Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 5 février 2019

Endroit : Base de soutien de la 2e Division du Canada Valcartier, édifice CC-119, rue Casgrain, Courcelette (QC)

Chef d’accusation :

Chef d’accusation 1 : Art. 129 LDN, comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

Résultats :

VERDICT : Chef d’accusation 1 : Coupable.
SENTENCE : Une amende au montant de 400$.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Citation: R. c. Camiré, 2019 CM 4003

 

Date:  20190205

Dossier:  201867

 

Cour martiale permanente

 

Base de soutien de la 2e division du Canada Valcartier

Garnison Valcartier (Québec) Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Caporal-chef J.J.N. Camiré, contrevenant

 

 

En présence du :  Capitaine de frégate J.B.M. Pelletier, J.M.


 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Oralement)

 

Introduction

 

[1]               Caporal-chef Camiré, la Cour a accepté et enregistré votre plaidoyer de culpabilité sur le premier et seul chef à l’acte d’accusation et je vous déclare donc coupable de ce chef en vertu de l’article 129 de la Loi sur la défense nationale (LDN), pour comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

 

Une recommandation conjointe est présentée à la Cour

 

[2]               Il est maintenant de mon devoir d’imposer la sentence. La poursuite et la défense ont présenté une recommandation conjointe à la Cour en ce qui concerne la peine à être imposée. Les avocats recommandent que cette Cour impose une amende de 400 $.

 

[3]               Le juge militaire à qui on propose une recommandation conjointe sur la peine à imposer est sévèrement limité dans l’exercice de sa discrétion sur sentence. Comme tout autre juge, je ne peux écarter une recommandation conjointe à moins que je ne juge que la peine proposée soit susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ou qu’elle soit, par ailleurs, contraire à l’intérêt public. Il s’agit du test promulgué par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Anthony-Cook, 2016 CSC 43.

 

[4]               De multiples considérations d’intérêt public appuient l’imposition de toute peine conjointement recommandée. En effet, dans ces cas, la poursuite accepte de recommander une peine que l’accusé est disposé à accepter, minimisant ainsi le stress et les frais liés aux procès. De plus, pour ceux qui éprouvent des remords sincères, un plaidoyer de culpabilité offre une occasion de commencer à reconnaître leurs torts. Le plus important avantage est la certitude qu’offrent les ententes menant à des recommandations conjointes, autant pour l’accusé que pour la poursuite.

 

[5]               Ceci étant dit, même si la certitude quant au résultat est importante pour les parties, ce n’est pas l’objectif ultime du processus de détermination de la peine. Je dois également garder à l’esprit les objectifs disciplinaires du code de discipline militaire en m’acquittant de mes responsabilités. Tel que reconnu par la Cour suprême du Canada, la raison d’être d’un tribunal militaire est entre autres de permettre aux Forces armées canadiennes (FAC) de s’occuper des questions qui touchent directement le maintien de la discipline, l’efficacité et le moral des troupes. La sentence est le point culminant du processus disciplinaire suite à un procès ou un plaidoyer. C’est la seule occasion pour la cour de traiter des besoins disciplinaires générés par la conduite du contrevenant, et ce, sur un établissement militaire, devant public incluant des membres de la communauté militaire.

 

[6]               La détermination de la peine dans le cadre d’un procès en cour martiale comporte donc un aspect disciplinaire important, ce qui n’est pas le cas pour le même exercice dans une cour civile de juridiction criminelle. Même lorsqu’une recommandation conjointe est soumise à la cour, le juge militaire doit s’assurer, au minimum, que les faits pertinents à la situation du contrevenant et à la perpétration de l’infraction soient non seulement considérés, mais également expliqués adéquatement dans ses motifs relatifs à la sentence, et ce, dans une mesure qui peut ne pas être toujours nécessaires dans d’autres cours.

 

[7]               Le principe fondamental applicable à la détermination de la peine précisé à l’article 203.2 de la LDN est à l’effet que le juge militaire doit imposer une peine proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du contrevenant.

 

Faits considérés

 

[8]               Lors de l’audience, la procureure a lu à voix haute un sommaire des circonstances en plus de déposer les documents prévus à l’article 112.51 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes.

 

[9]               Pour sa part, l’avocat de la défense a lu et déposé un sommaire conjoint des faits pour informer la Cour sur le processus administratif de résolution de conflit qui s’est déroulé immédiatement suite à la commission de l’infraction ainsi que sur les conséquences administratives imposées au caporal-chef Camiré depuis l’infraction.

 

[10]           En plus de la preuve, la Cour a également considéré les plaidoiries des avocats au soutien de leur recommandation conjointe sur la peine ainsi que de deux précédents en semblable matière devant des cours martiales. Je suis d’avis que dans le contexte d’une soumission conjointe des procureurs, ces représentations, ainsi que la preuve, me permettent d’être suffisamment informé pour prendre en considération et appliquer les objectifs et les principes de la détermination de la peine appropriés à l’infraction et au contrevenant.

 

Les circonstances du contrevenant et de l’infraction

 

[11]           Le caporal-chef Camiré est un fantassin âgé de 36 ans qui s’est joint aux FAC en 2003. Depuis son entraînement de base et de métier, il est affecté à Valcartier au sein du Royal 22e Régiment (R22eR). Il a été déployé en 2007-2008 avec le Groupement tactique du 3e Bataillon, qui s’est mérité une mention élogieuse du commandant en chef à l’intention des unités pour avoir fait preuve d’une ténacité et d’un courage extraordinaire lors d’affrontements avec les insurgés en Afghanistan. Sa fiche de conduite fait état de deux infractions commises en 2004 et 2007 pour voies de fait et absence sans permission. Avec sa conjointe, il est parent de deux enfants, et un troisième devrait naître bientôt.

 

[12]           Les faits relatifs à la perpétration de l’infraction sont révélés par le sommaire des circonstances lu par la procureure de la poursuite et accepté comme étant véridiques par le caporal-chef Camiré. Ce sommaire révèle que le 11 juillet 2018, alors que le caporal-chef Camiré était affecté comme instructeur sur un cours de Qualification militaire de base des officiers, il fut témoin de la difficulté éprouvée par le sous-lieutenant Ba, un candidat, à faire un rapport de location dans le cadre d’un exercice de navigation. À ce moment le caporal-chef Camiré aurait dit devant les candidats de sa section quelque chose du genre : « Y-a-t-il quelqu’un qui peut apprendre à cet hostie de noir là à faire un SITREP ? » Le sous-lieutenant Ba n’était pas à proximité du caporal-chef Camiré au moment où les paroles ont été prononcées. Par contre, les propos racistes ont été rapportés au sein du peloton et un autre candidat a porté plainte auprès de la chaîne de commandement le 18 juillet 2018.

 

[13]           Le sommaire conjoint des faits, lu et présenté par la défense, révèle qu’un processus de médiation fut mis en place suite à la plainte. Le 19 juillet 2018, le caporal-chef Camiré a rencontré le plaignant en privé en présence d’un supérieur agissant comme médiateur. Il s’est excusé personnellement des propos tenus le 11 juillet 2018, mentionnant qu’il n’était aucunement raciste, mais qu’il s’est plutôt exprimé de manière malhabile. Il a reconnu qu’il avait du travail à faire sur lui-même à ce sujet. Plus tard le même jour, le caporal-chef Camiré a participé à une présentation devant tous les candidats et les instructeurs du cours et s’est excusé publiquement devant le peloton pour les propos tenus le 11 juillet 2018. Le plaignant s’est dit satisfait du processus de médiation ayant été mis en place afin de résoudre cet incident.

 

[14]           Le processus de médiation s’est donc conclu avec succès. Par la suite, le caporal-chef Camiré a été placé sous avertissement écrit pour une période de six mois s’étalant du 16 août 2018 au 15 février 2019, en raison de l’incident à la source de la présente accusation. De plus, il a été retiré du personnel devant être affecté à un déploiement opérationnel en Lettonie, prévu pour 2018.

 

[15]           Le caporal-chef Camiré est un membre des FAC apprécié de ses pairs, il a le support de son commandant et de l’adjudant-chef du 2e Bataillon du R22eR pour la continuation de sa carrière suite à ce procès.

 

Facteurs aggravants

 

[16]           La Cour considère comme aggravant, dans les circonstances de cette affaire, le fait que le comportement du caporal-chef Camiré a eu pour effet d’exprimer à l’oreille de tous les militaires présents une opinion négative de la performance du sous-lieutenant Ba en l’associant à une caractéristique liée à la couleur de sa peau. Ce comportement inopportun a eu un impact non négligeable sur un autre candidat du cours. Cette façon de décrire un officier subalterne révèle un manque de respect qui ne peut évidemment pas être toléré au sein d’une organisation militaire disciplinée et soucieuse du respect de la dignité de toute personne. Considérant son expérience à l’époque et surtout son statut en tant qu’instructeur auprès de futurs leaders officiers, on se serait attendu à beaucoup mieux de la part du caporal-chef Camiré. Sa fiche de conduite est également considérée comme facteur aggravant, bien que de façon modérée considérant qu’elle ne comporte aucune infraction antérieure en semblable matière.

 

Facteurs atténuants

 

[17]           Ceci étant dit, la Cour considère que cette affaire révèle d’importants facteurs atténuants, surtout en lien avec le fait que le caporal-chef Camiré a fait amende honorable depuis les évènements en participant de manière constructive à un processus de médiation et en s’excusant en privé auprès du plaignant et en public devant les candidats, ses pairs et ses supérieurs. La Cour considère également les facteurs atténuants suivants :

 

a)                  le plaidoyer de culpabilité du contrevenant, que la Cour considère comme étant une indication de ses remords et la preuve qu’il accepte la responsabilité pour ses gestes;

 

b)                  les conséquences que l’infraction a eues sur sa carrière, surtout la perte d’une opportunité de déploiement;

 

c)                  son parcours satisfaisant au sein des FAC, révélant une contribution significative de plus de 15 ans au sein du R22eR, incluant un déploiement significatif en Afghanistan;

 

d)                  les perspectives favorables de réhabilitation liées à l’attitude et aux performances satisfaisantes dont le caporal-chef Camiré a su faire preuve avant et depuis l’infraction. Le support de sa chaîne de commandement révèle qu’il semble posséder une excellente capacité à contribuer de manière positive aux FAC et à la société canadienne dans le futur.

 

Objectifs devant être privilégiés dans cette affaire

 

[18]           Je suis venu à conclure que, dans les circonstances de la présente affaire, l’imposition de la sentence devrait cibler des objectifs de dénonciation et de dissuasion générale. Je suis d’accord avec l’avocat de la défense à l’effet que le comportement du caporal-chef Camiré suite aux évènements révèle que la Cour ne doit pas être préoccupée outre mesure par le besoin de dissuasion spécifique en l’espèce. La situation et le parcours du caporal-chef Camiré révèlent qu’il est bien engagé, depuis l’infraction, dans la voie de la réhabilitation.

 

Évaluation de la recommandation conjointe

 

[19]           Pour apprécier le caractère acceptable de la recommandation conjointe, la Cour a tenu compte de la gravité objective de l’infraction qui, tel que prévu à l’article 129 de la LDN, est passible au maximum d’une peine de destitution ignominieuse du service de Sa Majesté.

 

[20]           La procureure a référé, au cours de sa plaidoirie, à deux causes similaires antérieures. Celles-ci sont utiles dans mon évaluation de la recommandation conjointe des avocats et la détermination que je dois faire en ce qui concerne son caractère raisonnable. Tel que mentionné précédemment, je ne peux écarter la recommandation conjointe pour une amende de 400 $, à moins que je ne juge que la peine proposée soit susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ou qu’elle soit, par ailleurs, contraire à l’intérêt public.

 

[21]           En tant que juge militaire, la question que je dois déterminer n’est pas si j’aime la peine qui m’est conjointement recommandée ou si je peux arriver à quelque chose de mieux. En effet, le seuil que cette recommandation doit atteindre pour que je la rejette fait en sorte que toute opinion autre que je pourrais avoir sur ce qui constituerait une sentence adéquate n’est pas suffisante pour me permettre de rejeter la recommandation conjointe qui m’a été faite.

 

[22]           La Cour suprême du Canada a fixé un seuil aussi élevé pour écarter des recommandations conjointes de manière à ce que leurs indéniables avantages ne soient pas compromis. Les avocats de la poursuite et de la défense sont bien placés pour arriver à une recommandation conjointe qui reflète tant les intérêts du public que ceux de l’accusé. En principe, ils connaissent très bien la situation du contrevenant et les circonstances de l’infraction, ainsi que les forces et les faiblesses de leurs positions respectives. Le procureur militaire est chargé de représenter les intérêts des autorités militaires et de la collectivité civile pour faire en sorte que justice soit rendue. On exige de l’avocat de la défense qu’il agisse dans l’intérêt supérieur de l’accusé, et il doit notamment s’assurer que le plaidoyer de celui-ci soit donné de façon volontaire et éclairée. Les avocats représentant les deux parties sont tenus, sur le plan professionnel et éthique, de ne pas induire la cour en erreur. Bref, ils sont entièrement capables d’arriver à des règlements équitables et conformes à l’intérêt public.

 

[23]           Pour décider si une recommandation conjointe déconsidérerait l’administration de la justice ou serait contraire à l’intérêt public, je dois me demander si elle correspond si peu aux attentes des personnes raisonnables et instruites des circonstances de l’affaire que ces dernières estimeraient qu’elle fait échec au bon fonctionnement du système de justice pénale.

 

[24]           Je suis d’avis qu’une personne raisonnable et renseignée sur les circonstances de ce dossier s’attendrait à ce qu’un contrevenant admettant sa culpabilité à une accusation de comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline dans les circonstances atténuantes présentes dans ce dossier, surtout suite à un processus de médiation complété avec succès et comportant des excuses privées et publiques, soit sanctionné par une peine clémente. L’imposition d’une amende de 400 $ est cohérente avec ces attentes.

 

[25]           En considérant la nature de l’infraction, les circonstances dans lesquelles elle a été commise, les principes d’imposition de la peine applicable, et les facteurs aggravants et atténuants mentionnés précédemment, je ne suis pas en mesure de conclure que la sentence recommandée conjointement par les procureurs est déraisonnable ou de nature à déconsidérer l'administration de la justice. Je vais donc accepter de l’entériner.

 

[26]           Caporal-chef Camiré, vous avez reconnu que votre comportement du 11 juillet 2018 était inapproprié et votre plaidoyer de ce matin constitue une autre étape importante sur la voie de votre réhabilitation. Je ne crois pas que vous soyez raciste. Vous avez fait une remarque stupide et il devrait être clair pour vous aujourd’hui ainsi que pour tous les militaires présents à cette audience, que tout comportement irrespectueux basé sur la race ou la couleur est contraire à l’efficacité d’une organisation militaire. En effet, le harcèlement nuit au travail d’équipe, à la confiance mutuelle et au respect nécessaires pour l’accomplissement de la mission des FAC. Les mesures prises par les autorités militaires en lien avec l’incident ayant donné lieu à la présente accusation devraient constituer un signal clair que de tels comportements ne peuvent être et ne seront pas tolérés. Je suis confiant que l’expérience vécue en lien avec cet incident et cette cour martiale vous servira de leçon dans le futur.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[27]           VOUS CONDAMNE à une amende de 400 $, payable au plus tard le 5 mars 2019.


 

Avocats :

 

Le directeur des poursuites militaires, tel que représenté par la capitaine E. Baby-Cormier

 

Major B.L.J. Tremblay, service d’avocats de la défense, avocat du caporal-chef J.J.N. Camiré

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