Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 21 octobre 2019

Endroit : Base de soutien de la 2e Division du Canada Valcartier, bâtisse CC-119, salle 123, rue Casgrain, Valcartier (QC)

Chef d’accusation :

Chef d’accusation 1 : Art. 129 LDN, comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

Résultats :

VERDICT : Chef d’accusation 1 : Coupable.
SENTENCE : Une amende au montant de 1000$.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. Gagnon, 2019 CM 3013

 

Date : 20191021

Dossier : 201861

 

Cour martiale permanente

 

Base de soutien de la 2e Division du Canada Valcartier

Garnison Valcartier (Québec) Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Adjudant J.D.C. Gagnon, contrevenant

 

 

En présence du Lieutenant-colonel L.-V. d'Auteuil, J.M.C.A.


 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Oralement)

 

[1]               L’adjudant Gagnon a avoué sa culpabilité à un chef d’accusation concernant un comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline, en vertu de l’article 129 de la Loi sur la défense nationale. Les détails de l’accusation se lisent comme suit :

 

« En ce que, le ou vers le 28 avril 2017, à ou près de la Base de soutien de la 2e Division du Canada Valcartier, province de Québec, il a transmis par messagerie texte des propos inopportuns et offensants au Cplc Émilie Rhainds. »

 

[2]               À ce stade-ci, adjudant Gagnon, la Cour accepte et enregistre votre plaidoyer de culpabilité relativement à ce chef d’accusation et, par le fait même, vous déclare donc coupable de ce chef.

 

[3]               Les avocats en présence ont présenté une suggestion commune pour que la Cour impose une amende au contrevenant, au montant de 1 000 $, payable en quatre versements mensuels de 250 $ chacun. Il est maintenant de mon devoir de déterminer la peine qui va vous être imposée.

 

[4]               Le système de justice militaire constitue l’ultime recours pour faire respecter la discipline qui est une dimension essentielle de l’activité militaire dans les Forces armées canadiennes. Ce système a pour but de prévenir toutes inconduites ou, d’une façon plus positive, de veiller à promouvoir la bonne conduite. C’est au moyen de la discipline que les Forces armées canadiennes s’assurent que leurs membres rempliront leur mission avec succès en toute confiance et fiabilité.

 

[5]               Le système de justice militaire veille également au maintien de l’ordre public et à s’assurer que les personnes assujetties au code de discipline militaire soient punies de la même façon que toutes autres personnes vivant au Canada.

 

[6]               La preuve déposée devant la Cour inclut un sommaire des circonstances et un sommaire conjoint des faits, qui sont reproduits ici:

 

« SOMMAIRE DES CIRCONSTANCES

 

(Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes 112.51(3))

 

1.         À l’époque pertinente à la présente cause, l’adjudant Gagnon, le contrevenant, était membre de la force régulière des Forces armées canadiennes (FAC) et travaillait au sein du 5e Bataillon des Services.

 

2.         Au printemps 2017, le contrevenant était le gérant postal du 5e Groupe-brigade mécanisé du Canada.  À ce titre, il était notamment responsable d’identifier et de recommander lesquels parmi les commis postaux de la garnison pourraient être choisis pour un déploiement à l’extérieur du Canada.

 

3.         Le sergent Rhainds, caporal-chef à l’époque, était sous alors la supervision institutionnelle du contrevenant.

 

4.         Le 28 avril 2017, le contrevenant, alors qu’il était au travail, a fait parvenir un message texte au sergent Rhainds via l’application « Facebook », dans lequel il lui demanda de lui envoyer des photos d’elle, « sa meilleure et sa pire ».

 

5.         Le sergent Rhainds a refusé sur le champ et malgré ce refus non équivoque, le contrevenant a insisté.  Pour tenter de la convaincre de changer d’idée, il indiqua notamment qu’il « ne va rien publiciser » et qu’il lui demande une faveur. Il mentionna par la suite qu’il avait fait un mauvais choix de mots.

 

6.         L’insistance du contrevenant aura forcé le sergent Rhainds à refuser sa demande à au moins cinq reprises et à lui prier de respecter sa décision.

 

7.         Pendant ce même échange, le contrevenant commenta aussi la photo du sergent Rhainds se trouvant dans l’application de gestion du personnel des FAC en écrivant : « chose certaine, celle dans monitor mass c’est pas la meilleure ».  Il ajouta également : « t'es quand même potable » en référant à cette même photo.

 

8.         Quelques minutes suivant cet échange de messages textes, le contrevenant débuta un nouvel échange avec la sergent Rhainds en écrivant : « eille tu voulais pas aller sur un TAV toi? », référant ici à un déploiement de très courte durée.

 

9.         Le contrevenant insinua même un échange de procédés pour que ce dernier accepte de soumettre le nom du sergent Rhainds pour ce déploiement en écrivant : « ça va te couter cher (…) pour que je soumette ton nom sur un TAV ».

 

10.       Le sergent Rhainds, qui a évité tout contact avec le contrevenant suite à ces échanges textes, a été affectée par les actions de ce dernier.

 

11.       Elle s’est sentie dégradée.  Elle percevait que le contrevenant la considérait davantage comme une femme de qui il pourrait retirer des faveurs, plutôt qu’un caporal-chef des FAC. Elle a eu honte d’être perçue ainsi et a remis en question sa carrière au sein des FAC. »

 

« SOMMAIRE CONJOINTS DES FAITS

 

1.         L’adjudant Gagnon n’a aucun antécédent judiciaire ni fiche de conduite.

 

2.         Suivant la mise en accusation du 3 octobre 2018, l’adjudant Gagnon a déterminé que l’enregistrement d’un plaidoyer de culpabilité était la solution raisonnable dans ce dossier et a mandaté son avocat de la défense de procéder par suggestion commune.

 

3.         Le présent plaidoyer est une économie de ressources pour le système de justice militaire.

 

 

 

            CIRCONSTANCES PERSONNELLES DE L’ACCUSÉ

 

4.         L’adjudant Gagnon a été placé en mise en garde et surveillance pour une période de 6 mois en juin 2018 suivant la plainte déposée par la caporal-chef Rhainds à la police militaire ayant menée à l’accusation du 3 octobre 2018, cette mesure administrative ayant été en vigueur jusqu’en décembre 2018.

 

5.         Suivant l’accusation par voie de procès-verbal de procédure disciplinaire (PVPD) le 17 avril  2018 qui a mené à la mise en accusation du 3 octobre 2018, l’adjudant Gagnon s’est vu relevé de ses fonctions comme gérant postal de la 5ième brigade et de septembre 2018 à avril 2019 il a fait partie du Programme Retour Au Service (PRAS) en raison du stress relié aux accusations.

 

6.         En avril 2019, l’adjudant Gagnon est muté à l’Unité de transition des forces armées canadiennes de la base de Valcartier. Sa seule tâche consiste jusqu’à ce jour à s’entraîner en gymnase hors de la base 1 heure par jour et 5 jours par semaine.

 

7.         Depuis juillet 2018, l’adjudant Gagnon est traité pour des problèmes d’angoisse reliés à l’accusation présentement devant la cour et qui a fait rejaillir des problèmes de santé mentale relié à son diagnostic de syndrome post-traumatique d’avril 2008.

 

8.         En septembre 2019, l’adjudant Gagnon a été hospitalisé pendant 10 jours relativement à ses problèmes de santé mentale.

 

9.         Depuis sa sortie d’hôpital l’adjudant Gagnon a un suivi psychologique hebdomadaire. »

 

[7]               De plus, la victime dans cette affaire, le sergent Rhainds, a lu à la Cour une déclaration de la victime, comme le prévoit notre procédure. Elle a décrit comment certaines paroles, mis dans un contexte particulier, peuvent avoir un impact beaucoup plus grand dans ces circonstances, comment ces paroles-là peuvent être marquantes, blessantes, au point de se questionner tout autant sur le fait de demeurer au sein d’une organisation comme les Forces armées canadiennes, ou simplement, se questionner sur le métier qu’on exerce en tant que femme, dans une organisation comme les Forces armées canadiennes. Elle a remis en question sa carrière; elle a salué les efforts des Forces armées canadiennes, particulièrement dans le cadre de l’Opération HONOUR au cours des dernières années pour faire en sorte que cette situation s’améliore. Elle a clairement mentionné devant la Cour que de telles circonstances qui ont donné lieu à l’accusation pour laquelle j’ai condamné l’adjudant Gagnon, que cette situation est inacceptable. Et qu’elle espère que par son intervention devant la Cour, elle va contribuer à éliminer ce genre de comportement. Je salue son courage pour avoir pris le temps de composer un tel texte qui est réfléchi. Il n’est pas émotionnel, même si la démarche peut-être peut comporter des émotions. Ce n’est jamais facile de venir parler d’une telle chose. Et le fait que vous l’ayez fait démontre, comme vous le dites, que ce genre de processus peut aider non pas juste l’accusé et le tribunal, mais les membres des Forces armées canadiennes qui assistent à une cour martiale. Ça les aide à comprendre l’importance que ça peut avoir. Et je vous remercie beaucoup d’avoir pris le temps de composer ce texte-là et d’être venu le lire devant la Cour.

 

[8]               Lorsqu’un tribunal est en présence d’une suggestion commune relativement à la peine qu’il devrait imposer à un contrevenant, le juge du procès doit appliquer le critère de l’intérêt public. Il ne devrait pas écarter une recommandation conjointe à moins que ce qui est proposé soit susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ou soit contraire à l’intérêt public. La Cour peut s’écarter d’une recommandation faite par les avocats seulement « lorsque les personnes renseignées et raisonnables estimeraient que la peine proposée fait échec au bon fonctionnement du système de justice », tel que mentionné dans la décision de la Cour suprême du Canada R. c. Anthony-Cook, 2016 CSC 43, au paragraphe 42.

 

[9]               Toutefois, les avocats sont tenus de donner au tribunal un compte-rendu complet et suffisant de la situation du délinquant, des circonstances entourant la commission de l’infraction ainsi que de la recommandation conjointe sans attendre que le juge du procès en fasse la demande.

 

[10]           Compte tenu de l’ensemble de la preuve et des explications qui m’ont été fournies, je me déclare satisfait des explications et de l’information que les avocats ont produites.

 

[11]           Le procureur de la poursuite a mis en lumière les principes et objectifs qui soutenaient la recommandation qui a été faite à la Cour et qui visaient, essentiellement, d’une part à assurer l’efficacité opérationnelle des Forces armées canadiennes - si je peux résumer ce long critère en de simples mots - à dénoncer l’infraction qui a été commise ainsi qu’à dissuader de manière spécifique et générale, toute autre personne qui serait susceptible de la commettre. Je crois que ces objectifs, qui ont fait partie des discussions entre les avocats, et qui ont conduit à cette suggestion commune, ont été atteints avec la proposition qui a été faite.

 

[12]           L’adjudant Gagnon s’est enrôlé, une première fois, au mois de mars 1987 au sein des Forces armées canadiennes; a été libéré trois ans plus tard et s’est enrôlé de nouveau en 1994, pour un service continu jusqu’à ce jour. Il a servi dans les grades de soldat et adjudant et au cours de ses 28 ans de service, et il a été impliqué dans de nombreux déploiements comme l’a souligné son avocat. De plus, vous avez compris, par mes commentaires, qu’en raison de ses années d’expérience, il a connu, comme plusieurs militaires, plus d’une vie, plus d’un métier. Donc, nous parlons ici de quelqu’un qui a beaucoup d’expérience et qui connaît bien les Forces armées canadiennes.

 

[13]           C’est quelqu’un aussi qui a beaucoup donné aux Forces armées canadiennes, qui a donné aussi au niveau de sa santé physique et mentale, au point où un diagnostic de syndrome post-traumatique a été reconnu et attribué.

 

[14]           Malgré cela, je comprends qu’il a continué à servir au sein des Forces armées canadiennes et qu’il a aussi été déployé de nouveau. Ceci dit, je comprends que d’aucune façon, ici, l’adjudant Gagnon a soulevé le fait que ce diagnostic constitue une excuse en soi pour le geste qu’il a commis. C’est peut-être hors caractère. Et ce qu’on m’a plutôt expliqué, c’est le fait qu’après avoir commis ce geste et qu’on lui ait fait réaliser la portée de cela par l’enquête et l’accusation qui en a découlé, ça a ramené des symptômes et ça a eu un impact sur lui aussi.

 

[15]           Je comprends aussi qu’il a été placé en mise en garde et surveillance pour une période de six mois. Je n’ai pas entendu le résultat, mais je présume que cette mise en garde et surveillance a été complétée avec succès, qui est un autre dispositif de nature administrative, mais qui fait en sorte qu’on s’assure que, d’une part, la personne visée comprend la problématique et, d’autre part, sous supervision, fait en sorte de corriger son comportement. En plus, il s’est vu relevé de ses fonctions et considérant l’impact que cet incident a eu sur lui, il s’est vu muté à l’Unité de transition des Forces armées canadiennes Québec, à la Garnison Valcartier, où il est maintenant limité dans l’exercice de ses tâches. Ceci illustre, à mon avis, comment de simples paroles, prononcées dans un contexte particulier, et avec une intention particulière, peuvent avoir un impact sur des gens.

 

[16]           Aujourd’hui, vous avez accepté publiquement et formellement, votre responsabilité quant à ce qui est arrivé et c’est un fait qui doit être reconnu.

 

[17]           Je comprends aussi que plusieurs mesures ont été prises, autres que l’enquête et des accusations, ce qui, j’espère, peut rassurer le sergent Rhainds, c’est-à-dire que les Forces armées canadiennes ont agi le plus rapidement possible. Mais ça ne diminue pas l’impact que ça peut avoir sur la victime. D’ailleurs, je salue votre décision de demeurer au sein des Forces armées canadiennes, parce que je comprends à l’époque, vous étiez caporal-chef et maintenant, aujourd’hui, vous êtes sergent. Donc, vous avez cru dans les Forces armées canadiennes, vous avez cru en vous-même aussi, et c’est un excellent message que vous envoyez.

 

[18]           Les différentes problématiques qui ont été soulevées par cet incident vont, d’une certaine manière, se terminer aujourd’hui. Ça ne veut pas dire que tout se termine et tout se règle; je suis conscient de ça. Mais ça permet un peu à tout le monde de tourner la page et de continuer leur carrière chacun de leur côté.

 

[19]           Tout cela pour simplement vous dire d’une part que puisque je suis satisfait des explications qui m’ont été fournies et je pense qu’il y en avait suffisamment pour moi pour regarder si c’était dans l’intérêt public d’accepter la suggestion qui m’a été faite par les avocats. Je ne peux pas faire autrement, compte tenu de la façon dont vous avez approché ce dossier, que d’accepter la recommandation conjointe qui m’est faite parce qu’elle n’est pas contraire à l’intérêt public. Elle tient compte de l’ensemble des circonstances, incluant l’opinion du sergent Rhainds.

 

[20]           En conséquence, dans les circonstances, puisque cette suggestion assure le maintien de la discipline et ne déconsidère pas l’administration de la justice, j’accepte votre suggestion de condamner l’adjudant Gagnon à une amende de 1 000 $, qui sera payable en quatre versements égaux mensuels de 250 $.

 

[21]           Je suis heureux de savoir, adjudant Gagnon, que vous avez quand même le soutien des gens qui sont proches de vous dans cette démarche-là. Je comprends aussi que vous allez prendre soin de vous. Vous avez reconnu votre responsabilité, c’est une chose; il n’en reste pas moins que vous devrez continuer à prendre soin de vous correctement, ce qui est important.

 

[22]           D’autre part, le sergent Rhainds va continuer sa carrière au sein des Forces armées canadiennes et je vous encourage aussi à faire en sorte que le message que vous avez passé aujourd’hui, soit passé d’autre manière, si c’est possible, de façon à ce que les gens comprennent bien, comme vous l’avez dit, que la façon de percevoir les militaires, ce n’est pas par le genre, mais c’est par l’uniforme qu’ils portent et le grade qu’ils ont, et des choses qu’ils ont à faire au sein des Forces armées canadiennes.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[23]           VOUS DÉCLARE coupable du premier et seul chef d’accusation apparaissant à l’acte d’accusation, pour un comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline, contrairement à l’article 129 de la Loi sur la défense nationale.

 

[24]      VOUS CONDAMNE à une amende au montant de 1 000 $, payable en quatre versements mensuels de 250 $.


 

Avocats :

 

Le directeur des poursuites militaires, tel que représenté par les majors H. Bernatchez et P. Germain

 

Capitaine de corvette É. Léveillé, Service d’avocats de la défense, avocat de l’adjudant J.D.C. Gagnon

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