Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 30 octobre 2008

Endroit : Garnison Valcartier, l’Académie, édifice 534, Courcelette (QC)

Chefs d’accusation :
Chef d’accusation 1 (subsidiaire au chef d’accusation 2) : Art. 130 LDN, fabrication de faux documents (art. 367 C. cr.).
Chef d’accusation 2 (subsidiaire au chef d’accusation 1) : Art. 125c) LDN, dans l’intention d’induire en erreur a altéré des documents établis à des fins militaires.
Chef d’accusation 3 : Art. 130 LDN, s’être servi de documents contrefaits (art. 368a) C. cr.).
Chef d’accusation 4 : Art. 122a) LDN, a donné sciemment une fausse réponse à une question d’un document à remplir à propos de son enrôlement dans les Forces canadiennes.
Chef d’accusation 5 : Art. 122b) LDN, à propos de son enrôlement dans les Forces canadiennes a fourni un renseignement qu’il savait être faux.

Résultats :

VERDICTS : Chef d’accusation 1 : Coupable. Chefs d’accusation 2, 3, 4, 5 : Non coupable.
SENTENCE : Un blâme et une amende au montant de 3000$.

Contenu de la décision

Citation : R. c. M.S., 2009 CM 3003

 

Dossier : 200820

 

 

COUR MARTIALE PERMANENTE

CENTRE DE RECRUTEMENT DES FORCES CANADIENNES

GARNISON VALCARTIER

COURCELETTE, QUÉBEC

 

 

 


Date : 6 février 2009

 

 


SOUS LA PRÉSIDENCE DU LIEUTENANT-COLONEL L.-V. D'AUTEUIL, J.M.

 

 


SA MAJESTÉ LA REINE

c.

M.S.

(Contrevenant)

 

 


SENTENCE

Prononcée oralement

 

 

 


[1]                    Le 3 février 2009, la présente cour martiale permanente a reconnu coupable M.S. de fabrication de faux documents. Il est de mon devoir à titre de juge militaire présidant cette cour martiale de fixer la sentence.

 

[2]                    Le système de justice militaire constitue l'ultime recours pour faire respecter la discipline, qui est une dimension essentielle de l'activité militaire dans les Forces canadiennes. Le but de ce système est de prévenir toute inconduite ou, de façon plus positive, de veiller à promouvoir la bonne conduite. C'est au moyen de la discipline que les forces armées s'assurent que leurs membres rempliront leurs missions avec succès, en toute confiance et fiabilité.

 

[3]                    Comme le déclare le lieutenant-colonel Jean-Bruno Cloutier dans sa thèse intitulée L'utilisation de l'article 129 de la Loi sur la défense nationale dans le système de justice militaire canadien :

 

En bout de ligne, pour promouvoir au maximum les chances de succès de la mission, la chaîne de commandement doit être en mesure d'administrer la discipline afin de contrôler les inconduites qui mettent en péril le bon ordre, l'efficacité militaire et finalement la raison d'être de l'organisation, la sécurité nationale.

 

[4]                    Le système de justice militaire voit aussi au maintien de l'ordre public et s'assure que les personnes justiciables du Code de discipline militaire sont punies de la même façon que toute autre personne vivant au Canada.

 

[5]                    Il est reconnu depuis longtemps que le but d'un système de tribunaux ou de justice militaire distinct est de permettre aux Forces canadiennes de s'occuper des questions qui touchent au Code de discipline militaire et au maintien de l'efficacité et du moral des troupes. Cela dit, toute peine infligée par un tribunal, qu'il soit civil ou militaire, doit être la moindre possible dans les circonstances. Ce principe est conforme au devoir du tribunal d'infliger une peine proportionnée à la gravité de l'infraction et aux antécédents du contrevenant, comme le prévoit l'alinéa 112.48(2)b) des ORFC.

 

[6]                    La cour a pris en considération les recommandations respectives des avocats en fonction des faits pertinents, tels que présentés dans le cadre de ce procès, et de leurs importances. Elle a également examiné ces recommandations en fonction des principes de la détermination de la peine, notamment ceux qui sont énoncés aux articles 718, 718.1 et 718.2 du Code criminel dans la mesure où ils ne sont pas incompatibles avec le régime des peines prévu sous le régime de la Loi sur la défense nationale. Ces principes sont les suivants :

 

premièrement, la protection du public et le public comprend, en l'occurrence les intérêts des Forces canadiennes;

 

deuxièmement, la punition du contrevenant;

 

troisièmement, l'effet dissuasif de la peine non seulement sur le contrevenant, mais aussi sur toute personne qui pourrait être tentée de commettre de telles infractions;

 

quatrièmement, l'isolement au besoin des délinquants du reste de la société, y compris des membres des Forces canadiennes;

 

cinquièmement, l'imposition de peines semblables à celles infligées à des délinquants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables; et

 

sixièmement, la réhabilitation et la réinsertion du contrevenant.

 

Le tribunal a également tenu compte des arguments avancés par les avocats, notamment la jurisprudence qu'ils ont produite et les documents qu'ils ont déposés en preuve.

 

[7]                    La cour convient avec le procureur de la poursuite que la nécessité de protéger le public exige d'infliger une peine qui met l'accent sur la dénonciation et l'effet dissuasif général. Il est important de retenir que celle-ci implique que la peine infligée devrait non seulement dissuader le contrevenant de récidiver mais aussi dissuader toute autre personne qui se trouve dans une situation analogue de se livrer au même acte illicite. En l'espèce, la cour est saisie d'une infraction de fabrication de faux documents concernant un carnet de visites médicales et une fiche d'examen médical. Il s'agit d'une infraction sérieuse, mais la cour a l'intention d'infliger ce qu'elle considère être la peine minimale applicable dans les circonstances. Pour en arriver à ce qu'elle croit être une peine juste et appropriée, la cour tient également compte des circonstances aggravantes et les circonstances atténuantes suivantes.

 

[8]                    La cour considère comme aggravants les facteurs suivants :

 

a.     Premièrement, la gravité objective de l'infraction. Vous avez été trouvé coupable d'une infraction aux termes de l'article 130 de la Loi sur la défense nationale, pour avoir fabriqué des faux documents contrairement à l'article 367 du Code criminel. Cette infraction est passible d'un emprisonnement maximal de dix ans ou d'une peine moindre. Il s'agit d'une infraction qui, objectivement est très grave.

 

b.     Deuxièmement, la gravité subjective de l'infraction. M.S, vous êtes une personne d'expérience et au moment de la commission de l'infraction, cela faisait au moins cinq ans que vous aviez été promu à ce grade. Vous avez démontré un manque flagrant d'intégrité et de loyauté à l'égard des Forces canadiennes en agissant comme vous l'avez fait. C'est sans hésitation que vous avez mis de côté ces obligations fondamentales pour un militaire, et plus particulièrement pour un officier des Forces canadiennes, afin d'obtenir un avantage personnel, soit celui d'être perçu comme étant médicalement apte à exercer votre métier de pilote.

 

c.     Vos propos et actions contradictoires entre 2002 et 2005 mettent en lumière ce manque d'intégrité et d'honnêteté qui n'était pas ponctuel et lié seulement à la commission de l'infraction. En effet, vous avez démontré à travers les témoins que vous avez présentés à la cour que durant cette période, vous aviez une attitude et un comportement avec vos collègues que vous avez décrite de manière totalement différente, et je dirais même opposée, à votre psychologue. L'aspect le plus étonnant de cet épisode est le fait que votre psychologue a émis une impression diagnostique à l'effet que vous souffriez d'un syndrome post-traumatique, que les symptômes diminuaient lorsque vous vous éloigniez de la source du traumatisme, soit le pilotage et tout ce qui pouvait vous en rapprocher, incluant votre travail de recruteur de pilotes, mais qu'en même temps vous avez fait les démarches nécessaires pour être réengagé comme pilote dans la force régulière, vous exposant potentiellement à vous rapprocher des sources initiatrices des symptômes en question. Il demeure difficile de réconcilier d'une part, le fait que dans le contexte de votre réengagement en mars 2005 dans la force régulière, que vous n'avez jamais indiqué à votre psychologue, ce dernier a indiqué dans son rapport que votre état nécessitait un suivi psychologique à long terme, et que d'autre part vous avez cessé de le consulter une fois que son rapport acheminé au ministère des anciens combattants afin de justifier l'attribution d'une pension d'invalidité.

 

d.     La nature des documents que vous avez falsifiés n'est pas banale. Il s'agit de documents de référence pour le personnel médical du service de santé des Forces canadiennes qui servent à établir sur le plan médical votre capacité à rencontrer l'obligation liée à l'universalité du service et les normes médicales minimales exigées pour votre groupe professionnel. En procédant à la modification de la cote de votre profil médical concernant le facteur professionnel afin d'indiquer que vous respectiez toutes les exigences médicales pour piloter et en inscrivant vous-même les notes médicales apparaissant dans ces deux documents, vous avez potentiellement mis la sécurité de vos collègues en danger et vous avez surtout menacé le succès des missions opérationnelles des Forces canadiennes à titre de pilote.

 

e.     Vous avez abusé de la confiance de certains membres des Forces canadiennes qui n'avaient pas hésité à vous confier votre propre dossier médical, malgré le fait que cela était inhabituel, afin de vous aider dans vos démarches administratives de libération. En vous facilitant la tâche, certains militaires pensaient vous venir en aide. Au contraire, vous avez abusé de leur confiance et de celle mise en vous par les Forces canadiennes en vous servant de cette opportunité pour arriver à vos propres fins par la commission d'une infraction criminelle.

 

f.      Finalement, le fait de falsifier ces documents a exigé de vous une certaine forme de préméditation. En effet, pour arriver à un résultat, il vous a fallu, à tout le moins, réfléchir à la manière d'y arriver et un certain temps pour le réaliser.

 

[9]                    La cour considère comme atténuants les facteurs suivants :

 

a.     Le traitement qui vous a été réservé depuis que les accusations ont été portées. La cour peut comprendre que la nature des accusations dont vous étiez l'objet ne pouvait pas être nécessairement compatible à l'exercice d'un emploi au sein du centre de recrutement. L'effort de vous employer au sein de l'état-major de la brigade à Valcartier selon vos compétences est louable mais lorsque les autorités ont constaté l'échec d'une telle tentative, elles ont cru bon que vous tenir à l'écart de vos pairs serait la meilleure chose à faire. Cette forme d'ostracisme que vous avez vécu au cours des derniers mois, a plutôt pour effet de faire croire à votre condamnation avant que votre procès ait eu lieu et peut être perçu comme une punition au lieu d'une mesure préventive. Le fait que vous ayez été en congé de maladie ne réduit en rien l'intention des autorités militaires de vous tenir à l'écart des autres.

 

b.     Le fait que vous n'ayez aucun dossier criminel et que votre fiche de conduite ne réfère nullement à des infractions similaires.

 

c.     Le fait d'avoir eu à faire face à cette cour martiale qui est annoncée et accessible au public, et qui a eu lieu en présence de certains de vos collègues et de certains de vos pairs a certainement eu un effet dissuasif très important sur vous et sur eux. Le message est que ce genre de conduite quant à la falsification de documents médicaux ne sera toléré d'aucune manière et que ce genre de comportement sera réprimé en conséquence.

 

d.     L'absence de conséquences quant à votre emploi à titre de pilote dans les Forces canadiennes. Que cela soit le hasard ou le simple fait qu'il devait en être ainsi, vous n'avez pas été employé comme pilote au sein des Forces canadiennes depuis votre transfert dans la force de réserve jusqu'à ce jour. Vous constituez un risque à titre de pilote en raison de votre condition médicale mais cela ne s'est jamais matérialisé.

 

e.     Votre fragilité psychologique. De l'ensemble de la preuve qui lui a été présentée, la cour retient votre incapacité chronique à affronter et surmonter les obstacles majeurs de la vie qui se sont présentés à vous, ce qui a été identifié devant cette cour comme étant un trouble d'adaptation. L'écart entre la réalité et ce que vous voudriez qu'elle soit est maintenant si grand que vous avez beaucoup de difficulté à réconcilier tout cela. Il est clair que vous avez besoin d'aide afin d'être outillé plus adéquatement.

 

[10]                  La cour aimerait ajouter certains commentaires quant à certain autres facteurs qui lui ont été suggérés. Tout d'abord, la fiche de conduite n'a pas vraiment d'impact dans les circonstances actuelles de cette cause. Les infractions qui y apparaissent ne sont pas de même nature, elles se rapportent spécifiquement au pilotage, et se sont produites il y a presque10 ans.

 

[11]                  Les Forces canadiennes doivent porter une part de responsabilité quant aux conséquences subies en raison de l'infraction commise par le contrevenant. En effet, il a été démontré à la cour qu'il existait des documents autres que médicaux qui faisaient état de la restriction à l'emploi de M.S. comme pilote en raison de sa condition médicale. Il est clair que l'aspect médical est un critère à l'enrôlement mais l'étude de son dossier personnel aurait dû révéler assez facilement les contradictions entre l'aptitude réelle et celle démontrée par les résultats médicaux. À tout le moins, il existait suffisamment d'information dans son dossier personnel pour procéder à une investigation quant au moment où la cote de son profil médical avait changé et les raisons qui justifiaient un tel état de fait. Le témoignage du lieutenant-colonel Bigaouette a clairement démontré que le cas de M.S. était bien documenté et que les autorités concernées étaient en mesure d'avoir un portrait exact de la situation concernant la capacité de M.S. d'opérer un aéronef au sein des Forces canadiennes.

 

[12]                  Il est vrai que les deux documents médicaux falsifiés ne reflétaient pas ce qu'était la situation réelle de M.S. sur le plan médical et cela a eu probablement un impact sur les décisions qui ont été prises par les autorités des Forces canadiennes quant au fait de le transférer dans la force de réserve et par la suite de procéder à son réengagement dans la force régulière, toujours à titre de pilote. La poursuite voudrait voir dans ce fait quelque chose de très aggravant et déterminant lui permettant de justifier sa position quant à la sentence. M.S. a toujours soumis au cours du procès et sur sentence que la preuve ne démontre pas la portée exacte qu'ont eu ces documents sur le changement de cote médicale et sur la décision d'accepter le transfert de M.S. dans la force de réserve, puis dans la force régulière. La cour n'est pas convaincue hors de tout doute raisonnable qu'un tel fait se soit produit. La falsification des documents est une chose, leur utilisation et les conséquences qui en découlent en est une autre pour laquelle la cour en arrive à une conclusion au niveau de la probabilité seulement.

 

[13]                  De l'avis de la cour, la sentence suggérée par la poursuite, soit la rétrogradation au grade de sous-lieutenant, un blâme et une amende de 10 000 dollars, va bien au-delà de celle qu'elle considère minimale dans les circonstances de l'espèce. Quant à la suggestion de l'avocate de la défense, soit une amende de 1000 dollars, la cour conclut qu'elle ne rencontre pas ce seuil minimal.

 

[14]                  M.S., la cour comprend qu'en raison de votre attitude depuis la commission de l'infraction pour laquelle ce tribunal vous a déclaré coupable, il existe un souhait marqué de la part des autorités des Forces canadiennes qu'une sentence exemplaire vous soit imposée. Cependant, comme je l'ai précédemment expliqué, l'application des principes de droit quant à l'imposition d'une peine fait en sorte que c'est un facteur dont la cour a tenu compte avec d'autres et ne peut à lui seul justifier la sentence suggérée par la poursuite. Il est clair que vous avez un problème à composer avec l'adversité et qu'il est souhaitable que vous trouviez un moyen définitif de le régler car cela a le potentiel de causer, à vous et à ceux qui vous entourent, de bien grands tourments dont tous pourraient se passer.

 

[15]                  Une peine équitable et juste doit tenir compte de la gravité de l'infraction et de la responsabilité du contrevenant dans le contexte précis de l'espèce. En conséquence, la cour est d'avis que l'imposition d'un blâme et d'une amende est en conformité avec l'application de ce principe, compte tenu de l'ensemble des circonstances et des facteurs aggravants et atténuants identifiés par cette cour. La cour considère qu'il s'agit de la peine minimale applicable dans les circonstances.

 

[16]                  M.S., levez-vous. La cour vous condamne à un blâme et une amende de 3000 dollars. L'amende doit être payée par le versement immédiat d'un montant de 750 dollars suivi de trois versements mensuels consécutifs de 750 dollars, le premier de ces trois versements débutant le 1er mars 2009. Si, pour une raison ou pour une autre, vous étiez libéré des Forces canadiennes avant d'avoir fini de payer cette amende, le montant total impayé devra être versé avant votre libération. Assoyez-vous.

 

[17]                  Les procédures concernant la cour martiale permanente de M.S. sont maintenant terminées.

 

 

LIEUTENANT-COLONEL L.-V. D'AUTEUIL

 

Avocats :

 

Major J.J. Caron, Procureur militaire, Région de l'Est

Capitaine P. Doucet, Procureur militaire, Région de l'Est

Avocats de la poursuivante

Major A. Litowski, Directeur du service d'avocats de la défense

Avocate de M.S.

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