Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 17 décembre 2018

Endroit : Collège militaire royal du Canada, Pavillon Currie, 15 promenade Valour, Kingston (ON)

Chefs d’accusation :

Chef d’accusation 1 (subsidiaire au chef d’accusation 2) : Art. 125 LDN, a fait volontairement une fausse inscription dans un document officiel établit par lui.
Chef d’accusation 2 (subsidiaire au chef d’accusation 1) : Art. 117f) LDN, a commis un acte de caractère frauduleux non expressément visé aux articles 73 à 128 de la Loi sur la défense nationale.
Chef d’accusation 3 : Art. 91 LDN, a fait sciemment une fausse déclaration au sujet de la prolongation d’un congé.

Résultats :

VERDICTS : Chef d’accusation 1 : Une suspension d’instance. Chefs d’accusation 2, 3 : Coupable.
SENTENCE : Une amende au montant de 750$.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. Bélanger, 2018 CM 4022

 

Date : 20181217

Dossier : 201852

 

Cour martiale permanente

 

Collège militaire royal Kingston

Kingston (Ontario) Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Capitaine J.F.S. Bélanger, contrevenant

 

 

En présence du Capitaine de frégate J.B.M. Pelletier, J.M.


 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Oralement)

 

Introduction

 

[1]               Capitaine Bélanger, la Cour a accepté et enregistré votre plaidoyer de culpabilité sur les deuxième et troisième chefs à l’acte d’accusation et je vous déclare donc coupable de ces deux chefs en vertu de l’alinéa 117(f) de la Loi sur la défense nationale (LDN), pour avoir commis un acte de caractère frauduleux non expressément visé aux articles 73 à 128  de la Loi d’une part, et pour avoir sciemment fait une fausse déclaration au sujet de la prolongation d’un congé d’autre part, contrairement à l’article 91 de la LDN. La Cour prononce une suspension d’instance sur le premier chef d’accusation.

 

Une recommandation conjointe est présentée à la Cour

 

[2]               Il est maintenant de mon devoir d’imposer la sentence. La poursuite et la défense ont présenté une recommandation conjointe à la Cour en ce qui concerne la peine à être imposée. Les avocats recommandent que cette Cour impose une sentence composée d’une amende de 750 $.

 

[3]               Le juge militaire à qui on propose une recommandation conjointe sur la peine à imposer est sévèrement limité dans l’exercice de sa discrétion sur sentence. Comme tout autre juge, je ne peux écarter une recommandation conjointe à moins que je ne juge que la peine proposée soit susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ou qu’elle soit, par ailleurs, contraire à l’intérêt public. Il s’agit du test promulgué par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Anthony-Cook, 2016 CSC 43.  

 

[4]               Le seuil qu’une recommandation conjointe doit atteindre pour que je la rejette est indéniablement élevé, considérant les multiples considérations d’intérêt public qui appuient l’imposition de toute peine conjointement recommandée. En effet, dans ces cas, la poursuite accepte de recommander une peine que l’accusé est disposé à accepter, minimisant ainsi le stress et les frais liés aux procès. De plus, pour ceux qui éprouvent des remords sincères, un plaidoyer de culpabilité offre une occasion de commencer à reconnaître leurs torts. Le plus important avantage est la certitude qu’offrent les ententes menant à des recommandations conjointes, autant pour l’accusé que pour la poursuite.

 

[5]               Ceci étant dit, même si la certitude quant au résultat est importante pour les parties, ce n’est pas l’objectif ultime du processus de détermination de la peine. Je dois également garder à l’esprit les objectifs disciplinaires du code de discipline militaire en m’acquittant de mes responsabilités. Tel que reconnu par la Cour suprême du Canada, la raison d’être d’un tribunal militaire est entre autres de permettre aux Forces armées canadiennes (FAC) de s'occuper des questions qui touchent directement le maintien de la discipline, l'efficacité et le moral des troupes. La sentence est le point culminant du processus disciplinaire suite à un procès ou un plaidoyer. C’est la seule occasion pour la cour de traiter des besoins disciplinaires générés par la conduite du contrevenant, et ce, sur un établissement militaire, devant public incluant des membres de la communauté militaire.

 

[6]               La détermination de la peine dans le cadre d’un procès en cour martiale comporte donc un aspect disciplinaire important, ce qui n’est pas le cas pour le même exercice dans une cour civile de juridiction criminelle. Même lorsqu’une recommandation conjointe est soumise à la cour, le juge militaire doit s’assurer, au minimum, que les faits pertinents à la situation du contrevenant et à la perpétration de l’infraction soient non seulement considérés, mais également expliqués adéquatement dans ses motifs relatifs à la sentence, et ce, dans une mesure qui peut ne pas être toujours nécessaires dans d’autres cours. Ces exigences propres à l’imposition de la peine ne s’écartent pas des balises fixées par la Cour suprême du Canada en ce qui concerne les recommandations conjointes, tel qu’il appert du paragraphe 54 de l’arrêt Anthony-Cook.

 

[7]               De nouvelles dispositions législatives relatives à la détermination de la peine par les tribunaux militaires sont entrées en vigueur le 1er septembre 2018. Sans répéter le contenu de tous les articles pertinents, il est utile de mentionner que le principe fondamental applicable à la détermination de la peine précisé à l’article 203.2 de la LDN est à l’effet que le juge militaire doit imposer une peine proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du contrevenant. 

 

Faits considérés

 

[8]               Lors de l’audience, le procureur a lu à voix haute un sommaire des circonstances en plus de déposer les documents prévus à l’article 112.51 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes.

 

[9]               Pour sa part, l’avocat de la défense a lu et déposé un sommaire conjoint des faits pour informer la Cour sur la situation personnelle du capitaine Bélanger au moment et depuis la commission des infractions.

 

[10]           En plus de la preuve, la Cour a également considéré les plaidoiries des avocats au soutien de leur recommandation conjointe sur la peine ainsi que des précédents en semblable matière devant des cours martiales, discutés lors des plaidoiries. Je suis d’avis que dans le contexte d’une soumission conjointe des procureurs, ces représentations, ainsi que la preuve, me permettent d’être suffisamment informé pour prendre en considération et appliquer les objectifs et les principes de la détermination de la peine appropriés à l’infraction et au contrevenant.

 

Les infractions

 

[11]           Les faits relatifs à la perpétration des infractions sont révélés par le sommaire des circonstances lu par le procureur de la poursuite et accepté comme étant véridique par le capitaine Bélanger. Les circonstances des infractions sont les suivantes :

 

a)                  Le 28 juillet 2017, le capitaine Bélanger a déclaré au sergent-major de son unité que son père avait subi une crise cardiaque plus tôt dans la journée. Il a par la suite rencontré son commandant pour discuter de la situation. Il a demandé quatre jours de congé pour raisons de famille. Le commandant a recommandé sept jours de congé en considération du fait que le père du capitaine Bélanger se trouvait à Québec et a approuvé une demande d’autorisation de congé pour la période du 28 juillet au 8 août 2017.

 

b)                  Le 2 août 2017, le commandant a contacté le capitaine Bélanger par téléphone pour s’enquérir de l’état de santé de son père. Lors de la discussion, elle a expliqué qu’il était possible pour elle d’approuver jusqu’à 14 jours de congé.

 

c)                  Le capitaine Bélanger lui a dit que son père allait mieux. Il a subséquemment demandé quatre jours additionnels de congé pour des raisons de famille en prétextant que son père allait subir une chirurgie. Une deuxième demande d’autorisation de congé a été approuvée le 8 août 2017 par son commandant par intérim, pour la période comprise entre le 8 août et le 11 août 2017.

 

d)                 En septembre le capitaine Bélanger est allé à la Base des Forces canadiennes Borden pour une formation. En raison de préoccupations en ce qui a trait à son comportement, il a été reconduit au Centre des services de santé des Forces canadiennes et a subséquemment été admis à l’hôpital. Une enquête disciplinaire d’unité a par la suite été déclenchée, révélant que le père du capitaine Bélanger n’avait pas été opéré et n’avait pas été hospitalisé tel que mentionné précédemment par le capitaine Bélanger en soutien à sa demande pour obtenir les journées de congé pour des raisons de famille.

 

Le contrevenant

 

[12]           La Cour tient compte du fait que le capitaine Bélanger est un officier de logistique de la Force terrestre âgé de 37 ans. Il s’est joint aux Forces canadiennes en 2008, suite à l’obtention d’un baccalauréat en relations industrielles à l’Université Laval. Suite à son instruction de base, il a été affecté à Valcartier de décembre 2008 à l’été 2014. Il a été déployé à Kaboul, Afghanistan, pour huit mois en 2012-2013 et a servi avec la Force opérationnelle interarmées X pendant trois ans à Kingston. Il est célibataire et n’a aucun antécédent judiciaire ni fiche de conduite.

 

[13]           Le procureur de la défense a produit un sommaire conjoint des faits pour informer la Cour des circonstances personnelles du capitaine Bélanger. Depuis avril 2018, celui-ci est muté à l’Unité interarmées de soutien du personnel, détachement Kingston, en raison d’une condition médicale mettant en doute sa capacité à remplir les critères de l’universalité du service. Un examen administratif doit déterminer son futur au sein des FAC. Considérant ses possibilités de retour à la vie civile, le capitaine Bélanger s’est vu offrir l’opportunité d’occuper un emploi civil chez un manufacturier de pièces sur mesure à Kingston. Son travail auprès de cette entreprise a été fort apprécié, surtout en raison de la capacité du capitaine Bélanger à s’adapter à des demandes variées et inattendues. 

 

[14]           Au moment de la commission des infractions, le capitaine Bélanger traversait une période de crise personnelle et a menti pour ne plus avoir à se présenter au travail. Il a été pris en charge par les services de soins de santé des FAC, afin que sa condition physique et psychologique soit évaluée. Avant ces incidents, la carrière du capitaine Bélanger était prometteuse. Dans son rapport d’évaluation du rendement en avril 2017, son fort potentiel lui a permis de bénéficier d’une recommandation de promotion immédiate. 

 

Facteurs aggravants

 

[15]           La Cour considère comme aggravant, dans les circonstances de cette affaire, le fait que les fausses représentations de la part du capitaine Bélanger ont été répétées. Les faits de la présente affaire révèlent une intention frauduleuse à l’égard d’un important programme visant la qualité de vie et le bien-être des militaires en offrant l’opportunité d’obtenir un congé pour accourir au chevet d’un proche gravement malade. De par sa nature, ce programme repose sur la confiance devant exister entre l’autorité approbatrice et le militaire faisant une demande de congé considérant les difficultés potentielles pour vérifier la validité d’une telle demande. En mentant, le capitaine Bélanger porte atteinte à l’intégrité de cet important programme de congé, une composante importante de la politique de congés des FAC qui est au coeur des politiques de gestion du personnel militaire. Le comportement du contrevenant constitue un bris de confiance significatif.

 

Facteurs atténuants

 

[16]           Ceci étant dit, la Cour a également considéré les facteurs atténuants suivants :

 

a)                  le plaidoyer de culpabilité du contrevenant signifié rapidement, que la Cour considère comme étant une indication de ses remords et la preuve qu’il accepte la responsabilité pour ses gestes;

 

b)                  l’absence d’antécédents criminels ou disciplinaires;

 

c)                  le fait que le capitaine Bélanger a un parcours de vie qui n’est pas celui d’un criminel et a démontré dans le passé des capacités et des aptitudes qui révèlent un fort potentiel de réhabilitation et une excellente capacité à contribuer de manière positive aux FAC et à la société canadienne dans le futur.

 

Objectifs devant être privilégiés dans cette affaire

 

[17]           Je suis venu à conclure que, dans les circonstances de la présente affaire, l’imposition de la sentence devrait cibler des objectifs de dénonciation et de dissuasion. De plus, considérant la situation et le parcours du capitaine Bélanger, l’imposition de la sentence ne doit pas compromettre la réhabilitation du contrevenant.

 

Évaluation de la recommandation conjointe

 

[18]           Pour apprécier le caractère acceptable de la recommandation conjointe, la Cour a tenu compte de la gravité objective des infractions qui, tel que prévu aux articles 117(f) et 91 de la LDN, sont passibles au maximum d’une peine d’emprisonnement de moins de deux ans.

 

[19]           Les plaidoiries des avocats comportaient certaines références à des causes similaires antérieures. Celles-ci sont utiles dans mon évaluation de la recommandation conjointe des avocats et la détermination que je dois faire en ce qui concerne son caractère raisonnable. Tel que mentionné précédemment, je ne peux écarter la recommandation conjointe pour une amende de 750 $, à moins que je ne juge que la peine proposée soit susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ou qu’elle soit, par ailleurs, contraire à l’intérêt public.

 

[20]           En tant que juge militaire, la question que je dois déterminer n’est pas si j’aime la peine qui m’est conjointement recommandée ou si je peux arriver à quelque chose de mieux. En effet, le seuil que cette recommandation doit atteindre pour que je la rejette fait en sorte que toute opinion autre que je pourrais avoir sur ce qui constituerait une sentence adéquate n’est pas suffisante pour me permettre de rejeter la recommandation conjointe qui m’a été faite.

 

[21]           La Cour suprême du Canada a fixé un seuil aussi élevé pour écarter des recommandations conjointes de manière à ce que leurs indéniables avantages ne soient pas compromis. Les avocats de la poursuite et de la défense sont bien placés pour en arriver à une recommandation conjointe qui reflète tant les intérêts du public que ceux de l’accusé. En principe, ils connaîtront très bien la situation du contrevenant et les circonstances de l’infraction, ainsi que les forces et les faiblesses de leurs positions respectives. Le procureur militaire est chargé de représenter les intérêts des autorités militaires et de la collectivité civile pour faire en sorte que justice soit rendue. On exige de l’avocat de la défense qu’il agisse dans l’intérêt supérieur de l’accusé, et il doit notamment s’assurer que le plaidoyer de celui-ci soit donné de façon volontaire et éclairée. Les avocats représentant les deux parties sont tenus, sur le plan professionnel et éthique, de ne pas induire la cour en erreur. Bref, ils sont entièrement capables d’arriver à des règlements équitables et conformes à l’intérêt public.

 

[22]           Pour décider si une recommandation conjointe déconsidérerait l’administration de la justice ou serait contraire à l’intérêt public, je dois me demander si elle correspond si peu aux attentes des personnes raisonnables et instruites des circonstances de l’affaire que ces dernières estimeraient qu’elle fait échec au bon fonctionnement du système de justice pénale. En effet, comme tout juge devant examiner une recommandation conjointe, je dois éviter de rendre une décision qui fait perdre au public renseigné et raisonnable, incluant les membres des FAC, sa confiance dans l’institution des tribunaux, incluant la cour martiale.

 

[23]           Je suis d’avis qu’une personne raisonnable et renseignée sur les circonstances de ce dossier s’attendrait à ce qu’un contrevenant admettant sa culpabilité à des accusations relatives à des représentations frauduleuses et une fausse déclaration en lien avec un congé pour raisons personnelles soit sanctionné par une peine qui exprime la désapprobation pour le manquement reflété par les infractions, en plus d’avoir un impact personnel direct sur le contrevenant. L’imposition d’une amende est cohérente avec ces attentes légitimes.

 

[24]           En considérant la nature des infractions, les circonstances dans lesquelles elles ont été commises, les principes d’imposition de la peine applicable, et les facteurs aggravants et atténuants mentionnés précédemment, je ne suis pas en mesure de conclure que la sentence recommandée conjointement par les procureurs est déraisonnable ou de nature à déconsidérer l'administration de la justice. Je vais donc accepter de l’entériner.

 

[25]           En vertu du paragraphe 145(2) de la LDN, les modalités de paiement d’une amende sont laissées à l’appréciation du tribunal militaire qui l’inflige. À l’audition sur la peine, le procureur de la poursuite s’est opposé à la demande de la défense pour que l’amende soit payée en versements mensuels. Considérant la solde mensuelle d’un militaire du grade du contrevenant, le fait qu’il n’a pas de personnes à charge et qu’aucune preuve ne révèle une situation financière difficile, je suis d’avis que la position de la poursuite n’est pas déraisonnable. Je vais par contre prévoir un délai pour le paiement de l’amende simplement en raison de la période des fêtes qui commence et limite selon toute vraisemblance les opportunités de défrayer l’amende.

 

[26]           Capitaine Bélanger, les circonstances des infractions auxquelles vous avez reconnu votre culpabilité révèlent une faute significative. Considérant votre plaidoyer et le temps passé depuis les infractions, je présume que vous avez eu amplement l’occasion de réfléchir sur votre comportement inacceptable de 2017. J’espère que vous êtes déterminé à vous comporter comme une personne digne de confiance dans le futur en respectant les attentes d’honnêteté et d’intégrité mises en vous.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[27]           VOUS CONDAMNE à une amende de 750 S, payable en un seul versement au plus tard le 15 janvier 2019. Si vous deviez être libéré des FAC pour quelque raison avant d’avoir payé cette amende, le solde sera dû au jour de votre libération.


 

Avocats :

 

Le directeur des poursuites militaires, tel que représenté par le lieutenant de vaisseau J. Besner

 

Major B.L.J. Tremblay, service d’avocats de la défense, avocat du capitaine J.F.S Bélanger

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