Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 2 novembre 2020

Endroit : Base de soutien de la 2e Division du Canada Valcartier, l’Académie, édifice 534, local 227, Courcelette (QC)

Langue du procès : Français

Chefs d’accusation :

Chef d'accusation 1 : Art. 77f) LDN, a attenté à la personne d'un habitant ou d'un résident d'un pays où il était en service.
Chef d'accusation 2 : Art. 130 LDN, a braqué une arme à feu sur une autre personne (art. 87 C. cr.).
Chefs d'accusation 3, 9 : Art. 93 LDN, conduite déshonorante.
Chef d'accusation 4 : Art. 130 LDN, a proféré des menaces (art. 264.1 C. cr.).
Chef d'accusation 5 : Art. 129 LDN, acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline.
Chef d'accusation 6 : Art. 130 LDN, conduite dangereuse (para. 320.13(1) C. cr.).
Chef d'accusation 7 : Art. 111 LDN, a conduit un véhicule des Forces canadiennes d'une manière dangereuse pour une personne ou des biens, compte tenu des circonstances.
Chef d'accusation 8 : Art. 130 LDN, méfait (art. 430 C. cr.).
Chef d'accusation 10 : Art. 129 LDN, comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

Résultats :

VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 3, 4, 6, 8, 9 : Retirés. Chefs d’accusation 2, 5, 7, 10 : Coupable.
SENTENCE : Emprisonnement pour une période de trois mois et une rétrogradation au grade de caporal.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Citation: R. c. Lévesque, 2020 CM 5014

 

Date: 20201106

Dossier: 201962

 

Cour martiale générale

 

Base de soutien de la 2e Division du Canada Valcartier

Garnison Valcartier (Québec), Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Sergent M.-A. Lévesque, contrevenant

 

 

En présence du : Capitaine de frégate C.J. Deschênes, J.M.


 

SENTENCE

 

(Oralement)

 

Introduction

 

[1]               Le sergent Lévesque a avoué sa culpabilité aux 2e, 5e, 7e et 10e chefs d’accusation, soit, respectivement :

 

a)                  une infraction punissable selon l’article 130 de la Loi sur la défense nationale (LDN), pourvoir braqué une arme à feu sur une autre personne, contrairement à l’article 87 du Code criminel;

 

b)                  d’avoir dit aux membres de la protection de la force que la personne qui l’a dénoncé « était mieux de dormir avec un œil ouvert », contrairement à l’article 129 de la LDN;

 

c)                  d’avoir conduit un véhicule des Forces armées canadiennes (FAC) d’une manière dangereuse pour une personne ou des biens, compte tenu des circonstances, contrairement à l’article 111 de la LDN;

 

d)                  d’avoir tenu des propos racistes ou à caractères sexuels à l’égard de la population locale en présence d’autres membres des FAC, contrairement à l’article 129 de la LDN

 

[2]               La Cour a accepté le plaidoyer de culpabilité du sergent Lévesque et le trouve donc coupable de ces quatre chefs d’accusation. Les six autres accusations ont été retirées par la poursuite. Puisqu’il a signalé son intention de plaider coupable en temps opportun, un comité pour cette cour martiale générale n’a pas été convoqué. La Cour doit maintenant imposer une peine juste et appropriée, proportionnée aux circonstances de l’affaire et à sa situation, en conformité avec les principes de détermination de la peine tels qu’établis dans la LDN.

 

Faits

 

[3]               Au début de l’audition pour la détermination de la peine, sergent Lévesque a admis formellement la véracité des faits entourant la commission des infractions tels que décrits dans le Sommaire conjoint des circonstances, qui se lit comme suit :

 

« SOMMAIRE CONJOINT DES CIRCONSTANCES

 

1.         En tout temps pertinent, le Sgt Lévesque était membre de la Force régulière, affecté au 3e Bataillon Royal 22e Régiment, dans la ville de Courcelette. 

 

2.         Entre le 1er février et le 18 mai 2019, le Sgt Lévesque était en déploiement dans la ville de Dakar au Sénégal dans le cadre de l’OP PRESENCE.

 

3.         En mars 2019, le Sgt Lévesque a braqué sans excuse légitime, à plus d’une reprise, un pistolet Browning 9 mm sur des enfants sénégalais. Il a usé de subterfuges pour attirer ces enfants à proximité de lui pour ensuite les faire fuir en braquant sans motif valable son pistolet vers eux. Il a armé à de nombreuses reprises son pistolet. Les enfants apeurés se sont enfuis en courant. Cette situation a fait rire le Sgt Lévesque. Ce dernier a fait signe aux enfants de s’approcher de lui à nouveau, puis il a braqué son pistolet sur ceux-ci. Ce stratagème s’est répété à plusieurs reprises. Le chargeur était absent du pistolet lors de ces évènements et il n’y avait aucune munition dans ce dernier. Ces derniers ont eu lieu en présence des subalternes du Sgt Lévesque.

 

4.         Entre le 1er février et le 18 mai 2019, le Sgt Lévesque a conduit, à de multiples reprises, un véhicule des Forces armées canadiennes d’une manière dangereuse. Notamment, il a accéléré de 30 à 50 km/h avec son véhicule en direction d’un groupe d’enfants sénégalais lors d’une patrouille à l’intérieur du périmètre de l’aéroport de Dakar; il a zigzagué entre les véhicules présents sur la route à plus de 20 ou 30 km/h au-dessus de la vitesse permise, il a injurié des conducteurs; il a excédé les limites de vitesse et il a fait crisser inutilement ses pneus sur la route. Ces évènements ont eu lieu en présence de ses subalternes.

 

5.         Entre le 1er février et le 18 mai 2019, le Sgt Lévesque a tenu des propos inappropriés racistes ou à caractère sexuel envers la population sénégalaise devant ses subalternes. Il a notamment dit les mots suivants « criss de nègre »; « esti de black »; « tasse-toi du chemin l’esclave »; « criss de noir »; « criss de singe » « les criss de nègres, je vais aller leur calisser une volée dans la cuisine puis je vais les crisser en feu, anyway ça ne changera pas grand-chose ils sont déjà brulés. Criss de gang de pas bons » et « montre-moi tes boules ».

 

6.         Le 18 avril 2019, il a proféré des menaces à des subalternes lorsqu’il a fait l’objet d’une dénonciation. Il a mentionné que la personne qui l’avait dénoncé « était mieux de dormir avec un œil ouvert ». »

 

[4]               Les détails suivants ont été subséquemment fournis par la poursuite, à la demande de la Cour :

 

a)                  sergent Lévesque a déployé entre le 1er février et le 18 mai 2019, redéployant plus tard que la date prévue. Pendant son déploiement, il était le commandant de section de la protection de la force. La section comprenait onze subordonnés et un adjudant;

 

b)                  il a braqué son arme à deux reprises alors qu’il portait l’uniforme, à chaque fois ayant feint d’armer son pistolet. Les évènements ont été rapportés par des subordonnés qui ont été témoins de la commission de cette infraction. Il n’y a pas de détails quant à la distance des enfants, le nombre d’enfants et leur âge approximatif. L’endroit n’était pas achalandé, car les actes se sont déroulés dans la zone restreinte de l’aéroport;

 

c)                  il a conduit un véhicule des FAC de manière dangereuse à multiples reprises lors du déplacement des membres déployés entre l’hôtel et l’aéroport;

 

d)                  les propos racistes et sexuels qu’il a tenus n’étaient pas à portée de la population visée par les propos, mais ils ont été entendus par des subordonnés;

 

e)                  les menaces proférées n’ont pas été individualisées.

 

La question en litige

 

[5]               Dans le cadre de la détermination de la peine du sergent Lévesque, la Cour doit maintenant considérer la preuve soumise afin de décider si elle accepte certains éléments de preuve démontrant l’existence de facteurs soit aggravants, soit atténuants. La Cour doit finalement décider si ces facteurs peuvent être considérés dans le cadre de la détermination de la peine.

 

La preuve

 

[6]               En conformité avec la procédure établie à l’article 112.51 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC), en plus du Sommaire conjoint des circonstances tel que mentionné plus tôt, la poursuite a déposé en preuve la documentation énumérée à l’article 111.17 des ORFC. Elle a aussi lu la déclaration de l’une des victimes, le caporal Dénommée. Ni les enfants concernés par la deuxième et la septième accusation ni les parents de ceux-ci n’ont pu être identifiés pour les fins de cette cause. La poursuite a interrogé deux témoins : l’adjudant-chef White, ainsi que le lieutenant-colonel Côté. Elle a aussi déposé de consentement, l’affidavit du major Windfield, commandant de la Caserne de détention et prison militaire des Forces canadiennes (CDPMFC) daté du 14 octobre 2020, ainsi qu’un protocole de procédure en lien avec la COVID-19 et émis sous l’autorité du major Windfield en date du 8 octobre 2020. La défense a fait témoigner l’ex-conjointe du sergent Lévesque, madame Hamel, ainsi qu’un témoin qualifié pour rendre un témoignage d’expert en psychologie légale, le Dr Vaillancourt. Elle a aussi déposé en pièces un relevé de salaire périodique de deux pages concernant sergent Lévesque et émis par son employeur actuel, pour les périodes du 1er au 20 octobre et du 1er au 23 septembre 2020 ainsi que le rapport du Dr Vaillancourt daté du 31 juillet 2020.

 

Témoignage de l’adjudant-chef White

 

[7]               L’adjudant-chef White a témoigné s’être enrôlée dans les FAC en 1988 en tant qu'ingénieure en construction. Elle a été promue à son grade actuel en 2017 et comble présentement le poste d’adjudant-chef de la 1re Escadre Kingston. Depuis le début de sa carrière, elle a participé à plus d’un déploiement, dont opération PRESENCE, la mission de l'Organisation des Nations Unies au Mali, où elle occupait la fonction d’adjudant-chef de la force opérationnelle canadienne de janvier 2019 à septembre 2019. Le rôle qu’elle remplissait consistait à conseiller le commandant de la force, le colonel Morehen, sur toute question relative au moral, à la discipline et comportement des troupes en théâtre opérationnel.

 

[8]               Elle a expliqué qu’à Dakar, Sénégal, il y a un centre canadien de soutien logistique pour toute opération en cours. Le ravitaillement se fait de Trenton, Canada, avec des aéronefs de type C-17 vers Dakar, puis de Dakar pour envoi à Gao, Mali. Le rôle du sergent Lévesque à Dakar était de faire la patrouille au centre opérationnel.

 

[9]               Le témoin a expliqué qu’elle ne connaissait pas le sergent Lévesque avant le déploiement. Elle l’a rencontré à la suite du transfert de celui-ci à Gao après que les incidents furent rapportés, afin de permettre que l’enquête de la police militaire se déroule sans problèmes.

 

[10]           Elle a expliqué comment les allégations le concernant lui ont été rapportées et les mesures prises, telles que de le relever de ses fonctions comme commandant de section de la protection de la force et lui enlever son arme. D’autres membres ont dû prendre la relève.

 

[11]           Puisque son opinion du sergent Lévesque ne semblait basée que sur ce qu’on lui a rapporté et ce qu’elle a lu dans des documents préparés par d’autres, telle que la révision administrative, la Cour a accordé peu de poids à cette partie de son témoignage.

 

[12]           Néanmoins, elle a rapporté que lorsqu’elle et le commandant sont allés visiter les membres des FAC à Dakar, elle a constaté que le moral était très bas, les membres étaient confus, en colère et certains avaient peur d’être perçus comme des mouchards.

 

Témoignage du lieutenant-colonel Côté

 

[13]           Le lieutenant-colonel Côté a expliqué connaître le procureur dans cette cause, le major Germain, mais dit que son témoignage n’est pas influencé par cette situation. Il a témoigné qu’il était déployé en Ukraine en tant que commandant par intérim lors des évènements concernant le sergent Lévesque. Il connaissait peu ce dernier; à l’automne 2018, ils ont eu une courte interaction.

 

[14]           Le témoin a aussi expliqué le processus de promotion par le directeur de gestions des carrières. Au sein du régiment, il y a le conseil de promotion. Les individus sont suivis à partir du grade de caporal et sont identifiés tôt pour avancement. On regarde les compétences professionnelles, les connaissances techniques et les qualités personnelles telles que l’éthique et le dévouement. Au niveau de la sélection pour déploiement, si un membre fait l’objet de mesures administratives, il risque de ne pas être déployé.

 

[15]           Dans le cas du sergent Lévesque, son poste était complexe, selon les dires du témoin. Il a été sélectionné parce qu’il avait les compétences requises pour remplir le poste en question, à Dakar. Le témoin a aussi expliqué qu’en théâtre, sergent Lévesque était le commandant de section, composée d’une dizaine de personnes. À l’époque, le régiment était la force génératrice notamment pour le Mali, le Niger, ainsi que pour la ville de Dakar; pour cette raison, presque tout le leadership était déployé.

 

[16]           Le lieutenant-colonel Côté a été informé de la conduite du sergent Lévesque en avril 2019 tandis qu’il était en Ukraine, car même déployé, il gardait un œil sur son personnel. Il a dit avoir alors perdu confiance en sergent Lévesque presque immédiatement. Il a expliqué les mesures prises à la suite du comportement de sergent Lévesque; par exemple, en plaçant celui-ci dans un poste où il n’aurait pas de subalterne.

 

[17]           Le témoin a expliqué avoir rencontré subséquemment deux membres de la section et leur a dit être désolé. Ceux-ci l’ont remercié. Il a aussi relaté que les conséquences directes de la commission des infractions ont été minimes à cause de l’intervention du personnel de l’arrière-garde. Personne n’était en détresse émotive de son point de vue, mais la conduite du sergent Lévesque a créé des problèmes administratifs. Le témoin a précisé qu’il n’aurait pas permis que le contrevenant participe au déploiement en Afrique s’il avait eu un doute quant à ses capacités à cet égard. Il confirme que le sergent Lévesque a été libéré en conséquence des allégations le concernant.

 

Témoignage de madame Hamel

 

[18]           Dans son témoignage, madame Hamel a expliqué qu’elle vient tout juste d’être libérée des FAC au grade caporal, où elle était conductrice de matériel de soutien. Elle est l’ex-conjointe de sergent Lévesque et la mère de ses deux enfants. Elle le connaît depuis 2010. Ils se sont laissés en 2016, après la naissance de leur fille.

 

[19]           Elle témoigne que le sergent Lévesque a une relation amicale avec elle et le conjoint actuel de cette dernière. D’ailleurs, elle et le sergent Lévesque se confient l’un à l’autre. Ils se voient presque tous les jours puisqu’ils résident à quelques rues l’un de l’autre, ce qui lui permet d’obtenir du sergent Lévesque, l’aide nécessaire pour s’occuper des enfants au besoin.

 

[20]           Le témoin a dit qu’en 2010, avant d’être en couple, elle avait l’impression que le sergent Lévesque avait toujours besoin d’être entouré. Par contre, quand il est revenu d’Afghanistan, elle a noté un changement dans son comportement. Elle a fait référence à plusieurs incidents à cet égard; par exemple, lorsqu’il était exposé à des bruits ou mouvements soudains tels que des feux d’artifice, il se lançait par terre. Il tournait toujours la situation en blague par la suite, pour ne pas inquiéter madame Hamel, malgré qu’il avait toujours l’air stressé et anxieux à l’époque. Elle raconte un autre évènement où ils avaient été prendre une bière chez des voisins; sergent Lévesque avait oublié qu’il avait loué une voiture de location et, inquiet de trouver une voiture qu’il ne connaissait pas dans le stationnement au retour à leur résidence, aurait dit au témoin d’aller se cacher.

 

[21]           Madame Hamel a aussi observé le sommeil très agité du sergent Lévesque, où il donnait des coups de poing et de pieds. Il préférait dormir par terre. Il se confiait à elle surtout lorsqu’il consommait de l’alcool. Elle a indiqué lui avoir demandé à maintes reprises d’aller consulter. Malgré ses demandes, le contrevenant n’a pas cherché à obtenir des soins en santé mentale avant de déployer en Afrique. D’ailleurs, le témoin ne le croyait pas apte à déployer et comptait partager ses préoccupations avec la chaîne de commandement du sergent Levesque. Puisqu’elle n’a pas été contactée dans le processus de vérification de prédéploiement, ses préoccupations n’ont pas été portées à l’attention des FAC. Elle a expliqué ses frustrations vis-à-vis leur chaîne de commandement respective. D’ailleurs, après sa libération des FAC, le sergent Lévesque a eu de la difficulté à avoir de l’aide. Néanmoins, le témoin a confirmé qu’il aimait son service dans les FAC.

 

[22]           Le témoin a aussi raconté la tentative de suicide du sergent Lévesque en décembre 2019, où elle l’a trouvé avec un couteau dans les mains, couché par terre, en boule. Elle l’a amené à l’hôpital. C’est son père qui l’a pris en charge, ce qui a permis au sergent Lévesque d’avoir son congé de l’hôpital. Le témoin a rapporté être inquiète pour la sécurité de son ex-conjoint, à un point tel qu’elle appelait ses parents avant de descendre dans le sous-sol de la résidence lorsqu’elle trouvait le cellulaire du sergent Lévesque sur le comptoir de la cuisine, car elle avait peur de le trouver pendu. Elle a raconté qu’il évitait de voir sa famille, car il ne voulait pas être confronté à leurs questions.

 

[23]           Elle a expliqué les problèmes financiers du contrevenant. Ce dernier a perdu sa voiture et il doit de plus aller en cour civile dû à des retards de paiement de loyer. À la suite de leur séparation, il a tout laissé au témoin pour repartir à zéro. Il lui a notamment laissé la maison et les meubles.  

 

[24]           Madame Hamel a également témoigné au sujet des qualités paternelles du sergent Lévesque : il est un bon père de famille, il est calme et toujours là pour les enfants. Il a une pension alimentaire à payer de 730 $ par mois. Lorsqu’elle a eu des difficultés à payer certaines dettes, il lui a donné une somme de 5 000 $, somme qu’il a obtenue à la suite de sa libération des FAC. Elle dit que s’il était emprisonné, les enfants auraient de la difficulté à comprendre et qu’elle serait privée de son aide, relatant ses problèmes de narcolepsie qui l’afflige. Par contre en contre-interrogatoire, elle explique que toute sa famille est à Québec et que son conjoint, qui a une résidence à l’extérieur, l’aide aussi. Elle dit que sergent Lévesque travaille maintenant pour une compagnie de déneigement et d’entretien paysager.

 

Témoignage du Dr Vaillancourt

 

[25]           Dans son témoignage, le Dr Vaillancourt a reconnu ne pas être le psychologue traitant du sergent Lévesque; il s’est d’ailleurs référé à des notes au dossier préparé par le psychologue traitant, le Dr Tremblay, lors de son témoignage au procès, et pour confectionner son rapport déposé en preuve. Son rapport est presque uniquement basé sur du ouï-dire, c’est-à-dire sur des déclarations qui lui ont été rapportées par le psychologue traitant, ainsi que sur des documents préparés par d’autres personnes, telles que des notes au dossier. Le contrevenant n’a pas témoigné au procès sur les faits au soutien du diagnostic de stress post-traumatique présent d’avant le déploiement du Sénégal. En d’autres mots, les faits au soutien du rapport n’ont pas été prouvés de façon convaincante sur ce point particulier. Le Dr Vaillancourt a de plus expliqué dans son témoignage que les tests que le sergent Lévesque a passés sont lacunaires. Il écrit dans son rapport au paragraphe 97 : « Il n’existe par ailleurs aucun outil validé qui permet d’obtenir une représentation probante de l’état mental d’un individu à un moment spécifique du passé. » Bien que la poursuite ait admis le fait que le sergent Lévesque souffre maintenant de stress post-traumatique, elle rejette l’existence de cette condition au moment où il a commis les infractions, puisque la preuve à cet effet n’est pas probante. La Cour a donc accordé peu de poids au rapport de l’expert quant à un diagnostic de stress post-traumatique présent d’avant le déploiement du sergent Lévesque au Sénégal. En conséquence, la Cour ne peut conclure que le contrevenant souffrait de stress post-traumatique lors de la commission des infractions en Afrique. Par contre, la Cour accepte, à la lumière du témoignage de Madame Hamel, qu’il exhibait une certaine détresse psychologique depuis son retour d’Afghanistan et lorsqu’il a déployé au Sénégal.

 

Positions des parties

 

Poursuite

 

[26]           La poursuite suggère que les objectifs de dénonciation, de dissuasion, et de maintenir la confiance du public dans les FAC sont les objectifs qui devraient avoir préséance lors de la détermination de la peine du sergent Lévesque. Elle explique que l’objectif de dénonciation est le plus important à atteindre à la lumière des circonstances graves qui entourent la commission des infractions, particulièrement en ce que la conduite visait des enfants. De plus, des membres des FAC ont été affectés par la conduite reprochée. La poursuite rappelle que bien qu’une seule sentence doit être imposée, il s’agit de plusieurs comportements très variés d’actes criminels et de manquements à la discipline, ce qui doit être pris en compte lors de la détermination de la peine.

 

[27]           En traitant du 2e chef d’accusation, la poursuite rappelle qu’il s’agit d’une infraction sérieuse. Elle mentionne R. c. Tully-Hébert, 2010 CM 3013 pour établir les bases de son argumentation et pour rappeler certains principes applicables. Dans cette cause, le contrevenant avait reçu comme peine, à la suite d’une recommandation conjointe, un emprisonnement de trente jours et 2 000 $ d’amende. Cette décision réfère à l’arrêt de la Cour suprême du Canada R. c. Généreux, [1992] 1 R.C.S. 259, qui établit que « dans le contexte particulier de la discipline militaire, les manquements à la discipline devaient être réprimés promptement et, dans bien des cas punis plus durement que si les mêmes actes avaient été accomplis par un civil. »

 

[28]           Citant la décision R. c. Hoekstra, 2017 CACM 5, la poursuite demande que le contrevenant soit traité comme un civil, et elle prétend donc que la jurisprudence des cours civiles s’applique. Elle passe en revue plusieurs causes à cet effet : R. v. Price, 2006 CarswellOnt 9222; R. v. Schneider, 2017 ONCJ 444; R. v. Graden, 1992 CarswellAlta 898; où des peines d’incarcération de six mois avaient été imposées dans deux de ces cas.

 

[29]           La poursuite allègue que sergent Lévesque est un expert d’armes légères, qualifié dans le maniement des armes. Elle rappelle qu’il était en théâtre lors de la commission des infractions qui se sont déroulées devant des subordonnés, et qu’il a braqué son arme sur des enfants en utilisant des subterfuges, allant même jusqu’à reproduire le mouvement de charger son arme avec un chargeur vide. La conduite visait à intimider la population locale; il s’agissait d’actes hostiles envers celle-ci.

 

[30]           Quant au 5e chef d’accusation, la poursuite indique que les propos reprochés visaient les subalternes du contrevenant, et ces propos ont été faits en présence de ceux-ci. En fait, les propos du sergent Lévesque visaient des subalternes qui ont fait leur devoir en le dénonçant, en particulier le caporal Dénommée, qui a mentionné dans sa déclaration qu’il était inquiet pour sa sécurité, allant même jusqu’à utiliser un moyen pour se faire réveiller si le contrevenant tentait d’entrer dans sa chambre. La Cour note que dans les deux causes citées par la poursuite, R. v. Parent, 2018 CM 4004 ainsi que R. v. Pett, 2020 CM 4003, il ne s’agissait pas d’infractions portées au terme de l’article 129 de la LDN.

 

[31]           Quant au 7e chef d’accusation, la poursuite réfère la Cour à l’arrêt de la cour martiale R. v. Gunner G.M. Card, 1999 CM 50 où le contrevenant avait été trouvé coupable d’avoir conduit un véhicule des FAC d’une manière dangereuse, ainsi que de voies de fait et de désobéissance à un ordre légitime. Une peine de trente jours de détention avait été imposée. La poursuite rappelle que la conduite dangereuse du sergent Lévesque impliquait qu’il zigzaguait, accélérait entre 20 et 30 km/h au-dessus de la limite permise vers des enfants, et qu’il possédait des qualifications pour la conduite de trois types de véhicules militaires.

 

[32]           Quant au 10e chef d’accusation, la poursuite allègue que la conduite du sergent Lévesque est un cas à part dans son caractère haineux, qui a de plus été observé par ses subordonnés. La poursuite cite et résume les décisions suivantes : R. c. Camiré, 2019 CM 4003; R. c. Dryngiewicz, 2012 CM 1016; R. c. Morissette, 2020 CM 5008; R. c. Duhart, 2015 CM 4023.

 

[33]           La poursuite ajoute que sergent Lévesque avait des opportunités pour accepter ses torts lorsque sa conduite a été rapportée; il a plutôt menacé ses subalternes. Elle explique aussi que presque tous les facteurs aggravants énumérés à l’article 203.3 de la LDN sont présents, notamment l’abus de sa position d’autorité, car le contrevenant se croyait protéger par son grade. Il aurait de plus un biais de haine envers la race des Sénégalais et ses actions auraient eu une influence significative sur les opérations.

 

[34]           La poursuite reconnait comme facteur atténuant que sergent Lévesque a plaidé coupable, qu’il souffre de stress post-traumatique et qu’il n’a aucun antécédent de ce genre. En effet, sa condamnation passée quant à une infraction d’absence sans permission ne devrait pas être considérée. La poursuite explique que la situation familiale et financière du contrevenant, y compris sa libération, ne devrait pas être considérée comme des facteurs atténuants, mais plutôt comme des facteurs neutres.

 

[35]           Résumant le témoignage du lieutenant-colonel Côté, la poursuite affirme que ce témoin a perdu confiance en sergent Lévesque, tandis que l’adjudant-chef White aurait observé la peur, la confusion et un moral affecté des troupes en théâtre en lien avec ses actions.

 

[36]           La poursuite ajoute que le témoignage de madame Hamel contient des contradictions internes quant à l’aide indispensable que lui apporterait le sergent Levesque. La poursuite soumet que la Cour ne devrait pas tenir compte de cette partie de son témoignage car la preuve démontre que Madame Hamel à un réseau de soutien local en cas de besoin.

 

[37]           Au niveau de sanction à recommander, citant à l’appui de son argument R. c. Blackman, 2015 CM 3009, la poursuite suggère qu’une peine de rétrogradation devrait être considérée puisqu’il y a eu perte de confiance de la chaine de commandement à l’égard du contrevenant. Cette peine est nécessaire dans le contexte de dénonciation, même si le membre visé par la peine a été libéré lors de l’imposition de la sanction. Cette peine peut être combinée à une peine d’emprisonnement.

 

[38]           Quant à l’endroit où la peine peut être purgée, la poursuite n’entend pas exiger que celle-ci soit purgée à la CDPMFC, même si cette dernière a pris des mesures nécessaires pour restreindre la propagation de la COVID-19.

 

[39]           La poursuite soumet que les crimes contre la personne amènent habituellement de l’emprisonnement. De toute façon, la poursuite rappelle que sergent Lévesque n’a pas les moyens de payer une amende. En ce qui a trait à une suspension d’incarcération, le contrevenant doit démontrer qu’il satisfait les critères établis et selon la poursuite, une suspension déconsidérerait l’administration de la justice.

 

[40]           En conséquence, la poursuite recommande une peine d’emprisonnement de dix à douze mois, ainsi qu’une ordonnance d’interdiction de deux ans au terme de l’article 147.1 de la LDN, ordonnance qui serait appropriée vu les craintes du caporal Dénommée pour sa sécurité. Elle demande aussi que le contrevenant fournit les certificats afférant aux objets en question.

 

Défense

 

[41]           La défense affirme que sergent Lévesque est un membre à la retraite souffrant de problèmes de santé mentale. Elle soumet que le témoignage de Madame Hamel démontre que la santé mentale du sergent Lévesque a été sévèrement affectée par ses déploiements passés et que le contrevenant avait l’impression que sa carrière allait en souffrir s’il allait chercher de l’aide; c’est pour cette raison qu’il n’a pas demandé à temps les soins requis. La défense parle de la culture de force chez les fantassins, qu’il y a eu beaucoup de progrès pour briser les préjugés liés aux troubles de santé mentale, mais qu’il y a encore une réticence à aller chercher l’aide nécessaire. Tant que cet état de fait ne sera pas renversé, il ne faut pas punir ceux qui ne vont pas chercher de l’aide; il faut dé-stigmatiser les problèmes de santé mentale.

 

[42]           A cet égard, la défense prétend que la preuve d’expert est pertinente et probante et devrait être considérée par la Cour comme preuve démontrant un degré de responsabilité moindre du sergent Lévesque lorsqu’il a commis les infractions au Sénégal.

 

[43]           Selon l’avocat du contrevenant, sergent Lévesque est toujours affecté par les évènements de son passé opérationnel; il a essayé de s’enlever la vie, de s’imposer la punition la plus sévère. Néanmoins, il s’est efforcé plus tard d’obtenir des soins. D’ailleurs, le Dr Vaillancourt a mentionné qu’il y avait du progrès – sergent Lévesque s’est responsabilisé. La défense soumet que la peine imposée devrait l’assister dans sa réinsertion sociale, et non le décourager.

 

[44]           La défense reconnait que les gestes visaient à apeurer des enfants, ce qui est inacceptable. Les propos racistes, sexuels, et la conduite dangereuse d’un véhicule des FAC constituent également des comportements inacceptables. La défense soumet par contre que les menaces proférés, comportement visé au 5e chef d’accusation, étaient sans détails, ne visant personne en particulier. Ce fait devrait être considéré comme un facteur atténuant.

 

[45]           Comme autres facteurs atténuants, la défense soumet qu’il n’y a aucune preuve que les gestes étaient prémédités. Il n’y aucune preuve qu’il y a eu des blessures ou des dommages à la suite de la conduite du contrevenant. Il y a également un plaidoyer de culpabilité; sergent Lévesque a assumé publiquement ses gestes. Le contrevenant n’a aucun antécédent à être pris en compte et présente un risque faible de récidive.

 

[46]           Quant à sa situation personnelle, le contrevenant a joint les FAC à l’âge de dix-huit ans, ayant servi pendant une période de seize ans, donc presque toute sa vie d’adulte. La qualité de son service l’a amené à être promu au grade de sergent. En plus de son déploiement en Afrique, il a été déployé à trois reprises en Afghanistan. Il a fait des sacrifices énormes. A trente-quatre ans, il est encore jeune et a de nombreuses années devant lui. Il a trouvé un nouvel emploi et il est un membre productif de sa communauté.

 

[47]           Toutefois, la situation financière du contrevenant est précaire. Avec un revenu de 525 $ par semaine, considérant qu’il doit verser 730 $ par mois à son ex-conjointe, il doit survivre avec un très faible revenu.

 

[48]           Il a été libéré le 19 août 2020 et le lieutenant-colonel Côté a confirmé que la raison de la libération était une cause directe de ses actions en théâtre. La défense explique que la libération des FAC du sergent Levesque avant son procès équivaut à une peine de destitution. Elle soutient que cette peine plus sévère que la détention dans l’échelle des peines lui a déjà été imposée. Citant R. v. Coulter, 2020 CM 5010, la perte de sa carrière militaire a grandement affecté le contrevenant, tant au niveau émotif que financier. Sa libération des FAC ainsi que les procédures judiciaires actuelles, ont déjà eu effet dissuasif sur lui et sur les membres de son ancienne unité.

 

[49]           De plus, la défense soumet que le lieutenant-colonel Côté avait l’obligation de contacter la famille des membres dans le cadre de la procédure de vérification prédéploiement. Ce témoin n’a pas été en mesure de confirmer que cette obligation a été remplie dans le cas du contrevenant. La mère des enfants du sergent Lévesque, madame Hamel, n’a pas été contactée pour vérifier la capacité de celui-ci de déployer. La défense prétend que la forte pression opérationnelle serait responsable de cette entorse à la procédure, ce qui a eu pour effet d’empêcher que le problème de santé mentale du contrevenant soit détecté à temps. Si la procédure avait été suivie, Sergent Lévesque n’aurait pas été placé dans un environnement propice à générer la conduite qu’il a adoptée. La Cour ne doit pas faire abstraction de la responsabilité des FAC à cet égard; cet aspect doit être reflété dans la peine du contrevenant.

 

[50]           La défense allègue que la poursuite n’a pas prouvé hors de tout doute raisonnable la charge excessive de travail liée à la commission des infractions ni l’impact sur moral.

 

[51]           La défense a cité plusieurs arrêts au soutien de ces prétentions, soit l’arrêt R. c. Jackson, 2003 CACM 8, qu’elle considère être un cas essentiel, prétendant que de pointer une arme sur un subordonné a le même effet que de braquer une arme sur des enfants. Elle a aussi référé aux décisions R. c. Pinnegar, 2012 CM 2001, R. v. Gillespie, 2018 CM 3002, R. c. McKinnell, 2012 CM 1002, et Tully-Hébert, ce dernier cas ayant déjà été rapporté par la poursuite. Elle a aussi distingué la jurisprudence civile soumise par la poursuite où des circonstances plus graves existaient dans ces cas.

 

[52]           La défense allègue que la norme pour l’infraction sous l’article 129 de la LDN de type menace, est l’imposition d’une réprimande et une amende de 2 000 $. Le fait qu’il n’y avait aucune description spécifique, pas de détails violents, et qu’il s’agisse de menaces isolées et non répétées, elle prétend qu’il s’agit d’un cas mineur. Les cas jurisprudentiels soumis par la poursuite sont facilement distinguables, puisque les circonstances de ces cas sont beaucoup plus graves. La défense passe aussi en revue la jurisprudence qui concerne le 10e chef d’accusation, soit avoir dit des propos racistes et sexuels, où, encore une fois, des amendes et réprimandes étaient imposées dans ces cas.

 

[53]           Étant donné que la commission des infractions n’a causé aucune blessures ni dommage, que le comportement du sergent Lévesque est lié à ses problèmes de santé mentale puisqu’il a été exposé à des évènements traumatiques, qu’il est allé chercher l’aide dont il a besoin, qu’il a une relation de confiance avec son psychologue et qu’il a une bonne progression, la défense soumet qu’une peine d’incarcération ne serait pas appropriée. De plus, la défense soumet que le Dr Vaillancourt a témoigné à l’effet qu’une peine d’incarcération était une peine contre-productive, car les soins de santé mentale sont très difficiles à obtenir dans une prison civile. L’incarcération minerait les progrès du sergent Lévesque et exacerberait ses symptômes.

 

[54]           La défense plaide finalement qu’une peine de rétrogradation est suffisamment élevée, jumelée à une amende de 3 600 $, ce qui représente un mois et demi de salaire, vu les circonstances personnelles du sergent Lévesque, et les sanctions administratives déjà imposées. Cette peine permettrait l’atteinte de tous les objectifs et tient compte de la situation du contrevenant. Elle soumet également que cette peine indique qu’il y aura de lourdes conséquences pour ceux qui agissent de la sorte. Enfin, elle prétend que la destitution n’est plus disponible dans son cas et qu’une peine d’incarcération serait démesurée dans les circonstances; il s’agit d’une peine de dernier recours tel que confirmé dans R. c. Baptista, 2006 CACM 1.

 

[55]           Subsidiairement, la défense soumet que si cette Cour devait imposer une peine d’emprisonnement, sergent Lévesque doit purger cette peine dans prison civile aux termes de l’alinéa 114.06(2) des ORFC. D’ailleurs dans R. c. Caicedo, 2015 CM 4020, la Cour a rejeté vigoureusement l’idée d’envoyer un membre purger sa peine dans une caserne militaire. Il n’y a aucune preuve dans le cas du sergent Lévesque démontrant que purger sa peine à la CDPMFC serait pour les besoins du service.

 

[56]           En ce qui concerne l’imposition d’une ordonnance d’interdiction de possession d’arme, la défense prétend que sergent Lévesque n’a jamais mis en danger qui que ce soit. De plus, le contrevenant participe à la chasse avec son père depuis qu’il a quatre ans. La chasse lui permet de se ressourcer, de se libérer de ses tracas. Cette activité lui permet également de tisser des liens avec ceux qui y participent. Il n’y a également pas lieu pour la Cour d’émettre une ordonnance pour la prise d’empreinte digitale.

 

[57]           Finalement, sergent Lévesque s’est adressé à la Cour. Il s’est excusé à la population sénégalaise et aux membres des FAC qui étaient en déploiement à l’époque. Il a reconnu qu’il aurait dû aller consulter et il désire maintenant pouvoir continuer ses traitements. Il a dit qu’il allait mieux. La Cour a pris note de ses déclarations.

 

Analyse

 

[58]           La LDN établit les objectifs et principes que la Cour doit appliquer lors de la détermination de la peine du sergent Lévesque. Puisqu’un juge de première instance a une grande discrétion lors de cet exercice, la Loi fournit en fait un cadre dans ce contexte. 

 

[59]           Les objectifs essentiels de la détermination de la peine sont de favoriser l'efficacité opérationnelle des FAC en contribuant au maintien de la discipline, de la bonne organisation et du moral, et de contribuer au respect de la loi et au maintien d'une société juste, paisible et sûre.

 

[60]           L’atteinte de ces objectifs se fait par l’imposition d’une peine qui vise l’un ou plusieurs objectifs énumérés dans la Loi, tel que la dénonciation, la dissuasion et la réinsertion sociale.

 

[61]           Le principe fondamental est celui de la proportionnalité, c'est-à-dire que la peine doit être proportionnelle à la gravité des infractions et au degré de responsabilité du contrevenant. Ce principe doit toujours être la préoccupation de la Cour lorsqu’elle considère tous les autres principes de détermination de la peine.

 

[62]           La Cour doit tenir compte de son obligation, avant d'envisager une peine d’incarcération, d'examiner la possibilité de peines moins contraignantes lorsque les circonstances le justifient. Elle doit également imposer la peine la moins sévère possible qui permette de maintenir la discipline, l'efficacité et le moral dans les FAC. La Loi stipule que la peine doit être adaptée aux circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration de l’infraction ou à la situation du contrevenant.

 

[63]           La LDN énumère les facteurs considérés aggravants : on y trouve l’utilisation abusive du grade ou un autre abus de confiance ou d’autorité, que l’infraction était motivée par des préjugés ou de la haine fondés sur des facteurs tels que, notamment la race, l’origine nationale ou ethnique, le sexe, l’âge, ou encore qui comporte des mauvais traitements infligés par le contrevenant à une personne âgée de moins de dix-huit ans.

 

[64]           La Cour doit aussi considérer le principe de l’harmonisation des peines, c’est-à-dire l’infliction de peines semblables à celles infligées à des contrevenants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables. Elle doit finalement prendre en compte les conséquences indirectes du verdict de culpabilité ou de la sentence.

 

Gravité des infractions

 

[65]           Lors de la détermination de la peine, la Cour a considéré la gravité objective des accusations auxquelles sergent Lévesque a plaidé coupable, particulièrement les 2e et 7e chefs d’accusation qui prévoient une peine maximale de cinq ans d’emprisonnement. Ces infractions visent à criminaliser des actes téméraires dangereux envers les autres, impliquant une insouciance marquée du contrevenant envers la sécurité et la santé physique et mentale d’autrui. Commise par un membre des FAC, l’infraction de braquer une arme démontre un manquement flagrant à la discipline; un abus d’autorité d’un membre des FAC envers qui la société a accepté de confier une arme pour la protection de la force et de la population locale. La gravité objective d’une infraction au terme de l’article 111 de la LDN, la conduite dangereuse, s’illustre de plusieurs manières, notamment la peine maximale de cinq ans, mais aussi le fait qu’il s’agit d’une infraction désignée sous l’article 196.26 de la LDN.

 

[66]           Au niveau de la gravite subjective, celle-ci revêt une importance encore plus sérieuse lorsque commise par un membre des FAC qui porte l’uniforme, alors que la population locale « observe » les membres d’une force étrangère, présents dans leur pays, c'est-à-dire dans un théâtre opérationnel où la vie et la sécurité de la population locale a été mise en péril et où la réputation des FAC peut être ternie. La preuve démontre que les enfants visés par la conduite du contrevenant ont eu peur; puisque sergent Lévesque était en uniforme lors de la commission des infractions visant la population locale, la conséquence naturelle de ses actes a pu miner la confiance que celle-ci avait envers les FAC.

 

Facteurs aggravants

 

[67]           La Cour accepte la prétention de la poursuite à l’effet que certains facteurs aggravants statutaires du sous-alinéa 203.3a) (ii) de la LDN sont présents dans cette cause, notamment:

 

a)                  les infractions se sont déroulées en théâtre opérationnel;

 

b)                  l’utilisation de subterfuges pour la commission des deux crimes les plus graves visant les enfants sénégalais mettant ainsi leur santé et sécurité en péril;

 

c)                  son comportement envers la population locale était un comportement haineux qui correspond à la définition de harcèlement telle que décrite à la Directive et ordonnance administrative de la défense 5012-0;

 

d)                  le grade et la position de leadership du sergent Lévesque;

 

e)                  la conduite a eu lieu devant au moins un subordonné;

 

f)                   sergent Lévesque était en uniforme, minant la confiance de la population locale envers les membres des FAC;

 

g)                  la déclaration de l’une des victimes, le caporal Dénommée, qui a craint pour sa sécurité allant jusqu’à prendre des mesures qui lui permettrait de se réveiller si le contrevenant entrait dans sa chambre d’hôtel. Il a craint pour sa famille avant son retour de déploiement, et craint encore des représailles de la part du contrevenant;

 

h)                  l’impact sur le moral des subalternes du sergent Lévesque en théâtre. J’accepte la preuve fournie par l’adjudant-chef White qu’elle a observé la réaction des membres déployés à la suite de la conduite du contrevenant, et que cette dernière a eu un effet sur l’efficacité, le moral et la discipline en théâtre. Voir R c Pearson, 2012 CM 1004 : il n’est donc pas nécessaire de régler la question de la règle 64 des Règles militaires de la preuve;

 

i)                   l’impact sur les opérations, car une enquête a dû avoir lieu, exigeant des interrogatoires, le transfert du sergent Lévesque à Gao, et de devoir le remplacer à Dakar.

 

[68]           Par contre, outre le préjudice subi par le caporal Dénommée, le lieutenant-colonel Côté a témoigné à l’effet que les mesures prises à l’unité à la suite des actions du sergent Lévesque ont mitigé, sinon éliminé toutes conséquences néfastes sur le moral de l’unité qui auraient pu résulter de ses actions. Cet aspect n’a donc pas été retenu par la Cour à titre de facteur aggravant.

 

[69]           La défense s’appuie sur le rapport d’expert pour supporter la thèse à l’effet que sergent Lévesque souffrait de stress post-traumatique lors de son déploiement en Afrique et qu’en conséquence, il avait un degré de responsabilité moindre. La preuve à cet effet n’est pas probante, le diagnostic étant postérieur à son déploiement en Afrique. Néanmoins, son ex-conjointe a témoigné à l’effet qu’elle avait perçu un changement dans son comportement avant son déploiement au Sénégal, et elle a d’ailleurs relaté des incidents spécifiques laissant croire qu’il souffrait de troubles psychologiques. En conséquence, la Cour accepte que les actions du sergent Lévesque aient pu, d’une certaine manière, être affectées par sa souffrance psychologique prédéploiement.

 

[70]           Toutefois, même en acceptant cette preuve, la Cour s’explique mal que les enfants sénégalais constituaient sa cible de choix pour commettre les infractions les plus graves, les exposant à un traumatisme potentiel lorsqu’il braquait son arme sur eux, et possiblement à la mort ou à des blessures graves lorsqu’il conduisait dangereusement le véhicule des FAC dans leur direction.

 

Facteurs atténuants

 

[71]           Dans cette affaire, les facteurs atténuants suivants sont toutefois très importants :

 

a)                  le sergent Lévesque a reconnu sa culpabilité et, combiné avec les excuses publiques qu’il a faites, la Cour considère ses remords sincères – ce facteur d’importance milite en faveur d’une peine moins sévère;

 

b)                  sa détresse et souffrance psychologique à l’époque de la commission des infractions, qui bien qu’elle ne nie pas son état d’esprit répréhensible, vient nuancer sa conduite;

 

c)                  son arme n’était pas chargée;

 

d)                  il n’a pas d’antécédents; la Cour n’a pas considéré les condamnations pour des infractions non-reliées.

 

[72]           La défense allègue, de plus, que si la procédure de vérification de prédéploiement avait été effectuée correctement et que l’ex-conjointe du sergent Lévesque avait été contactée, il n’aurait pas déployé et n’aurait donc pas commis les infractions. Je ne suis pas d’accord. Aucune preuve n’a démontré que madame Hamel aurait dû être contactée dans le cadre de ce processus. Qui plus est, lorsqu’elle a constaté qu’elle ne serait pas contactée, elle est demeurée passive. De toute façon, sergent Lévesque avait une obligation de rapporter son état, avant ou dans le cadre de ce processus de vérification. La preuve démontre que non seulement il n’a rien fait à cet égard, mais il désirait être déployé. La Cour en tire la conclusion qu’il s’est présenté dans le cadre de ce processus comme un membre apte à être déployé et que la chaîne de commandement n’avait aucune information qui lui permettait de douter de son aptitude à déployer.

 

Conséquences indirectes de la peine

 

[73]           La Cour doit aussi tenir compte des conséquences indirectes reliées à la peine. En effet, la peine que je dois imposer ne doit pas avoir d’effets néfastes et dramatiques sur sergent Lévesque et sur les efforts qu’il devra continuer à faire afin de réintégrer la société civile comme membre productif de celle-ci.

 

[74]           À ce titre, son ex-conjointe a parlé du soutien financier et logistique qu’il représente. Bien que la Cour accepte la preuve à l’effet que le contrevenant apporte un soutien financier à ses enfants, il a déjà rencontré son obligation alimentaire pour les prochains mois à venir avec le paiement récent à son ex-conjointe d’une somme forfaitaire de 5 000 $. De plus, madame Hamel a un conjoint qui l’aide, et toute sa famille est à Québec. La preuve révèle que la famille du sergent Lévesque aurait le soutien requis s’il devait faire face à une peine d’incarcération.

 

Situation du contrevenant

 

[75]           Sergent Lévesque a présentement 34 ans. Il a joint les FAC le 4 mai 2004 et a servi comme fantassin. Il a été déployé à Kandahar en Afghanistan à trois reprises, soit du 20 juin au 15 septembre 2007, du 1er avril au 30 octobre 2009, et du 27 mai au 26 juin 2011; il a passé un total d’environ onze mois en Afghanistan. Il a finalement déployé au Sénégal dans le cadre de l’opération PRESENCE du 27 janvier au 31 mai 2019.

 

[76]           Au cours de sa carrière, il s’est vu décerné des médailles et décorations suivantes : l’Étoile de campagne générale – Asie du Sud-Ouest plus deux barrettes de rotation, et la Décoration des Forces canadiennes. Il a été libéré tout récemment, en août 2020, en raison des accusations qui pesaient contre lui. Il a deux enfants, âgées de 5 et 6 ans, qu’il visite fréquemment. 

 

[77]           Il souffre d’un syndrome de stress post-traumatique chronique et il est maintenant suivi par un psychologue depuis un an. Il a fait des progrès; il va mieux. Il est présentement employé par une compagnie d’entretien paysagé et de déneigement.

 

Harmonisation des peines

 

[78]           La Cour doit maintenant considérer le principe de l’harmonisation des peines. Dans R. c. Lacasse, 2015 CSC 64, le juge Wagner (plus tard juge en chef), s'exprimant pour la majorité des juges, écrivait au paragraphe 53 :

 

La proportionnalité se détermine à la fois sur une base individuelle, c'est-à-dire à l'égard de l'accusé lui-même et de l'infraction qu'il a commise, ainsi que sur une base comparative des peines infligées pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables. L'individualisation et l'harmonisation de la peine doivent être conciliées pour qu'il en résulte une peine proportionnelle [citation omise].

 

Il poursuit au paragraphe 69 en disant que les fourchettes de peines ne sont que des lignes directrices et qu'« un outil parmi d'autres destinés à faciliter la tâche des juges d'instance ».

 

[79]           À cet égard, je n’accepte pas l’argument de la poursuite à l’effet que sergent Lévesque devrait être considéré comme un civil dans le contexte de la détermination de la peine et qu’en conséquence, la jurisprudence civile s’applique. De toute évidence, la Cour doit considérer qu’il a été libéré et, en conséquence, certaines peines ne permettraient pas nécessairement d’atteindre les objectifs visés. Néanmoins, le contrevenant est jugé par un tribunal militaire pour avoir commis des infractions d’ordre militaire dans un théâtre opérationnel alors qu’il était militaire. La Cour d’appel de la cour martiale du Canada dans R. c. Darrigan, 2020 CACM 1 compare les principes de détermination de la peine des systèmes de justice civile et militaire et en fait des distinctions importantes. La Cour s’exprime comme suit, au paragraphe 26 de la décision :

 

Je commencerai mon analyse en insistant sur l'importance d'un système de justice militaire distinct qui préserve la discipline, l'efficacité et le moral. Cette fonction est bien sûr essentielle au maintien des Forces armées canadiennes prêtes à intervenir pour la défense de la sécurité de notre pays. En toute déférence, l'attachement de la Couronne dans le présent appel au modèle civil de détermination de la peine ne tient pas compte du rôle fondamental des Forces armées canadiennes et du code disciplinaire qui lie ses membres.

 

[80]           Dans l'arrêt R. c. Stillman, 2019 CSC 40, les juges Moldaver et Brown, s'exprimant au nom de la majorité des juges, ont déclaré au paragraphe 36 :

 

Le système de justice militaire est donc conçu pour répondre aux besoins particuliers des troupes sur les plans de la discipline, de l'efficacité et du moral.

 

[81]           Bien que la Cour puisse considérer la jurisprudence des cours civiles dans le contexte de l’harmonisation des peines, elle n’y est pas liée. De toute façon, dans tous les cas soumis par la poursuite, les contrevenants avaient commis l’infraction de braquer une arme dans un dessein de violence, visant à causer des blessures graves, et dans l’un cas, des blessures graves en ont résulté.

 

[82]           J’ai examiné la jurisprudence de décisions de la cour martiale concernant l’article 87 du Code criminel. Dans R. c. Jackson, 2003 CMAC 8, l'appelant interjetait appel à la fois de la déclaration de culpabilité d'avoir braqué une arme à feu sur un subordonné et de la peine qui lui a été imposée. L'appelant, qui servait toujours dans les FAC, a été condamné à une rétrogradation avec interdiction de possession d'armes pendant une période de trois ans. Reconnaissant la gravité objective de l’infraction de braquer une arme à feu sur une autre personne, la cour d’appel avait décidé que la peine imposée à l'appelant était déraisonnable et excessivement sévère vu l’impact financier important sur l’appelant qui était toujours membres des FAC. La Cour a décidé que, puisque l'appelant s'était assuré que l'arme à feu n'était pas chargée, l'infraction visait un acte qui n'était qu'un jeu stupide aux yeux de l'appelant. La Cour a substitué la rétrogradation à un blâme et une amende de 5 000 $. Je note que la plupart des faits aggravants la peine du sergent Lévesque n’étaient pas présent dans cette cause; par exemple, le contrevenant Jackson ne faisait face qu’à une seule infraction qui s’était déroulée au pays. De plus, il avait le grade de soldat, il n’était donc pas dans une position de leadership. Je constate par ailleurs que la cour d’appel avait accordé une importance au fait que l’arme n’était pas chargée et que cet acte n'était qu'un jeu stupide aux yeux de l'appelant. J’ai pris compte de cet aspect pour atténuer la peine du sergent Lévesque, tel que mentionné plus tôt.

 

[83]           J’ai aussi considéré la jurisprudence soumise par la défense, notamment R c McKinnell, 2012 CM 1002, où le contrevenant a plaidé coupable à une infraction de trafic et de consommation de cannabis, ainsi qu’une infraction d’avoir braqué une arme. Une peine d’emprisonnement de soixante jours ainsi qu’une ordonnance d’interdiction de possession d’arme à vie lui avaient été imposées. Dans R c Pinnegar, 2012 CM 2001, le contrevenant avait été trouvé coupable de trois chefs d’accusation pour avoir braqué une arme à feu. Il était condamné à une réprimande et une amende de 1 500 $. Ces causes comportent toutes des circonstances entourant la commission de l’infraction qui étaient beaucoup moins graves que celles en l’espèce.

 

Détermination de la peine

 

[84]           À la lumière de la gravité objective des infractions et des circonstances statutaires aggravantes présentes dans cette affaire, la Cour accepte que ce soit les objectifs de dénonciation, de dissuasion, et de maintenir la confiance du public dans les FAC que doit viser la peine du sergent Lévesque. Néanmoins, la Cour ne doit pas lui imposer une peine qui minerait toutes ses chances de réinsertion sociale. Dans l’application des principes de la détermination de la peine, la Cour a considéré la peine la moins sévère. 

 

[85]           La défense allègue que la rétrogradation jumelée avec une amende constitue une peine proportionnée. Je dois me demander si cette peine atteint les objectifs identifiés plus tôt. À mon sens, ce n’est pas le cas. Bien que la peine de rétrogradation puisse satisfaire au critère de dénonciation, elle n’est pas suffisante seule ou jumelée avec une peine moindre telle qu’une amende, pour atteindre les objectifs de dénonciation et de dissuasion, vu la gravité du comportement téméraire et haineux visant la population locale, en particulier des enfants, dans un théâtre opérationnel. J’accepte toutefois qu’une rétrogradation puisse être une sanction qui conviendrait, mais à elle seule elle n’est pas suffisante pour atteindre ces objectifs.

 

[86]           Les peines suivantes dans l’échelle des peines, soit la détention qui vise la réintégration du contrevenant dans la vie miliaire, et la destitution du service de Sa Majesté, n’atteignent pas ces objectifs non plus puisqu’il a déjà été libéré. Ce qui m’amène à considérer la peine d’emprisonnement de moins de deux ans. Cette peine, à mon sens, vu la gravité des infractions impliquant une insouciance marquée pour la sécurité d’autrui et un mépris envers la population locale, constitue la peine la moins sévère que la Cour puisse imposer dans le cas en l’espèce. En conséquence, la Cour considère qu’une peine d’emprisonnement jumelée avec une rétrogradation au grade de caporal constitue une peine qui sert à atteindre les objectifs de dénonciation et dissuasion, tout en permettant de réhabiliter sergent Lévesque, pour qu’il puisse continuer son suivi et avoir la possibilité de devenir un membre actif de la société.

 

[87]           La Cour a considéré la période recommandée par la poursuite, soit de dix à douze mois. Cette recommandation est disproportionnée; il est à se demander ce que la poursuite aurait recommandé, n’eût été du plaidoyer de culpabilité dans cette affaire. En considération des facteurs atténuants, tel que les excuses publiques et le plaidoyer de culpabilité, ainsi que les conséquences indirectes qu’une peine d’incarcération auraient sur la famille du sergent Lévesque et sur lui-même, la Cour considère qu’une peine d’emprisonnement de trois mois constituerait la peine la moins sévère qui permettrait d’atteindre les objectifs et qui serait conforme aux autres principes de détermination de la peine.

 

Peine d’incarcération dans le contexte de la pandémie

 

[88]           La poursuite a produit de la preuve concernant la capacité de la CDPMFC de gérer l’incarcération des détenus et prisonniers militaires et d’assurer leur transfert de façon sécuritaire dans le contexte de la pandémie. Comme le démontre la preuve que j’ai acceptée, la COVID-19 a entrainé des restrictions importantes dans le quotidien de chacun. Elle a de plus influencé les décisions judiciaires portant sur les sentences, en particulier l’incarcération, depuis le début de la pandémie, vu la vulnérabilité de la population carcérale à contracter le virus dans le contexte de la promiscuité existante entre prisonniers et gardiens. En effet, la jurisprudence des juridictions civiles est à l’effet que la Cour doit tenir compte du facteur COVID-19 lorsqu’elle envisage imposer une peine d’incarcération, facteur que les juridictions civiles qualifient d’exceptionnel. La jurisprudence reconnait que les cours doivent considérer l’impact préjudiciable possible de la COVID-19 sur la santé et la sécurité du contrevenant. Certaines cours ont même établi qu’une peine plus courte serait appropriée dans ce contexte, malgré que cela ne doit pas constituer un « get-out-of-jail free card », pourvu que la peine soit proportionnée; voir R. v. Hearns, 2020 ONSC 2365, qui dresse un tableau complet des principes à cet égard, R. v. Wilson, 2020 ONCJ 176 et R. v. Pangon, 2020 NUCJ 30, où une révision de la peine d’incarcération était recherchée. Cette jurisprudence est à l’effet que la Cour doit tenir compte de ce facteur qualifié de circonstances sans précédent par la Cour supérieure de justice de l’Ontario lorsqu’elle détermine sa sentence (Hearns, paragraphe 15). Voir aussi R. v. Lariviere, 2020 ONCA 324 qui reconnait l’impact du virus sur notre société, et au Québec, R. c. Babin, 2020 QCCQ 2756 et Dion c. R., 2020 QCCS 3049 où la cour supérieure, citant la décision de la cour d’appel dans Lariviere, confirme que la prise en compte de la pandémie, quant à l’évaluation de la justesse de la peine dans un contexte d’appel, devrait revêtir un caractère individualisé.

 

[89]           La Cour a considéré suspendre la peine du sergent Lévesque en appliquant l’arrêt R. c. Dominie, 2002 CACM 8, ainsi que les critères plus spécifiques élaborés par mes collègues juges miliaires, en particulier dans l’arrêt R. c. Paradis, 2015 CM 1002. Bien que la pandémie présente un contexte exceptionnel et qu’il en va du bien-être du contrevenant, je considère que la suspension de la peine d’incarcération ne serait pas dans l’intérêt de la justice militaire. En fait, une suspension minerait la confiance du public dans le système de justice militaire vu les circonstances entourant la commission des infractions commises, la gravité objective de celles-ci, ainsi que la situation actuelle du contrevenant.

 

[90]           Ceci dit, je me dois d’examiner l’incarcération dans le contexte de la pandémie afin de déterminer si cette peine peut être purgée de façon sécuritaire dans un centre de détention provincial. Malheureusement, aucune preuve ne m’a été présentée quant à un centre de détention provincial qui pourrait accueillir sergent Lévesque en toute sécurité. Je n’ai donc aucune information qui me permettrait de conclure que des mesures sanitaires ont été prises afin d’assurer sa santé et sa sécurité lors de son incarcération dans un centre de détention provincial. La seule preuve présentée à cet égard est celle du témoin expert qui explique qu’un suivi avec un psychologue dans un centre de détention provincial serait difficile à assurer. Malgré que cette affirmation ne précisait pas si cette difficulté était présente en fonction de la pandémie, ou pour des raisons systémiques continuelles, la Cour accepte la preuve à l’effet qu’il est douteux que le contrevenant puisse recevoir un suivi adéquat dans un centre de détention provincial.

 

[91]           De toute évidence, la Cour a examiné les dispositions applicables afin de déterminer s’il existe une autorité juridique pour permettre à une personne astreinte à une peine d’emprisonnement de la purger à la CDPMFC. Le paragraphe 220(3) de la LDN établit qu’un prisonnier militaire astreint à une peine d’emprisonnement est envoyé le plus tôt possible dans une prison civile afin de la purger. Cette disposition permet « toutefois » à l’autorité incarcérante, aux termes des règlements, d’ordonner que la peine soit purgée dans une prison militaire ou une caserne disciplinaire. L’alinéa 114.06(2) des ORFC stipule que l’autorité incarcérante peut émettre cette ordonnance de purger la peine dans une prison militaire ou une caserne disciplinaire s’il est souhaitable de le faire en raison des besoins du service.

 

[92]           La défense invoque l’arrêt Caicedo en plaidant que les circonstances de cette affaire ne me permettent pas, en tant qu’autorité incarcérante, d’ordonner que sergent Lévesque purge sa peine à la CDPMFC. Je ne suis pas d’accord. L’arrêt Caicedo a été rendu bien avant que la pandémie sévisse. Puisque la poursuite a démontré que les FAC ainsi que la CDPMFC peuvent assurer l’incarcération du contrevenant, ainsi que tout transfert vers celle-ci et de celle-ci, de façon sécuritaire dans le contexte de la pandémie, je suis satisfaite qu’il soit souhaitable qu’il purge sa peine à la CDPMFC en raison des besoins du service, afin d’assurer que les objectifs de dénonciation et de dissuasion, ainsi que de favoriser sa réinsertion sociale, soient atteints. Cette mesure assurera également sa sécurité et son bien-être. En d’autres termes, les besoins du service requièrent qu’un prisonnier militaire purge la peine imposée par un tribunal militaire dans un environnement sécuritaire, particulièrement dans le contexte de cette pandémie. Le contexte exceptionnel de la pandémie qui sévit milite en effet en faveur de l’imposition de ce moyen exceptionnel. Soit dit en passant, il est surprenant que, bien que Caicedo ait été rendu il y a cinq ans presque jour pour jour, aucun changement législatif n’ait été effectué pour s’assurer que cette exception, d’ordonner qu’un prisonnier militaire purge sa peine dans une prison militaire, devienne la règle.

 

Ordonnance d’interdiction de possession d’armes

 

[93]           J’ai considéré l’émission d’une ordonnance en vertu de l’article 147.1 de la LDN, afin d’interdire au sergent Lévesque d’avoir en sa possession une arme à feu, considérant que l’une des infractions comporte l’utilisation d’une arme à feu. À la lumière des circonstances des infractions, et de ses troubles de santé mentale, et bien qu’il semble être sur la bonne voie, je crois qu’il est souhaitable pour sa sécurité et celle d’autrui de lui imposer une telle ordonnance, mais pour une plus courte période que celle suggérée par la poursuite, soit pour une période d’un an à compter d’aujourd’hui, étant donné que la chasse constitue pour lui une occasion de tisser des liens avec des proches qui partagent ce loisir avec lui.

 

Identification des accusés et des contrevenants

 

[94]           La Cour a soulevé pendant le procès que l’infraction de conduite dangereuse contrairement à l’article 111 de la LDN était une infraction désignée en vertu de l’article 196.26 de la LDN. La défense a demandé à la Cour de ne pas émettre d’ordonnance permettant les mesures d’identification des accusés et des contrevenants. Puisque l’article 196.27 de la LDN permet que ces mesures soient prises sans la nécessité d’une ordonnance, la Cour considère cette demande sans objet.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[95]           DÉCLARE le sergent Lévesque coupable relativement aux 2e, 5e, 7e et 10e chefs d’accusation.

 

[96]           CONDAMNE le sergent Lévesque à l’emprisonnement pour une période de trois mois, assortie d’une rétrogradation au grade de caporal.

 

[97]           ORDONNE qu’il soit incarcéré dans une prison militaire ou une caserne disciplinaire pour y purger la totalité de sa peine d’emprisonnement.

 

[98]           ORDONNE au sergent Lévesque, en vertu de l’article 147.1 de la LDN, de ne pas avoir en sa possession une arme à feu, arbalète, arme prohibée, arme à autorisation restreinte, dispositif prohibé, munitions, munitions prohibées et substances explosives ou l’un ou plusieurs de ses objets pour une période commençant ce jour et se terminant le 6 novembre 2021.

 

[99]           ORDONNE au sergent Lévesque de remettre à un officier ou militaire du rang nommé policier militaire aux termes des règlements d’application de l’article 156 de la LDN, tout objet en sa possession qui est visé par l’ordonnance d’interdiction, ainsi que les autorisations, permis et certificats d’enregistrement afférents à ces objets dont il est présentement titulaire, avant son transfert à la CDPMFC pour purger sa peine si cela est possible, sinon dans un délai d’une semaine à son retour à son domicile.


 

Avocats :

 

Le directeur des poursuites militaires, tel que représenté par le major M.L.P.P. Germain et le major E. Baby-Cormier

 

Major A. Gélinas-Proulx, service d’avocats de la défense, avocat du sergent M.-A. Lévesque

 

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