Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Endroit : Base de soutien de la 2e Division du Canada Valcartier, édifice CC-119, pièce 123, rue Casgrain, Courcelette (QC)

Langue du procès : Français

Chefs d’accusation :

Chef d'accusation 1 : Art. 130 LDN, avoir commis une fraude (art. 380(1) C. cr.).
Chefs d'accusation 2, 3 : Art. 125a) LDN, a fait volontairement une fausse déclaration dans un document officiel signé de sa main.
Chef d'accusation 4 : Art. 129 LDN, conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline.
Chefs d'accusation 5, 6 : Art. 117f) LDN, acte de caractère frauduleux non expressément visé aux articles 73 à 128 de la Loi sur la défense nationale.

Avis

L’(es) avis de requête aura(ont) lieu le 16 novembre 2020, au Centre Asticou, bloc 2600, pièce 2601, salle d’audience, 241 boulevard de la Cité-des-Jeunes, Gatineau (QC)

Le procès aura lieu le 5 janvier 2021, à la Base de soutien de la 2e Division du Canada Valcartier, édifice CC-119, pièce 123, rue Casgrain, Courcelette (QC)

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. Jacques, 2023 CM 3012

 

Date : 20230913

Dossier : 201971

 

Cour martiale générale

 

Base de soutien de la 2e Division du Canada Valcartier

Détachement Montréal

Montréal (Québec), Canada

 

Entre :

 

Majore V.M.S. Jacques, requérante

 

- et -

 

Sa Majesté le Roi, intimé

 

 

En présence du : Lieutenant-colonel L.-V. d’Auteuil, J.M.C.A.


 


DÉCISION SUR LA DEMANDE DE RÉCUSATION

FORMULÉE PAR LA MAJORE JACQUES

 

(Oralement)

 

Introduction et contexte

 

[1]               La majore Jacques fait face à six chefs d’accusation: une infraction punissable selon l’article 130 de la Loi sur la défense nationale (LDN) pour fraude contrairement à l’article 380 du Code criminel; deux infractions pour avoir fait volontairement une fausse déclaration dans un document officiel contrairement à l’alinéa 125a) de la LDN; une infraction pour avoir eu un comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline contrairement à l’article 129 de la LDN pour avoir omis de déclarer à son commandant un changement survenu à sa situation familiale en relation avec son droit à certaines indemnités; et deux infractions d’acte à caractère frauduleux contrairement à l’alinéa 117f) de la LDN.

 

[2]               Pour disposer de ces accusations, la majore Jacques doit comparaître devant une cour martiale générale qui doit avoir lieu le 15 avril 2024 à Montréal, en conformité avec l’ordre de convocation signé par l’administrateur de la cour martiale (ACM) le 15 août 2023. Dans ce même document, il y ait indiqué que je suis le juge désigné pour présider cette cour martiale générale.

 

[3]               Le 25 juillet dernier, j’ai débuté l’audition d’une procédure préliminaire en conformité avec un avis de requête amendé déposé le 20 juillet 2023 auprès de l’ACM par la majore Jacques en vertu de l’article 187 de la LDN.

 

[4]               L’avis de requête demande que le juge militaire désigné pour présider la cour martiale générale de la majore Jacques, soit moi-même, juge de la conformité constitutionnel des articles 167, 168 et 192 de la LDN, ainsi que des articles 111.03 et 111.04 des Ordonnances et règlements royaux applicables au Forces canadiennes (ORFC) à la lumière de ses droits prévus aux articles 7, 11(d), 11(f) et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés. À la suite de cette analyse, elle me demande de conclure que les articles en question de la LDN et des ORFC violent ses droits constitutionnels auxquels elles réfèrent spécifiquement, et en conséquence, elle requiert que j’émette une déclaration d’inconstitutionnalité à leur égard en conformité avec le paragraphe 52(1) de la Charte.

 

[5]               En d’autres termes, la majore Jacques prétend que le processus de sélection des membres du comité de la cour martiale générale, notamment la sélection unilatérale effectuée par l’ACM, l’absence de demande de récusation péremptoire, l’absence pour le juge de l’autorité d’accorder des dispenses aux membres du comité, ainsi que l’absence de représentativité dans la composition du comité, en plus du fait que le chef d'état-major de la Défense ne pourrait faire l’objet d’une cour martiale générale, constituent autant de raisons sur le plan constitutionnel de conclure à la violation de son droit à un procès par un tribunal indépendant et impartial et à son droit à l’égalité, et par conséquent de déclarer constitutionnellement inopérant les articles 167, 168 et 192 de la LDN, ainsi que des articles 111.03 et 111.04 des ORFC.

 

[6]               Dans le cadre de l’audition de cette requête, la majore Jacques a déposé un certain nombre de documents puis elle a déclaré sa preuve close. La poursuite a fait de même. Cependant, l’avocat de la majore Jacques s’est objectée au dépôt par la poursuite du document concernant la politique de l’ACM à propos de la nomination des membres du comité de la cour martiale générale.

 

[7]               Essentiellement, l’avocat de la majore Jacques liait son consentement au dépôt de ce document, annoncé à la dernière minute par la poursuite, à la possibilité de contre-interroger son signataire, soit l’ACM. Après discussion, j’ai autorisé l’avocat de la majore Jacques à rouvrir sa preuve afin de pouvoir citer à comparaître l’ACM, monsieur Noury, et son prédécesseur, madame Morrissey.

 

[8]               S’en est suivie une discussion initiée par l’avocat de la majore Jacques qui a exprimé son malaise de citer l’ACM comme témoin devant moi, alors que j’ai nommé cette personne dans cette fonction à titre de juge militaire en chef le 31 mai 2023 en conformité avec le paragraphe 165.18(1) de la LDN. Plus précisément, il a fait référence au fait que le paragraphe 165.19(3) de la LDN prévoit :

 

Il exerce ses fonctions sous la direction générale du juge militaire en chef.

 

[9]               J’ai exprimé le fait que le témoignage de l’ACM, monsieur Noury, semblait être de nature plutôt technique dans les circonstances et, qu’à sa face même, je n’y voyais aucun problème. J’ai évoqué la possibilité de reconsidérer la situation si des questions de crédibilité et de fiabilité étaient soulevées par son témoignage, ce avec quoi l’avocat de la majore Jacques s’est dit d’accord.

 

[10]           Monsieur Noury a débuté son témoignage le 26 juillet 2023 en après-midi. Dans le cadre de son témoignage, il a mentionné que puisqu’il signe la plupart des citations à comparaître qui lui sont acheminées par les avocats, dont ceux de la poursuite, il prend soin de s’enquérir auprès des membres qu’il a sélectionnés pour un comité si les témoins qu’un procureur de la poursuite à l’intention de citer sont connus de ces derniers.

 

[11]           L’audition de la requête et le témoignage de monsieur Noury ont été ajournés au 3 août 2023. Durant l’audition qui s’est poursuivie ce jour-là, l’ACM a alors affirmé, après avoir fait certaines vérifications auprès de son personnel, qu’il n’était pas de sa pratique de contacter les membres d’un comité pour s’enquérir de la connaissance des témoins de la poursuite dont il avait appris l’existence en signant une citation à comparaître. Il a reconnu qu’il s’agissait d’une affirmation qui était contraire à ce qu’il avait dit dans son témoignage le 26 juillet 2023.

 

[12]           À la suite de cela, l’avocat de la majore Jacques a soulevé à nouveau, en l’absence du témoin, la crainte de partialité qui pourrait exister de ma part concernant l’évaluation du témoignage de l’ACM, particulièrement en raison de l’existence de cette possible contradiction et de d’autres qui pourraient survenir potentiellement durant son témoignage.

 

[13]           Je lui ai indiqué que je ne voyais aucun problème quant à cette situation, mais que je demeurais tout à fait ouvert à considérer son point de vue dans le cadre d’une demande formelle de récusation. Après lui avoir accordé un ajournement pour discuter de la situation avec sa cliente, l’avocat de la majore Jacques a indiqué qu’il n’avait pas l’intention de présenter une telle demande et le témoignage de l’ACM s’est poursuivi. Par la suite, l’audition de la requête et le témoignage de l’ACM ont été ajournés au 11 septembre 2023.

 

[14]           Le 1er septembre 2023, l’avocat de la majore Jacques à informer la greffière sténographe qu’il avait reçu le mandat de sa cliente de présenter une requête en récusation du juge. J’ai donné instruction que cette requête soit déposée au plus tard le 6 septembre 2023, ce qui a été fait.

 

[15]           Le 7 septembre 2023, j’ai tenu une conférence téléphonique de gestion de l’instance avec les parties afin de discuter du déroulement de l’audition de cette requête.

 

[16]           Le 11 septembre 2023 au matin, j’ai entendu les deux parties sur cette requête.

 

Position des parties

 

[17]           La majore Jacques soulève la crainte raisonnable de partialité qui existe quant à l’évaluation qui devra être faite par le juge militaire qui préside cette audition quant au témoignage qui sera rendu par l’ACM, monsieur Noury, et sa prédécesseur, madame Morrissey dans le contexte de la requête qu’elle présente, en raison du lien de subordination que confère la LDN au juge militaire en chef à l’égard de l’ACM.

 

[18]           La majore Jacques ne soulève pas une crainte raisonnable de partialité en raison du comportement du juge militaire qui préside cette audience durant le déroulement de celle-ci.

 

[19]           La poursuite est d’avis que je devrais rejeter la requête au motif que la majore Jacques n’a pas démontré une réelle probabilité de partialité.

 

La preuve

 

[20]           La majore Jacques se base sur le témoignage rendu jusqu’à maintenant par l’ACM, monsieur Noury, dans le cadre de l’audition de la requête portant sur la constitutionalité du comité de la cour martiale et sur les discussions qui ont eu lieu entre les parties et le juge militaire en salle de cour.

 

[21]           J’ai aussi pris connaissance judiciaire des éléments énumérés et contenus à l’article 15 des Règles militaires de la preuve.

 

Les faits

 

[22]           La majore Jacques se base sur les faits suivants :

 

a)                  le juge militaire qui préside l’audition a été nommé le 14 juin 2018 juge militaire en chef adjoint (J.M.C.A.) par décret de la gouverneure générale en conseil, le tout conformément à l’article 165.28 de la LDN;

 

b)                  en raison de la retraite du juge militaire en chef, (J.M.C.) c’est le J.M.C.A., soit le juge militaire qui préside cette audition, qui exerce depuis le 20 mars 2020, en application de l’article 165.29 de la LDN, les attributions du J.M.C.;

 

c)                  en vertu de la LDN, l’ACM exerce ses fonctions sous la direction générale du J.M.C.;

 

d)                  l’ACM, monsieur Noury, a été nommé le 31 mai 2023 en conformité avec la LDN par le J.M.C.A. et juge militaire en chef par intérim qui est aussi le juge militaire qui préside cette audition;

 

e)                  monsieur Noury a indiqué dans le cadre de son témoignage que le J.M.C. était son patron;

 

f)                   monsieur Noury aurait fourni des informations de nature contradictoire dans le cadre de son témoignage quant aux renseignements acheminés aux membres qui sont sélectionnés pour un comité de la cour martiale générale concernant les témoins qui seront cités par la poursuite.

 

[23]           Je tiens aussi compte des faits suivants :

 

a)                  comme révélé dans le cadre du témoignage de monsieur Noury, l’ACM est un employé de la fonction publique du Canada et doit être choisi par le sous-ministre de la Défense nationale en vertu d’une délégation de pouvoir provenant de la Commission de la fonction publique du Canada. La sélection des candidats au poste d'ACM se fait conformément aux dispositions de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique. Par la suite, la personne choisie est nommée par le J.M.C. La nomination est faite en vertu de la LDN par le J.M.C., même si l’autorité pour procéder à cette nomination n’est pas spécifiée dans la loi, considérant que l’ACM exerce sa fonction sous la supervision générale du J.M.C. (paragraphe 165.19(3) de la LDN).

 

b)                  les devoirs et fonctions de l'ACM sont prescrits dans la LDN, et d'autres devoirs sont prescrits par règlement du gouverneur en conseil. Les devoirs et fonctions de l'ACM en vertu de la loi et des règlements comprennent notamment :

 

                                            i.                        permettre dans certains cas aux accusés le droit de choisir d'être jugés par une cour martiale permanente ou par une cour martiale générale,

 

                                          ii.                        convoquer chaque cour martiale et voir à la tenue de toute autre audience judiciaire, considérant qu’aucune loi ne crée de cour permanente,

 

                                        iii.                        sélectionner et nommer les militaires qui seront membres du comité de la cour martiale générale,

 

                                        iv.                        citer les accusés et les témoins à comparaître devant une cour martiale ou d'autres audiences judiciaires,

 

                                          v.                        être responsable de toutes les exigences financières et administratives des cours martiales, y compris la sélection et l'affectation des sténographes judiciaires aux cours martiales,

 

                                        vi.                        agir à titre de gestionnaire du Cabinet du J.M.C. et assumer la responsabilité globale des questions financières, budgétaires, administratives et liées au personnel,

 

                                      vii.                        préparer les transcriptions des audiences judiciaires dans le cas d’avis appels soumis à la Cour d’appel de la cour martiale du Canada;

 

c)                  les devoirs et fonctions de l'ACM en vertu d’une directive générale publique du juge militaire en chef sont :

 

                                            i.                        fournir des services d'interprétation à la cour martiale ou à toute autre audience judiciaire,

 

                                          ii.                        remplacer un militaire qui a déjà été nommé comme membre d’un comité de la cour martiale générale alors que la cour martiale générale a été convoquée, mais pour laquelle les procédures n’ont pas encore débuté;

 

d)                  tel que mentionné par monsieur Noury dans le cadre de son témoignage, il est assisté par un avocat civil dans l'exercice de ses devoirs et fonctions. Ce conseiller juridique, qui est sous sa seule supervision directe, est un employé de la fonction publique du Canada qui est employé comme avocat senior au sein du personnel du Cabinet du J.M.C. Il fournit une prestation de services juridiques indépendants sur l'administration des tribunaux et d'autres questions connexes.

 

Le droit

 

[24]           En droit canadien, il existe une forte présomption d’impartialité à l’égard du juge qui préside une audience. C’est à celle ou celui qui demande la récusation du juge pour une question de partialité d’en faire la preuve. Cette preuve doit démontrer une réelle probabilité de partialité.

 

[25]           Tel que mentionné par la Cour suprême du Canada dans R. c. S. (R. D.), [1997] 3 R.C.S. 484 au paragraphe 105, « [l]a partialité dénote un état d’esprit prédisposé de quelque manière à un certain résultat ou fermé sur certaines questions. »

 

[26]           Le critère pour la récusation est une crainte raisonnable de partialité. Le test doit être appliqué de manière objective. Le juge doit donc se demander à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Cependant, les faits qui peuvent constituer le fondement d’une telle décision doivent aussi être raisonnables. C’est ce qui explique que l’analyse est contextuelle et doit se faire au cas par cas.

 

[27]           Dans Valente c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 673, au paragraphe 22, le juge LeDain, au nom de la Cour, s’exprime en ces termes :

 

Tant l'indépendance que l'impartialité sont fondamentales non seulement pour pouvoir rendre justice dans un cas donné, mais aussi pour assurer la confiance de l'individu comme du public dans l'administration de la justice. Sans cette confiance, le système ne peut commander le respect et l'acceptation qui sont essentiels à son fonctionnement efficace. Il importe donc qu'un tribunal soit perçu comme indépendant autant qu'impartial et que le critère de l'indépendance comporte cette perception qui doit toutefois, comme je l'ai proposé, être celle d'un tribunal jouissant des conditions ou garanties objectives essentielles d'indépendance judiciaire, et non pas une perception de la manière dont il agira en fait, indépendamment de la question de savoir s'il jouit de ces conditions ou garanties.

 

[28]           Tel que mentionné par l’avocat de la majore Jacques, il doit y avoir une perception d’impartialité et non pas seulement une impartialité réelle, d’où la nécessité de faire l’analyse de manière objective.

 

Analyse

 

[29]           Après avoir pris connaissance des faits, une personne bien informée qui étudierait la question en profondeur conclurait que l’ACM est une fonction unique dont l’exercice est bien défini par la LDN et ses règlements. Ainsi, elle comprendrait que l’ACM est un acteur qui exerce sa discrétion quant à ses responsabilités avec toute l’indépendance requise, à l’intérieur des paramètres législatifs et réglementaires qui lui sont propres, indépendamment de toute autre autorité.

 

[30]           Cette même personne serait en mesure de conclure que le Parlement a confié au J.M.C. de s’assurer que l’ACM exerce, de manière générale, sa discrétion en conformité avec les orientations et objectifs qui lui ont été confiés par le Parlement, et que si cela n’est pas le cas, d’intervenir afin de corriger la situation, expliquant l’utilisation des termes « supervision générale ».

 

[31]           Cette personne comprendrait que cette intervention du J.M.C. auprès de l’ACM concernant l’exercice des fonctions de ce dernier ne peut se faire de n’importe quelle manière. Elle doit de se faire par le biais d’une orientation générale, accessible au public, et donnée sous forme écrite. Ainsi, l’ACM sera mesure de continuer à exercer entièrement sa discrétion de manière tout à fait indépendante parce qu’une telle intervention est faite au vu et su de tous.

 

[32]           Une personne bien informée qui étudierait la question en profondeur constaterait que le processus de nomination de l’ACM est rigoureux et spécifique et qu’il laisse au J.M.C. le seul choix d’entériner ou non la proposition qui lui est faite par le sous-ministre de la Défense à la suite du processus de sélection de la fonction publique.

 

[33]           Cette manière d’agir du J.M.C. à l’égard de la nomination et de la supervision de l’ACM constitue une exigence de la loi afin de permettre à la magistrature militaire d’exercer ses fonctions judiciaires avec toute l’indépendance et l’impartialité requise pour présider la cour martiale et tout autre audience judiciaire tout en assurant un minimum de cohérence et de cohésion quant à l’administration de celles-ci par l’ACM.

 

[34]           Une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur de façon réaliste et pratique en arriverait donc à la conclusion que le J.M.C. exerce une autorité très limitée à l’égard de l’ACM et que ce dernier n’est pas subordonné ou soumis au J.M.C. de la manière suggérée par la majore Jacques.

 

[35]           En conséquence, je conclus que la majore Jacques n’a pas démontré qu’il existe une réelle probabilité de partialité de ma part en raison de la relation qui existe entre ma fonction de J.M.C. par intérim et l’ACM qui témoigne actuellement devant moi dans le cadre de l’audition de cette procédure préliminaire que je préside à titre de juge militaire désigné pour présider sa cour martiale.

 

[36]           Pour les mêmes raisons, j’en viens à la même conclusion concernant le témoignage annoncé de madame Morrissey, qui a occupé la fonction d’ACM du mois de mai 2007 au mois de mai 2023, et que l’avocat de la majore Jacques a cité à comparaître un peu plus tard dans cette même audition. J’ajouterais que puisqu’elle n’occupe plus cette fonction, et donc qu’il n’existe plus de lien entre elle et moi sur le plan officiel, il est difficile de prétendre à l’existence d’une crainte raisonnable de partialité de ma part en raison de l’exercice de ma fonction de J.M.C. par intérim.

 

[37]           De plus, les questions de crédibilité et de fiabilité de ces témoignages, s’il y en a, seront liées essentiellement au processus de sélection et de nomination des membres d’un comité de la cour martiale. Cette question est du domaine exclusif de l’ACM en vertu de la LDN et le J.M.C. n’a aucun pouvoir d’intervention sur cette question.

 

[38]           En conclusion, le lien institutionnel qui existe entre le J.M.C. et l’ACM n’a aucune influence sur la manière dont les membres du comité de la cour martiale générale sont sélectionnés et nommés par l’ACM, éliminant ainsi toute réelle possibilité de partialité de ma part aux yeux d’une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur de façon réaliste et pratique concernant l’évaluation de la crédibilité et de la fiabilité des témoignages de monsieur Noury et madame Morrissey.

 

[39]           Finalement, l’avocat de la majore Jacques a fait référence à ma décision dans R. c. Dutil, 2019 CM 3003, dans laquelle j’avais à me prononcer sur une demande de récusation dans le cadre de la tenue d’une cour martiale.

 

[40]           Plus précisément, l’avocat de la majore Jacques a fait référence à mes propos contenus au paragraphe 82 de ma décision :

 

Madame Morrissey sera aussi appelée à titre de témoin à charge dans cette affaire. Nous maintenons des liens professionnels en raison de nos fonctions respectives, mais un fait est évident : madame Morrissey aura à continuer à prendre des décisions à titre d’administratrice de la cour martiale qui pourraient m’affecter dans ma fonction de juge militaire. Me prononcer sur la crédibilité et la fiabilité de son témoignage comporte le risque de vivre avec ma décision par la suite, incluant qu’elle puisse prendre des décisions à saveur de représailles ou craindre que la relation de travail soit affectée. Dans cette perspective, il est clair pour moi qu’une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de manière réaliste et pratique, conclurait que je suis partial.

 

[41]           Je tiens tout d’abord à souligner que l’ACM était cité à comparaître à titre de témoin par la poursuite afin de prouver les accusations dont le colonel Dutil faisait l’objet à l’époque. Mes propos doivent donc être lus dans leur contexte, c’est-à-dire que puisque madame Morrissey serait amenée à témoigner devant moi sur la substance des accusations, soit sur des faits pertinents concernant la commission possible des infractions alléguées et qui auraient été commises au sein du Cabinet du J.M.C., j’aurais à statuer sur la sincérité et la véracité de son témoignage. Cela pouvait raisonnablement fonder une crainte raisonnable qu’une telle situation puisse affecter de manière suffisamment sérieuse la relation professionnelle devant exister pour l’exercice respectif de nos fonctions, au point de constituer une réelle probabilité de partialité quant à l’évaluation que j’aurais eu à faire de son témoignage, et j’y ai fait écho dans ma décision.

 

[42]           Dans le cas qui nous occupe et sur la base de l’avis écrit déposé par la majore Jacques, il appert que le témoignage de monsieur Noury et de madame Morrissey portera essentiellement sur la manière dont ils exercent ou ont exercé leur discrétion dans le cadre de leur fonction d’ACM en ce qui a trait à la sélection et à la nomination des membres d’un comité de la cour martiale générale. Il s’agit clairement d’un contexte différent qui n’a aucune commune mesure avec celui dans lequel j’ai dû rendre ma décision dans l’affaire Dutil.

 

POUR TOUTES CES RAISONS, LA COUR :

 

[43]           REJETTE la demande de récusation de la majore Jacques à mon égard.


 

Avocats :

 

Me D. Edmunds, représentant le Service d’avocats de la défense, avocat de la majore V.M.S. Jacques, requérante

 

Le directeur des poursuites militaires, tel que représenté par le major B. Richard, intimé

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