Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Endroit : Garnison Valcartier, édifice 534, l’Académie, Courcelette (QC).

Chefs d’accusation:

Chef d’accusation 1 (subsidiaire au chef d’accusation 2) : Art. 130 LDN, avoir utilisé un document contrefait (art. 368 C. cr.).
Chef d’accusation 2 (subsidiaire au chef d’accusation 1) : Art. 117f) LDN, un acte de caractère frauduleux non expressément visé aux articles 73 à 128 de la Loi sur la défense nationale.
Chef d’accusation 3 : Art. 125a) LDN, a fait volontairement une fausse déclaration dans un document officiel signé de sa main.
Chef d’accusation 4 (subsidiaire au chef d’accusation 5) : Art. 130 LDN, avoir utilisé un document contrefait (art. 368 C. cr.).
Chef d’accusation 5 (subsidiaire au chef d’accusation 4) : Art. 117f) LDN, un acte de caractère frauduleux non expressément visé aux articles 73 à 128 de la Loi sur la défense nationale.

Résultats:

Verdicts : Chefs d’accusation 1, 2 : Retirés. Chefs d’accusation 3, 5 : Coupable. Chef d’accusation 4 : Une suspension d’instance.
Sentence : Une réprimande et une amende au montant de 1000$.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

Citation : R. c. Therrien, 2003 CM 430

Date : 20031001

Dossier : S200343

 

Cour martiale permanente

 

Garnison de Valcartier

Courcelette (Québec) Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté La Reine

 

- et –

 

Caporal-chef J.S.Therrien, contrevenant

 

En présence du Lieutenant-colonel M. Dutil, J.M.


 

SENTENCE

 

(Oralement)

 

[1]               Caporal-Chef Therrien, en déterminant la sentence que la cour considère être la sentence minimale dans les circonstances, la cour a considéré les circonstances qui ont entourées la commission des infractions telles que révélées par le sommaire des circonstances et dont vous avez accepté la véracité. La cour a considéré également la preuve qui a été présentée devant la cour, y compris votre propre témoignage, les arguments des procureurs et la jurisprudence citée et les principes applicables en matière de détermination de la peine.

 

[2]               Tant qu'à la preuve présentée par la défense sous la forme de statistiques et qui fait l'objet des pièces 8 à 11, la cour n'y accorde que très peu de poids. La pertinence de cette information dans le contexte et de la manière dont elle fut présentée peut être discutable mais elle n'est pas en soi non-pertinente. Toutefois, cette preuve ne permet pas de dégager de conclusions rationnelles qui puissent éclairer la cour dans la détermination d'une sentence. Cette preuve ne procure aucune information relativement, par exemple, à la complexité des causes, des circonstances particulières des cas ou de la situation objective et subjective des personnes qui ont fait l'objet de mesure disciplinaire pour les infractions visées, et même si c'était le cas, la pertinence et la valeur probante de ces données devraient être établies. Ici, la cour ne peut que considérer ces statistiques comme ayant été produites par leurs auteurs pour démontrer l'existence d'une situation ou pour d'autres raisons qui sont inconnues de ce tribunal. Il est envisageable que ce genre d'informations soit produit dans le cadre du témoignage d'un expert au soutien de son opinion. Là encore, le poids de ces informations devrait être évalué par le tribunal. Dans cette cause, ce n'est pas le cas et la cour ne peut tirer de conclusion soit favorable, soit défavorable à l'accusé sur la foi de ces informations. Je ne doute pas que cette information puisse être utile dans le contexte d'un briefing particulier fait à des officiers d'état-major mais elle ne l'est pas devant un tribunal de la manière dont elle fut présentée.

 

[3]               Quant à la sentence proprement dite, je voudrais vous dire que lorsqu'il s'agit de donner une sentence appropriée à un accusé pour les fautes qu'il a commises et à l'égard des infractions dont il est coupable, certains principes sont suivis et ces principes peuvent s'étayer comme suit : premièrement, la protection du public et le public ici inclut les Forces canadiennes; deuxièmement, la punition et la dénonciation du contrevenant; troisièmement, l'effet de dissuasion non seulement pour vous mais également pour les autres qui seraient tentés de commettre de telles infractions; quatrièmement, la réhabilitation et la réforme du contrevenant; et cinquièmement, les principes de proportionnalité, de parité de sentence et de globalité.

 

[4]               Le principe premier est la protection du public et la cour doit déterminer si cette protection sera assurée par une peine qui vise plutôt à punir, à réhabiliter ou à dissuader. Combien d'emphase va être mise sur l'un ou l'autre de ces principes dépend évidemment des circonstances de chaque cas qui, évidemment, varient d'une fois à l'autre. Dans certains cas, le souci principal sera la dissuasion de l'accusé ou des autres et dans de telles circonstances, peu d'importance et des fois aucune importance ne sera accordée à l'aspect réhabilitation ou la réformation du contrevenant. Dans d'autres cas, l'accent sera plutôt mis sur la réhabilitation que sur la dissuasion.

 

[5]               Dans la présente cause, la cour est d'avis que l'accent doit être plutôt mis sur la dissuasion collective et la dissuasion individuelle pour assurer la protection du public et le maintien de la discipline dans les Forces canadiennes. Cette peine doit toutefois être la peine minimale requise pour servir les fins de la justice et le maintien de la discipline dans les Forces canadiennes.

 

[6]               En considérant quelle sentence serait appropriée, la cour a pris en considération les facteurs atténuants et les facteurs aggravants suivants. Premièrement, je vais traiter des facteurs qui atténuent la peine et ce premier facteur est le fait que vous ayez plaidé coupable au troisième chef d'accusation et au cinquième chef d'accusation. Le procureur de la poursuite a indiqué que votre plaidoyer de culpabilité a permis d'éviter un long procès et dans la même veine, vous avez promptement admis votre implication dans cette affaire dès le début de l'enquête entourant la commission des infractions. Donc la cour considère votre plaidoyer de culpabilité comme une indication sincère et sérieuse que vous reconnaissez vos erreurs. Deuxièmement, la cour considère vos états de service et votre rendement hors pair jusqu'à ce jour. Caporal-Chef Therrien, je dois dire que vos supérieurs pensent beaucoup de biens de vous au point d'avoir recommandé que vous soyez promu immédiatement au grade de sergent. Et n'eut été de ces procédures aujourd'hui, vous porteriez sans aucun doute le grade de sergent au moment où l'on se parle. Le troisième facteur que la cour a considéré est l'absence de perte financière pour Sa Majesté. Quatrièmement, votre âge. Cinquièmement, votre situation personnelle et financière. Et sixièmement, les délais encourus non seulement depuis la commission des infractions mais aussi de la fin de l'enquête dans cette affaire, soit on parle d'avril 2002 ici et jusqu'à la fin d'octobre 2002 et c'est un facteur qui doit être pris en compte comme en étant un pour atténuer la peine.

 

[7]               Quant aux facteurs aggravants, la cour note premièrement la nature objective de l'infraction et la peine maximale prévue par le législateur, soit d'un emprisonnement maximal de deux ans dans le cas du cinquième chef d'accusation et de trois ans dans le cas du troisième chef. Et ça fait de ces accusations-là, des accusations qui sont sérieuses. Le deuxième élément que la cour retient comme étant un facteur aggravant est le fait que vous avez brisé le lien de confiance qui existait entre vous et votre employeur en voulant profiter du système de réclamation et ce pour votre simple appât du gain.

 

[8]               Dans cette ordre d'idées, la cour retient que pour une personne qui jouissait de la confiance de ses supérieurs notamment pour son honnêteté, son intégrité et son comportement exemplaire, vous avez démontré qu'ils avaient eu tort de le faire. À la première opportunité, vous avez embarqué dans une combine frauduleuse pour votre bénéfice personnel. Que vous ayez été tiraillé entre le bien et le mal, la cour peut vous l'accorder, mais vous avez néanmoins décidé de passer aux actes en toute connaissance de cause.

 

[9]               Le troisième facteur que je retiens comme étant aggravant est le fait que vous avez agi avec préméditation et de manière délibérée en utilisant un stratagème pour vous faire rembourser de faux frais d'entreposage de véhicule avec la complicité de personnes civiles moyennant des sommes d'argent. Vous avez mentionné qu'à un certain moment vous vouliez tout arrêter et vous avez voulu tout arrêter. La cour retient également, de l'ensemble des circonstances et de votre témoignage, c'est que vous avez voulu arrêter quand vous vous êtes aperçu que certaines personnes suspectaient l'arnaque de votre part; trop peu trop tard. Votre procureur a parlé d'un moment de faiblesse, je pense que les circonstances de cette affaire et votre témoignage démontrent que ce n'est pas tout à fait le cas.

 

[10]           Le prochain élément qui aggrave évidemment la sentence dans votre cas, est votre fiche de conduite, mais je dois vous expliquer comment cette fiche de conduite-là peut avoir un impact dans cette cause-ci ou à quel degré elle va l'avoir. Parce que bien que la condamnation antérieure pour vol remonte à une douzaine d'années, vous avez déjà été condamné pour avoir volé des sommes d'argent qui appartenaient à votre unité. Donc la cour a pris en compte le fait qu'il s'agit là d'une infraction qui a eu lieu il y a très longtemps mais l'écoulement du temps ne signifie pas qu'elle ne peut pas être pris en compte par la cour quoique l'impact, et je tiens à le souligner, que l'impact que cette cour retient de cette condamnation est grandement atténuée dans le contexte de cette affaire. Donc la cour n'accorde que très peu d'importance à cette condamnation antérieure.

 

[11]           Comme l'a souligné l'ancien Juge en chef Lamer de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Généreux qui a été publiée évidemment en 1992 1 R.C.S. 259 :

 

Pour que les Forces armées soient prêtes à intervenir, les autorités militaires doivent être en mesure de faire respecter la discipline interne de manière efficace. Les manquements à la discipline militaire doivent être réprimés promptement et, dans bien des cas, punis plus durement que si les mêmes actes avaient été accomplis par un civil.

 

[12]           La nature de l'infraction, le contexte et les circonstances qui ont entouré la commission des deux chefs, le troisième et le cinquième, sont les principaux éléments pour lesquels la cour considère que la protection du public et le maintien de la discipline seront mieux servis par une sentence qui reflète la dissuasion générale et individuelle. Le procureur de la poursuite a fait allusion à la cause de R. c. St. Jean, une décision de la Cour d'appel de la cour martiale rapportée au C.A.C.M. 2000 Numéro 2. Et c'est une décision qui a été rendue dans la langue anglaise par le l'honorable Juge Létourneau qui mettait en lumière l'impact des actes à caractère frauduleux à l'intérieur des organisations publiques telles que les Forces canadiennes. Le procureur de la poursuite a choisi de ne pas citer cette cause-là parce qu'il disait ne pas vouloir offenser quiconque pour la langue anglaise mais je crois qu'il est important, dans le contexte de cette cause, de citer les propos du Juge Létourneau qui sont tout à fait pertinents dans ce genre de causes qui nous occupe aujourd'hui et je cite :

 

[22] After a review of the sentence imposed, the principles applicable and the jurisprudence of this Court, I cannot say that the sentencing President erred or acted unreasonably when he asserted the need to emphasize deterrence. In a large and complex public organization such as the Canadian Forces which possesses a very substantial budget, manages an enormous quantity of material and Crown assets and operates a multiplicity of diversified programs, the management must inevitably rely upon the assistance and integrity of its employees. No control system, however efficient it may be, can be a valid substitute for the integrity of the staff in which the management puts its faith and confidence. A breach of that faith by way of fraud is often very difficult to detect and costly to investigate. It undermines public respect for the institution and results in losses of public funds. Military offenders convicted of fraud, and other military personnel who might be tempted to imitate them, should know that they expose themselves to a sanction that will unequivocally denounce their behaviour and their abuse of the faith and confidence vested in them by their employer as well as the public and that will discourage them from embarking upon this kind of conduct.

 

[13]           Caporal-Chef Therrien, c'est très dommage que votre manque de jugement aura sans aucun doute un impact sérieux sur votre avenir dans les Forces canadiennes. Vous aviez eu un départ difficile mais vous vous étiez admirablement pris en main depuis plus d'une décennie. Le procureur de la poursuite recommande que la cour vous impose une peine de l'ordre d'une réprimande et une amende de 1600 $. Votre avocat soumet à la cour qu'une amende de 500 à 750 $ servirait les fins de la justice. Tous devraient savoir aujourd'hui que le genre de comportement auquel on fait allusion ici est inacceptable et ne devrait pas être toléré. Vous avez trahi la confiance des Forces canadiennes et cette confiance qui avait été investie en vous pour favoriser une administration efficace des régimes de bénéfices qui existent pour le bien-être de tous les hommes et de toutes les femmes qui œuvrent au sein des Forces canadiennes. Et c'est particulièrement triste aujourd'hui de voir que malgré tous les efforts que vous avez faits au cours des dernières années, que vous ayez agi avec un manque de jugement aussi flagrant que vous l'avez fait à ce moment-là. Il s'agit peut-être d'un incident isolé, à tout le moins c'en est un au cours des 12 dernières années, mais n'en demeure pas moins qu'il s'agit là d'une infraction sérieuse commise par une personne qui jouit d'une certaine autorité, pour ne pas dire d'une autorité certaine, dans les Forces canadiennes au grade où vous êtes.

 

[14]           Caporal-Chef Therrien, avant de prononcer la sentence, la cour ayant accepté et enregistré votre plaidoyer de culpabilité à l'égard du troisième chef d'accusation et du cinquième chef d'accusation, vous trouve coupable de ces chefs. La cour ordonne également une suspension d'instance à l'égard du quatrième chef d'accusation. Et cette cour vous impose une réprimande à laquelle est assortie une amende de 1000 $. L'amende sera payable par versements consécutifs égaux de 100 $ par mois pour une période de 10 mois à compter d'aujourd'hui. Si vous étiez libéré des Forces canadiennes avant le paiement complet de l'amende infligée par la cour, le solde de cette amende deviendra exigible immédiatement avant la date de votre libération.

 

[15]           La condition assortie au paiement de l'amende ne doit pas être interprétée par quiconque comme étant une indication ou une recommandation de cette cour relativement à votre avenir dans les Forces canadiennes. Ce n'est surtout pas l'objet de cette condition. Cette condition est là seulement pour vous permettre de pouvoir payer cette amende par versements consécutifs égaux.


 

Avocats :

 

Major G. Roy, Procureur militaire régional, Région de l'Est, avocat de la poursuivante

 

Major J.A.M. Côté, la Direction du service d'avocats de la défense, avocat du caporal-chef J.S. Therrien

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