Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Endroit : Base de soutien de la 2e Division du Canada Valcartier, édifice CC-119, pièce 123, rue Casgrain, Courcelette (QC)

Langue du procès : Français

Chefs d’accusation :

Chef d'accusation 1 : Art. 130 LDN, avoir commis une fraude (art. 380(1) C. cr.).
Chefs d'accusation 2, 3 : Art. 125a) LDN, a fait volontairement une fausse déclaration dans un document officiel signé de sa main.
Chef d'accusation 4 : Art. 129 LDN, conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline.
Chefs d'accusation 5, 6 : Art. 117f) LDN, acte de caractère frauduleux non expressément visé aux articles 73 à 128 de la Loi sur la défense nationale.

Avis

L’(es) avis de requête aura(ont) lieu le 16 novembre 2020, au Centre Asticou, bloc 2600, pièce 2601, salle d’audience, 241 boulevard de la Cité-des-Jeunes, Gatineau (QC)

Le procès aura lieu le 5 janvier 2021, à la Base de soutien de la 2e Division du Canada Valcartier, édifice CC-119, pièce 123, rue Casgrain, Courcelette (QC)

Contenu de la décision

 

AUDITION DEVANT UN JUGE MILITAIRE

 

Citation: R. c. Jacques, 2020 CM 3010

Date: 20201204

Dossier: 201971

 

Procédure préliminaire

 

Centre Asticou

Gatineau (Québec), Canada

 

Entre :

 

Major V.M.S. Jacques, requérante

 

- et -

 

Sa Majesté la Reine, intimée

 

 

En présence du : Lieutenant-colonel L.-V. d’Auteuil, J.M.C.A.    


MOTIFS DE LA DÉCISION CONCERNANT UNE DEMANDE D’ARRÊT DES PROCÉDURES EN VERTU DU PARAGRAPHE 24(1) DE LA CHARTE CANADIENNE DES DROITS ET LIBERTÉS EN RAISON D’UNE VIOLATION ALLÉGUÉE DU DROIT DE L’ACCUSÉE PRÉVU À L’ALINÉA 11d) DE LA CHARTE

(Oralement)

Introduction

[1]              Le major Jacques fait face à six chefs d’accusation: une infraction punissable selon l’article 130 de la Loi sur la défense nationale (LDN) pour fraude contrairement à l’article 380 du Code criminel, deux infractions pour avoir fait volontairement une fausse déclaration dans un document officiel contrairement à l’alinéa 125a) de la LDN, une infraction pour avoir eu un comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline contrairement à l’article 129 de la LDN pour avoir omis de déclarer à son commandant un changement survenu à sa situation familiale en relation avec son droit à certaines indemnités, et deux infractions d’acte à caractère frauduleux contrairement à l’alinéa 117f) de la LDN.

[2]              Les événements à la base des accusations alléguées auraient eu lieu à ou dans les environs de la Garnison Montréal, Montréal, province de Québec entre le mois de juin 2014 et le mois de décembre 2015, concernant le processus et l’obtention de montants d’argent public pour diverses indemnités.

Résumé de la procédure

[3]              Les accusations ont été initialement portées le 22 août 2019 par le biais d’un procès-verbal de procédure disciplinaire. L’acte d’accusation a été signé par un représentant du Directeur des poursuites militaires (DPM) le 11 décembre 2019 et la mise en accusation a eu lieu le 20 décembre 2019.

[4]              Une première conférence de coordination s’est tenue le 12 février 2020 pour discuter de la requête présentée par la poursuite afin de fixer une date de procès pour cette cause. Il a alors été convenu par les parties de reporter toute réunion pour fixer une telle date après le 19 mars 2020.

[5]              Le 16 mars 2020, en raison du contexte relié au virus COVID-19, des directives émises par le gouvernement fédéral et le chef d’état-major de la défense (CEMD), le juge militaire en chef (JMC) à l’époque a donné la directive à l’administratrice de la cour martiale (ACM) d’annuler tous les ordres de convocation concernant les cours martiales devant avoir lieu entre le 16 mars et le 5 avril 2020. Par la suite, à titre de JMC par intérim, j’ai prolongé cette période d’inactivité de la cour martiale à deux reprises, faisant en sorte qu’aucune cour martiale n’a pu avoir lieu jusqu’au 31 mai 2020.

[6]              Tel qu’indiqué dans ma lettre du 12 mai 2020, j’ai fait connaître aux différentes parties impliquées à la cour martiale qu’une fois que celles pour lesquelles un ordre de convocation avait été annulé auraient été remises au calendrier judiciaire, la téléconférence visant à établir le calendrier judiciaire pour les cours martiales qui n’avaient jamais fait l’objet d’un ordre de convocation pourrait reprendre. C’est ainsi que j’ai recommencé à fixer des dates de procès le 25 juin 2020 pour les cours martiales qui n’avaient pas encore été convoquées.

[7]              C’est pendant la téléconférence du 25 juin 2020 qu’il a été déterminé par les parties que la cour martiale pourrait avoir lieu le 16 novembre 2020. Durant les deux premières semaines, les requêtes préliminaires devant être présentées par l’accusée seraient débattues, et le procès lui-même aurait lieu plus tard, soit à compter du 5 janvier 2021 pour une durée de quatre semaines. Le même jour, j’ai désigné la juge militaire Deschênes pour présider cette cour martiale.

[8]              Le 11 septembre 2020, le major Jacques a déposé auprès du Cabinet du JMC un premier avis écrit de requête demandant au juge militaire présidant la cour martiale de déclarer inopérants les articles 12, 18 et 60 de la LDN par l’application du paragraphe 52(1) de la Charte, en raison d’une violation de son droit à un procès par un tribunal indépendant et impartial prévu à l’alinéa 11d) de la Charte, et subsidiairement, de déclarer que l’ordre du CEMD daté du 2 octobre 2019, nommant un commandant pour toute affaire disciplinaire concernant spécifiquement les juges militaires, constitue une violation de ce même droit, et en conséquence, d’ordonner un arrêt des procédures en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte.

[9]              Le 15 septembre 2020, le CEMD suspendait son ordre du 2 octobre 2019.

[10]          La requérante a retiré son avis écrit de requête déposée le 11 septembre 2020, puis a déposé un nouvel avis écrit de requête en date du 19 octobre 2020, demandant à la Cour d’en arriver aux mêmes conclusions qu’elle recherchait dans son premier avis écrit de requête sur la base de motifs différents.

[11]          Le 28 octobre 2020, la désignation du juge militaire Deschênes pour présider cette cour martiale a été annulée et je me suis désigné pour la présider.

[12]          Un ordre de convocation a été émis par l’ACM en date du 28 octobre 2020 pour que la cour martiale générale concernant le major Jacques débute le 16 novembre 2020. Cependant, suite à une discussion avec les parties, j’ai demandé à l’ACM d’annuler cet ordre de convocation et d’en émettre un nouveau qui indique que la date du procès débute plutôt le 5 janvier 2021 afin de traiter les requêtes de l’accusée à titre de procédures préliminaires selon l’article 187 de la LDN. C’est ainsi que le 3 novembre 2020 l’ACM a émis un ordre de convocation pour que la cour martiale du major Jacques débute le 5 janvier 2021 pour une durée de quatre semaines.

[13]          Le 16 novembre 2020, j’ai commencé l’audition de cette requête. Cependant, en raison des instructions du CEMD afin d’apporter des changements à l’Ordonnance d’organisation des Forces canadiennes (OOFC) 3763 concernant le Cabinet du JMC, et que les plus récentes décisions concernant la même question soulevée par la requérante allaientt être publiées, la poursuite m’a demandé de remettre l’audition de la requête au 19 novembre 2020, ce que j’ai accepté.

[14]          Le 19 novembre 2020, suite aux changements apportés à l’OOFC 3763 et en raison de l’attente de la publication des motifs de la plus récente décision judiciaire portant sur la question soulevée par la requérante, l’avocat de la défense a fait une demande d’ajournement afin de reconsidérer le contexte factuel qui venait tout juste d’être modifié et qui pourrait avoir un impact sur certains des arguments avancés dans la requête. J’ai accepté sa demande et ajourné l’audition de la requête au 25 novembre 2020.

[15]          Le 24 novembre 2020, l’avocat de la défense a déposé un avis écrit amendé de sa requête. Essentiellement, il abandonnait sa demande relative à une déclaration d’inconstitutionnalité par la cour de certains articles de la LDN, et maintenait sa demande à l’effet que le droit de sa cliente à un procès par un tribunal indépendant et impartial prévu à l’alinéa 11d) de la Charte avait été violé, et en conséquence, que la Cour ordonne un arrêt des procédures en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte.

[16]          J’ai procédé à l’audition de la requête les 25 et 26 novembre 2020.

La preuve

[17]          La preuve sur cette demande est constituée exclusivement de documents, tel qu’il a été convenu d’un commun accord par les parties et elle vise principalement à établir la structure légale et budgétaire dans lequel le Cabinet du JMC existe et évolue. Certains autres documents visent plutôt à porter à la connaissance de la Cour les différents ordres émis par le CEMD concernant l’administration de la discipline militaire à l’égard des juges militaires et certains commentaires relatifs à l’importance de l’indépendance judiciaire et à la primauté du droit.

Le contexte

[18]          Concernant le contexte de cette affaire, je vous réfère aux paragraphes 16 à 33 de ma décision dans R. c. Christmas, 2020 CM 3009 où je m’y exprime de manière plus détaillée sur ce sujet. Cependant, pour des fins de compréhension de la présente décision, j’aimerais quand même résumer sommairement la situation que j’ai décrite dans ces paragraphes de Christmas et mettre à jour la situation contextuelle depuis que j’ai rendu cette dernière décision.

[19]          En janvier 2018, le CEMD a émis un ordre nommant un commandant pour toute affaire disciplinaire concernant spécifiquement les juges militaires. Un tel ordre n’avait jamais été émis auparavant. Cet ordre a été amendé en octobre 2019 pour refléter seulement le changement de nomination du commandant. Peu de temps après la publication de cet ordre amendé, les premières requêtes préliminaires ont été présentées devant la cour martiale alléguant une violation du droit de l’accusé à un procès par un tribunal indépendant et impartial, tel que prévu à l’alinéa 11d) de la Charte.

[20]          Dans une première décision au mois de janvier 2020, soit celle de R. c. Pett, 2020 CM 4002, la cour martiale a déterminé que l’ordre du CEMD constituait une telle violation, mais elle s’est limitée à déclarer l’ordre inopérant nul et de nul effet, exerçant ainsi une forme de retenue judiciaire, considérant qu’il s’agissait d’une toute nouvelle situation faisant l’objet d’un débat devant la cour martiale.

[21]          La cour martiale a conclu dans cette décision que le comité d'enquête sur les juges militaires mis sur pied par le Code de discipline militaire (CDM) dispense les officiers des FAC de l’application du régime du CDM traitant d'une infraction d'ordre militaire lorsqu'ils sont juges militaires. Ainsi, le fait que le CEMD nomme un commandant spécifiquement à l’égard des juges militaires pour l’application du régime du CDM traitant d'une infraction d'ordre militaire allait clairement à l’encontre de l’intention du législateur exprimé par l’établissement dans la LDN du comité d’enquête sur les juges militaires.

[22]          La cour martiale est arrivée aux mêmes conclusions au mois de février 2020 quant à la violation et au remède dans R. c. D’Amico, 2020 CM 2002. Il est à noter que dans ces deux décisions, la Cour a explicitement invité l’exécutif à corriger la situation.

[23]          Environ six mois plus tard, la cour martiale a vu cette question encore une fois soulevée devant elle. D’abord, au mois de juillet 2020, dans le cadre d’une requête en irrecevabilité visant à faire rejeter séance tenante la requête de l’accusé sur cette question, la cour martiale a exprimé son étonnement, dans R. c. Bourque, 2020 CM 2008, à l’effet qu’aucun correctif n’avait été apporté à la situation et que l’ordre du CEMD semblait être toujours en vigueur. Après avoir invité la poursuite a confirmé l’état des choses, un règlement est intervenu dans le dossier, laissant la question soulevée par la Cour sans réponse,

[24]          Au mois d’août 2020, cette question a dû, à nouveau, être considérée par la cour martiale. Concernant la violation, elle est arrivée à la même conclusion qu’auparavant quant à l’effet de l’ordre du CEMD du mois d’octobre 2019, soit qu’il constituait toujours une violation du droit constitutionnel de l’accusé à un procès par un tribunal indépendant et impartial.

[25]          Par contre, en raison de la persistance du CEMD à ne rien modifier quant à l’ordre qu’il a émis malgré les décisions de la cour martiale, combinée au passage du temps, soit plus de six mois depuis la décision D’Amico, la Cour a conclu que pour un observateur raisonnable et bien informé, le juge militaire ne bénéficiait pas de l’indépendance et l’impartialité requise par la Constitution pour présider la cour martiale de l’accusé. Au surplus, la Cour a constaté qu’en raison de l’intention de la hiérarchie militaire de s’ingérer dans l’exercice de la fonction de juge militaire et à son absence de volonté de rassurer ce même public de mettre à l’abri la cour martiale à l’égard d’une telle ingérence, un tel contexte contribuait certainement à miner la confiance du public, et plus particulièrement celle des personnes assujetties au CDM. Puisque l’intérêt de préserver l’indépendance judiciaire l’emportait sur l’intérêt à un jugement tranchant sur le fond, car il s’agissait selon la Cour de l’un des cas les plus manifestes, elle a prononcé un arrêt des procédures en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte, tel qu’il appert de la décision dans R. c. Edwards, 2020 CM 3006.

[26]          Des décisions au même effet ont été rendues par la suite par la cour martiale dans R. c. Crépeau, 2020 CM 3007, R. c. Fontaine, 2020 CM 3008 et R. c. Iredale, 2020 CM 4011.

[27]          Le 15 septembre 2020, le CEMD a suspendu son ordre daté du mois d’octobre 2019 jusqu’à ce qu’une décision finale soit rendue par la Cour d’appel de la cour martiale (CACM) concernant les appels formulés à l’égard des décisions de la cour martiale ayant traité de cette question spécifique et pour laquelle un arrêt des procédures avait été prononcé.

[28]          La suspension de l’ordre du CEMD n’a pas mis fin au débat sur cette question. Au contraire, la question de l’indépendance judiciaire reliée à l’inamovibilité des juges militaires et à l’indépendance administrative du Cabinet du JMC, auquel les juges militaires appartiennent, a été à nouveau soulevée.

[29]          Au mois d’octobre 2020, dans R. c. MacPherson, Chauhan et J.L., 2020 CM 2012, la juge militaire Sukstorf a du examiné à nouveau la question et elle a conclu cette fois qu’il n’y avait aucune violation du droit constitutionnel des accusés à un procès par un tribunal indépendant et impartial.

[30]          Dans Christmas, au mois de novembre 2020, en raison d’une appréciation différente des faits, particulièrement en ce qui concerne l’impact de l’OOFC 3763 concernant l’organisation du Cabinet du JMC, j’en suis venu à une conclusion différente de celle de ma collègue, soit qu’un tel document continuait d’exprimer pour un observateur raisonnable et bien informé, l’intention de la hiérarchie militaire de s’ingérer dans l’exercice de la fonction de juge militaire et à son absence de volonté de rassurer ce même public de mettre à l’abri la cour martiale à l’égard d’une telle ingérence. Pour les mêmes raisons que j’ai exprimées dans Edwards, Crépeau et Fontaine, j’ai prononcé un arrêt des procédures en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte.

[31]          Peu de temps après, le juge militaire Pelletier a rendu une décision au même effet quant au remède dans R. c. Proulx, 2020 CM 4012, mais sur la base de considérations factuelles différentes concernant sa conclusion portant sur la violation constitutionnelle du droit de l’accusé.

[32]          Le 18 novembre 2020, l’OOFC 3763 a été amendé par le retrait du paragraphe 9 de la version datée du 27 février 2008 que j’avais déclaré invalide et nul de nul effet.

La position des parties

La requérante

[33]          La requérante soumet d’abord que la structure légale et budgétaire du Cabinet du JMC, auquel les juges militaires appartiennent, ne bénéficie pas de l’indépendance administrative nécessaire pour mettre à l’abri ces derniers de toute influence ou pression pouvant être exercée par la hiérarchie militaire.

[34]          De plus, elle suggère que puisque l’existence légale du Cabinet du JMC dépend entièrement de l’exécutif, les juges militaires deviennent ainsi exposés à l’influence indue de ce dernier. Au surplus, elle prétend que l’OOFC 3763 tel que très récemment amendé, continue de permettre l’application du régime du CDM traitant d'une infraction d'ordre militaire aux officiers des FAC occupant la fonction de juge militaire.

[35]          Finalement, la requérante propose que le contenu de certains éléments du préambule de l’ordre de suspension du CEMD daté du 15 septembre 2020 a pour effet qu'une personne raisonnable et bien informée lisant cet ordre de suspension conclurait que la hiérarchie militaire a l’intention de maintenir une forme d’ingérence à l’égard de l’exercice de la fonction de juge militaire.

L’intimée

[36]          Le DPM, à titre de partie intimée dans cette affaire, soumet que pour les motifs exprimés par la cour martiale dans MacPherson, Chauhan et J.L. et aussi la décision de Proulx, la requérante n’a pas démontré l’existence d’un problème d’indépendance administrative relié à la structure légale et budgétaire du Cabinet du JMC, auquel les juges militaires appartiennent.

[37]          De plus, selon l’intimée, puisqu’il n’existe plus aucun instrument légal désignant un commandant permettant l’application du régime du CDM traitant d'une infraction d'ordre militaire pour les officiers des FAC occupant la fonction de juge militaire, ces derniers peuvent donc être considérés par une personne raisonnable et bien informée comme étant à l’abri de toute forme d’ingérence de la part de la hiérarchie militaire.

[38]          Elle est aussi d’avis que le texte du préambule de l’ordre de suspension du CEMD daté du 15 septembre 2020 ne change absolument rien à cette situation dans la perspective d’une personne raisonnable et bien informée.

L’analyse

[39]          L’alinéa 11d) de la Charte se lit comme suit :

11. Tout inculpé a le droit :

...

d)  d'être présumé innocent tant qu'il n'est pas déclaré coupable, conformément à la loi, par un tribunal indépendant et impartial à l'issue d'un procès public et équitable.

[40]          Comme je l’ai affirmé dans mes décisions d’Edwards, Crépeau, Fontaine et Christmas, l’indépendance judiciaire est d’abord et avant tout une question de confiance du public et des justiciables du CDM dans l’impartialité de la magistrature militaire. Comme le disait le 11 mai 2001, la très honorable Beverley McLachlin, ancienne Juge en chef du Canada, lors de son allocution à la conférence sur le 300e anniversaire de l'Act of Settlement, à Vancouver, en Colombie-Britannique :

Le devoir du juge consiste à appliquer la loi de façon indépendante et impartiale, sans avoir peur et sans favoriser qui que ce soit.

[41]          Cette affirmation reflète d’ailleurs l’état du droit, tel qu’établi par la Cour suprême du Canada dans ses différentes décisions portant sur l’indépendance judiciaire.

[42]          Notons d’ailleurs que la Cour suprême du Canada et la CACM ont toutes deux reconnu et précisées qu’une telle exigence à l’égard du juge est requise au bénéfice de la personne qui est jugée, et non pour celui du juge lui-même (Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale (Î.-P.-É.), [1997] 3 R.C.S. 3, paragraphe 329 et Mackin cNouveau‑Brunswick (Ministre des Finances), 2002 CSC 13, paragraphe 28, RcLeblanc, 2011 CACM 2, paragraphe 52).

[43]          Dans mes décisions d’Edwards, Crépeau et Christmas, j’ai discuté de la manière dont la CACM a abordé spécifiquement cette question dans ses décisions au cours des 30 dernières années, et à mon avis, c’est exactement en ce sens qu’elles vont concernant l’indépendance et l’impartialité dont un officier des FAC occupant la fonction de juge militaire doit faire preuve.

[44]          D’ailleurs, dans Christmas, j’ai conclu que ces décisions de la CACM concernant l'indépendance judiciaire des juges militaires et de la cour martiale dans le contexte d'une analyse du droit d'un accusé à un procès par un tribunal indépendant et impartial conformément à l'alinéa 11d) de la Charte appuie l'analyse du juge militaire Pelletier dans Pett concernant spécifiquement la raison d’être du comité d’enquête sur les juges militaires, et plus particulièrement sa conclusion au paragraphe 104 :

Cette conclusion suppose que, d’un point de vue législatif et réglementaire, la structure applicable à la discipline des juges militaires satisfaits à l’exigence d’impartialité judiciaire, tant que l’importante balise offerte par le comité d’enquête sur les juges militaires pourra s’appliquer efficacement. Cette mesure de protection fait en sorte que les juges militaires sont à l’abri de toute mesure disciplinaire ou administrative prise par l’exécutif et empêche la formation de toute crainte raisonnable de partialité dans l’esprit d’une personne raisonnable et bien informée qui examine la structure régissant la magistrature militaire et le système des cours martiales.

[45]          Étant donné que les officiers des FAC occupant la fonction de juge militaire sont des personnes assujetties au CDM, le comité d'enquête sur les juges militaires répond à cette exigence d'un mécanisme spécifique examinant leur conduite à cette fin, totalement indépendant des pouvoirs législatifs et exécutifs, ce qui comprend de ne pas être soumis au régime du CDM traitant d'une infraction d'ordre militaire pour les autres officiers des FAC, tout cela afin de respecter le principe de l'indépendance judiciaire. C'est exactement ce que le Parlement a tenté de réaliser par le biais des articles 165.31 et 165.32 de la LDN qui voient à la mise en place du comité d’enquête sur les juges militaires.

[46]          Par conséquent, tout officier des FAC occupant la fonction de juge militaire verra sa conduite examinée dans le cadre de l’application du CDM par le comité d'enquête sur les juges militaires.

[47]          Dans une affaire totalement différente, un regard extérieur a été porté au cours de l’année 2020 par un tribunal fédéral concernant la question de l’indépendance judiciaire pour les juges militaires. Le juge Martineau de la cour fédérale a eu l’occasion de prendre connaissance des décisions de la cour martiale de Pett et D’Amico pour les fins du litige qui faisait l’objet d’une audition devant lui. Dans Canada (Directeur des poursuites militaires) c. Canada (Cabinet du juge militaire en chef), 2020 CF 330, paragraphe 33, il conclut de la manière suivante :

Il faut également que les tribunaux militaires soient le plus possible à l’abri de l’ingérence des membres de la hiérarchie militaire, c’est-à-dire des personnes qui sont chargées du maintien de la discipline, de l’efficacité et du moral des Forces (R c Généreux, [1992] 1 RCS 259 aux paras 83, 98 [Généreux]). La question de l’indépendance des cours martiales et des juges militaires est une question épineuse qui a donc fait couler beaucoup d’encre depuis 1992, et qui est toujours d’actualité en 2020 : la confiance du public, et plus particulièrement celle des militaires, envers le système de justice militaire repose, entre autres choses, sur l’indépendance du Cabinet du juge militaire en chef.

[48]          Comme je l’ai mentionné dans Crépeau, le régime du CDM traitant d'une infraction d'ordre militaire continue d'être administré principalement par la chaîne de commandement au sein des FAC. Il permet à un commandant d’initier et superviser une enquête portant sur une infraction d’ordre militaire et de porter une accusation, et de confier ces fonctions à un subordonné de son unité.

[49]          Un commandant a également la responsabilité de décider de donner suite ou non à l'accusation concernant une infraction d’ordre militaire, tel qu’énoncé au chapitre 108 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC), même si c'est un membre de l'unité ou un enquêteur du Service national des enquêtes des Forces canadiennes qui portent l'accusation. Cette responsabilité est généralement exercée par une autorité hiérarchique supérieure en grade à celle détenue par tout militaire qui fait l’objet d’une accusation en vertu du régime du CDM, ce qui inclut un officier des FAC occupant la fonction de juge militaire.

[50]          Essentiellement, cela signifierait qu’une personne en position d'autorité provenant de l'exécutif pourrait être en mesure d'exercer potentiellement une forme de coercition contre un juge militaire si la structure légale nécessaire existait pour que cela se produise.

[51]          Dans Christmas, j’en suis arrivé à la conclusion que le paragraphe 9 de l’OOFC 3763, tel qu’il était rédigé au moment où j’ai rendu ma décision, permettait qu’une telle situation existe. Le paragraphe en question avait pour conséquence de désigner un commandant à l’officier des FAC occupant la fonction de juge militaire pour traiter de toute question disciplinaire à son égard en vertu du régime du CDM concernant une infraction d'ordre militaire.

[52]          Selon moi, ce contexte ne rendait pas un juge militaire aussi libre que possible, en réalité et en apparence, de l'ingérence des membres de la hiérarchie militaire selon la perception d'une personne raisonnable et bien renseignée.

[53]          J’ai rendu ma décision dans Christmas le 10 novembre 2020. Le texte du paragraphe 9 de l’OOFC 3763 a été supprimé huit jours plus tard, soit le 18 novembre 2020.

[54]          Comme suggéré par l’intimée, suite à la suspension de l’ordre du CEMD daté 2 octobre 2019 et à la suppression du paragraphe 9 de l’OOFC 3763, il appert qu’il n’existe plus aucun autre instrument légal prévoyant la nomination d’un commandant à l’égard de l’officier des FAC occupant la fonction de juge militaire pour traiter de toute question disciplinaire à son égard en vertu du régime du CDM concernant une infraction d'ordre militaire. Selon moi, cela a pour effet de mettre à l’abri les juges militaires et la cour martiale qu’ils président, de toute ingérence de la part de la hiérarchie militaire sur le plan disciplinaire.

[55]          C’est donc avec cette perspective à l’esprit que je traiterai des questions soulevées par la requérante.

Le Cabinet du JMC, auquel les juges militaires appartiennent, ne bénéficie pas de l’indépendance administrative nécessaire pour mettre à l’abri ces derniers de toute influence ou pression pouvant être exercée par la hiérarchie militaire.

[56]          J’ai eu le bénéfice de prendre connaissance des motifs de mes collègues qui se sont prononcés sur cette question, soit la juge militaire Sukstorf dans MacPherson, Chauhan et J.L. aux paragraphes 41 à 49, et le juge Pelletier dans Proulx aux paragraphes 31 à 40, et je suis entièrement d’accord avec leurs propos.

[57]          En somme, il n’a pas été démontré par la requérante que la structure légale et budgétaire du Cabinet du JMC permette à l’exécutif d’exercer une influence quelconque sur la désignation des juges pour présider une cour martiale ou tout autre audition judiciaire, les séances de la cour martiale, le rôle de la cour martiale, ainsi que sur la direction du personnel administratif qui assure la mise en œuvre et supporte la cour martiale, critères qui ont généralement été considéré comme essentiels ou comme une exigence minimale de l'indépendance institutionnelle, aussi qualifiée d’indépendance administrative par les différents tribunaux qui se sont prononcés sur la question, ce qui inclut la Cour suprême du Canada (voir Valente c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 673, au paragraphe 49).

Puisque l’existence légale du Cabinet du JMC dépend entièrement de l’exécutif, les juges militaires deviennent ainsi exposés à l’influence indue de ce dernier.

[58]          Tel que je l’ai mentionné dans Crépeau au paragraphe 47, en ce qui concerne la composante reliée à l'indépendance administrative, la création du Cabinet du JMC par un arrêté ministériel d’organisation (AMO) du Ministre de la Défense nationale en tant qu'unité des FAC en 1997, où seuls les juges militaires et le personnel exclusivement dédié à la mise en œuvre et au soutien de la cour martiale ont été réunis, l'administrateur de la cour martiale y assumant un rôle quasi judiciaire quant à la mise en place de la cour martiale et occupant des fonctions administratives à l’égard des ressources humaines et des responsabilités financières de ce bureau, semblent avoir satisfait, à ce jour, à cette caractéristique de l'indépendance judiciaire.

[59]          Il est bon de rappeler que dans le Rapport du Groupe consultatif spécial sur la justice militaire et sur les services d’enquête de la police militaire, Ottawa, Ministère de la Défense nationale, 1997, communément appelé le Rapport Dickson, une recommandation spécifique a été faite à propos de la création de cette unité. La recommandation numéro 27 de ce rapport était « que le bureau du Juge militaire en chef soit constitué à titre d’unité indépendante des Forces canadiennes et que le rôle et les responsabilités du Juge militaire en chef soient spécifiés dans la Loi sur la Défense nationale ».

[60]          Cette recommandation découlait directement d’une proposition faite au comité à l’époque par le Juge-avocat général (JAG) à l’effet que « le bureau du Juge militaire en chef soit une unité indépendante des Forces canadiennes qui ne relève pas de la chaîne de commandement et qui dispose de son propre budget ».

[61]          Pour le comité, cette proposition du JAG était tout à fait logique, car elle garantissait au maximum l’indépendance et l’impartialité de la cour martiale et des juges militaires.

[62]          Il appert que suite à la publication en 1997 du Rapport Dickson, la mise en œuvre de cette recommandation n’a pas tardé, car la même année, un AMO et une OOFC ont vu à la création et à l’organisation du Cabinet du JMC à titre d’unité des FAC qui ne relevait pas de la chaîne de commandement et qui disposait de son propre budget, ce qui est toujours le cas aujourd’hui.

[63]          Malgré que rien n’est impossible, je vois mal comment dans un tel contexte, il serait possible pour l’exécutif de tenter de faire quoi que ce soit qui irait à l’encontre de cet état de fait. Ceci dit, la requérante n’a certainement pas démontré l’existence d’une preuve quelconque qui justifierait ses craintes sur une intervention possible de l’exécutif de modifier la structure légale du Cabinet du JMC dans le but d’influencer ou d’exercer une forme de coercition sur les juges militaires et la cour martiale.

[64]          À mon avis, une personne raisonnable et bien informée ne percevrait pas cette situation comme étant problématique concernant l’indépendance et l’impartialité des juges militaires. Au contraire, elle serait rassurée de savoir qu’une telle unité a été créée avec des caractéristiques particulières pour s’adapter à l’exigence constitutionnelle liée à l’indépendance judiciaire et elle n’aurait aucune crainte que l’exécutif intervienne pour modifier une telle situation.

[65]          Quant au contenu même de l’OOFC 3763 qui se base sur certaines notions juridiques qui sont maintenant d’une autre époque, le fait qu’il fasse maintenant l’objet d’une révision approfondie de la part des autorités des FAC est suffisant, à mon avis, pour dissiper les craintes énoncées par la requérante quant à l’insouciance dont aurait pu faire preuve l’exécutif jusqu’ici. S’il y avait insouciance, je comprends que maintenant ce n’est plus le cas.

L’OOFC 3763 tel que très récemment amendé, continue de permettre l’application du régime du CDM traitant d'une infraction d'ordre militaire aux officiers des FAC occupant la fonction de juge militaire.

[66]          Sur cette question, la requérante me réfère au paragraphe 8 de l’OOFC 3763, tel qu'il a été modifié le 18 novembre dernier et qui se lit comme suit :

Le commandant du Cabinet du JMC ne doit pas exercer les pouvoirs ni la compétence d’un commandant ou d’un commandant de commandement à l’égard de toute question disciplinaire.

[67]          À son avis, puisque le commandant du Cabinet du JMC ne peut exercer ses pouvoirs pour des fins disciplinaires, tel que d’ailleurs prévu à l’article 4.091 des ORFC, il m’est permis d’inférer que n’importe quel autre commandant pourrait exercer ses pouvoirs pour toute question disciplinaire à l’égard du personnel du Cabinet du JMC, incluant les officiers des FAC occupant la fonction de juge militaire.

[68]          Le paragraphe 8 de l’OOFC 3763 indique simplement que le commandant du Cabinet du JMC ne peut exercer ses pouvoirs disciplinaires à l’égard du personnel militaire affecté à cette unité, ce qui inclut tout officier des FAC occupant ou non la fonction de juge militaire et les militaires du rang. En toute logique, cela fait en sorte que le JMC, comme tous les autres juges militaires, se consacre exclusivement à sa fonction judiciaire et ne peut exercer aucune autorité sur les autres juges militaires et les greffiers sténographes militaires.

[69]          Quant à moi, cela ne va pas plus loin. Le Cabinet du JMC est une unité des FAC qui ne relève pas de la chaîne de commandement. Le personnel militaire qui y est affecté suite à la suppression du paragraphe 9 de l’OOFC 3763 daté du 27 février 2008 ne relève plus actuellement de la chaîne de commandement concernant toute question de discipline militaire. Il s’agit d’un choix effectué par l’exécutif et il n’affecte en rien la capacité opérationnelle de cette unité, et une telle démonstration n’a surtout pas été faite.

[70]          La réalité est qu’il n’est plus possible pour la chaîne de commandement d’intervenir en vertu du régime du CDM traitant d'une infraction d'ordre militaire à l’égard de tout le personnel militaire affecté au Cabinet du JMC, ce qui inclut les juges militaires. Ceci étant, je ne vois pas comment une personne raisonnable et bien informée pourrait percevoir cette situation comme démontrant une absence d’indépendance judiciaire pour les juges militaires.

L’effet sur l’indépendance judiciaire des juges militaires du contenu de certains éléments du préambule de l’ordre de suspension du CEMD daté du 15 septembre 2020.

[71]          Concernant cet argument, la requérante soumet que je devrais suivre le raisonnement développé par mon collègue, le juge militaire Pelletier, dans sa décision de Proulx.

[72]          Dans Proulx, le juge militaire Pelletier a conclu qu’une personne raisonnable et bien informée lisant le préambule de l’ordre de suspension du CEMD daté du 15 septembre 2020 ne serait pas rassurée que la proposition faite dans les différentes décisions de la cour martiale d’annuler l’ordre du 2 octobre 2019, pour mettre fin à la violation du droit constitutionnel d’un accusé devant la cour martiale à un procès par un tribunal indépendant et impartial, soit reconnue et supportée par l’exécutif. Il a basé sa conclusion sur certains des aspects de l’ordre de suspension du CEMD concernant sa durée, l’absence de reconnaissance du droit applicable tel qu’énoncé par la cour martiale et la référence à l’OOFC 3763  datée le 27 février 2008 comme instrument toujours existant et permettant l’application du régime du CDM traitant d'une infraction d'ordre militaire à l’égard juges militaires.

[73]          Il est important de rappeler que la décision dans Proulx a été rendue avant que l’OOFC 3763 soit modifié le 18 novembre 2020. La modification de ce document a eu pour effet de mettre à l’abri les juges militaires et la cour martiale qu’ils président, de toute ingérence de la part de la hiérarchie militaire sur le plan disciplinaire, et ce changement fait en sorte que le texte de l’ordre de suspension du CEMD doit être maintenant analysé dans ce contexte.

[74]          Comme le juge militaire Pelletier, je crois que la manière dont le CEMD a formulé les éléments du texte du préambule à son ordre de suspension a pu causer plus de confusion qu’autre chose. Ce manque de clarté n’aide en rien sur la manière d’interpréter sa signification exacte.

[75]          Ceci dit, comme je l’ai déjà exprimé dans ma décision de Christmas, et au même titre que mes collègues, je ne vois pas l’intérêt à déterminer l’intention réelle du CEMD derrière ce texte. Comme le juge militaire Pelletier l’a affirmé dans Proulx, ce qui compte, c’est l’impact d’un tel texte sur la perception qu’en aurait une personne raisonnable et bien informée concernant l’indépendance judiciaire des juges militaires.

[76]          Dans le contexte actuel, la référence faite à l’OOFC 3763 datée du 27 février 2008 dans l’ordre de suspension du CEMD doit maintenant être totalement ignorée par cette personne raisonnable, car la suppression de son paragraphe 9 a fait en sorte de mettre à l’abri les juges militaires et la cour martiale qu’ils président, de toute ingérence de la part de la hiérarchie militaire en vertu du régime du CDM traitant d'une infraction d'ordre militaire.

[77]          Il est vrai que le texte du préambule de l’ordre de suspension du CEMD peut laisser croire à une personne raisonnable et bien informée à l’existence d’une certaine forme de réticence de la part de la hiérarchie militaire à reconnaître le droit actuellement applicable concernant l’application d’un mécanisme spécifique examinant la conduite des officiers des FAC occupant la fonction de juge militaire. Il est vrai que c’est seulement neuf mois après que la cour martiale a rendu sa première décision sur la question, et après qu’elle ait ordonné un arrêt des procédures dans quatre procès sur une période d’un mois, et sans référer au droit applicable en vigueur, que la décision de suspendre l’ordre du CEMD daté du 2 octobre 2019 nommant un commandant pour les juges militaires concernant toute question disciplinaire a été communiquée.

[78]          Par contre, en décidant de supprimer le paragraphe 9 de l’OOFC 3763 du 27 février 2008 , une personne raisonnable et bien informée peut maintenant percevoir que le CEMD a exprimé une reconnaissance du droit applicable, telle qu’établie par la cour martiale, en voyant à la suppression de tout instrument légal prévoyant la nomination d’un commandant à l’égard de l’officier des FAC occupant la fonction de juge militaire pour traiter de toute question disciplinaire à son égard en vertu du régime du CDM concernant une infraction d'ordre militaire.

[79]          En abolissant toute possibilité pour la hiérarchie militaire de s’ingérer dans la gestion de la discipline à l’égard de la conduite des juges militaires en vertu du CDM, le CEMD a agi de manière non équivoque sur cette question, ce qui a eu pour effet d’annihiler toute perception de la part d’une personne raisonnable et bien informée quant à une réticence quelconque de la part de la hiérarchie militaire de respecter le principe constitutionnel d’indépendance et d’impartialité dont les juges militaires et la cour martiale doivent bénéficier au profit des personnes assujetties au CDM.

[80]          Finalement, c’est en tenant compte de ce contexte modifié que la question de la durée de la suspension de l’ordre du CEMD doit être maintenant analysée.

[81]          À mon avis, suite à la lecture de l’ordre de suspension du CEMD dans le contexte actuel, une personne raisonnable et bien informée conclurait que le CEMD a décidé de suspendre son ordre daté du 2 octobre 2019 nommant un commandant pour les juges militaires concernant toute question disciplinaire pour :

a)      tenir compte du droit applicable actuellement, tel qu’établi par la cour martiale, concernant l’application d’un mécanisme spécifique et différent de celui applicable aux autres officiers des FAC pour examiner la conduite des officiers des FAC occupant la fonction de juge militaire en vertu du CDM; et

b)      voir au maintien, à l’efficacité et au moral des FAC en s’assurant que l’intérêt de la société et des FAC à ce que les accusations actuellement devant la cour martiale soient jugées au fond, et ce, jusqu’à ce que la question de la validité même de l’ordre du CEMD soit clarifiée par une décision finale des autorités judiciaires.

[82]           Conséquemment, il m’apparaît clair que pour une personne raisonnable et bien informée, que la décision de suspendre au lieu de simplement annuler l’ordre du CEMD daté du 2 octobre 2019 nommant un commandant pour les juges militaires concernant toute question disciplinaire, est une perspective tout à fait acceptable dans la mesure où l’autorité exécutive reconnaît par ses actions le droit actuellement applicable tout en utilisant légitimement les mécanismes judiciaires existants pour faire valoir son point de vue.

[83]           En d’autres mots, dans la perspective d’une personne raisonnable et bien informée, les décisions du CEMD ont pour effet de mettre actuellement à l’abri les juges militaires et la cour martiale qu’ils président, de toute ingérence de la part de la hiérarchie militaire sur le plan disciplinaire.

[84]           Ainsi, le rôle vital et crucial joué par l'indépendance judiciaire dans la structure constitutionnelle canadienne et dans le système de justice militaire concernant les cours martiales, est reconnu et respecté de la part de l’exécutif, assurant à la fois le maintien de la confiance du public et la confiance des personnes assujetties au CDM à l’égard de l'impartialité judiciaire à titre de composante de l'indépendance judiciaire des juges militaires, et l’intégrité du système de justice militaire concernant la cour martiale.

[85]           Ceci dit, je suis conscient que la situation factuelle actuelle pourrait peut-être changer d’ici le début de la cour martiale du major Jacques, et si c’était le cas, cela ne l’empêche en rien de présenter une nouvelle requête en ce sens pour que cette question fasse l’objet à nouveau d’un débat et d’une nouvelle décision de cette Cour.

POUR TOUTES CES RAISONS, JE :

[86]     REJETTE la demande de la requérante.


Avocats :

Capitaine de corvette É. Léveillé, Service d’avocats de la défense, avocat du Major V.M.S. Jacques, la requérante

Lieutenant-colonel D.G.J. Martin et major H. Bernatchez, représentants du directeur des poursuites militaires, avocats de l’intimée

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