Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Endroit : Manège militaire rue Carleton, Frédéricton (NB)

Chefs d’accusation:

Chef d’accusation 1 : Art. 130 LDN, voies de fait causant des lésions corporelles (art. 267b) C. cr.).

Verdict : Chef d’accusation 1 : Coupable.
Sentence : Détention pour une période de 30 jours.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

Citation : R. c. Turgeon, 2003 CM 410

Date : 20031007

Dossier : S200341

 

Cour martiale permanente

 

Manège militaire Fredericton

Fredericton (Nouveau-Brunswick) Canada

 

Entre:

Sa Majesté la Reine

 

- et –

 

Caporal J. Turgeon, contrevenant

 

En présence du Lieutenant-colonel M. Dutil, J.M.


 

SENTENCE

 

(Oralement)

 

[1]                    Avant de prononcer la sentence, Caporal Turgeon, la Cour ayant accepté et enregistré votre plaidoyer de culpabilité à l'égard du premier chef d'accusation, la Cour vous trouve coupable de ce premier chef d'accusation

 

[2]                    Caporal Turgeon, en déterminant la sentence qu'elle considère être appropriée et minimale dans les circonstances, la Cour a considéré les circonstances qui ont entouré la commission de l'infraction telles que révélées par le sommaire des circonstances très complet et très détaillé présenté par la poursuite et dont vous avez accepté la véracité. La Cour a également tenu compte des témoignages entendus lors de l'audition soit celui du soldat Albert et le vôtre. La Cour a également tenu compte des arguments des procureurs, des principes applicables en matière de détermination de la peine et des principes qui sont contenus aux articles 718, 718.1 et 718.2 du Code criminel. La Cour n'a pas tenu compte pour les fins de la sentence de l'énoncé qui figurait au sommaire des circonstances relativement à votre connaissance d'une prétendue relation amoureuse entre la victime et votre jeune soeur.

 

[3]                    Lorsqu'il s'agit de donner une sentence appropriée à un accusé pour les fautes qu'il a commises et à l'égard des infractions dont il est coupable, certains principes sont suivis et ces principes peuvent s'énoncer comme suit : premièrement, la protection du public et le public inclut ici les Forces canadiennes; deuxièmement, la punition et la dénonciation du contrevenant; troisièmement, l'effet de dissuasion, non seulement pour vous mais également pour les autres qui seraient tentés de commettre de telles infractions; quatrièmement, la réhabilitation et la réforme du contrevenant; et, cinquièmement, les principes de proportionnalité, de parité de sentence et de globalité lorsqu'ils sont applicables. La peine doit être toujours proportionnelle à la gravité de l'infraction et au degré de responsabilité du contrevenant.

 

[4]                    Donc quant aux principes applicables en matière de détermination de la peine, le premier principe est la protection du public et la Cour doit déterminer si cette protection sera assurée par une peine qui vise à punir, à réhabiliter ou à dissuader. Combien d'emphase devra être mise sur l'un ou l'autre dépend évidemment des circonstances qui entourent chaque cas et qui eux aussi varient d'un cas à l'autre. Dans certains cas, le souci principal, quand ce n'est pas le seul souci, sera celui d'assurer la dissuasion de l'accusé ou celle des autres. Dans de telles circonstances, peu ou pas d'importance ne sera accordée à la réhabilitation ou la réformation du contrevenant. Dans d'autres cas, évidemment, l'accent sera plutôt mis sur la réhabilitation que sur la dissuasion. Dans la présente cause, la Cour est d'avis que l'accent devait être plutôt mis sur la dissuasion collective et la dissuasion individuelle comme l'ont mentionné les procureurs; et, la Cour ajoute que la sentence doit également mettre l'accent sur la dénonciation pour assurer la protection du public et le maintien de la discipline. Comme je l'ai dit plus tôt, la peine que cette cour va infliger doit tout de même être la peine minimale qui est requise ici pour les fins de la justice et le maintien de la discipline dans les Forces armées canadiennes.

 

[5]                    En considérant quelle sentence serait appropriée, la Cour a pris en considération les facteurs atténuants et les facteurs aggravants suivants. Et je commencerai par les facteurs qui atténuent la peine, selon l'avis de la Cour.

 

a)                    Premièrement, le fait que vous avez plaidé coupable au premier chef d'accusation et ce chef d'accusation fait référence à ce que vous vous êtes livré à des voies de fait sur la personne du soldat Albert et de lui avoir infligé par le fait même des lésions corporelles. La Cour considère votre plaidoyer de culpabilité comme une indication sincère, sérieuse et positive du fait que vous reconnaissez vos erreurs, d'autant plus que vous avez admis votre faute aussitôt après avoir posé vos gestes regrettables;

 

b)                   Le deuxième facteur atténuant consiste en votre âge et vos états de service jusqu'à aujourd'hui. Vous êtes un jeune milicien depuis seulement quelques années et vous semblez vous acquitter très bien des tâches qui vous sont confiées. En ce qui concerne votre âge, il s'agit d'un facteur qui comporte deux volets. D'une part, votre jeune âge est un facteur qui atténue votre sentence parce qu'il faut toujours garder à l'esprit qu'un procès pénal aura inévitablement de lourdes conséquences chez un individu, particulièrement lorsque les actes qui lui sont reprochés ont été commis au début de sa vie adulte. Les deux procureurs ont d'ailleurs souligné que votre âge était un facteur important dans la détermination de la peine. D'autres parts, il est important de souligner le fait que vous aviez 17 ans lorsque vous avez commis les voies de fait qui ont infligé des lésions corporelles au soldat Albert. Vous étiez donc d'âge mineur au moment de la commission de l'infraction. L'article 5 de la Loi sur les jeunes contrevenants qui était en vigueur en août 2002, cette loi ayant été remplacée le 1er avril 2003 par la Loi sur le système de justice pénale pour adolescents, donc la loi énonçait ce qui suit :

 

            Nonobstant toute autre loi fédérale mais sous réserve de la Loi sur la défense nationale et de l'article 16, le tribunal pour adolescents a compétence exclusive pour toute infraction imputée à une personne et qu'elle aurait commise en cours d'adolescence; cette personne bénéficie des dispositions de la présente loi.

 

Cela signifie que n'eut été de votre statut de justiciable du code de discipline militaire au moment de la commission de votre infraction, vous n'auriez vraisemblablement pas été jugé devant un tribunal pour adultes pour les faits qui vous sont reprochés. La Cour a accordé une grande importance à cet élément dans la détermination de sentence et ce tant au niveau du type de peine qu'au niveau de la sévérité de la peine;

 

c)                    Troisièmement, le rôle de l'alcool et ses effets pernicieux dans cette affaire, non seulement sur votre personne, mais également sur la victime. Il est clair que l'alcool coulait à flot et qu'un bon nombre de personnes mineures étaient présentes et sous l'effet de l'alcool lors de ces événements, y compris votre jeune soeur alors âgée de 16 ans, la victime elle-même et vous-même. La Cour partage l'avis exprimé par l'avocat de la défense sur le fait que les autorités militaires ont permis que ces jeunes boivent de l'alcool. J'ajouterais que les autorités des Forces canadiennes ont manqué à leur devoir en n'assurant pas un meilleur contrôle de la consommation de boissons alcooliques dans les circonstances. Lorsque des parents acceptent que leurs enfants d'âge mineur joignent les Forces canadiennes pour y accomplir du service de la Force de réserve, ils le font avec la conviction que leurs enfants seront bien encadrés. Ce ne fut pas le cas lors de cette soirée;

 

d)                   Quatrièmement, la raison de l'attaque. Alcool aidant, vous pensiez que votre soeur était en danger. Peut-être une croyance erronée mais comme je l'ai dit, l'alcool a sûrement aidé à vous troubler l'esprit;

 

e)                    Cinquièmement, vos excuses publiques devant cette cour à l'endroit du soldat Albert;

 

f)                     Sixièmement, l'absence de fiche de conduite ou de dossier criminel;

 

g)                    La Cour n'est pas sans noter finalement votre situation financière. Vous êtes un chômeur évidemment sauf pour vos activités dans la force de réserve en service de classe A.

 

[6]                    Quant aux facteurs aggravants, la Cour considère comme aggravants les facteurs suivants.

 

a)                    Premièrement, la nature objective de l'infraction, soit un emprisonnement maximal de 10 ans. C'est une infraction très, très sérieuse;

 

b)                   Deuxièmement, les circonstances qui entourent la commission de l'infraction. En fait, lorsque vous avez été mis aux faits que votre jeune soeur de 16 ans, également milicienne, était partie dans les boisés du camp avec un jeune homme, vous vous êtes mis dans la tête de les retrouver. Vous avez donc trouvé votre soeur et la victime l'un sur l'autre, nus, en train de faire l'amour. Vous avez donc soulevé la victime en l'empoignant par les épaules et lui avez donné entre cinq et dix coups de poing. Votre victime fut prise par surprise et elle n'a jamais pu réagir. Le soldat Albert a subi des blessures physiques sérieuses lors de cet assaut que la Cour qualifie de brutal. Il en porte encore aujourd'hui des séquelles réelles, quoique l'ensemble de sa situation physique est en grande partie revenue à la normale. Outre ses blessures et ses souffrances, il en a gardé des séquelles psychologiques. Le soldat Albert a toutefois reconnu qu'il n'a à ce jour consulté aucun psychologue ou psychiatre pour traiter lesdites séquelles, et ce même après en avoir parlé avec son médecin. Selon lui, il peut s'arranger avec ça. De l'ensemble de ces circonstances, la Cour retient le degré de force et la violence des gestes que vous avez posés et le fait que le soldat Albert a été pris par surprise et qu'il était sans aucune défense;

 

c)                    Troisièmement, le fait que vous avez attaqué un militaire alors que vous étiez en service. Vous n'étiez peut-être pas en devoir à ce moment, mais ces activités se déroulaient dans le cadre de vos activités militaires et se déroulaient sur un établissement militaire. Comme le mentionnait votre avocat, des actes de violence envers vos compagnons d'armes ne sont pas tolérés. Cela ne veut pas dire qu'ils le seraient si la victime était civile. La violence n'a pas sa raison d'être;

 

d)                   Quatrièmement, la Cour considère comme aggravant les dommages corporels et les traumatismes subis par le soldat Albert jusqu'à ce jour.

 

[7]                    Comme l'a souligné l'ancien juge en chef Lamer de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt R. c. Généreux :

 

[P]our que les Forces armées soient prêtes à intervenir, les autorités militaires doivent être en mesure de faire respecter la discipline interne de manière efficace. Les manquements à la discipline doivent être réprimés promptement et, dans bien des cas, punis plus durement que si les mêmes actes avaient été accomplis par un civil.

 

[8]                    La nature des infractions, le contexte et les circonstances entourant la commission desdites infractions sont les principaux éléments pour lesquels cette cour considère que la protection du public et le maintien de la discipline seront mieux servis par une sentence qui reflète la dissuasion générale et individuelle, de même que la punition et la dénonciation du contrevenant. La Cour est toutefois d'avis que la sentence doit permettre également la réhabilitation d'un très jeune contrevenant.

 

[9]                    Depuis la décision de la Cour suprême dans l'arrêt R. c. Gladue, [1999] 133 C.C.C.(3d) 385, il a été établi qu'une peine d'incarcération devrait être la sanction pénale de dernier recours. La Cour suprême a établi que l'incarcération sous la forme de l'emprisonnement n'est adéquate que lorsqu'aucune autre sanction ou combinaison de sanctions n'est appropriée pour l'infraction et le délinquant. La Cour est d'avis que ces principes sont pertinents dans le contexte de la justice militaire en prenant compte néanmoins les différences importantes entre le régime de détermination de la peine applicable à un tribunal civil siégeant en matière criminelle et pénale par rapport à un tribunal militaire dont les pouvoirs de punition sont prévus à la Loi sur la défense nationale. La Cour est également d'avis qu'une sentence qui comporte un période d'incarcération est nécessaire pour assurer la protection du public et le maintien de la discipline dans les circonstances de cette affaire. Tout comme le système de justice pénale comporte ses particularités comme, par exemple, l'emprisonnement avec sursis qui se distingue des mesures probatoires, mais qui constitue néanmoins une véritable peine d'emprisonnement dont les modalités d'application sont différentes et qui permet au contrevenant de purger sa peine d'emprisonnement dans la collectivité lorsqu'il est possible de combiner des objectifs punitifs et correctifs comme l'a précisé la Cour suprême dans l'arrêt Proulx, le système de justice militaire, quant à lui, dispose d'outils disciplinaires comme la détention qui vise à réhabiliter les détenus militaires et à leur redonner l'habitude d'obéir dans un cadre militaire structuré autour des valeurs et des compétences propres aux membres des Forces canadiennes. La détention peut avoir un effet dénonciateur et dissuasif important, sans toutefois stigmatiser les détenus militaires au même degré que les militaires condamnés à l'emprisonnement, tels qu'il appert des notes ajoutées aux articles 104.04 et 104.09 des Ordonnances et Règlements Royaux applicables aux Forces canadiennes. Il faut comprendre, qu'à sa face même, l'emprisonnement est une peine plus sévère que la détention dans l'échelle des peines prévues à l'article 130 de la Loi sur la défense nationale. Lorsqu'il s'agit de déterminer parmi l'emprisonnement ou la détention, laquelle des deux est appropriée dans les circonstances, il sera opportun de considérer, entre autres facteurs, la nature même des crimes ou infractions reprochées. Par exemple, lorsqu'il s'agit d'une infraction purement disciplinaire et que le principal but visé soit la réhabilitation du militaire en lui redonnant l'habitude d'obéir dans un cadre militaire structuré autour des valeurs et des compétences propres aux membres des Forces canadiennes, alors là une peine de détention sera sans doute appropriée.

 

[10]                Dans le cas où l'acte reproché déborde le cadre disciplinaire et qu'il constitue une activité proprement criminelle, alors là, il faut non seulement regarder l'infraction à la lumière des valeurs et des compétences propres aux membres des Forces canadiennes, mais aussi dans l'optique de l'exercice d'une juridiction pénale concurrente.

 

[11]                La Cour croit qu'une sentence appropriée d'un point de vue uniquement objectif eu égard à la gravité de l'infraction consisterait normalement en une peine d'emprisonnement. La Cour est d'avis que les circonstances de cette cause et particulièrement le fait que n'eut été de votre statut de réserviste, vous auriez été traité selon le Loi sur les jeunes contrevenants, la Cour y voit une situation exceptionnelle qui milite en faveur d'une peine d'incarcération de détention plutôt que l'emprisonnement. Si on garde à l'esprit certains des principes sous-jacents de la politique canadienne à l'égard des jeunes contrevenants qui apparaissait à la Loi sur les jeunes contrevenants à l'époque et, comme exemple, les adolescents ne sauraient, dans tous les cas être assimilés aux adultes quant à leur degré de responsabilité et aux conséquences de leurs actes; toutefois, les jeunes contrevenants doivent assumer la responsabilité de leurs délits; également, la situation des jeunes contrevenants requiert surveillance, discipline et encadrement; toutefois, l'état de dépendance où ils se trouvent, leur degré de développement et de maturité leur créent des besoins spéciaux qui exigent conseils et assistance.

 

[12]                La Cour est d'avis que l'incarcération sous la forme de la détention militaire permettra d'atteindre les objectifs militaires de réhabilitation et procurer l'encadrement nécessaire à une jeune personne comme vous pour qu'elle assume ses responsabilités et devienne une meilleure personne dotée d'un bon jugement dans l'avenir.

 

[13]                Quelle devrait être la durée d'une telle peine de détention pour assurer la protection du public et le maintien de la discipline?

 

[14]                La procureure de la poursuite recommande que la Cour vous impose une sentence de détention ferme de 90 jours, assortie d'une forte amende. L'avocat de la défense soumet à la Cour qu'une sentence d'au plus 30 jours de détention, purgée ici serait suffisante dans les circonstances. La Cour croit que l'imposition d'une amende ne servirait en rien les intérêts de la justice dans cette cause. Cela ne signifie pas que votre victime n'aura pas droit à des dommages en conséquence de vos actions à son endroit. Il s'agit là de ses recours civils et il a informé la cour qu'il avait déjà fait valoir ses recours à cet effet.

 

[15]                La Cour est d'avis que la période de détention n'a pas à être aussi longue que celle proposée par la poursuite, mais elle doit être significative. La Cour ajoute que la sentence devra être toutefois purgée à l'endroit prescrit aux termes de la politique applicable aux membres des Forces canadiennes.

 

[16]                Caporal Turgeon, la Cour vous condamne à une sentence de détention pour une période de 30 jours.

 

[17]                Cette sentence est accompagnée des deux ordonnances suivantes.

 

a)                    La première, soit une ordonnance en vertu de l'article 147.1 de la Loi sur la défense nationale, interdisant au contrevenant d'avoir en sa possession une arme à feu, une arbalète, une arme prohibée, une arme à autorisation restreinte, un dispositif prohibé, des munitions, des munitions prohibées ou des substances explosives pour une période commençant à la date de la présente ordonnance et se terminant le 7 octobre 2004;

 

b)                   Une deuxième ordonnance cette fois-ci qui autorise le prélèvement de substances corporelles pour analyses génétiques aux termes de l'article 196.14 de la Loi sur la défense nationale.

 

[18]                J'ai remis copies de ces ordonnances au sténographe judiciaire. Je ne les ai pas signées encore. Je demanderais aux procureurs, lorsque ces procédures seront terminées, de les regarder et s'il y a quelques modifications à faire, soit à ce moment-là vous me les soumettrez en audience publique et j'apporterai les modifications ou, si tout est correct, à ce moment-là je les signerai et on vous en remettra copies.


 

Avocats :

 

Capitaine de corvette Deschênes, Procureur militaire régional, Atlantique, avocat de la poursuivante

 

Major L. Boutin, la Direction du service d'avocats de la défense, avocat du caporal J. Turgeon

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