Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 24 avril 2023

Endroit :

11 avril 2023 : Centre Asticou, bloc 2600, pièce 2601, salle d’audience, 241 boulevard de la Cité-des-Jeunes, Gatineau (QC)
24-27 avril 2023 et 29 mai-1 juin 2023 : Base des Forces canadiennes Halifax, salle d’audience, suite 505, 6080 rue Young, Halifax (NÉ)

Langue du procès : Français

Chefs d’accusation :

Chef d’accusation 1 : Art. 129 LDN, conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline.
Chef d’accusation 2 : Art. 90 LDN, absence sans permission.

Résultats :

VERDICTS : Chef d’accusation 1 : Retiré. Chef d’accusation 2 : Coupable.
SENTENCE : Un blâme et une amende au montant de 2000$.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE GÉNÉRALE

 

Référence: R. c. Lavoie, 2023 CM 4013

 

Date : 20230601

Dossier : 202243

 

Cour martiale générale

 

Salle d’audience Halifax, bureau 505

Halifax (Nouvelle-Écosse), Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté le Roi

 

- et -

 

Caporal J. Lavoie, contrevenant

 

 

En présence du : Capitaine de frégate J.B.M. Pelletier, J.M.


 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

Introduction

 

[1]               Avant le début de son procès en cour martiale générale, le caporal (Cpl) Lavoie a reconnu sa culpabilité sous le deuxième chef à l’acte d’accusation, sous l’article 90 de la Loi sur la défense nationale (LDN) pour absence sans permission. Plus précisément, le contrevenant a reconnu que le 11 février 2022, alors qu’il devait se trouver à son domicile de Cold Lake en Alberta pour, tel qu’il avait déclaré à sa chaîne de commandement, s’isoler par suite d’un test positif à la COVID-19, il a plutôt pris un avion en direction d’Halifax pour rejoindre sa fiancée enceinte, dans la maison qu’ils avaient achetée ensemble quelques mois auparavant.

 

[2]               Après avoir accepté le plaidoyer de culpabilité sur le deuxième chef le 24 avril 2023, la Cour a tenu deux auditions pour la détermination de deux voir-dire en anticipation du procès à venir sur le premier chef d’accusation sous l’article 129 de la LDN pour Comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline. La possibilité d’une autre requête de la part de la défense a été révélée à la suite de la preuve entendue lors de ces voir-dire. À ce moment, les parties sont entrées en discussion pour un règlement, avec succès. À la reprise des auditions à Halifax le 29 mai 2023, la poursuite a retiré le premier chef d’accusation sous l’article 129 de la LDN pour avoir « négligé de s’isoler à sa résidence, tel qu’il devait le faire ». La Cour a, par la suite, procédé à une audition sur la peine.

 

[3]               Il est maintenant de mon devoir d’imposer la sentence appropriée. Pour ce faire, je dois considérer les faits pertinents qui ont été révélés par la preuve documentaire et testimoniale présentée lors de l’audition sur la peine et lors des auditions précédentes. J’ai également tenu compte du cadre législatif pertinent, des précédents jurisprudentiels autant au niveau du traitement des principes applicables que du barème des peines précédemment imposées dans des circonstances similaires. Finalement, j’ai tenu compte des soumissions des avocats représentant les parties.

 

Positions des parties

 

Poursuite

 

[4]               La poursuite soutient que la Cour doit imposer une sentence composée d’un blâme et d’une amende de 2 700 $. Le procureur soumet que l’infraction commise par le Cpl Lavoie constitue un bris de confiance significatif et de ce fait, nécessite l’imposition d’une peine qui a un impact réel et est susceptible de satisfaire aux objectifs d’imposition de la peine applicables en l’espèce, surtout la dénonciation et la dissuasion. La poursuite soumet au soutien de sa recommandation un certain nombre de décisions de cours martiales ayant imposé des sentences composées de peines similaires, soit un blâme assorti d’une amende.

 

Défense

 

[5]               Pour sa part, la défense soutient qu’au-delà des grands principes, il est primordial que la Cour impose une peine qui prenne en considération les circonstances exceptionnelles dans lesquelles se trouvait le Cpl Lavoie au moment des infractions. La défense demande à la Cour de tenir compte du fait que l’infraction pour laquelle le Cpl Lavoie doit être puni s’est déroulée dans le contexte d’une situation difficile pour lui, alors qu’il souffrait de troubles mentaux en lien avec ses tentatives infructueuses jusque-là d’être affecté auprès de sa fiancée enceinte à Halifax. En conséquence, il agissait de manière irrationnelle. Dans ces circonstances et sur la base de la preuve indiquant que les performances du Cpl Lavoie sont entièrement satisfaisantes depuis son affectation à Halifax, la défense me demande de privilégier le principe de réhabilitation dans l’imposition de la peine. De manière à ne pas compromettre cette réhabilitation déjà bien entamée du Cpl Lavoie, la défense me demande de l’absoudre inconditionnellement au lieu de le condamner ou, dans l’alternative de le condamner à une peine mineure ou une amende de 200 $, de manière à ce que la condamnation puisse être retirée de sa fiche de conduite dans un délai d’un an au lieu de trois ans autrement.

 

 

Les faits

 

Introduction

 

[6]               Dans l’exécution de mon devoir en ce qui a trait à la détermination de la peine, je dois considérer les faits pertinents révélés par la preuve, qui sont sujets à mon évaluation. Le paragraphe 203.5(1) de la LDN prévoit qu’avant de m’appuyer sur un fait contesté pour déterminer la peine, je dois être convaincu par une preuve prépondérante de l’existence de ce fait et que, si un fait contesté est aggravant, la poursuite a le fardeau de prouver ce fait hors de tout doute raisonnable.

 

[7]               L’article 203.2 de la LDN prévoit que la peine doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du contrevenant. Je crois utile de résumer la preuve en ce qui a trait aux circonstances du contrevenant et de l’infraction.

 

Circonstances du contrevenant

 

[8]               Les documents devant être présentés à la Cour en vertu de l’alinéa 112.51(2) des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC) révèlent que le Cpl Lavoie est un policier militaire âgé de vingt-neuf ans, affecté depuis mars 2022 à l’unité de Police militaire d’Halifax. Ayant grandi à Casselman, près d’Ottawa, il a joint les Forces armées canadiennes (FAC) en octobre 2012 en tant que fantassin, au sein du 2e Bataillon du Royal 22e Régiment après avoir complété l’instruction de base et de métier en juin 2013. Il a été déployé avec une portion de son bataillon pour six mois en Lettonie en 2019.

 

[9]               En 2020, le Cpl Lavoie a pris la décision d’appliquer pour un changement de métier pour devenir policier militaire. À la suite d’un processus de sélection rigoureux, il a été accepté et a débuté son cours de cinq mois à l'école de Police militaire des Forces canadiennes de la base des Forces canadiennes (BFC) Borden en janvier 2021. Pendant ce cours, il a rencontré sa conjointe actuelle qui était également candidate. Les deux ont réussi le cours, mais, malgré leurs demandes, ils n’ont pas été affectés au même lieu par la suite. En effet, son amoureuse était limitée en ce qui a trait à sa mobilité géographique considérant qu’elle a deux enfants nés de l’union avec un ex-conjoint militaire affecté à Halifax, avec qui elle a une entente de séparation prévoyant une garde partagée. Le Cpl Lavoie, pour sa part, a été affecté en Alberta, à l’escadron de Police militaire de la BFC Cold Lake, située à environ trois heures de route au nord-est d’Edmonton. Il est arrivé à cet endroit en juillet 2021 et s’est installé dans un logement militaire avec ses meubles et effets. Pendant ce temps, son amoureuse commençait son affectation à l’unité de Police militaire d’Halifax, tout en résidant chez son ex-conjoint dans la région.

 

[10]           La décision des autorités de ne pas accéder à la requête du couple d’être affecté ensemble à Halifax ne ralentit pas leurs efforts pour solidifier leur situation aux yeux de la chaîne de commandement. Au moment de leur cours à Borden, le Cpl Lavoie et son amoureuse n’ont aucun statut officiel en tant que conjoints, tel que mentionné par le Cpl Lavoie lors de son témoignage. Le Cpl Lavoie entreprend donc de fréquents voyages à Halifax pour être avec son amoureuse. Ils se fiancent. Ils tentent d’avoir un enfant ensemble, même si cela ne garantirait pas que le Cpl Lavoie puisse être affecté à Halifax, tel qu’il mentionne à une travailleuse sociale lors d’une rencontre pour une consultation en santé mentale le 13 septembre 2021, selon les documents produits par la défense et admis comme pièce 15. Le couple achète même une résidence ensemble dans la région d’Halifax en septembre 2021, ce qui pourrait selon eux influencer positivement leurs chances d’être réunis à Halifax selon les propos du Cpl Lavoie à la travailleuse sociale lors d’une autre discussion le 7 octobre 2021. Malheureusement, ce n’est pas le cas, même que cet achat augmente le stress du Cpl Lavoie qui vit alors la pression financière de payer un loyer à Cold Lake et la moitié d’une hypothèque à Halifax. Quelques semaines plus tard, le Cpl Lavoie apprend que sa fiancée est enceinte. Bien que cela soit une bonne nouvelle, comme il a mentionné dans son témoignage, cela ajoute à son stress car il souhaite vivement pouvoir être près de celle qui attend leur enfant avec certains soucis de santé. Celle-ci doit d’ailleurs continuer à prendre soin de ses deux enfants à elle et ce, sans soutien familial, leurs deux familles étant au Québec et en Ontario respectivement.

 

[11]           La pression que vit le Cpl Lavoie à l’automne 2021 est donc significative et influence négativement sa santé mentale, ce qui se manifeste par une perte de poids, des difficultés à dormir et des crises de colère au travail, surtout en lien avec la perception qu’a le Cpl Lavoie que sa chaîne de commandement ne supporte pas ses démarches pour être affecté à Halifax. Malgré cette perception, le Cpl Lavoie bénéficie du soutien de la travailleuse sociale qui, dès le 7 octobre 2021, lui soumet un plan pour se reprendre en main. Ce plan en plusieurs étapes inclut la soumission d’une demande formelle pour obtenir un déménagement imprévu pour motifs personnels aux frais du public (qui a été décrite par les termes « requête pour un contingency cost move » lors de l’audition), et ce, conformément à la Directive et ordonnance administrative de la défense (DOAD) 5005-6. Cette demande sera finalement formulée le 10 décembre 2021 par le Cpl Lavoie à son gérant de carrière via sa chaîne de commandement. Le même jour, l’aumônier sénior de la 4e Escadre de Cold Lake ajoute une note manuscrite à la demande signée par le Cpl Lavoie à l’effet qu’autant lui que l’aumônier de l’unité du Cpl Lavoie supportent sa demande. À 14 h 37 le même jour, le commandant du Cpl Lavoie signe et transmet une demande d’évaluation au centre de santé de Cold Lake en ce qui concerne la demande. À 15 h 50 le même jour, la travailleuse sociale du Cpl Lavoie réfère la demande à une collègue car en tant que clinicienne assignée au Cpl Lavoie, elle ne peut procéder à l’évaluation demandée qui, je présume, nécessite un certain détachement.

 

[12]           L’évaluation en question demande des entrevues avec entre autres le Cpl Lavoie et sa fiancée et est relativement complexe. Celle-ci a été effectuée en décembre 2021 et janvier 2022. Le rapport, en date du 20 janvier 2022, fait état du fait que bien que vivre séparé de conjoints et d’enfants est fréquent au sein des FAC, le cas du Cpl Lavoie est exceptionnel considérant qu’autant lui que sa fiancée subissent des difficultés d’ajustement qui influencent négativement leur santé mentale, une situation susceptible de se régler par l’affectation du Cpl Lavoie à Halifax, autant pour son bénéfice que celui des FAC.

 

[13]           Le Cpl Lavoie a commencé son service à Halifax en avril 2022. Le sergent (Sgt) Fontaine, son superviseur à la patrouille pendant quelques mois, a témoigné à l’effet que le Cpl Lavoie a performé de manière tout à fait satisfaisante avec des standards élevés et une attitude positive. Bien que préoccupé par son futur procès devant la cour martiale, le Cpl Lavoie n’a pas laissé ce stress supplémentaire affecter sa performance. Il a un bon potentiel de progression dans le métier, le Sgt Fontaine le voyant comme un bon leader de patrouille au grade de caporal-chef et même plus dans le futur. Ces observations sont conformes aux informations apparaissant à l’évaluation annuelle écrite produite à la pièce 14.  

 

[14]           Le 14 juin 2022, le fils du Cpl Lavoie est né et les fiancés ont alors obtenu le statut de conjoints de fait conformément à l’ORFC 1.075.

 

Circonstances de l’infraction

 

[15]           Considérant qu’il y a eu un plaidoyer de culpabilité, la poursuite a produit un sommaire des circonstances qui a fourni un minimum d’information sur les circonstances immédiates de l’infraction, tout en faisant référence à des documents entrés en preuve, soit un échange de messages textes entre le Cpl Lavoie et sa superviseure immédiate le 10 et 11 février 2022 à la pièce 6, et des manifestes de vols révélant la présence du Cpl Lavoie sur un vol au départ d’Edmonton le 11 février 2022 et en direction d’Edmonton le 27 février 2022, à la pièce 7.

 

[16]           Le sommaire des circonstances qui a été soumis à la Cour étant insuffisant pour énumérer les faits essentiels à la compréhension des circonstances de l’infraction, il y a donc lieu pour moi d’offrir le résumé suivant, sur la base des faits révélés par l’ensemble de la preuve.

 

a)                  Tel que mentionné précédemment, dès son arrivée à Cold Lake en juillet 2021, le Cpl Lavoie se déclare malheureux de son lieu d’affectation et de son milieu de travail, surtout en raison de la séparation d’avec son amoureuse. Ses démarches pour être affecté à Halifax selon lui ne plaisent pas à sa chaîne de commandement, qu’il admet outrepasser régulièrement, par exemple pour s’entretenir directement avec son gérant de carrière. Suite à l’achat de la résidence à Halifax et la nouvelle de la grossesse de sa fiancée, le Cpl Lavoie mentionne avoir senti une énorme pression et beaucoup de culpabilité considérant qu’il n’était pas en mesure d’aider celle-ci à Halifax. C’est à cette époque qu’il consulte régulièrement en santé mentale à Cold Lake, faisant état de symptômes dépressifs lorsqu’il revient à son poste à Cold Lake suite à ses nombreux voyages à Halifax.

 

b)                  Malgré ces difficultés, à la fin janvier ou tout début février 2022, le Cpl Lavoie est finalement informé qu’il est sur le point d’être affecté à Halifax et les plans concrets pour son déménagement sont faits, avec un départ prévu le 8 mars.

 

c)                  À cette période cependant, le Cpl Lavoie souffre de problèmes de congestion, de toux et de fièvre au travail et est retourné à la maison pour prendre du mieux. Les choses s’améliorent et, selon lui, les symptômes ont disparu, bien que tôt le matin du jeudi 10 février 2022 il fait un test COVID-19 qui révèle un résultat positif. Il avise immédiatement sa superviseure, la Sgt Farris par message texte à 07 h 30.

 

d)                  Cet échange, dont l’imprimé a été produit comme pièce 6, révèle que le Cpl Lavoie déclare devoir s’auto-isoler jusqu’au dimanche 20 février 2022 et que la première étape de son déménagement est le jeudi 3 mars 2022. La lecture révèle également que le Cpl Lavoie devait être en congé à partir du lundi 14 février 2022. Ceci était incompatible avec son devoir de s’auto-isoler, considérant que la période d’isolation constituait un devoir militaire. La supérieure du Cpl Lavoie devait donc annuler ses autorisations de congé, au moins jusqu’au 20 février 2022, fin de la période d’auto-isolation. Le Cpl Lavoie lui précise qu’il sera à Halifax du 20 au 27 février 2022. La Sgt Farris confirme qu’elle annule ses autorisations de congé et prépare une autre autorisation de congé pour la période du 21 au 27 février 2022 à Halifax.

 

e)                  Lors de son témoignage, le Cpl Lavoie a admis avoir transmis de l’information fausse à sa supérieure. Il témoigne à l’effet que suite à un appel qu’il a placé avec les autorités de santé en Alberta, on lui aurait dit qu’il n’avait qu’à s’isoler pour une période de cinq jours après la disparition de ses symptômes. Considérant que cette période serait passée le 11 février 2022, il a devancé le départ vers Halifax déjà planifié pour quitter dès le vendredi 11 février 2022 sur un vol par une filiale de WestJet d’Edmonton à Hamilton et ensuite à Halifax. Il a confirmé avoir été passager dans le vol apparaissant au manifeste à la pièce 7. Il a expliqué avoir choisi de ne pas partager l’information reçue des autorités de santé avec sa chaîne de commandement parce qu’il avait perdu confiance en celle-ci et voulait se rendre à Halifax, confiant que cela ne causait aucun risque pour la santé de quiconque, surtout pas sa fiancée enceinte et les enfants de cette dernière.

 

f)                   Malheureusement, alors qu’il est dans sa résidence à Halifax le soir de la Saint Valentin soit le 14 février 2022, le Cpl Lavoie reçoit un message texte de l’adjudant (Adj) Belley, supérieur du Sgt Farris, officier non-commissionné sénior de son unité. Ce message est à l’effet que l’Adj Belley est devant la maison du Cpl Lavoie à Cold Lake et désire le voir à la porte de la maison. Le Cpl Lavoie ne répond pas au message texte, témoignant à l’effet qu’il avait eu maille à partir avec l’Adj Belley en lien avec sa demande d’affectation à Halifax, que l’Adj Belley refusait de le supporter en disant qu’il devait faire son temps à Cold Lake. Peu de temps par la suite, l’Adj Belley appelle le Cpl Lavoie et une conversation s’en suit, résultant au refus du Cpl Lavoie de se rendre à la porte de sa maison de Cold Lake tel qu’ordonné, sous prétexte qu’il se reposait. En réalité, il aurait été impossible pour le Cpl Lavoie de se rendre à sa porte à Cold Lake considérant qu’il se trouvait alors dans la région d’Halifax.

 

g)                  Le Cpl Lavoie témoigne qu’à la suite de sa conversation avec l’Adj Belley, il a décidé qu’il valait mieux revenir à Cold Lake pour s’isoler à sa maison. Il aurait alors réservé un billet d’avion de dernière minute avec Air Canada et aurait été présent chez lui à Cold Lake dès la soirée du 15 février 2022 et ce, jusqu’au 20 février 2022 où il aurait pris un vol vers Halifax pour revenir à Cold Lake le 27 février 2022 conformément à ce qu’il a dit à la Sgt Farris et qu’il appert au manifeste de vol à la pièce 7. Cette partie du récit du Cpl Lavoie laisse la poursuite sceptique, et j’y reviendrai.

 

h)                  Il n’est pas contesté que le Cpl Lavoie est revenu au travail le 28 février 2022 tel que prévu. Il a admis avoir menti à sa supérieure et avoir conséquemment induit sa chaîne de commandement en erreur en ce qui a trait à l’endroit où il se trouvait entre le matin du 11 février 2022 et la soirée du 15 février 2022.

 

Mésentente sur les faits relatifs aux circonstances de l’infraction

 

[16]           Il est devenu évident au moment des plaidoiries que les avocats de la défense et de la poursuite ne sont pas du même avis en ce qui a trait à la durée de l’absence dans le présent dossier. Pour la poursuite, le Cpl Lavoie s’est absenté sans permission pour une durée de dix jours, je présume entre le 11 et le 20 février 2022, considérant les détails du chef d’accusation faisant état d’une absence le 11 février et l’échange de messages textes dans lequel la Sgt Farris a mentionné que le 21 février 2022 serait un congé en permission (short). La poursuite ne croit pas que le Cpl Lavoie est revenu à Cold Lake le 15 février 2022. Pour la défense, la seule journée d’absence sans permission est le vendredi 11 février, la seule journée mentionnée à l’acte d’accusation, l’avocat de la défense mentionnant que le Cpl Lavoie a plaidé coupable uniquement d’avoir été absent une journée.

 

[17]           À mon avis et avec respect, les deux parties sont dans l’erreur. Bien que la Note D à l’ORFC 103.23 prévoit que l'exposé des détails devrait comporter la date du début et de la fin de l'absence, le mot « devrait » est utilisé à titre instructif seulement, conformément à l’ORFC 1.06. Malgré que la durée aurait à mon avis pu et même dû être spécifiée en l’espèce, il s’agit d’une précision surtout utile à des fins administratives, en ce qui concerne l'effet de la durée de l’absence sur la solde qui n’est normalement pas due pour la durée d’une absence sans permission.

 

[18]           Tel que mentionné à la note A de l’ORFC 103.23, 

 

Lorsque l'infraction a été commise, elle est considérée comme se prolongeant jusqu'à ce que le militaire manquant retourne au lieu de son service ou que l'absence cesse d'être une absence « sans permission ». Par conséquent, les circonstances dans lesquelles l'infraction a été commise, la durée de l'absence et les circonstances qui en marquent la fin, par exemple, l'arrestation ou le retour volontaire, sont essentiels à la gravité de l'infraction et comptent à cette fin . . .

 

Donc, la durée de l’absence est une circonstance indicative de la gravité de l’infraction, en ce sens que présumément plus une absence est courte, moins elle est grave et inversement, plus elle est longue, plus elle est grave et donc plus grave est la gravité subjective de l’infraction.

 

[19]           Le conflit que j’ai devant moi porte sur la durée, la poursuite alléguant que dix jours est plus grave qu’un jour, tel qu’allégué par la défense, bien que la durée n’ait pas été suggérée par le procureur comme étant un facteur aggravant dans les circonstances de l’espèce, avec raison. De toute manière, le paragraphe 203.5(1) de la LDN prévoit que le procureur de la poursuite doit prouver hors de tout doute raisonnable tout fait aggravant, tel que mentionné précédemment.

 

[20]           La preuve à l’effet que l’absence a duré dix jours ne me convainc pas hors de tout doute raisonnable considérant le témoignage non contredit du Cpl Lavoie à l’effet qu’il est revenu à Cold Lake pour s’isoler chez lui à partir du 15 février 2022. Même si le procureur m’invite à ne pas croire le témoignage du Cpl Lavoie sur ce point considérant l’absence de preuve indépendante tel un reçu ou un itinéraire d’une compagnie aérienne, il reste qu’il n’existe aucune preuve devant moi démontrant que le Cpl Lavoie n’était pas à son domicile de Cold Lake à tout moment entre le 11 et le 20 février 2022. À la lumière de cette constatation, le Cpl Lavoie n’a pas de fardeau de persuasion : son témoignage me laisse avec un doute raisonnable à savoir s’il était absent de sa maison entre la soirée du 15 et le 20 février 2022.

 

[21]           Cependant, il n’y a aucun doute raisonnable selon la preuve qui m’a été présentée à l’effet que le Cpl Lavoie était absent de son domicile et donc de son devoir, entre le matin du vendredi 11 février et la soirée du mardi 15 février 2022. Il a admis cela lui-même lors de son témoignage devant moi. Ces admissions étaient le résultat des questions de son avocat et non d’un contre-interrogatoire. Il était donc absent de son domicile pour quatre jours, bien que je ne sois pas convaincu que cette absence était « sans permission » pour toute cette durée. En effet, considérant son témoignage à l’effet qu’il n’était plus en quarts ou « shifts » sur la patrouille; qu’il se présentait au travail uniquement pour des demi-journées; qu’il n’avait pas l’obligation de s’auto-isoler selon les autorités provinciales; et aussi considérant le retrait du premier chef d’accusation pour le défaut de s’isoler, j’ai un doute raisonnable à savoir si une absence lors du weekend du 12-13 février était « sans permission ». Vu que les congés se calculent en jour, je considère que le Cpl Lavoie était absent pour deux jours.

 

[22]           Avant de passer à l’analyse, je désire terminer sur la question de la durée de l’absence en précisant que même si je considère que le Cpl Lavoie a été absent deux jours au lieu d’un seul comme l’allègue la défense, l’augmentation de cent pour cent de la durée de l’absence ne double pas la gravité de l’infraction. Tel que j’expliquerai sous peu, l’élément principal qui indique la gravité subjective de l’infraction en l’espèce est le caractère volontaire de l’absence, illustré par les propos du Cpl Lavoie visant à induire sa supérieure en erreur sur l’endroit où il allait se trouver pendant la soi-disant période d’isolation. Cette circonstance est tellement importante qu’elle rend la durée de l’absence insignifiante en l’espèce, surtout que la durée est courte, que ce soit un jour ou deux. En d’autres mots, le fait que l’absence fut pour deux jours au lieu d’un seul n’a aucun impact sur la question de déterminer si le Cpl Lavoie devrait être absous inconditionnellement ou quelle sentence il devrait recevoir.

 

Analyse

 

Objectifs de la détermination de la peine

 

[23]           Les articles de la LDN précisant les objectifs et principes de la détermination de la peine applicables aux tribunaux militaires fournissent une image précise des facteurs à considérer. Les articles 203.1 à 203.4 de la LDN, reproduits à l’ORFC 104.14, doivent me guider dans mon analyse. Tel que mentionné à l’article 203.1 de la LDN:

 

203.1(1) La détermination de la peine a pour objectif essentiel de maintenir la discipline, l’efficacité et le moral des Forces canadiennes.

 

[24]           Tel que discuté dans mes motifs du 10 novembre 2022 dans R. v. Luis, 2022 CM 4016, aux paragraphes 20 à 23, cette formulation comportant un seul objectif essentiel est nouvelle, faisant partie d’une modification apportée par le projet de loi C-77 entré en vigueur le 20 juin 2022. Avant cette date, l’article 203.1 de la LDN mentionnait deux objectifs : l’actuel et un deuxième objectif plus général similaire à l’article 718 du Code criminel soit de protéger la société et de « contribuer au respect de la loi et au maintien d’une société juste, paisible et sûre ». Cela étant, le maintien de la discipline au sein des FAC est un objectif entièrement compatible avec les objectifs de protéger la société et de contribuer au respect de la loi. C’est ce qu’une force armée disciplinée fait.

 

[25]           Le paragraphe suivant de la LDN traitant de l’atteinte de l’objectif essentiel comporte une liste d’objectifs qui incluent ceux qui se retrouvent au Code criminel, indiquant que l’exercice de détermination de la peine n’est donc pas si différent devant les tribunaux militaires que devant les cours civiles. Tel que mentionné au paragraphe 2 de l’article 203.1 :

 

(2)           L’atteinte de cet objectif essentiel se fait par l’infliction de sanctions justes           visant un ou plusieurs des objectifs suivants :

 

a)                      renforcer le devoir d’obéissance aux ordres légitimes;

 

b)                      maintenir la confiance du public dans les Forces canadiennes en tant que force armée disciplinée;

 

c)                      dénoncer les comportements illégaux et le tort causé par ceux-ci aux victimes ou à la collectivité;

 

d)                      dissuader les contrevenants et autres personnes de commettre des infractions;

 

e)                      favoriser la réinsertion sociale des contrevenants;

 

f)                       favoriser la réinsertion des contrevenants dans la vie militaire;

 

g)                      isoler, au besoin, les contrevenants des autres officiers et militaires du rang ou de la société en général;

 

h)                      assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité;

 

i)                       susciter le sens des responsabilités chez les contrevenants, notamment par la reconnaissance des dommages causés à la victime et à la collectivité.

 

[26]           On constate également que ces objectifs ne sont pas limités au maintien de la discipline et de l'intégrité au sein des FAC, mais comprennent aussi les objectifs de nature publique. En effet, une conduite sanctionnée par la justice militaire menace souvent l'ordre et le bien-être publics, tel que reconnu par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Généreux, [1992] 1 R.C.S. 259, à la page 281.

 

Les objectifs à poursuivre en l’espèce

 

La gravité objective de l’infraction

 

[27]           L'infraction « d'absence sans permission » à l’article 90 de la LDN est punissable par une peine maximale d’emprisonnement de moins de deux ans, comme plusieurs autres infractions à la LDN. Il s’agit de la deuxième peine maximale la plus basse dans l’échelle des peines de l’article 139 de la LDN prévu pour les infractions spécifiques, l’ivresse par un militaire du rang qui n’est pas en service actif ou de service étant punissable par un maximum de quatre-vingt-dix jours d’emprisonnement. L’avocat de la défense a raison de mentionner qu’il s’agit de l’une des infractions objectivement les plus mineures dans la LDN. Cependant, une peine maximale d’emprisonnement de moins de deux ans n’est pas insignifiante dans le contexte de droit pénal en général. De plus, autant l’absence de minimum que la sévérité relative de la peine maximale offrent un large éventail de peines et de combinaison de peines à utiliser pour arriver à une sentence juste, qui tienne compte des circonstances de l’infraction.

 

La gravité subjective de l’infraction

 

[28]           Tel que mentionné précédemment, l’élément principal qui donne une indication de la gravité subjective de l’infraction en l’espèce est le caractère volontaire de l’absence. En effet, l’échange de messages textes à la pièce 6 révèle que le Cpl Lavoie a délibérément induit sa supérieure en erreur en lui textant qu’il devait s’isoler à partir du matin du 10 février jusqu’au 20 février 2022. Plus tard dans l’échange, la Sgt Farris offre d’aider le Cpl Lavoie s’il a besoin de quoi que ce soit pendant son isolation et celui-ci réplique qu’il sera parfait à cent pour cent considérant qu’il ne désire pas perdre la nourriture qu’il a dans son congélateur. Ces affirmations, ainsi que d’autres offertes par le Cpl Lavoie lors de l’échange, sont des mensonges. Dans les circonstances où le Cpl Lavoie affirmait être atteint de la COVID-19, la Sgt Farris n’avait d’autres choix que de lui faire confiance. Le Cpl Lavoie a abusé de cette confiance et, après avoir été informé que ses congés étaient annulés, il a tout de même fait devancer un vol pour Halifax au lendemain, le 11 février 2022 avec l’intention accomplie de ne pas en informer sa chaîne de commandement.

 

[29]           Ces circonstances sont graves. L’infraction d’absence sans permission inclus, dans son expression la plus mineure, la situation du militaire qui n’entend pas son alarme, fait défaut de se réveiller à temps et arrive quelques minutes en retard au travail. Ce n’est évidemment pas la situation en l’espèce. Ici, on a un militaire qui ment sciemment à ses supérieurs et profite d’une occasion où ceux-ci doivent se fier sur ses dires en ce qui a trait à son isolation pour voyager à plus de 4 500 kilomètres du lieu de son devoir alors qu’il sait qu’il n’est pas en congé. Il est même difficile d’imaginer des circonstances plus graves considérant que les circonstances de l’espèce, telle qu’admise par le Cpl Lavoie lors de son témoignage à l’audience, auraient suffi à le faire condamner pour désertion, une infraction plus grave, punissable par une peine maximale d’emprisonnement à perpétuité ou de cinq ans d’emprisonnement, dépendamment du statut de service applicable. Bien sûr que la condition mentale du Cpl Lavoie au moment de l’infraction atténue jusqu’à un certain point sa culpabilité morale, elle n’excuse cependant pas ses actions. D’ailleurs, le Cpl Lavoie a admis avoir pris la mauvaise décision en lien avec son voyage amorcé le 11 février 2022 et a accepté l’entière responsabilité pour ses gestes lors de son témoignage.

 

Les objectifs à privilégier dans les circonstances

 

[30]           À la lumière des circonstances qui définissent la gravité subjective de l’infraction en l’espèce, je suis d’avis que pour atteindre son objectif essentiel de maintenir la discipline, l’efficacité et le moral des Forces canadiennes, la sentence que je dois imposer doit rencontrer principalement les objectifs de dénonciation et de dissuasion. Se faisant, la sentence va également rencontrer les deux autres objectifs mentionnés par la poursuite, soit le renforcement du devoir d’obéissance et le maintien de la confiance du public, objectifs que je considère inclus et secondaires aux principes de dissuasion et de dénonciation.

 

[31]           Je suis conscient du fait qu’en même temps, tel que révélé par la preuve et souligné lors des plaidoiries de l’avocat de la défense, la condition mentale du contrevenant au moment des faits et surtout sa démonstration depuis les évènements qu’il est en mesure de contribuer positivement comme patrouilleur de la Police militaire révèle l’importance de ne pas perdre de vue ni ignorer sa réhabilitation et les objectifs de réinsertion sociale et militaire du contrevenant. La sentence ultimement imposée ne doit pas compromettre cette réhabilitation.

 

Principes applicables

 

La proportionnalité

 

[32]           Maintenant que j’ai discuté des objectifs qui doivent être atteints, la question de déterminer comment arriver à une sanction juste demeure. La loi nous vient en aide en énumérant les principes qui doivent guider la décision. L’article 203.2 de la LDN prévoit que la peine doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du contrevenant.

 

[33]           En présentant le principe de proportionnalité comme étant fondamental à la détermination d’une peine, le législateur codifie à la LDN les enseignements de la Cour suprême du Canada qui a élevé le principe de proportionnalité au rang de principe fondamental jouissant d’une protection constitutionnelle. Au paragraphe 37 de l’arrêt R. c. Ipeelee, 2012 CSC 13, le juge LeBel explique l’importance de la proportionnalité en ces mots:

 

Quel que soit le poids qu’un juge souhaite accorder aux différents objectifs et aux autres principes énoncés dans le Code, la peine qu’il inflige doit respecter le principe fondamental de proportionnalité. La proportionnalité représente la condition sine qua non d’une sanction juste. Premièrement, la reconnaissance de ce principe garantit que la peine reflète la gravité de l’infraction et crée ainsi un lien étroit avec l’objectif de dénonciation. La proportionnalité favorise ainsi la justice envers les victimes et assure la confiance du public dans le système de justice.

 

[. . . ]

 

Deuxièmement, le principe de proportionnalité garantit que la peine n’excède pas ce qui est approprié compte tenu de la culpabilité morale du délinquant. En ce sens, il joue un rôle restrictif et assure la justice de la peine envers le délinquant. En droit pénal canadien, une sanction juste prend en compte les deux optiques de la proportionnalité et n’en privilégie aucune par rapport à l’autre.

 

[34]           La proportionnalité de la peine s’évalue en lien avec la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du contrevenant. Tel qu’expliqué précédemment, je crois devoir prioriser les objectifs de dénonciation et de dissuasion en considérant la gravité subjective de l’infraction commise. Malgré cela, je dois aussi m’assurer que la peine ne soit pas excessive en considérant l’état mental du Cpl Lavoie au moment des évènements et sa réinsertion au sein de la Police militaire depuis.

 

[35]           Le principe de proportionnalité exige que la détermination de la peine demeure hautement individualisée. Le Cpl Lavoie est la personne jugée. Tel que mentionné à l’article 203.3 de la LDN, la peine doit être adaptée aux circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration de l’infraction ou à la situation du contrevenant. J’ai fait état de la preuve pertinente aux circonstances de l’infraction précédemment. À la lumière la preuve, je dois maintenant considérer l’application des autres principes énumérés à l’article 203.3 de la LDN.

 

 

Autres principes

 

[36]           Les trois autres principes sont les suivants, mentionnés aux alinéas a) à e) de l’article 203.3 de la LDN :

 

a)                  l’exigence que la peine soit adaptée « aux circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration de l’infraction ou à la situation du contrevenant ». Un total de huit sous-alinéas sont inclus en tant que circonstances aggravantes à l’alinéa 203.3a) de la LDN et aucun de ceux-ci s’appliquent en l’espèce.

 

b)                  l’harmonisation des peines, « c’est-à-dire l’infliction de peines semblables à celles infligées à des contrevenants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables ».

 

c)                  le principe de modération, illustrée entre autres par « l’infliction de la peine la moins sévère possible qui permette de maintenir la discipline, l’efficacité et le moral des Forces canadiennes » et « la prise en compte des conséquences indirectes du verdict de culpabilité ou de la sentence ».

 

Circonstances aggravantes

 

[37]           Je conclus que les faits suivants sont aggravants, étant d’avis qu’ils ont été prouvés hors de tout doute raisonnable conformément à l’alinéa 203.5(1)c) de la LDN :

 

a)         l’infraction et son contexte impliquent un bris de la confiance que la chaîne de commandement avait mis dans le Cpl Lavoie en lien avec son état de santé et son devoir en tant que militaire. Il est évident de l’échange de messages textes du 10 et 11 février 2022 à la pièce 6 que la Sgt Farris se fiait entièrement sur les représentations du Cpl Lavoie, lui donnant le crédit dû à un subordonné présumé honnête. Ceci était nécessaire dans les circonstances considérant que l’alternative consistait à obliger le Cpl Lavoie à se faire examiner, risquant ainsi la santé d’autres personnes. En contrepartie, l’honnêteté du Cpl Lavoie était nécessaire dans les circonstances. Tel que mentionné au paragraphe 13 de la décision R. c. Chabot-Leroux, 2017 CM 4015, une particularité des militaires en congé pour des raisons médicales, peut-importe l’origine de leurs maux, et qu’ils conservent leur droit à la solde car ils sont considérés en devoir. Leur devoir dans ces circonstances est de s’occuper de leur santé pour atteindre une guérison dans les meilleurs délais. Leur solde est versée de manière à maintenir leur niveau de vie et celui de leurs proches pour ne pas compromettre leur remise sur pied. Par ses actions, le Cpl Lavoie porte atteinte non seulement à la confiance que ses supérieurs devaient s’attendre de sa part, mais également compromet l’intégrité d’un système qui favorise la récupération des membres blessés des FAC. Je considère que le comportement du contrevenant constitue un bris de confiance significatif sur ces deux aspects.

 

b)         l’infraction commise comporte un acte de malhonnêteté de la part d’un policier, agent de la paix, en lien avec ses fonctions. Même si le Cpl Lavoie n’a pas menti dans le cadre de procédures ou d’interactions impliquant des membres du public assujettis à son autorité, il demeure qu’il a eu recours au mensonge pour commettre une infraction dans le cadre de relations avec ses supérieurs et que cela est préoccupant de la part d’un policier, tel que reconnu par la Cour d’appel de l’Ontario aux paragraphes 132 et 133 de l’arrêt R. v. Schertzer, 2015 ONCA 259, et, plus récemment, par la Cour d’appel du Manitoba dans R. v. Letkeman, 2021 MBCA 68, au paragraphe 146. Cette situation problématique est illustrée par les interrogations énoncées par le commandant du Cpl Lavoie à la lettre en pièce 9 à l’effet que si le Cpl Lavoie s’est montré incapable de respecter un règlement si simple en ce qui a trait à l’honnêteté requise en matière de congés de maladie, quel autre ordre est-il susceptible de compromettre et avec quelles conséquences sur des décisions qui affectent d’autres personnes? Il s’agit, selon moi, d’un facteur aggravant significatif.

 

Circonstances atténuantes

 

[38]           La Cour considère que les facteurs suivants sont atténuants :

 

a)                  le plaidoyer de culpabilité du contrevenant et son témoignage non équivoque à l’effet qu’il acceptait la responsabilité pour ses gestes. Avec respect, je suis en désaccord avec la position de la poursuite à l’effet que le plaidoyer n’a pas été exprimé à la première opportunité et qu’il devrait, donc, avoir un effet atténuant mitigé. Dans les circonstances de l’amorce du présent dossier et des requêtes préliminaires qui devaient être débattues et éclaircies ainsi que de la réticence initiale de la poursuite à retirer le premier chef d’accusation, je suis d’avis que le plaidoyer et l’admission de responsabilité ont eu lieu assez tôt pour que le contrevenant bénéficie de l’impact atténuant maximal de son plaidoyer.

 

b)                  le fait que le Cpl Lavoie n’a pas de fiche de conduite ni d’antécédents criminels ou pénaux : il s’agit d’une première infraction pour lui.

 

c)                  les états de service du Cpl Lavoie et surtout ses performances récentes au sein de l’unité de Police militaire de Halifax, démontrant qu’il est sur la bonne voie pour sa réhabilitation.

 

d)                  l’état de santé mentale du Cpl Lavoie au moment des évènements. Bien qu’il ne semble pas avoir été diagnostiqué avec une maladie mentale proprement dite, les observations des travailleurs sociaux entraînés à évaluer le comportement des militaires dans des situations de stress et de détresse émotive révèlent qu’on a observé chez lui des indices de distorsion cognitive dès octobre 2021 ainsi que des difficultés à gérer ses émotions. Des incidents de rage et de désespoir se sont produits au travail en octobre 2021 et en janvier 2022 et il a été évalué immédiatement par la suite comme démontrant une piètre compréhension des enjeux qui le concernent et un manque de jugement. Ces remarques du personnel médical sont conformes à la situation et aux sentiments que le Caporal Lavoie a décrits dans son témoignage.

 

Autres facteurs et circonstances neutres

 

[39]           À la lumière des facteurs aggravants et atténuants que je viens de discuter, je sens le besoin de mentionner certains autres facteurs soulevés par les avocats lors de leurs plaidoiries, de façon à aider la compréhension des raisons qui m’ont amené à rejeter ceux-ci ou à les considéré comme inclus dans les facteurs que j’ai acceptés.

 

[40]           Dans un premier temps, je dois mentionner que mon approche des facteurs aggravants et atténuants est stricte dans le sens où j’interprète les mots du paragraphe 203.3 de la LDN sur « l’adaptation de la peine aux circonstances aggravantes ou atténuantes » comme signifiant qu’une circonstance aggravante doit être suffisamment significative pour augmenter la peine qui serait imposée et l’inverse pour une circonstance atténuante. Si je doute qu’un facteur qui m’est mentionné doive avoir cet impact, je ne le mentionne tout simplement pas.

 

[41]           En l’espèce je suis d’avis que le Cpl Lavoie ne devrait pas être puni plus sévèrement par la considération d’autres facteurs mentionnés comme étant aggravants par le procureur. Les années d’expérience au sein des FAC qui auraient dû faire en sorte que le contrevenant agisse de manière plus responsable en donnant l’exemple sont selon moi suffisamment considérées dans le deuxième facteur aggravant, soit le fait qu’il était policier militaire, un statut acquis à la suite d’un processus de sélection qui tenait compte entre autres des années de service du Cpl Lavoie dans l’infanterie. Le fait que les actions du Cpl Lavoie étaient préméditées est inclus dans le premier facteur aggravant, en ce que dans les circonstances de l’espèce, la préméditation est un élément du bris de confiance et n’est pas significative considérant que le schème d’agissement n’est pas sophistiqué et que la condition mentale du contrevenant indique que ces actions étaient plus spontanées et même potentiellement irrationnelles qu’autre chose.

 

[42]           En ce qui a trait à l’affirmation de la poursuite quant au fait que les actions du Cpl Lavoie auraient risqué d’infecter d’autres personnes à la COVID-19, je ne suis pas convaincu hors de tout doute raisonnable que ce soit le cas et je ne peux donc considérer cette circonstance comme étant aggravante. En effet, le degré de contagion du Cpl Lavoie n’a pas été prouvé et il n’est pas impossible qu’il n’ait pu été contagieux au moment de prendre l’avion, comme il le mentionne. Mon doute repose surtout sur le fait qu’il m’est difficile de croire que le Cpl Lavoie aurait risqué de contaminer sa fiancée enceinte, considérant les autres circonstances propres au présent dossier. Finalement, la poursuite a mentionné le fait que le Cpl Lavoie était entièrement responsable de ses actions, c’est-à-dire que les actions de sa chaîne de commandement n’ont aucunement contribué ou provoqué l’infraction et qu’il ne peut leur attribuer la responsabilité pour une enquête effectuée par une agence indépendante de son unité. Cette affirmation est plus une tentative de nier l’existence d’un facteur atténuant anticipé qu’un facteur aggravant. De plus, il m’appert évident que l’unité du Cpl Lavoie s’est prêté à une forme d’enquête préliminaire avant d’appeler une agence indépendante après qu’ils eurent formé suffisamment de motifs pour croire qu’une infraction avait été commise, ce qui n’est aucunement répréhensible.

 

[43]           Il demeure que la défense a en effet suggéré que les supérieurs du Cpl Lavoie, surtout l’Adj Belley, pratiquaient un style de gestion du personnel « vieille école » en ne supportant pas le souhait du Cpl Lavoie d’être affecté hors de Cold Lake immédiatement après y être arrivé en juillet 2021. On a mentionné que le Cpl Lavoie avait caché ses intentions de voyager à sa chaîne de commandement en raison de la perte de confiance envers celle-ci, perte de confiance justifiée par son rejet compréhensible d’un style de gestion inadapté aux normes actuelles.

 

[44]           Avec respect, je rejette toute notion implicite dans l’argument de la défense à l’effet que le Cpl Lavoie aurait été provoqué à agir comme il l’a fait ou que ses agissements sont compréhensibles considérant une quelconque attitude rétrograde et un manque de soutien de la part de ses supérieurs. Premièrement, il y a encore une fois lieu de préciser que le Cpl Lavoie n’a pas blâmé sa chaîne de commandement pour ses agissements lors de son témoignage. En réfutant la suggestion du procureur en contre-interrogatoire à l’effet que l’enquête avait été entièrement réalisée par une agence indépendante de son unité, il ne tentait pas d’attribuer une responsabilité à quiconque, mais bien de rétablir les faits. Deuxièmement, je ne doute pas du tout de la sincérité du Cpl Lavoie lorsqu’il témoigne avoir perçu que sa chaîne de commandement ne soutenait pas ses souhaits de partir de Cold Lake dès l’automne 2021. Cela étant mentionné, il s’agit de sa perception, du point de vue d’une personne qui souffrait de défis de stress et de gestion de ses émotions selon les spécialistes en santé mentale qu’il a consultés.

 

[45]           En réalité, il serait tout à fait normal que les supérieurs qui ont des obligations au niveau de services de Police militaire, entre autres en français, dans la plus grande base de chasseurs de l’Aviation royale canadienne, aient certaines réticences à laisser partir un nouveau patrouilleur francophone dans un environnement de rareté de la main-d’œuvre, simplement sur la base d’affirmations à l’effet qu’il désire être au même endroit que la femme de qui il est tombé en amour dans un cours quelques mois plus tôt. Après tout, le rôle primaire des FAC n’est pas d’assurer le bonheur des personnes qui servent en son sein.

 

[46]           Finalement, quoi qui a pu être dit ou s’être passé à l’escadron de Police militaire de Cold Lake à l’automne 2021, les faits ont la tête dure. Ils révèlent que dès que le Cpl Lavoie a commencé à souffrir de manière manifeste et récurrente de problèmes de santé mentale, le personnel médical, les aumôniers, sa chaîne de commandement et nul doute le personnel des carrières ont agi de concert pour qu’il soit affecté à Halifax conformément à ses souhaits. Entre autres, le rapport de la travailleuse sociale a été complété le 20 janvier 2022 et soumis à la chaîne de commandement immédiatement. Le matin du 10 février 2022, le Cpl Lavoie est en mesure de rappeler à sa supérieure que les déménageurs seront chez lui pour emballer ses affaires le 3 mars 2022. Cela veut dire que sa demande formelle pour obtenir un déménagement imprévu pour motifs personnels aux frais du public a été approuvée conformément à la DOAD 5005-6 en environ deux semaines. De plus, l’échange de courriel des 10 et 11 février révèle que la supérieure du Cpl Lavoie se comporte envers lui de manière polie et professionnelle tout en le supportant entièrement considérant la situation dans laquelle il affirme se trouver.

 

[47]           Je suis donc d’avis qu’objectivement parlant, le Cpl Lavoie a obtenu un soutien exemplaire de son unité dans les circonstances et toute affirmation à l’effet contraire est selon moi injuste.

 

Autres principes applicables

 

L’harmonisation des peines

 

[48]           L’article 203.3 de la LDN prévoit non seulement que les peines doivent être adaptées aux circonstances aggravantes ou atténuantes, mais également que la détermination de la peine doit tenir compte d’autres principes dont celui de l’harmonisation des peines, prévoyant l’infliction de peines semblables à celles infligées à des contrevenants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables.

 

[49]           Tel que mentionné précédemment, toute détermination de la peine part du principe que la peine doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du contrevenant. La parité est une manifestation de la proportionnalité et donne un sens à la proportionnalité en pratique. On ne peut déduire des principes de base une peine proportionnelle pour un délinquant et une infraction donnée : les juges calibrent plutôt les exigences de la proportionnalité en regard des peines infligées dans d’autres cas. Les précédents en matière de détermination de la peine reflètent un large éventail de situations factuelles, incarnent l’expérience collective et la sagesse des juges et représentent l’expression concrète de la parité et de la proportionnalité.

 

[50]           L’infraction d’absence sans permission ne comporte pas de peine minimale et englobe un vaste éventail de situations factuelles à divers niveaux de gravité. Il n’existe pas de points de départ ou fourchettes de peines formelles qui s’imposent aux juges militaires en fonction d’une quelconque catégorisation ou échelle de gravité subjective des infractions, incluant l’absence sans permission.

 

 

La modération

 

[51]           De plus, il est important de ne pas perdre de vue le principe de modération dans l’imposition d’une peine. C’est la peine la moins sévère possible qui permet de maintenir la discipline, l’efficacité et le moral des FAC qui doit être imposée. La Cour doit aussi tenir compte des conséquences indirectes du verdict de culpabilité ou de la sentence lors de la détermination de la peine.

 

La détermination de la peine appropriée

 

L’absolution inconditionnelle

 

[52]           Tel que mentionné, la défense soutient que la Cour devrait considérer absoudre inconditionnellement l’accusé au lieu de le condamner. Les parties sont d’accord à l’effet que les critères suggérés par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans R. v. Fallofield (1973), 13 C.C.C. (2d) 450 (BCCA) s’appliquent aux cours martiales. Trois critères doivent être présents :

 

a)                  premièrement, la loi ne doit pas prescrire de peine minimale pour l’infraction pour laquelle l’accusé a été trouvé ou a plaidé coupable, ce qui est le cas ici;

 

b)                  deuxièmement, l’absolution doit être dans le meilleur intérêt de l’accusé, ce qui est selon moi aussi le cas en l’espèce, pour la raison bien simple qu’un policier militaire a normalement intérêt à ne pas traîner de condamnation à son dossier;

 

c)                  finalement, l’absolution de l’accusé ne doit pas être contraire à l’intérêt public. C’est surtout sur ce critère que les parties divergent.

 

[53]           Je me dois de mentionner que les arguments de la défense sont loin de m’avoir convaincu que l’absolution inconditionnelle serait dans l’intérêt public en l’espèce. La condition mentale du Cpl Lavoie au moment des faits est un facteur à considérer, mais il serait inapproprié de mesurer l’intérêt public uniquement sur la base de cette circonstance, alors que l’infraction est subjectivement aussi grave et requiert obligatoirement de considérer tout d’abord les principes de dénonciation et de dissuasion. À mon avis, offrir une absolution au lieu de condamner le Cpl Lavoie à une peine aurait pour effet d’écraser les principes de dénonciation et de dissuasion sous le principe de réhabilitation alors que la masse du côté de la réhabilitation ne justifie pas un tel déséquilibre. Agir ainsi ferait en sorte que la gravité de l’infraction ne serait aucunement reflétée dans le processus sentenciel. Une telle solution ne serait assurément pas dans l’intérêt public.

 

La peine d’une amende de 200 $ ou une peine mineure

 

[54]           La proposition alternative de la défense est de condamner le Cpl Lavoie à une peine mineure ou une amende de 200 $, de manière à ce que la condamnation puisse être retirée de sa fiche de conduite dans seulement un an. Cette proposition porte directement à mon attention le principe voulant que la Cour fasse preuve de modération et impose la peine minimale en tenant compte des conséquences indirectes de la sentence.

 

[55]           En ce qui concerne l’imposition de peines mineures telle que la consignation aux quartiers, la soumission de la défense a été formulée sans s’enquérir de la faisabilité d’administrer une telle peine pour l’unité du Cpl Lavoie, ceci alors que la défense a présenté une preuve par le Sgt Fontaine à l’effet que les quarts de patrouille manquaient tellement de patrouilleurs que le sergent devait souvent lui-même être en patrouille en tant que responsable de quart. Il est difficile pour moi de conclure qu’une peine mineure pourrait être administrée à l’unité sans causer des perturbations significatives sur ses opérations. De plus, j’ai certains doutes à savoir s’il est adéquat qu’une peine mineure soit en effet supervisée par les gens qui sont des collègues du Cpl Lavoie et de sa conjointe sur la patrouille de l’unité de Police militaire à Halifax. Même si la peine est supervisée par d’autres militaires à Halifax, une peine mineure servie par un policier militaire amène des défis en ce qui concerne l’exercice de l’autorité par ce policier par la suite. Pour ces raisons, il ne s’agit pas selon moi d’une option appropriée en pratique, en plus du fait qu’une peine mineure serait très peu sévère considérant la gravité subjective de l’infraction et les objectifs que la sentence doit atteindre en l’espèce.

 

[56]           En ce qui a trait à la suggestion de condamner le Cpl Lavoie à une amende de 200 $, l’avocat de la défense a soumis à l’attention de la Cour quelques précédents où des militaires accusés d’absences sans permission ont été condamnés à des amendes entre 200 $ et 500 $ après avoir plaidé coupable et après que les avocats des parties se soient entendus pour une soumission conjointe. L’avocat de la défense admet que ces causes ne sont pas des précédents convaincants considérant qu’il s’agissait de soumissions conjointes, mais souligne quand même que la décision de R. c. Guillemette-Jérôme, 2018 CM 3017, comporte certaines similitudes avec la situation du Cpl Lavoie car elle mettait en scène un accusé ayant été dans un état de santé mentale précaire au moment de l’infraction d’absence sans permission pour défaut de se présenter à un rendez-vous médical, au point où la responsabilité criminelle du contrevenant était questionnable et avait même été questionnée lorsque que l’accusé avait comparu pour un procès par voie sommaire précédemment. Le juge militaire a accepté la soumission conjointe des procureurs et a condamné le Sergent Guillemette-Jérôme à une peine d’une amende de 200 $.

 

[57]           Je suis d’avis que la décision Guillemette-Jérôme reflète une situation de troubles mentaux sévères qui n’ont aucune mesure avec la situation du Cpl Lavoie en l’espèce; il est donc inapplicable. Les autres causes soumises par la défense reflètent également des situations mettant en scène des absences sans permission mineures, impliquant des militaires retraités et/ou souffrant de conditions particulières telles que la toxicomanie, qui ont amené les procureurs à se prononcé en faveur de soumissions conjointes pour une amende très basse, les juges ayant approuvé celles-ci n’ayant qu’à déterminer si la sentence proposée serait susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ou par ailleurs, contraire à l’intérêt public. À mon avis, imposer le même genre de peine clémente en l’espèce aurait un effet similaire à ce que j’ai décrit précédemment en ce qui concerne l’option d’imposer une absolution inconditionnelle : cela placerait la réhabilitation au centre du processus au détriment de la dénonciation et de la dissuasion qui sont les objectifs principaux à atteindre. Cela ferait également en sorte que la gravité de l’infraction ne serait pas adéquatement reflétée dans le processus sentenciel. Une amende de 200 $ serait donc inappropriée.

 

La sentence proposée par la poursuite

 

[58]           La poursuite propose l’imposition d’un blâme et d’une amende de 2 700 $. Au soutien de sa soumission, le procureur a porté l’attention de la Cour sur une série de sentences en cours martiales, impliquant un comportement similaire au comportement du Cpl Lavoie en l’espèce ou un défaut de respecter des règles connues pour lutter contre la COVID-19, que ce soit le port du masque, l’isolation ou les restrictions aux voyages, ou un comportement similaire constituant une infraction d’absence sans permission. Les sentences imposées, souvent suite à des soumissions conjointes, comportent un blâme et une amende entre 1 200 $ et 3 600 $.

 

[59]           Quelques précédents jurisprudentiels sont particulièrement utiles dans ma tâche d’appliquer le principe d’harmonisation des peines, même si aucun ne comporte exactement les mêmes circonstances qu’en l’espèce. Voici un bref sommaire de trois causes qui constituent des précédents valables selon moi.

 

a)                  R. c. Aziz, 2022 CM 5015. Le Cpl Aziz a plaidé coupable à une infraction sous l’article 129 de la LDN pour s’être rendu en Alberta en congé, alors qu’il avait mentionné dans son autorisation de congé se rendre à Nepean, près d’Ottawa. Cette destination constituait un changement à son document de congé après qu’une première autorisation demandée lui était refusée car il indiquait à vouloir se rendre en Alberta alors que son commandant l’avait interdit, cette province étant alors en « zone rouge » pour la COVID-19. Après que son unité eut communiqué avec lui pour lui rappeler qu’il devait prouver qu’il était bien à Nepean, le contrevenant a voyagé en avion pour faire valider son document de congé avec une étampe de Postes Canada à Nepean. Il a été sanctionné par un blâme et une amende de 1 200 $ à la suite de l’approbation d’une soumission conjointe.

 

b)                  R. c. Olid, 2022 CM 2010. Le Matelot-chef Olid, instructeur à l’École Navale du Pacifique, a plaidé coupable à une infraction sous l’article 129 de la LDN pour lui aussi s’être rendu en Alberta en congé des fêtes en décembre 2020 pour assister à des funérailles alors qu’il savait très bien qu’à ce moment son commandant avait interdit tout voyage à l’extérieur de l’île de Vancouver, une restriction d’ailleurs imprimée à l’encre rouge sur son document de congé. Le juge militaire a accepté une soumission conjointe des avocats pour une sentence composée d’un blâme et une amende de 1 500 $.

 

c)                  R. c. Heisler, 2015 CM 4009. Le Bombardier (Bdr) Heisler avait pris un rendez-vous pour se faire tatouer un après-midi où son unité avait une session de sport au programme, moyennant un dépôt de 150 $. Après qu’on lui a assigné une tâche la veille du rendez-vous qui rendait impossible son respect, le Bdr Heisler a informé son supérieur qu’il était indisponible car il devait amener son chien au vétérinaire, ce qui était faux. La supercherie a été rapportée et après vérification, une accusation a été portée. Le Bdr Heisler a plaidé coupable à l’ouverture de son procès en cour martiale à une infraction sous l’article 129 de la LDN mais une audition contestée a été tenue sur la sentence, la poursuite demandant une peine de détention de quatorze jours alors que la défense soumettant qu’une réprimande combinée à une amende de 1 000 $ serait une peine suffisante. La Cour a ultimement imposé un blâme et une amende de 1 200 $ en mentionnant le bris de confiance que l’infraction révélait.

 

[60]           Ces précédents démontrent que des sentences composées de blâme et d’amendes ont été imposées dans le passé pour sanctionner le même type de comportement que celui auquel s’est adonné le Cpl Lavoie en l’espèce, même s’il ne s’agissait pas d’infractions d’absence sans permission. Je suis d’avis que l’application du principe d’harmonisation des peines nécessite que je sanctionne le comportement du Cpl Lavoie par un blâme et une amende d’un minimum de 1 200 $, sur la base du précédent du Bdr Heisler. Cependant, je note que les circonstances du bris de confiance et de l’absence sont plus sévères dans le présent dossier que celles dans Heisler, considérant que la situation de confiance en ce qui a trait à la condition médicale était nécessaire dans le contexte de la pandémie de COVID-19, que l’absence avait une envergure plus considérable, le contrevenant s’étant éloigné de son unité de plus de 4 500 kilomètres pour une plus grande période de temps, et que le comportement est plus grave considérant le statut de policier militaire du Cpl Lavoie. Même en prenant compte des facteurs atténuants que j’ai mentionnés, je suis d’avis que la sentence dans le présent dossier doit être plus sévère que Heisler. Cette augmentation du degré de sévérité devra se faire par une amende plus significative.

 

[61]           Il n’y a pas de formule scientifique précise pour fixer le montant d’une amende. Bien que le montant de 2 700 $ proposé par la poursuite n’est pas déraisonnable, je dois considérer le principe de modération et infliger l’amende la moins sévère possible qui permette de maintenir la discipline, l’efficacité et le moral des Forces canadiennes. Je suis d’avis que ce minimum se situe à une amende de 2 000 $, combiné à un blâme.

 

[62]           Une sentence composée d’un blâme et d’une amende de 2 000 $ respecte également le principe de réhabilitation en ce qu’elle ne compromettra pas la réhabilitation déjà entamée du Cpl Lavoie.

 

[63]           En effet, tel que mentionné par son avocat, aucune procédure administrative ne semble devoir être déclenchée par suite de la conclusion de la présente cour martiale. Il n’y a donc aucune conséquence significative directe par suite du verdict ou de la sentence. En ce qui a trait aux conséquences plus suggestives, je n’en vois aucune qui empêche l’imposition de la peine considérée. Le Cpl Lavoie est employé comme patrouilleur depuis un peu plus d’un an, moins sa période de congé parentale, et, sur la base du témoignage du Sgt Fontaine, a encore de l’expérience à acquérir avant de passer à la prochaine étape de sa carrière soit le cours de niveau cinq qu’il peut très bien suivre malgré la condamnation à sa fiche de conduite, qui sera enlevée de toute manière dans trois ans, tel que prévu à la section 4.1 de la DOAD 7006-1. Il y a lieu de noter que conformément à l’article 249.27 de la LDN, la sentence que je prévois infliger n’est pas assez sévère pour valoir au Cpl Lavoie une condamnation en application de la Loi sur le casier judiciaire. Tel que la loi me le permet, je vais tout de même imposer des conditions qui permettront au Cpl Lavoie d’étaler le paiement de l’amende dans le temps.

 

[64]           Cpl Lavoie, vous avez accepté la responsabilité pour vos gestes de manière honorable. Maintenant que ces procédures sont derrière vous, il n’en tient qu’à vous de compléter votre réhabilitation en faisant les efforts nécessaires pour vous imposer comme un patrouilleur solide et digne de confiance, autant pour vos supérieurs que vos coéquipiers. En faisant cela, je suis certain que d’excellentes opportunités s’offriront à vous en temps opportun avec la Police militaire.

 

POUR CES MOTIFS LA COUR :

 

[65]           DÉCLARE le Cpl Lavoie coupable du deuxième chef d’accusation pour absence sans permission.

 

[66]           CONDAMNE le Cpl Lavoie à un blâme et une amende de 2 000 $, payable à raison de cinq versements de 400 $ par mois payable avant les 15e jours des cinq mois de juin à octobre 2023. Dans l’éventualité où l’amende demeurerait impayée suite à la libération du Cpl Lavoie des FAC, le solde sera payable au plus tard le jour de la libération.


 

Avocats :

 

Le Directeur des poursuites militaires, tel que représenté par le major B. Richard

 

Major É. Carrier, Service d’avocats de la défense, avocat du caporal J. Lavoie

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