Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 11 juillet 2022

Endroit :

Régiment du Saguenay, 2678 chemin de la Réserve, Saguenay (QC) : 11-29 juillet 2022

3e Escadre Bagotville, 87 rue Stratford, Alouette (QC) : 13-14 septembre 2022, 4-12 octobre 2022, 21-25 novembre 2022, 14 décembre 2022, 10-12 janvier 2023, 14 avril 2023, 27 juillet 2023, 28-29 novembre 2023 et 29 février 2024

Centre Asticou, bloc 2600, pièce 2601, salle d’audience, 241 boulevard de la Cité-des-Jeunes, Gatineau (QC) : 23 septembre 2022, 29 novembre 2022, 19 décembre 2022, 22 décembre 2022, 8-11 mai 2023, 5-14 juillet 2023 et 21-23 novembre 2023

Langue du procès : Français

Chefs d’accusation :

Chefs d'accusation 1, 2, 3, 4 : Art. 130 LDN, agression sexuelle (art. 271 C. cr.).

Résultats :

VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 2 : Non coupable. Chefs d’accusation 3, 4 : Coupable.
SENTENCE : Emprisonnement pour une période de 42 mois.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Citation : R. c. Houde, 2024 CM 3003

 

Date : 20240229

Dossier : 202141

 

Cour martiale permanente

 

Base des Forces canadiennes Bagotville

Alouette (Québec), Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté le Roi

 

- et -

 

Caporal-chef C. Houde, contrevenant

 

 

En présence du : Lieutenant-colonel L.-V. d’Auteuil, J.M.C.A.


 

Restriction à la publication : Par ordonnance de la Cour rendue en vertu de l’article 183.5 de la Loi sur la défense nationale, il est interdit de publier ou de diffuser de quelque façon que ce soit tout renseignement permettant d’établir l’identité des personnes décrites dans la présente cour martiale, « C.C. », comme étant la plaignante, et « N.T. » comme étant un témoin dans cette cause.

 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Oralement)

 

Introduction

 

[1]               Le 27 juillet 2023, le caporal-chef (Cplc) Houde a été acquitté par cette cour martiale du premier et deuxième chef d’accusation relatif à la commission alléguée d’une infraction punissable en vertu de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale (LDN) pour agression sexuelle contrairement à l’article 271 du Code criminel.

 

[2]               Le même jour, la cour martiale a aussi reconnu coupable le Cplc Houde du troisième et quatrième chef d’accusation, toujours relatif à la commission d’une infraction punissable en vertu de l’article 130 de la LDN pour agression sexuelle, contrairement à l’article 271 du Code criminel sur chacun des chefs.

 

[3]               En effet, la Cour a conclu que la poursuite a prouvé hors de tout doute raisonnable le troisième chef d’accusation, soit que vers le mois d’avril 2019, près de la Base des Forces canadiennes (BFC) Bagotville, et plus précisément au domicile du Cplc Houde, ce dernier a commis une agression sexuelle sur C.C.

 

[4]               La Cour a aussi conclu que la poursuite a prouvé hors de tout doute raisonnable que dans le cadre d’une période se situant entre les mois de janvier et juin 2019, près de la BFC Bagotville, et plus précisément au domicile de la victime, le Cplc Houde a commis une agression sexuelle sur C.C.

 

Circonstances reliées à la commission des infractions

 

Contexte de la relation

 

[5]               C.C., la victime dans cette cause, et le Cplc Houde se sont connus dans le cadre de leur relation de travail dans les mois qui ont suivi leur arrivée respective au sein du 425e Escadron d’appui tactique (ETAC) à l’été 2017. Ils étaient sur la même équipe de travail. C’est lors d’un exercice à Cold Lake, Alberta, en novembre 2017 qu’une relation plus intime s’est installée entre les deux.

 

[6]               Leur relation intime s’est terminée en juin 2019, soit lorsque le Cplc Houde a rencontré et est allé vivre avec sa conjointe actuelle, N.T.

 

[7]               Ils s’agissaient pour le Cplc Houde et C.C. d’une relation qui a duré presque deux ans alors qu’ils avaient tous les deux un autre partenaire de vie. En effet, la victime vivait en couple avec un autre militaire et ils avaient des enfants. Du côté du Cplc Houde, il partageait sa vie intime et habitait déjà avec une conjointe. Cependant, il s’est séparé de cette dernière quelque part en janvier 2019. Par la suite, il s’est considéré comme célibataire en dépit de la relation intime qu’il a continuée avec la victime jusqu’à ce qu’il rencontre N.T., sa conjointe actuelle, en juin 2019.

 

[8]               Pour le Cplc Houde, la nature de la relation qu’il avait avec la victime était celle d’ami-amant. Selon sa perspective, la victime répondait à ses besoins sexuels et jouait aussi le rôle de confidente, telle une amie, auprès de lui. Cependant, malgré l’attirance physique qu’il avait pour elle et les sentiments d’amitié qu’il avait à son égard, il n’avait aucune intention de s’engager dans des projets à long terme avec elle, incluant d’aller vivre un jour avec la victime. Sur ce dernier point, il a toujours été clair avec cette dernière et lui a exprimé sa position à quelques reprises durant leur relation.

 

[9]               Concernant la victime, sa perception de sa relation avec le contrevenant était différente. Pour elle, en plus d’être un confident et un amant, elle en était vraiment amoureuse et se voyait un jour partager sa vie avec lui. Ainsi, outre les sentiments sérieux et profonds qu’elle avait pour lui, elle croyait possible de développer avec lui des projets à long terme. Encore à ce jour, elle ne peut s’expliquer pourquoi elle avait de tels sentiments à l’égard du contrevenant malgré tout ce qui s’est passé.

 

[10]           Le Cplc Houde a eu deux enfants dans le cadre d’une relation avec madame Dallaire qui a duré environ douze ans, soit de 2001 à 2013. Il s’est toujours bien entendu avec son ex-conjointe et il a habité près de chez elle après leur séparation pour faciliter l’exercice de la garde des enfants. D’ailleurs, l’un des enfants du Cplc Houde a agi à titre de gardien pour les enfants de la victime durant la période où ils se fréquentaient sur la base. Ainsi, soit c’était cette dernière ou son conjoint qui allait chercher la gardienne chez le Cplc Houde ou encore ils laissaient leurs enfants chez ce dernier sous la responsabilité de cette même gardienne. Donc, en plus de leur relation personnelle qui avait lieu à l’insu de leur conjoint respectif, ils se rendaient service dans leur vie quotidienne sur la base.

 

[11]           Du mois de novembre 2017 au mois d’août 2018, la victime et le Cplc Houde se sont fréquentés intimement. Puisqu’ils étaient sur le même horaire de travail, lorsqu’ils travaillaient sur l’horaire de jour, ils allaient souvent dîner ensemble. Lorsqu’ils étaient sur l’horaire de soir, ils se rencontraient au domicile de l’un ou de l’autre durant le jour, en l’absence de leur conjoint respectif et de leurs enfants.

 

[12]           À l’été 2018, ils ont été tous les deux sélectionnés pour participer à l’Opération REASSURANCE de la force opérationnelle aérienne à Constanta en Roumanie avec le 425 ETAC. Ce déploiement d’une durée de quatre mois avait pour but de soutenir les avions CF-18 qui y étaient déployés à titre de renforcement de la mission de police aérienne de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord dans ce pays.

 

[13]           La mission a eu lieu du mois d’août au mois de décembre 2018 en Roumanie. Le Cplc Houde et la victime se sont rendus séparément en Roumanie en août 2018 et ils sont revenus au pays en janvier 2019. Le contrevenant et la victime ont continué à se fréquenter de manière intime tout le long de ce déploiement en Roumanie.

 

[14]           Lors de son retour au Canada en janvier 2019, la conjointe de l’époque du Cplc Houde, L.P., a décidé de le quitter, faisant de lui une personne célibataire. Il a continué à fréquenter la victime de la même manière qu’il le faisait avant le déploiement en Roumanie. Cependant, il a eu aussi des rencontres pour des fins sexuelles avec des partenaires autres que la victime par le biais d’une plateforme numérique dédiée à ces fins. À la demande de la victime, il l’a tenu au courant des rencontres qu’il avait de temps à autre.

 

[15]           Au mois de juin 2019, il a rencontré N.T. avec qui il a développé une relation personnelle plus sérieuse, et avec qui il vit en couple depuis ce temps. La victime a rencontré N.T. et elle s’est liée d’amitié avec cette dernière. En revanche, parce qu’il était maintenant dans une relation de couple avec N.T., le Cplc Houde a cessé de rencontrer la victime dans le but d’avoir des relations intimes avec elle. Ils ont cependant continué de communiquer entre eux. Ils se côtoyaient aussi pendant tout ce temps au travail. Pour lui, il n’y avait rien de surprenant que les choses se déroulent ainsi, car il avait indiqué à la victime, à la suite de son retour de la Roumanie en janvier 2019, qu’étant donné qu’il était célibataire, il avait l’intention de se faire une blonde, et que lorsque cela arriverait, il cesserait sa relation avec elle.

 

[16]           C’est durant cette période de janvier à juin 2019, alors qu’il fréquentait la victime et qu’il avait des rencontres pour des fins sexuelles avec des partenaires autres que la victime parce qu’il était célibataire, que le Cplc Houde a commis les deux infractions d’agression sexuelle à l’égard de la victime et pour lesquelles la Cour l’a reconnu coupable.

 

3e chef d’accusation

 

[17]           La Cour a déclaré coupable le Cplc Houde du troisième chef d’accusation qui concerne une agression sexuelle qu’il a commise dans sa propre résidence sur la victime vers le mois d’avril 2019.

 

[18]           Cette journée-là, avant de partir de sa propre résidence pour aller rejoindre le Cplc Houde, la victime a eu une conversation téléphonique avec le contrevenant. Elle lui a dit qu’elle ne voulait pas avoir d’activité sexuelle avec lui cette fois-ci, mais il lui a répété à au moins cinq reprises qu’ils en auraient une.

 

[19]           Elle est partie de sa résidence en véhicule tout en continuant d’avoir une conversation téléphonique avec le Cplc Houde pendant qu’elle conduisait. Elle lui a fait part du fait qu’elle voulait vraiment le rencontrer, mais qu’elle ne voulait toujours pas avoir une activité sexuelle avec lui. Elle a même immobilisé temporairement son véhicule durant son trajet vers la résidence du Cplc Houde dans le stationnement de l’aréna de la BFC Bagotville car elle envisageait sérieusement de retourner chez elle s’il n’arrêtait pas de lui déclarer avec insistance qu’ils auraient une activité sexuelle. Une fois qu’elle a eu la certitude qu’il respecterait sa demande, elle s’est rendue à la résidence du contrevenant.

 

[20]          Une fois arrivée à la résidence du contrevenant, elle a stationné son véhicule et elle est entrée dans la maison du Cplc Houde. Elle est entrée et s’est arrêtée dans le vestibule. Le Cplc Houde s’est alors approché d’elle et il a immédiatement baissé le pantalon de la victime. Il a posé la main sur son vagin et il a tenté de l’exciter. Elle lui a dit non, manifestant ainsi son refus d’avoir une relation sexuelle. Elle était sous le choc. Elle lui a rappelé ce qu’il lui avait promis quant au sexe durant leur conversation téléphonique avant d’arriver chez lui. Il a répondu en lui disant que ce serait juste un petit coup.

 

[21]          Il l’a alors amenée dans la cuisine. Elle s’est retrouvée à avoir le haut de la partie avant de son corps penché et étendu sur le comptoir de l’îlot de la cuisine avec son pantalon au niveau des cuisses. Ils ont eu une relation sexuelle. Le Cplc Houde l’a pénétrée par l’arrière en mettant son pénis dans son vagin.

 

[22]          Durant cette activité sexuelle, elle n’a pas bougé et elle n’a rien dit. Elle avait les larmes aux yeux. Elle se sentait en colère et était bouleversée parce qu’il lui avait dit qu’il n’y aurait pas d’activité sexuelle entre eux. Il a éjaculé. Elle ne se rappelle pas vraiment ce qui s’est passé par la suite.

 

4e chef d’accusation

 

[23]          Le Cplc Houde a commis une autre infraction d’agression sexuelle impliquant la même victime et qui s’est passé entre le moment de leur retour au Canada en janvier 2019 et celui où ils ont cessé de se fréquenter pour des fins sexuelles en juin 2019.

 

[24]          Cette journée-là, le Cplc Houde s’est rendu à la résidence de la victime alors que les enfants de cette dernière et son mari étaient absents. Ils sont allés dans la chambre de la victime et ils y ont eu une activité sexuelle.

 

[25]          Durant cette activité sexuelle qui se déroulait depuis un certain temps et dont elle retirait du plaisir, le Cplc Houde a mentionné qu’il aimerait avoir une relation sexuelle les impliquant tous les deux avec un troisième partenaire mâle un peu plus tard. Il a alors suggéré qu’il pourrait appeler immédiatement l’homme en question pendant qu’ils avaient une relation sexuelle.

 

[26]          Elle a protesté en lui disant qu’elle voulait seulement qu’ils soient les deux seules personnes impliquées dans l’activité sexuelle, lui indiquant ainsi de ne pas faire cet appel. Il a répliqué en lui affirmant qu’il devrait quand même faire cet appel pour exciter cet homme sexuellement. Elle a continué de lui dire non à cette proposition de manière répétée.

 

[27]          Malgré ses protestations, le contrevenant a pris son téléphone cellulaire et il a appelé l’homme en question. Il a mis son téléphone cellulaire sur le dispositif mains libres pour permettre à la personne de les entendre. La plaignante a remarqué que la personne à l’autre bout du fil parlait uniquement en français et qu’il avait une voix grave. Elle pense qu’elle a pu comprendre ce qu’ils se disaient, mais elle ne s’en souvient pas. Elle a conclu que la personne était un homme en raison de la voix, mais aussi parce qu’elle pense que le Cplc Houde lui aurait dit que la personne en question en était un.

 

[28]          Pendant que cela se passait, elle était couchée dans le lit sur le dos avec les jambes en l’air, alors que le Cplc Houde était placé sur elle, sur ses genoux, pénétrant son vagin avec son pénis dans un mouvement de va-et-vient. Il gémissait et faisait des bruits, selon elle, pour exciter la personne qui écoutait au téléphone.

 

[29]          Elle a cessé de bouger et d’émettre des sons, exprimant ainsi qu’elle ne consentait plus à la relation sexuelle. Malgré cette situation, le Cplc Houde a quand même continué l’activité sexuelle et il est allé jusqu’à la fin en éjaculant en elle tout en parlant à cette troisième personne, puis il a raccroché.

 

[30]          Elle ne pensait à rien en particulier pendant que cet appel avait lieu. Elle voulait simplement que l’accusé en finisse. Elle se sentait comme morte, comme indifférente. Elle ne se rappelle pas comment les choses se sont déroulées par la suite.

 

Résumé des procédures

 

[31]          Ce procès a débuté le 11 juillet 2022, et il s’est déroulé de manière plus longue qu’anticipée à l’origine par les avocats, alors que les plaidoiries finales ont été entendues par cette Cour environ six mois plus tard, soit le 12 janvier 2023.

 

[32]          Tout au cours du procès, une douzaine d’autres requêtes différentes ont été présentées par les parties, allant d’une requête conjointe préliminaire à l’effet que le procès devant la cour martiale du Cplc Houde soit bilingue, en passant par une requête en matière de divulgation de la preuve, des demandes d’ordonnance de non-publication concernant la plaignante et un témoin cité à comparaître par l’accusé, d’autres portants sur l’indépendance judiciaire du juge militaire présidant le procès, le rappel de la plaignante comme témoin devant la Cour alors que son témoignage était terminé, et l’avortement du procès.

 

[33]          Mais les requêtes qui ont eu le plus d’impact sur la durée du procès concernent celles portant sur l’admissibilité de dossiers non énumérés à l’article 278.1 du Code criminel pouvant contenir des renseignements qui sont visés par l’article 276 du Code criminel, et ceux pouvant contenir des renseignements personnels pour lesquels il existe une attente raisonnable en matière de protection de la vie privée pour la plaignante. Ces dossiers étaient essentiellement des messages textes échangés entre la plaignante et l’accusé et ils étaient composés de plus de 500 pages de capture d’écran dont le Cplc Houde avait l’intention de se servir en preuve dans le cadre de son procès. Il y avait aussi d’autres messages textes que ce dernier voulait utiliser et qui ont aussi fait l’objet d’une requête, mais ils impliquaient la plaignante et une autre personne que l’accusé.

 

[34]          Ces requêtes sur l’admissibilité de ces messages textes ont nécessité la tenue de quatre voir-dire à la demande du Cplc Houde et d’un autre à la demande de la poursuite. Ce sont essentiellement la tenue des auditions pour ces cinq voir-dire qui a eu pour effet de perturber, jusqu’à un certain point, le déroulement des procédures de manière différente de ce qui était anticipé par les parties concernant la durée du procès. Dans mes motifs sur le verdict, j’ai exposé plus en détail les conséquences qu’ont eu ces voir-dire sur le déroulement du procès, et je ne les répéterai pas dans la présente décision.

 

[35]          Alors que la Cour était prête à rendre sa décision sur le verdict le 14 avril 2023, l’avocat du Cplc Houde a indiqué à la Cour environ une semaine avant cette date qu’il désirait déposer une requête de type Jordan. À la suite d’un débat sur la recevabilité de cette requête qui s’est tenu le 14 avril 2023, j’ai accepté de l’entendre. Cependant, l’avocat du Cplc Houde a fait valoir qu’il avait d’abord l’intention de demander la récusation du juge présidant la cour martiale qui aurait à disposer de cette requête.

 

[36]          J’ai entendu la requête demandant ma récusation le 8 mai 2023 et je l’ai rejetée trois jours plus tard, affirmant qu’une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique conclurait qu’il n’y avait aucune crainte raisonnable de partialité de ma part en présidant l’audition concernant la requête du Cplc Houde pour délai déraisonnable parce que le cadre d’analyse servant à déterminer s’il y a eu violation de son droit constitutionnel à être jugé dans un délai raisonnable n’impliquait aucunement la révision de mes décisions prises durant le procès quant à leur bien-fondé et à l’impact de celles-ci sur le délai pour juger l’accusé.

 

[37]          Par la suite, j’ai procédé le 5 juillet 2023 à l’audition de la requête de type Jordan présenté par le Cplc Houde. Le 14 juillet 2023, j’ai rejeté cette requête, concluant que le droit constitutionnel du Cplc Houde d’être jugé dans un délai raisonnable en conformité avec l’alinéa 11b) de la Charte n’avait pas été violé.

 

[38]          Le 27 juillet 2023, j’ai rendu ma décision sur le verdict. Les parties ont alors convenu de procéder à l’audition sur la sentence les 5 et 6 octobre 2023, à la condition qu’un rapport d’évaluation criminologique rédigé par un expert à la demande du contrevenant soit prêt.

 

[39]          En dépit des efforts faits par l’expert, ce dernier a été en mesure de produire son rapport d’évaluation criminologique le 3 novembre 2023. L’avocat du contrevenant a reçu le rapport le 7 novembre 2023 et il l’a transmis le même jour au procureur de la poursuite.

 

[40]          Après avoir procédé à la lecture de ce rapport, le procureur de la poursuite a indiqué à la Cour qu’il avait fait une demande de renseignements additionnels auprès de l’avocat du contrevenant, et que ce dernier avait refusé de lui transmettre les informations qu’il avait demandées.

 

[41]          Le 21 novembre 2023, j’ai procédé à l’audition d’une requête présentée par la poursuite concernant la divulgation de ces renseignements. Le 23 novembre 2023, j’ai accueilli en partie la requête.

 

[42]          L’audition de la preuve et les représentations des parties sur la sentence qui devrait être imposée par la Cour ont eu lieu les 28 et 29 novembre 2023 à la BFC Bagotville.

 

[43]          Considérant la disponibilité des parties impliquées dans cette cause, j’ai dû ajourner la cour martiale au 29 février 2024 afin de rendre ma décision sur la sentence.

 

La preuve

 

[44]          Plusieurs documents ont été soumis à la Cour par les parties dans le cadre de l’audition sur sentence :

 

a)                  Pièce 27, l’état de service du Cplc Houde;

 

b)                  Pièce 28, la fiche de conduite des Forces canadiennes du Cplc Houde;

 

c)                  Pièce 29, le sommaire des dossiers personnels du Cplc Houde;

 

d)                  Pièce 30, un relevé de l’état de solde du mois de mai 2023 pour le Cplc Houde;

 

e)                  Pièce 31, une copie d’un acte d’accusation daté du 26 juillet 2021 concernant le Cplc Houde, et une copie des motifs sur la sentence imposée par le juge militaire Pelletier le 27 janvier 2023 en relation avec les accusations sur ce même acte d’accusation pour lesquelles le caporal-chef Houde a été reconnu coupable (R. c. Houde, 2023 CM 4004);

 

f)                   Pièce 32, une copie d’un courriel daté du 24 octobre 2023 provenant de l’adjudant-chef (Adjuc) Tremblay et contenant une déclaration sur les répercussions militaires;

 

g)                  Pièce 33, une copie d’une déclaration de la victime datée du 19 octobre 2023;

 

h)                  Pièce 34, une copie du CV de monsieur Thierry Webanck, criminologue;

 

i)                   Pièce 35, une copie d’un rapport concernant une évaluation criminologique du Cplc Houde effectué par monsieur Thierry Webanck en date du 3 novembre 2023.

 

[45]          Lors de l’audience du 28 novembre 2023, C.C. a lu, en personne à la Cour, une déclaration de la victime qu’elle avait préparée. Je tiens d’ailleurs à la remercier d’avoir fourni et exprimé à la Cour les impacts que ces incidents ont eus sur elle. Il faut beaucoup de courage pour prendre le temps de trouver les mots justes et nécessaires pour partager avec le tribunal les pensées et les sentiments vécus à la suite de ces incidents et tout au long de ces années, incluant durant le processus judiciaire. Sincèrement, merci beaucoup.

 

[46]          C.C. a décrit dans sa déclaration que depuis le jour où la police lui a mentionné que certains des faits mentionnés dans sa déclaration écrite pourraient être considérés comme étant la commission d’une agression sexuelle, cela a changé le cours de sa vie.

 

[47]          Elle a perçu la relation qu’elle avait eue avec le Cplc Houde de manière différente. Elle comprend qu’elle a fait preuve d’aveuglement et qu’elle a été manipulée en raison des sentiments qu’elle éprouvait pour le contrevenant dans le cadre de leur relation intime qui a duré environ deux ans. Jusqu’à ce qu’un verdict soit rendu par la cour martiale, elle avait l’impression qu’elle était celle qui avait fait quelque chose de mal.

 

[48]          Elle a voulu dénoncer la situation qu’elle a vécue avec le contrevenant pour toutes celles qui ne l’ont pas encore fait. Elle reconnaît que le contrevenant était très compétent et professionnel au travail et qu’il est un père dévoué envers ses enfants. Bien que ces qualités apparaissent probablement évidentes aux yeux de tous, cela ne lui confère aucunement le droit, à son avis, de tirer profit des femmes pour son propre bénéfice derrière des portes closes.

 

[49]          L’Adjuc Tremblay a, pour sa part, décrit l’impact que les accusations et le procès du Cplc Houde ont eu sur le milieu de travail dans lequel ce dernier évoluait et sur la communauté militaire de la base. Essentiellement, cette situation a eu pour effet de polariser les opinions entre les gens au sein du milieu de travail du contrevenant, et de donner une image plus négative des militaires sur la base, requérant des autorités militaires une intervention auprès de ses membres afin de leur rappeler de ne pas se laisser distraire par ces événements et à se concentrer sur leur mission. La Cour comprend que la cohésion et le moral des troupes au sein de différentes unités et de la BFC Bagotville ont été temporairement affectés par les accusations qui ont été portées, l’audition en cour martiale qui en a suivi et la publicité qui a été donnée à cette affaire.

 

[50]          Le tribunal a entendu le témoignage de monsieur Webanck le 28 novembre 2023. Le tribunal a accepté qu’il fournisse un témoignage d’opinion en tant qu’expert sur la manière de déterminer, d’un point de vue criminologique, le risque de récidive d’une personne reconnue coupable d’une infraction criminelle à caractère sexuel, comme l’agression sexuelle, et sur les traits de personnalité ou le profil généralement associé, d’une perspective criminologique, à une personne reconnue coupable d’une infraction sexuelle. Il a également témoigné sur le contenu du rapport d’expertise qu’il a préparé.

 

[51]          Dans le but de faire ses recommandations, monsieur Webanck a consulté diverses sources d’information. Il a obtenu les renseignements nécessaires à son travail à partir d’entrevues qu’il a fait avec le Cplc Houde, sa conjointe actuelle et son ex-conjointe; de tests et d’instruments d’évaluation; et de divers documents qui lui ont été fournis.

 

[52]          Il a confirmé que le Cplc Houde ne reconnaît pas avoir commis les agressions sexuelles pour lesquelles il a été déclaré coupable, qu’il n’a pas d’antécédents de problèmes de santé mentale, et qu’il n’aurait pas un historique de dépendance aux drogues, à l’alcool ou au jeu. Il a constaté que le parcours sexuel du contrevenant ne contrevient pas aux normes, et qu’il est capable de développer des relations conjugales et intimes satisfaisantes et respectueuses avec des femmes.

 

[53]          Concernant les antécédents criminels du contrevenant, monsieur Webanck mentionne dans son rapport aux pages 11 et 12 :

 

« Dans la sphère des antécédents criminels, ces deux condamnations (en 2022 et 2023) pour des agressions sexuelles envers deux victimes (une amie et une conjointe) s’ajoutent à deux plaintes de harcèlement qu’elles avaient préalablement déposées et qui ont entraîné des ordonnances (interdisant la communication) en vertu de l’article 810. Cela s’ajoute à une condamnation pour propos indécents en 2001 et à une conduite de véhicule avec les facultés affaiblies en 2007.

 

M. Houde n’avait aucun antécédent de violence ou d’agression sexuelle avant que les deux victimes ne se manifestent en 2020. »

 

[54]          Monsieur Webanck a confirmé que le Cplc Houde et la victime n’avaient pas les mêmes attentes dans cette relation. Le contrevenant était conscient qu’elle était amoureuse de lui, mais lui n’avait aucune intention d’établir une relation conjugale et amoureuse avec elle. Il la considérait comme une amie et une amante.

 

[55]          Dans son rapport aux pages 12 et 13, monsieur Webanck exprime sa compréhension de l’attitude du Cplc Houde et du contexte dans lesquels les deux agressions sexuelles se sont produites :

 

« M. Houde avait une sexualité libertine et exploratoire à cette époque (2017-19). Il cherchait à faire des expériences sexuelles : voyeurisme, exhibitionnisme, triolisme. Il recherchait des relations passagères et il était actif sur des réseaux sociaux spécialisés dans cette sphère. Il affirme que madame partageait cet intérêt.

 

Selon ce que rapporte la victime, il a voulu la faire participer à sa fantasmatique et dans ses expériences sexuelles. A posteriori, selon son témoignage, elle n’a pas consenti à toutes les expériences dans lesquels il l’a entraîné, comme dans le cas de cet appel téléphonique à un tiers pendant une relation sexuelle, afin d’exhiber (de manière sonore) leurs ébats. Dans le même ordre d’idées, il aurait ignoré son refus explicite pour cette relation sexuelle (qui a ainsi pris la forme d’une agression) qui s’est produite dans la cuisine de sa résidence (à M. Houde). Il n’aurait pas entendu, perçu ou écouté son refus et il a satisfait ses désirs sexuels personnels. Dans les deux cas, il n’aurait pas été à l’écoute de ce que souhaitait ou demandait sa partenaire sexuelle. Il ne s’enquérait pas de son consentement ou il ignorait son refus. Il imposait ainsi sa sexualité.

 

Il ressort du témoignage de la victime que M. Houde démontrait une grande insistance persuasive pour obtenir les relations sexuelles qu’il désirait. Il n’était pas à l’écoute de ses réticences, de ses résistances et même de ses refus explicites. Cela suscitait chez la plaignante le sentiment de ne pas être respectées et d’être agressées sexuellement. Cela rejoint les éléments de la dynamique délictuelle que lui reprochait la victime (une ex-conjointe) dans un dossier précédent. M. Houde ne reconnaît pas cette dynamique qui lui est reprochée. »

 

[56]          Monsieur Webanck conclut que, dans le contexte spécifique d’une relation intime comme celle qu’il a eue avec la victime, et d’une relation précédente similaire qui a entraîné une condamnation antérieure devant une cour martiale, les tests et évaluations auxquels le Cplc Houde s’est soumis « indiquent qu’il présente aujourd’hui un risque de récidive ‘au-dessus de la moyenne’ ». Il a aussi spécifié que le « profil criminologique et psychosocial de M. Houde n’inclut pas des facteurs criminogènes qui accentuent ce risque. »

 

[57]          Il constate aussi l’insistance et la persévérance particulière que le Cplc Houde a démontré dans le cadre de cette relation spécifique avec la victime pour obtenir des relations sexuelles et que l’abus d’alcool particulier à ce contexte aurait pu favoriser ou précipiter « l’adoption de comportements sexuels et sociaux inappropriés » chez le contrevenant.

 

[58]          Monsieur Webanck conclut son rapport en précisant que depuis que les plaintes ont été portées en 2020 dans les deux dossiers qui ont abouti en cour martiale, les procédures judiciaires, les condamnations, la médiatisation de ces deux affaires et la libération des Forces canadiennes en 2023 du Cplc Houde ont eu pour effet que le contrevenant est maintenant plus prudent dans ses relations intimes avec d’autres partenaires, qu’il est plus sensible à la nécessité d’obtenir un consentement libre et clair de sa partenaire sexuelle et bien conscient de l’impact que pourrait avoir un comportement abusif ou transgressif.

 

[59]          Dans le cadre de l’audition de l’ensemble de la preuve pour ce procès, la Cour a appris que le Cplc Houde est maintenant âgé de quarante-six ans. Il a cessé ses études en secondaire 4. Il a occupé durant trois ans des emplois journaliers et manuels en soudure et en construction. Il a ensuite travaillé près de trois ans comme « débroussailleur ». À vingt et un ans, il a fait un diplôme d’études professionnelles en carrosserie automobile et il a travaillé comme débosseleur pendant sept ans.

 

[60]          C’est alors qu’il occupait ce dernier emploi que certaines personnes de son entourage l’ont amené à considérer de travailler au sein des Forces armées canadiennes (FAC), ce qu’il a fait en s’enrôlant avec la force régulière à l’âge de vingt-huit ans en 2006. Il a été libéré en mai 2023 pour conduite non satisfaisante en raison de sa condamnation lors de la première cour martiale.

 

[61]          À titre de technicien de structures d’aéronefs, il a été promu au grade d’aviateur formé en 2008, de caporal en mai 2010, et à la nomination de caporal-chef en février 2015 avec ancienneté à compter du mois d’avril 2014. Il a trois lettres d’appréciation pour son travail en 2016 et une autre en 2021. Il a aussi reçu une mention élogieuse du commandant de la 1re Division aérienne du Canada.

 

[62]          Le Cplc Houde a été marié à madame Dallaire de 2001 à 2013. Il est le père de deux enfants qui sont issus de cette union. Il est en union de fait avec N.T. depuis juin 2019 avec qui il entretient une relation intime très stable.

 

[63]          Entre 2013 et 2019, il a d’abord fait vie commune avec L.P. de 2013 à 2018, et puis il a fréquenté C.C., la victime dans cette affaire, de novembre 2017 à juin 2019.

 

Le droit

 

[64]          Le système de justice militaire constitue l’ultime recours pour faire respecter la discipline qui est une dimension essentielle de l’activité militaire dans les FAC. Ce système a pour but de prévenir toute inconduite ou d’une façon plus positive, de veiller à promouvoir la bonne conduite. C’est au moyen de la discipline que les FAC s’assurent que leurs membres rempliront leurs missions avec succès en toute confiance et fiabilité. Le système de justice militaire voit aussi au maintien de l’ordre public et s’assure que les personnes assujetties au code de discipline militaire sont punies de la même façon que toute autre personne vivant au Canada.

 

[65]          Les objectifs essentiels de la détermination de la sentence par une cour martiale sont de favoriser l’efficacité opérationnelle des FAC en contribuant au maintien de la discipline, de la bonne organisation et du moral, ainsi que de contribuer au respect de la loi et au maintien d’une société juste, paisible et sûre.

 

[66]          La LDN mentionne les objectifs et principes fondamentaux de la détermination de la peine qui doivent être considérés par la cour martiale. Ainsi, le juge militaire doit prendre en compte les objectifs et principes fondamentaux énoncés aux articles 203.1 et suivants de la LDN.

 

[67]          En conséquence, l’infliction d’une peine par le juge militaire doit prendre en compte au moins un des objectifs suivants :

 

a)            renforcer le devoir d’obéissance aux ordres légitimes;

 

b)                   maintenir la confiance du public dans les Forces canadiennes en tant que force armée disciplinée;

 

c)                   dénoncer les comportements illégaux […];

 

d)                   dissuader les contrevenants et autres personnes de commettre des infractions;

 

e)                   favoriser la réinsertion sociale des contrevenants;

 

f)                    favoriser la réinsertion des contrevenants dans la vie militaire;

 

g)                   isoler, au besoin, les contrevenants des autres officiers et militaires du rang ou de la société en général;

 

h)                   assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité;

 

i)             susciter le sens des responsabilités chez les contrevenants, notamment par la reconnaissance des dommages causés à la victime ou à la collectivité

 

[68]          Le juge militaire doit aussi prendre en compte les principes suivants :

 

a)                   l’adaptation de la peine aux circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration de l’infraction ou à la situation du contrevenant [...];

 

b)                   l’harmonisation des peines, c’est-à-dire l’infliction de peines semblables à celles infligées à des contrevenants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables;

 

c)                   l’obligation, avant d’envisager la privation de liberté par l’emprisonnement ou la détention, d’examiner la possibilité de peines moins contraignantes lorsque les circonstances le justifient;

 

[...]

 

d)            l’infliction de la peine la moins sévère possible qui permet de maintenir la discipline, l’efficacité et le moral des Forces canadiennes;

 

e)             la prise en compte des conséquences indirectes du verdict de culpabilité ou de la sentence.

 

[69]          Considérant la nature des deux infractions pour lesquelles le tribunal a déclaré le contrevenant coupable, soit une agression sexuelle contraire à l’article 271 du Code criminel, le tribunal se doit aussi d’envisager d’imposer un certain nombre d’ordonnances accessoires reliées à la nature même de cette infraction, comme une ordonnance, rédigée selon le formulaire réglementaire, autorisant le prélèvement sur le contrevenant du nombre d’échantillons de substances corporelles jugé nécessaire pour analyse génétique (article 196.14 LDN), une ordonnance rédigée selon le formulaire réglementaire de se conformer à la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels pendant une période de vingt ans (article 227.01 LDN), considérant qu’il n’a pas fait l’objet d’une ordonnance rendue antérieurement en application de l’article 227.01 de la LDN, et une ordonnance d’interdiction concernant les armes à feu (article 147.1 LDN).

 

Position des parties

 

[70]          Dans ce cas, considérant que la peine à imposer par le tribunal doit refléter principalement les objectifs de la peine liés à la dénonciation du comportement illégal du contrevenant et à la dissuasion du contrevenant et d’autres personnes de commettre une telle infraction, et tout en considérant les principes de détermination de la peine tels que la gravité de l’infraction, la parité avec des cas similaires et les facteurs aggravants et atténuants, le procureur de la poursuite a suggéré au tribunal de condamner le contrevenant à une peine d’emprisonnement de quatre ans.

 

[71]          Il a invité la cour a considéré deux facteurs aggravants : l’impact que la commission de ces deux infractions a eu sur la victime, et le fait que ces infractions sont survenues pendant que le contrevenant et la victime étaient dans une relation intime depuis un certain temps déjà.

 

[72]          Le procureur de la poursuite a souligné que le Cplc Houde n’a pas encore purgé la peine d’emprisonnement de deux ans moins un jour infligée par le juge militaire dans un dossier précédent devant une cour martiale générale concernant une autre victime, puisque son exécution est suspendue en raison d’un appel formulé à la Cour d’appel de la cour martiale par le contrevenant du verdict et de la sentence rendue par la cour martiale. Dans ces circonstances, le procureur a suggéré à la Cour de ne pas appliquer l’article 149 de la LDN qui prévoit que lorsqu’un contrevenant doit purger deux peines d’incarcération imposées par des cours martiales différentes, elles doivent être purgées simultanément, la plus grave ayant préséance.

 

[73]          Il a suggéré à la Cour, soit d’ordonner que la peine d’incarcération qu’elle imposerait soit purgée à la suite de la première, donc de manière consécutive, soit d’imposer une peine d’emprisonnement plus longue que celle imposée par le juge présidant l’autre cour martiale afin que la peine infligée par la Cour dans le présent dossier entraîne des conséquences sur le contrevenant.

 

[74]          Le procureur de la poursuite a ajouté que le tribunal doit rendre une ordonnance, rédigée selon le formulaire réglementaire, autorisant le prélèvement sur l’intéressé du nombre d’échantillons de substances corporelles jugé nécessaire pour analyse génétique, et qu’il est souhaitable pour le tribunal, dans les circonstances de cette affaire, de rendre une ordonnance d’interdiction concernant la possession d’armes.

 

[75]          L’avocat du contrevenant a recommandé à cette Cour d’imposer une peine d’emprisonnement de dix-huit mois. Il a soumis à la Cour que la condamnation précédente par la cour martiale, et le présent dossier sont des actes séparés et isolés qui ne démontrent pas une tendance lourde de la part du contrevenant à agir comme il l’a fait. Il s’agit de circonstances très particulières qui sont propres à chacune de ces causes.

 

[76]          Il a invité la Cour a considéré plusieurs facteurs atténuants : la libération des FAC imposées au contrevenant en raison de sa première condamnation; l’impact sur la réputation personnelle du contrevenant en raison de la couverture médiatique; l’absence de violence autre que celle qui est intrinsèque à la nature même de l’infraction; et la reconnaissance par la chaîne de commandement et ses supérieurs de son professionnalisme dans le cadre de son travail jusqu’à ce que les accusations soient portées et que les procédures de la cour martiale se déroulent.

 

[77]          De plus, selon lui, l’opinion fournie par monsieur Webanck démontre que le risque de récidive lié à la commission d’une infraction de même nature par le Cplc Houde est de moyen à peu élevé lorsque qu’il ne prend pas compte de la première condamnation en semblable matière.

 

[78]          À l’exception d’une ordonnance de prise d’empreinte génétique pour des fins d’analyse génétique, il ne voit pas la nécessité d’imposer d’autres ordonnances, incluant celle relative à l’interdiction de la possession d’armes.

 

Analyse

 

[79]          Maintenant, il m’incombe, à titre de juge militaire présidant cette cour martiale, de déterminer la peine à être infligée au Cplc Houde.

 

La gravité de l’infraction

 

[80]          Une agression sexuelle est considérée comme une infraction très grave dans la société canadienne, tout comme dans la communauté militaire canadienne. L’intégrité personnelle, tant physique que psychologique, de chaque individu doit être protégée. Ce principe est fondamental au bon fonctionnement de la société canadienne, considérant que la dignité de chaque personne est au cœur de nos valeurs telles que mentionnées dans notre constitution, et de celle de la communauté militaire telle que reflétée dans les principes d’éthiques de la Défense.

 

[81]          Dans les affaires impliquant une agression sexuelle, il est souvent utile de rappeler les remarques du juge Cory dans l’arrêt de la Cour suprême du Canada (CSC) R. c. Osolin, [1993] 4 R.C.S. 595, au paragraphe 165, où il dit :

 

Il ne faut pas oublier que l’agression sexuelle est une infraction très différente des autres types de voies de fait. Il est vrai que, comme toutes les autres formes de voies de fait, elle est un acte de violence. Elle est toutefois plus qu’un simple acte de violence. Dans la grande majorité des cas, l’agression sexuelle est fondée sur le sexe de la victime. C’est un affront à la dignité humaine et un déni de toute notion de l’égalité des femmes.

 

[82]          Dans l’arrêt R. c. Ewanchuk de la Cour suprême du Canada, [1999] 1 R.C.S. 330, le juge Major a exprimé le raisonnement qui soutient la criminalisation des voies de fait lorsqu’il a déclaré au paragraphe 28 :

 

Le raisonnement qui sous‐tend la criminalisation des voies de fait explique cet état de choses. La société est déterminée à protéger l’intégrité personnelle, tant physique que psychologique, de tout individu. Le pouvoir de l’individu de décider qui peut toucher son corps et de quelle façon est un aspect fondamental de la dignité et de l’autonomie de l’être humain. L’inclusion des infractions de voies de fait et d’agression sexuelle dans le Code témoigne de la détermination de la société à assurer la sécurité des personnes, en les protégeant des contacts non souhaités ou des menaces de recours à la force.

 

[83]          Dans un environnement militaire, une telle infraction a un impact énorme sur la cohésion, la confiance et le respect nécessaires à une force militaire forte et disciplinée, comme le mentionne le juge Perron dans R. c. Royes, 2013 CM 4034, au paragraphe 34 :

 

Sans minimiser les effets des agressions sexuelles sur les victimes, la Cour estime qu’une agression sexuelle commise dans un contexte militaire est beaucoup plus grave qu’une agression sexuelle similaire commise dans un contexte civil, en raison des répercussions qu’une telle agression sexuelle a sur les principes fondamentaux de cohésion, de confiance et de respect qui sont essentiels pour assurer une force militaire forte et disciplinée. En un mot, ce type de comportement blesse la victime et compromet notre capacité opérationnelle.

 

Objectifs considérés par la Cour pour les fins de la détermination de la sentence

 

[84]          En conséquence, la peine à imposer par ce tribunal devra tenir compte des objectifs suivants :

 

a)                  maintenir la confiance du public dans les Forces canadiennes en tant que force armée disciplinée;

 

b)                  dénoncer les comportements illégaux;

 

c)                  dissuader les contrevenants et autres personnes de commettre ces infractions. Il est important de se rappeler que le principe de dissuasion générale signifie que la peine imposée doit non seulement dissuader le contrevenant de récidiver, mais également dissuader d’autres personnes se trouvant dans des situations similaires de se livrer au même comportement;

 

d)                  favoriser la réinsertion sociale des contrevenants;

 

e)                  isoler, au besoin, les contrevenants des autres officiers et militaires du rang ou de la société en général;

 

f)                   assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité.

 

[85]          Comme je l’ai déjà mentionné, dans mes décisions de R. c. Sorbie, 2015 CM 3010, R. c. MacDonald, 2018 CM 3011, et R. c. August, 2022 CM 3014, la CSC a indiqué que le principe de la proportionnalité, au chapitre de la détermination de la peine, est un principe fondamental (voir R. c. Ipeelee, 2012 CSC 13, au paragraphe 37, R. c. Nur, 2015 CSC 15, aux paragraphes 42 et 43, R. c. Friesen, 2020 CSC 9, au paragraphe 30, et R. c. Parranto, 2021 CSC 46, au paragraphe 10), de sorte que la détermination de la sentence par un juge, y compris un juge militaire, est un processus extrêmement personnalisé.

 

[86]          Le principe de la proportionnalité vise à réconcilier ces différents objectifs et, par le fait même, à rendre la sentence infligée au contrevenant proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du contrevenant, comme il est indiqué à l’article 203.2 de la LDN.

 

[87]          Comme le juge LeBel l’a dit au paragraphe 37 de l’arrêt Ipeelee :

 

La proportionnalité représente la condition sine qua non d’une sanction juste. Premièrement, la reconnaissance de ce principe garantit que la peine reflète la gravité de l’infraction et crée ainsi un lien étroit avec l’objectif de dénonciation. La proportionnalité favorise ainsi la justice envers les victimes et assure la confiance du public dans le système de justice.

 

[... ]

 

Deuxièmement, le principe de proportionnalité garantit que la peine n’excède pas ce qui est approprié compte tenu de la culpabilité morale du délinquant. En ce sens, il joue un rôle restrictif et assure la justice de la peine envers le délinquant. En droit pénal canadien, une sanction juste prend en compte les deux optiques de la proportionnalité et n’en privilégie aucune par rapport à l’autre.

 

[88]          Je vais maintenant discuter des principes de détermination de la peine. Le premier consiste à tenir compte de toute circonstance aggravante et atténuante pertinente liée à la perpétration de l’infraction ou à la situation du contrevenant qui est susceptible d’augmenter ou de réduire la peine à être infligée par le tribunal.

 

Les circonstances aggravantes

 

[89]          J’ai identifié trois facteurs aggravants qui s’appliquent à l’infliction d’une peine dans cette affaire :

 

a)                  l’abus de confiance caractérisant les relations du contrevenant avec la victime;

 

b)                  la gravité des atteintes à l’intégrité physique et psychologique de la victime se traduisant notamment par : la nature et l’ampleur des agressions; la fréquence et la durée; le caractère de la victime; sa vulnérabilité; et les séquelles traumatiques;

 

c)                  toute condamnation antérieure du contrevenant, tout en considérant la proximité temporelle avec les infractions reprochées et la nature des condamnations antérieures.

 

[90]           En ce qui a trait à l’abus de confiance, le Cplc Houde savait pertinemment que ses attentes dans la relation intime qu’il a développée avec la victime étaient différentes de celles de C.C. Malgré cela, il n’a pas hésité à abuser des sentiments particuliers qu’elle avait pour lui afin d’assouvir ses désirs sexuels, et ce, malgré l’absence de consentement de la victime. En fait, il l’a considéré plus comme un objet plutôt qu’une personne, et pendant un court moment, il l’a utilisé pour ses fins personnelles, ignorant du même coup le refus explicite de C.C. d’être touché par lui pour des fins sexuelles.

 

[91]          Dans sa déclaration, la victime explique clairement que ces événements continuent d’être une épreuve pour elle, car elle continue à mesurer à quel point elle s’est sentie trahie, et qu’elle se sent toujours trahie, en raison des gestes que le Cplc Houde a posés sur elle en profitant de l’immense confiance qu’elle avait envers lui durant leur relation intime.

 

[92]          La gravité des atteintes à l’intégrité physique et psychologique est sérieuse, particulièrement en ce qui a trait à l’agression sexuelle qui s’est produite à la résidence du Cplc Houde. L’ampleur de l’agression que la victime a subie est très sérieuse, car il s’agit d’une relation avec pénétration forcée. Elle s’est rendue chez le contrevenant à la seule condition qu’il n’y ait pas de relation sexuelle, et dès qu’elle est entrée chez lui, c’est tout le contraire qui s’est produit. Elle s’est sentie comme un déchet, comme une moins que rien. Et c’est peu dire.

 

[93]          Concernant l’agression sexuelle qui s’est produite chez la victime, toute la question réside encore une fois dans l’ignorance totale du consentement de la victime. Elle était très vulnérable. Un moment qui se voulait agréable est devenu un cauchemar total pour elle. L’attitude dégradante et irrespectueuse du contrevenant dans une telle situation ne peut être que dénoncée.

 

[94]          Finalement, la Cour ne peut non plus ignorer la condamnation antérieure récente du Cplc Houde en semblable matière qui constitue assurément une circonstance aggravante dont la Cour a l’obligation de tenir compte.

 

Les facteurs atténuants

 

[95]          J’ai aussi identifié certains facteurs atténuants :

 

a)                malgré qu’il n’accepte pas la décision de la Cour quant au verdict qu’il a rendu, il appert néanmoins que le Cplc Houde se dit plus prudent et sensible au consentement libre et éclairé qui doit provenir de sa partenaire dans le cadre d’une relation intime;

 

b)                comme l’a constaté monsieur Webanck, le risque de récidive lié à la commission de l’infraction d’agression sexuelle par le Cplc Houde est limité à des circonstances particulières qu’il n’a pas l’intention de revivre nécessairement, et s’il se remet dans une telle situation, il est clair qu’il sera très prudent quant au consentement de sa partenaire. Essentiellement, il apparaît que les condamnations découlent d’événements qui se sont produits avec deux victimes avec qui le contrevenant avait décidé d’explorer certaines limites de sa sexualité. Dans une relation stable dans laquelle il éprouve des sentiments sérieux pour sa partenaire, l’expérience démontre que le Cplc Houde adopte un comportement tout à fait respectueux concernant le consentement de l’autre personne dans le cadre de relations sexuelles, comme l’ont d’ailleurs exprimé dans leur témoignage à la cour madame Dallaire et N.T. La Cour retient aussi que la condamnation antérieure à elle seule explique le constat de monsieur Webanck voulant que le risque de récidive soit élevé à moyen, sinon il serait faible s’il s’agissait d’une première condamnation. Conséquemment, en raison de l’ensemble de ces circonstances, la Cour conclut que le risque de récidive lié à la commission d’une infraction semblable par le Cplc Houde est plutôt faible.

 

Les précédents judiciaires

 

[96]          Un autre principe applicable pour déterminer la sentence qui doit être imposée par la Cour consiste à considérer les peines infligées à des contrevenants similaires pour une infraction similaire commise dans des circonstances similaires. Cependant, avant d’examiner toute jurisprudence applicable, je pense qu’il est important de déterminer s’il existe des points de départ ou une fourchette de peines qui s’applique pour une telle infraction.

 

[97]          Dans l’arrêt Parranto, aux paragraphes 36 et 37, la CSC a clairement indiqué que les fourchettes de peines et les points de départ sont des outils différents qui aident les juges chargés de déterminer la peine à déterminer une peine proportionnée, et qu’ils ne sont pas contraignants quant à la peine à déterminer par un juge de première instance.

 

[98]          Dans l’arrêt Friesen, aux paragraphes 35 et 36, la CSC a réitéré qu’il incombe aux cours d’appel du Canada de fournir de telles orientations. La Cour d’appel de la cour martiale du Canada n’a pas encore établi de fourchettes de peines ni de points de départ pour un contrevenant reconnu coupable par une cour martiale d’une infraction militaire punissable en vertu de l’alinéa 130(1)a) de la LDN pour agression sexuelle contrairement à article 271 du Code criminel.

 

[99]          Toutefois, cela n’empêche pas cette Cour de considérer ce que certaines cours d’appel du Canada ont dit sur cette question. La Cour d’appel du Québec, dans R. c. Bergeron, 2016 QCCA 339, a adopté une fourchette de peines pour les infractions d’inconduite sexuelle, y compris une agression sexuelle. Le tribunal a identifié trois fourchettes de peine différentes :

 

a)                  premièrement, une peine d’emprisonnement de douze à vingt-trois mois. Ces peines punissaient des actes sexuels peu graves, comme des gestes d’attouchements sexuels;

 

b)                  deuxièmement, une peine allant de deux à six ans, avec une concentration de peines de trois à quatre ans. Il s’agirait des cas où il n’y a pas d’antécédents judiciaires en semblable matière, où il y a abus de confiance, de pouvoir et d’autorité, mais aussi où il n’y a pas de violence directe, autre que celle inhérente à la nature de l’infraction;

 

c)                  troisièmement, une peine de sept à treize ans pour les cas présentant des circonstances particulières de violence, au-delà des gestes sexuels et/ou de la présence d’antécédents judiciaires et évidemment en relation avec des infractions pour lesquelles la gravité objective est élevée. Il a été constaté que ces sanctions sanctionnent des situations de maltraitance prolongée, qui débutent généralement lorsque la ou les victimes sont de jeunes enfants, et qui impliquent des rapports sexuels complets, soit dans un contexte d’intimidation et de violence, soit en incitant les enfants à avoir des relations sexuelles entre eux.

 

[100]      La Cour d’appel de l’Ontario a confirmé l’existence d’un point de départ dans son arrêt R. v. A.J.K., 2022 ONCA 487, lorsqu’elle dit au paragraphe 77 concernant la détermination de la peine pour une infraction d’agression sexuelle que, « en l’absence de circonstances hautement atténuantes : la pénétration forcée d’une autre personne entraînera généralement une peine d’au moins trois ans de prison » [Ma traduction.]. De plus, elle confirmait juste avant, au paragraphe 76, que « l’agression sexuelle contre un partenaire intime ou un ancien partenaire intime peut effectivement entraîner une peine plus lourde » [Ma traduction.].

 

[101]      Le juge Wakeling de la Cour d’appel de l’Alberta a suggéré une approche différente pour la détermination de la peine pour une infraction d’agression sexuelle dans la décision R. v. Quintero-Gelvez, 2023 ABCA 64. Son approche est fondée sur des sous-ensembles de marqueurs qu’il a identifiés au paragraphe 67 du jugement. Les sous-ensembles sont délimités en fonction de la nature du comportement sexuel et de son degré de répréhension.

 

[102]      Le sous-ensemble le moins grave ou moins flagrant englobe les infractions les moins préjudiciables et les moins répréhensibles. À l’inverse, le sous-ensemble le plus flagrant regroupe les infractions les plus préjudiciables et les plus répréhensibles. Le sous-ensemble intermédiaire est peuplé de comportements qui ne rentrent pas dans les sous-ensembles les moins flagrants et les plus flagrants.

 

[103]      Une infraction se situant dans le sous-ensemble le plus préjudiciable ou flagrant indiquerait à la cour qu’elle doit imposer une peine d’emprisonnement variant de quatre à dix ans. Cela permettrait à une cour de sanctionner de manière adéquate les violeurs et autres personnes qui commettent cette forme de crime avec des degrés de culpabilité très différents.

 

[104]      Une infraction se situant dans le sous-ensemble le moins préjudiciable ou flagrant signalerait à la cour qu’il s’agit d’une infraction variant entre une situation qui ne commande pas nécessairement l’imposition d’une sentence comportant de l’incarcération et l’imposition d’une sentence d’emprisonnement de deux ans moins un jour.

 

[105]      Finalement, une infraction se trouvant dans le sous-ensemble qui est entre les deux qui ont été énumérés précédemment commanderait l’imposition d’une sentence d’emprisonnement se situant dans une fourchette entre deux et cinq ans.

 

[106]      La lecture de ces trois décisions a confirmé deux choses au tribunal : premièrement, les circonstances de cette affaire appelleraient généralement une fourchette de peine allant de deux à six ans d’emprisonnement, avec un point de départ potentiel étant à trois ans; deuxièmement, compte tenu de l’échelle des peines qui peuvent être imposées par une cour martiale en vertu de l’article 139 de la LDN, un emprisonnement de deux ans ou plus devrait être considéré comme la peine minimale pour la perpétration de l’infraction d’agression sexuelle dans un contexte militaire impliquant des rapports sexuels complets qui comportent une pénétration forcée.

 

[107]      En adoptant cette approche, l’imposition d’une telle peine par une cour martiale à un contrevenant ayant commis l’infraction d’agression sexuelle dans ces circonstances répondrait aux deux principaux objectifs de la détermination de la peine, soit la dénonciation de la perpétration d’un tel crime, et la dissuasion, autant spécifique que générale, pour tous ceux qui seraient même enclins à envisager de commettre une telle infraction.

 

[108]       Cependant la Cour retient de la jurisprudence qu’une fourchette de peines n’est qu’un outil afin d’aider le juge qui impose une sentence à savoir par où débuter.

 

[109]       Je suis d’accord avec les parties que la sentence minimale pouvant être infligée par la cour martiale, concernant ce type d’infraction qui comporte ce genre de circonstances, doit être l’incarcération. En effet, seule la privation de liberté peut refléter les objectifs de dénonciation et de dissuasion générale à l’égard d’une telle infraction.

 

[110]       Quel type d’incarcération doit être envisagé par la cour martiale? La détention vise à réhabiliter un délinquant dans un contexte militaire dans l’espoir de pouvoir le réintégrer à un certain point dans sa carrière, et évidemment, ici, c’est quelque chose qui ne peut pas se réaliser, considérant que le Cplc Houde a été libéré des FAC. De plus, la nature de l’infraction, qui est une infraction criminelle, appelle à envisager un type d’incarcération plus sérieux que la détention dans les circonstances de la présente affaire. Conséquemment, comme suggéré par les deux parties, je conclus que l’emprisonnement est le seul type d’incarcération qui est approprié et que cette Cour doit imposer.

 

[111]       J’ai examiné toutes les peines possibles, autres que l’emprisonnement, qui sont raisonnables dans les circonstances et compatibles avec le préjudice causé à la victime et à la communauté militaire, et je conclus néanmoins que l’emprisonnement demeure la seule peine appropriée qui doit être infligée par cette Cour.

 

Quelle est la peine la moins sévère requise dans les circonstances de cette affaire pour maintenir la discipline, l’efficacité et le moral des FAC.

 

[112]       Quelle devrait être la durée de l’emprisonnement? La poursuite a suggéré à la Cour d’infliger une peine d’emprisonnement de quatre ans, alors que l’avocat du Cplc Houde a plutôt recommandé à la cour d’imposer une sentence d’emprisonnement pour une durée de dix-huit mois.

 

[113]       D’entrée de jeu, la Cour tient à exprimer le rejet de l’argument de la poursuite d’ignorer l’application de l’article 149 de la LDN. Comme je l’ai exprimé auparavant, l’imposition d’une peine par la cour martiale est un processus très personnalisé qui se base sur une série d’objectifs et de principes retenus par la Cour dont cet article ne fait pas partie, et ne doit pas faire partie.

 

[114]       L’impact de la condamnation antérieure en semblable matière est un élément aggravant dont la Cour tient compte. En revanche, l’idée même de condamner le Cplc Houde à un emprisonnement d’une durée plus longue que celle à laquelle il a été condamné dans un précédent dossier devant la cour martiale ne tient pas la route. La récidive n’entraîne pas automatiquement une peine plus longue pour qu’un contrevenant subisse plus de conséquences. Chaque cause étant unique en raison d’une multitude de facteurs, la suggestion formulée par la poursuite n’a aucun sens. Je la rejette donc.

 

[115]       Il est possible que cette Cour impose une peine d’emprisonnement d’une durée plus longue que celle imposée précédemment par la cour martiale dans un autre dossier, mais cela ne pourra se faire en fonction de l’application de l’article 149 LDN.

 

[116]       J’ai examiné certaines décisions de la cour martiale et je considère que la présente affaire présente des similitudes avec les décisions rendues dans Royes, (trente-six mois d’emprisonnement) et R. c. Beaudry, 2016 CM 4011 (quarante-deux mois d’emprisonnement). Ces cas impliquaient une pénétration forcée de la victime. Comme le dit le juge militaire Perron dans Royes, au paragraphe 36 :

 

Ainsi que je l’ai déclaré dans la décision rendue par la cour martiale générale dans l’affaire Leblanc, compte tenu de l’opinion de la Cour suprême du Canada concernant l’infraction d’agression sexuelle ainsi que du contenu de la DAOD 5019‑5, les membres des Forces canadiennes doivent être sensibilisés au fait qu’ils encourront une peine d’emprisonnement sévère, sauf dans de rares cas où il existe des circonstances extrêmement atténuantes, s’ils commettent à l’endroit d’autres membres des Forces canadiennes des agressions sexuelles impliquant des rapports sexuels. Les membres des Forces canadiennes doivent se sentir à l’abri de toute atteinte à l’intégrité physique ou sexuelle de leur personne lorsqu’ils se trouvent en présence d’autres membres des Forces canadiennes et encore plus lorsqu’ils sont présents dans un bâtiment de la défense.

 

[117]       Une peine juste et équitable doit tenir compte de la gravité de l’infraction et de la responsabilité du contrevenant dans le contexte précis de l’espèce. Étant donné la nature des infractions commises par le Cplc Houde, les principes de détermination de la sentence applicables, comme le maintien de la confiance du public dans les FAC, la dénonciation et la dissuasion générale, et considérant aussi les facteurs aggravants et atténuants énumérés précédemment, je suis arrivé à la conclusion que la Cour doit imposer au contrevenant une peine d’emprisonnement pour une période de quarante-deux mois.

 

[118]       Cette peine s’inscrit dans les objectifs de dénonciation et de dissuasion générale envisagés par la Cour. Il reflète la gravité de l’infraction et n’excède pas ce qui est approprié.

 

[119]       Elle reflète les autres objectifs de détermination de la peine considérés par la Cour, à savoir maintenir la confiance du public dans les Forces canadiennes en tant que force armée disciplinée, séparer les contrevenants, si nécessaire, de la société en général, et assurer la réparation des torts causés aux victimes.

 

[120]       Le fait que la victime ait été un partenaire du contrevenant dans le cadre d’une relation intime, qui a duré presque deux années, favorise l’imposition d’une peine d’emprisonnement de plus de trois ans. La Cour a accordé également un certain poids aux deux facteurs atténuants qu’elle a identifiés pour parvenir à la conclusion qu’un emprisonnement de quatre ans ne s’imposait pas dans les circonstances.

 

[121]       Cette décision est également conforme à la fourchette de peines identifiée précédemment par cette Cour.

 

Ordonnances accessoires

 

[122]       De plus, conformément à l’article 196.14 de la LDN, considérant que l’infraction pour laquelle j’ai prononcé la sentence est une infraction primaire telle que définie à l’article 196.11 de la LDN, j’ordonne tel qu’il appert du formulaire réglementaire ci-joint, le prélèvement sur le Cplc Houde du nombre d’échantillons de substance corporelle jugé nécessaire pour analyse génétique.

 

[123]       Habituellement, conformément à l’article 227.01 de la LDN, j’ordonnerais au Cplc Houde de se conformer à la Loi sur l’enregistrement des renseignements sur les délinquants sexuels pour une période de vingt ans.

 

[124]       Le 11 avril 2023, dans ma décision de R. c. Kohlsmith, 2023 CM 3002, j’ai déclaré que l’analyse juridique et les conclusions formulées par la CSC dans l’arrêt R. c. Ndhlovu, 2022 CSC 38, concernant l’inconstitutionnalité du paragraphe 490.012 (1) du Code criminel, qui impose à un tribunal civil de juridiction pénale d’ordonner l’enregistrement obligatoire de tous les délinquants qui ont été reconnus coupables par ce même tribunal de l’une des infractions sexuelles désignées à l’alinéa 490.011(1)a) du Code criminel, ce qui inclut une agression sexuelle commise en vertu de l’article 271 du Code criminel, s’étendait au paragraphe 227.01(1) de la LDN.

 

[125]       Les modifications apportées par le Parlement au paragraphe 490.012(1) du Code criminel pour se conformer à la décision du Ndhlovu sont entrées en vigueur le 26 octobre 2023. Cependant, la Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur l’enregistrement des renseignements sur les délinquants sexuels et la Loi sur le transfert international des délinquants, L.C. 2023, ch. 28, ne contenait aucune disposition modifiant le paragraphe 227.01(1) de la LDN afin de le rendre à nouveau conforme à notre Constitution.

 

[126]       Dans ces circonstances, cette Cour n’a d’autre choix que de conclure que le paragraphe 227.01(1) de la LDN viole l’article 7 de la Charte et ne peut être sauvegardé par l’article 1 de la Charte, rendant cette disposition inopérante en vertu du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982.

 

[127]       En conséquence, le tribunal n’ordonnera pas au Cplc Houde de se conformer à la Loi sur l’enregistrement des renseignements sur les délinquants sexuels pendant vingt ans.

 

[128]       J’ai aussi examiné la question de savoir s’il convient en l’espèce de rendre une ordonnance interdisant au contrevenant de posséder une arme même si l’article 147.1 de la LDN ne rend pas une telle analyse obligatoire dans les circonstances. À mon avis, l’émission d’une ordonnance de cette nature n’est ni souhaitable ni nécessaire pour protéger la sécurité d’autrui ou du contrevenant dans les circonstances de ce procès.

 

POUR TOUS CES MOTIFS, LA COUR :

 

[129]       CONDAMNE le Cplc Houde à une peine d’emprisonnement pour une période de quarante-deux mois.

 

[130]       ORDONNE le prélèvement sur le Cplc Houde du nombre d’échantillons de substance corporelle jugé nécessaire pour analyse génétique conformément à l’article 196.14 de la LDN.


 

Avocats :

 

Le directeur des poursuites militaires, tel que représenté par la majore A. Dhillon

 

Me J.-M. Tremblay, Assistant le Service d’avocats de la défense, avocat du caporal-chef C. Houde.

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