or, il était évident que son témoignage sur les deux incidents ne contenait pas les détails pertinents et dignes de mention dont des témoins oculaires se souviennent nettement, tels que la planche ou la course matinale au cours de laquelle le soldat MacPhail avait eu un point de côté et où les autres avaient pris du retard.

 

[52]           Le caporal Taylor a expliqué au tribunal qu’il s’était servi du document pour porter plainte auprès de la police militaire. Il a également expliqué que, lorsqu’il avait appris qu’il devait témoigner dans le cadre d’un procès sommaire, il avait dit au bombardier Dolomount qu’il se réjouissait de voir que quelque chose était fait enfin au sujet du cours qu’ils avaient suivi. Le tribunal est sensible au fait que le caporal Taylor était insatisfait du cours et que ce mécontentement a pu nuire à son jugement et peut expliquer sa version des faits.

 

[53]           Il se peut aussi que la collaboration du caporal Taylor et du bombardier Dolomount à la préparation du document ait contribué à brouiller la mémoire du caporal Taylor. Quoi qu’il en soit, il semble évident que le caporal Taylor n’arrivait pas à faire la différence entre ce qu’il avait effectivement observé et d’autres faits ou détails qu’il aurait pu entendre ou ont été consignés dans son document. Lors de son contre-interrogatoire, il n’a pas été en mesure de fournir des détails sur les incidents dont il prétendait se souvenir. Pour tous ces motifs, le tribunal estime que le témoignage du caporal Taylor n’a aucune crédibilité et n’est pas fiable et il ne lui accorde par conséquent aucune valeur.

 

Le bombardier Dolomount

 

[54]           Dans son témoignage, le bombardier Dolomount a déclaré que lorsque l’incident des légumes s’était produit, elle se trouvait de l’autre côté de la zone des tentes modulaires en train de manger son propre repas et elle a admis qu’elle ne pouvait pas tout voir. Étant donné la distance physique qui la séparait du soldat Baggs et le fait qu’elle n’était pas en mesure de se rappeler de détails précis sur des faits pertinents et dignes de mention, le tribunal a accordé peu de valeur à ce qu’elle a pu ajouter comme témoin sur les incidents. En ce qui concerne l’incident des légumes, elle a déclaré qu’elle avait vu le soldat Baggs essayer de manger des légumes et se pencher au-dessus d’une poubelle alors qu’il était en train de régurgiter des légumes. Toutefois, lors de son contre-interrogatoire, elle n’a pas été en mesure de fournir suffisamment de détails sur les incidents pour donner au tribunal la confiance nécessaire pour se fier à sa version des faits. J’ai estimé que le bombardier Dolomount était crédible dans le témoignage qu’elle a donné au sujet des faits dont elle a été personnellement témoin, mais en ce qui concerne certains autres aspects de son témoignage, j’ai les mêmes réserves sur sa fiabilité que celles que j’ai au sujet du témoignage du caporal Taylor. Elle a peut-être confondu dans son esprit ce qu’elle avait vu avec ce qu’elle avait lu dans les documents et elle a tiré des conclusions inexactes. Il est à noter que, lors de son contre-interrogatoire, elle a été honnête et franche et que, lorsqu’on lui a posé des questions, elle n’était pas sur la défensive et qu’elle s’est même excusée d’avoir formulé des hypothèses sur des faits dont elle avait présumé qu’ils s’étaient produits.

 

[55]           En contre-interrogatoire, elle a confirmé qu’ils avaient consigné dans leur document de nombreux faits survenus pendant le cours, mais que très peu de ces faits concernaient directement le caporal-chef Young. Elle a déclaré qu’elle s’était fiée à ce document lorsqu’elle avait parlé aux policiers militaires et qu’elle avait le document avec elle lorsqu’elle avait fait sa déposition. Le tribunal a eu l’impression qu’elle avait peut-être confondu les incidents du 10 août avec d’autres événements sans rapport avec le caporal-chef Young ou qu’elle avait confondu ses propres souvenirs personnels avec les détails consignés au sujet d’autres incidents. Néanmoins, le tribunal estime que certaines parties de son témoignage sont fiables, comme en témoigne le résumé des faits.

 

Le soldat MacPhail

 

[56]           Le soldat MacPhail a témoigné de façon calme et directe. Elle a été honnête et crédible lorsqu’elle a expliqué ce dont elle a été personnellement témoin. Son témoignage sur l’incident des légumes était limité en raison de l’endroit où elle se trouvait. Elle a dit avoir entendu d’autres compagnons de son cours encourager le soldat Baggs et elle a ajouté qu’elle avait effectivement vu ce dernier se pencher au-dessus d’une poubelle et qu’elle avait vu des morceaux de légumes sortir de sa bouche; toutefois elle a déclaré qu’elle ne l’avait pas vu vomir.

 

[57]           Bien qu’elle soit la victime présumée de l’incident de l’eau, le soldat MacPhail a déclaré au tribunal qu’elle avait était très étonnée d’apprendre qu’elle était désignée comme victime et que des accusations avaient été portées à la suite de cet incident. Toutefois, puisqu’elle était présente lors de l’incident de l’eau, elle était en mesure de le décrire avec suffisamment de détails pour donner au tribunal l’assurance que son témoignage portait sur ce dont elle se souvenait. Il est à remarquer que le témoignage qu’elle a donné sur cet incident a fait ressortir les détails nécessaires qui manquaient dans le témoignage du caporal Taylor.

 

[58]           Elle a expliqué au tribunal que plusieurs stagiaires s’étaient dits préoccupés par certains événements survenus lors du cours et que c’était la raison pour laquelle ils avaient commencé à prendre des notes. Elle a expliqué au tribunal que lorsqu’elle avait préparé sa déclaration pour la police militaire, elle avait effectivement demandé au bombardier Dolomount de lui faire parvenir le document, surtout pour se rafraîchir la mémoire sur le nom des diverses personnes impliquées. Elle n’avait pas pris elle-même de notes pendant le cours parce que le bombardier Dolomount en prenait.

 

L’ex-soldat Fiander et les bombardiers Lorimer-Carlin et Rembowski

 

[59]           La défense a également attiré l'attention de la Cour sur un deuxième cas de collusion possible entre des témoins à charge, à savoir l’ex-soldat Fiander et les bombardiers Lorimer-Carlin et Rembowski, qui étaient également stagiaires au cours en question. Ceux-ci ont également admis que, pendant une courte période de temps après le cours, ils avaient régulièrement communiqué entre eux sur un site Facebook, mais qu'au fil du temps, leur utilisation du site Facebook s'était estompée et que, même si ce site existe toujours, il n'y avait aucune activité depuis longtemps. Ils ont admis avoir échangé entre eux au sujet de leur version respective de l'incident relatif au soldat Baggs et ont confirmé qu'ils s'étaient réunis pour en discuter avant de rencontrer individuellement les membres de la police militaire. Le bombardier Lorimer-Carlin a expliqué au tribunal que l'une des raisons pour lesquelles ils s’étaient rencontrés était qu'ils spéculaient sur ce qui se passait, car ils ne savaient pas vraiment qui était accusé.

 

[60]           Pour évaluer le témoignage de ces témoins, à savoir l’ex-soldat Fiander et les bombardiers Lorimer-Carlin et Rembowski, le tribunal a effectué une évaluation détaillée et individualisée semblable à celles des témoins caporal Taylor, du bombardier Dolomount et du soldat MacPhail.

 

[61]           Premièrement, le tribunal a tenu compte de l'âge et de l'expérience de ces trois témoins et a accepté leur explication selon laquelle la rencontre qu’ils avaient eue pour discuter de leur déposition imminente à la police militaire n’était pas motivée par des buts malveillants ou inconvenants. Ils sont jeunes et le tribunal a eu l’impression qu'ils s'étaient rencontrés dans le but précis de prendre la bonne décision dans les circonstances.

 

[62]           Après avoir écouté et réécouté chacun de leur témoignage, le tribunal est convaincu qu'il n'y a pas eu de fabrication de preuves. Le tribunal estime également que chacun d’entre eux s’en est tenu, comme il devait le faire, à ce dont il avait été personnellement témoin. Comme je l'ai déjà dit, il n'est pas rare que les preuves présentées au tribunal se contredisent. Les témoins peuvent avoir des souvenirs différents des faits et le tribunal doit décider quels éléments de preuve il juge crédibles et fiables. Voici mes observations :

 

a)                  L’ex-soldat Fiander : l’ex-soldat Fiander n’a pas été aussi franc qu’il aurait pu l’être lorsqu’il a expliqué comment il avait échangé des renseignements avec d’autres personnes et il a affirmé qu’il ne se souvenait pas de beaucoup de détails au sujet de l’incident. Il a fait quelques déclarations qui n’ont été corroborées par aucun autre témoin, mais ces incohérences étaient surtout de nature quantitative. Par exemple, il est le seul témoin qui a déclaré qu’ils ont dû faire des planches abdominales pendant cinq minutes, alors que tous les autres témoins ont déclaré qu’elle avait duré tout au plus 30 secondes. J’estime que, lorsqu’il a témoigné sur les faits dont il a été témoin, l’ex-soldat Fiander était crédible et surtout fiable, comme en témoigne le résumé des faits.

 

b)                  Le bombardier Lorimer-Carlin : j’estime que le témoignage du bombardier Lorimer-Carlin était crédible et fiable. Il a relaté avec précision ce dont il avait été témoin et il est évident qu’il était physiquement proche du soldat Baggs lorsqu’il a été témoin de l’incident des légumes. J’ai senti chez lui une volonté ferme de dire la vérité, et sa version des faits était très cohérente avec celle des témoins à décharge. Même s’il se trouvait tout près de l’endroit où l’on a mis le soldat Baggs au défi de manger des légumes, contrairement à ce qu’a déclaré l’ex‑soldat Fiander dans son témoignage, il ne se souvenait pas du tout d’avoir dû faire des planches abdominales.

 

c)                  Le bombardier Rembowski : le bombardier Rembowski a expliqué au tribunal que, lorsqu’il avait rencontré des agents de la police militaire, il leur avait remis les notes qu’il avait prises lors de sa rencontre avec le bombardier Lorimer-Carlin et l’ex‑soldat Fiander. Il a expliqué au tribunal que lors de cette rencontre, ils s’étaient concentrés surtout sur ce qu’il fallait demander aux agents de la police militaire relativement au processus, notamment sur la raison de leur présence. Il a déclaré qu’ils avaient discuté entre eux de ce qu’ils allaient dire, mais pas de leur histoire. Il a expressément déclaré qu’ils avaient reconnu qu’ils auraient des versions différentes de ce qu’ils avaient vu. C’est dans cet esprit que j’ai examiné son témoignage avec encore plus de prudence; cependant, le témoignage du bombardier Rembowski m’a donné l’impression que le fait qu’il avait pris des notes témoignait de sa volonté de dire la vérité. Dans son cas particulier, sa décision de prendre des notes et de collaborer avec la police militaire semblait avoir pour but pratique de s’assurer qu’il pourrait relater avec exactitude ce qu’il avait vu. Il s’est acquitté de façon méticuleuse de son devoir. Dans son témoignage, il a fourni suffisamment de détails au tribunal pour démontrer qu’il était à la fois crédible et fiable, et il n’a pas adapté son témoignage en fonction de la poursuite ou de la défense. Par exemple, même s’il a admis que la plupart des élèves étaient terrifiés à l’idée de laisser tomber leurs instructeurs, il a également été franc et a déclaré que l’incident au cours duquel le soldat Baggs avait été mis au défi de consommer des légumes s’apparentait à l’atmosphère positive et à l’encouragement de championnat sportif. Lui non plus ne se souvenait pas d’avoir fait des planches abdominales.

 

 

Le soldat Baggs – la victime présumée indiquée dans le premier chef

 

[63]           Le soldat Baggs est la victime présumée de l’incident des légumes, mais il importe de signaler qu’il n’a jamais porté plainte à ce sujet. Âgé de 18 ans au moment du procès, il est ingénieur de combat à temps partiel au sein du 37e Régiment du génie de combat, en plus d’être entraîneur de squash et de travailler à temps partiel au XXXX, et il retournera à l’université Memorial de Terre-Neuve l’hiver prochain pour poursuivre ses études universitaires.

 

[64]           Le soldat Baggs a témoigné de façon honnête, directe et confiante. Il n’a pas minimisé l’incident, mais il a également donné au tribunal la nette impression de ne pas avoir été trop dérangé ni perturbé par l’incident. Il n’a par ailleurs pas cédé aux pressions de l’avocat de la défense qui insistait pour qu’il confirme certains mots qu’il avait employés. C’est de toute évidence quelqu’un de décontracté, mais ses agissements et son témoignage m’ont donné la nette impression qu’il ne se laisse pas facilement persuader. l a confirmé au tribunal qu’il n’avait pas mangé beaucoup de la nourriture qui lui avait été servie pendant le cours. Il ne m’a pas semblé facilement influençable par qui que ce soit, ce qui explique sa résistance étrange, mais très ferme à l’invitation à consommer des légumes, et ce qui peut également expliquer pourquoi il n’a jamais porté plainte auprès de ses supérieurs ou de la police militaire et qu’ultérieurement, il a résisté aux demandes spécifiques pour qu’il fasse une déclaration.

 

[65]           Il a déclaré que l’incident avait duré environ deux minutes et il a confirmé au tribunal qu'il ne s’était pas senti abusé ou maltraité. Il a convenu avec l’avocat de la défense qu’il n’y avait pas de quoi fouetter un chat et a ajouté qu'il n'avait aucun ressentiment. Il a confirmé à plusieurs reprises qu'il n'avait ni vomi ni restitué. Le soldat Baggs m'a impressionné par son honnêteté et sa franchise et par le fait qu’en plus d’être crédible, il s’est révélé être, selon le tribunal, le témoin le plus fiable en ce qui concerne les faits entourant l'incident des légumes.

 

Témoins à décharge

 

[66]           Les témoins à décharge, à savoir les soldats Williams et Jenkins et le caporal Hawco, ont tous témoigné avec clarté et avaient une bonne mémoire des faits. Rien ne permet de penser – et personne n’a laissé entendre – qu’ils avaient préparé leur témoignage avant le procès. J’ai trouvé leur témoignage crédible et fiable.

 

 

Le caporal-chef Young

 

[67]           Le caporal-chef Young a témoigné avec franchise et aplomb. Sur les questions critiques se rapportant aux allégations soumises au tribunal, son témoignage allait dans le même sens que l'ensemble de la preuve et correspondait aux faits constatés par le tribunal. Il a été ferme dans son souvenir des événements et précis dans ses explications des motifs de ses agissements. À un moment donné au cours du contre-interrogatoire, il a été placé sur la défensive par la poursuite et a refusé d’admettre qu'il aurait dû en savoir plus. Il a également nié que tout ça n'était qu’un jeu et qu'il savait que le soldat Baggs ne pourrait pas manger ses légumes. Je l'ai trouvé crédible et fiable et j'ai considéré son témoignage comme authentique.

 

La présomption d'innocence et la norme de preuve hors de tout doute raisonnable

 

[68]           Avant que le juge des faits ne propose son appréciation des chefs d’accusation présentés au tribunal, il convient de traiter de la présomption d'innocence et de la norme de preuve hors de tout doute raisonnable. Il y a deux règles qui découlent de la présomption d’innocence. Premièrement, il incombe à la poursuite de prouver la culpabilité, et deuxièmement, la culpabilité doit être prouvée au-delà de tout doute raisonnable. Ces deux règles, liées à la présomption d’innocence, ont pour but d’empêcher qu’un innocent ne soit déclaré coupable.

 

[69]           Au début du procès, l’accusé est présumé innocent. Cette présomption d’innocence persiste tout au long de l’instance jusqu’à ce que la poursuite, d’après les éléments de preuve présentés au tribunal, me convainque hors de tout doute raisonnable que l’accusé est coupable de chacun des chefs d’accusation.

 

[70]           Que signifie l’expression « hors de tout doute raisonnable »? Cette expression existe depuis fort longtemps. Elle fait partie de notre histoire et de nos traditions juridiques. Elle est tellement ancrée dans notre droit pénal que, pour certains, elle se passe d'explications. Néanmoins, certaines précisions s'imposent. Le doute raisonnable n’est pas un doute imaginaire ou frivole. Il ne doit pas reposer sur la sympathie ou sur un préjugé. Au contraire, il doit être fondé sur la raison et le bon sens. Il doit découler logiquement de la preuve ou de l’absence de preuve (voir R. c. Lifchus, [1997] 3 R.C.S. 320).

 

[71]           Même si je crois que le caporal-chef Young caporal est probablement coupable ou vraisemblablement coupable, cela n’est pas suffisant. Dans ces conditions, je dois accorder à l’accusé le bénéfice du doute et le déclarer non coupable parce que la poursuite n’a pas réussi à me convaincre de sa culpabilité hors de tout doute raisonnable.

 

[72]           D’autre part, il est pour ainsi dire impossible de prouver quoi que ce soit avec une certitude absolue. D’ailleurs, la poursuite n’est pas tenue de le faire. Une telle norme de preuve est impossiblement élevée. Bref, pour que le caporal‑chef Young soit reconnu coupable de l’un ou l’autre des chefs d’accusation, il incombe à la poursuite de démontrer que la preuve représente moins qu’une certitude absolue, mais plus qu’une culpabilité probable pour chacun des chefs d’accusation énoncés à l’acte d’accusation (voir R. c. Starr, [2000] 2 R.C.S. 144, paragraphe 242).

 

Chefs d’accusation – article 95 de la Loi sur la défense nationale

 

[73]           Comme il a déjà été précisé, l’accusé doit répondre à deux accusations portées en vertu de l’article 95 de la Loi sur la défense nationale. Il est allégué dans le premier chef d’accusation que le caporal‑chef Young a maltraité un subordonné — par le grade ou l’emploi. Voici les faits qui lui sont reprochés :

 

[traduction]

 

En ce que le ou vers le 10 août 2015, à ou près de la Station des Forces canadiennes St. John's, à St. John's (Terre-Neuve-et-Labrador), a maltraité le soldat Baggs en lui donnant l’ordre de consommer des légumes jusqu’à ce qu’il vomisse.

 

La loi

 

[74]           L'article 95 revêt une importance particulière. Dans notre système hiérarchique de grades et de commandement, les subordonnés doivent obtempérer aux ordres émanant de leurs supérieurs. Les infractions d'insubordination et de désobéissance aux commandements légitimes appuient cet objectif. En revanche, les supérieurs hiérarchiques sont des personnes qui occupent des postes de confiance et elles doivent par conséquent respecter les normes de conduite les plus élevées. Comme mon collègue le juge militaire d’Auteuil l'a déclaré, au paragraphe 45 de sa décision dans R. c. Murphy, 2014 CM 3021 :

 

Selon la Cour, il appert que le législateur a édicté une telle disposition dans le but d’empêcher tout comportement abusif des membres des Forces canadiennes en position d’autorité, qui consisterait à frapper ou à user de tout autre type de violence à l’égard de tout subordonné en raison de l’existence du système de grade dans le contexte militaire.

 

 

[75]           Par ailleurs, le même collègue, le juge militaire d’Auteuil, a souligné l’importance de l’article 95, au paragraphe 55 de la décision R. c. Laferrière, 2016 CM 3016 :

 

Chaque membre des Forces canadiennes doit respecter la dignité de toute personne, y compris celle de ses subordonnés. Une telle infraction vise essentiellement à éviter les situations d’abus de pouvoir ou d’autorité au sein d’une telle organisation, lequel abus pourrait ainsi miner la confiance et le moral devant habiter les soldats accomplissant leur mission

 

Éléments constitutifs de l’infraction

 

[76]           Les conclusions que je dois tirer sur les premier et deuxième chefs dépendent non seulement de mon appréciation de la crédibilité des témoins dont il a déjà été question, mais aussi de la question de savoir si les faits reprochés dans l’acte d’accusation répondent à la définition de « mauvais traitements » retenue par les cours martiales dans le passé.

 

[77]           L’article 95 de la Loi sur la défense nationale dispose :

 

Mauvais traitements à subalternes

 

95.  Quiconque frappe ou de quelque autre façon maltraite un subordonné — par le grade ou l’emploi — commet une infraction et, sur déclaration de culpabilité, encourt comme peine maximale un emprisonnement de moins de deux ans.

 

[78]           Outre l’identité de l’accusé, la date et le lieu de l’infraction, le fait que la victime présumée était un subordonné de l’accusé par le grade ou l’emploi ont été admis par l’avocat chargé de défendre le caporal-chef Young. Les autres éléments que la poursuite devait prouver hors de tout doute raisonnable étaient :

 

a)                  les faits reprochés dans les chefs d’accusation;

 

b)                  le fait que les faits reprochés répondent à la définition de « mauvais traitements »;

 

c)                  l’état d’esprit répréhensible de l’accusé.

 

Les faits reprochés

 

[79]           En ce qui concerne le premier chef d’accusation, la poursuite a l’obligation de prouver les faits qui y sont allégués, ce qui, en l’espèce, exige qu’elle démontre que le soldat Baggs a reçu l’ordre de consommer des légumes jusqu’à ce qu’il vomisse.

 

Mauvais traitements

 

[80]           Dès lors que les actes reprochés ont été prouvés hors de tout doute raisonnable, il faut alors déterminer si, dans le contexte dans lequel l’incident s’est produit, ces actes constituent de mauvais traitements. Le contexte est important pour déterminer si les actes reprochés constituent de mauvais traitements.

 

[81]           La Loi sur la défense nationale ne définit pas les « mauvais traitements »; il ressort toutefois d’une interprétation stricte de l’article applicable qu’aucune limite n’est imposée quant à la nature des mauvais traitements ou à la manière de les infliger. Les mots employés dans cet article sont « frappe ou de quelque autre façon maltraite un subordonné », ce qui ne se limite pas à le frapper et englobe d’autres formes de sévices. Les mauvais traitements ne se limitent pas à la violence physique ou aux lésions corporelles ou aux blessures. Il peut s’agir d’un préjudice psychologique ou émotionnel ou de tout préjudice ou blessure de la même nature.

 

[82]           En ce qui concerne la nature des mauvais traitements, voici ce que mon collègue le juge militaire Pelletier déclare dans le jugement R. c. Duhart, 2015 CM 4022 :

 

[48]         Le critère élaboré au fil du temps par les diverses cours martiales semble reposer sur des définitions du dictionnaire, plus particulièrement qui se rapportent à l’expression « maltraiter », qui se traduit par « ill-treat » en anglais. Les termes pertinents sont définis comme suit dans Le Nouveau Petit Robert et le Concise Oxford English Dictionary, 11e édition :

 

« maltraiter » 1. Traiter avec brutalité. 2. Traiter avec rigueur, inhumanité. 3. Traiter sévèrement en paroles (une personne à qui l’on parle, ou dont on parle).

 

« cruel » 1. Qui prend plaisir à faire, à voir souffrir. 2. Qui dénote de la cruauté, qui témoigne de la cruauté des hommes. 3. Qui fait souffrir par sa dureté, sa sévérité. 4. Qui fait souffrir en manifestant une sorte d’hostilité.

 

« ill-treat » verbe : act cruelly towards. DÉRIVÉ : ill-treatment, nom. 

 

[83]           De l'avis de notre Cour, une fois que les faits reprochés ont été prouvés, la question de savoir si un acte constitue un mauvais traitement est décidée de façon objective en appliquant les définitions susmentionnées eu égard à l’ensemble des circonstances.

 

État d’esprit répréhensible

 

[84]           Une fois que les faits reprochés ont été prouvés et qu’il a été déterminé que les actes répondent à la définition des mauvais traitements, le tribunal doit déterminer si l’accusé avait l’intention requise.

 

Question à trancher en ce qui concerne le premier chef

 

[85]           Après avoir évalué la preuve, apprécié la crédibilité des témoins et examiné le droit, le tribunal doit d’abord répondre à la question de savoir si les faits reprochés ont été établis hors de tout doute raisonnable. Il incombe à la poursuite d’établir les faits allégués hors de tout doute raisonnable.

 

Analyse du premier chef

 

[86]           À la fin des représentations des avocats, j’ai exprimé des réserves sur les faits reprochés dans les allégations contenues dans le premier chef d’accusation et j’ai demandé aux avocats des éclaircissements et des observations sur ce que ces allégations voulaient dire. Les accusations dont le tribunal est saisi sont graves et peuvent entraîner des conséquences sur le plan pénal. Selon un principe fondamental du droit criminel, l’infraction énoncée dans l’acte d’accusation doit être prouvée hors de tout doute raisonnable. Suivant les faits reprochés dans le premier chef, le caporal –chef Young [traduction] « a maltraité le soldat Baggs en lui donnant l’ordre de consommer des légumes jusqu’à ce qu’il vomisse », ce qui, selon une interprétation stricte, permet de penser que le soldat Baggs a reçu l’ordre de consommer des légumes jusqu’à en vomir, le fait de « vomir » étant l’état final prévu de cet ordre.

 

[87]           En réponse à ma demande d’éclaircissements, les avocats ont laissé entendre qu’il y avait deux interprétations possibles : la première voulant que l’acte de « vomir » soit l’état final prévu par l’ordre; et la seconde étant que l’ordre de consommer des légumes qu’a reçu le soldat Baggs a causé les vomissements lorsqu’il a mangé les légumes. Le tribunal s’est penché sur ces deux interprétations.

 

Première interprétation possible : ordre de « consommer des légumes jusqu’à ce qu’il vomisse »

 

[88]           Selon cette interprétation stricte des faits reprochés, il n’est pas nécessaire que le soldat Baggs ait effectivement vomi. Il faut plutôt prouver qu’il a reçu l’ordre de consommer des légumes de façon ininterrompue jusqu’à ce qu’il vomisse. Or, il n’y a absolument aucun élément de preuve permettant de penser que ce genre d’ordre a été donné par le caporal-chef Young. Si un tel ordre avait été donné par le caporal-chef Young, le tribunal n’aurait absolument aucune hésitation à conclure qu’un tel ordre constituait de la maltraitance ou de mauvais traitements à un subalterne.

 

[89]           La poursuite a soutenu vigoureusement tout au long du procès que le vomissement était prévu parce qu’une poubelle avait été mise à la disposition du soldat Baggs. Cet argument n’a pas convaincu le tribunal. Il n’y a aucun élément de preuve fiable permettant de savoir comment cette poubelle s’est retrouvée là ou encore si le soldat Baggs s’est déplacé vers la poubelle. La simple présence d’une poubelle à proximité du soldat Baggs ne suffit pas pour permettre au tribunal de conclure que le fait de vomir était prévu ou voulu par l’ordre qui aurait été donné. La preuve soumise au tribunal démontre de façon constante que les stagiaires recevaient leur repas dans des assiettes en carton avec des couverts jetables et que, lorsque cette situation se produit dans des situations de restauration pour de grands groupes, il y a toujours de grandes poubelles placées à proximité des clients pour leur permettre de jeter leurs assiettes.

 

Seconde interprétation possible : l’ordre de manger des légumes qu’il a reçu a causé les vomissements

 

[90]           La deuxième interprétation est que le soldat Baggs a vomi parce qu’on lui a intimé l’ordre de manger des légumes. Si l’on interprète en ce sens les faits reprochés, il est nécessaire qu’il y ait effectivement eu vomissements. Autrement dit, si l’on se rapporte à la définition du mot « vomir » dans Le Petit Robert, à savoir « rejeter par la bouche de manière spasmodique », est-ce que l’ordre de manger des légumes a causé les vomissements du soldat Baggs?

 

[91]           Suivant la preuve constante présentée au tribunal, le soldat Baggs n’a jamais mangé de légumes. La poursuite a laissé entendre que le soldat Baggs n’était pas obligé d’avaler les légumes pour vomir ou pour que le contenu de son estomac sorte par sa bouche. Il s’agit là d’un argument créatif qui mérite d’être examiné par le tribunal. La poursuite a fait valoir que certains témoins ont affirmé que le soldat Baggs avait fait plus que recracher les légumes. Après avoir fait référence à un certain nombre de témoins qui ont utilisé des termes comme se faire vomir, faire un mouvement ou un effort de vomissement, étouffer, s’étouffer, vomir, éprouver une forte envie, l’avocat de la poursuite a affirmé que le soldat Baggs avait vomi, qu’une substance avait été évacuée de son estomac et, donc, que le terme « vomir » était juste. Il a ajouté qu’il n’était pas nécessaire pour la poursuite de prouver avec certitude qu’il avait bel et bien vomi.

 

[92]           Comme nous l’avons déjà mentionné, le tribunal a examiné en profondeur le témoignage de tous les témoins et il a apprécié la crédibilité de chacun. Compte tenu de la plupart des témoignages, mais surtout de celui du soldat Baggs, je ne puis souscrire à cet argument. Le soldat Baggs, la victime présumée, a catégoriquement affirmé devant le tribunal qu’il n’avait pas vomi. Son témoignage était clair et, de l’avis du tribunal, il a donné le témoignage le plus fiable sur cet incident.

 

[93]           La poursuite a choisi d’énoncer l’infraction reprochée en adoptant une certaine formulation et elle est donc tenue de faire la preuve de l’infraction en respectant cette formulation. Elle doit aussi supporter les conséquences lorsque la preuve soumise au tribunal ne correspond pas à l’infraction telle que formulée. En fait, la poursuite avait l’obligation de prouver hors de tout doute raisonnable que le caporal‑chef Young avait maltraité le soldat Baggs en lui donnant l’ordre de consommer des légumes jusqu’à ce qu’il vomisse. Selon l’opinion de la Cour, peu importe l’interprétation que l’on donne aux faits allégués dans l’infraction, la poursuite n’a pas réussi à en faire la preuve hors de tout doute raisonnable.

 

Verdict annoté sur les mauvais traitements

 

[94]           Aux termes de l’article 138 de la Loi sur la défense nationale, il est loisible au tribunal de prononcer un verdict annoté de culpabilité. Toutefois, en l’espèce, le tribunal n’examinera pas la preuve parce que, s’il le faisait, il placerait le caporal-chef Young dans une situation injuste, étant donné qu’il ne pourrait pas connaître la preuve et les arguments auxquels il aurait à répondre devant la présente cour martiale. Cela irait également à l’encontre de l’objectif de préciser la nature des faits reprochés pour informer raisonnablement le caporal-chef Young des allégations formulées contre lui et de lui donner la possibilité de bénéficier d’une défense pleine et entière et d’un procès impartial.

 

[95]           Compte tenu du caractère général et souple de l’infraction prévue à l’article 95, pour que l’accusé puisse se défendre équitablement des accusations portées contre lui, il est nécessaire que les faits qui lui sont reprochés ainsi que la preuve qu’il doit réfuter soient suffisamment précis et clairs. De plus, toute preuve légale corroborant les faits qui lui sont reprochés doit lui être présentée pour qu’il puisse y répondre, l’expliquer ou encore la réfuter et qu’il puisse déterminer les moyens qu’il entend invoquer en défense.

 

[96]           Bien que le tribunal n’ait pas à répondre à la question de savoir si la preuve est suffisante pour lui permettre de conclure que le soldat Baggs a été maltraité sans aller jusqu’à conclure que ses vomissements ont été causés par les mauvais traitements qu’il a subis, le tribunal se sent obligé de formuler les observations suivantes. Compte tenu de l’âge des stagiaires et de l’ambiance apparemment tendue qui régnait lors des cinq premières semaines du cours, les stagiaires étaient très vulnérables. Comme le bombardier Rembowski l’a expliqué dans son témoignage, les stagiaires étaient quelque peu terrifiés à l’idée de décevoir leurs instructeurs. La preuve dont dispose le tribunal ne lui permet pas de savoir avec certitude si le caporal-chef Young, qui n’était pas instructeur lors du premier cours, a bien saisi l’état de vulnérabilité dans lequel se trouvaient les élèves ou s’il aurait pu prédire que le soldat Baggs ne pourrait pas physiquement ingérer les légumes. Même les compagnons du soldat Baggs, les bombardiers Rembowski et Lorimer-Carlin, qui étaient avec lui lors du volet commun QMB au cours des cinq semaines précédentes, ont admis devant le tribunal qu’ils étaient personnellement surpris que le soldat Baggs n’arrive pas à manger les légumes et qu’il ait dû les recracher. Le tribunal n’a trouvé aucun élément de preuve permettant de conclure que le caporal-chef Young savait, comprenait ou pouvait prévoir que le soldat Baggs ne pouvait pas manger de légumes ou que le fait de les consommer le rendrait malade.

 

[97]           Cependant, l’essentiel pour le tribunal réside dans le fait que le soldat Baggs a essayé de manger les légumes parce qu’il ne voulait pas décevoir ses compagnons. Il ressort en effet de la preuve que, ce jour-là, le soldat Baggs a cédé aux pressions de ses camarades, car il ne voulait manifestement pas manger les légumes et avait refusé catégoriquement d’en manger au cours des six semaines précédentes.

 

[98]           Soyons clairs : il est tout à fait inacceptable de forcer un subordonné à ingérer ou à consommer quoi que ce soit contre son gré, soit au moyen de pressions excessives exercées par des pairs, soit en menaçant ou en déclarant que le refus d’obtempérer l’exposera à des conséquences négatives. Comme je l’ai dit aux avocats lors de leurs observations finales, si le caporal‑chef Young avait exercé des pressions sur le soldat Baggs pour qu’il consomme de l’alcool ou une autre substance toxique, nous serions tous d’accord pour dire que cet acte répond sans doute à la définition des mauvais traitements. Il est important pour le tribunal de ne pas perdre de vue ce principe et, s’il y a des leçons à tirer du présent procès, de s’assurer qu’elles soient bien comprises.

 

[99]           Dans ses conclusions finales, l’avocat de la défense a fait valoir que les légumes n’étaient pas toxiques et que le soldat Baggs avait admis qu’il n’y était pas allergique. Il a soutenu que la plupart d’entre nous sont capables de consommer de la nourriture sans vomir, même si nous n’en aimons pas le goût. Il a rappelé au tribunal que, partout dans le monde, les parents disent à leurs enfants de manger leurs légumes s’ils veulent du dessert, et que cette façon de faire est très courante chez les parents. Les légumes sont censés être bons pour la santé. Il a laissé entendre qu’il n’était pas déraisonnable de la part du caporal-chef Young de vouloir inciter cette jeune recrue à consommer des légumes alors qu’il était bien connu que le soldat Baggs s’alimentait mal.

 

[100]       Selon son appréciation des faits, le tribunal estime que le caporal-chef Young était bien intentionné. J’accepte son témoignage suivant lequel il se préoccupait du bien-être personnel et de la santé du soldat Baggs et qu’il estimait que le défi était inoffensif et amical et servait à remonter le moral des autres stagiaires. Au départ, le défi avait suscité des rires et de l’énergie positive et, comme l'a déclaré le bombardier Rembowski, c’était un peu comme encourager un participant à une compétition sportive. Le soldat Williams a déclaré que tout s’était passé dans la bonne humeur, que c’était drôle et que c’était une pause agréable du cours; tout le monde s’était bien amusé et que le soldat Baggs riait lui aussi. Il a déclaré au tribunal : [traduction] « Tout le monde l’encourageait; on voulait tous qu’il mange ses légumes et on trouvait la situation excitante, parce que tout le monde savait bien sûr qu’il s’alimentait mal tout au long du cours.»

 

[101]       Toutefois, lorsqu’il est devenu évident que le soldat Baggs n’arrivait pas à manger les légumes et qu’il les recrachait, le caporal-chef Young a lui-même retiré l’assiette de légumes. À mon avis, la décision du caporal-chef Young de mettre le soldat Baggs au défi de manger des légumes constituait une grave erreur de jugement, mais d’après les faits présentés au tribunal et le contexte dans lequel cette décision a été prise, ses actes ne sont pas suffisamment graves pour satisfaire à la norme criminelle, s’agissant de l’infraction à l’article 95.

 

Conclusion sur le premier chef

 

[102]       Je conclus que les faits n'appuient pas les allégations énoncées dans le premier chef d’accusation. Je conclus par ailleurs que les faits qui ont été établis en preuve ne révèlent pas hors de tout doute raisonnable que le caporal-chef Young a maltraité le soldat Baggs de quelque façon que ce soit.

 

Deuxième chef

 

[103]       Le deuxième chef est ainsi libellé :

 

[traduction]

 

En ce que le ou vers le 10 août 2015, à ou près de la Station des Forces canadiennes St. John's, à St. John's (Terre-Neuve-et-Labrador), a maltraité le soldat MacPhail en lui donnant l’ordre de consommer des quantités excessives d’eau.

 

Position de la poursuite

 

[104]       L’avocat de la poursuite n'a pas formulé directement d'observations sur les éléments constitutifs du deuxième chef d'accusation et a plus tard dit au tribunal qu'après avoir entendu les témoignages, les faits reprochés n’étaient selon lui pas suffisamment graves pour pouvoir répondre à la définition de mauvais traitements et il a recommandé l’acquittement.

 

Conclusion sur le deuxième chef

 

[105]       Le tribunal souscrit à la recommandation de la poursuite et estime également que les faits allégués dans le deuxième chef d'accusation ne révèlent pas hors de tout doute raisonnable que le chef de caporal Young a maltraité le soldat MacPhail.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[106]    Vous DÉCLARE non coupable des deux chefs d’accusation énoncés dans l’acte d’accusation.


Avocats :

 

Le directeur des poursuites militaires, représenté par le major G.J. Moorehead

 

Major B.L.J. Tremblay, Service d’avocats de la défense, avocat du caporal‑chef G.P.J. Young

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