Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 30 octobre 2008

Endroit : Garnison Valcartier, l’Académie, édifice 534, Courcelette (QC)

Chefs d’accusation :
Chef d’accusation 1 (subsidiaire au chef d’accusation 2) : Art. 130 LDN, fabrication de faux documents (art. 367 C. cr.).
Chef d’accusation 2 (subsidiaire au chef d’accusation 1) : Art. 125c) LDN, dans l’intention d’induire en erreur a altéré des documents établis à des fins militaires.
Chef d’accusation 3 : Art. 130 LDN, s’être servi de documents contrefaits (art. 368a) C. cr.).
Chef d’accusation 4 : Art. 122a) LDN, a donné sciemment une fausse réponse à une question d’un document à remplir à propos de son enrôlement dans les Forces canadiennes.
Chef d’accusation 5 : Art. 122b) LDN, à propos de son enrôlement dans les Forces canadiennes a fourni un renseignement qu’il savait être faux.

Résultats :

VERDICTS : Chef d’accusation 1 : Coupable. Chefs d’accusation 2, 3, 4, 5 : Non coupable.
SENTENCE : Un blâme et une amende au montant de 3000$.

Contenu de la décision

Citation : R. c. M.S., 2008 CM 3028

 

Dossier : 200820

 

COUR MARTIALE PERMANENTE

CENTRE DE RECRUTEMENT DES FORCES CANADIENNES

GARNISON VALCARTIER

COURCELETTE, QUÉBEC

 

 

 

Date : 17 décembre 2008

 

 

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DU LIEUTENANT-COLONEL L.-V. D'AUTEUIL, J.M.

 

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE

(Intimée)

c.

M.S.

(Requérant)

 

 

 

DÉCISION CONCERNANT UNE DEMANDE D'EXCLUSION D'ÉLÉMENTS DE PREUVE EN VERTU DE L'ARTICLE 24(2) DE LA CHARTE CANADIENNE DES DROITS ET LIBERTÉS EN RAISON D'UNE VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 8 DE LA CHARTE CANADIENNE DES DROITS ET LIBERTÉS

(Prononcée oralement)

 

 

 

INTRODUCTION

 

[1]                    M.S. est accusé de fabrication de faux documents contrairement à l'article 367 du Code criminel, de manière subsidiaire à cette accusation il est accusé d'avoir altéré des documents établis à des fins militaires dans l'intention d'induire en erreur contrairement à l'article 125 c) de la Loi sur la défense nationale, de s'être servi de documents contrefaits contrairement à l'article 368 a) du Code criminel, d'avoir sciemment donné une fausse réponse à une question d'un document à remplir à propos de son enrôlement dans les Forces canadiennes contrairement à l'article 122(a) de la Loi sur la défense nationale, et finalement d'avoir fourni un renseignement qu'il s'avait être faux à propos de son enrôlement dans les Forces canadiennes contrairement à l'article 122 b) de la Loi sur la défense nationale.

 

[2]                    Au début de ce procès par cour martiale permanente, soit le 30 octobre 2008, avant de nier ou d'avouer sa culpabilité à l'égard de chaque chef d'accusation, l'avocat de la défense qui représente M.S. a présenté une requête pour laquelle un avis écrit avait été reçu par le bureau de l'administrateur de la cour martiale le 20 octobre 2008, visant à obtenir de la cour martiale une ordonnance en vertu du paragraphe 24(2) de la Charte canadienne des droits et libertés (ci-après la Charte) afin d'exclure certains éléments de preuve en raison d'une violation alléguée du droit de l'accusé à la protection contre les fouilles, perquisitions ou saisies abusives se trouvant à l'article 8 de la Charte.

 

[3]                    Cette requête préliminaire est présentée dans le cadre de l'article 112.05(5)e) des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ci-après ORFC) à titre de question de droit ou question mixte de droit et de fait à être tranchée par le juge militaire qui préside la cour martiale, telle que prévue à l'article 112.07 des ORFC.

 

[4]                    La cour a procédé à l'audition de la requête les 30 et 31 octobre 2008. Le 11 novembre 2008, la cour s'est rassemblée. J'ai alors déterminé qu'il y avait lieu de suspendre le voir dire concernant l'audition de cette requête et de procéder avec l'audition de la preuve de la poursuite afin de me permettre d'identifier spécifiquement les éléments de preuve visés par la requête de M.S.

 

[5]                    Les termes utilisés au paragraphe 24(2) de la Charte réfèrent spécifiquement à la notion d'élément de preuve. Malgré le fait que j'ai exprimé mes craintes sur ce sujet spécifique avant l'audition de cette requête et que j'ai demandé aux parties d'expliquer dans leur plaidoirie les raisons me permettant de rendre une décision avant l'audition de la preuve de la poursuite, et malgré un certain effort des parties, particulièrement M.S., pour identifier les documents qui avaient fait l'objet d'une saisie par l'enquêteur de la police militaire, il appert qu'il existait toujours une réelle incertitude pour moi quant au fait qu'il avait été démontré par le requérant qu'une majorité de ces documents étaient des éléments de preuve dans le cadre du procès principal et par le fait même l'objet de la présente requête.

 

[6]                    J'ai clairement exprimé aux deux parties qu'il n'était pas de mon intention de rejeter la requête sur ce seul motif. En effet, il m'apparaissait tout à fait inutile et surtout inéquitable de rejeter la requête simplement parce qu'il n'était pas clair pour moi quels étaient tous les documents que je devais considérer comme des éléments de preuve pour disposer de la présente requête. Il m'est apparu beaucoup plus utile alors d'entendre la preuve de la poursuite où tous les éléments de preuve seraient connus et permettre à M.S. d'identifier ceux qui devaient faire l'objet de sa requête.

 

[7]                    M'appuyant sur les propos de la cour d'appel de l'Ontario dans R. c. Kutynec, (1992) 70 C.C.C. (3d) 289, à l'effet que la cour possède une juridiction inhérente quant au contrôle de la conduite du procès lorsqu'une requête invoquant la Charte est présentée, j'en suis venu à la conclusion qu'il était équitable pour les deux parties que j'entende la preuve de la poursuite. J'ai donc permis à M.S. d'identifier plus précisément les éléments de preuve faisant l'objet de sa requête en lui permettant de soulever dans le cadre de la présentation de la preuve de la poursuite une objection à l'égard de chacun des éléments de preuve qu'il considérait visé par sa requête en exclusion, objection que j'ai prise sous réserve. Cette objection spécifique, soulevée par le requérant à l'égard de chaque élément de preuve qu'il considérait visé par sa requête, était relative au fait qu'il devait être exclu pour les raisons présentées dans le cadre de cette dernière.

 

[8]                    Les deux parties n'ont eu aucun commentaire particulier quant à cette façon de procéder et elles m'ont indiqué qu'elles avaient bien compris l'approche adoptée par la cour et les raisons qui la justifiaient. J'ai donc entendu la preuve de la poursuite, à l'exception d'un seul et dernier témoin pour lequel les deux parties m'ont avisé qu'il n'était pas nécessaire pour moi d'entendre afin de décider sur la présente requête. J'ai ré-ouvert le présent voir dire, j'ai procédé avec le requérant et l'intimé à une identification formelle de chacun des éléments de preuve présenté par la poursuite et ayant fait l'objet d'une objection par l'accusé en ce qui a trait à la présente requête pour exclusion de la preuve, et j'ai finalement permis aux avocats de faire des représentations additionnelles à celles qui avaient déjà été faites initialement, puis je me suis retiré pour délibérer sur la requête avant que la preuve de la poursuite ne soit déclarée close.

 

[9]                    Il appert que des 37 documents identifiés par le requérant à la fin de ce processus, 12 de ceux-ci n'avaient pas été identifiés initialement par ce dernier dans le cadre de la présentation initiale de sa requête et l'ont été durant la présentation de la preuve de la poursuite.

 

LA PREUVE

 

[10]                  La preuve au soutien de cette requête est composée :

 

a.   du témoignage du sergent Thierry Paré fourni uniquement dans le cadre du voir dire portant sur la présente requête, policier militaire, responsable de l'enquête qui a mené aux accusations devant cette cour et signataire des dénonciations et affidavit qui ont conduit à l'émission des mandats de perquisition dans ce dossier;

 

b.   des témoignages portant uniquement sur l'identification et la nature des documents fourni dans le cadre du procès principal, dans l'ordre de leur apparition, madame Manon Francoeur, major Chantal Descoteaux, madame Francine Martineau, madame Sonya Sylvain, monsieur Roger Lafond, monsieur Luc Métayer, madame Francine Galarneau et madame Vickie Mercier;

 

a.   de la pièce R1-1, l'avis de requête ;

 

b.   de la pièce R1-2, le sommaire conjoint des faits ;

 

c.   de la pièce R1-3, une demande de communication à des organismes d'enquête fédéraux du 25 octobre 2005;

 

d.   de la pièce R1-4, une demande de communication à des organismes d'enquête fédéraux du 16 novembre 2005;

 

e.   de la pièce R1-5 déposée en liasse avec les annexes A à U, les documents obtenus le 24 janvier 2006 suite à l'approbation de la demande de communication à des organismes d'enquête fédéraux du 16 novembre 2005;

 

f.    de la pièce R1-6 déposée en liasse avec les annexes A à P, des documents provenant du dossier médical du requérant qui ont été saisis le 24 février 2006 en vertu d'un mandat de perquisition émis la journée précédente, et qui ont servi à titre de documents comparatifs à ceux qui ont fait l'objet des présentes accusations;

 

g.   de la pièce R1-7, une dénonciation en vue d'obtenir un mandat de perquisition et un affidavit en annexe datée du 23 février 2006;

 

h.   de la pièce R1-8, un mandat de perquisition daté du 23 février 2006 et un rapport concernant l'exécution du mandat;

 

i.    de la pièce R1-9, une dénonciation en vue d'obtenir un mandat de perquisition et un affidavit en annexe datée du 2 mars 2006;

 

j.    de la pièce R1-10, un mandat de perquisition daté du 2 mars 2006 et un rapport concernant l'exécution du mandat;

 

k.   des pièces suivantes du procès principal, non identifiées dans le cadre de la présente requête, et sur lesquelles je dois rendre une décision en raison de l'objection soulevée par l'avocate de la défense représentant M.S. quant au fait qu'elles devraient être des éléments de preuve exclus pour les motifs présentés dans la présente requête,

 

i.       Pièce 7, demande de radiographie et rapport (CF 2024) du 19 août 2002.

 

ii.       Pièce 8, Rapport d'urgence (CF 2138) du 19 août 2002.

 

iii.      Pièce 9, rétroaction du Dr Sylvain au résident du 17 mars 2006.

 

iv.      Pièce 10, rétroaction du Dr Sylvain au résident du 28 mars 2006.

 

v.      Pièce 12 annexe A, rapport de disposition médicale ou dentaire du 11 avril 2005.

 

vi.      Pièce 12 annexe C, fiche d'examen médical (CF 2033) du 19 octobre 2005.

 

vii.     Pièce 12 annexe E, rapport d'urgence (CF 2138) du 16 décembre 2002.

 

viii.    Pièce 12 annexe F, demande de consultation au dermatologue du 21 août 2002.

 

ix.      Pièce 12 annexe G, rapport d'urgence (CF 2138) du 11 avril 2005.

 

x.      Pièce 12 annexe H, rapport de laboratoire du 16 décembre 2002.

 

xi.      Pièce 19 annexe Q, Résultats Rapport de laboratoire (Biologie médicale) du 6 février 2003.

 

xii.     Pièce 20, le rapport d'expertise de madame Vickie Mercier, spécialiste en documents;

 

l.       la connaissance judiciaire prise par la cour des faits et questions contenues dans la règle 15 des Règles militaires de la preuve, et plus particulièrement les chapitres 5023-0 (Universalité du service) et 5023-1 (Critères minimaux d'efficacité opérationnelle liés à l'universalité du service) des Directives et ordonnances administra-tives des Forces canadiennes, la publication A-MD-154-000/FP-000, Normes médicales applicables aux Forces canadiennes; et

 

m.     la connaissance judiciaire prise par la cour des faits et questions contenues dans la règle 16(1)e) des Règles militaires de la preuve, et plus particulièrement le message général des Forces canadiennes (CANFORGEN) 039/08 du 13 février 2008 portant sur la divulgation de renseignements médicaux ou de travail social aux officiers commandants.

 

LES FAITS

 

[11]                  Tout d'abord, il y a lieu de relater les faits qui ont donné lieu à la présente requête. Pour m'aider dans la compréhension du cheminement de chacun des documents qui a été déposé dans le cadre de la requête ou qui a été identifié dans le cadre du procès comme faisant l'objet de la présente requête, j'ai préparé un tableau qui se retrouve à l'annexe 1 de la présente décision. J'ai identifié les documents selon la cote qui leur a été attribué dans le cadre des procédures et par l'expert qui a témoigné dans le procès principal, puis j'ai coché selon le moment où chacun d'eux a été saisi. J'ai aussi coché, lorsque cela était approprié, si chacun des documents faisait l'objet de la présente requête. C'est ainsi que j'ai pu confirmer qu'il y avait 37 documents qui faisaient l'objet de la présente requête.

 

[12]                  Tel qu'il appert de la note de service du major Descoteaux du 12 octobre 2005 et de son annexe constituant le narratif des événements (pièce R1-5 annexe U), le 29 août 2005, le major Descoteaux, médecin-chef de la garnison Valcartier a reçu une facture du ministère des Anciens combattants (pièce R1-5 annexe R) concernant le coût d'une série de 30 entrevues de M.S. avec un psychologue, monsieur Carol Girard, qui ont eu lieu entre le 9 juillet 2003 et le 11 mars 2005. Cette facture était accompagnée d'un rapport de consultation du même psychologue daté du 20 avril 2005 (pièce R1-5 annexe T).

 

[13]                  La réception de cette facture et du rapport de consultation au mois d'août 2005 souleva chez le major Descoteaux de vives inquiétudes. En effet, au mois de décembre 2004, le major Descoteaux, à titre de médecin de l'air, aurait rencontré M.S. dans le cadre d'une consultation pour un ré-enrôlement ou un transfert de la force de réserve à la force régulière, la preuve n'est pas claire sur ce sujet, afin de procéder à une évaluation médicale de ce dernier concernant son aptitude à exercer à nouveau le métier de pilote au sein des Forces canadiennes. L'aspect de l'état de santé psychologique de M.S. aurait été soulevé lors de cette consultation médicale, particulièrement en raison d'informations apparaissant au dossier médical de M.S. référant à une situation antérieure sur ce sujet, et le médecin a conclu, sur la foi des informations fournies par M.S., que tout semblait résolu depuis plus d'un an. Elle le déclara donc apte à exercer à nouveau son métier de pilote au sein de l'élément de la force régulière des Forces canadiennes.

 

[14]                  Tel ne fut pas la surprise du major Descoteaux, suivant la réception par le service médical de la garnison de Valcartier, dont elle était le médecin-chef, de la facture et aussi du rapport de consultation, de lire et constater dans ces documents qu'il semblait que le sujet de l'état psychologique de M.S. n'était nullement une affaire résolue. En conséquence, le major Descoteaux procéda immédiatement à une révision complète du dossier médical de M.S. et des documents qui le composent afin de vérifier s'il y avait une trace écrite quelconque de cette présumée contradiction.

 

[15]                  Suite à cette révision documentaire, le major Descoteaux conclut que certains documents relatifs à des diagnostiques auraient été modifiés et que certaines signatures de médecins, dont la sienne, apparaissant sur certains documents auraient été imitées. De plus, elle était d'avis que M.S. aurait fourni des informations fausses ou inexactes quant à son état de santé lors de son examen médical pour son ré-enrôlement au mois de décembre 2004 et au début de l'année 2005. En conséquence, après avoir obtenu un avis juridique, elle contacta par courriel la police militaire le 6 octobre 2005 afin de rapporter ses constatations relativement à la commission alléguée de certaines infractions.

 

[16]                  Le 12 octobre 2005, le major Descoteaux fit parvenir à son supérieur hiérarchique dans le domaine médical une note de service (pièce R1-5 annexe U) faisant état de ses conclusions suite à la révision du dossier médical de M.S. Cette note de service comporte une annexe dans laquelle elle a fait une description chronologique des événements soutenant ses allégations de falsification documentaire en plus de la copie de documents numérotés de 1 à 14 qu'elle a jointe pour concrétiser le tout.

 

 [17]                 Le 18 octobre 2005, le major Descoteaux a été rencontrée par le sergent Paré et le sergent Perry, tous deux enquêteurs au détachement de la police militaire de la garnison Valcartier. Le sergent Paré a été assigné à ce dossier à titre d'enquêteur principal.

 

La demande de communication de documents en vertu de l'article 8(2)(e) de la L.P.R.P.

 

[18]                  Le 25 octobre 2005, le sergent Paré soumettait une demande de communication à des organismes d'enquête fédéraux (pièce R1-3) en vertu de l'article 8(2)(e) de la Loi sur la protection des renseignements personnels (ci-après L.P.R.P.) afin d'obtenir certains dossiers médicaux de M.S. ainsi que la note de service du 12 octobre 2005 du major Descoteaux au sujet d'allégations de fraude présumée de la part du requérant. Cette demande a été refusée le même jour car la directrice intérimaire du département de l'accès à l'information et de la protection des renseignements personnels pour le ministère de la Défense nationale désirait plus d'information et de précision sur les documents qui faisaient l'objet de la demande.

 

[19]                  Le 16 novembre 2005, le sergent Paré soumettait une seconde demande de communication à des organismes d'enquête fédéraux (pièce R1-4) en vertu de l'article 8(2)(e) de la L.P.R.P afin d'obtenir 21 documents relatifs à des allégations de fraude présumée de la part de M.S. Cette demande a été autorisée par la directrice intérimaire du département de l'accès à l'information et de la protection des renseignements personnels pour le ministère de la Défense nationale. Les documents ont été remis au sergent Paré le 24 janvier 2006. Cinq des documents remis étaient des originaux, les autres étant des copies.

 

[20]                  De ces 21 documents obtenus par le sergent Paré, dix font l'objet de la présente requête d'exclusion d'éléments de preuve (voir annexe 2).

 

Le 1er mandat de perquisition et saisie

 

[21]                  Le sergent Paré a procédé à une analyse des documents obtenus et il décida par la suite qu'il serait approprié d'obtenir le dossier médical complet de M.S. afin d'utiliser certains documents qui y étaient contenus pour faire effectuer par un expert une comparaison d'écriture avec les documents identifiés comme problématique et aussi procéder à une vérification des autres documents au dossier et qui auraient pu être l'objet d'une possible modification ou qui auraient pu potentiellement servir à la commission de la fraude alléguée.

 

[22]                  Le 23 février 2006, une dénonciation afin d'obtenir un mandat de perquisition et un affidavit à l'appui de la dénonciation (pièce R1-7) ont été soumis à un juge de paix par le sergent Paré. Le même jour, un mandat de perquisition (pièce R1-8) a été émis autorisant à rechercher et à saisir le dossier médical complet de M.S. Le 24 février 2006, le mandat de perquisition a été exécuté par le sergent Paré à la clinique médicale de la garnison Valcartier et le dossier médical complet de M.S. a été saisi.

 

[23]                  Cependant, il est à noter que quelques instants avant de procéder à la saisi du dossier médical de M.S., le sergent Paré a remis au major Descoteaux cinq documents originaux obtenus le 24 janvier 2006 dans le cadre de la demande de communication de documents en vertu de la L.P.R.P. afin qu'elle les replace dans le dossier médical de M.S. Ainsi, les documents suivants, qui font l'objet de la présente requête, qui avaient été obtenus initialement dans le cadre de la demande de communication à des organismes d'enquête fédéraux en vertu de l'article 8(2)(e) de la L.P.R.P., ont fait par la suite l'objet d'une saisie le 24 février 2006 en vertu de l'exécution du mandat de perquisition :

 

a.         Carnet de visites médicales (CF 2016) contenant les inscriptions datées du 21 et 26 septembre 2002 (pièce R1-5 annexe I);

 

b.         Examen de santé de type II pour le personnel navigant (DND 1737) daté du 21 septembre 2002 (pièce R1-5 annexe H);

 

c.         Fiche d'examen médical (CF 2033) daté du 21 septembre 2002 (pièce R1-5 annexe G);

 

d.         Formulaire DND 728 B Transmission et réception de documents, copie du destinataire - daté du 4 octobre 2002 (pièce R1-5 annexe N);

 

e.         Feuille manuscrite de prise de tension artérielle pour la période du 26 août au 24 septembre 2002 (pièce R1-5 annexe K et pièce R1-6 annexe D).

 

[24]                  Suite à la saisie du dossier médical, 24 documents provenant de ce dossier ont été soumis à un expert par l'enquêteur de la police militaire pour faire effectuer une comparaison d'écriture avec les trois documents identifiés comme problématique (voir annexe 3).

 

Le 2e mandat de perquisition et saisie

 

[25]                  La note de service du major Descoteaux datée du 12 octobre 2005 n'étant pas dans le dossier médical de M.S., mais étant en possession du sergent Paré en raison de la demande de communication de documents en vertu de la L.P.R.P. exécutée le 24 janvier 2006, le sergent Paré jugea approprié de procéder à sa saisie, et à cette fin, il a soumis le 2 mars 2006, à un juge de paix-magistrat, une dénonciation afin d'obtenir un mandat de perquisition et un affidavit à l'appui de la dénonciation (pièce R1-9). Le même jour, un mandat de perquisition (pièce R1-10) a été émis et exécuté, autorisant le sergent Paré à rechercher et à saisir la note de service en question. Il a exécuté le mandat en saisissant la note de service, son annexe et les pièces jointes qui se trouvaient déjà en sa possession au détachement de la police militaire de la garnison Valcartier.

 

[26]                  Les pièces jointes de cette note de service étaient des copies de documents extraits par le major Descoteaux de dossiers sous le contrôle de la clinique médicale de la garnison Valcartier, et notamment du dossier médical du requérant. À l'exception de la pièce jointe numéro 14 (une note de service de madame Manon Francoeur datée du 12 octobre 2005 (pièce 14)), tous les autres documents en pièces jointes avaient déjà été obtenus auparavant par l'enquêteur de la police militaire, soit dans le cadre de sa demande de communication de documents formulée en vertu de la L.P.R.P. exécutée le 24 janvier 2006, soit à la suite de l'exécution du premier mandat de perquisition et saisie concernant le dossier médical de M.S. le 24 février 2006. Seules les pièces jointes numéros 2 à 13 de cette note de service font l'objet de la présente requête (voir annexe 4), et elles se retrouvent à être une copie des documents saisis dans d'autres circonstances et que j'ai identifiées aux paragraphes 20 et 24 comme étant aussi l'objet de la présente requête (voir les annexes 2 et 3).

 

Le rapport d'expertise en documents

 

[27]                  Le 21 juin 2006, le sergent Paré demanda à un expert de préparer un rapport écrit afin d'établir si certaines signatures de médecins et certains diagnostiques rédigés par des médecins et apparaissant dans certains documents concernant M.S. auraient été modifiés par ce dernier. Plus précisément, cette demande concernait trois documents dont les originaux ont été obtenus le 24 janvier 2006 par la police militaire dans le cadre de la demande de communication de documents en vertu de la L.P.R.P., puis suite à l'exécution du mandat de perquisition le 24 février 2006 et qui ont été introduits dans le cadre du procès et de cette requête.

 

[28]                  Ces trois documents sont au cœur des trois premiers chefs d'accusation apparaissant à l'acte d'accusation et qui portent sur la falsification et l'altération de documents, ainsi que sur l'utilisation de faux documents. Les documents qui ont été soumis par le sergent Paré pour expertise sont :

 

a.         Un carnet de visites médicales (CF 2016) contenant les inscrip-tions datées du 21 et 26 septembre 2002 (pièce R1-5 annexe I);

 

b.         Un examen de santé de type II pour le personnel navigant (DND 1737) daté du 21 septembre 2002 (pièce R1-5 annexe H); et

 

c.         Une fiche d'examen médical (CF 2033) daté du 21 septembre 2002 (pièce R1-5 annexe G).

 

[29]                  De plus, M.S. a introduit en preuve dans le cadre de sa requête, par le biais de son avocat et avec le consentement du procureur de la poursuite, 16 des 24 documents énumérés au paragraphe 24 de la présente décision (voir les pièces R1-6 annexes A à P aussi identifiées comme pièce 19 annexe A à P) et 2 des 10 documents énumérés au paragraphe 20 de la présente décision (voir les pièce R1-5 annexes P et Q) et qui ont été utilisés par l'expert à titre de comparateur concernant l'écriture du requérant avec les documents faisant l'objet des accusations. Aussi, 8 des 24 documents énumérés au paragraphe 24 de la présente décision (pièces 7 et 8, et la pièce

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12 annexes A, C, E à H), qui ont été utilisés par l'expert aux mêmes fins, font aussi l'objet de la présente requête car ils ont été aussi identifiés à ce titre par le requérant lors de leur dépôt par la poursuite à titre d'éléments de preuve dans le cadre du procès.

 

[30]                  Il appert que les pièces 9 et 10 introduites à titre d'éléments de preuve par la poursuite font l'objet aussi de la présente requête et ont servi à l'expert à titre de documents de comparaison. Il s'agit du :

 

a.         du document intitulé « rétroaction au résident » signé par le Dr Sylvain et daté du 17 mars 2006 (pièce 9); et

 

b.         du document intitulé « rétroaction au résident » signé par le Dr Sylvain et daté du 28 mars 2006 (pièce 10).

 

[31]            Cependant, il appert qu'aucune preuve particulière n'a été présentée dans le cadre de la requête ou du procès afin d'établir la nature et la provenance de ces deux documents, outre le fait que certaines inférences pourraient être tirées des documents eux-mêmes.

 

[32]            Le 19 janvier 2007, madame Vickie Mercier, spécialiste en documents, produisait un rapport d'expertise en documents concluant que les signatures des médecins apparaissant sur les trois documents soumis à l'expertise n'étaient pas celles des médecins concernés, sans pouvoir toutefois identifier l'auteur de ces signatures, et concluant que certains écrits rédigés dans ces documents n'étaient pas de la main de ces médecins mais avaient été rédigés ou possiblement rédigés par M.S., c'est-à-dire la personne qui lui avait été soumise comme étant l'auteur des documents de comparaison qu'elle avait utilisés pour la préparation de son rapport.

 

[33]            Le rapport d'expertise en documents a été introduit dans le procès principal comme pièce 20 et a été identifié par le requérant comme un document faisant l'objet de sa requête.

 

LA POSITION DES PARTIES

 

Le requérant

 

[34]            La position du requérant dans ce dossier est à l'effet que la cour devrait ordonner l'exclusion en vertu du paragraphe 24(2) de la Charte de tous les documents provenant du dossier médical de M.S. parce qu'il a fait l'objet d'une saisie abusive par l'enquêteur de la police militaire en raison d'une violation de son droit à la protection contre les saisies abusives prévues à l'article 8 de la Charte. Alternativement, le requérant demande que si la cour n'en arrive pas à une telle conclusion, elle demande alors que la cour ordonne l'exclusion des documents introduits à titre d'éléments de preuve dans le cadre du procès, et plus précisément concernant les documents que j'ai énumérés aux paragraphes 20, 24, 30 et 33 de la présente décision.

 

[35]            M.S. prétend aussi que la cour devrait aussi ordonner l'exclusion de la note de service du major Descoteaux du 12 octobre 2005, incluant l'annexe et les pièces jointes, qui ont été saisies par l'enquêteur de la police militaire le 2 mars 2006 suite à l'émission d'un mandat de perquisition.

 

[36]            Finalement, le requérant demande que la cour ordonne l'exclusion du rapport d'expertise en documents, identifié au paragraphe 33 de la présente décision, et dans lequel l'expert base son analyse et ses conclusions sur des documents qui proviennent du dossier médical de M.S. et qui font l'objet de la présente requête en demande d'exclusion d'éléments de preuve.

 

[37]            Selon le requérant, en raison de l'expectative raisonnable de vie privée existant à l'égard de son dossier médical se trouvant à la clinique médicale de la garnison Valcartier, la saisie de tout document se trouvant dans son dossier médical par un policier qui agit au nom de l'État requérait obligatoirement une autorisation judiciaire se traduisant par l'émission d'un mandat de perquisition. En conséquence, selon M.S., l'obtention par le sergent Paré de certains documents contenus dans son dossier médical le 24 janvier 2006 suite à une autorisation accordée en vertu de la L.P.R.P. constitue une saisie sans mandat qui est à sa face même abusive et viole le droit de M.S. d'être protégé contre une saisie d'une telle nature tel qu'énoncé à l'article 8 de la Charte. Le fait d'avoir procédé à une nouvelle saisie des mêmes documents un mois plus tard par le biais d'un mandat de perquisition ne vient pas, selon le requérant, valider ou légalement corriger l'omission par l'enquêteur d'avoir procédé correctement initialement.

 

[38]            Par contre, si la cour en venait à une conclusion contraire, c'est-à-dire que l'obtention des documents médicaux dans le dossier médical du requérant en vertu d'une autorisation obtenue en vertu de la L.P.R.P. ne constituerait pas une violation du droit du requérant prévu à l'article 8 de la Charte, M.S. soumet que le mandat de perquisition émis le 23 février 2006 autorisant la saisie de son dossier médical est illégal parce que, d'une part, la description de l'objet à saisir est beaucoup trop générale, soit le dossier médical, et d'autre part, que la dénonciation n'indique pas si le dénonciateur a fait une déclaration assermentée et aussi que l'affidavit à l'appui de la dénonciation n'a fait l'objet d'aucune déclaration assermentée. En conséquence, l'exécution d'un mandat de perquisition et de saisie obtenu illégalement constituerait une saisie abusive et violerait ainsi le droit du requérant d'être protégé contre une telle chose en vertu de l'article 8 de la Charte.

 

[39]            Quant au mandat de perquisition et de saisie obtenu et exécuté par l'enquêteur de la police militaire le 2 mars 2006, le requérant prétend que son exécution était abusive au sens de l'article 8 de la Charte en ce que le sergent Paré ne s'étant pas départi de la note de service du major Descoteaux qu'il avait déjà en sa possession, incluant l'annexe et les pièces jointes, a essayé de remédier inutilement et abusivement à l'illégalité de cette possession de documents obtenus grâce à une autorisation en vertu de la L.P.R.P., par l'exécution d'un mandat de perquisition. Selon M.S., le caractère abusif de la saisie de la note de service est démontré par le fait que l'enquêteur a tenté de remédier à une saisie illégale sans mandat en procédant à l'exécution de la saisie du même objet,

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cette fois avec le concours d'une autorisation judiciaire. Tout cela est d'ailleurs démontré, selon lui, par le fait que l'enquêteur a omis d'identifier l'objet saisi et l'endroit de la saisie dans le rapport de saisie remis par l'enquêteur de la police militaire suite à l'exécution de la saisie de la note de service.

 

[40]            Finalement, le requérant conclut qu'en raison de la gravité de la violation, cela déconsidérerait l'administration de la justice si les documents identifiés ne feraient pas l'objet d'une exclusion en vertu du paragraphe 24(2) de la Charte.

 

L'intimée

 

[41]            Quant à elle, l'intimée soutient que ce n'est pas toute saisie qui exige l'émission d'un mandat de perquisition. À son avis, le sergent Paré a obtenu de manière tout à fait légale les documents demandés en vertu de l'article 8(2)(e) de la L.P.R.P. et la prétention de l'intimée est que leur saisie était tout à fait valide et ne nécessitait aucun mandat, compte tenu des dispositions de la L.P.R.P. Elle suggère que la cour procède à une analyse individuelle de chacun des documents afin de déterminer si le requérant a une expectative de vie privée à l'égard de chacun d'eux. De plus, elle soumet que pour ceux où la cour conclurait qu'il y en a effectivement une, cela n'aura pas pour effet d'exiger l'obtention d'un mandat de perquisition, considérant les dispositions habilitantes de la L.P.R.P. Selon l'intimée, c'est aux dispositions de cette loi que le requérant aurait dû s'attaquer s'il jugeait la saisie des documents par la police militaire abusive.

 

[42]            Quant aux mandats de perquisition, l'intimée considère qu'ils sont tous les deux valides. Concernant celui émis le 23 février 2006, elle soutient que le témoignage du sergent Paré dans le cadre de cette requête établit amplement la preuve du type d'assermentation sur la dénonciation et le fait que le policier a été dûment assermenté quant à son affidavit à l'appui de la dénonciation. De plus, elle soutient que cette saisie a été exécutée de manière tout à fait appropriée et qu'elle n'était aucunement abusive. Quant au deuxième mandat, elle plaide que l'omission sur le rapport de saisie ne soutient nullement une preuve quant au caractère abusif de la saisie puisqu'il a été constitué une fois la saisie de la note de service terminée.

 

[43]            Finalement, la poursuite soutien que si la cour en venait à la conclusion qu'il y aurait eu une violation du droit de l'accusé prévu à l'article 8 de la Charte, alors il n'y aurait pas lieu d'exclure la preuve obtenue car la gravité de la violation serait minime en raison du comportement du policier militaire qui avait seulement pour but de voir à obtenir la preuve en toute légalité. De plus, compte tenu de la gravité des infractions et du fait que la violation serait minimale, c'est le fait d'exclure la preuve qui serait la mauvaise chose à faire car cela déconsidérerait véritablement l'administration de la justice.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[44]            Le paragraphe 24(2) se lit comme suit :

 

24. (2) Lorsque, dans une instance visée au paragraphe (1), le tribunal a conclu que des éléments de preuve ont été obtenus dans des conditions qui portent atteinte aux droits ou

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libertés garantis par la présente charte, ces éléments de preuve sont écartés s'il est établi, eu égard aux circonstances, que leur utilisation est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.

 

[45]            En conséquence, la cour doit d'abord déterminer l'accusé a établi par prépondérance de preuve que des éléments de preuve ont été obtenus dans des conditions qui portent atteinte à son droit d'être protéger contre les saisies abusives, tel que prévu à l'article 8 de la Charte.

 

[46]            Par la suite, si la cour conclut que c'est le cas, elle devra déterminer si, eu égard aux circonstances, que l'utilisation de ces éléments de preuve est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.

 

ANALYSE

 

L'article 8 de la Charte

 

[47]            Afin de répondre à la première question en litige, il y a lieu d'abord de se remémorer le texte de l'article 8 de la Charte qui se lit comme suit :

 

8. Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.

 

Une intervention de l'État

 

[48]            Tout d'abord, afin de faire valoir son droit prévu à l'article 8 de la Charte, il appartenait à M.S. de démontrer que la saisie des documents dans son dossier médical constituait une action ou une interférence de l'État. Dans mon esprit, il ne fait aucun doute que l'enquêteur du détachement de la police militaire de la garnison Valcartier est un représentant de l'État qui a cherché à mettre la main sur les documents contenus au dossier médical en question afin d'obtenir des éléments de preuve qui pourraient servir à soutenir la preuve de la commission d'infractions d'ordre militaire par M.S. Il s'agit donc d'une action et d'une interférence de l'État qui permet l'application de la Charte.

 

Une expectative raisonnable de vie privée

 

[49]            Maintenant, est-ce que M.S. a établi que le comportement de l'enquêteur de la police militaire constitue une fouille, une perquisition ou une saisie au sens de l'article 8 de la Charte? Pour répondre à cette question, il est nécessaire pour moi de déterminer dans cette première partie de l'analyse sous l'article 8 de la Charte, en regardant l'ensemble des circonstances présentées par M.S., s'il existe une expectative raisonnable de vie privée à l'égard des documents qui font l'objet de cette requête et si le requérant en bénéficie afin d'établir s'il avait qualité pour agir, c'est-à-dire qu'il peut présenter la présente requête. En d'autres mots, est-ce que M.S. pouvait raisonnablement s'attendre au respect de sa vie privée?

 

      i. Définition du concept du droit à la vie privée

 

[50]            Pour ce faire, je dois d'abord déterminer ce que constitue une expectative raisonnable de vie privée. Par la suite, je procéderai à l'analyse de chacun des documents identifiés par le requérant comme étant l'objet de sa requête afin de déterminer s'il existe ou non pour chacun d'eux une expectative raisonnable de vie privée. Ainsi, je serai en mesure de savoir pour chaque document si je dois poursuivre ou non mon analyse sous l'article 8 de la Charte. En effet, dans le cas où j'en viendrais à la conclusion qu'il n'y a pas d'expectative raisonnable de vie privée pour un document donné, alors je devrai cesser mon analyse à son égard. Dans le cas contraire, je passerai à l'étape suivante de l'analyse pour le document en question.

 

[51]            L'application de l'article 8 de la Charte qui porte sur la protection d'une personne contre les fouilles, perquisitions et saisie abusives est fondamentale à la relation qui existe entre un citoyen, ce qui inclut un militaire des Forces canadiennes, et l'État. À cet effet, il s'agit donc, tel que déterminé par la Cour suprême du Canada dans diverses décisions portant sur le sujet, de procéder à la recherche d'un équilibre entre le respect de la vie privée des citoyens et l'obligation de l'État de voir à la protection de ces derniers par la répression du crime en assurant leur sécurité.

 

[52]            En ce sens, tel que mentionné par le juge Binnie au nom de la cour dans l'affaire R. c. Tessling, [2004] 3 R.C.S. 432, au paragraphe 18 :

 

[C]e n'est que lorsque les enquêtes de l'État empiètent sur un droit raisonnable des particuliers à la vie privée que l'action gouvernementale en cause constitue une « fouille ou perquisition » au sens de l'art. 8 : Evans précité, par 11.

 

      ii. Les différents aspects du droit à la vie privée

 

[53]            La Cour suprême du Canada en est venue à la conclusion que la jurisprudence a su établir un certain nombre d'aspects du droit à la vie privée qui bénéficie de la protection de l'article 8 de la Charte, notamment les aspects qui ont trait à la personne, aux lieux et à l'information (voir R. c. Tessling, précité, au paragraphe 20).

 

[54]            Il appert que les documents qui font l'objet de la présente requête, à l'exception du rapport d'expertise en documents, proviennent tous de la clinique médicale de la garnison Valcartier où le requérant recevait et reçoit toujours l'ensemble des soins médicaux dont il a besoin et où se trouvait l'original de son dossier médical jusqu'à sa saisie par l'enquêteur de la police militaire.

 

[55]            À mon avis, la présente requête met en jeu essentiellement les aspects de la vie privée de M.S. en ce qui a trait à sa personne et à l'information. En effet, le contenu des documents est relatif à sa personne et ses documents se trouvaient dans son dossier médical. De plus, l'enquêteur de la police militaire cherchait à obtenir de l'information quant aux caractéristiques personnelles reliées, entre autres choses, à l'écriture de M.S. En conséquence, je conclus que c'est le droit personnel à la vie privée de M.S. qui est soulevé par cette requête et que ce dernier a qualité pour agir.

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[56]            La vie privée qui a trait à la personne réfère spécifiquement à l'intégrité corporelle de M.S. En effet, il est tout à fait plausible de penser que les documents qui proviennent de son dossier médical et qui sont l'objet de la requête contiennent des renseignements tirés d'analyse de substances corporelles ou encore qu'il a fourni quant à son état physique ou psychologique. D'ailleurs, comme l'a si bien dit l'avocat du requérant, la Cour suprême a souligné à plusieurs reprises, dans le cadre de l'analyse d'une violation alléguée de l'article 8 de la Charte, que l'intégrité corporel d'un individu et les informations qui en découlent, ont une prétention plus forte à bénéficier d'une protection constitutionnelle (voir R. c. Tessling, précité, au paragraphe 21). Ceci s'avère encore plus vrai dans un cadre médical ou hospitalier, comme l'a d'ailleurs souligné le juge La Forest au nom de la majorité des membres de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt R. c. Dyment, [1988] 2 R.C.S. 417, au paragraphe 38, lorsqu'il affirme :

 

Toutefois, comme je l'ai indiqué précédemment, la vie privée ne s'entend pas qu'au sens physique. La dignité de l'être humain est tout aussi gravement atteinte lorsqu'il y a utilisation de substances corporelles, recueillies par des tiers à des fins médicales, d'une manière qui ne respecte pas cette limite. À mon avis, la confiance du public dans l'administration des services médicaux serait mise à rude épreuve si l'on devait autoriser la circulation libre et informelle de renseignements, particulièrement de substances corporelles, des hôpitaux vers la police.

 

[57]            Quant à l'aspect de la vie privée qui a trait à l'information, la Cour suprême défini au paragraphe 23 de l'arrêt Tessling précité, ce qui était visé :

 

Le droit au respect du caractère privé des renseignements personnels a été défini comme [TRADUCTION] « le droit revendiqué par des particuliers, des groupes ou des institutions de déterminer eux-mêmes le moment, la manière et la mesure dans lesquels des renseignements les concernant sont communiqués » : A. F. Esting, Privacy and Freedom (1970), p. 7. La protection de ce de droit repose sur le postulat selon lequel l'information de caractère personnel est propre à l'intéressé, qui est libre de la communiquer ou de la taire comme il l'entend.

 

(Rapport du groupe d'étude établi conjointement par le ministère des Communications et le ministère de la Justice, L'ordinateur et la vie privée (1972), p. 13)

 

[58]            C'est dans la décision de la Cour suprême du Canada dans R. c. Plant, [1993] 3 R.C.S. 281, que la Cour suprême a fixé certaines balises quant à l'information qui fait partie de celle incluse dans le concept d'expectative raisonnable de vie privée, exprimant à la page 293 le tout en ces termes :

 

Étant donnée les valeurs sous-jacentes de dignité, d'intégrité et d'autonomie qu'il consacre, il est normal que l'art. 8 de la Charte protège un ensemble de renseignements biographiques d'ordre personnel que les particuliers pourraient, dans une société libre et démocratique, vouloir constituer et soustraire à la connaissance de l'État. Il pourrait notamment s'agir de renseignements tendant à révéler des détails intimes sur le mode de vie et les choix personnels de l'individu.

 

[59]            Ainsi, il faut aussi comprendre que ce n'est pas toutes les informations personnelles dont un individu veut préserver la confidentialité qui bénéficient de la protection de l'article 8 de la Charte (sur ce sujet, voir Tessling précité, paragraphe 26).

 

[60]            C'est en se basant sur ces aspects de la vie privée, c'est-à-dire l'intégrité corporel en milieu médical, et sur celui de l'information, que l'avocat du requérant m'a invité à déclarer que tous les documents saisis par l'enquêteur de la police militaire dans le dossier médical de son client, M.S., bénéficiaient sans aucune exception, d'une expectative raisonnable de vie privée. Il a étendu aussi ses propos au rapport d'expertise en documents, affirmant que ce dernier devait être qualifié de la même manière que les autres parce ce que les conclusions du rapport s'appuyaient sur des documents saisis dans le dossier médical.

 

[61]            Il m'est impossible à ce stade-ci de l'analyse de faire une telle chose. En effet, ce sont chacun des éléments de preuve, c'est-à-dire chacun des documents mis en cause par le requérant qui doit faire l'objet d'une analyse et non pas l'ensemble des documents contenus au dossier médical de M.S. saisis par l'enquêteur de la police militaire. Ce n'est pas parce que les documents se retrouvent dans le dossier médical d'un militaire que cela fait en sorte qu'ils contiennent nécessairement des informations de nature médicale leur conférant automatiquement une expectative raisonnable de vie privée.

 

[62]            Agir autrement équivaudrait à un jugement déclaratoire de la cour à l'effet que tout document se trouvant au dossier médical d'un militaire bénéficie, sans aucune autre forme d'analyse, d'une expectative raisonnable de vie privée, sans égard au contexte dans lequel ont été créés ces documents, incluant la nature et fonction de chacun de ceux-ci. De plus, ce serait ignorer les autres critères d'analyse développés par la jurisprudence afin de permettre à un tribunal tel que le nôtre de statuer sur une telle question. Il ne faut oublier que ce sont les éléments de preuve introduits par la poursuite afin de prouver la culpabilité de M.S. qui sont en cause, et non pas tout ce qui a été saisi par l'enquêteur dans le cours de son enquête.

 

[63]            En conséquence, je rejette l'argument soumis par M.S. à l'effet que tous les documents contenus dans son dossier médical qui ont été saisis par l'enquêteur de la police militaire bénéficieraient tous, sans exception, d'une expectative raisonnable de vie privée. J'en viens à la même conclusion à ce stade-ci de mon analyse en ce qui concerne le rapport d'expertise en documents. C'est d'ailleurs pour cette raison que j'en suis venu à la conclusion, après l'audition de la requête, qu'il valait mieux en toute équité, de procéder avec le procès en permettant au requérant d'identifier spécifiquement les éléments de preuve introduits par la poursuite qui devaient faire l'objet de la présente requête.

 

                  iii. L'exigence d'une analyse contextuelle du droit à la vie privée

 

[64]            Ayant déterminé les aspects de la vie privée qui sont soulevés dans le cadre de cette requête, je dois donc me pencher maintenant sur la manière afin de déterminer si chacun des documents qui fait l'objet de mon analyse, bénéficie d'une attente raisonnable de vie privée. À cet effet, la Cour suprême du Canada a maintenu de manière constante dans ces décisions le fait qu'une analyse dans le cadre de l'article 8 de la Charte doit être contextuelle. Dans la décision Hunter c. Southam, [1984] 2 R.C.S. 145, aux pages 159-160, la cour affirme que dans l'application de l'article 8 :

 

Il faut apprécier si, dans une situation donnée, le droit du public de ne pas être importuné par le gouvernement doit céder le pas au droit du gouvernement de s'immiscer dans la vie privée des particuliers afin de réaliser ses fins et, notamment, d'assurer l'application de la loi. (Je souligne)

 

[65]            Ce principe a d'ailleurs été réaffirmé dans l'arrêt Edwards c. R., [1996] 1 R.C.S. 128, précité, au paragraphe 45 lorsque la cour dit :

 

5. L'existence d'une attente raisonnable en matière de vie privée doit être déterminée eu égard à l'ensemble des circonstances. Voir Colarusso, précité, à la p. 54, et Wong, précité, à la p. 62.

 

[66]            Pour ce faire, tel que mentionné dans l'affaire Tessling, précité, au paragraphe 31, je suis d'avis qu'il y a une série de facteurs qui doivent être pris en considération par un tribunal pour faire une telle détermination. C'est facteurs ont été énoncés dans la cause Edwards, précité, au paragraphe 45 :

 

6. Les facteurs qui peuvent être pris en considération dans l'appréciation de l'ensemble des circonstances incluent notamment :

 

i) la présence au moment de la perquisition;

 

ii) la possession ou le contrôle du bien ou du lieu faisant l'objet de la fouille ou de la perquisition;

 

iii) la propriété du bien ou du lieu;

 

iv) l'usage historique du bien ou de l'article;

 

v) l'habilité à régir l'accès au lieu, y compris le droit d'y recevoir ou d'en exclure autrui;

 

vi) l'existence d'une attente subjective en matière de vie privée;

 

vii) le caractère raisonnable de l'attente, sur le plan objectif.

 

      iv. Le contexte général d'analyse

 

[67]            Cependant, avant de procéder à déterminer l'existence d'une expectative raisonnable de vie privée concernant les documents identifiés par le requérant et introduits par l'intimé dans le procès à titre d'éléments de preuve, il y a lieu de faire certains commentaires d'ordre général concernant le contexte dans lequel ils ont été créés et traités, ce qui m'aidera éventuellement à répondre de manière pertinente aux différents facteurs que j'ai énumérés au paragraphe précédent.

 

[68]            La Loi constitutionnelle de 1867 à son article 91(7) attribue l'autorité législative exclusive au parlement du Canada en ce qui a trait à « la milice, le service

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militaire et le service naval, et la défense du pays ». En conséquence, la Loi sur la défense nationale (ci-après la LDN) a été promulguée par le parlement canadien afin de régir ce domaine de notre constitution. La constitution des Forces canadiennes, c'est-à-dire leur création, est prévue à l'article 14 de cette même loi. Les membres qui composent cette force armée sont des militaires, soient des officiers et militaires du rang, dont l'enrôlement est régi par les articles 20 à 26 de la LDN et la libération par l'article 30 de la LDN.

 

[69]            L'article 33 de la LDN prévoit que les militaires de la force régulière sont soumis en permanence à l'obligation de service légitime, alors que les membres de la force de réserve peuvent y être soumis dans certaines circonstances spécifiques. Cette obligation de service légitime réfère au fait que lorsqu'une personne devient militaire au sein des Forces canadiennes, elle est soumise au devoir d'exécuter toute tâche militaire, quelle qu'en soit sa nature et malgré le fait qu'elle exerce un métier spécifique dans un groupe professionnel reconnu. C'est ce qui est appelé le principe du « soldat d'abord » qui a d'ailleurs été discuté et invoqué par la Cour d'appel de la cour martiale dans le cadre de l'une de ses décisions récentes, soit Caporal-chef Billard c. R., 2008 CACM 4, alors qu'elle s'exprimait en ces termes au paragraphe 7 :

 

This case raises an important principle, namely, "the Soldier first principle". A member of the Canadian Forces, whatever his or her rank, trade or occupation, is at all times a fighting soldier.

 

[70]            Ce principe du «soldat d'abord » est plus connu juridiquement sous le principe de l'universalité du service. Tel qu'affirmé au chapitre 5023-0 des Directives et ordonnances administratives des Forces canadiennes (ci-après DOAD), et dont l'article 33 de la LDN en constitue le fondement, ce principe s'énonce comme suit :

 

Le principe de l'universalité du service, ou principe du «soldat d'abord », sous-entend que les militaires doivent exécuter les tâches militaires d'ordre général ainsi que les tâches communes liées à la défense et à la sécurité en plus des tâches de leur groupe professionnel militaire ou de leur description de groupe professionnel militaire. Entre autres, les militaires doivent être en bonne condition physique, aptes au travail et déployables pour aller effectuer des tâches opérationnelles générales.

 

[71]            Le chapitre 5023-1 des DOAD exprime en termes clairs quels sont les critères minimaux d'efficacité opérationnelle liés à l'universalité du service que les militaires doivent satisfaire. Ainsi, selon cette directive, un militaire doit être en bonne condition physique en atteignant les normes d'aptitudes physiques minimales requises, être apte au travail et être déployable sans avoir de contraintes à l'emploi pour raisons médicales. Si les critères minimaux ne peuvent être rencontrés, alors le militaire s'expose à être libéré des Forces canadiennes ou à être maintenu temporairement en poste avec des contraintes à l'emploi pendant une période de transition temporaire se terminant soit lorsque la pénurie ou le besoin particulier dans son groupe professionnel se termine ou lorsqu'une période de trois ans s'est écoulée.

 

[72]            Afin d'être en mesure d'établir si une personne peut être enrôlée au sein des Forces canadiennes, et par la suite déterminer s'il existe des contraintes pour raisons médicales concernant ce militaire durant sa carrière, comme à tout autre militaire d'ailleurs, les Forces canadiennes ont mis en places les Services de santé des Forces canadiennes (ci-après SSFC). Les SSFC dispensent les soins de santé aux militaires canadiens au pays et à l'étranger.

 

[73]            Le personnel médical des SSFC doit agir selon certaines normes afin de déterminer s'il existe une contrainte médicale ou non pour un militaire dans le cadre des examens médicaux périodiques, que cela soit dans la perspective du principe de l'uni-versalité du service ou celle des normes médicales applicables au groupe professionnel militaire auquel il appartient. Pour ce faire, le chef d'état-major de la défense a autorisé la publication des « Normes médicales applicables aux Forces canadiennes » sous le numéro A-MD-154-000/FP-000, mieux connu dans le monde médical sous le terme de publication des Forces canadiennes (PFC) 154. Ce manuel fournit des directives spécifiques quant à l'évaluation médicale des militaires. Le chapitre 2 de ce manuel nous apprend, entre autres choses :

 

1. Lorsqu'il définit l'état de santé d'une personne, le médecin militaire doit décrire de manière claire et précise toute restriction découlant d'un état médical de manière à faciliter l'accès au niveau approprié de soins de santé et à fournir aux autorités administratives un avis médical clair et précis sur les possibilités d'emploi des militaires. (...) La santé et la sécurité du militaire et de ses collègues de même que le succès de la mission opérationnelle reposent sur la meilleure évaluation possible de l'état de santé.

 

[74]            Il est raisonnable d'affirmer qu'un militaire qui consulte le personnel médical, incluant un médecin, fourni des renseignements intimes, que ce soit à partir de substances corporelles qu'il a fournies, comme son sang, ou que ce soit à partir d'informations personnelles qu'il donne sur son état de santé physique ou psychologique, et que ses informations sont recueillies et conservées dans un dossier constitué et maintenu par les autorités médicales au sein des Forces canadiennes. Il est aussi raisonnable d'affirmer que ces informations sont fournies dans un climat de confiance par le militaire au personnel médical en présumant qu'elles seront divulguées uniquement aux personnes appropriées pour les seules fins auxquelles elles doivent servir.

 

[75]            Alors comment l'échange d'information de nature médicale s'effectue entre les SSFC et la chaîne de commandement militaire qui emploie le militaire ? Il est vrai que très peu de preuve a été présentée sur ce sujet afin de me permettre de comprendre jusqu'à quel point un militaire, dans le contexte que je viens de décrire, peut avoir une forme d'expectative de vie privée. Cependant, le message militaire général (CANFORGEN) 039/08 soumis par le requérant m'apporte suffisamment d'éclairage pour comprendre comment l'information médicale fournie par un militaire est traitée actuellement, et fort probablement l'a été aussi dans le passé, par les SSFC en ce qui concerne la chaîne de commandement militaire. Les paragraphes 3 et 4 de ce CANFORGEN m'apprennent que l'obligation professionnelle de confidentialité du personnel médical concernant les renseignements médicaux est reconnue au sein des

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Forces canadiennes, particulièrement en ce qui a trait au diagnostic et aux détails du traitement. Le paragraphe 9 du même message reconnaît toutefois que les fournisseurs de soins de santé doivent donner des renseignements clairs, détaillés et pertinents quand il y a contrainte à l'emploi pour raison médicale, particulièrement quand l'utilisation d'armes ou d'appareils complexes par le militaire est considérée, que des renseignements autres que médicaux doivent être fournis à la chaîne de commandement pour l'attribution de tâches appropriées au militaire, tout en rappelant que le personnel médical se doit de divulguer les renseignements médicaux pertinents lorsque les lois fédérales et provinciales applicables l'exigent.

 

[76]            Ainsi, je comprends que la divulgation de renseignements médicaux concernant les militaires est faite de manière très restreinte et seulement aux personnes concernées et seulement pour l'usage pour lesquels ils ont été recueillis, même dans un contexte militaire où cette information peut apparaître essentielle pour la chaîne de commandement afin de l'aider à déterminer comment un militaire pourra être employé.

 

[77]            Une illustration parfaite de ce fait a été soumise par le requérant dans le cadre de sa preuve. M.S. a subi un examen médical le 28 juin 1999 confirmant un problème d'acouphène qui avait été diagnostiqué antérieurement (pièce R1-5 annexe A). Le médecin militaire en est venu à la conclusion qu'un changement de catégorie médicale s'imposait et le formulaire approprié a été initié (pièce R1-5 annexe B) et acheminé à la Commission médicale centrale pour recommandation finale (pièce R1-5 annexe C). Une recommandation finale a été émise quant au changement de catégorie médicale de M.S. concernant sa capacité auditive (pièce R1-5 annexe D) et une décision a été prise concernant l'imposition de limitations d'emploi permanentes à son égard (pièce R1-5 annexe E). Ce dernier document ne contient ni diagnostic, ni traitement ou aucune autre information de nature médicale, tout comme le message militaire adressé à l'unité de M.S. (pièce R1-5 annexe F) pour transmettre la décision. Ainsi, l'information de nature médicale est demeurée confidentielle car elle n'a été vu que par les autorités médicales concernées, et l'unité située à la garnison Valcartier, soit le 430e escadron tactique d'hélicoptères (ETAH), n'a été informé que du seul fait que M.S. ne pouvait plus être employé pour piloter des hélicoptères mais qu'il pouvait par contre piloter des aéronefs à ailes fixes.

 

[78]            En résumé, cette collecte d'informations médicales auprès des militaires et son utilisation sont faites par l'État par le biais de ses représentants que sont les membres du personnel médical pour remplir deux objectifs spécifiques : premièrement, faire un suivi adéquat concernant l'état de santé des militaires et faire les diagnostics et traitements appropriés pour les maintenir en santé, et deuxièmement, déterminer s'ils rencontrent les critères minimaux requis quant à leur état de santé pour l'accomplissement de leurs termes de service, que ce soit dans la perspective du principe de l'universalité du service ou celle de leur groupe professionnel militaire.

 

                  v. Les facteurs qui ont trait au lieu de la perquisition

 

[79]            L'arrêt Edwards, précité, réfère à une série de facteurs ayant trait au lieu de la perquisition. J'ai déjà déterminé que le lieu n'était pas un des aspects de la vie privée de M.S. qui était en cause dans cette requête. Tout d'abord, le requérant n'a pas établi qu'il était présent à la clinique médicale de la garnison Valcartier où se trouvait son dossier médical au moment où l'enquêteur de la police militaire a obtenu certains documents qui en provenaient en vertu d'une demande de documents en vertu de la L.P.R.P. ainsi qu'au moment de sa saisie. M.S. n'a aucunement prouvé qu'il était propriétaire et qu'il avait la possession ou le contrôle des documents dans son dossier médical ainsi que la possession ou le contrôle du lieu où ont été saisis les documents, c'est-à-dire la clinique médicale. Il n'a pas non plus établi qu'il avait l'habilité à régir ce dernier endroit, incluant le droit d'y recevoir ou d'en exclure autrui.

 

[80]            Par contre, je suis d'accord que le genre de lieu comme une clinique médicale peut avoir une influence dans l'appréciation des autres facteurs d'analyse et je ferai plus tard référence à cela dans mon analyse. En effet, ce type de lieu permet de mieux comprendre les autres facteurs lorsqu'ils sont étudiés dans la perspective des aspects de la vie privée du requérant quant à sa personne et à l'information.

 

                  vi. L'usage historique du bien ou de l'article

 

[81]            Dans la décision Tessling, précitée, l'usage historique du bien ou de l'article a été identifié comme l'objet. Essentiellement, pour ce facteur dans la présente requête, la question est la suivante : quel est l'objet de chacun des documents qui sont le sujet de la présente requête ?

 

[82]            Il y a 37 documents qui font l'objet de la présente requête, dont les 34 identifiés aux annexes 2 et 3 de la présente décision, en plus des pièces 9 et 10 et du rapport d'expertise en documents.

 

[83]            Plusieurs d'entre eux sont des formulaires identiques ou des documents ayant une vocation qui leur est commune. Ainsi, en procédant à une analyse individuelle de chacun des documents, j'ai pu les regrouper selon leur objet respectif. Pour des fins de commodité, j'ai identifié chacun des groupes que j'ai énumérés à l'annexe 5 de la présente décision et dont je me servirai par la suite dans mon analyse des autres critères.

 

[84]            Plusieurs des documents concernés par la présente requête sont des documents visant à établir par écrit à l'égard d'un militaire, à un moment donné dans le temps, à la fois l'historique du problème médical, un diagnostic médical et un traitement médical approprié. Ces documents contiennent un ensemble de renseignements biographiques d'ordre personnel et médical fournis au personnel médical dans le cadre d'une relation avec un patient, tels que les antécédents médicaux personnel et familial, l'historique des blessures et certaines habitudes personnelles pouvant avoir un impact sur la santé. De plus, le contenu de ces documents réfère à des résultats médicaux provenant de données prises sur le son corps de M.S., tels que sa pression sanguine ou certaines caractéristiques physiques propres au requérant et révélant une blessure particulière à une partie de son corps. J'identifie donc ces documents sous le Groupe 1 (voir annexe 5).

 

[85]            Certains autres documents ont pour objet de recueillir des renseignements afin de permettre au personnel médical de mieux comprendre la nature du problème médical

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et de faire un suivi constant du militaire sur le plan médical et ils contiennent un ensemble de renseignements biographiques d'ordre personnel et médical. Il peut s'agir d'un document regroupant l'ensemble des observations manuscrites faites par un membre du personnel médical ou encore d'un questionnaire/formulaire médical qui est habituellement rempli par le militaire lui-même. Dans la présente requête, j'ai identifié ces documents sous le Groupe 2 (voir annexe 5).

 

[86]            Certains documents ont essentiellement pour but de demander ou de fournir des résultats reliés à un examen plus approfondi du corps de M.S. ou à un échantillon corporel qu'il a fourni. Ainsi, ces documents font partis du Groupe 3 (voir annexe 5).

 

[87]            D'autres documents ont un objet administratif et ils contiennent un ensemble de renseignements biographiques d'ordre personnel et médical, tels les dates et raisons des examens médicaux, et incluant toujours le profil médical du requérant. Il s'agit du Groupe 4 qui est composé d'un seul document (voir annexe 5).

 

[88]            Certains autres document ont aussi un objet administratif mais ne contiennent que très peu d'information d'ordre personnel et aucune d'ordre médical, c'est-à-dire qu'ils servent, soit à fournir au personnel médical une évaluation de leur performance profes-sionnelle, soit à informer la chaîne de commandement des restrictions imposées à l'em-ploi du militaire en raison de sa condition médicale, soit à établir le coût de certains services médicaux, soit de permettre à l'administration de la clinique médicale de faire le suivi de la possession d'un dossier, soit établir l'admission et le consentement aux soins du militaire ou encore de documenter une demande de copie du dossier médical. La caractéristique commune de ces documents et qu'ils ne contiennent aucune information à proprement parler de nature médicale. Je les ai identifiés sous le Groupe 5 (voir annexe 5).

 

[89]            Finalement, le rapport d'expertise en documents a pour objet de rapporter par écrit l'analyse et les conclusions de l'expert quant à la détermination par celui-ci à l'effet que certains écrits et contenus dans les documents au cœur des trois premiers chefs d'accusation à l'acte d'accusation sont ceux de certains médecins et du requérant. Pour ce faire, l'expert à utiliser à titre de comparateur, plusieurs documents qui ont été énumérés dans les 5 groupes que j'ai identifiés dans les paragraphes 84 à 88 de ma décision. Cependant, je traiterai du rapport d'expertise seulement dans mon analyse concernant l'exclusion de la preuve car il n'a pas fait l'objet d'une saisie par l'enquêteur de la police militaire.

 

[90]            Concernant ce document spécifique qu'est le rapport d'expertise, il s'agit plutôt pour moi de déterminer s'il doit être l'objet d'une ordonnance d'exclusion en vertu du paragraphe 24(2) de la Charte en raison du fait qu'il s'appuie sur des documents qui auraient été obtenus en violation du droit du requérant prévu à l'article 8 de la Charte et qui devraient faire l'objet de la même ordonnance. Je statuerai sur ce document seulement lors de l'analyse de cette dernière question. Ainsi, ce rapport d'expertise ne sera pas considéré dans le cadre des critères ci-après et ne fera pas l'objet d'une analyse quant à l'existence d'une expectative raisonnable en matière de vie privée.

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                  vii. L'existence d'une expectative subjective en matière de vie privée

 

[91]            Le requérant n'a pas témoigné lors du voir dire relatif à sa demande d'exclusion de la preuve fondée sur le paragraphe 24(2) de la Charte, mais je suis d'avis que je peux présumer, à tout le moins et jusqu'à preuve du contraire, qu'une personne qui a fourni dans une clinique médicale, soit des renseignements sur sa personne ou soit un échantillon corporelle pour l'obtention de renseignements médicaux, dont le tout est mis par écrit, au personnel médical en toute confidentialité, considère comme privée ces renseignements qui la concernent. Ceci découle du fait qu'il s'agit de renseignements donnés volontairement et dans un but précis, qui ont trait à la vie intime du requérant et qui pourraient révélés ultimement des détails intimes sur son mode de vie, son intégrité corporelle et ses choix personnels. Ainsi, je considère que les documents identifiés dans les Groupes 1 à 4 sont visés par l'existence d'une expectative subjective du requérant en matière de vie privée.

 

[92]            En ce qui concerne les documents administratifs identifiés dans le Groupe 5 et ne contenant aucun renseignements médicaux sur la personne de M.S., je peux présumer que le requérant considère aussi comme privé tout ce qui relatif au traitement de son dossier médical sur le plan administratif. En effet, la circulation, le traitement et la conservation du dossier médical ainsi que son contenu peuvent aussi révéler certains renseignements qui ont trait à la vie intime du requérant, et ainsi fournir des détails intimes sur mode de vie et ses choix personnels. À titre d'exemple, l'attribution de certaines tâches au requérant à l'unité en raison de sa condition médicale, l'établissement du coût de consultation d'un professionnel dans un domaine médical particulier, la transmission du dossier d'une organisation médicale à une autre, l'admission à un établissement de santé pour des soins, une demande de copie des documents contenus au dossier médical sont toutes des situations qui concernent d'abord et avant tout le requérant et pour lesquelles il ne s'attend pas que les détails de chacun soient rendus publics. En effet, les raisons justifiant un tel traitement du dossier médical peuvent avoir un lien avec des actions administrative du personnel médical, tel une demande de test ou une demande de référence à un spécialiste, initiées en raison d'événements survenus dans la vie intime du requérant et qui l'ont amené à faire part de certains choix personnels ayant eu un impact sur sa santé. Ainsi, je conclus que les documents de ce Groupe sont aussi visés par l'existence d'une expectative subjective du requérant en matière de vie privée, à l'exception de deux documents.

 

[93]            En effet, je dois dire qu'il est difficile pour moi de concevoir que le requérant à une expectative subjective quelconque en matière de vie privée à l'égard des deux documents suivants :

 

a.         Document intitulé « rétroaction au résident » signé par le Dr Sylvain et daté du 17 mars 2006 (pièce 9);

 

b.         Document intitulé « rétroaction au résident » signé par le Dr Sylvain et daté du 28 mars 2006 (pièce 10).

 

[94]            Ces documents ont été constitués après la saisie du dossier médical par l'enquêteur de la police militaire. Ils ne portent aucune indication quant à la personne qui a fait l'objet de l'entrevue et ne révèlent aucune information de nature médicale en lien avec un patient quelconque, et plus particulièrement le requérant. Au surplus, les documents ne révèlent pas qui était le résident faisant l'objet de l'évaluation. N'ayant aucune autre preuve quant à la constitution et la provenance de ces deux documents, je ne peux faire autrement que de conclure que M.S. ne peut pas avoir d'expectative subjective de vie privée à leur égard.

 

 

                  viii. Le caractère raisonnable de l'expectative, sur le plan objectif

 

[95]            Formulé autrement, la question ici est de savoir si l'expectative de M.S. en matière de vie privée à l'égard des documents faisant l'objet de la présente requête était objectivement raisonnable.

 

[96]            Pour répondre à cette question, et tel qu'exprimé unanimement par la Cour suprême du Canada au paragraphe 43 de l'arrêt Tessling, précitée, il existe de nombreux facteurs utiles auxquels je ferai référence pour répondre à cette question.

 

[97]            Le premier facteur à considérer est le lieu de la saisie. Tel qu'exprimé au paragraphe 44 de l'arrêt Tessling précité :

 

Si l'article 8 protège les personnes et non les lieux, le lieu de la perquisition influence grandement le caractère raisonnable de l'attente en matière de vie privée. Le juge en chef Lamer l'exprime ainsi dans l'arrêt Wong, précité, p. 62 :

 

La nature de l'endroit où la surveillance a lieu sera toujours un facteur important dont il faudra tenir compte pour déterminer si la personne-cible s'attend raisonnablement au respect de la vie privée dans les circonstances. Ce facteur n'est toutefois pas déterminant.

 

[98]            Dans le cas qui nous occupe il s'agit d'une clinique médicale opérée par les Forces canadienne dans laquelle est employé du personnel médical civil et militaire, comme semble le révéler la provenance des témoins entendus au procès, et qui fournit des soins de santé aux militaires.

 

[99]            Il m'est tout à fait raisonnable de présumer qu'un militaire qui se présente dans un tel lieu s'attend à ce que les renseignements qu'il fournit, que ce soit à partir d'échantillons corporels ou d'informations qu'il donne au personnel médical et qui est inscrite dans divers formulaires, soient traités en toute confidentialité. S'il en était autrement, les militaires qui fréquentent la clinique ne fourniraient pas certains renseignements essentiels, de crainte qu'ils soient connus de tous, et pourraient amoindrir grandement la possibilité de régler leurs problèmes de santé, mettant potentiellement en danger leur capacité à accomplir les tâches militaires qui leur sont confiées dans le cadre de l'exercice de leur métier ou simplement à titre de militaire en général. Ultimement, ce serait la mission confiée aux Forces canadiennes qui pourrait être ainsi compromise.

 

[100]          Le deuxième facteur a considéré est de déterminer si les documents qui font l'objet de la présente requête étaient à la vue du public. L'archiviste actuel ainsi que le médecin-chef et l'archiviste à l'époque de l'obtention de certains documents conformément à une demande faite en vertu de la L.P.R.P., puis en vertu de l'exécution de deux mandats de perquisition ont clairement établi que les documents étaient conservés dans un dossier médical qui était classé et dont l'accès était limité aux membres du personnel médical de la clinique qui avaient besoin de le consulter. Il est donc légitime de conclure que les documents n'étaient pas à la vue du public.

 

[101]          Le troisième facteur à examiner est l'existence d'un abandon volontaire des documents qui font l'objet de la requête ou de l'un de ceux-ci. Je conclus qu'il n'y a eu aucun abandon volontaire de la part du requérant à l'égard de ces documents. D'ailleurs, la preuve est à l'effet qu'il n'a jamais consenti aux saisies effectuées par l'enquêteur de la police militaire.

 

[102]          Il m'apparaît évident que sur la base de la preuve qui m'a été soumise, les documents que j'ai identifiés dans les Groupes 1 à 4 ne constituaient pas des renseignements en possession de tiers, c'est-à-dire accessible ou disponible à des personnes autres que le personnel médical de la clinique médicale de Valcartier où ils étaient conservés.

 

[103]          En ce qui a trait aux documents du Groupe 5, il appert que l'information apparaissant sur les formulaires CF 2018 (Rapport de disposition médicale ou dentaire ou encore Fiche de visite médicale) est généralement destinée aux personnes de l'unité qui emploi le militaire. Cependant, aucune preuve n'a été faite à l'effet que ces documents ont été acheminés ou rendus disponibles à des personnes ou des organisations autres que la clinique médicale. En l'absence d'une telle preuve, je ne peux que conclure qu'ils n’étaient pas en possession de tiers.

 

[104]          Quant au formulaire DND 728 servant à la transmission et réception de documents et qui est aussi inclus dans le Groupe 5, preuve a été faite qu'il a été obtenu d'une organisation militaire de Winnipeg. D'ailleurs, l'original qui a été déposé en cour constitue la copie du destinataire, tel qu'il appert du document. Cependant, au moment de sa transmission par la clinique médicale à la police militaire au mois de novembre 2005 en raison de la demande faite en vertu de la L.P.R.P., aucune preuve n'a été faite à l'effet que l'information était toujours détenue par cet organisme externe, organisme d'ailleurs qui n'a jamais été identifié dans le cadre de la requête. En l'absence d'une preuve plus précise, c'est-à-dire qui était en possession du document, de quoi cet organisme était-il réellement en possession et qui y avait vraiment accès, il m'est difficile de déterminer jusqu'à quel point ces renseignements étaient accessibles à des tiers.

 

[105]          Finalement, quant à la fiche de service du ministère des Anciens combattants ayant pour sujet le suivi psychologique de M.S. et à la facture du psychologue Carol Girard du 20 avril 2005, encore une fois l'absence de preuve rend difficile d'évaluer jusqu'à quel point les renseignements étaient accessibles à des tiers. Il est plausible qu'une copie de la fiche de service du ministère et de la facture du psychologue qui a été acheminée avec ce document aient été ou soient sous le contrôle du ministère des

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Anciens combattants, cependant, en l'absence d'une preuve claire à ce sujet, il m'est difficile d'arriver à une telle conclusion sans tomber dans la spéculation. Ainsi, encore une fois, il m'est difficile de déterminer jusqu'à quel point ces renseignements étaient accessibles à des tiers.

 

[106]          Il est évident que la technique utilisée par l'enquêteur de la police militaire, soit une demande d'obtention de certains documents en vertu de l'article 8(2)(e) de la L.P.R.P. et les saisies effectuées en vertu de mandats de perquisition obtenus en vertu des dispositions du Code criminel, comporte un caractère attentatoire au droit à la vie privée du requérant, mais constitue aussi un recours raisonnable d'un point de vue objectif. En effet, le fait d'avoir recours à une forme d'autorisation par une autorité qui n'est pas impliquée dans la demande, le tout dans un cadre législatif prédéterminé, donne un caractère raisonnable à la démarche. Cependant, il est clair qu'en ayant recours à de tels mécanismes législatifs, l'enquêteur de la police militaire a aussi reconnu l'existence d'une forme de confidentialité aux renseignements contenus dans les documents qu'il a obtenus, et sans être déterminant, c'est un facteur dont je tiens compte.

 

[107]          Il est aussi clair pour moi que l'information obtenue par l'enquêteur de la police militaire à partir des documents qu'il a saisis lui ont révélé, en plus des informations concernant les caractéristiques reliées à l'écriture du requérant, des détails intimes sur le mode de vie et des renseignements d'ordre biographique concernant ce dernier.

 

                  ix. Les documents comme preuve réelle

 

[108]          Il appert que trois des documents qui font l'objet de la présente requête sont au cœur des trois premiers chefs d'accusation apparaissant à l'acte d'accusation. En effet, c'est parce qu'il est allégué que ces documents ou une partie de ceux-ci ont fait l'objet d'une fabrication ou d'une altération, et qu'ils ont été utilisés dans cet état dans un dessein criminel qu'une partie de ce procès a lieu. En fait, ils constituent, en principe, l'actus reus de ces infractions. J'en suis venu à la conclusion que ces trois documents bénéficiaient des mêmes commentaires provenant de mon analyse ci-dessus jusqu'au 18 octobre 2005, soit le moment où le major Descoteaux a indiqué formellement dans le cadre d'une rencontre avec les enquêteurs de la police militaire, qu'ils constituaient des documents hautement problématiques au point où elle prétendait qu'ils étaient au cœur d'une fraude de nature criminelle reliée au transfert de M.S. de l'élément de la force de réserve à celui de la force régulière.

 

[109]          En conséquence, à compter du 18 octobre 2005, je considère qu'il n'existait plus d'expectative raisonnable de vie privée pour M.S. à leur égard. En effet, sachant qu'il existait des renseignements concernant sa vie intime qui auraient été modifiés ou altérés sur les documents en question et révélant ultimement des détails intimes sur son mode de vie qui pourraient être inexacts, M.S. n'avait plus d'expectative subjective sur sa vie privée. Concernant le caractère raisonnable de l'expectative de vie privée du requérant sur le plan objectif, il est cohérent d'affirmer qu'en raison des informations modifiées ou altérées que ces documents contenaient et

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dont il se serait servis à titre d'authentiques, le requérant ne possédait plus une telle expectative.

 

[110]          En fait, il ne peut exister une expectative raisonnable de vie privée pour un individu à l'égard d'un document qui contient prétendument des renseignements médicaux exacts le concernant mais qui, dans les faits, s'avèrent inexacts en raison de la commission alléguée d'un acte criminel ou d'une infraction d'ordre militaire sur ce document, que cela soit à propos d'une partie ou de la totalité de celui-ci et qu'il en soit l'auteur ou non.

 

[111]          D'autre part, sans tracer un parallèle rigoureusement exact avec les situations identifiées dans les arrêts de la Cour suprême dans Québec (Procureur général) c. Laroche, [2002] 3 R.C.S. 708, Jarvis c. R., [2002] 3 R.C.S. 757 et R. c Ling, [2002] 3 R.C.S. 814, ainsi que dans les décisions de la Cour du banc de la Reine dans R. v. McCullough, 87 C.R.R. (2d) 50 et de la Cour provinciale de Saskatchewan dans R. v. Dumais, 125 C.R.R. (2d) 237, il n'en reste pas moins qu'à partir du moment où un document remis à l'État sert à établir ou à justifier l'obtention d'un bénéfice ou privilège, il devient clair que si ce document est au cœur de la fraude alléguée, il perd toute expectative raisonnable de vie privée sur le plan subjectif et objectif, car ce document a été l'instrument qui a permis d'obtenir l'avantage ou le privilège recherché.

 

[112]          Ici, les trois documents en question servent à rapporter l'état de santé de M.S., non seulement pour permettre un suivi et une intervention médicale adéquats à l'égard du requérant, mais aussi confirmer s'il est toujours en mesure de remplir ses obligations quant à l'universalité du service et à son métier au sein des Forces canadiennes. Lorsqu'il existe un problème de nature d'une fraude avec l'un de ces documents, il est clair qu'il était du devoir du représentant de l'État, ici le major Descoteaux, de rapporter ce problème relié à une conduite disciplinaire et aussi criminelle afin qu'une enquête soit entreprise par la police militaire et que l'auteur de ce crime allégué soit poursuivi. En conséquence, dans une telle situation, il apparaît tout à fait cohérent que le major Descoteaux puissent justifier le problème qu'elle avait identifiée en montrant les documents en question aux enquêteurs de la police militaire. De plus, je suis d'avis qu'elle aurait pu leur remettre ces documents directement et sans autre formalité car l'expectative raisonnable de vie privée de M.S. devenait, compte tenu des circonstances, inexistante quant à ces trois documents. C'est d'ailleurs la position de l'auteur Stanley A. Cohen, dans son ouvrage intitulé Privacy, Crime and Terror, Legal Rights and Security in a Time of Peril, lorsqu'il expose aux pages 143 et 144 de son ouvrage ce que devrait être la situation lorsqu'un ministère ou une agence du gouvernement est victime d'une infraction criminelle :

 

A victim of a criminal offence, whether an individual or a corporation, has the right to complain to law enforcement officials and request an investigation. The victim-complainant should be in a position to justify the complaint and in that regard would be expected to supply the police with any and all information that it possesses that is germane to its complaint. For example, the bank that is robbed must be in a position to show its records to the police in order to demonstrate its loss. It is normally not necessary for the police to obtain a search warrant in order to examine and retain the information that the victim is in a position to supply.

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However, note that there are necessarily limits on the information that may be supplied. The victim can supply any information that is relevant to the offence under investigation but there is no justification in law for the victimized agency to supply all of the information it possesses on the individual under investigation, in particular, information material that is not relevant to the instant investigation. To provide otherwise could allow a focussed and bona fide investigation to be transformed into a fishing expedition.

 

[113]          À mon avis, et comme je l'ai mentionné auparavant, seuls les documents au cœur des accusations doivent faire l'objet d'un tel traitement. Les autres documents provenant du dossier médical de M.S. n'ont pas été altérés ou falsifiés et en conséquence, le requérant possède à leur égard une expectative raisonnable de vie privée.

 

                  x. Conclusion relative à l'expectative raisonnable

 

[114]          Les documents pour lesquels le requérant n'a pas établi qu'il existe une expectative raisonnable de vie privée, et par le fait même pour lesquels il n'a pas établi que le comportement de l'enquêteur de la police militaire constitue une saisie au sens de l'article 8 de la Charte, sont :

 

a.         Le document intitulé « rétroaction au résident » signé par le Dr Sylvain et daté du 17 mars 2006 (pièce 9);

 

b.         Le document intitulé « rétroaction au résident » signé par le Dr Sylvain et daté du 28 mars 2006 (pièce 10);

 

c.         Le carnet de visites médicales (CF 2016) contenant les inscriptions datées du 21 et 26 septembre 2002 (pièce R1-5 annexe I);

 

d.         L’examen de santé de type II pour le personnel navigant (DND 1737) daté du 21 septembre 2002 (pièce R1-5 annexe H);

 

e.         La fiche d'examen médical (CF 2033) daté du 21 septembre 2002 (pièce R1-5 annexe G).

 

[115]          En conséquence, à l'exception du rapport d'expertise en documents pour les raisons susmentionnées, j'en viens à la conclusion qu'il existe une expectative raisonnable de vie privée pour M.S. à l'égard de 31 autres documents identifiés dans les Groupes 1 à 5 susmentionnés (voir annexe 5), et faisant l'objet de la présente requête. De plus, je conclus que le requérant a ainsi établi que le comportement de l'enquêteur de la police militaire à l'égard de ces documents constitue une saisie au sens de l'article 8 de la Charte.

 

La raisonnabilité de la saisie

 

[116]          Cette seconde partie de l'analyse sous l'article 8 de la Charte concerne seulement les documents pour lesquels j'ai conclu qu'une saisie a été effectuée par la police militaire au sens de cet article. Pour des fins de commodité et de concision, j'ai identifié ces documents à l'annexe 6 et je les ai regroupés selon le moyen utilisé pour les saisir, le tout en conformité avec les faits de cette cause.

 

[117]          Il s'agit maintenant d'évaluer si ces documents ont été saisis par l'enquêteur de la police militaire de manière abusive afin de déterminer s'il y a eu violation ou non du droit du requérant prévu à l'article 8 de la Charte. En d'autres termes, est-ce que la saisie de ces documents a été effectuée de manière abusive?

 

[118]          Pour répondre à cette question, je devrai d'abord déterminer si chacune des saisies effectuées par l'enquêteur de la police militaire a été faite dans le cadre d'une autorisation préalable ou non. Puis, je devrai me pencher sur la légalité d'une telle saisie, selon les critères applicables à la situation. Finalement, je devrai évaluer la manière dont la saisie a été effectuée.

 

i. Les documents saisis en vertu d'une demande de communication à des organismes d'enquête fédéraux (pièce R1-3) en vertu de l'article 8(2)(e) de la Loi sur la protection des renseignements personnels

 

[119]          L'avocat de M.S. prétend que l'obtention des documents en vertu d'une demande de communication à des organismes d'enquête fédéraux (pièce R1-4) conformément à l'article 8(2)(e) de la L.P.R.P., constitue une saisie sans mandat puisque les critères de l'arrêt de la Cour suprême dans Hunter, précité au paragraphe 62 de la présente décision, n'ont pas été respectés particulièrement en ce qui a trait au fait que l'autorisation obtenue par l'enquêteur de la police militaire ne provenait pas d'une autorité judiciaire.

 

[120]          La partie intimée soumet dans le cadre de cette requête que ce n'est pas parce qu'une expectative raisonnable de vie privée existe à l'égard de ces documents qu'automatiquement il est nécessaire qu'un mandat de perquisition et saisie soit obtenu par l'enquêteur de la police militaire en vertu des dispositions pertinentes du Code criminel pour validement les saisir. En effet, elle soutient que l'obtention des documents en vertu des dispositions d'une loi, telle que la L.P.R.P. est justifiée et valide dans un tel contexte, tel qu'illustré dans la décision de R. c. Stucky, 68 W.C.B. (2d) 288.

 

[121]          Je suis tout à fait d'accord avec le requérant que l'autorisation obtenue par l'enquêteur de la police militaire ne constitue pas une autorisation judiciaire préalable au sens de la décision Hunter, précitée, et en ce sens, l'obtention des documents en raison de l'autorisation obtenue en vertu de la L.P.R.P. et qui sont énumérés à l'annexe 6 de la présente décision constitue une saisie sans mandat.

 

[122]          Par contre, je suis aussi d'accord avec l'intimée à l'effet que dans un tel contexte, cette saisie n'est pas abusive car elle respecte les critères énoncés au paragraphe 23 de l'arrêt de la Cour suprême dans R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265 :

 

Une fouille ne sera pas abusive si elle est autorisée par la loi, si la loi elle-même n'a rien d'abusif et si la fouille n'a pas été effectuée d'une manière abusive. En l'espèce, la poursuite a soutenu qu'il s'agissait d'une fouille pratiquée en vertu du par. 10(1) de la Loi sur les stupéfiants, précitée. Comme l'appelante n'a pas contesté la constitutionnalité du par. 10(1) de

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la Loi, les questions qui restent à trancher sont de savoir si la fouille était abusive parce que le policier ne remplissait pas les conditions de l'art. 10 de la Loi ou si, quoique remplissant ces conditions, il a pratiqué la fouille d'une manière qui la rendait abusive.

 

[123]          Tel que mentionné au paragraphe 17 de la décision de la Cour d'appel fédérale concernant la Loi sur la protection des renseignements personnels (Can.) (Re), [2000] 3 C.F. 82, confirmé par la Cour suprême du Canada à [2001] 3 R.C.S. 905 :

 

La Loi sur la protection des renseignements personnels vise donc manifestement la collecte de renseignements, laquelle ne peut être faite qu'aux fins liées aux activités de l'institution - (...) - et fait une distinction entre cette collecte et la communication de renseignements, laquelle vise dans la plupart des cas des fins autres que celles pour lesquelles ces renseignements ont été recueillis ainsi que des fins liées aux activités de l'institution requérante.

 

[124]          C'est d'ailleurs l'approche prise par le juge dans l'affaire Stucky, précitée. Je suis donc d'avis que la saisie des documents était autorisée par la L.P.R.P. car ils contenaient des renseignements personnels au sens de la définition de cette loi, c'est-à-dire des renseignements qui sont relatifs au dossier médical du requérant ou à tout numéro ou symbole, ou toute autre indication identificatrice, qui lui était propre.

 

[125]          De plus, comme le juge l'a mentionné dans l'affaire Stucky, précitée, au paragraphe 17, la seule manière d'accéder à des renseignements personnels en vertu de cette loi était en raison du fait qu'ils étaient du domaine public, qu'une autorisation avait été donnée par le requérant quant à leur divulgation ou qu'un organisme en recherchait l'obtention en vertu de l'article 8 de la L.P.R.P. C'est cette dernière option qui a été appliquée dans la présente cause et les documents contenant ces renseignements ont été communiqués conformément à l'exception prévue à l'article 8(2)(e) de la L.P.R.P., c'est-à-dire à un organisme d'enquête déterminé par règlement suite à une demande écrite en vue de faire respecter des lois fédérales, soit la Loi sur la défense nationale et le Code criminel, dans le cadre d'une enquête visant l'application du Code de discipline militaire contenu dans la Loi sur la défense nationale.

 

[126]          J'aimerais préciser que la police militaire est énumérée à l'annexe II du Règlement sur la protection des renseignements personnels (DORS/83-508) à titre d'organisme d'enquête au sens de l'article 8(2)(e) de la L.P.R.P..

 

[127]          Comme l'a si bien soulevé la partie intimée, le requérant n'a pas soulevé le caractère abusif de la L.P.R.P. ou de l'une de ses dispositions.

 

[128]          De plus, la saisie des documents n'a pas exécutée de manière abusive. Au contraire, l'enquêteur de la police militaire s'est conformé aux exigences procédurales, ayant à présenter sa demande à deux reprises, la première ne satisfaisant pas les exigences de la responsable de l'institution. De plus, l'enquêteur de la police militaire a simplement remis son autorisation à la clinique médicale qui s'y est conformée lorsque cela a été possible. Dans les faits, c'est le personnel de la clinique médicale qui a eu accès au dossier médical du requérant et qui s'est chargé de préparer et remettre à l'enquêteur de la police militaire les documents apparaissant à la demande. En ce sens, je n'y vois rien d'abusif car, au contraire, l'enquêteur est intervenu de manière minimale dans sa démarche d'obtention des documents.

 

[129]          En conséquence, l'obtention des documents identifiés à l'annexe 6 de la présente décision, en vertu d'une demande de communication à des organismes d'enquête fédéraux (pièce R1-4) conformément à l'article 8(2)(e) de la L.P.R.P., et pour lesquels j'ai établi précédemment qu'il existait une expectative raisonnable de vie privée pour le requérant, était tout a fait raisonnable, valide et légale et ne constitue pas une violation du droit du requérant prévu à l'article 8 de la Charte.

 

ii. Les documents saisis en vertu du mandat de perquisition émis le 23 février 2006 et exécuté le 24 février 2006

 

[130]          M.S. soulève l'illégalité du mandat de perquisition émis le 23 février 2006 (pièce R1-8) parce que :

 

a.         La description de la chose à saisir dans la dénonciation en vue de l'obtenir (pièce R1-7) et dans le mandat lui-même est trop vague et générale;

 

b.         La dénonciation en vue de l'obtenir (pièce R1-7) n'indique pas si le dénonciateur, soit le sergent Paré, a fait une déclaration sous serment ou a fait une affirmation solennelle devant le juge de paix, et qu'aussi l'affidavit présenté au soutien de la dénonciation n'a pas été signé par le sergent Paré et, par conséquent, qu'aucune déclaration sous serment ou affirmation solennelle de l'affiant n'a été faite par le juge de paix.

 

[131]          C'est à l'aide de ce mandat que l'enquêteur de la police militaire a saisi les 24 autres documents qui apparaissent à l'annexe 6 de la présente décision.

 

[132]          Lorsqu'un tribunal procède à un examen concernant l'émission d'un mandat de perquisition, il est à noter qu'il siège en révision de cette décision judiciaire. En conséquence, il ne s'agit pas ici de procéder de novo. Il s'agit plutôt de déterminer si au moment de l'émission du mandat, l'autorité judiciaire disposait ou non des éléments susceptibles de la convaincre que les conditions préalables à l'autorisation existaient. Si la réponse est à l'effet qu'il n'existait aucun élément, alors le tribunal serait justifié d'intervenir.

 

[133]          Concernant le premier motif soulevé par le requérant, je suis d'avis qu'il faut se fier au sens ordinaire des mots utilisés dans la dénonciation et le mandat de perquisition, soit « fournira une preuve relative à la perpétration de l'infraction suivant ». C'est cette approche qui a d'ailleurs été privilégiée par la Cour suprême du Canada dans Canadian Oxy Chemicals Ltd. C. Canada (Procureur général), [1999] 1 R.C.S. 743. La cour s'exprime ainsi au paragraphe 15 de la décision :

 

D'après son sens ordinaire, l'expression « preuve touchant la commission d'une infraction » est compréhensive et englobe tous les éléments qui pourraient jeter la lumière sur les circonstances d'un événement qui paraît constituer une infraction. Selon le sens naturel et

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ordinaire de cette expression, est visé par le mandat tout ce qui a trait ou se rapporte logiquement à l'incident faisant l'objet de l'enquête, aux parties en cause et à leur culpabilité éventuelle.

 

[134]          Dans le contexte de la présente requête, il a été prouvé de manière non contredite que le sergent Paré désirait obtenir le dossier médical de M.S. afin d'établir si d'autres documents avaient été altérés ou falsifiés et auraient servi à la demande de transfert du requérant dans la force régulière, compte tenu de l'analyse de certains documents qu'il avait déjà obtenu du même dossier médical en raison de sa demande faite en vertu de la L.P.R.P.. De plus, il a aussi été établi que plusieurs documents au dossier médical pourraient servir d'éléments comparateurs afin de procéder à une confirmation de la falsification ou de l'altération des documents qui faisaient l'objet des allégations de fraude.

 

[135]          Je suis d'avis que la description de la chose à saisir n'est pas trop générale car le contenu visé, soit l'ensemble des documents se trouvant dans le dossier médical, pouvait se rapporter logiquement à l'incident faisant l'objet de l'enquête, soit une fraude, car son ampleur réelle n'était pas connue et ne pouvait l'être réellement sans l'obtention de ces éléments dont certains apparaissaient déjà raisonnablement problématiques.

 

[136]          Quant au défaut d'avoir assermenté le dénonciateur, je suis conscient des exigences de fiabilité exigées dans la décision Hunter, précitée. Cependant, tels que l'illustrent les propos du juge Béliveau de la Cour supérieure du Québec dans la décision Société Radio-Canada c. Montréal (Communauté urbaine) Service de police, [2000] J. Q. no 1936, et plus précisément aux paragraphes 24 à 26, une telle erreur peut être corrigée dans le cadre de la procédure d'amplification lors de l'examen de la validité d'un mandat de perquisition.

 

[137]          Il appert que dans ce dossier, conformément à la décision de la Cour suprême dans R. c. Garofoli, [1990] 2 R.C.S. 1421, j'ai autorisé le requérant à interroger le sergent Paré sur les deux questions qu'il a soulevé quant à la validité de ce mandat de perquisition et que j'ai identifié auparavant. J'ai aussi permis à la partie intimée d'amplifier ces deux aspects en lui permettant de procéder à un interrogatoire du témoin aussi sur ces deux questions.

 

[138]          L'enquêteur de la police militaire dans ce dossier, le sergent Paré a témoigné de manière claire, directe et cohérente. Il a bien expliqué les étapes des différentes saisies qu'il a effectuées et les raisons qui soutenaient ses interventions. Lorsque interrogé par l'avocat du requérant sur les raisons qui l'ont motivées à utiliser un mandat de perquisition, il m'est apparu qu'il répondait correctement, en toute sincérité, sur la base de ses connaissances et expériences personnelles.

 

[139]          Concernant le défaut relatif à l'absence d'assermentation du dénonciateur sur la dénonciation et sur l'affidavit au soutien de la dénonciation, le témoignage du sergent Paré était clair, honnête et cohérent. Du fait qu'aucun événement notoire n'est survenu lui permettant de se rappeler précisément ce qui s'est passé devant le juge de paix le 23 février 2006, et considérant qu'il a procédé à titre de dénonciateur dans plusieurs autres demandes de mandat de perquisition depuis deux ans, il m'apparaît normal qu'il puisse affirmer devant la cour qu'il ne se rappelle pas précisément si le juge de paix a procédé à son assermentation. Par contre, il a été capable d'affirmer qu'en raison de la procédure qu'il suit habituellement pour une telle chose, il est plus que probable qu'il a été assermenté par le juge de paix, autant en ce qui concerne l'affidavit que la dénonciation. Je conclus que son témoignage est fiable et crédible.

 

[140]          À mon avis, le témoignage du sergent Paré est suffisant pour corriger le défaut soulever par le requérant quant au défaut d'assermentation sur la dénonciation et l'affidavit à son soutien.

 

[141]          En conséquence, je conclus que le juge de paix qui a autorisé le mandat de perquisition pouvait le faire et je n'ai donc pas à intervenir.

 

iii. Les documents saisis en vertu du mandat de perquisition émis et exécuté le 2 mars 2006

 

[142]          Le 2 mars 2006, l'enquêteur de la police militaire, le sergent Paré, présentait une dénonciation (pièce R1-9) qui a mené à l'émission d'un mandat de perquisition par un juge de paix magistrat (pièce R1-10) autorisant la saisie de la note de service du major D Descoteaux et des pièces qui y étaient annexées (pièce R1-5 annexe U). Il appert du témoignage du sergent Paré et de son affidavit présenté au soutien de la dénonciation, que cette note de service, son annexe et les documents joints, étaient déjà entre les mains de l'enquêteur suite à leur obtention en vertu d'une demande de communication à des organismes d'enquête fédéraux (pièce R1-4) conformément à l'article 8(2)(e) de la L.P.R.P..

 

[143]          Le requérant soulève le caractère abusif de l'exécution de ce mandat dont il ne conteste pas la validité. En effet, M.S. prétend que le fait de saisir le même document à l'aide d'un mandat de perquisition, alors qu'il avait déjà fait l'objet d'une saisie sans mandat, comporte en soi un caractère abusif constituant une violation de son droit énoncé à l'article 8 de la Charte.

 

[144]          Comme l'a déclaré le sergent Paré lorsqu'il a été interrogé sur ce sujet précis, et tel qu'il appert de son affidavit présenté au soutien de la dénonciation pour l'obtention de ce mandat, le but recherché était de procéder à une saisie d'une copie de documents à l'aide d'un mandat et pour lesquels il avait des motifs raisonnables et probables de croire qu'ils serviraient de preuve concernant la commission d'une infraction criminelle. Rappelons qu'il avait obtenu auparavant tous les documents qui étaient joints à la note de service d'une autre manière, soit dans le cadre de sa demande en vertu de la L.P.R.P. ou soit lors de l'exécution le 24 février 2006 du mandat de perquisition.

 

[145]          Selon le témoignage du policier, il voulait s'assurer de détenir validement la note de service et les documents joints à la note de service car ils constituaient à ses yeux des éléments de preuve. Ma compréhension des explications du policier sur ce sujet est à l'effet qu'après avoir pris connaissance des documents prétendument à l'origine et entourant l'incident allégué, qu'il avait obtenus selon une demande faite en vertu de la L.P.R.P., il a jugé bon de saisir à l'aide d'un mandat de perquisition une copie des documents qu'il avait en sa possession et dont le document d'origine pour chacun d'eux avait déjà été saisi à l'aide d'un premier mandat de perquisition. Jamais il ne m'est apparu que le sergent Paré tentait de valider une saisie sans mandat à l'aide d'une saisie avec mandat. De plus, étant donné ma conclusion quant à la validité de la saisie sans mandat faite en vertu de la L.P.R.P., le policier se trouvait à obtenir l'autorisation de saisir quelque chose qu'il détenait déjà validement.

 

[146]          À mon avis, il n'y a rien d'abusif à ce que les autorités policières agissent ainsi tant qu'il appert qu'il ne s'agit pas de cautionner une illégalité commise par une autorité judiciaire dans le cadre d'une autorisation préalable à une saisie ou à remédier clairement à une saisie sans mandat que le policier sait illégale.

 

[147]          En conséquence, le contexte dans lequel s'est déroulée la saisie et la manière d'y procéder ne révèlent aucun abus de la part des autorités policières lorsqu'ils ont procédé à la saisie de la note de service, de l'annexe et des pièces jointes, en vertu du mandat de perquisition qui avait été émis à ce sujet.

 

                  iv. Conclusion quant à la raisonnabilité de la saisie

 

[148]          J'en viens donc à la conclusion que la saisie des 31 documents énumérés à l'annexe 6 de la présente décision, et pour lesquels j'ai conclu qu'il existait une expectative raisonnable de vie privée pour M.S., n'a pas été exécutée de manière abusive.

 

Conclusion quant à l'article 8 de la Charte

 

[149]          Je conclus que M.S. n'a pas établi par prépondérance de preuve que les 36 documents introduits à titre d'éléments de preuve par la poursuite dans le cadre du présent procès, et que j'ai énumérés à l'annexe 5 de la présente décision, et qu'il a identifiés en raison de l'objection qu'il a formulée à leur égard, ont été obtenus dans des conditions qui portent atteintes à son droit d'être protégé contre les saisies abusives, tel que prévu à l'article 8 de la Charte.

 

Le paragraphe 24(2) de la Charte

 

[150]          Tout d'abord, j'aimerais préciser qu'en raison de ma conclusion quant à l'absence d'une violation du droit de M.S. prévu à l'article 8 de la Charte, je ne peux faire autrement que conclure que le requérant n'a pas non plus établi par prépondérance de preuve que le rapport d'expertise en documents (pièce 20) doit faire l'objet d'une ordonnance d'exclusion.

 

[151]          En effet, M.S. a prétendu que si j'en venais à la conclusion que les documents ayant servi à l'établissement du rapport d'expertise en documents avait été obtenus en violation de son droit prévu à l'article 8 de la Charte et que j'ordonnais leur exclusion, je ne pouvais faire autrement qu'en arriver à la même conclusion en ce qui a trait au rapport d'expertise. Puisque ce n'est pas le cas, je ne peux souscrire à la demande du requérant.

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[152]          En conséquence, j'en viens à la conclusion que le rapport d'expertise n'a pas à faire l'objet d'une ordonnance d'exclusion en vertu du paragraphe 24(2) de la Charte.

 

[153]          Finalement, si j'avais conclu que les documents en question avaient été obtenus dans des conditions qui portent atteinte au droit de M.S. d'être protégé contre les saisies abusives, tel que prévu à l'article 8 de la Charte, j'aurais quand même conclu que ces documents, incluant aussi le rapport d'expertise en documents, n'avaient pas à faire l'objet d'une ordonnance d'exclusion en vertu du paragraphe 24(2) de la Charte.

 

[154]          Les circonstances des différentes saisies démontrent que l'enquêteur de la police militaire a toujours tenté d'utiliser un cadre juridique qu'il jugeait valide afin d'obtenir les éléments de preuve qu'il considérait nécessaires pour prouver la culpabilité du requérant. En aucun temps, il n'a tenté d'outrepasser volontairement son autorité légale ou celle d'une quelconque autre organisation. Dans les faits, il a pris plusieurs précautions afin de s'assurer qu'il obtenait correctement les documents en question, saisissant très bien le fait qu'il existait un certain niveau de confidentialité qui leur était attaché.

 

[155]          Je conclus donc que la conduite de la police militaire était peu répréhensible car l'enquêteur croyait honnêtement et raisonnablement qu'il respectait le droit du requérant prévu à l'article 8 de la Charte. Le comportement de l'enquêteur ne m'apparaît nullement comme celui de quelqu'un qui manifeste un mépris quant à la loi.

 

[156]          D'autre part, je suis d'avis que cette violation constitutionnelle serait de peu d'importance en raison de son caractère intrusif limité, puisque l'enquêteur avait des motifs raisonnables et probables pour effectuer les saisies, que le nombre de manque-ments à la Charte est très limité et qu'il n'existait pas vraiment d'autres moyens d'enquête dans les circonstances.

 

[157]          Ceci m'amène à conclure que le degré de la gravité de la violation serait peu élevé, s'il y en avait une, puisque l'enquêteur de la police militaire, par son comportement, a cherché à minimiser l'impact de son intervention sur le droit à la vie privée du requérant.

 

[158]          Finalement, considérant la gravité des infractions et la nature et l'importance des éléments de preuve faisant l'objet de cette requête, incluant leur valeur probante, j'en viendrais à la conclusion que c'est l'exclusion de cette preuve qui aurait pour effet de déconsidérer l'administration de la justice.

 

CONCLUSION

 

[159]          La requête présentée par M.S. afin que la cour ordonne l'exclusion des éléments de preuve identifiés à l'annexe 5 de la présente décision, ainsi que l'exclusion du rapport d'expertise en documents, en vertu du paragraphe 24(2) de la Charte en raison de leur obtention dans des conditions portant atteinte au droit du requérant d'être protégé contre les saisie abusives, telles que prévues à l'article 8 de la Charte est en conséquence rejetée.

 

[160]          Le voir dire concernant cette requête est maintenant fermé.

 

 

LIEUTENANT-COLONEL L.-V. D'AUTEUIL, J.M.

 

Avocats :

 

Major J.J. Caron, Procureur militaire, Région de l'Est

Capitaine P. Doucet, Procureur militaire, Région de l'Est

Avocats de la poursuivante

 

Lieutenant de vaisseau P. Desbiens, Directeur du service d'avocats de la défense

Major A. Litowski, Directeur du service d'avocats de la défense

Avocats de M.S.

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