Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 23 mai 2022

Endroit :

23 mai-3 juin 2022 : 3e Escadre Bagotville, École des Langues, édifice B-117, 1825 rue Jean-Paul Desloges, Alouette (QC)
27 juin 2022 : Centre Asticou, bloc 2600, pièce 2601, salle d’audience, 241 boulevard de la Cité-des-Jeunes, Gatineau (QC)
6-8 décembre 2022 : 3e Escadre Bagotville, édifice 81, pièce 202, rue Windsor, Alouette (QC)
23-27 janvier 2023 : 3e Escadre Bagotville, 87 rue Stratford, Alouette (QC)

Langue du procès : Français

Chefs d’accusation :

Chef d'accusation 1 : Art. 130 LDN, agression sexuelle causant des lésions corporelles (art. 272(1)c) C. cr.).
Chefs d’accusation 2, 3 : Art. 130 LDN, agression sexuelle (art. 271 C. cr.).
Chef d'accusation 4 : Art. 130 LDN, distribution non consensuelle d'une image intime (art. 162.1 C. cr.).

Résultats :

VERDICTS : Chef d’accusation 1 : Non coupable. Chefs d’accusation 2, 3 : Coupable. Chef d’accusation 4 : Retiré.
SENTENCE : Emprisonnement pour une période de deux ans moins un jour, soit 23 mois et 29 jours.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence: R. c. Houde, 2023 CM 4004

 

Date : 20230127

Dossier : 202140

 

Cour martiale générale

 

Base des Forces canadiennes Bagotville

Alouette (Québec) Canada

 

Entre :


 

Sa Majesté le Roi

 

- et -

 

Caporal-chef C. Houde, contrevenant

 

 

En présence du : Capitaine de frégate J.B.M. Pelletier, J.M.


Restriction à la publication : Par ordonnance de la Cour rendue en vertu de l’article 179 de la Loi sur la défense nationale il est interdit de publier ou de diffuser de quelque façon que ce soit tout renseignement qui permettrait d’établir l’identité de la personne décrite dans le cadre des présentes procédures devant la cour martiale générale comme étant la plaignante ou une victime, spécifiquement et non restrictivement la personne désignée à l’acte d’accusation comme étant « L. P. »

 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Oralement)

 

Introduction

 

[1]        Le caporal-chef (Cplc) Houde a été reconnu coupable par le comité de la cour martiale générale le 3 juin 2022 de deux infractions en vertu de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale (LDN) pour agression sexuelle sur son ex-conjointe pendant qu’ils faisaient vie commune entre 2013 et 2018 dans une résidence du secteur de La Baie, près de la Base des Forces canadiennes (BFC) Bagotville. Plus précisément, le contrevenant a été reconnu coupable sur le 2e chef d’accusation pour avoir forcé une relation sexuelle complète avec sa conjointe après qu’elle eut refusé ses avances dans la chambre à coucher. Il a également été reconnu coupable du 3e chef d’accusation, le comité ayant conclu que le Cplc Houde, au retour d’une fête de Noël en décembre 2015, a forcé un rapport sexuel complet sur sa conjointe dans la salle de bain de l’étage alors que celle-ci se sentait malade et était sur le plancher près du bol de la toilette. Le Cplc Houde a été reconnu non coupable du 1er chef d’accusation pour agression sexuelle causant des lésions dans sa chambre à coucher.

 

[2]        Il est maintenant de mon devoir d’imposer la peine appropriée. Pour se faire, je dois considérer comme prouvés tous les faits, exprès ou implicites, essentiels aux verdicts de culpabilité que les membres du comité de la cour martiale ont rendus, et ce, conformément à l’alinéa 203.5 (2)a) de la LDN. J’ai aussi considéré les autres faits pertinents qui ont été révélés par la preuve présentée dans le cadre du procès ayant débuté devant le comité le 24 mai 2022 ainsi que lors de l’audition sur la peine tenue en décembre 2022 et janvier 2023. J’ai également tenu compte du cadre législatif pertinent, des précédents jurisprudentiels autant au niveau du traitement des principes applicables que du barème des peines précédemment imposées dans des circonstances similaires. Finalement, j’ai tenu compte des soumissions des avocats représentant les parties.

 

Positions des parties

 

Poursuite

 

[3]        La poursuite soutient que la Cour doit imposer une peine d’emprisonnement pour une durée de quarante-huit mois soit quatre ans. Le procureur soumet que les infractions commises par le Cplc Houde constituent de la violence conjugale et de ce fait, nécessitent l’imposition d’une peine sévère, principalement depuis que la Cour suprême du Canada a rendu l’arrêt R. c. Friesen, 2020 CSC 9 qui, bien que traitant principalement des peines pour les infractions sexuelles commises à l’égard des enfants, comporte des enseignements utiles pour la détermination de peines applicables aux adultes en matière d’agression sexuelle et de violence conjugale. La poursuite soumet au soutien de sa recommandation un certain nombre de décisions de tribunaux de partout au pays ayant imposé des peines d’emprisonnement de vingt-trois mois à sept ans dans divers contextes impliquant des agressions sexuelles, mentionnant que la gravité des infractions dans le présent dossier fait en sorte qu’elles doivent être considérées comme des agressions sexuelles majeures et de ce fait, doivent être punies d’un minimum de trois ans d’emprisonnement, un minimum dont le Cplc Houde ne peut bénéficier considérant les facteurs aggravants dans ce dossier qui militent, selon la poursuite, pour une peine de quatre ans.

 

Défense

 

[4]        Pour sa part, la défense soutient qu’au-delà des grands principes, il est primordial que la Cour impose une peine qui prenne en considération les circonstances particulières du Cplc Houde, au moment des infractions et depuis ce temps. La défense soumet que les infractions pour lesquelles le Cplc Houde doit être puni se sont déroulées dans le contexte d’une relation conjugale malsaine et ne sont pas susceptibles de se reproduire. Outre la violence inhérente aux deux infractions pour lesquelles le Cplc Houde a été reconnu coupable, sa relation conjugale avec la victime ne peut être caractérisée de violente ou psychologiquement abusive. Sur la base du témoignage des conjointes actuelle et précédente du Cplc Houde ainsi que d’une évaluation criminologique pré-sentence favorable, la défense soutien qu’une peine d’emprisonnement de douze mois serait suffisante pour adéquatement punir le Cplc Houde. Au soutien de cette suggestion, la défense a soumis à mon attention plusieurs décisions de tribunaux de première instance siégeant au Québec qui ont imposé des peines allant de douze à vingt-quatre mois dans des contextes variés d’agression sexuelle.

 

Ordonnances

 

[5]        En plus de la peine, la poursuite demande à la Cour d’imposer certaines ordonnances accessoires prévues à la LDN et, dans un cas, au Code criminel. La défense consent en partie, mais s’oppose à ce qu’une ordonnance interdisant la possession d’armes à feu soit imposée sous l’autorité de l’article 147.1 de la LDN. De plus, la défense a soumis une requête alléguant que l’application des articles 227.01 et suivants de la LDN pour obliger le Cplc Houde à se conformer à la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels (LERDS) constituerait une violation de ses droits protégés par l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés conformément à la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire R. c. Ndhlovu, 2022 CSC 38. Il demande, à titre de remède sous le paragraphe 24(2) de la Charte, d’être exempté de son obligation de s’enregistrer considérant son faible risque de récidive.

 

Les faits

 

Introduction

 

[6]        Tel que mentionné précédemment, dans l’exécution de mon devoir en ce qui a trait à la détermination de la peine, je dois considérer comme prouvés tous les faits, exprès ou implicites, essentiels aux verdicts de culpabilité. Les autres faits pertinents révélés par la preuve, autant lors du procès que dans le cadre des procédures de détermination de la peine, sont sujets à mon évaluation. Le paragraphe 203.5(1) de la LDN prévoit qu’avant de m’appuyer sur un fait contesté pour déterminer la peine, je dois être convaincu par une preuve prépondérante de l’existence de ce fait et que, si un fait contesté est aggravant, la poursuite a le fardeau de prouver ce fait hors de tout doute raisonnable.

 

[7]        J’ai considéré les éléments de preuve suivants pour la détermination de la peine :

 

a)                  la preuve matérielle et les admissions formulées au procès;

 

b)                  les témoignages de L.P. et du Cplc Houde au procès;

 

c)                  la preuve matérielle et les admissions formulées à l’audience sur la détermination de la peine;

 

d)                  la déclaration de la victime déposée conformément à l’Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC) 112.481 et lue par L.P.;

 

e)                  les témoignages du capitaine Tremblay et de l’adjudant-chef Tremblay appelés par la poursuite à l’audience sur la détermination de la peine;

 

f)                   les témoignages de madame Dallaire et de madame Tremblay dans d’autres procédures, dont les enregistrements ont été admis en preuve et écoutés à l’audience sur la détermination de la peine, avec le consentement de la poursuite;

 

g)                  le témoignage à titre d’expert de monsieur Thierry Webanck, criminologue, ainsi que son rapport et les documents l’accompagnant;

 

h)                  les faits et questions discutées aux articles 15 et 16(1) des Règles militaires de la preuve dont la Cour a pris connaissance judiciaire le 23 mai 2022.

 

[8]        Je vais maintenant résumer la preuve que j’accepte et que je considère comme étant pertinente pour la détermination de la peine, en commençant par la preuve relative aux infractions.

 

Les circonstances des infractions

 

L’incident de relation sexuelle forcée dans la salle de bain

 

[9]        Le verdict de culpabilité rendu sur ce chef est basé sur les faits relatés par L.P. dans son témoignage au procès, qui ont manifestement été acceptés par le comité. Celle-ci a mentionné s’être rendue en compagnie du Cplc Houde à une fête de Noël tenue à Jonquière en lien avec le travail en décembre 2015. Elle était affectée par l’alcool lorsqu’elle a quitté les lieux à la toute fin de la soirée, mentionnant qu’elle était inapte à conduire son véhicule automobile. C’est donc dans la voiture de son major, en compagnie de l’épouse de celui-ci et du Cplc Houde, qu’elle a pris la route de Jonquière jusqu’au domicile du couple à La Baie, approximativement trente kilomètres plus loin. À mi-chemin, elle a demandé que le véhicule soit arrêté pour être malade. Arrivée devant l’entrée de la maison, elle s’est retrouvée par terre, après avoir trébuché sur le Cplc Houde qui était tombé devant elle. Finalement, ils sont tous deux entrés.

 

[10]      À l’intérieur du domicile, L.P. a enlevé ce qu’elle avait dans les pieds, puis est montée au deuxième étage où elle a enlevé ses collants et sa robe et s’est ensuite rendue à la salle de bain, car elle ne se sentait pas bien. Elle s’est mise à quatre pattes, sur les genoux, et a mis ses mains sur la toilette, la tête penchée sur le siège de toilette se disant qu’elle allait attendre là, car elle était confortable, considérant que c’était froid. Elle a entendu le Cplc Houde monter les marches et l’a ensuite aperçu entrer dans salle de bain, vêtu seulement d’une chemise, sans sous-vêtements ni rien d’autre. Il s’est aussi mis à genoux et, une première fois, il a tenté de la pénétrer, mais en vain. Il y eut une deuxième tentative, alors que le Cplc Houde la tenait par les fesses, et que là ça a rentré, elle a été pénétrée. Elle mentionne lui avoir dit « j’peux pas croire que tu m’fasses ça, pis j’suis malade, pis que je feel pas bien » il n’y a pas eu de réponse verbale à ces mots, mais elle a mentionné s’être tournée, et que le pénis du Cplc Houde est sorti de son vagin à ce moment-là. Elle a mentionné que l’épisode s’est passé rapidement, bien qu’elle ne puisse donner un nombre de minutes.

 

[11]      L.P. a dit qu’après que le contact sexuel eut été terminé, le Cplc Houde est sorti de la salle de bain alors qu’elle y restait assez longtemps sur les genoux devant la toilette avant de s’écrouler au sol, se sentant sale, comme un déchet. Elle a décidé de prendre un bain, remarquant, en fermant la porte de la salle de bain, les pieds du Cplc Houde qui étaient sur le lit. Lors de son retour dans la chambre après son bain, elle a constaté que le Cplc Houde était assoupi et ronflait.

 

[12]      Le Cplc Houde a témoigné se souvenir du retour à la maison après la fête de Noël à Jonquière. Son récit concordait avec celui de L.P. en ce qui concerne les événements ayant précédé l’entrée de celle-ci dans la salle de bain, mais divergeait par la suite. Il a témoigné que sa conjointe a été malade dans la salle de bain alors qu’il se trouvait encore en bas et que lorsqu’il est entré dans la salle de bain, elle portait sa robe et avait sa tête au-dessus du bol de toilette. Elle lui a demandé de passer une serviette d’eau froide sur son front et c’est ce qu’il a fait pour environ dix ou quinze minutes, décidant d’aller se coucher lorsqu’il a constaté que L.P. ne vomissait plus. Manifestement il n’a pas été cru et son récit n’a pas généré de doute raisonnable dans l’esprit des membres du comité qui ont été convaincus hors de tout doute par le témoignage de L.P. en ce qui a trait à cet événement.

 

L’incident de relation sexuelle forcée dans la chambre à coucher

 

[13]      L.P. a témoigné au sujet d’un deuxième incident de contact sexuel non désiré qui se serait produit entre 2015 et 2017 dans la chambre à coucher de la maison où elle habitait avec le Cplc Houde. Elle ne voulait pas avoir de rapports sexuels ce soir-là, parce que ça ne lui tentait pas, bien qu’elle ne soit pas certaine si elle avait verbalisé ce sentiment auprès du Cplc Houde avant de monter s’étendre dans le lit, en prévision du coucher. Une fois dans son lit, elle s’est couchée sur le dos et ne portait qu’une petite culotte, pas de haut. Un peu plus tard, le Cplc Houde est entré dans la chambre et a mentionné qu’il voulait qu’elle mette des sous-vêtements sexy « des kits » et des talons hauts. Elle lui aurait répondu à ce moment-là qu’elle ne voulait pas faire tout ça, ne voulais pas s’habiller de cette façon-là. Le Cplc Houde lui aurait alors dit qu’elle ne le fait jamais, qu’elle n’est plus capable de lui faire plaisir, que ce qu’il achète, elle n’est pas capable de les mettre pour lui. L.P. a témoigné qu’elle a tout de même refusé, qu’elle ne voulait pas et qu’elle était prête à accepter de lui déplaire. Le Cplc Houde lui aurait alors dit que si elle ne faisait pas ça, c’est parce qu’elle ne l’aimait pas. C’est à ce moment que le Cplc Houde l’aurait virée de côté dans le lit, en la prenant par la hanche ou la fesse, la positionnant sur le ventre.

 

[14]      L.P. a témoigné ne pas se souvenir si elle a dit quelque chose à ce moment-là, mais se souvient que le Cplc Houde lui aurait alors dit qu’elle était juste « sa pute » et, sans douceur, a pénétré son vagin en se tenant derrière elle. Elle s’est mise à pleurer et lui a dit qu’il la violait. Il se serait alors mis à rire et lui aurait répondu « on ne viole pas sa blonde », que ce n’est pas un viol. Par la suite, elle continuait à pleurer, voulant simplement que cela arrête. Après un certain temps, qu’elle a qualifié de « long », le Cplc Houde aurait éjaculé en elle avant de se retirer. Il est alors sorti du lit, s’est rendu à la salle de bain et est par la suite revenu dans la chambre. L.P. a essayé de lui parler pour lui dire que ce n’était pas correct, ce qui venait de se passer, tout en pleurant. Cependant, elle a été ignorée à ce moment-là et dans les jours qui ont suivi.

 

[15]      Le Cplc Houde a témoigné n’avoir aucun souvenir de cet événement, qu’il a catégoriquement qualifié de fausseté lors de son témoignage considérant qu’il n’avait jamais abusé de L.P. sexuellement. Les mots qui auraient été prononcés lors de l’agression et peu de temps par la suite ne sont pas essentiels au verdict de culpabilité que les membres du comité de la cour martiale ont rendu, mais je suis d’avis que la preuve apportée par L.P. sur cette question est crédible et suffisante pour démontrer ces faits hors de tout doute raisonnable.

 

Les événements périphériques à la commission des infractions

 

Les circonstances de la vie commune

 

[16]      Le Cplc Houde et L.P. ont commencé à faire vie commune lorsque cette dernière a emménagé dans la maison du Cplc Houde à La Baie en 2013 pendant que celui-ci était en devoir temporaire au Texas, États-Unis pour le travail. Le Cplc Houde a mentionné que sa relation avec L.P. a commencé à se détériorer alors que celle-ci a quitté pour son cours de chef à la BFC Borden à la mi-septembre 2014 et qu’il avait cessé d’être fidèle lors de son propre cours de chef au même endroit quelques mois plus tard, en janvier 2015. Il a discuté de sa perception de la dynamique de son couple, surtout des chicanes qui se sont succédé plus régulièrement, à partir de son retour de Borden en 2015. Il a mentionné que l’origine de ces chicanes était multifactorielle (la jalousie, les tromperies, les problèmes d’argent et le niveau d’encadrement des enfants), mais que la dynamique des échanges, selon lui, était que madame « pétait les plombs » et verbalisait sa colère en lançant des insultes très claires. Il a décrit des incidents de jalousie, de manifestations de colère et même de violence de la part de sa conjointe.

 

[17]      Pour sa part, L.P. a fait état lors de son témoignage au procès des difficultés du couple qu’elle formait avec le Cplc Houde. Pour expliquer pourquoi son souvenir des dates était faible, elle a dit que sa relation avec le Cplc Houde n’était généralement pas une belle relation, donc que les moments malheureux étaient des événements parmi d’autres dans toute cette relation difficile. Elle a quand même admis qu’il n’y avait pas que de mauvais moments vécus avec le Cplc Houde, mentionnant un voyage dans le sud avec lui et un autre couple en 2016. Elle a mentionné avoir noté les occasions où elle avait de bons ou mauvais moments dans son agenda à l’aide de bonhommes sourire ou triste. Elle a dit avoir essayé longtemps de sauver son couple. Elle a confirmé le témoignage du Cplc Houde sur les sujets de tensions dans le couple ajoutant que selon elle, l’un des problèmes dans son couple était les agressions spécifiques qu’elle affirme avoir subies.

 

[18]      Je ne mentionne pas ces faits parce que j’ai l’intention d’arbitrer les conflits de couple passés des protagonistes du présent dossier, mais bien parce que je dois commenter la prétention de la poursuite à l’effet que les observations et certaines conclusions du criminologue appelé par la défense sur le caractère dysfonctionnel de leur relation de couple ne s’appuient pas sur une preuve validement reçue. Avec respect, c’est inexact. La preuve que j’ai entendue dans le cadre du procès est amplement suffisante pour conclure que les remarques de l’expert de la défense sont appuyées par la preuve. L’impact de ces remarques est une tout autre question que j’aborderai lors de l’analyse, si nécessaire.

 

Les circonstances de la rupture et le harcèlement allégué qui en découle

 

[19]      En ordre chronologique, le prochain débat factuel incident à une question potentiellement en litige pour la détermination de la peine dans ce dossier a trait au moment où la relation entre le Cplc Houde et L.P. s’est terminée. La poursuite a appelé le capitaine Tremblay lors de l’audience sur la peine. Celui-ci est devenu le partenaire intime de L.P. l’automne 2018, au moment où le Cplc Houde était déployé en Roumanie. Tel qu’attendu, il a témoigné des conséquences des infractions sur sa compagne et lui-même, mais il a tout d’abord témoigné sur des interactions négatives qu’il a eues ou dont il a été témoin impliquant le Cplc Houde. Entre autres, il a reçu deux appels du Cplc Houde en provenance de Roumanie sur son téléphone cellulaire les 2 et 5 octobre 2018. Il a également été témoin de conversations téléphoniques entre le Cplc Houde et sa compagne, L.P., en septembre 2018, alors qu’un voisin a cogné à la porte de la maison pendant que ce dernier était en ligne avec le Cplc Houde, ainsi qu’en janvier 2019, alors que le Cplc Houde désirait récupérer des effets personnels.

 

[20]      Encore une fois, il ne s’agit pas pour moi d’arbitrer un conflit sur des détails de la relation de couple ou de la séparation des protagonistes. Après tout, il est incontestable que le Cplc Houde et L.P. étaient dans une relation conjugale lorsque les infractions ont été commises. Malgré cela, il est clair que la poursuite, par ses questions au capitaine Tremblay et ses représentations sur la peine, brosse un portrait du Cplc Houde correspondant à un conjoint jaloux, possessif et contrôlant qui n’acceptait pas la rupture avec sa conjointe. Avec respect, je suis d’avis que la preuve est beaucoup plus nuancée.

 

[21]      En effet, le Cplc Houde a témoigné qu’à la suite de son départ pour la Roumanie le 13 août 2018, il échangeait des « je t’aime » par messages textes avec L.P. et planifiait un voyage à Disney au cours du mois de septembre 2018, à être effectué après son retour. Lors de son témoignage au procès, il a mentionné que les choses sont passées « du vert au rouge » entre eux peu de temps par la suite, au moment où il a été informé par un voisin d’une situation qu’il jugeait inacceptable et a tenté de communiquer avec L.P. pour obtenir des explications. Lorsqu’il la rejoint enfin, celle-ci l’accuse de l’espionner et fait allusion au fait qu’elle est célibataire. Il mentionne aussi avoir été informé que L.P. avait mis sa thermopompe de piscine presque neuve en vente. Le capitaine Tremblay a confirmé être au courant que sa compagne avait discuté d’un voyage à Disney avec le Cplc Houde à l’automne 2018, mais a mentionné qu’il ne s’agissait que d’une façon pour elle d’apaiser son ex-conjoint pour qu’il la laisse tranquille et ne lui fasse pas de chantage émotif.

 

[22]      L.P. a admis au procès qu’elle discutait avec le Cplc Houde d’un voyage à Disney en septembre 2018, alors que ce dernier était déployé en Roumanie. Confrontée en contre-interrogatoire au fait qu’elle avait dit précédemment que sa relation était à toute fin pratique terminée lorsqu’elle a conduit le Cplc Houde à l’aéroport pour qu’il quitte en déploiement le 13 août 2018, elle a confirmé qu’elle était confuse au moment des discussions sur le voyage à Disney, car il y avait toujours espoir. Elle a mentionné que c’est la découverte d’une lettre de son fils alors qu’elle commençait à faire des boîtes dans la maison qui l’a conforté dans son impression qu’il fallait qu’elle quitte, confirmant qu’elle a emménagé dans un nouveau domicile en novembre 2018.

 

[23]      En ce qui a trait aux échanges en janvier 2019, le Cplc Houde a témoigné à l’effet qu’à son retour de Roumanie le 11 janvier 2019, il ne restait pratiquement plus qu’un sofa et une télé dans sa maison, sans réfrigérateur ni laveuse sécheuse. Il a témoigné qu’étant sous le choc, il a communiqué avec L.P. et a insisté pour ravoir ses choses à quelques reprises, admettant que les discussions étaient tendues et que certaines tentatives d’arrangement furent infructueuses, incluant sur la question d’une somme de 5 000 $ que L.P. avait transféré à une carte de crédit à son nom et qui a généré un appel à la police et un remboursement subséquent par la banque.

 

[24]      Il m’appert donc que lorsque je prends la mesure du comportement du Cplc Houde à l’automne 2018 et en janvier 2019, une autre image que celle que tente de peindre la poursuite se présente. Dans un premier temps, on a un homme qui tente de savoir ce qui se passe chez lui avec son couple en son absence en déploiement. En effet, sur la base de la preuve que je viens de décrire, le Cplc Houde avait des raisons de croire qu’il était encore en couple avec L.P. jusqu’au début octobre 2018. Le fait que le Cplc Houde a choisi de communiquer directement avec l’homme qu’il présumait être l’amant de celle qu’il considérait possiblement encore comme sa conjointe est préoccupant. C’est un mauvais choix d’action. Il reste quand même des zones d’ombre sur cet épisode, entre autres comment le Cplc Houde a appris que le capitaine Tremblay était devenu le compagnon de L.P. et comment il a obtenu ses coordonnées. Il reste en revanche clair qu’il s’agit de deux courtes conversations sur une période de trois jours et qu’il n’y a plus eu de répétition de ce comportement importunant suite à la conversation du 5 octobre 2018. Il semblerait que le débit des communications importunes envers L.P. ait également sensiblement diminué à partir d’octobre 2018, seulement pour reprendre au retour du Cplc Houde en janvier 2019, et ce, en raison d’une situation bien précise, soit le partage des effets meublant la maison que le couple avait habité sur une période de cinq ans.

 

[25]      Sur la base des faits que je viens de décrire, je ne suis pas en mesure de conclure que les actions du Cplc Houde constituaient du harcèlement, autant en raison de l’insuffisance de preuve sur la nature et le caractère répétitif des actions qu’au niveau de l’intention malveillante requise. Considérant que le comportement harcelant du Cplc Houde envers la victime de ses agressions pourrait constituer un facteur aggravant pour la détermination de la peine et les ordonnances accessoires, je conclus que la poursuite n’a pas rencontré son fardeau de prouver ce fait contesté hors de tout doute raisonnable.

 

[26]      Je dois préciser que la norme élevée de preuve hors de tout doute raisonnable est aussi déterminante en ce qui concerne les conclusions auxquelles on me demande d’arriver sur des faits relatés par le capitaine Tremblay, en ce qui concerne un incident spécifique un matin de février ou mars 2019 où il conduisait vers un centre de ski en compagnie de sa compagne, L.P. et des enfants. Il a mentionné avoir été informé par L.P., en hypervigilance, qu’elle croyait avoir vu le camion du Cplc Houde. Il dit que ce camion semblait avoir manœuvré pour venir se coller à son pare-chocs arrière pour quelques secondes. Encore une fois, il y a beaucoup trop de zones d’ombre pour que je puisse tenir compte de ce fait dans mon évaluation à savoir s’il y a eu harcèlement. En effet, le capitaine Tremblay n’avait jamais rencontré le Cplc Houde avant son témoignage à l’audition sur la peine. Il ne pouvait donc reconnaître l’homme au volant du camion comme étant ce dernier, surtout que l’interaction alléguée a été très brève. De plus, aucune explication n’a été fournie à la Cour à savoir comment L.P. avait pu être certaine qu’il s’agissait du camion du Cplc Houde et qu’il était au volant. Finalement, je m’interroge à savoir comment le Cplc Houde avait pu savoir qu’il croisait le véhicule conduit par le capitaine Tremblay en compagnie de L.P. avant de réagir de manière agressive envers eux.

 

[27]      Les conclusions auxquelles je viens d’arriver sur le harcèlement ne signifient pas que j’ai conclu que les témoins de la poursuite ont tenté d’induire la Cour en erreur. Le capitaine Tremblay a témoigné honnêtement sur la base des perceptions qu’il a acquises de ce qui se passait entre sa compagne et le Cplc Houde. Ses perceptions sont influencées par l’amour qu’il a pour elle et par la foi qu’il apporte à ce qu’elle lui dit. Pour sa part, L.P. ne désirait sûrement pas que le capitaine Tremblay soit entraîné dans les difficultés et la négativité de sa relation et ses échanges avec le Cplc Houde et a possiblement voulu éviter qu’il soit inquiété outre mesure par les informations qu’elle lui transmettait. Il m’appert évident du témoignage du capitaine Tremblay que certaines informations qu’il a obtenues étaient initialement incomplètes et qu’il a dû solliciter certaines clarifications de la part de sa compagne. Il est important de ne pas confondre les perceptions honnêtes du capitaine Tremblay avec la réalité de ce qui se passait entre le Cplc Houde et L.P. à l’époque.

 

[28]      Il y a lieu de compléter le narratif factuel des événements de janvier 2019 en mentionnant que le lendemain de son arrivée de Roumanie et des premiers contacts houleux avec L.P., le Cplc Houde a été sommé de se présenter aux locaux de la police militaire de la BFC Bagotville. À son arrivée, il a été mis en état d’arrestation pour être libéré sous conditions quelques heures plus tard, la condition principale étant de ne pas communiquer avec L.P. Le Cplc Houde a témoigné au procès à l’effet que les allégations de harcèlement de 2019 n’étaient, à son avis, pas fondées, mais qu’il a accepté de régler ce conflit avec une ordonnance sous l’article 810 du Code criminel sur les recommandations de son avocat. À l’audition sur la peine, la poursuite a produit le document rédigé le 9 septembre 2019 dans lequel le Cplc Houde s’est engagé devant un juge de paix conformément à l’article 810 du Code criminel à ne pas troubler l’ordre public, à avoir une bonne conduite pendant une période d’un an et de ne pas se trouver sur le lieu de travail de L.P. ni de communiquer ou d’importuner L.P. et le capitaine Tremblay. Selon toute vraisemblance, ces conditions ont été respectées. Ce qu’on a décrit comme un « 810 » a expiré après un an, soit le 9 septembre 2020.

 

Les circonstances de la plainte et les événements subséquents

 

[29]      Il y a lieu à ce stade du narratif de discuter très brièvement de certains faits qui ont fait l’objet de discussions à un moment ou à un autre des procédures, simplement pour dissiper tout malentendu possible à savoir si la Cour en était consciente, même s’ils ont un impact nul ou minime sur la détermination de la peine.

 

[30]      L.P. a confirmé lors de son contre-interrogatoire au procès qu’elle n’avait jamais mentionné avoir été victime d’agression sexuelle lors de son interaction avec la police militaire dans le cadre de l’épisode de harcèlement allégué que je viens de décrire. Elle s’est fait demander pourquoi elle avait changé d’idée et décidé de formuler une plainte d’agression sexuelle à la toute fin de juillet 2020. Elle a répondu qu’elle désirait se libérer dans le cadre de ses efforts pour se remettre et qu’une conversation avec une autre personne avait aidé à sa conviction qu’elle devait porter plainte. En lien avec une discussion avec l’enquêteuse lors de son entrevue du 10 août 2020, elle a nié avoir porté plainte formellement pour que de nouvelles conditions soient imposées au Cplc Houde, similaire à un « 810 », à la lumière du fait que le « 810 » précédant était sur le point d’expirer, bien qu’elle ait admis que le « 810 » la sécurisait.

 

[31]      Je tiens à préciser, tel que j’ai mentionné aux membres du comité, que le moment de la plainte n’a aucun impact sur la crédibilité de L.P. autant au procès qu’en lien avec la détermination de la peine à imposer.

 

[32]      Dans un autre ordre d’idée, la poursuite a mentionné que plus d’une femme s’était plainte du comportement inapproprié du Cplc Houde, produisant entre autres l’engagement du Cplc Houde de ne pas troubler la paix en lien avec une autre plaignante, pris le 5 mars 2021. Il serait absurde de nier que je suis conscient du fait que le Cplc Houde fait face à d’autres accusations d’agression sexuelle envers cette autre plaignante. Ces accusations étaient initialement liées à celles de la présente affaire dans le même acte d’accusation et certaines communications entre la plaignante de cet autre dossier et L.P., mentionnées par celle-ci lors de son témoignage, ont fait l’objet d’un débat dans le cadre du présent procès. Je comprends que les auditions dans l’autre affaire entendue par cour martiale permanente ont débuté après que les verdicts eurent été rendus dans le présent procès et que le juge militaire présidant cet autre procès a pris le dossier en délibéré en ce qui a trait aux verdicts. Je tiens à préciser que le Cplc Houde continue de bénéficier de la présomption d’innocence en lien avec cette autre poursuite qui ne peut être considérée comme étant un fait aggravant pour la détermination de la peine dans la présente affaire.

 

[33]      Pour compléter sur le nombre de femmes qui se sont plaintes du comportement du Cplc Houde dans le passé, il y a lieu de mentionner que le 28 juin 2001, le Cplc Houde a plaidé coupable à une infraction sous le paragraphe 372(2) du Code criminel pour avoir fait à une autre personne une communication indécente par un moyen de télécommunication. Il a reçu une peine avec sursis, assortie d’une ordonnance de probation d’une durée de deux ans. Bien que cela soit du ouï-dire, je comprends à la lecture du rapport de monsieur Webanck qu’il s’agissait de communications avec une femme dont les coordonnées avaient été obtenues à la suite d’échanges sur un site de rencontre, que le Cplc Houde n’avait jamais rencontrée en personne. Le plaidoyer aurait été enregistré conformément aux conseils d’un avocat au moment où le Cplc Houde était un civil résidant à Rivière Éternité et était âgé de vingt-quatre ans.

 

[34]      En ce qui a trait à d’autres condamnations, la défense a admis à l’audition sur la détermination de la peine que le Cplc Houde avait reçu une absolution inconditionnelle le 9 septembre 2019 dans le district judiciaire de Chicoutimi en lien avec une infraction sous l’alinéa 92(1)a) du Code criminel pour avoir eu en sa possession une arme à feu sachant qu’il n’est pas titulaire d’un permis qui l’y autorise.

 

[35]      Il appert également que le Cplc Houde aurait été intercepté en mai 2022 pour un incident relié à l’alcool au volant, mais il est présumé non coupable de cette infraction.

 

Les conséquences des infractions

 

Déclaration de la victime

 

[36]      L.P. a lu sa déclaration écrite qui a été admise en preuve. Elle a tenu à rédiger quelques lignes pour résumer comment elle se sent depuis que son ex-conjoint a été reconnu coupable d’agressions sexuelles à son égard. J’espère lui rendre justice en résumant son point de vue comme suit :

 

a)         Le moral de L.P. est en montagne russe. Bien qu’elle ait accueilli les verdicts de culpabilité en tant que confirmation du mal qui lui a été fait et un encouragement à aller vers l’avant et cheminer sans honte, elle a aussi des bas : la colère, la mauvaise humeur, l’épuisement, la peur et le jugement. Elle est blessée dans son corps, ayant de la difficulté à simplement se trouver femme, se regarder dans le miroir sans y voir ses yeux tristes et fatigués. Elle est aussi blessée dans sa tête qui a mal et aimerait comprendre les gestes et pourquoi elle ne guérit pas malgré des suivis psychologiques une fois par semaine depuis presque deux ans.

 

b)         L.P. mentionne que lors des journées moins faciles sa capacité de contribuer au travail est affectée : difficultés à se concentrer, absence de son esprit perdu dans ses pensées ce qui génère des erreurs. Elle doit vivre avec la peur de rencontrer son agresseur sur la base. Elle demeure dans l’hypervigilance puisqu’elle craint pour sa sécurité, ce qui l’amène à changer ses habitudes aussi simples que ses commissions.

 

c)         Son partenaire et son fils subissent également les effets de sa condition, avec les hauts et les bas. Elle est reconnaissante qu’ils croient que la fille qu’elle était reviendra.

 

d)         En terminant et malgré les conséquences difficiles de sa décision de dénoncer, L.P. invite les personnes qui ont été victimes d’agressions à ne pas hésiter à les dénoncer.

 

[37]      Le capitaine Tremblay, partenaire de L.P., a témoigné et confirmé des répercussions qu’ont eues les infractions sur L.P. et sur lui et la famille par ricochet. Dans le cadre de son témoignage, il a mentionné entre autres la honte ressentie par sa partenaire intime et sa peur d’être jugée qui l’a amené à limiter ses sorties sociales, principalement dans le milieu militaire où ils évoluent tous les deux. Il a aussi été témoin de son hypervigilance et de ses sautes d’humeur en lien avec la progression du dossier jusqu’au procès et à la suite des verdicts.

 

Situation du contrevenant

 

Carrière militaire et dossiers personnels

 

[38]      Les documents devant être présentés à la Cour en vertu de l’alinéa 112.51(2) des ORFC révèlent que le Cplc Houde est un technicien en structure d’aéronefs âgé de quarante-cinq ans et affecté au 3e Escadron de maintenance (Air) de Bagotville. Originaire de Rivière Éternité au Bas-Saguenay, il s’est joint aux Forces armées canadiennes (FAC) en 2006 à l’âge de vingt-neuf ans après avoir œuvré dans la forêt, la construction et la carrosserie automobile. Après son instruction militaire de base et technique, il a été affecté à la BFC Bagotville à l’automne 2007 et y est resté depuis, à l’exception d’un déploiement domestique dans le cadre des efforts de sécurité pour les Jeux olympiques de Vancouver et de son déploiement en Roumanie d’août 2018 à janvier 2019.

 

[39]      La poursuite a fait témoigner l’adjudant-chef Tremblay pour donner un aperçu à la Cour des mesures administratives et des conditions d’emploi du Cplc Houde suite aux accusations et au procès ainsi que dans un futur prévisible. Celui-ci est le sergent-major régimentaire à l’unité de l’accusé depuis juillet 2021 et a accès aux dossiers du Cplc Houde à partir desquels il a pu renseigner la Cour. Il appert de ces dossiers que le 19 mai 2021, le commandant du Cplc Houde à l’époque a demandé qu’une révision administrative de la carrière du Cplc Houde soit entreprise considérant qu’il avait été accusé d’inconduites de nature sexuelle. Il recommandait alors une période de mise en garde et surveillance pour une période d’un an. La responsabilité pour décider de telles mesures incombe au Directeur – Administration (Carrières militaires) (DACM) au Quartier général de la Défense nationale à Ottawa qui a décidé de sursoir à toute décision en attendant le résultat des mesures judiciaires, spécifiquement l’imposition de la sentence dans le cadre de la présente cour martiale. L’adjudant-chef Tremblay a mentionné être en contact régulier avec un interlocuteur du DACM qu’il informe de tout développement dans le dossier.

 

[40]      En ce qui a trait à l’emploi du Cplc Houde, l’adjudant-chef Tremblay a expliqué que bien que les procédures administratives formelles doivent attendre, il y a eu des discussions à l’unité sur l’emploi du Cplc Houde qui exerçait des responsabilités en ce qui a trait aux tâches de peinture des avions de chasse. Évidemment, le Cplc Houde a reçu permission de s’absenter pour préparer et assister aux procédures judiciaires en cour martiale. Suite à son interception et accusation pour conduite avec facultés affaiblies au mois de mai 2022 il a été référé aux autorités médicales en application des procédures usuelles en cas d’inconduite alléguée en lien avec un possible abus d’alcool. Aucune restriction n’a été requise en lien avec cet incident.

 

[41]      Cependant, l’adjudant-chef Tremblay a mentionné que le verdict de culpabilité du comité de cette cour martiale le 3 juin 2022 a eu un impact sur la santé mentale du Cplc Houde qui a été retiré du travail pour un temps. Il est soumis à un plan de retour au travail qu’il a respecté depuis et pourrait revenir au sein de l’unité dès la mi-février 2023.

 

[42]      La fiche de conduite du Cplc Houde comporte deux entrées. Premièrement, une condamnation pour conduite avec les facultés affaiblies pour laquelle il a été reçu une amende de 675 $ le 25 juin 2008. Deuxièmement, une mention élogieuse du commandant de la 1ère Division aérienne du Canada attribuée le 15 juin 2018 pour son travail sur l’équipe ayant effectué la peinture du CF18 de démonstration du 150e anniversaire de la Confédération canadienne à temps pour la saison des spectacles aériens de 2017.

 

Relation matrimoniale antérieure

 

[43]      Le témoignage de madame Andréanne Dallaire a permis d’apprendre qu’elle a été la conjointe de fait du Cplc Houde pendant douze ans, de 2001 à 2013. C’est avec elle que le Cplc Houde a eu ses deux enfants: Mathias seize ans et Léa quatorze ans. Bien que la séparation fût difficile pour elle en 2013 considérant la raison, soit l’adultère de son conjoint avec L.P., ils sont arrivés à une entente à l’amiable dès le départ, sans médiation ni intervention de la cour. Sur le plan des relations intimes, son souvenir est à l’effet que les relations étaient saines et que jamais elle n’avait été forcée de faire quoi que ce soit qu’elle ne désirait pas.

 

[44]      Bien que cela soit du ouï-dire, je note à la lecture du rapport de monsieur Webanck qu’il a tenu un entretien avec madame Dallaire. Son sommaire concorde en tout point avec le témoignage que j’ai entendu de la part de madame Dallaire. Elle a mentionné à monsieur Webanck qu’elle est restée en bon terme avec le Cplc Houde et que la garde partagée des enfants ainsi que tout ce qui s’y rattache se déroule bien, celui-ci étant présent et coopératif en plus d’assumer ses responsabilités. Elle a également mentionné n’avoir jamais été forcée à avoir des relations ou des comportements sexuels contre son gré et que le Cplc Houde était respectueux, pas agressif, ni violent. Elle a ajouté que pendant leur relation il y avait peu de conflits et que quand il y en avait, ceux-ci se résorbaient et se réglaient simplement, sans escalade. Elle a décrit à monsieur Webanck un homme généreux de son temps auprès de son entourage, surtout ses amis, mais qui a une vie sociale parfois un peu trop chargée. Elle a dit qu’il a confiance en lui et il aime le jeu de la séduction, ce qui a d’ailleurs provoqué leur séparation. En ce qui concerne la consommation d’alcool, madame Dallaire indique qu’il en prenait parfois trop lors de soirées entre amis, mais ce n’était pas une habitude.

 

Relation matrimoniale actuelle

 

[45]      La conjointe actuelle du Cplc Houde, madame Nathalie Tremblay, a aussi fourni un témoignage dans le cadre d’autres procédures que j’ai pu entendre. Celle-ci est en couple avec le Cplc Houde depuis juin 2019 soit trois ans et demi. Enseignante, elle a deux enfants de seize et dix-neuf ans en garde exclusive d’une union précédente qui demeurent donc au domicile du Cplc Houde. D’ailleurs, ceux-ci sont identifiés en tant que personnes à charge sur les dossiers du Cplc Houde. Madame Tremblay mentionne que la cohabitation est bonne quand les quatre enfants sont réunis, ajoutant qu’elle s’entend fort bien avec madame Dallaire qu’elle voit lorsqu’elle vient laisser ou prendre les enfants.

 

[46]      Madame Tremblay décrit une relation conjugale « facile », non conflictuelle et mentionne que lors des rares occasions où il y a des difficultés, elle et le Cplc Houde sortent prendre l’air, discutent et arrivent à une résolution paisiblement. En ce qui a trait aux relations intimes, madame Tremblay mentionne qu’on ne l’a jamais forcée à faire quoi que ce soit sans consentement. Cependant, je note qu’elle a été confrontée sur cette question lors du contre-interrogatoire à l’aide d’imprimés de messages textes qu’elle aurait transmis à une personne possiblement engagée dans des échanges à trois dans le passé, à l’effet que cette personne devait l’aider à dire non au Cplc Houde s’il demandait ce genre d’activités dans le futur. Cette confrontation a donné lieu à des échanges corsés, mais madame Tremblay a nié avoir eu des conflits avec le Cplc Houde sur la question des relations sexuelles.

 

[47]      Encore une fois je note à la lecture du rapport de monsieur Webanck, bien que cela soit du ouï-dire, qu’il a tenu un entretien avec madame Tremblay et son sommaire concorde avec ce que j’ai entendu de la part de madame Tremblay qui décrit le Cplc Houde comme un homme posé et conciliant avec qui elle entretient une relation positive et satisfaisante, pour elle comme pour lui. Elle indique que le Cplc Houde est « de loin » l’amoureux le plus compréhensif, le plus accommodant et le plus respectueux qu’elle a côtoyé. Il n’est pas agressif et il compose bien avec les refus ou les contrariétés. Il respecte ses besoins et ses désirs sexuels. Elle ne l’a jamais vu violent et il n’a pas de problèmes de consommation d’alcool.

 

Évaluation criminologique

 

[48]      Le dernier témoin de l’audience sur la détermination de la peine fut monsieur Thierry Webanck, criminologue, qui a témoigné en tant qu’expert en criminologie, spécifiquement en ce qui concerne l’établissement de profils criminologiques de personnes trouvées coupables d’infractions de nature criminelle.

 

[49]      Il a commenté son rapport de quatorze pages qui dresse un tableau criminologique favorable. Se basant sur les schèmes cognitifs du Cplc Houde et sur ses résultats à deux tests, l’expert estime que le Cplc Houde présente un risque de récidive « sous la moyenne » en raison du fait qu’il n’a pas les traits de personnalité ou même le profil généralement associé à un type d’agresseur sexuel. Le profil criminologique et psychosocial du Cplc Houde n’inclut pas des facteurs criminogènes qui accentuent ce risque.

 

[50]      Monsieur Webanck est d’avis que le caractère dysfonctionnel de la relation conjugale du Cplc Houde avec L.P. doit être pris en compte dans l’évaluation des gestes qui lui sont reprochés, cette union conjugale problématique ayant donné lieu à des conflits et des tensions interpersonnels chroniques entre les deux conjoints. Cela s’est reflété dans leur intimité et dans leur mode d’interaction sexuelle.

 

[51]      À son avis, le principal élément qui pourrait favoriser ou précipiter de l’adoption de comportements sociaux ou sexuels inappropriés chez le Cplc Houde est l’abus d’alcool.

 

[52]      Notant que le Cplc Houde ne reconnaît pas avoir commis les agressions sexuelles qui lui sont reprochées, l’expert mentionne que la non-admission de ce genre de crime n’augmente pas le risque de récidive, entre autres parce que le sujet est tout de même confronté aux conséquences légales et punitives des actes pour lesquels il a été trouvé coupable. À son avis, les procédures judiciaires et leur médiatisation ont eu un impact majeur sur le Cplc Houde, considérant qu’il est ébranlé par ce verdict de culpabilité qui a un effet dissuasif et punitif. Le Cplc Houde a mentionné à monsieur Webanck qu’il est plus prudent dans ses relations intimes, spécifiquement en étant plus sensible à la nécessité d’obtenir un consentement libre et clair de sa partenaire sexuelle. Il semble bien conscient de l’impact que pourrait avoir un comportement abusif.

 

[53]      La poursuite m’invite à ne pas tenir compte de ce rapport en raison du fait que l’expert n’aurait pas considéré les faits mis en preuve lors du procès. Je discuterai de ces objections dans mon analyse plus tard. Pour le moment, au niveau de la preuve je note que le rapport et le témoignage de monsieur Webanck sont les seules sources d’information scientifique à ma disposition pour m’aider à résoudre les questions qui s’imposent à moi dans le cadre de la détermination de la peine et de l’imposition d’ordonnances dans le présent dossier.

 

Analyse

 

Objectifs de la détermination de la peine

 

[54]      Les articles de la LDN précisant les objectifs et principes de la détermination de la peine applicables aux tribunaux militaires fournissent une image précise des facteurs à considérer. Les articles 203.1 à 203.4 de la LDN, reproduits à l’ORFC 104.14, doivent me guider dans mon analyse. Tel que mentionné à l’article 203.1 de la LDN:

 

203.1(1) La détermination de la peine a pour objectif essentiel de maintenir la discipline, l’efficacité et le moral des Forces canadiennes.

 

[55]      Tel que discuté dans mes motifs du 10 novembre 2022 dans R. v. Luis 2022 CM 4016 aux paragraphes 20 à 23, cette formulation comportant un seul objectif essentiel est nouvelle, faisant partie d’une modification apportée par le projet de loi C-77 entré en vigueur le 20 juin 2022. Avant cette date, l’article 203.1 de la LDN mentionnait deux objectifs : l’actuel et un deuxième objectif plus général similaire à l’article 718 du Code criminel soit de protéger la société et de « contribuer au respect de la loi et au maintien d’une société juste, paisible et sûre ». Ce changement semble avoir été fait pour que l’objectif essentiel de la détermination de la peine par la cour martiale soit le même que l’objectif du code de discipline militaire dans la législation.

 

[56]      Je suis d’avis que le maintien de la discipline au sein des FAC est un objectif entièrement compatible avec les objectifs de protéger la société et de contribuer au respect de la loi. C’est ce qu’une force armée disciplinée fait. Le paragraphe suivant traitant de l’atteinte de l’objectif essentiel comporte une liste d’objectifs qui incluent ceux qui se retrouvent au Code criminel, indiquant que l’exercice de détermination de la peine n’est donc pas si différent devant les tribunaux militaires que devant les cours civiles. Tel que mentionné au paragraphe 2 de l’article 203.1 :

 

Objectifs

 

(2)           L’atteinte de cet objectif essentiel se fait par l’infliction de sanctions justes visant un ou plusieurs des objectifs suivants :

 

a) renforcer le devoir d’obéissance aux ordres légitimes;

 

b) maintenir la confiance du public dans les Forces canadiennes en tant que force armée disciplinée;

 

c) dénoncer les comportements illégaux et le tort causé par ceux-ci aux victimes ou à la collectivité;

 

d) dissuader les contrevenants et autres personnes de commettre des infractions;

 

e) favoriser la réinsertion sociale des contrevenants;

 

f) favoriser la réinsertion des contrevenants dans la vie militaire;

 

g) isoler, au besoin, les contrevenants des autres officiers et militaires du rang ou de la société en général;

 

h) assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité;

 

i) susciter le sens des responsabilités chez les contrevenants, notamment par la reconnaissance des dommages causés à la victime et à la collectivité.

 

[57]      On constate également que ces objectifs ne sont pas limités au maintien de la discipline et de l'intégrité au sein des FAC, mais comprennent aussi les objectifs de nature publique. En effet, une conduite sanctionnée par la justice militaire menace souvent l'ordre et le bien-être publics, tel que reconnu par la CSC dans l’arrêt R. c. Généreux, [1992] 1 R.C.S. 259, à la page 281. Donc, les objectifs qu’une sanction juste vise peuvent être de nature générale, sans liens avec l’institution militaire.

 

[58]      Cet aspect de la détermination de la peine en cour martiale est pertinent dans le présent dossier, considérant que les infractions ont été commises dans une résidence civile de La Baie. Bien que les faits ne se soient pas déroulés dans un contexte militaire, la communauté militaire est affectée en raison du fait que le contrevenant et la victime sont tous deux membres des FAC. De plus, la communauté militaire n’est pas établie sur une planète isolée : elle fait partie de la plus grande communauté régionale et au-delà. Ce qui s’est passé dans le présent procès ainsi que pour la détermination de la sentence est d’intérêt pour les communautés civiles et militaires ne serait-ce qu’en raison du fait qu’il est fort probable que les conjointes de militaires, peu importe leur statut, civil ou militaire, se sentent particulièrement concernées. La sentence imposée doit atteindre des objectifs qui dépassent et de loin les intérêts de la discipline au sein des FAC.

 

[59]      En effet, les circonstances des infractions dans le présent dossier révèlent une caractéristique significative : ce sont des actes de violence commis à l’égard d’une conjointe dans son foyer. Cette caractéristique, combinée au fait que les infractions consistent en deux pénétrations vaginales forcées sur une conjointe vulnérable en faisant fi de ses objections, font en sorte que pour atteindre son objectif essentiel de maintien de la discipline, l’exercice de détermination de la peine doit se réaliser en m’assurant d’imposer une sanction qui rencontre principalement les objectifs de dénonciation et de dissuasion.

 

[60]      Cela étant dit, je sens le besoin d’exprimer certaines réserves en ce qui concerne les arguments de la poursuite à l’effet que le principe de réinsertion sociale du contrevenant, la réhabilitation, doit être mis de côté pour laisser toute la place aux objectifs de dénonciation et à la dissuasion. Je crois que la priorisation à donner à certains principes en particulier ne nécessite pas que d’autres soient entièrement exclus de l’équation. En d’autres mots, la tente dans laquelle les principes sont évalués est assez grande pour contenir autant la dénonciation, la dissuasion et la réhabilitation du Cplc Houde. Celui-ci n’a pas à être exclu, à l’extérieur et au froid.

 

[61]      En effet, malgré les efforts de diabolisation de la poursuite à son endroit, je ne crois pas que le Cplc Houde soit le pire contrevenant ayant commis le pire crime dans les pires circonstances. Il s’agit d’une personne qui soit a commis de graves erreurs et doit en subir les conséquences par une peine significative. Cependant, il reste un être humain doté d’une personnalité complexe, qui a fait de bons coups dans sa vie et garde le potentiel de demeurer un actif pour la société après avoir purgé une sanction qui doit d’abord et avant tout être juste, comme la loi le prévoit.

 

[62]      La sanction juste pour le Cplc Houde est une sanction qui selon moi ne doit pas le pénaliser bien différemment qu’il aurait été pénalisé par une cour civile ici à Saguenay, considérant les circonstances des crimes qu’il a commis. La sanction juste doit également considérer qu’il pourrait fort bien subir une libération administrative des FAC à la conclusion des procédures ou, au plus tard, à la conclusion des procédures de l’autre cour martiale qui délibère sur ses actions. Même s’il rejoint la vie civile, le Cplc Houde a plusieurs années potentiellement productives à contribuer, on l’espère, auprès d’employeurs civils. La peine qui lui est ultimement imposée ne doit pas compromettre irrémédiablement ses chances de réaliser son potentiel.

 

Principes applicables

 

La proportionnalité

 

[63]      Maintenant que j’ai discuté des objectifs qui doivent être atteints, la question de déterminer comment arriver à une sanction juste demeure. La loi nous vient en aide en énumérant les principes qui doivent guider la décision. L’article 203.2 de la LDN prévoit que la peine doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du contrevenant.

 

[64]      En présentant le principe de proportionnalité comme étant fondamental à la détermination d’une peine, le législateur codifie les enseignements de la Cour suprême du Canada qui a élevé le principe de proportionnalité au rang de principe fondamental jouissant d’une protection constitutionnelle. Au paragraphe 37 de l’arrêt R. c. Ipeelee, 2012 CSC 13 le juge LeBel explique l’importance de la proportionnalité en ces mots:

 

Quel que soit le poids qu’un juge souhaite accorder aux différents objectifs et aux autres principes énoncés dans le Code, la peine qu’il inflige doit respecter le principe fondamental de proportionnalité. La proportionnalité représente la condition sine qua non d’une sanction juste. Premièrement, la reconnaissance de ce principe garantit que la peine reflète la gravité de l’infraction et crée ainsi un lien étroit avec l’objectif de dénonciation. La proportionnalité favorise ainsi la justice envers les victimes et assure la confiance du public dans le système de justice.

 

[…]

 

Deuxièmement, le principe de proportionnalité garantit que la peine n’excède pas ce qui est approprié compte tenu de la culpabilité morale du délinquant. En ce sens, il joue un rôle restrictif et assure la justice de la peine envers le délinquant. En droit pénal canadien, une sanction juste prend en compte les deux optiques de la proportionnalité et n’en privilégie aucune par rapport à l’autre.

 

[65]      La proportionnalité de la peine s’évalue en lien avec la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du contrevenant. Tel qu’expliqué précédemment, j’ai priorisé les objectifs de dénonciation et de dissuasion en considérant la gravité des infractions commises. L’agression sexuelle est généralement punissable d’un emprisonnement maximal de dix ans selon l’alinéa 271a) du Code criminel. Il s’agit de la gravité objective de l’infraction. C’est donc une infraction grave.

 

[66]      J’ai mentionné la gravité suggestive de l’infraction commise par le Cplc Houde en l’espèce lorsque j’ai expliqué le besoin de prioriser les principes de dénonciation et de dissuasion. Ceci m’apparaît plutôt évident et j’ai peine à comprendre que la poursuite semble avoir senti le besoin de m’éduquer sur la gravité de l’infraction à ce point lors de la plaidoirie. Je tiens à rassurer les procureurs à l’effet que je suis conscient de la violence intrinsèque des crimes commis par le Cplc Houde autant du point de vue physique qu’en considération des impacts psychologiques que de tels crimes génèrent, surtout sur une victime vulnérable. Je ne sens pas le besoin de citer un large éventail de décisions à cet effet pour faire une démonstration de mes connaissances comme certains peuvent sentir le besoin de hisser de quelconques drapeaux pour signaler leur vertu. En effet, je ne crois pas avoir une obligation de prouver que je réalise la gravité des crimes commis.

 

[67]      Cela étant dit, je réalise que les agressions sexuelles commises dans le présent dossier visaient une personne vulnérable de sexe féminin qui était la partenaire intime de son agresseur et que ces faits justifient de mettre de l’avant les objectifs de dénonciation et de dissuasion. Je crois pouvoir arriver à ce constat sans avoir à incorporer les articles 718.04 et 718.201 du Code criminel dans la procédure militaire comme la poursuite me le demande. En effet, le législateur ne semble pas avoir cru nécessaire d’inclure ces articles dans le code de discipline militaire à la LDN. Il pourrait y avoir de bonnes raisons pour cela, notamment parce que les cours martiales ne sont que très rarement chargées de juger de causes impliquant des violences conjugales commises dans les résidences des militaires, surtout des propriétés privées.

 

[68]      La poursuite affirme que le forum importe peu et je suis d’accord : la cour martiale est entièrement capable de juger des affaires de violence conjugale ou d’agression sexuelle qui lui sont soumises. Il n’y a rien de fondamentalement suspect dans le fait que la procédure militaire puisse différer de la procédure pénale pour arriver à des résultats autant équitables. L’honorable juge Maurice J. Fish a entièrement raison de faire la remarque suivante en introduction de son rapport du 30 avril 2021 sur la justice militaire (Rapport de l’autorité du troisième examen indépendant au ministre de la Défense nationale, page iii) :  

 

[J]e considère le système de justice militaire du Canada comme un système de justice avant tout. S’il avait pour objectif de reproduire complètement ou de « refléter » le système de justice civil du Canada, il serait difficile de justifier son existence distincte et séparée. Il a sa propre histoire, ses propres règles substantives et procédurales, et ses propres caractéristiques et objectifs distincts. Mais tout système de justice, qu’il soit militaire ou civil, doit être évalué à l’aune de l’indépendance de ses acteurs, de la clarté de ses interdictions, de l’équité et de la transparence de ses procédures, de la façon dont il traite les contrevenants et les victimes, et de son adhésion aux principes universels de justice fondamentale.

 

[69]      Je comprends de ces mots que la justice doit m’inspirer dans ma tâche.

 

[70]      En ce qui a trait à la mesure de la responsabilité pénale du Cplc Houde et de certains des facteurs qui ont été porté à mon attention en référant à la décision de la Cour d’appel du Québec dans R. c. L. (J.J.), 1998 CanLII 12722 (QC CA), j’accepte entièrement que les agressions sexuelles commises par le Cplc Houde ont significativement victimisé sa conjointe à un moment où elle aurait dû être en sécurité dans son foyer. Elles sont subjectivement graves et dégoûtantes. En revanche, bien qu’elles constituent une forme de violence conjugale, cette violence est limitée aux circonstances immédiates des infractions. Bien que les séquelles, telles que la peur et la honte durent auprès de la victime depuis ce temps, il demeure que le Cplc Houde n’est pas un homme qui a enfermé sa conjointe dans une relation conjugale empreinte de violence physique constante qui incluait par ailleurs deux agressions sexuelles, comme la poursuite insinue en associant le présent dossier à des causes illustrant des dynamiques d’agressions physiques continuelles sur la durée d’une relation conjugale. Ce que nous avons ici sont deux agressions sexuelles graves dans un contexte conjugal.

 

[71]      Les circonstances des infractions ici ne comportent pas de dynamique de violence similaire à ce que l’on peut observer dans d’autres dossiers. Par exemple, les circonstances des agressions ne révèlent pas de déclencheurs typiques d’un abuseur tels que la jalousie, la vengeance ou la punition en lien avec une contrariété ou un défaut d’obéir. Les agressions n’ont pas été accompagnées de violence autre que celle inhérente aux agressions sexuelles, telles que des coups et des blessures. Elles n’ont pas été initiées dans le but de causer du mal ou de la détresse psychologique. Il n’y a aucune dynamique de violence physique active ou même latente dans le couple.

 

[72]      Je ressens donc certaines difficultés en lien avec les efforts de la poursuite qui insiste pour caractériser le degré de responsabilité du Cplc Houde au même niveau qu’un homme constamment violent qui a en plus agressé sexuellement. Encore une fois, je me dois d’être juste et de souligner qu’aucune preuve n’a été entendue à l’effet que le Cplc Houde a usé de violence envers L.P. durant leur vie commune et depuis la fin de celle-ci en dehors des circonstances immédiates des deux infractions pour lesquelles il a été reconnu coupable par le comité de la cour martiale générale. De plus, pour les raisons expliquées précédemment, j’ai conclu que les deux appels téléphoniques mal avisés du Cplc Houde au capitaine Tremblay et que ses actions en lien avec ses efforts de récupération de ses meubles en janvier 2019 ne constituaient pas du harcèlement.

 

[73]      Le principe de proportionnalité exige que la détermination de la peine demeure hautement individualisée. Le Cplc Houde est la personne jugée ici. Tel que mentionné à l’article 203.3 de la LDN, la peine doit être adaptée aux circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration de l’infraction ou à la situation du contrevenant. J’ai fait état de la preuve pertinente aux circonstances de l’infraction précédemment, en plus de mentionner le point de vue de la personne la plus directement affectée par le comportement du Cplc Houde sur les impacts qu’elle continue de subir en lien avec les infractions. À la lumière de cette preuve, je dois maintenant considérer l’application des autres principes énumérés à l’article 203.3 de la LDN.

 

Autres principes

 

[74]      Les trois autres principes sont les suivants, mentionnés aux alinéas a) à e) de l’article 203.3 de la LDN.

 

a)                  L’exigence que la peine soit adaptée « aux circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration de l’infraction ou à la situation du contrevenant ». Un total de huit sous-alinéas sont inclus en tant que circonstances aggravantes à l’alinéa 203.3a) de la LDN. Les parties s’entendent à l’effet que le sous-alinéa (iii) s’applique en ce que les infractions « comportent des mauvais traitements infligés par le contrevenant à son époux ou conjoint de fait ». Les parties ne s’entendent pas sur l’application du sous-alinéa (i) en ce qui concerne la présence d’un abus de confiance et je reviendrai sur cette question dans un moment.

 

b)                  L’harmonisation des peines, « c’est-à-dire l’infliction de peines semblables à celles infligées à des contrevenants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables; »

 

c)                  Le principe de modération, illustrée par:

 

c) l’obligation, avant d’envisager la privation de liberté par l’emprisonnement ou la détention, d’examiner la possibilité de peines moins contraignantes lorsque les circonstances le justifient;

 

c.1) l’examen, plus particulièrement en ce qui concerne les contrevenants autochtones, de toutes les peines substitutives qui sont raisonnables dans les circonstances et qui tiennent compte du tort causé aux victimes ou à la collectivité;

 

d) l’infliction de la peine la moins sévère possible qui permette de maintenir la discipline, l’efficacité et le moral des Forces canadiennes;

 

e) la prise en compte des conséquences indirectes du verdict de culpabilité ou de la sentence.

 

Circonstances aggravantes

 

[75]      Les parties ne s’entendent pas sur l’application du sous-alinéa 203.3a) (i) en ce qui concerne la présence d’une « utilisation abusive de son grade ou un autre abus de confiance ou d’autorité ». Évidemment, il ne s’agit pas ici d’abus de grade ou d’autorité, mais la poursuite soumet que les circonstances révèlent un abus de confiance considérant que le Cplc Houde a commis l’infraction sur sa conjointe alors qu’elle était en petite tenue dans la sécurité présumée de son domicile et, surtout en ce qui concerne l’infraction dans la salle de bain, était vulnérable parce que malade. La défense s’oppose à cette caractérisation, mentionnant que la vulnérabilité d’un conjoint est une circonstance entièrement prévue au sous-alinéa (iii) et qu’en l’espèce les agissements du Cplc Houde n’avaient pas pour effet d’induire en erreur sa victime sur quoi que ce soit.

 

[76]      Le débat est compréhensible. Tel que mentionné par le juge en chef Wagner et le juge Rowe de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Friesen au paragraphe 125, « les relations de confiance se présentent dans de nombreuses situations et elles ne devraient pas toutes être traitées sur le même pied. Il serait plus logique de parler de [traduction] « spectre » de situations de confiance. » [Citation omise.] L’arrêt Friesen porte sur les agressions sexuelles envers les enfants, mais ses enseignements sont pertinents pour les affaires d’agressions sexuelles envers les adultes, lorsque la Cour discute de principes. On y mentionne au paragraphe 126 qu’ « Un enfant souffrira sans doute plus d’une agression sexuelle s’il y avait une relation étroite et un degré de confiance plus élevé entre lui et son agresseur » et au paragraphe 127 que « L’existence d’une relation de confiance peut empêcher l’enfant de dénoncer la violence sexuelle dont il est victime. L’abus de confiance peut entraîner un [traduction] « sentiment de crainte et de honte » qui décourage encore plus l’enfant de dénoncer son agresseur ».

 

[77]      Ces situations peuvent survenir aussi bien avec des adultes qui sont dans une relation intime et vivent avec leur agresseur, ceux-ci ayant plus à perdre d’une dénonciation et étant plus susceptibles d’être affectés par la crainte et la honte, comme c’est le cas d’ailleurs avec L.P. dans la présente affaire. Je suis conscient que certains juges pourraient estimer qu’un abus de confiance de ce genre est plutôt bas dans le spectre et peut être considéré comme étant inclus dans le facteur aggravant qui couvre les mauvais traitements d’un partenaire intime ou d’un membre de la famille (par exemple dans la décision R. v. CG, 2022 ABKB 696 au paragraphe 48). Pour ma part, je crois que les faits de l’espèce, surtout en ce qui concerne l’agression alors que L.P. était malade, constituent un abus de confiance, bien qu’il ne s’agisse pas là d’un facteur aggravant significatif considérant que c’est la circonstance particulièrement dégoûtante de cette infraction qui a un bien plus grand impact qu’une quelconque étiquette technique qui peut lui être attachée.

 

[78]      Je conclus que les faits suivants sont aggravants, étant d’avis qu’ils ont été prouvés hors de tout doute raisonnable conformément à l’alinéa 203.5(1)c) de la LDN.

 

a)         les deux infractions comportent des mauvais traitements infligés par le contrevenant à son époux ou conjoint de fait;

 

b)         les infractions comportent un abus de confiance en ce qu’elles ont eu lieu au domicile de la victime à des moments où elle était vulnérable;

 

c)         les circonstances immédiates des infractions sont aggravantes, principalement le caractère intrusif des gestes commis lors des deux agressions ainsi que leur contexte, d’une part la relation sexuelle forcée d’une conjointe malade et accroupie dans la salle de bain et d’autre part l’insistance pour avoir des relations sexuelles malgré un refus au moment du coucher, incluant les paroles blessantes prononcées pendant l’agression à l’effet qu’elle « était sa pute » et, en réponse à L.P. qui lui a dit qu’il la violait, qu’on « ne peut violer sa blonde »;

 

d)         les conséquences significatives des infractions sur la victime ainsi que sur son fils et son partenaire actuel, conformément à sa déclaration lue à la Cour.

 

[79]      Je suis d’avis que les antécédents judiciaires du Cplc Houde ne devraient pas être considérés comme facteurs aggravants dans le présent dossier. L’infraction de conduite avec facultés affaiblies date de 2008 et n’a aucun lien avec le comportement de nature sexuel pour lequel le contrevenant est présentement sanctionné. L’infraction de communication indécente est plus préoccupante, mais considérant qu’elle date de juin 2001, il y a plus de vingt-et-un ans, et que très peu de détails soient disponibles sur la nature exacte des gestes posés, je crois qu’il serait injuste de considérer cette condamnation en tant que facteur aggravant. Il semblerait que le Cplc Houde n’aurait jamais même rencontré la plaignante dans cette affaire qui vraisemblablement ne porte pas sur des actes de violence ou de menaces de violence. Finalement, l’infraction ayant résulté en une absolution inconditionnelle ne peut être considérée comme étant une condamnation considérant que le Cplc Houde est réputé n’avoir jamais été condamné aux yeux de la loi.

 

Circonstances neutres

 

[80]      De plus, je ne suis pas prêt, considérant les circonstances de la présente affaire notamment l’absence de contexte militaire, à considérer des facteurs typiquement militaires comme étant aggravants. Donc, les faits que le Cplc Houde porte un grade lui permettant de superviser d’autres militaires et qu’il se devait d’être familier avec les prohibitions sur les inconduites sexuelles ne seront pas considérés comme étant des facteurs aggravants.

 

[81]      J’ai considéré d’autres circonstances telles que les conséquences de la condamnation et la sentence sur la famille du contrevenant, le temps qui s’est écoulé depuis les infractions, le fait que le Cplc Houde était dans une relation de couple malsaine lors des événements et l’absence de violence physique autre que celle accompagnant les infractions comme n’étant pas des facteurs atténuants. Ce sont des facteurs neutres.

 

[82]      De plus, tel que monsieur Webanck observe dans son rapport, le Cplc Houde n’est pas prêt à admettre qu’il a commis les infractions qui lui sont reprochées. Son avocat a d’ailleurs signifié qu’il va se pourvoir en appel des verdicts de culpabilité. C’est son droit le plus strict. L’absence de remords ne peut constituer un facteur aggravant dans les circonstances et ne sera évidemment pas un facteur atténuant non plus.

 

Le rapport de l’expert criminologue

 

[83]      Tant qu’à être sur le sujet de l’opinion de monsieur Webanck, je crois qu’il est important d’énoncer mes conclusions sur la question du poids à donner aux conclusions de cet expert en criminologie.

 

[84]      Tout d’abord, en ce qui a trait à la réhabilitation, je constate que monsieur Webanck rapporte que le Cplc Houde « est ébranlé par ce verdict de culpabilité. Il y a déjà un effet dissuasif et punitif. Il est plus prudent dans ses relations intimes. Il est plus sensible à la nécessité d’obtenir un consentement libre et clair de sa partenaire sexuelle et bien conscient de l’impact que pourrait avoir un comportement abusif. » Je ne suis pas en mesure, à la lumière de ces mots, de conclure que le Cplc Houde a progressé sur le chemin de la réhabilitation depuis la commission des infractions ou des verdicts. Je ne vois rien dans ces mots qui me permette de considérer la présence d’un facteur atténuant.

 

[85]      En revanche, le rapport et l’opinion du criminologue confirment plusieurs caractéristiques personnelles du Cplc Houde qui constituent des facteurs atténuants tels qu’admis par la poursuite, soit le fait, pour utiliser les mots du procureur, qu’il est un bon père de famille et un atout pour les FAC et la société. Ces caractéristiques sont susceptibles d’avoir un impact atténuant sur la détermination de la peine considérant que lorsque combinés avec les conclusions de monsieur Webanck à l’effet que le Cplc Houde n’a pas la personnalité ou le profil généralement associé à un agresseur sexuel et qu’il n’a pas de facteurs criminogènes qui accentuent le risque de récidive, on voit l’image d’une route vers la réhabilitation plus courte pour le Cplc Houde que pour d’autres contrevenants. Bien que le Cplc Houde ne semble pas encore être prêt à parcourir cette route, lorsqu’il devra le faire il est susceptible d’arriver au but plus rapidement. Cette conclusion peut donc justifier une peine plus clémente, par exemple une période d’emprisonnement plus courte.

 

[86]      J’ai entendu et pris compte des objections de la poursuite en ce qui a trait aux conclusions de monsieur Webanck, tant celles qui ont été discutées lors du contre-interrogatoire que celles qui ont été plaidées par la suite. Ces objections ont, à mon avis, toutes été répondues par monsieur Webanck à ma satisfaction. Je n’ai aucune hésitation à m’appuyer sur les conclusions de monsieur Webanck pour arriver à rendre une sentence et des ordonnances justes dans ce dossier. Je dois ajouter que si la poursuite était d’avis que le rapport de monsieur Webanck était de nature à induire la Cour en erreur, il était tout à fait possible pour elle de faire appel à son propre expert pour contester les conclusions de l’expert de la défense. Sans expertise contraire, je ne suis pas en mesure de rejeter la preuve de monsieur Webanck.

 

Circonstances atténuantes

 

[87]      La Cour considère que les facteurs suivants sont atténuants :

 

a)                  l’absence de toute condamnation antérieure en semblable matière ou en matière de violence dans le passé;

 

b)                  le fait que le Cplc Houde apporte une contribution significative au bénéfice et au développement de ses enfants et de ceux de sa conjointe;

 

c)                  les états de service du contrevenant lors de sa carrière jusqu’à présent, incluant la contribution qui lui a permis de se mériter la mention élogieuse qui apparaît à sa fiche de conduite.

 

Autres principes applicables

 

[88]      L’article 203.3 de la LDN prévoit non seulement que les peines doivent être adaptées aux circonstances aggravantes ou atténuantes, mais également que la détermination de la peine doit tenir compte d’autres principes dont celui de l’harmonisation des peines, prévoyant l’infliction de peines semblables à celles infligées à des contrevenants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables.

 

[89]      Tel que mentionné précédemment, toute détermination de la peine part du principe que la peine doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du contrevenant. Tel que reconnu dernièrement par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Friesen, la parité est une manifestation de la proportionnalité et donne un sens à la proportionnalité en pratique. On ne peut déduire des principes de base une peine proportionnelle pour un délinquant et une infraction donnée : les juges calibrent plutôt les exigences de la proportionnalité en regard des peines infligées dans d’autres cas. Les précédents en matière de détermination de la peine reflètent un large éventail de situations factuelles, incarnent l’expérience collective et la sagesse des juges et représentent l’expression concrète de la parité et de la proportionnalité.

 

[90]      L’infraction d’agression sexuelle impliquant des adultes ne comporte pas de peine minimale et englobe un vaste éventail de situations factuelles à divers niveaux de gravité. Pour assister les juges, certaines cours d’appel provinciales ont suggéré des points de départ ou fourchettes de peines formelles qui s’imposent aux juges des cours inférieures en fonction d’une catégorisation ou échelle de gravité subjective des agressions sexuelles, à moins qu’un écart puisse se justifier. Cette question a été discutée dans l’arrêt Friesen, mais la Cour suprême a refusé l’invitation de promulguer des fourchettes de peines ou points de départ s’appliquant au niveau national. L’imposition d’une peine par la cour martiale n’est pas régie par des normes formelles imposées par notre Cour d’appel des cours martiales (CACM) de manière similaire à ce que certaines cours d’appel provinciales ont imposé.

 

[91]      Par contre, les juges militaires ont occasionnellement fait référence à la catégorie de « agression sexuelle grave » pour assister dans l’analyse de la gravité des circonstances de l’infraction sanctionnée, empruntant au langage utilisé par la Cour d’appel de l’Alberta dans l’arrêt R. c. Arcand, 2010 ABCA 363 pour qualifier un crime donné d’agression sexuelle « majeure ». Par exemple, ces termes ont été mentionnés par la cour martiale de R. c. Royes, 2013 CM 4034 au paragraphe 17 et dans R. c. McGregor, 2019 CM 4016 aux paragraphes 39 à 41. Cependant, ce terme n’a pas, à ma connaissance, été associé à un point de départ formel de la durée d’une peine d’incarcération par une cour martiale dans le passé, et ce, même pour des procès tenus en Alberta ou d’autres provinces où des points de départ ou fourchettes strictes s’appliquent.

 

[92]      Même si le présent dossier ne comporte que bien peu d’éléments de contexte militaire, je suis d’accord avec l’analyse de ma collègue, la juge Deschênes, aux paragraphes 54 à 60 de sa décision R. c. Thibault, 2021 CM 5016 à l’effet que l’application rigide de points de départ tels que ceux imposés aux cours albertaines pour les infractions d’agression sexuelle a le potentiel de faire échec à l’application des principes statutaires qui sont uniques au système de justice militaire. Elle appuie ses propos d’un extrait éloquent de l’arrêt R. c. Darrigan, 2020 CACM 1, qui est la plus récente décision de la CACM sur les questions d’imposition de la peine.

 

[93]      Le principe d’harmonisation des peines est donc applicable aux cours martiales de manière générale, sans balises strictes. L’harmonisation des peines, tout comme les points de départ ou fourchettes ne sont pas un carcan dont un juge ne peut se défaire. Il peut y avoir des circonstances qui justifient de s’écarter des peines qui sont habituellement infligées à des délinquants similaires ayant commis des crimes similaires. Par contre, en décidant de faire cela, le juge doit être en mesure de justifier cet écart de manière objective et compréhensible, sans quoi il risque d’imposer une peine disproportionnée.

 

[94]      De plus, il est important de ne pas perdre de vue le principe de modération dans l’imposition d’une peine. En effet, c’est la peine la moins sévère possible qui permet de maintenir la discipline, l'efficacité et le moral des FAC qui doit être imposée. La Cour doit aussi tenir compte de son obligation, avant d'envisager une peine d’incarcération, d'examiner la possibilité de peines moins contraignantes lorsque les circonstances le justifient. Dans le cas d’agressions sexuelles majeures ou graves comme ici, ce principe est moins pertinent considérant que la peine d’incarcération s’impose, conformément aux suggestions des parties qui recommandent d’un côté un an et de l’autre quatre ans d’emprisonnement. Finalement, les conséquences indirectes du verdict de culpabilité ou de la sentence doivent être prises en compte lors de la détermination de la peine.

 

La détermination de la peine appropriée

 

[95]      Je dois tout d’abord mentionner que je suis en accord avec les parties à l’effet que les infractions commises par le Cplc Houde doivent manifestement être punies par une peine d’emprisonnement.

 

[96]      J’ai souvent dans le passé accompagné l’imposition d’une peine d’emprisonnement par une peine militaire tel que la destitution ignominieuse du service de Sa Majesté (McGregor), la destitution (R. v. Beaudry, 2016 CM 4011) ou la rétrogradation (R. v. Turner, 2022 CM 4002). Une telle combinaison ne serait pas, selon moi, appropriée considérant l’absence de circonstances militaires dans la présente affaire.

 

[97]      Les parties m’ont soumis plusieurs décisions et je les ai parcourus avec intérêt. Elles m’ont assisté à comprendre les principes applicables et à saisir la complexité de la tâche qui m’incombe. Il m’est par contre apparu évident de l’examen de ces causes qu’aucune de celles-ci ne traite spécifiquement des circonstances clés de la présente affaire. J’ai devant moi deux agressions sexuelles dans le cadre conjugal, séparées de quelques années et qui ont fait surface suite à la fin de la relation sans qu’aucune autre forme de violence ne se soit manifestée pendant ou après la relation, outre la violence inhérente aux deux agressions, qui par ailleurs ont été commises par un contrevenant qui n’a aucun antécédent en matière de violence ou en matière d’inconduite sexuelle.

 

[98]      C’est donc dire qu’il y a peu de décisions reflétant un profil contextuel semblable à celui qui est à l’œuvre ici, contrairement à d’autres situations factuelles permettant une analyse plus directe des peines imposées précédemment, par exemple pour des agressions sexuelles commises sur une victime s’étant assoupie intoxiquée lors ou après une fête.

 

[99]      L’examen des décisions des tribunaux québécois qui m’ont été soumises révèle une tendance forte et encore d’actualité (entre autres dans R. c. Dion, 2020 QCCQ 5774 et DPCP c. Rousseau, 2022 QCCQ 934) à référer à un ouvrage de doctrine par les auteurs Hugues Parent et Julie Desrosiers intitulé, Traité de droit criminel, Tome III, La peine, 2e éd., Montréal, Édition Thémis, 2016 dans lequel ils répertorient les peines généralement imposées dans le cas d’agression sexuelle en trois catégories:

 

576. i) Les peines de plus courte durée (les sentences de moins de deux ans) : Ces sentences sanctionnent des gestes sexuels de peu de gravité ou survenus en de rares occasions ou sur une courte période de temps, commis à l’endroit d’une seule victime. Les arrêts récents de la Cour d’appel du Québec indiquent clairement que des gestes de la nature d’attouchements, même lorsqu’ils sont perpétrés au cours d’un incident unique et isolé, peuvent mener, voire mènent généralement à l’emprisonnement ferme. Les sentences imposées ou confirmées en appel pour ce genre de délit peuvent aller jusqu’à 23 mois d’incarcération.

 

[…]

 

Des gestes plus envahissants comme une pénétration peuvent justifier un alourdissement de la peine consécutif à l’aggravation de l’infraction.

 

[…]

 

583. ii) Les sentences de 2 ans moins un jour à 6 ans, avec une concentration importante de 3 à 4 ans : Selon le juge Sansfaçon, la ligne médiane des peines pour crimes sexuels se situerait autour de 3 ans et demi. Ce commentaire, certes judicieux, émane de la lecture des jugements soumis par les procureurs afin d’asseoir leur suggestion de peine respective. Les trames factuelles des affaires soumises tendaient donc naturellement à s’approcher des faits de l’affaire Cloutier : pas de casier judiciaire, abus de confiance, de pouvoir et d’autorité, mais absence de violence directe (autre que celle inhérente à la nature de l’infraction). Dans ce contexte, les jugements de la Cour d’appel confirment ce seuil.

 

[…]

 

585. iii) Les peines de plus longue durée (peines de plus de 6 ans): Le juge Sansfaçon note que « les sentences de 7 à 13 ans ont été imposées en raison de circonstances particulières de violence, au-delà des gestes sexuels et/ou de la présence d’antécédents judiciaires et évidemment en relation avec des infractions comportant une gravité objective « élevée ».

 

[100]    Les parties ne s’entendent pas sur la catégorie applicable aux faits de la présente affaire. La poursuite plaide que nous sommes clairement dans la deuxième catégorie alors que la défense est d’avis que nous sommes dans la première, celle-ci pouvant inclure la pénétration comme ici. Je suis d’avis que nous sommes dans la deuxième catégorie qui inclut des peines de deux ans moins un jour à six ans, et ce, même si les circonstances du présent dossier m’indiquent que l’on se trouve à la limite inférieure de cet éventail.

 

[101]    Malgré une présence importante de peines de trois à quatre ans, je note que la catégorisation des faits de l’affaire R. c. Cloutier, 2004 QCCQ 48297 est sensiblement applicable aux faits applicables ici en ce qui concerne le Cplc Houde, qui semble même se situer à un plus bas niveau de gravité en ce qui a trait au spectre de l’abus de confiance. Conséquemment, je me dois de conclure que la recommandation de la défense pour une peine de douze mois est à l’extérieur de la fourchette. Je ne peux justifier une peine si clémente et je dois donc rejeter cette recommandation.

 

[102]    La poursuite, pour sa part, recommande une peine de quatre ans, sur la base du fait que la ligne médiane des peines de la deuxième catégorie se situerait autour de trois ans et demi selon les auteurs et que des facteurs aggravants présents ici justifient d’imposer une peine de quatre ans.

 

[103]    Malgré mes préoccupations exprimées plus tôt sur la gravité de l’infraction et les conséquences graves et persistantes sur la victime, j’ai beaucoup de difficultés à accepter que le Cplc Houde mérite une peine aussi sévère que celle suggérée par la poursuite considérant le spectre de son activité criminelle limité à deux événements précis et les facteurs atténuants mentionnés précédemment.

 

[104]    Spécifiquement, je doute de l’opportunité d’envoyer le Cplc Houde purger une peine de pénitencier alors qu’il démontre de si bonnes perspectives de réhabilitation.

 

[105]    Cependant, je dois m’interroger sur la validité de ce doute. En effet, bien que la Cour suprême du Canada ait reconnu que l’imposition d’une peine n’est pas un exercice scientifique et précis, il reste que c’est un exercice encadré par des principes et par la preuve.

 

[106]    Je ne crois pas que ma perception négative des impacts significatifs d’une peine de pénitencier sur le Cplc Houde soit basée que sur du vent. Ma perception s’arrime sur des objectifs et principes d’imposition de la peine. Premièrement, l’objectif de réhabilitation, qui, tel que mentionné, demeure présent malgré la prédominance des principes de dénonciation et de dissuasion. Le potentiel de réhabilitation du Cplc Houde est confirmé par l’analyse d’un criminologue ayant plus de vingt-cinq ans d’expérience. Je suis d’avis que cette réhabilitation a plus de chance de se matérialiser s’il purge sa peine dans un établissement provincial de sa région avec un accès à son réseau d’amis et des perspectives d’emploi locales au moment de sa libération. Deuxièmement, la considération des conséquences indirectes de la peine. À mon avis, celle-ci est susceptible de causer des dommages collatéraux beaucoup moins grands sur sa famille, surtout ses enfants, si elle est purgée à proximité. Finalement, le principe de modération qui m’amène à interpréter tout doute que je peux avoir en faveur de la modération de la sévérité de la peine.

 

[107]    Ces trois facteurs militent pour l’imposition d’une peine d’emprisonnement de moins de deux ans au Cplc Houde. Cette peine est dans la fourchette des peines appliquée au Québec pour des crimes similaires à des contrevenants similaires. La révision des circonstances des peines imposées dans tous les dossiers soumis à mon attention par les parties à l’audience n’ébranle aucunement ma conviction qu’une peine de deux ans moins un jour est proportionnelle et appropriée en considération des circonstances du présent dossier.

 

Les ordonnances accessoires

 

[108]    Il fut une époque où les ordonnances accessoires étaient imposées de manière plutôt machinale, sans trop de débats. Ce n’est plus le cas.

 

Identification des accusés et des contrevenants

 

[109]    L’exception en l’espèce a trait à l’ordonnance pour autoriser le prélèvement d’échantillons de substances corporelles pour analyse génétique sur le Cplc Houde. Les parties s’entendent à l’effet qu’au terme de l’article 487.04 du Code criminel, une agression sexuelle est une infraction primaire, punissable sous l’article 130 de la LDN. Après avoir examiné les articles 196.11 et 196.14 de la LDN, je suis d’accord. Je conclus que la Cour possède l’autorité nécessaire pour rendre une ordonnance de prélèvement d’échantillons de substances corporelles pour analyse génétique.

 

Ordonnance d’interdiction de possession d’armes

 

[110]    La poursuite réclame l’émission d’une ordonnance en vertu de l’article 147.1 de la LDN interdisant au Cplc Houde d’avoir en sa possession une arme à feu. La défense s’oppose énergiquement à cette demande surtout que le Cplc Houde pratique la chasse sur les terres de sa famille dans le Bas-Saguenay chaque automne depuis qu’il est jeune et donc l’ordonnance aura un impact significatif sur lui et ses intérêts légitimes, sans qu’elle ne soit justifiée par une quelconque preuve à l’effet qu’il constitue une menace pour lui-même ou d’autres personnes.

 

[111]    Au soutien de sa demande, la poursuite indique qu’une telle ordonnance serait obligatoire dans une cour civile en vertu des alinéas 109(1)(a) et (a.1) du Code criminel, et que je devrais donc m’inspirer de cette disposition dans l’exercice de ma discrétion en l’espèce. La poursuite mentionne aussi que nous sommes dans un contexte de violence conjugale qui soulève nécessairement les passions et que le Cplc Houde pourrait être affecté mentalement par la peine et devenir instable. On mentionne également le défaut du Cplc Houde d’enregistrer une arme dans le passé et la situation de harcèlement envers le capitaine Tremblay et L.P.

 

[112]    Je constate en effet que si j’étais un juge civil dans la même situation je devrais imposer l’ordonnance. La question est de savoir si cet état de fait est suffisant en soi pour que j’exerce ma discrétion d’imposer cette ordonnance. Pour répondre à cette question, la première source à consulter est la législation qui accorde et souvent encadre l’exercice de la discrétion judiciaire. Un examen des mots utilisés à l’article 147 de la LDN s’impose:

 

147.1 (1) La cour martiale doit, si elle en arrive à la conclusion qu’il est souhaitable pour la sécurité du contrevenant ou pour celle d’autrui de le faire, en plus de toute autre peine qu’elle lui inflige, rendre une ordonnance lui interdisant d’avoir en sa possession des armes à feu […]

 

147.1 (1) If a court martial considers it desirable, in the interests of the safety of an offender or of any other person, it shall — in addition to any other punishment that may be imposed for the offence — make an order prohibiting the offender from possessing any firearm […]

 

[113]    Il m’appert clairement que l’exercice de ma discrétion d’imposer une ordonnance d’interdiction est conditionnel à ce que j’arrive à la conclusion que cela est souhaitable pour la sécurité du contrevenant ou celle d’autrui. Je concède que le terme « souhaitable » suggère un test qui n’est pas aussi exigeant que « nécessaire » par exemple. Dans le deuxième cas, la preuve devrait révéler une probabilité raisonnable que la sécurité soit compromise en l’absence d’ordonnance. Dans le cas d’une ordonnance qui soit « souhaitable », la preuve n’a besoin que de révéler que la sécurité serait améliorée avec l’ordonnance.

 

[114]    Si en revanche la preuve ne révèle aucun risque pour la sécurité, l’ordonnance n’améliore rien. Dans les faits qui nous intéressent, il n’y a aucune preuve de menace à la sécurité de quiconque. Malgré les appels et messages textes inopportuns en provenance de la Roumanie à l’automne 2018, la Cour n’a entendu aucune preuve à l’effet que le Cplc Houde aurait proféré des menaces qui révèlent un risque objectif pour la sécurité de quiconque. Il est évident que ces communications n’étaient pas bienvenues et qu’elles étaient même malavisées, tel que mentionné précédemment. Par contre, elles n’étaient pas suffisantes pour démontrer un risque à la sécurité. Les échanges de janvier 2019 au retour de Roumanie alors que les relations étaient tendues en lien avec la perception par le Cplc Houde qu’on lui avait vidé sa maison et dérobé de l’argent sont encore plus révélatrices. Il n’y a aucune preuve à l’effet que le Cplc Houde a menacé quiconque malgré sa colère extrême et sa totale perte de contrôle sur la situation, des conditions qui génèrent souvent un recours à la violence. Qu’est-ce que le Cplc Houde a fait lorsqu’il arrive à un cul-de-sac dans sa discussion avec L.P. sur le retour du 5 000 $ qu’elle avait supposément retiré du compte conjoint pour le transférer à son nom? Il a communiqué avec la police de qui il a obtenu de l’aide. Avec respect, ce n’est pas le comportement de quelqu’un qui désire menacer ou attenter à la sécurité des gens.

 

[115]    Je tiens à préciser que l’existence objective de risque pour la sécurité n’est pas la même chose que la perception subjective de la part d’une personne que sa sécurité est compromise. Malgré ma conclusion sur l’absence objective de harcèlement, je réalise et j’accepte que le capitaine Tremblay et surtout L.P. avaient peur, pour vrai. Cette peur n’était pas irrationnelle : elle a d’ailleurs été fondée sur des motifs jugés raisonnables par le juge de paix qui a émis une ordonnance sous l’article 810 du Code criminel en septembre 2019. Il reste que ces motifs n’ont pas besoin d’être objectifs. Le Cplc Houde a respecté les conditions de cette ordonnance. Il s’agit d’un fait objectif, tout comme le fait qu’il n’a jamais menacé la sécurité de quiconque ni de lui-même, à l’exception des deux infractions dont il s’est rendu coupable dans le présent dossier.

 

[116]    Ma conclusion est conforme aux enseignements de la Cour d’appel de l’Alberta dans l’arrêt R. v. Wauer, 2014 ABCA 270 (CanLII). Il s’agissait d’une affaire en lien avec l’ordonnance discrétionnaire prévue à l’article 110 du Code criminel, un article qui utilise le même langage clé que l’article 147.1 de la LDN en ce qui a trait à l’exigence que la Cour « arrive à la conclusion qu’il est souhaitable pour la sécurité » qu’une ordonnance soit émise. La Cour indique, au paragraphe 22 de Wauer que, « if the court is not satisfied there is a safety concern it cannot make a prohibition order. There must be some evidence of a safety concern or reason to believe that safety is a concern. » Je note également que la Cour a aussi mentionné que la nature de l’infraction peut, dans certaines circonstances, être suffisante en soi pour justifier une ordonnance d’interdiction. Ces circonstances étaient présentes dans Wauer soit le fait que l’auteur d’un vol de matériaux était en possession d’une arme prohibée lors du larcin et de la confrontation qui a immédiatement suivi. Les circonstances d’une agression sexuelle sans présence d’arme ne sont pas de même nature. L’agression sexuelle en soi n’est pas suffisante pour justifier d’imposer une ordonnance de prohibition en l’absence de preuve de risque pour la sécurité. D’ailleurs aucune ordonnance de prohibition n’a été imposée au sergent Thibault dans le cadre de sa sentence pour agression sexuelle (voir Thibault au paragraphe 68.)

 

[117]    Je conclus donc que bien que l’émission d’une ordonnance interdisant la possession d’arme serait nul doute bienvenue de la part de L.P. et du capitaine Tremblay, ce n’est pas le critère que je dois appliquer dans mon rôle de juge. La loi ne me permet pas d’imposer une telle ordonnance en l’absence de preuve de risque à la sécurité. Je dois donc de m’abstenir de le faire.

 

Ordonnance en vertu de la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels (LERDS)

 

[118]    Le paragraphe 227.02(2.1) de la LDN impose l’obligation pour la Cour d’émettre une ordonnance enjoignant le Cplc Houde de se conformer à la LERDS à perpétuité considérant qu’il a été reconnu coupable de deux infractions d’agression sexuelle.

 

[119]    Cependant, tel qu’expliqué en détail dans la décision rendue sur sentence dans la cour martiale de Luis, aux paragraphes 114 à 119, la Cour suprême du Canada a décidé le 28 octobre 2022 dans l’arrêt Ndhlovu, que les articles du Code criminel sur lequel les dispositions de la LDN sont basées en ce qui concerne le LERDS sont inconstitutionnels, car ils violent les droits des contrevenants sous l’article 7 de la Charte et ne peuvent être sauvé par l’article 1. Cette conclusion s’applique aux articles correspondants de la LDN, ce qui est accepté par les parties, la poursuite faisant même une demande pour un enregistrement d’une durée de vingt ans au lieu d’à perpétuité considérant que l’enregistrement à perpétuité a été rendu inopérant avec effets immédiats dans Ndhlovu alors que l’enregistrement pour vingt ans demeure valide pour une durée d’un an.

 

[120]    Je réalise que depuis la décision dans Luis des contrevenants peuvent se voir imposer des ordonnances sous la LERDS considérant que la déclaration d’inconstitutionnalité a été suspendue pour un an. Cette situation ne contredit en rien ce qui a été décidé dans Luis, c’est-à-dire qu’un accusé qui reçoit sa sentence peut soumettre une requête pour demander un remède personnel sous l’article 24 de la Charte au juge militaire qui lui aurait normalement imposé une ordonnance d’enregistrement, de manière à être exempté de cette exigence en raison de l’état actuel du droit. Le Cplc Houde a soumis une telle requête à la Cour.

 

[121]    Son avocat plaide, se basant sur le rapport et le témoignage d’expert de Monsieur Webanck, que le Cplc Houde a prouvé qu’il ne représente qu’un très faible risque de récidive, tout comme monsieur Ndhlovu, et devrait donc être exempté de devoir s’enregistrer sous la LERDS. La poursuite s’oppose, mentionnant que le rapport de monsieur Webanck devrait être rejeté. Pour les raisons exprimées précédemment, je ne suis pas d’accord que les conclusions de monsieur Webanck doivent être rejetées et je les accepte. La question est de déterminer si l’opinion de l’expert sur les risques de récidive est suffisante pour que je puisse conclure que le Cplc Houde s’est déchargé de son fardeau de démontrer que l’obligation d’enregistrement aurait des effets sur son droit à la liberté sans lien avec l’objectif du régime ou serait totalement disproportionnée.

 

[122]    Les effets de l’obligation d’enregistrement sous la LERDS ont été décrits en détail dans l’arrêt Ndhlovu et ils sont significatifs. La Cour peut prendre connaissance judiciaire de ceux-ci. Monsieur Webanck a conclu que le Cplc Houde représentait un risque de récidive sous la moyenne chez les délinquants sexuels, et que le profil criminologique et psychosocial du Cplc Houde n’inclut pas des facteurs criminogènes qui accentuent ce risque même s’il ne reconnaît pas avoir commis les agressions sexuelles qui lui sont reprochées. Je reconnais que l’évaluation du risque constitue une analyse individualisée faisant entrer en ligne de compte de nombreuses variables, mais je suis satisfait que monsieur Webanck a considéré celles-ci adéquatement et a fourni des conclusions qui sont conformes au savoir scientifique qu’il possède et qu’il a partagé avec la Cour de manière complète, honnête et neutre. Ces conclusions n’ont d’ailleurs pas été contredites.

 

[123]    Dans les circonstances et à la lumière de la preuve entendue sur la personnalité et les agissements antérieurs du Cplc Houde, je n’ai aucune hésitation à conclure qu’il est peu probable que le Cplc Houde récidive. Vu cette conclusion, il n’y a aucun lien entre l’assujettissement du Cplc Houde à une ordonnance en vertu de la LERDS et l’objectif de recueillir au sujet des délinquants des renseignements qui peuvent aider la police à prévenir les infractions sexuelles et à enquêter sur celles-ci. Je dois donc l’exempter de cet enregistrement.

 

POUR CES MOTIFS LA COUR :

 

[124]    CONDAMNE le Cplc Houde à une peine d’emprisonnement de deux ans moins un jour, c’est-à-dire vingt-trois mois et vingt-neuf jours.

 

[125]    ORDONNE le prélèvement d’échantillons de substances corporelles pour analyse génétique.


 

Avocats:

 

Le directeur des poursuites militaires, tel que représenté par le capitaine C. Sénécal et le major H. Bernatchez

 

Me J-M Tremblay, représentant le service d’avocats de la défense, avocat du Cplc C. Houde

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