Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 10 février 2020

Endroit : Base de soutien de la 2e Division du Canada Valcartier, bâtisse CC-119, salle 123, rue Casgrain, Courcelette (QC)

Chef d’accusation :

Chef d’accusation 1 : Art. 130 LDN, agression sexuelle.

Résultats :

VERDICT : Chef d’accusation 1 : Coupable.
SENTENCE : Emprisonnement pour une période de 18 mois.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. Thibault, 2021 CM 5016

 

Date :  20210226

Dossier :  201944

 

Cour martiale permanente

 

Base de soutien de la 2e Division du Canada Valcartier

Garnison Valcartier (Québec), Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Sergent A.J.R. Thibault, contrevenant

 

 

En présence du : Capitaine de frégate C.J. Deschênes, J.M.


 

Restriction à la publication : Par ordonnance de la Cour rendue en vertu de l’article 179 de la Loi sur la défense nationale et de l’article 486.4 du Code criminel, il est interdit de publier ou de diffuser de quelque façon que ce soit tout renseignement permettant d’établir l’identité de la victime.

 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Oralement)

 

Introduction

 

[1]               Le sergent Thibault a été trouvé coupable le 18 février 2020 d’une infraction punissable au terme de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale (LDN), soit d’avoir agressé sexuellement le caporal A.B.G. le 20 août 2011, à Sainte-Catherine, province de Québec et ce, contrairement à l’article 271 du Code criminel. La Cour doit maintenant imposer une peine juste et appropriée, proportionnée aux circonstances de l’affaire et à la situation du contrevenant, en conformité avec les principes de détermination de la peine tels qu’établis dans la LDN.

 

Faits

 

L’agression sexuelle

 

[2]               Bien qu’il ne la connaissait pas à l’époque, le sergent Thibault croisait occasionnellement la victime à la Base de soutien de la 2e Division du Canada Valcartier lors de la montée en puissance en 2010 pour un déploiement en Afghanistan. C’est à la suite de son déploiement, soit lors de son bref séjour à Chypre à la fin juin 2011, que le sergent Thibault et la victime ont eu l’occasion de faire connaissance et de socialiser lors de soirées bien arrosées. Par la suite, soit entre son retour au pays à la fin juin 2011 et le 19 août 2011, le sergent Thibault a communiqué avec la victime à deux ou trois reprises via messages textes.

 

[3]               Le 19 août 2011, le sergent Thibault a invité la victime à le rejoindre chez sa cousine, Mme Montpetit, car il était dans la région et aidait cette dernière à déménager dans sa nouvelle résidence à Sainte-Catherine, Québec. La victime a accepté et s’est présentée chez Mme Montpetit tard en soirée. Le sergent Thibault était déjà en train de consommer des boissons alcoolisées avec sa cousine, le conjoint de cette dernière, M. Laperle et une amie de ceux-ci. La victime s’est jointe au groupe et elle a consommé des boissons alcoolisées tout en socialisant avec le contrevenant et les autres et ce, pendant quelques heures. 

 

[4]               Plus tard dans la soirée, la victime a fait plusieurs tentatives infructueuses de trouver une façon de se rendre dans les boîtes de nuit accompagnée du sergent Thibault, car ni elle ni le contrevenant, n’étaient en état de conduire. Elle a même contacté le répartiteur de la police militaire pour voir si un véhicule de patrouille pouvait passer les prendre car aucun des appels aux compagnies de taxi ne lui ont permis d’obtenir le transport recherché.

 

[5]               Vers deux heures du matin, les participants à la soirée ont décidé d’aller se coucher. Puisqu’il était trop tard pour se rendre dans les boîtes de nuit, il a été convenu que le contrevenant et la plaignante passeraient la nuit à la résidence de Mme Montpetit. La victime a accepté de dormir aux côtés du sergent Thibault sur un matelas gonflable au sol, dans le salon. À ce moment, elle était intoxiquée et se sentait malade.

 

[6]               La victime s’est endormie rapidement, seule sur le matelas, toute habillée. Le contrevenant s’est allongé à côté d’elle et s’est mis à la toucher. La victime a enlevé la main de ce dernier et a exprimé son refus de participer à quelques activités sexuelles que ce soit. Malgré le refus de la victime, le sergent Thibault a eu entre deux à trois rapports sexuels avec elle, incluant des pénétrations vaginales, sur une période de deux à trois heures. Aucun condom n’a été utilisé pendant les actes sexuels.

 

Cheminement du dossier

 

[7]               Le cheminement de ce dossier est particulier. En effet, l’agression sexuelle s’est déroulée il y a presque dix ans. Malgré une plainte relativement contemporaine à l’agression, le procès par cour martiale sur le fond de l’affaire ne s’est déroulé qu’en février 2020. La Cour s’est penchée sur le cheminement quelque peu unique du dossier et les délais causés par celui-ci afin de déterminer si ces particularités devaient être considérées dans le cadre de la détermination de la peine.

 

Le traitement de la plainte

 

[8]               La plainte de la victime a été portée aux autorités civiles le 16 janvier 2012. En novembre 2012, la victime et le sergent Thibault ont été informés de la décision du Directeur des poursuites criminelles et pénales qu’aucune accusation ne serait portée dans ce dossier. Vers le 30 novembre 2012, la plainte a été rapportée à la police militaire et en janvier 2013, le sergent Thibault apprenait faire l’objet d’une enquête par la police militaire relativement à la plainte d’agression sexuelle. Le contrevenant était accusé en octobre 2013 par les autorités militaires. La mise en accusation était prononcée le 19 juin 2014.

 

La judiciarisation du dossier

 

[9]               La cour martiale pour juger le sergent Thibault était convoquée le 12 janvier 2015. La Cour était subséquemment saisie d’une requête en fin de non-recevoir de l’accusé aux termes de l’article 112.24 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC). Le 12 janvier 2015, elle mettait fin à l’instance en accueillant la requête dans R. c. Thibault, 2015 CM 1001, parce qu’en application de l’état du droit de l’époque, la Cour déterminait que l’affaire ne relevait pas de la compétence des tribunaux militaires à cause de l’insuffisance du lien entre les faits de la cause et le service militaire.

 

Pourvois en appel

 

[10]           Cette décision était portée en appel par le ministre. Le sergent Thibault demandait par voie de requête, la cassation des appels, alléguant que le pouvoir du ministre d’interjeter appel à la Cour d’appel de la cour martiale (CACM) en vertu de l’article 230.1 de la LDN viole l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. La CACM rejetait les requêtes en cassation, mais convenait qu’il y avait lieu d’invalider l’article 230.1 parce qu’il violait le droit à un poursuivant indépendant. Le dossier était porté en appel à la Cour suprême du Canada (CSC). Dans R. c. Cawthorne, 2016 CSC 32, la CSC rejetait la requête en cassation et décidait que l’article 230.1 de la LDN était constitutionnel.

 

[11]           Des appels subséquents devant la CACM, dont certains concernaient le dossier du sergent Thibault puisqu’il devait répondre d’une accusation portée au terme de l’article 130 de la LDN, donnaient lieu à deux décisions dont le résultat était divergent. La CSC tranchait le débat en juillet 2019 dans R. c. Stillman, 2019 CSC 40, établissant que lorsqu’une infraction civile grave est jugée comme une infraction d’ordre militaire suivant l’alinéa 130(1) a) de la LDN, elle peut être considérée comme une « offence under military law » et entraîner par le fait même l’application de l’exception militaire prévue à l’al. 11f de la Charte. En d’autres termes, la CSC décidait que l’alinéa 130(1) de la LDN n’était pas incompatible avec l’alinéa 11f) de la Charte. Cette décision faisait en sorte que la cause du sergent Thibault pouvait procéder par procès devant la cour martiale.

 

Procès devant la cour martiale

 

[12]           À la suite de cette décision, l’administratrice de la cour martiale (ACM) a signé un ordre de convocation le 15 novembre 2019 pour le procès par cour martiale du sergent Thibault prévu du 10 au 21 février 2020, à Valcartier, Québec. Avant cette date, aucun procès ne s’était tenu pour entendre la preuve au soutien de la plainte portée contre le sergent Thibault.

 

[13]           Le 28 janvier 2020, l’ACM recevait la signification d’une requête pour arrêt des procédures « vu les délais et l’abus des procédures en vertu des articles 7 et 11d) et 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés ». Le matin du procès, le 10 février 2020, la défense retirait sa requête. Le procès a débuté et le sergent Thibault était trouvé coupable d’agression sexuelle le 18 février 2020.

 

Procédures après la condamnation

 

[14]           À la suite du verdict de culpabilité, il y a eu plusieurs demandes d’ajournement de longue durée de la part de la défense. Le premier ajournement de trois mois, accordé par la Cour, concernait une demande pour l’obtention d’un rapport présentenciel. Dans l’intervalle, un délai additionnel d’environ trois mois causé par la crise sanitaire liée à la COVID-19 s’est ajouté. La continuation du procès aux fins de détermination de la sentence était prévue le 10 août 2020. Le 9 juillet 2020, la défense signifiait une « REQUÊTE POUR ARRÊT DES PROCÉDURES VU UNE DÉCLARATION DE CULPABILITÉ PAR UN TRIBUNAL QUI N’EST PAS INDÉPENDANT, IMPARTIAL ET ÉQUITABLE EN VERTU DE L’ARTICLE 11D) [sic] DE LA CHARTE CANADIENNE DES DROITS ET LIBERTÉ [sic». Une nouvelle requête était substituée à la première en septembre 2020 et la défense demandait, dans la même foulée, la récusation de la soussignée d’entendre ses requêtes. Lors d’une audition en octobre 2020, une demande d’ajournement de 53 jours était accordée à la défense afin que celle-ci puisse préparer sa demande de récusation en bon et due forme. Pendant cette période, des procédures parallèles à ce dossier en lien avec la demande de récusation étaient déposées à la Cour fédérale.

 

[15]           Le 14 décembre 2020, dans Thibault c. Canada (Directeur des poursuites militaires), 2020 CF 1154, la Cour fédérale rejetait la demande provisoire du sergent Thibault. Le 21 décembre 2020, une audition devant la cour martiale avait lieu pour entendre la demande de récusation. Après avoir entendue la preuve et les plaidoiries, la Cour informait les parties qu’elle rendrait sa décision le 14 janvier 2021. Le 12 janvier 2021, le contrevenant transmettait à l’administratrice de la cour martiale un avis de requête pour déposer de la preuve nouvelle sur la requête en récusation. Des décisions de cette Cour rendues en janvier 2021 rejetaient les demandes soumises par la défense. Le procès s’est donc poursuivit en février 2021.

 

Question en litige

 

[16]           La Cour doit maintenant déterminer et imposer une peine juste et proportionnelle, eu égard aux circonstances de l’affaire et à la situation du contrevenant. En particulier, la Cour doit déterminer si le cheminement particulier du dossier, et les délais que cela a occasionné, doivent avoir une influence sur la peine du sergent Thibault.

 

Positions des parties

 

Poursuite

 

[17]           Rappelant les principes de détermination de la peine, la poursuite recommande une peine d’emprisonnement de trente-six mois jumelée à une destitution ignominieuse, ainsi qu’une ordonnance d’interdiction pour possession d’arme pour une période de dix ans. Elle demande aussi une ordonnance émise en vertu de l’article 196.11 de la LDN, car au terme de l’article 487.04 du Code criminel, une agression sexuelle est une infraction primaire, puisque punissable en application de l’article 130 de la LDN. Elle demande également l’application des dispositions quant à l’enregistrement des délinquants sexuels.

 

[18]           Elle explique que les circonstances de la commission de l’infraction implique qu’il s’agissait d’une agression sexuelle majeure tel que défini dans les arrêts R. c. Royes, 2014 CACM 10 et R. v. Arcand, 2010 ABCA 363, la dernière étant une décision-clé de la cour d’appel de l’Alberta, car elle fournit une analyse détaillée des principes de la détermination des peines au terme du Code criminel. Puisque l’agression sexuelle dont le sergent Thibault a été trouvé coupable s’est déroulée sur plusieurs heures, qu’elle a été commise sur une sœur d’arme pendant que celle-ci dormait, et impliquait des pénétrations vaginales, de plus sans protection, la poursuite soutient que la dissuasion générale est l’objectif le plus important dans le cadre de la détermination de cette peine, avec les objectifs de dénonciation et de dissuasion spécifique. Se fondant en grande partie sur la décision de R. v. Shrivastava, 2019 ABQB 663, un cas d’agression sexuelle commise dans des circonstances fort semblables, la poursuite explique qu’une preuve de bonne réputation du contrevenant avait été rejetée par la Cour, en l’absence d’introspection de la part du contrevenant.

 

[19]           La poursuite a expliqué la fourchette des peines applicable par les cours civiles albertaines pour ce type d’infraction, qui varie de trois à cinq ans, reconnaissant que la jurisprudence des cours provinciales ne lie pas la cour martiale, mais que dans les décisions de cour martiale de R. c. Royes, 2013 CM 4034 et R. v. McGregor, 2019 CM 4016, une peine d’emprisonnement de trente-six mois avait été imposée, combinée dans le cas de McGregor avec une destitution ignominieuse. La poursuite soumet que la cause de R. c. Rivas, 2011 CM 2012 doit être distinguée de la cause en l’espèce puisqu’il s’agissait d’une soumission conjointe trop clémente qui a été rejetée par le juge militaire. Dans ce cas, le juge militaire, n’ayant pas eu le bénéfice de preuve et de représentations adéquates, avait imposé une peine d’emprisonnement de neuf mois. Ce cas jurisprudentiel unique ne devrait pas représenter le point de départ de la fourchette des peines pour une accusation d’agression sexuelle de ce type.

 

[20]           La poursuite demande à la Cour de tenir compte des circonstances aggravantes suivantes : la gravité objective du crime, le préjudice subi par la victime, tant physique qu’émotif, et le fait que la victime dormait lors de l’agression alors qu’elle était entourée d’étrangers qui étaient associés de près ou de loin au sergent Thibault. La victime était vulnérable, et ne pouvait pas appeler à l’aide. De plus, la nature, fréquence et durée de l’agression, le fait que le sergent Thibault n’a pas porté de condom, exposant la victime à un risque de maladie transmissible sexuellement ou à une grossesse, et que le sergent Thibault a violé l’intégrité physique d’une sœur d’arme, abusant sa confiance, constituent aussi des facteurs aggravants la peine. La poursuite a également considéré, lors de la détermination de sa recommandation à la Cour pour l’imposition d’une peine appropriée, que le contrevenant n’avait aucun antécédent judiciaire exception faite d’une condamnation non liée, et qu’il a démontré un bon rendement et une contribution positive au sein des Forces armées canadiennes (FAC), par exemple parce qu’il a déployé à trois reprises.

 

[21]           La poursuite explique que les circonstances suivantes ne devraient pas être considérées, mais que si elles le sont, elles ont un poids minime : la bonne réputation du contrevenant, notamment qu’il a un lien étroit avec sa famille et qu’il a une vie stable ne démontrant aucun abus de substances. Deuxièmement, les conséquences indirectes de l’incarcération du contrevenant sur ses proches ne devraient pas faire abstraction du principe de proportionnalité; ce principe doit prévaloir sur celui des conséquences indirectes de la peine. De plus, le stigma associé aux procédures et à l’imposition de la peine constitue une conséquence normale et naturelle. Même si la Cour décide de considérer cet aspect, les conséquences indirectes de la peine sur les proches du contrevenant sont minimes, car il existe un lien familial fort; il y a en place, même en l’absence du contrevenant, un soutien familial et financier pour supporter la famille immédiate du sergent Thibault. En troisième lieu, la poursuite soumet qu’il n’y a rien de particulier qui exigerait la considération du passage du temps depuis le prononcé de l’accusation, puisque les parties ont exercés leur droit d’appel. De plus, même si le sergent Thibault mène une vie exemplaire depuis la commission de l’infraction, il n’a démontré aucun remord, au contraire, il nie toujours avoir commis l’infraction. L’aspect du temps qui s’est écoulé depuis le prononcé de l’accusation est donc sans effet et la Cour ne devrait pas en tenir compte. Finalement, l’opinion de l’expert n’est pas convaincante et doit, en conséquence, être examinée avec circonspection.

 

Défense

 

[22]           La défense quant à elle, rappelant les causes de R. c. Lacasse, 2015 CSC 64 et R. c. Lévesque, 2020 CM 5014, explique que c’est le principe de proportionnalité qui est le plus important. Elle soumet que sa preuve visait à présenter à la Cour le sergent Thibault, à travers les témoignages de supérieurs, de subordonnées, et des femmes qui l’entourent. Acceptant que les objectifs de dissuasion et dénonciation doivent être priorisés, la défense soutient qu’il n’existe aucun besoin de privilégier l’objectif de dissuasion spécifique. En effet, le sergent Thibault traite les femmes avec respect, et la commission de l’infraction était un comportement qui ne lui ressemble pas.

 

[23]           La défense énumère à titre de facteurs atténuants l’absence d’antécédent judiciaires et le fait que le procureur du Directeur des poursuites criminelles et pénales a décidé de ne pas prononcer de mise en accusation, donnant lieu à une enquête par les autorités militaires. Elle explique aussi qu’il y a amplement de preuve faisant foi de la bonne réputation du contrevenant. Elle prétend de plus que, puisque le sergent Thibault connaissait la victime, il devrait être puni moins sévèrement qu’un agresseur qui était étranger à la victime. S’ajoute à cela que l’agression s’est déroulée à l’extérieur de la base militaire.

 

[24]           Elle soutient que, puisque les faits au soutien du rapport du psychologue ont été prouvés, le contrevenant n’ayant rien caché au psychologue lors de sa rencontre avec lui, et qu’aucune contre-expertise n’a été soumise par la poursuite, la Cour doit accepter la conclusion du psychologue à l’effet que le sergent Thibault fait partie de la catégorie des contrevenants présentant le taux de récidive le plus bas qui soit. Toujours se rapportant au rapport, la défense soutient que le sergent Thibault démontre une attitude respectueuse envers les femmes.

 

[25]           Se référant à la Loi sur le divorce, la défense a expliqué que les conséquences indirectes sur les enfants du contrevenant doivent être considérées lors de la détermination de la peine. Elle recommande une incarcération de 9 à 12 mois. Une incarcération plus longue risque de bouleverser leur vie, car le fardeau financier sur la famille serait insurmontable.

 

[26]           La défense soutien de plus, que le cheminement particulier du dossier, et les délais y afférents, n’étaient pas causé par les choix du contrevenant. Cet état de cause aurait pu être évité par un acteur étatique. La défense prétend que, bien qu’il ne s’agisse pas d’une violation à l’al 11b) de la Charte, lorsque les délais sont injustifiés à la suite de la conduite répréhensible d’un membre de l’État, la Cour doit en tenir compte pour atténuer la peine.

 

[27]           Finalement, la défense recommande que le sergent Thibault purge sa peine dans un établissement civil puisque la preuve démontre que la prison provinciale locale est sécuritaire dans le contexte de la COVID-19 et que sa famille vit tout près. La défense s’oppose à une ordonnance au terme de l’article 147.1 de la LDN, car il n’y a aucune indication au dossier que cela est nécessaire afin d’assurer la protection du public.

 

La preuve

 

[28]           Dans le cadre de la procédure de détermination de la peine, en conformité avec l’article 112.51 des ORFC, la poursuite a déposé en preuve la documentation énumérée à l’article 111.17 des ORFC. Dans le document intitulé « Points pertinents des états de service de l’accusé » daté du 4 février 2020, le commandant du contrevenant fait l’éloge du leadership, des compétences et du potentiel du sergent Thibault.

 

[29]           La victime a préparé une déclaration en conformité avec le paragraphe 203.6 (1) de la LDN. Cette disposition établit que, pour déterminer la peine à infliger au contrevenant, la cour martiale prend en considération la déclaration de toute victime sur les dommages ou les pertes qui lui ont été causés par la perpétration de l’infraction. La victime a choisi de lire sa déclaration en cour, expliquant l’étendue du préjudice qu’elle a subie en lien avec l’agression sexuelle. La poursuite a aussi déposé un article de juillet 2008 du Dr Hanson intitulé : « Le déni constitue-t-il toujours un problème pour les délinquants sexuels? ».

 

[30]           La défense a déposé un sommaire conjoint des faits ainsi que six rapports d’appréciation du personnel couvrant les périodes du 1er avril 2015 au 31 mars 2020. Ces rapports dénotent un rendement professionnel remarquable. La défense a aussi déposé un affidavit de Mme Nadeau, technicienne juridique aux Services d’avocat de défense, datée du 18 février 2021 avec une annexe de 46 pages puisée sur le site du gouvernement du Québec à la même date. L’annexe illustre la situation québécoise liée à la COVID-19. La Cour note que la région de Québec est l’une des régions qui a le plus haut taux d’infection de la province, mais qu’en milieu carcéral, le taux est relativement bas et que des mesures strictes sont prises afin de limiter la propagation du virus dans ce milieu. La défense a aussi déposé un document confectionné avec le programme Excel, qui fournit le budget mensuel de la famille pour 2020. La défense a déposé une copie de l’ordre d’Opération HONOUR du Chef d’état-major de la Défense datée du 14 août 2015.

 

[31]           À la suite de la qualification de son témoin expert en psychologie légale, en particulier dans les domaines de la dangerosité et risques de récidive, la défense a déposé en preuve le rapport du psychologue, M. Marc-André Lamontagne. Dans son témoignage, M. Lamontagne a expliqué que la confection de son rapport est fondée sur une rencontre qui s’est tenu en décembre 2020 avec le sergent Thibault, rencontre qui a duré trois heures et demie, ainsi que sur des notes fournies par le contrevenant et ses avocats. 

 

[32]           La défense a aussi fait entendre les témoins suivants : Mme Marie-Christine Coté, ex-conjointe du contrevenant et mère de leur enfant de six ans, S.; Mme Melissa Guillemette, une amie proche et marraine de S.; le lieutenant de vaisseau Cédric Bernard, aumônier; le lieutenant de vaisseau Guérette-Gauthier, commandant de peloton du contrevenant en Lettonie en 2019 ainsi qu’au retour en 2020; le lieutenant Bourque-Jutras, commandant de peloton actuel; le soldat Alicia Gagné, subalterne et partenaire d’entraînement de boxe; Mme Jocelyne Houle, mère du sergent Thibault; et finalement, Mme Audrey Deslauriers, conjointe et mère de leur plus jeune fils. Les témoins qui étaient les supérieurs du contrevenant, ainsi que ceux qui étaient ses subalternes, ont parlé du sergent Thibault en décrivant son comportement continuellement respectueux, son dévouement pour les FAC, son professionnalisme, son leadership notamment en tant que mentor, et son rendement exceptionnel. N’eut été des procédures contre lui, il aurait été nominé pour assister à la formation pour adjudants. Les membres de sa famille qui ont témoigné ont tous rapportés avoir des liens familiaux forts avec le sergent Thibault : il a été décrit comme étant un père aimant, un modèle pour son fils de six ans. Le sergent Thibault est très présent dans la vie de ses enfants et de sa famille. Il est le soutien financier et émotif; il a été rapporté d’ailleurs qu’une longue incarcération aurait des effets importants sur sa famille. Certains d’entre eux ont témoigné qu’une incarcération éventuelle à la Caserne de détention et prison militaire des Forces canadiennes (CDPMFC) à Edmonton les empêcheraient de visiter le contrevenant, vu les coûts prohibitifs reliés au transport, ainsi que le contexte de la pandémie.

 

[33]           Finalement, la Cour a pris connaissance judiciaire des faits et des questions énumérés aux articles 15 et 16 des Règles militaires de la preuve à la demande et du consentement des parties, en particulier la situation liée à la COVID-19, tel que les restrictions imposées par le gouvernement du Québec visant à prévenir la propagation du virus.

 

Observations du contrevenant

 

[34]           Le sergent Thibault a fait des observations à la Cour avant son délibéré. Il a imploré la Cour de penser à sa famille, en particulier à ses jeunes enfants, lors de la détermination de sa peine.

 

Analyse

 

Principes applicables dans le cadre de la détermination de la peine

 

[35]           La détermination de la peine est un processus individualisé. La LDN établit les objectifs et principes que la Cour doit appliquer lors de ce processus. Les objectifs essentiels de la détermination de la peine sont de favoriser l'efficacité opérationnelle des Forces armées canadiennes en contribuant au maintien de la discipline, de la bonne organisation et du moral, et de contribuer au respect de la loi et au maintien d'une société juste, paisible et sûre.

 

[36]           L’atteinte de ces objectifs se fait par l’infliction d’une peine qui vise l’un ou plusieurs objectifs énumérés dans la Loi, tel que la dénonciation, la dissuasion et la réinsertion sociale. L’importance relative accordée à chacun des objectifs variera en fonction des circonstances de l’affaire et de la situation du contrevenant.

 

[37]           Le principe fondamental est celui de la proportionnalité, c’est-à-dire que la peine doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du contrevenant. Ce principe se doit d’être la préoccupation principale de la Cour lorsqu’elle considère les autres principes de détermination de la peine, qui se veulent, de toute façon, complémentaires à ce principe fondamental.

 

[38]           À cet égard, la LDN spécifie que la peine doit être adaptée aux circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration de l’infraction ou à la situation du contrevenant. Dans le cas d’agression sexuelle, le préjudice causé à la victime revêt une grande importance dans la mesure des facteurs aggravants. La Cour doit aussi considérer le principe de l’harmonisation des peines, c’est-à-dire l’infliction de peines semblables à celles infligées à des contrevenants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables. Ce principe constitue un élément indispensable au principe de proportionnalité.

 

[39]           C’est la peine la moins sévère possible qui permet de maintenir la discipline, l'efficacité et le moral des Forces armées canadiennes qui doit être imposée. La Cour doit aussi tenir compte de son obligation, avant d'envisager une peine d’incarcération, d'examiner la possibilité de peines moins contraignantes lorsque les circonstances le justifient. Dans le cas d’agressions sexuelles majeures, ce principe est moins pertinent, puisque de façon générale, une peine d’incarcération s’imposera en application des autres principes de détermination de la peine. Finalement, les conséquences indirectes du verdict de culpabilité ou de la sentence doivent être prises en compte lors de la détermination de la peine.

 

Gravité de l’infraction

 

[40]           La Cour a considéré la gravité objective de l’accusation à laquelle le sergent Thibault a été reconnu coupable, infraction qui prévoit un emprisonnement maximal de dix ans. De plus, une agression sexuelle est catégorisée « majeure » lorsqu’une personne raisonnable pourrait conclure que l’agression sexuelle en question, de par sa nature ou caractère, entrainerait un préjudice psychologique ou émotif sérieux. J’accepte cette catégorisation de l’agression sexuelle visant à servir de guide au juge du procès, tel que l’a aussi accepté la cour martiale dans l’arrêt McGregor. Dans le cas en l’espèce, il s’agit effectivement d’une agression sexuelle majeure puisque l’agression impliquait des pénétrations vaginales qui a, de plus, duré plusieurs heures.

 

[41]           La jurisprudence a reconnu que, pour ce type de crime, la dénonciation et la dissuasion générale sont les objectifs qui devraient avoir préséance lors de la détermination de la peine. J’accepte, pour cette raison, et pour les raisons que j’expliquerai plus loin, que ce sont ces objectifs qui priment dans le cas présent. Néanmoins, cela ne veut pas dire que la Cour doit faire fi des autres objectifs, telle la réinsertion sociale du contrevenant. En effet, la détermination de la peine demeure un processus individualisé.

 

Facteurs aggravants 

 

[42]           En conséquence, les facteurs aggravants suivants ont été considérés :

 

a)                  la victime a subi, et subi encore, un préjudice considérable tant au niveau physique que psychologique. L’agression sexuelle a complètement bouleversé sa vie. Dans sa déclaration, elle a expliqué en détail ses souffrances psychologiques et émotionnelles depuis le 20 août 2011. La honte, l’anxiété, les terreurs nocturnes, les problèmes de sommeil et les crises de panique en présence d’autres personnes, qu’il s’agisse de membres de sa famille immédiate ou d’étrangers, continuent de l’affliger. Elle dit n’être plus la même. La détresse psychologique vécue lui a aussi causé des troubles physiques incapacitants. Elle a dû se médicamenter afin de pallier à ces maux, et a même été hospitalisé contre son gré. Elle a été libérée des FAC pour des raisons médicales et tente maintenant de reconstruire sa vie et sa santé;

 

b)                  la vulnérabilité de la victime lors de l’agression sexuelle. Elle était dans un endroit inconnu, parmi des étrangers, en état d’ébriété assez avancé qu’elle se sentait malade. De surcroit, elle était endormie lorsque les attouchements ont débuté, et a eu plusieurs blackouts ou trous de mémoire pendant l’agression. Elle était confinée, n’ayant pas la capacité de conduire et ayant échoué plus tôt dans ses tentatives de se trouver un transport pour aller dans les boîtes de nuit à une heure déjà avancée de la nuit;

 

c)                  la victime était une sœur d’arme que le sergent Thibault avait rencontrée dans un contexte militaire. Le contrevenant était la seule personne qui lui était familière ce soir-là, elle lui faisait confiance. Je n’accepte pas l’argument de la défense à l’effet qu’une agression sexuelle commise sur une victime que connaissait l’accusé est un facteur atténuant, pour plusieurs raisons. En particulier dans le contexte de la justice militaire, lorsqu’un membre des FAC commet une infraction contre un frère ou une sœur d’arme, il brise la confiance et l’esprit de corps qui existent entre les membres des FAC affectés directement ou indirectement par la conduite. La confiance est le fondement même d’une force armée efficace. Un tel bris de confiance serait susceptible d’influer sur le niveau général de moral, de discipline et d’efficacité des forces armées. Voir Stillman, R. c. Moriarity, 2012 CM 3022 et R. c. Généreux, [1992] 1 RCS 259 qui rappellent l’importance du maintien de la discipline; et

 

d)                  finalement, le fait que le sergent Thibault n’a pas utilisé de condom ou autre mesure de protection contre les maladies transmissibles sexuellement et pour prévenir les grossesses. Cet aspect a été reconnu par la jurisprudence comme étant un facteur aggravant.

 

[43]           S’appuyant sur l’arrêt Shrivastava, la poursuite a mentionné l’absence de remords du sergent Thibault comme facteur aggravant la peine puisque le contrevenant continue de nier avoir commis l’infraction. Dans Shrivastava, reconnaissant effectivement que le remords est un facteur atténuant tandis que l’absence de remords ne constitue généralement pas un facteur aggravant la peine, la Cour du Banc de la Reine avait rejeté le remords comme facteur atténuant. En effet, la preuve était douteuse quant à l’existence de remords sincères chez le contrevenant, puisque la conclusion de l’officier de probation était à l’effet que le contrevenant minimisait le rôle qu’il avait joué dans la commission de l’agression sexuelle. Toutefois, le juge dans cette affaire avait précisé ce qui suit :

 

[48]         Lack of remorse may still play a role in sentencing. It can show an offender’s “continued indifference to the plight of his or her victims”, and a “hardened attitude towards one’s victims is more blameworthy than a temporary lapse in judgment”. Lack of remorse may be relevant in assessing an offender’s future dangerousness. However, an offender’s choices about conducting his or her defence must not be equated with lack of remorse, and must not be used to aggravate the sentence.
[Citation omise.]

 

[44]           À mon sens, cette décision n’établit pas qu’à chaque fois qu’un contrevenant nie la commission de son crime, l’absence de remord doit être pris en compte comme facteur aggravant car le risque de récidive est plus élevé. Une telle conclusion risquerait d’imposer au juge une obligation de ne pas tenir compte de la situation du contrevenant dans son entièreté, et donc de s’éloigner de l’objectif de réinsertion sociale dans tous les cas où le contrevenant nie avoir commis le crime. Le choix du contrevenant quant à sa défense au procès ne peut de toute façon pas constituer la preuve d’absence de remords pouvant être utilisé contre lui pour alourdir sa peine. L’arrêt Shrivastava confirme ce dernier aspect et fait état de la considération discrétionnaire très limitée de la preuve d’absence de remords lors de la détermination de la peine.

 

Facteurs atténuants

 

[45]           La LDN prévoit que les facteurs atténuants présents dans le dossier doivent aussi être considérés lors de la détermination d’une peine juste et proportionnée. En tenant compte des facteurs atténuants, la Cour tient à préciser que ceux-ci ne viennent en rien minimiser la gravité de l’infraction ou nier le préjudice significatif causé à la victime. Ces facteurs viennent plutôt mitiger la peine. Dans cette affaire, les facteurs atténuants suivants ont été identifiés :

 

a)                  le jeune âge et le grade junior du sergent Thibault à l’époque de la commission de l’infraction. La preuve indique qu’il démontrait à l’époque une certaine immaturité et de l’impulsivité. L’intoxication du contrevenant a pu affecter son jugement ce soir-là;

 

b)                  le sergent Thibault n’a aucun antécédent criminel pertinent à l’infraction visée par la peine. La condamnation de 2010 n’a pas été considérée car elle portait sur une infraction non-reliée à l’infraction présente;

 

c)                  les témoins de la défense, qui ont fait une forte impression sur la Cour, ont tous rapportés que le sergent Thibault est un individu respectueux, professionnel, un mentor dévoué et un soldat d’une grande valeur. La poursuite a demandé à la Cour de ne pas considérer cette preuve de bonne réputation du contrevenant afin d’atténuer sa peine. La Cour a toutefois accepté cette preuve soumise par la défense qui démontre que le contrevenant a, depuis que la plainte a été portée, un rendement professionnel exceptionnel; en effet, il a été promu à deux reprises, avec le potentiel d’une troisième promotion. Il sert d’ailleurs toujours dans les FAC; et

 

d)                  le cheminement particulier du dossier et les délais que cela a causé. A moins qu’une violation aux droits d’un accusé d’être jugée dans un délai raisonnable soit reconnue, les délais ne constituent que très rarement un facteur atténuant. Bien que je rejette avec vigueur la suggestion de la défense à l’effet que des représentants de l’État ont eu une conduite qui pouvait équivaloir à une conduite répréhensible, la Cour ne peut faire abstraction du passage du temps causé par le cheminement de ce dossier, en particulier à une époque où il régnait une incertitude juridique quant à la compétence de la cour martiale de juger cette affaire. En effet, à la suite de la décision du Directeur des poursuites criminelles et pénales de ne pas donner suite à la plainte, le dossier a été pris en charge par la police militaire. Après le prononcé de la mise en accusation, une cour martiale était convoquée pour entendre cette cause. C’est en janvier 2015 que la Cour mettait fin à l’instance, puisqu’elle jugeait ne pas avoir compétence pour entendre la cause, vu son absence de lien de connexité avec les FAC. C’était l’état du droit à l’époque, et cela signifiait pour le contrevenant que le dossier était clos. Le ministre a porté appel de cette décision, ajoutant le dossier au flot d’appels causé par des contestations constitutionnelles, notamment quant à la compétence de la cour martiale de juger ce type d’infraction dans les circonstances. Subséquemment, le dossier a fait l’objet de deux décisions de la CSC, causant des délais additionnels, pour un total de neuf ans depuis la plainte originale, plainte qui a été portée quelques mois après la commission de l’infraction.

 

[46]           Les délais entre la commission de l’infraction et la déclaration de culpabilité peuvent être considéré dans le contexte d’une agression sexuelle comme facteur d’atténuation selon le comportement du contrevenant (par exemple, l’âge du contrevenant, son intégration sociale et professionnelle, la commission d’autres infractions, etc.) tel que mentionné dans l’arrêt R. c. L. (J.J.), 1998 CanLII 12722 (QC CA). Voir aussi R. c. Royes, 2013 CM 4034, qui réfère à ces critères.

 

[47]           Puisque la majeure partie des délais ont été causées par l’incertitude juridique qui régnait à l’époque, entraînant des appels à la plus haute cour du pays et ce, à deux reprises et, eu égard aux circonstances spécifiques au sergent Thibault, en particulier son rendement exceptionnel depuis la commission de l’infraction, la Cour a tenu compte de ses délais comme facteur atténuant dans la détermination d’une sentence juste et proportionnée. Toutefois, les délais subséquents au prononcé du verdict de culpabilité dont la grande partie était, de toute façon, imputable à la défense, n’ont pas été considérés à juste titre. 

 

Conséquences indirectes de la peine

 

[48]           En outre, la LDN  exige que les conséquences indirectes reliées à la condamnation soient aussi pris en compte lors de la détermination de la peine. À cet égard, depuis la plainte portée en 2012, le sergent Thibault a fondé une famille. Il est maintenant père de deux jeunes enfants. Il fournit une aide financière mensuelle à son ex-conjointe afin de subvenir aux besoins de leur enfant de six ans. Il exerce des droits de visite pour voir son enfant en raison de trois fins de semaine sur quatre. L’enfant réside maintenant avec sa mère à Trois-Rivières. Cet enfant a un besoin particulier d’avoir une figure paternelle régulière dans sa vie. 

 

[49]           Sa conjointe actuelle a témoigné du soutien émotif, financier et logistique que le sergent Thibault apporte à sa famille, en particulier pour leur enfant de 11 mois. La perte de sa solde dans un avenir rapproché, advenant l’imposition d’une peine de destitution, aurait des conséquences désastreuses sur la jeune famille, tel que le révèle le budget familial mensuel déposé en preuve. De surcroit, une incarcération prolongée, purgée à la CDPMFC à Edmonton, amplifierait les conséquences néfastes sur la famille tant au niveau affectif qu’au niveau financier, en particulier pour les enfants du contrevenant qui, à cause de la COVID-19, ont vu déjà les rencontres en présentiel limitées avec la famille étendue, spécifiquement avec leurs grands-parents qui vivent à plus de quatre heures de route du domicile familial du contrevenant. De plus, même si la Cour n’imposait pas de destitution ignominieuse, le sergent Thibault risque d’être libéré des FAC en raison du verdict de culpabilité.

 

[50]           Contrairement à la décision Shrivastava, il ne s’agit pas de considérer uniquement comme conséquences indirectes au verdict ou à l’imposition de la peine, la perte de réputation ou de carrière future. La preuve au dossier permet plutôt de conclure qu’une peine constituée d’une longue période d’incarcération, ou d’une destitution des FAC, risque d’avoir des conséquences financières et émotives significatives sur le contrevenant et sa jeune famille. Ceci dit, la considération des conséquences indirectes lors de la détermination de la peine ne doit pas dominer ou remplacer le principe fondamental de proportionnalité; malgré les conséquences lourdes qui peuvent découler de la peine, cette dernière doit être proportionnelle.

 

Situation du contrevenant

 

[51]           Quant à la situation du contrevenant, ce dernier a trente-six ans. Il a joint les FAC le 24 juillet 2002 et sert comme fantassin. Il a été déployé en Lettonie de janvier 2019 à juillet 2019, et à Kandahar en Afghanistan à deux reprises, (soit de juillet 2007 à février 2008 et de novembre 2010 à juin 2011). Il a un antécédent sur sa fiche de conduite datant du 27 mai 2010 pour ne pas avoir vérifié ses munitions. Il est récipiendaire d’une Mention élogieuse du commandant en chef à l’intention des unités. Au cours de sa carrière, il s’est vu décerné des médailles et décorations suivantes : l’Étoile de campagne générale – Asie du Sud-Ouest plus deux barrettes de rotation, la Médaille du service spécial de l’OTAN et la Décoration des Forces canadiennes.

 

Risque de récidive

 

[52]           Afin d’évaluer le risque de récidive du contrevenant, la Cour a considéré que le rapport du psychologue était en partie basé sur des déclarations qui ont été rapportées par le contrevenant à l’expert sur des faits dont il n’a fourni aucun témoignage en cour. Le rapport est aussi fondé sur des documents préparés par des tiers, tel que des notes au dossier, mais qui n’ont pas été déposés en cour.

 

[53]           Néanmoins, M. Lamontagne a témoigné au procès avoir tenu compte de ces faiblesses lorsqu’il a complété son rapport, en reconnaissant que la qualité de l’évaluation est conditionnelle aux faits fournis par le sujet, étant donné que celui-ci ne dit peut-être pas la vérité, ou est biaisé. En supplément, malgré que le sergent Thibault dénie la commission de l’infraction, M. Lamontagne l’a évalué comme une personne ayant commis l’agression sexuelle tel que relaté dans le jugement le trouvant coupable. Finalement, les témoins de la défense, en particulier les membres de la famille du contrevenant, ont comblés certaines lacunes factuelles. La Cour accepte que les faits sur lesquels l’expert s’est appuyé quant à sa conclusion portant sur le risque de récidive peu élevé du contrevenant ont été mis en preuve dans le cadre de la détermination de la peine. La défense a établi, par prépondérance de preuve, que le risque de récidive du sergent Thibault est minime.

 

Harmonisation des peines

 

[54]           Reconnaissant que la cour martiale n’y est pas liée, tel que le rappelait la cour martiale dans McGregor, la poursuite présente des arguments persuasifs quant à la fourchette des peines établies par la cour albertaine qui pourrait servir à guider cette cour martiale dans son application du principe de l’harmonisation des peines. A ce titre, la cour d’appel de l’Alberta établissait dans la décision Arcand que, dans le cas d’agression sexuelle majeure, une peine de trois ans d’emprisonnement constituait le point de départ de la détermination de la peine pour cette catégorie de crime. Des facteurs aggravants peuvent augmenter la peine au-delà de trois ans, tandis que la présence de facteurs atténuants peut l’alléger. Dans cette décision, le contrevenant Arcand était condamné à une peine d’emprisonnement de deux ans moins un jour.

 

[55]           Hors, bien que les circonstances de la commission de l’infraction et la situation du contrevenant de la décision de Shrivastava comportent certaines similarités, et bien que le principe de la proportionnalité de la peine demeure le principe fondamental de la détermination de la peine au sein des tribunaux militaires, adopter le point de départ établi par la cour albertaine sans considération aucune du système dans lequel cette Cour opère, reviendrait à soustraire celle-ci à sa fonction et statut de tribunal militaire. En d’autres termes, l’application mécanique, stricte et rigide du point de départ de trois ans de la fourchette des peines établies par les cours albertaines pour ce type d’infraction dans le contexte militaire a le potentiel de faire échec à l’application des principes statutaires qui lui sont uniques, par exemple quant à ce qui a trait à l’un des objectifs essentiels : « de favoriser l’efficacité opérationnelle des Forces canadiennes en contribuant au maintien de la discipline, de la bonne organisation et du moral » (article 203.1 de la LDN). Ce sont ces principes qui doivent guider la cour martiale, et non pas les décisions judiciaires qui n’ont pas à se soucier de ces considérations uniques.

 

[56]           Qui plus est, dans Lacasse, le juge Wagner (plus tard juge en chef), s'exprimant pour la majorité des juges, écrivait au paragraphe 53 au sujet du principe de proportionnalité en lien avec le principe de l'harmonisation de la peine:

 

La proportionnalité se détermine à la fois sur une base individuelle, c'est-à-dire à l'égard de l'accusé lui-même et de l'infraction qu'il a commise, ainsi que sur une base comparative des peines infligées pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables. L'individualisation et l'harmonisation de la peine doivent être conciliées pour qu'il en résulte une peine proportionnelle [citation omise]. 

 

[57]           Il poursuit au paragraphe 69 : Les fourchettes de peines ne sont que des lignes directrices et qu'« un outil parmi d'autres destinés à faciliter la tâche des juges d'instance ».

 

[58]           La CACM dans R. c. Darrigan, 2020 CACM 1, en comparant les principes de détermination de la peine des systèmes de justice civile et militaire, en fait des distinctions importantes. La Cour s’exprime comme suit, au paragraphe 26 de la décision:

 

[26] Je commencerai mon analyse en insistant sur l'importance d'un système de justice militaire distinct qui préserve la discipline, l'efficacité et le moral. Cette fonction est bien sûr essentielle au maintien des Forces armées canadiennes prêtes à intervenir pour la défense de la sécurité de notre pays. En toute déférence, l'attachement de la Couronne dans le présent appel au modèle civil de détermination de la peine ne tient pas compte du rôle fondamental des Forces armées canadiennes et du code disciplinaire qui lie ses membres.

 

[59]           Dans l'arrêt Stillman, les juges Moldaver et Brown, s'exprimant au nom de la majorité des juges, ont déclaré au paragraphe 36 que « [l]e système de justice militaire est donc conçu pour répondre aux besoins particuliers des troupes sur les plans de la discipline, de l'efficacité et du moral ».

 

[60]           En conséquence, bien qu’elle se soit informée des principes dégagés par les cours albertaines, cette Cour n’est pas liée par la fourchette de peines qu’elles ont établies. De toute évidence, cela ne veut pas dire que le crime d’agression sexuelle devrait être moins sévèrement puni lorsque le système de justice militaire en est saisi, bien au contraire. À cet égard, je fais mien ce que le juge militaire Perron a établi dans la décision Royes, qui concernait un caporal-chef condamné à trente-six mois d’emprisonnement pour avoir agressée sexuellement une soldate dans ses quartiers:

 

[33] Une agression sexuelle comme celle que vous avez commise est un crime répugnant aux yeux de la société canadienne, mais le fait de commettre une agression sexuelle comme celle-ci est un crime encore plus odieux dans le contexte militaire et il s’agit d’un crime qui est loin de constituer un simple manquement à la discipline. Il s’agit d’un crime à la fois contre l’intégrité physique, psychologique et émotionnelle de la victime et contre sa dignité ainsi que d’une atteinte importante aux valeurs de respect et de confiance auxquelles doivent adhérer les membres du service entre eux.

 

[34] Sans minimiser les effets des agressions sexuelles sur les victimes, la Cour estime qu’une agression sexuelle commise dans un contexte militaire est beaucoup plus grave qu’une agression sexuelle similaire commise dans un contexte civil, en raison des répercussions qu’une telle agression sexuelle a sur les principes fondamentaux de cohésion, de confiance et de respect qui sont essentiels pour assurer une force militaire forte et disciplinée. En un mot, ce type de comportement blesse la victime et compromet notre capacité opérationnelle.

 

[61]           Bien que cette Cour adopte les principes de l’arrêt Royes, les particularités présentes du cas en l’espèce quant aux facteurs atténuants, notamment le cheminement particulier de cette affaire et les délais y afférents, la crise sanitaire, l’absence de lien de subordination avec la victime, le contexte militaire fort limité, les conséquences indirectes présentes d’une longue peine d’incarcération ou d’une destitution n’existaient pas dans le dossier Royes. Bien au contraire, le juge militaire concluait au paragraphe 37 à la quasi-absence de facteurs atténuants. De plus, cette décision a été rendue en 2013, soit avant l’amendement de la LDN incorporant les principes de la détermination de la peine qui sont uniques au système de justice militaire.

 

[62]           Quant à l’affaire McGregor, le contrevenant avait été trouvé coupable d’une accusation d’agression sexuelle sur une subordonnée, et de quatre autres infractions. Outre l’absence d’antécédents criminel et disciplinaire pertinent aux accusations, le caporal McGregor n’avait aucun facteur militant en faveur d’une peine moindre. Il était condamné à une peine d’emprisonnement de trente-six mois et à une destitution ignominieuse.

 

Détermination de la peine

 

Incarcération

 

[63]           À la lumière de la gravité de l’infraction et des circonstances aggravantes dans cette affaire, la Cour accepte que ce soit les objectifs de dénonciation et de dissuasion que doit viser la peine dans le cas du sergent Thibault. 

 

[64]           La défense allègue qu’une peine d’incarcération de neuf à douze mois constitue une peine proportionnée en l’espèce. Je dois me demander si cette peine satisfait aux objectifs identifiés plus tôt. À mon sens, ce n’est pas le cas, car cette peine n’est pas suffisante puisqu’elle ne considère pas le principe de proportionnalité et de l’harmonisation des peines. Il s’agit en effet d’une agression sexuelle majeure où une peine d’incarcération plus sévère est requise. Puisque la Cour a considéré des facteurs atténuants que la poursuite a minimisés ou choisi d’ignorer, la peine suggérée par la poursuite n’est pas non plus adéquate dans les circonstances. Considérant les facteurs aggravants ainsi que les facteurs atténuants, tels les délais causés par le cheminement particulier du dossier, une peine d’incarcération de dix-huit mois constitue une peine juste et proportionnelle dans les circonstances. 

 

Destitution ignominieuse

 

[65]           La destitution ignominieuse est une peine exceptionnelle. C’est une peine plus sévère qu’un emprisonnement de moins de deux ans dans l’échelle des peines. Voir l’arrêt McGregor où cette peine avait été imposée au contrevenant. En l’occurrence, puisque j’ai décidé qu’une peine d’incarcération de moins de deux ans était la peine la moins sévère que je pouvais imposer, il serait illogique que j’impose maintenant une peine plus lourde.

 

[66]           La destitution du service de Sa Majesté, bien qu’envisageable, risque de causer un tort financier important à la famille du contrevenant. En considération des principes de proportionnalité et des conséquences indirectes de l’imposition de cette peine, la Cour conclue que cette peine ne serait pas appropriée en l’espèce.

 

Lieu d’incarcération

 

[67]           Quant au lieu de l’incarcération, le paragraphe 220(3) de la LDN établit qu’un prisonnier militaire astreint à une peine d’emprisonnement est envoyé le plus tôt possible dans une prison civile afin de la purger. Cette disposition permet toutefois à l’autorité incarcérante, aux termes des règlements, d’ordonner que la peine soit purgée dans une prison militaire ou une caserne disciplinaire. La règle étant de purger une peine d’emprisonnement dans une prison civile, les parties n’ayant pas recommandé que le sergent Thibault purge sa peine dans une prison militaire et la preuve démontrant que la prison civile de la localité peut accueillir le contrevenant dans les circonstances sécuritaires et sanitaires en lien avec la COVID-19, considérant l’absence de preuve quant aux besoins du service en lien avec le lieu de l’incarcération du contrevenant, la peine sera purgée dans une prison provinciale.

 

Ordonnance d’interdiction de possession d’armes

 

[68]           Quant à l’émission d’une ordonnance en vertu de l’article 147.1 de la LDN interdisant au sergent Thibault d’avoir en sa possession une arme à feu, considérant les conclusions de l’expert que la Cour a accepté quant aux risques minimes de récidive, et considérant la conduite exemplaire du contrevenant au cours des dix dernières années, la Cour est d’avis qu’il n’est pas nécessaire ni souhaitable pour sa sécurité ou celle d’autrui d’imposer une telle ordonnance.

 

Identification des accusés et des contrevenants

 

[69]           Après avoir examiné les articles 196.11 et 196.14 de la LDN, puisqu’au terme de l’article 487.04 du Code criminel, une agression sexuelle est une infraction primaire, punissable en application de l’article 130 de la LDN, et puisque la défense n’a fait aucune représentation à cet égard, la Cour ordonne le prélèvement d’échantillons de substances corporelles pour analyse génétique sur le sergent Thibault.

 

Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels

 

[70]           De plus, l’article 227.01 de la LDN impose l’obligation pour la Cour d’émettre une ordonnance enjoignant le sergent Thibault de se conformer à la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels pour une période de vingt ans. Une ordonnance à cet égard sera donc également émise.

 

Conclusion

 

[71]           En conclusion, après avoir examiné la preuve soumise par les parties et pris en compte leurs plaidoiries, en application des principes reliés à la détermination de la peine, une peine d’incarcération pour une période de dix-huit mois, ainsi que l’émission  d’ordonnances accessoires, s’imposent dans le cas présent.  

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[72]           CONDAMNE le sergent Thibault à l’emprisonnement pour une période de dix-huit mois.

 

[73]           ORDONNE qu’il soit incarcéré dans une prison civile pour y purger la totalité de sa peine d’emprisonnement.

 

[74]           ORDONNE le prélèvement d’échantillons de substances corporelles pour analyse génétique.

 

[75]           ORDONNE qu’il se conforme à la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels pour une période de 20 ans.


 

Avocats :

 

Le directeur des poursuites militaires, tel que représenté par le major L. Langlois et le capitaine B.J. Richard

 

Capitaine de frégate M. Létourneau, Service d’avocats de la défense, avocat du sergent A.J.R. Thibault

 

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