Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 2 octobre 2018

Endroit : Manège militaire Lieutenant-colonel George Taylor Denison III, 1 ruelle Yukon, Toronto (ON)

Chefs d’accusation :

Chef d’accusation 1 : Art. 93 LDN, comportement déshonorant.

Résultats :

VERDICT : Chef d’accusation 1 : Coupable.
SENTENCE : Emprisonnement pour une période de cinq mois et une rétrogradation au grade de sergent.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. Reyes, 2018 CM 4015

 

Date : 20181003

Dossier : 201805

 

Cour martiale permanente

 

Manège militaire Lcol George Taylor Denison III

Toronto (Ontario) Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Adjudant-maître M.P. Reyes, contrevenant

 

 

En présence du : Capitaine de frégate J.B.M. Pelletier, J.M.


 

Restriction à la publication : Par ordonnance de la Cour rendue en vertu de l’article 179 de la Loi sur la défense nationale et de l’article 486.4 du Code criminel, il est interdit de publier ou de diffuser, de quelque façon que ce soit, tout renseignement permettant d’identifier une personne décrite dans la présente instance comme étant la victime ou la plaignante, y compris la personne désignée dans l’acte d’accusation comme étant la « Sergent B. ».

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Oralement)

 

Introduction

 

[1]        Adjudant‑maître Reyes, ayant accepté et inscrit votre plaidoyer de culpabilité à l’égard du seul chef d’accusation figurant sur l’acte d’accusation, la Cour vous déclare maintenant coupable de cette accusation en vertu de l’article 93 de la Loi sur la défense nationale (LDN) pour conduite déshonorante, plus précisément pour avoir réalisé subrepticement des enregistrements vidéo de J.B. dans une salle de bain réservée aux femmes au Manège militaire Lcol George Taylor Denison III (manège militaire Denison).

 

Présentation d’une recommandation conjointe

 

[2]        Je dois à présent infliger la peine. Il s’agit ici d’un cas où une recommandation conjointe est présentée à la Cour. L’avocat de la poursuite et celui de la défense m’ont tous deux recommandé de prononcer une peine comportant une peine d’emprisonnement de cinq mois et une rétrogradation au grade de sergent.

 

[3]        Cette recommandation des avocats limite de façon importante mon pouvoir discrétionnaire quant à la détermination de la peine appropriée. Je ne suis pas obligé de suivre la proposition, quelle qu’elle soit. Toutefois, comme tout autre juge de première instance, je ne peux écarter une recommandation conjointe que si la peine proposée est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice, ou si elle est par ailleurs contraire à l’intérêt public. C’est le critère qui a été énoncé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Anthony‑Cook, 2016 CSC 43.

 

[4]        Bien qu’il m’incombe d’évaluer le caractère acceptable de la recommandation conjointe, le seuil requis pour s’en écarter est indubitablement élevé, puisque les recommandations conjointes tiennent compte des considérations d’intérêt public importantes. La poursuite accepte de recommander une peine que l’accusé est disposé à accepter, afin d’éviter le stress d’un procès et de permettre aux contrevenants qui ont des remords de commencer à faire amende honorable. Les avantages d’une recommandation conjointe ne concernent pas que l’accusé, mais aussi les victimes, les témoins, la poursuite et l’administration de la justice en général, car le temps, les ressources et les dépenses ainsi économisés peuvent être alloués à d’autres affaires. Les recommandations conjointes apportent une certitude à tous les participants, en particulier pour l’accusé, mais aussi pour la poursuite qui obtient ce que son procureur militaire estime être un règlement approprié de l’affaire dans l’intérêt public.

 

[5]        Même si la certitude de l’issue est importante pour les parties, elle ne constitue pas le but ultime du processus de détermination de la peine. Je dois également garder à l’esprit l’objectif disciplinaire du Code de discipline militaire et des tribunaux militaires au moment d’exercer la fonction de détermination de la peine qui m’incombe à titre de juge militaire. Comme l’a souligné la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Généreux, [1992] 1 R.C.S. 259, le Code de discipline militaire porte avant tout sur le maintien de la discipline et de l’intégrité au sein des Forces armées canadiennes (FAC), mais il joue aussi un rôle de nature publique, du fait qu’il vise à punir une conduite précise qui menace l’ordre et le bien‑être publics. Les cours martiales permettent aux autorités militaires d’être en mesure de faire respecter la discipline interne de manière efficace. La peine est la conséquence ultime du constat, à l’issue d’un procès ou d’un plaidoyer de culpabilité, qu’il y a eu manquement au Code de discipline militaire. La détermination de la peine se déroule habituellement dans un établissement militaire, en public et en présence des membres de l’unité du contrevenant, comme en l’espèce.

 

[6]        L’infliction d’une peine dans le cadre de la procédure d’une cour martiale remplit donc une fonction disciplinaire importante, ce qui rend ce processus différent du processus de détermination de la peine qui a habituellement cours dans le système civil de justice pénale. Même lorsqu’une recommandation conjointe est faite, le juge militaire qui inflige la peine doit s’assurer, à tout le moins, que les circonstances de l’infraction, la situation du contrevenant et la recommandation conjointe sont non seulement prises en compte, mais aussi suffisamment énoncées dans la décision relative à la détermination de la peine avec une précision qui n’est pas toujours nécessaire devant d’autres tribunaux. Malgré tout, les exigences particulières en matière de détermination de la peine en cour martiale ne diminuent en rien la portée des directives de la Cour suprême du Canada concernant les recommandations conjointes, comme l’énonce le paragraphe 54 de l’arrêt Anthony‑Cook.

 

[7]        De nouvelles dispositions législatives énonçant les objectifs et les principes de la détermination de la peine par les tribunaux militaires sont entrées en vigueur le 1er septembre 2018. Sans répéter le contenu de ces dispositions, je tiens à mentionner que le principe fondamental de détermination de la peine énoncé à l’article 203.2 de la LDN prévoit qu’un juge militaire doit infliger une peine proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du contrevenant.

 

Éléments pris en compte

 

[8]        En l’espèce, le procureur de la poursuite a lu un énoncé des circonstances qui a été admis en preuve, en plus d’autres documents fournis par le procureur, comme l’exige l’article 112.51 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC). La poursuite a également produit comme pièces deux déclarations de la victime ainsi que deux lettres rédigées par des commandants militaires. La défense n’a fourni aucun élément de preuve à des fins d’atténuation de la peine.

 

[9]        En plus de ces éléments de preuve, la Cour a aussi bénéficié des observations des avocats au soutien de leur position conjointe quant à la peine, laquelle repose sur les faits et les facteurs pertinents en l’espèce, ainsi que sur la jurisprudence applicable à des cas semblables. Ces observations et éléments de preuve, y compris les renseignements reçus des victimes et des membres de la chaîne de commandement, me permettent de prendre en compte et d’appliquer les buts et les principes de la détermination de la peine à la situation du contrevenant et aux circonstances de l’infraction.

 

Le contrevenant

 

[10]      L’adjudant‑maître Reyes est un membre de la Force de réserve âgé de 44 ans qui a servi comme sergent‑major du Quartier général (QG) de la 4e Division du Canada dans le service de réserve de classe B jusqu’à ce que son emploi prenne fin en février 2017, à la suite d’une enquête de la police militaire ayant mené à l’accusation portée contre lui et pour laquelle il est condamné aujourd’hui. En sa qualité de sergent‑major du QG, l’adjudant‑maître Reyes agissait à titre de conseiller auprès de la haute direction du QG, du responsable de la discipline ainsi que de ses propres subordonnés sur des questions liées au leadership ou à la vie militaire. L’adjudant‑maître Reyes a également occupé le poste de sergent‑major de batterie dans son unité d’appartenance, le 7th Toronto Regiment, Artillerie royale canadienne.

 

[11]      L’adjudant‑maître Reyes a émigré des Philippines en 1988 et s’est joint aux FAC à l’âge de 17 ans, le 3 octobre 1991, il y a 27 ans. Il a connu ce qui semble être une carrière exemplaire, comme en témoigne son ascension dans les grades et les responsabilités qui lui ont été confiées au fil des ans. Au cours des quelques dix premières années de sa carrière, il a principalement servi à temps partiel dans les services de réserve de classe A, exception faite de son service à temps plein dans le service de réserve de classe B pendant les mois d’été. Il a commencé à occuper des postes réguliers à temps plein en 2002, principalement dans ce que l’on appelait autrefois le Quartier général du Secteur du Centre de la Force terrestre ici à Toronto. L’adjudant‑maître Reyes a été déployé deux fois pour des missions de six mois en Afghanistan, d’abord à Kaboul en 2005‑2006, puis à Kandahar en 2008‑2009. L’adjudant‑maître Reyes a une conjointe de fait et ils sont les parents d’une fille de cinq ans. On me dit qu’il est le beau‑père de deux enfants adultes d’une ancienne union.

 

[12]      La Cour est informée que l’adjudant‑maître Reyes n’a pris part à aucune classe de service depuis son arrestation et que sa carrière fait l’objet d’un examen administratif, son unité ayant recommandé sa libération des FAC.

 

L’infraction et ses répercussions

 

[13]      Pour apprécier le caractère acceptable de la recommandation conjointe, la Cour a tenu compte de la gravité objective de l’infraction, telle qu’elle est démontrée par la peine maximale qui peut être infligée. Les infractions de conduite déshonorante prévues à l’article 93 de la LDN sont passibles d’un emprisonnement d’une durée maximale de cinq ans. Par conséquent, une conduite déshonorante constitue une infraction disciplinaire très grave.

 

[14]      Les faits entourant la perpétration de l’infraction en l’espèce sont exposés dans l’énoncé des circonstances lu par le procureur de la poursuite, et dont l’adjudant‑maître Reyes a formellement reconnu l’exactitude. Voici le résumé de ces circonstances :

 

a)         Le matin du 9 juin 2016, E.B. se changeait pour revêtir son uniforme de combat après avoir utilisé la toilette d’une salle de bain pour femmes handicapées au manège militaire Denison. E.B. a remarqué l’objectif d’un iPhone situé sous un évier, sur le tuyau d’évacuation face à la toilette. Le téléphone était dans un étui blanc de sorte qu’il soit camouflé par le matériau d’isolation blanc sous l’évier. E.B. s’est emparé de l’iPhone et a remarqué qu’il était allumé. Elle a appuyé sur un bouton du téléphone pour arrêter l’enregistrement et a ensuite remis le téléphone à la police militaire.

 

b)         La salle de bain en cause est conçue pour accueillir une personne à la fois. Cette salle de bain, qui est adaptée pour les personnes handicapées, est fréquemment utilisée par les femmes pour mettre ou enlever leur uniforme. La salle de bain est située à proximité d’un bureau qui, à l’époque, était occupé par l’adjudant‑maître Reyes.

 

c)         La police militaire a fait enquête. Après avoir demandé et obtenu un mandat de perquisition, les enquêteurs de la police militaire ont fouillé la mémoire interne de l’iPhone. Ensuite, ils ont obtenu une ordonnance de communication enjoignant à Apple et Rogers de fournir certains renseignements, ce qui a permis à la police militaire de confirmer que le téléphone en question appartenait à l’adjudant‑maître Reyes.

 

d)         Le 26 octobre 2016, la police militaire a exécuté des mandats de perquisition à la résidence de l’adjudant‑maître Reyes et dans ses bureaux au manège militaire Denison ainsi qu’au manège militaire de Moss Park du 7th Toronto Regiment. La police militaire a en même temps arrêté et interrogé l’adjudant‑maître Reyes.

 

e)         Les agents de la police militaire ont saisi 32 appareils de stockage numérique au cours de ces perquisitions et ont trouvé des preuves incriminantes sur trois de ces appareils, c’est-à-dire un iPhone, un disque dur externe et un ordinateur MacBook Pro. L’iPhone contenait une vidéo enregistrée en accéléré datant du 9 juin 2016. Cette vidéo captée dans la salle de bain pour femmes handicapées au manège militaire Denison montre E.B. à la toilette. La vidéo se termine lorsque le doigt d’E.B. touche le bouton de la caméra pour mettre fin à l’enregistrement. Une autre employée civile a également été filmée dans la salle de bain. Le disque dur externe contenait 18 vidéos. Trois d’entre elles ont été enregistrées au cours d’une période d’une semaine en mai 2012 dans une salle d’entreposage située au manège militaire de Moss Park et ont capté des images de quatre membres du 7th Toronto Regiment en train de changer de vêtements. Les 15 autres vidéos contenaient des images d’un commis de sexe féminin travaillant au Quartier général de la 4e Division du Canada nommée J.B. Le disque dur du MacBook contenait des copies des vidéos trouvées sur le disque dur externe.

 

f)         L’examen des appareils électroniques a permis de produire des preuves établissant que la cible principale des enregistrements était J.B. En effet, 14 vidéos montrent J.B., soit à la toilette, soit en train d’enlever ses vêtements civils pour enfiler son uniforme de combat. Règle générale, dans les dix à vingt minutes qui suivent le début de l’enregistrement des vidéos, on peut voir J.B. entrer dans la salle de bain, vêtue de vêtements civils et transportant avec elle son uniforme de combat. Beaucoup de vidéos enregistrent J.B. en train de se déshabiller, d’aller à la toilette et de découvrir ses seins, ses parties génitales et ses fesses à la caméra. Dans chacune des vidéos, on voit l’adjudant‑maître Reyes installer et enlever l’appareil d’enregistrement. Les métadonnées des fichiers ont permis d’établir que les dates d’enregistrement de ces vidéos couvraient la période du 9 août 2012 au 31 janvier 2013, soit les dates indiquées dans les détails de l’accusation.

 

g)         J.B. avait une routine quotidienne prévisible qui consistait à arriver au travail entre 7 h et 7 h 15 habillée en civil, puis d’aller enfiler son uniforme de combat en utilisant la salle de bain à proximité du bureau de l’adjudant‑maître Reyes. À aucun moment elle ne s’est rendue compte qu’on l’enregistrait.

 

h)         Après s’être changée, J.B. se présentait fréquemment au bureau de l’adjudant‑maître Reyes pour discuter de divers sujets, car elle le considérait comme un ami. Elle s’entraînait souvent avec l’adjudant‑maître Reyes et faisait de la course à pied avec lui. Elle avait une relation amicale avec l’adjudant‑maître Reyes en dehors du travail et s’est occupée de ses chiens à une occasion. Il occupait un emploi de confiance envers J.B.

 

[15]      La Cour a été informée des répercussions de l’infraction sur les victimes au moyen de déclarations de la victime obtenues en vertu du paragraphe 203.6(2) de la LDN, qui ont été lues par le procureur.

 

[16]      D’après la déclaration d’E.B., qui a découvert l’iPhone caché en juin 2016, la Cour note que la victime déclare avoir été terrifiée lorsqu’elle a remarqué le téléphone dans la salle de bain, craignant que quelqu’un la regarde en direct ou que les images soient diffusées sur Internet et puissent être vues par des millions de personnes. Désormais, lorsque la victime utilise des toilettes publiques, elle effectue toujours une fouille pour localiser d’éventuels appareils d’enregistrement dissimulés et analyse l’endroit pour déterminer où il serait possible de cacher une caméra. La victime ne fait plus confiance aux militaires et n’éprouve plus de respect pour eux, car elle ne peut plus se sentir protégée au travail, compte tenu du grade et du poste du contrevenant en l’espèce.

 

[17]      Pour sa part, J.B. est très troublée par la trahison d’une personne qu’elle considérait comme un ami. L’adjudant‑maître Reyes était son sergent‑major du QG, à qui elle demandait des conseils et de qui elle recevait de la formation; en outre, elle prenait ses repas avec lui. Elle aussi se méfie des vestiaires et des salles de bain dans les espaces publics. Il est important de noter qu’elle n’est plus à l’aise d’être seule avec des collègues de sexe masculin, remettant systématiquement en question les motifs de chacun d’entre eux. Cela a eu une incidence sur sa capacité d’être pleinement fonctionnelle dans son milieu de travail, où les hommes sont nombreux. Même si elle sait que tous les hommes n’ont pas de mauvaises intentions, elle n’a plus confiance en son propre jugement lorsque vient le temps d’évaluer le caractère des gens.

 

Facteurs aggravants

 

[18]      Les circonstances de l’infraction en l’espèce sont extrêmement graves, et il doit en être ainsi pour étayer une accusation de conduite déshonorante qui est passible d’une peine d’emprisonnement d’au plus cinq ans. De façon générale, les circonstances de l’infraction pour laquelle l’adjudant‑maître Reyes a plaidé coupable, concernant J.B., révèlent des violations répétées de la vie privée et de la dignité d’une subordonnée, dans un milieu de travail militaire, la ciblant effrontément à des moments de vulnérabilité. Étant donné le poste qu’occupait l’adjudant‑maître Reyes au moment où il a commis les actes pour lesquels il est sanctionné aujourd’hui, les actes qu’il a commis constituent une violation grave de la confiance que lui ont accordée ses supérieurs et ses subordonnés. Il a agi de lui‑même de façon irrespectueuse et de la manière la plus intrusive et la plus offensante qui soit. Ces actes ne peuvent en aucun cas être justifiés et, ce qui est tout à son honneur, l’adjudant‑maître Reyes n’a pas tenté de se justifier lorsqu’il a présenté ses excuses devant le tribunal lors de l’audience de détermination de la peine. Il se peut que de tels actes de voyeurisme ne soient jamais découverts. Cependant, lorsqu’ils le sont, ils peuvent causer des traumatismes importants, comme ce fut le cas ici. L’adjudant‑maître Reyes l’a admis, et dire qu’il ne voulait blesser personne est vide de sens. Je trouve que sa quête de satisfaction sexuelle aux dépens de ses subordonnés n’est rien de moins que répugnante.

 

[19]      Tout d’abord, le fait que les actions de l’adjudant‑maître Reyes aient été planifiées, délibérées et menées sur une longue période de temps constitue un facteur particulièrement aggravant. Il a visé précisément de façon insistante J.B. dans un endroit où elle s’attendait réellement au respect de la vie privée et où l’adjudant‑maître Reyes savait qu’elle irait se changer pour enfiler son uniforme militaire à une heure prévisible pendant sa journée de travail.

 

[20]      Un deuxième facteur aggravant est que l’infraction constitue un bris de la confiance que des supérieurs et des subordonnés, en particulier J.B., avaient en l’adjudant‑maître Reyes en tant que cadre supérieur occupant le poste de sergent‑major du QG. Même s’il ne s’agit pas d’une situation où le contrevenant abuse de la confiance que lui confèrent ses fonctions pour commettre l’infraction, il n’en demeure pas moins que les chefs militaires occupant des postes comme celui de l’adjudant‑maître Reyes doivent donner l’exemple, comme le précise une lettre de la chaîne de commandement.

 

[21]      Enfin, le comportement de l’adjudant‑maître Reyes a eu d’importantes répercussions sur J.B. et une autre victime, E.B., même si, dans ce dernier cas, les répercussions causées ne s’inscrivaient pas dans la période visée par l’accusation. L’adjudant‑maître Reyes a porté atteinte à la vie privée et à la dignité des autres membres de la famille militaire au travail. Cela a eu des conséquences sérieuses sur J.B., car, désormais, elle est méfiante quand elle se trouve en présence des hommes. Dans un milieu de travail militaire, cette séquelle mentale a une incidence sur sa capacité de remplir pleinement ses fonctions en tant que membre d’une équipe devant travailler à la fois avec des hommes et des femmes. Par conséquent, la conduite de l’adjudant‑maître Reyes a mis en danger la santé de ses collègues et, ce faisant, a menacé l’efficacité opérationnelle des FAC. J’espère que J.B., E.B. et toute autre personne touchée pourront surmonter leurs difficultés et tourner la page sur cet épisode troublant de leur vie.

 

Facteurs atténuants

 

[22]      La Cour a aussi tenu compte des arguments des avocats en ce qui a trait aux facteurs atténuants résultant soit des circonstances de l’infraction, soit de la situation du contrevenant dans le cas présent. Voici les facteurs atténuants dont j’accepte la validité :

 

a)         D’abord et avant tout, le plaidoyer de culpabilité de l’adjudant‑maître Reyes, qui a permis d’éviter la tenue d’un procès, et qui, à mes yeux, indique clairement qu’il assume la pleine responsabilité de ses actes, dans le cadre de ce procès public en présence des membres de la communauté militaire.

 

b)         Ensuite, le fait que l’adjudant‑maître Reyes n’a pas d’antécédents criminels ou disciplinaires et qu’il a mené une carrière militaire exemplaire. Je dois conclure que le comportement qui lui est reproché n’est pas représentatif de son comportement habituel.

 

c)         Troisièmement, les excuses qu’a faites l’adjudant‑maître Reyes devant la Cour, que je juge sincères.

 

d)         Enfin, le service exceptionnel de l’adjudant‑maître Reyes au sein des FAC au cours des 27 dernières années est, à mon avis, révélateur d’un potentiel de contribution positive à la société canadienne dans l’avenir, pourvu qu’il parvienne à contrôler les pulsions qui l’ont poussé à commettre ces crimes.

 

[23]      Je dois dire que je suis sensible aux propos de l’avocat de la défense concernant le sort de l’adjudant‑maître Reyes qui s’est retrouvé pour la détermination de sa peine dans une salle d’audience remplie d’un grand nombre de militaires, d’anciens collègues, de journalistes et autres membres du public. Cependant, il s’agit d’une situation tout à fait habituelle pour un contrevenant militaire de grade supérieur qui a occupé des fonctions importantes dans l’unité où se déroule le procès. Cette situation et la publicité qui découle du déroulement de l’audience de détermination de la peine peuvent être embarrassantes, mais ne constituent pas un facteur atténuant dans les circonstances de la présente affaire. L’infraction a été commise par un membre des FAC à l’endroit d’un autre membre des FAC, et ce, ici même dans ce manège militaire. Dans ces circonstances, ce type de procès et d’audience de détermination de la peine sont à prévoir et, par conséquent, ne peuvent constituer un facteur atténuant dans le cadre de la détermination de la peine.

 

Objectifs de la détermination de la peine devant être soulignés en l’espèce

 

[24]      Je conviens avec les avocats qu’au moment de déterminer la peine du contrevenant en l’espèce, les circonstances exigent que la priorité soit accordée aux objectifs de dénonciation et de dissuasion générale. En même temps, la peine infligée ne devrait pas compromettre la réadaptation de l’adjudant‑maître Reyes et son retour dans la société, probablement à titre de civil.

 

Examen de la recommandation conjointe

 

[25]      Les observations de la poursuite contenaient un certain nombre de remarques sur la jurisprudence indiquant quelle serait la peine appropriée à infliger en l’espèce en se fondant sur des peines infligées précédemment. Cependant, la première chose que je dois faire au moment de déterminer la peine appropriée est d’examiner la recommandation conjointe et de déterminer si elle est acceptable. Je ne peux écarter la recommandation conjointe des avocats, à savoir une peine de cinq mois d’emprisonnement et une rétrogradation au grade de sergent, que si j’estime que la peine proposée est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ou si elle est par ailleurs contraire à l’intérêt public.

 

[26]      Par conséquent, la question que je dois me poser en tant que juge chargé de la détermination de la peine n’est pas celle de savoir si la peine conjointement proposée me convient ou si je serais parvenu à quelque chose de mieux. Le seuil requis pour que j’écarte la recommandation conjointe est très élevé, et l’idée que je peux me faire de ce qui peut constituer une peine appropriée ne suffit pas pour écarter la recommandation conjointe qui m’a été présentée.

 

[27]      Selon la Cour suprême du Canada, un seuil aussi élevé s’impose pour que l’on retire tous les avantages des recommandations conjointes. Les avocats de la poursuite et de la défense sont bien placés pour en arriver à une recommandation conjointe qui tienne compte de l’intérêt du public et de celui de l’accusé. Ils connaissent très bien la situation du contrevenant et les circonstances des infractions, ainsi que les forces et les faiblesses de leurs positions respectives. Le procureur qui propose la peine communique avec la chaîne de commandement. Il connaît les besoins des communautés militaires et civiles et il est chargé de représenter les intérêts de la communauté en s’assurant que justice soit faite. L’avocat de la défense doit agir dans l’intérêt supérieur de l’accusé, notamment en s’assurant que son plaidoyer est donné de façon volontaire et éclairée. Les deux avocats sont tenus, sur le plan professionnel et éthique, de ne pas induire la Cour en erreur. Bref, ils sont entièrement capables d’arriver à des règlements équitables et conformes à l’intérêt public.

 

[28]      Au moment de déterminer si une peine conjointement proposée est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ou si elle est par ailleurs contraire à l’intérêt public, je dois me demander si, malgré les questions d’intérêt public qui étayent l’infliction d’une peine, la recommandation conjointe correspond si peu aux attentes de personnes raisonnables instruites des circonstances de l’affaire que ces dernières estimeraient qu’elle fait échec au bon fonctionnement du système de justice militaire. Comme tout juge qui examine une recommandation conjointe, je dois éviter de rendre une décision qui ferait perdre au public renseigné et raisonnable, dont les membres des FAC, sa confiance dans l’institution des tribunaux, y compris les cours martiales.

 

[29]      Je crois qu’une personne raisonnable et renseignée sur les circonstances de l’espèce s’attendrait à ce qu’un contrevenant coupable de conduite déshonorante se voie infliger une peine comportant des peines qui expriment la désapprobation des manquements à la discipline et au leadership, et ce, en plus d’avoir une incidence personnelle sur le contrevenant. Une peine d’emprisonnement associée à une rétrogradation est conforme à ces attentes, même si, comme l’a souligné le procureur, la rétrogradation est largement symbolique puisqu’il est peu probable que le contrevenant continue de servir dans l’armée à un grade inférieur après sa sortie de prison.

 

[30]      Compte tenu de tous ces facteurs, y compris de la jurisprudence évoquée par le procureur, des circonstances de l’infraction et de la situation du contrevenant, des principes de détermination de la peine applicables et des facteurs aggravants et atténuants mentionnés précédemment, je ne puis conclure que la peine conjointement proposée par les avocats est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ou qu’elle est par ailleurs contraire à l’intérêt public. Par conséquent, la Cour doit y souscrire.

 

[31]      Adjudant‑maître Reyes, les circonstances entourant l’accusation à l’égard de laquelle vous avez plaidé coupable révèlent une conduite très troublante et, après avoir entendu vos excuses hier, je crois que vous vous rendez maintenant compte de la gravité de vos gestes. Aujourd’hui, vous commencez à payer votre dette envers la société en ce qui concerne ces événements et vous devez apprendre à vivre avec les conséquences de ce que vous avez fait, y compris sur votre famille, vos amis et ceux que vous avez laissé tomber dans les FAC. Je ne vois pas la nécessité d’ajouter quoi que ce soit à ce qui a été dit au sujet de votre conduite à l’audience de détermination de la peine, car je crois que l’embarras que vous avez exprimé est réel et que vous êtes d’ores et déjà puni pour vos actes. Je tiens à vous encourager à vous attaquer aux causes de votre comportement répréhensible et j’espère que vous ne récidiverez pas, d’autant plus que vous êtes en mesure d’apporter encore une fois une contribution positive à la société canadienne dans l’avenir.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[32]      VOUS CONDAMNE à une peine d’emprisonnement de cinq mois et à une rétrogradation au grade de sergent.


 

Avocats :

 

Le directeur des poursuites militaires, représenté par le major C. Walsh

 

M. L. Ben-Eliezer, 1100-121, rue Richmond Ouest, Toronto (Ontario), avocat de l’adjudant‑maître M.P. Reyes

 

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