Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 20 mars 2019

Endroit : Base des Forces canadiennes Esquimalt, édifice 30-N, 30 rue Nelles, Victoria (CB)

Chef d’accusation :

Chef d’accusation 1 : Art. 129 LDN, comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

Résultats :

VERDICT : Chef d’accusation 1 : Coupable.
SENTENCE : Une amende au montant de 1000$.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

Référence: R. c. Yergeau, 2019 CM 2007

 

Date : 20190320

Dossier : 201868

 

Cour martiale permanente

 

Base des Forces armées canadiennes Esquimalt

Victoria (Colombie-Britannique) Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Aspirant de marine F.J.B. Yergeau, contrevenant

 

 

En présence du : Capitaine de frégate S.M. Sukstorf, J.M.


 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Oralement)

 

Introduction

 

[1]        Enseigne de vaisseau de 2e classe Yergeau a avoué sa culpabilité au seul chef d’accusation apparaissant à l’acte d’accusation, soit un comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline, contrairement à l’article 129 de la Loi sur la défense nationale (LDN). Cette accusation se lit comme suit :

 

« Premier chef

d’accusation

Article 129 L.D.N.

COMPORTEMENT PRÉJUDICIABLE AU BON ORDRE ET À LA DISCIPLINE

 

Détails : Entre le 15 janvier et le 4 février 2018, à ou près de l’École de leadership et de recrues des Forces canadiennes, Saint-Jean-sur-Richelieu, province de Québec, il a harcelé Élof Eloise Picard. »

 

[2]        La Cour accepte et enregistre votre plaidoyer de culpabilité relativement à ce chef d’accusation. Il est maintenant de mon devoir de vous imposer une sentence.

 

[3]        Les avocats ont soumis une recommandation conjointe voulant que la Cour vous impose une amende au montant de 1,000 $.

 

[4]        Lorsque la Cour est en présence d’une recommandation conjointe concernant la sentence à imposer, la juge doit s’assurer que la peine proposée ne soit pas susceptible de déconsidérer l’administration de la justice, ni supprimer contraire à l’intérêt public.

 

[5]        La Cour peut s’écarter d’une recommandation faite par les avocats seulement « lorsque des personnes renseignées et raisonnables estimeraient que la peine proposée fait échec au bon fonctionnement du système de justice », tel que mentionné dans l’arrêt R. c. Anthony-Cook, 2016 CSC 43 au paragraphe 42.

 

Les faits à être considérés

 

[6]        La preuve déposée devant la Cour inclut un sommaire des circonstances qui se lit comme suit :

 

« SOMMAIRE DES CIRCONSTANCES

 

1.         L’Ens 2 Yergeau s’est enrôlé dans les Forces armées canadiennes le 3 novembre 2017.

 

2.         Au moment des faits ayant mené à la présente accusation, l’Ens 2 Yergeau était affecté à l’École de leadership et de recrues des Forces canadiennes à la Garnison St-Jean pour effectuer son cours de Qualification Militaire de Base pour Officier (QMBO) entre le 15 janvier 2018 et le 20 avril 2018.

 

3.         L’Ens 2 Yergeau et le Slt Picard (à l’époque Élof) faisaient partie du même peloton, le peloton C31. Le Slt Picard s’était enrôlé à titre d’officier d’infanterie. 

 

4.         Dès les premières semaines du QMBO, le Slt Picard a entendu l’Ens 2 Yergeau mentionner qu’il serait difficile pour elle d’être officier d’infanterie puisque les hommes de son peloton ne voudraient pas la côtoyer.

 

5.         Lors de la deuxième semaine du QMBO, pendant un exercice à Farnham, l’Ens 2 Yergeau s’est approché près du Slt Picard pour la féliciter en la touchant avec sa main au niveau de la tête et du dos. Le Slt Picard portait à ce moment ses vêtements de combat, dont son casque de kevlar et son parka hivernal. Le Slt Picard n’a pas apprécié ce geste.

 

6.         Suite à cet évènement, le Slt Picard a avisé à plusieurs reprises l’Ens 2 Yergeau de ne pas entrer dans son espace personnel (sa « bulle personnelle »).

 

7.         Dans les jours qui ont suivis ces avertissements, le Slt Picard nettoya une toilette commune. À un moment durant cette tâche, l’Ens 2 Yergeau s’est placé dans le cadre de porte du cabinet de toilette pour lui parler. Le Slt Picard s’est alors sentie prise au piège étant donné l’étroitesse de la pièce et a eu l’impression que l’Ens 2 Yergeau lui bloquait le passage pendant environ cinq minutes.

 

8.         Lors d’une autre journée, alors que le Slt Picard attendait en file dans l’escalier menant à la cuisine, l’Ens 2 Yergeau s’est positionné sur la même marche d’escalier qu’elle. Les deux corps se touchaient. Le Slt Picard s’est sentie inconfortable lors de ce geste et elle a demandé fermement à l’Ens 2 Yergeau de s’éloigner d’elle ce qu’il a fait.

 

9.         Le samedi 3 février 2018, le Slt Picard attendait son groupe dans le corridor pour descendre à la cafétéria. À ce moment, l’Ens 2 Yergeau s’est placé très près devant elle sans que cela soit nécessaire. Le Slt Picard a senti le corps de l’Ens 2 Yergeau se frotter contre le sien lorsque celui-ci s’est mis à tourner sur lui-même et cela l’a offensé. 

 

10.       Plus tard ce jour-là, vers 2100, un groupe de cinq élèves-officiers, dont l’Ens 2 Yergeau et le Slt Picard, discutaient dans l’aire commune de leur habitation. La nature de leur discussion concernait la vie à la Garnison St-Jean et leur aspiration professionnelle notamment la carrière dans l’infanterie du Slt Picard. Durant cette discussion, les élèves-officiers discutèrent à la blague de « l’intensité » du Slt Picard, puisque celle-ci avait choisi de joindre l’infanterie et participait à des combats d’arts martiaux mixtes. Toujours à la blague, ils discutèrent du fait que ce serait une mauvaise idée de chercher les ennuis avec le Sdt Picard. L’Ens 2 Yergeau a alors mentionné à au moins deux reprises qu’il allait se rendre au domicile du Slt Picard et de son conjoint avec une arme lourde. Bien que certains élèves-officiers soupçonnèrent qu’il s’agissait d’une blague de mauvais gout, les paroles de l’Ens 2 Yergeau ont mis les participants à cette conversation mal à l’aise.

 

11.       Suite aux propos de l’Ens 2 Yergeau, les participants à cette conversation se sont rassemblés sans l’Ens 2 Yergeau et ils ont discuté de leurs inquiétudes concernant l’Ens 2 Yergeau et le fait qu’ils allaient bientôt recevoir une arme à feu et une baïonnette.

 

12.       Le 4 février 2018, l’Ens 2 Yergeau s’est à nouveau positionné sans que cela soit nécessaire très près du Slt Picard  alors qu’elle tenait une porte dans le corridor et que sa section se ressemblait. Celle-ci pouvait entendre la respiration de l’Ens 2 Yergeau. Troublée, elle a décidé de quitter les lieux.

 

13.       Le Slt Picard a manqué des réunions d’équipe, car elle n’était plus à l’aise de côtoyer l’Ens 2 Yergeau. »

 

[7]        La preuve comprend aussi un énoncé conjoint des faits qui se lit comme suit :

 

« ÉNONCÉ CONJOINT DES FAITS

 

1.         Le Sgt C.G.C. Crompton était le superviseur de l’Ens 2 Yergeau du 12 février 2018 au 31 aout 2018. Il le décrit comme étant consciencieux, compétent, agréable, studieux et respectueux des autres et de l’autorité.

 

2.         Le Sgt D.B.C. Latour était le commandant de section de l’Ens 2 Yergeau du 13 juin 2018 au 31 aout 2018. Il le décrit comme étant un bon leadeur, toujours professionnel, ayant le sens du devoir, capable d’accepter la critique et cherchant constamment à s’améliorer. Le Sgt Latour a également constaté que l’Ens 2 Yergeau est très respectueux envers ses collègues de travail et s’assure de désamorcer les situations tendues. Il croit sincèrement que l’Ens 2 Yergeau peut être un très bon officier au sein des Forces armées canadiennes. »

 

[8]        Le procureur de la poursuite a de plus fourni à la Cour une déclaration de la victime, Sous-lieutenant Picard ainsi que  les documents prévus à l’article 112.51 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC).

 

[9]        En plus de la preuve, la Cour a également considéré les plaidoiries des avocats au soutien de leur recommandation conjointe sur la peine ainsi que les précédents en semblable matière devant des cours martiales. Je suis d’avis que dans le contexte d’une recommandation conjointe des avocats, leurs représentations ainsi que la preuve me permettent d’être suffisamment informée pour prendre en considération et appliquer les objectifs et les principes de la détermination de la peine appropriés à l’infraction et au contrevenant.

 

L’appréciation du caractère acceptable d’une recommandation conjointe

 

[10]      Le principe fondamental applicable à la détermination de la peine précisé à l’article 203.2 de la LDN est voulant que le juge militaire doive imposer une peine proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du contrevenant.

 

Les circonstances du contrevenant

 

[11]      Enseigne de vaisseau de 2e classe Yergeau est un officier de guerre navale, âgé de 32 ans, qui s’est enrôlé dans les Forces armées canadiennes (FAC) le 3 novembre 2017.

 

But, objectifs et principes de la détermination de la peine à souligner dans cette affaire

 

[12]      L’objectif fondamental des peines prononcées par une cour martiale est de promouvoir l’efficacité opérationnelle des FAC en contribuant au maintien de la discipline, de l’efficacité et du moral, ainsi qu’au respect de la loi et au maintien d’une société juste, paisible et sécuritaire. Ceci est réalisé en imposant des sanctions qui ont un ou plusieurs des objectifs énoncés dans la LDN au paragraphe 203.1(2). Le procureur de la poursuite a souligné que lors des négociations, lui-même et l’avocat de la défense ont examiné de près les objectifs de la détermination de la peine qui y étaient énoncés.

 

[13]      Le procureur de la poursuite et l’avocat de la défense estiment, selon les faits de la cause, que les objectifs qu’ils considèrent comme les plus importants sont la dissuasion générale et spécifique ainsi que la dénonciation. Ils ont souligné que la volonté du membre d’assumer ses responsabilités et ses efforts de réadaptation doivent également faire l’objet d’une attention particulière.

 

Circonstances aggravantes ou atténuantes pertinentes

 

[14]      En infligeant une peine, la peine infligée devrait être augmentée ou réduite de manière à tenir compte de toutes circonstances aggravantes ou atténuantes liées à l'infraction ou au contrevenant.

 

Les facteurs aggravants

 

[15]      Après avoir entendu les arguments des avocats, la Cour souligne les facteurs aggravants suivants pour le dossier:

 

a)         impact sur la vie de la victime, y compris les conséquences émotionnelles et l’interruption de sa propre formation de base;

 

b)         l'acte a été commis en l'absence totale de provocation;

 

c)         l’acte a été commis dans un environnement de formation, où l’éthique militaire est enseignée; au moment de l'incident, l'accusé et le sous-lieutenant Picard étaient des collègues et le comportement de l’accusé violait la confiance qui devait exister entre eux.

 

Les facteurs atténuants

 

[16]      Après avoir entendu les arguments des avocats, la Cour souligne les facteurs atténuants suivants pour le dossier:

 

a)         plaidoyer de culpabilité et remords. Il a accepté publiquement la responsabilité de son comportement et démontre des remords réels;

 

b)         absence d’antécédent disciplinaire ou criminel;

 

c)         l’âge du contrevenant. C'est un jeune homme et il en a tiré une leçon précieuse. Il a démontré son engagement à réussir dans les FAC ou à l’extérieur;

 

d)         la diffusion publique des accusations a déjà provoqué une tension importante. Il a fait face aux conséquences, tout en étant déterminé à poursuivre sa carrière militaire.

 

Parité

 

[17]      En vertu de l'alinéa 203.3b) de la LDN, la loi exige que la peine infligée soit similaire à celle infligée à des contrevenants pour des infractions semblables commises dans des circonstances similaires.

 

[18]      Sur la base de la jurisprudence et des observations des avocats, la peine recommandée se situe dans une fourchette acceptable de peines infligées dans le passé pour ce type d’infraction.

 

Conclusion

 

[19]      Avant de prononcer la peine, j’aimerais renforcer ce que le procureur de la poursuite a mentionné au sujet de l’importance d’envoyer un message de dissuasion et la dénonciation.

 

[20]      Arrêter une inconduite dans ses débuts n'est pas une tâche facile. La plus petite indiscrétion peut avoir de profonds effets et est inacceptable entre collègues, superviseurs et subordonnés. L'omission de traiter les cas mineurs d'inconduite est précisément ce qui menace et sape l'esprit, les valeurs, les normes et l'éthique militaires attendus de tous les membres des FAC. La recommandation conjointe devant la Cour reconnaît que même l'inconduite de niveau inférieur doit être traitée et résolue au niveau approprié.

 

[21]      Je fais référence à ce que votre avocat a mentionné, quand il a lu les commentaires de vos superviseurs. Ils vous décrivent comme étant consciencieux, compétent, agréable, studieux et respectueux, un bon leader, toujours professionnel, ayant le sens du devoir, capable d’accepter la critique et cherchant constamment à s’améliorer. C’est évident que vous avez beaucoup de potentiel à devenir un très bon officier au sein des FAC.

 

[22]      La Cour reconnaît que votre acceptation publique de responsabilité n’est pas facile, mais elle constitue un excellent exemple de votre caractère personnel. Nous faisons tous des erreurs et certaines sont pires que d'autres. En bref, la façon dont nous réagissons après avoir commis des erreurs révèle notre véritable caractère et, parfois, les erreurs publiques donnent des leçons plus significatives que les erreurs privées.

 

[23]      Après avoir examiné les arguments des avocats et tous les éléments de la preuve soumis à la Cour, je dois me demander si une personne, incluant un membre de la FAC, renseignée et raisonnable estimerait que la peine proposée fait échec au bon fonctionnement du système de la justice militaire.

 

[24]      La recommandation conjointe, dans les circonstances, assure le maintien de la discipline, ne déconsidère pas l’administration de la justice et elle n’est pas contraire à l’intérêt public.  Je vais l’entériner.  

                                                                                                                              

[25]      La Cour vous souhaite beaucoup de succès dans votre carrière.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[26]      VOUS DÉCLARE coupable du seul chef d’accusation pour avoir eu un comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline, contrairement à l’article 129 de la Loi sur la défense nationale.

 

[27]      VOUS CONDAMNE à une amende au montant de 1 000 $ payable au plus tard le 15 avril 2019.


 

Avocats :

 

Le directeur des poursuites militaires, tel que représenté par le major M.-A. Ferron

 

Major Gélinas-Proulx, service d’avocats de la défense, avocat pour l’aspirant de marine Yergeau

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