Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 6 janvier 2014.

Endroit : Édifice 22, 74 avenue Polaris, Astra (ON).

Chefs d’accusation :
• Chef d’accusation 1 : Art. 88 LDN, a déserté.
• Chef d’accusation 2 : Art. 90 LDN, s’est absentée sans permission.
• Chefs d’accusation 3, 4, 5 : Art. 101.1 LDN, a omis de se conformer à une condition imposée sous le régime de la section 3.

Résultats :
• VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 2, 3, 4, 5 : Coupable.
• SENTENCE : Emprisonnement pour une période de six mois, rétrogradation au grade de soldat et destitution du service de Sa Majesté. L’exécution de la peine d’emprisonnement a été suspendue.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

Référence : R c Caza, 2014 CM 3002

 

Date : 20140212

Dossier : 201326

 

Cour martiale générale

 

Base des Forces canadiennes Trenton

Trenton (Ontario) Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

et

 

Caporal R.W. Caza, contrevenante

 

 

En présence de : Lieutenant‑colonel L.‑V. d’Auteuil, J.M.


 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Oralement)

 

[1]               Caporal Caza, ayant accepté et inscrit un plaidoyer de culpabilité à l’égard des deuxième, quatrième et cinquième chefs d’accusation, la Cour vous déclare maintenant coupable de ces chefs d’accusation. Vu qu’à l’issue d’un procès complet, vous avez été reconnue coupable des premier et troisième chefs d’accusation, la Cour n’a aucune autre accusation à examiner.

 

[2]               Le procès a été long et dire à sa fin. Il m’incombe maintenant, à titre de juge militaire présidant la cour martiale permanente de déterminer la peine.

 

[3]               Le système de justice militaire constitue l’ultime recours pour faire respecter la discipline, qui est une dimension essentielle de l’activité militaire dans les Forces canadiennes. Ce système vise à prévenir l’inconduite ou, d’une façon plus positive, à promouvoir la bonne conduite. C’est grâce à la discipline que les forces armées s’assurent que leurs membres rempliront leurs missions avec succès, en toute confiance et fiabilité. Le système veille également au maintien de l’ordre public et assure que les personnes assujetties au Code de discipline militaire sont punies de la même façon que toute autre personne vivant au Canada.

 

[4]               Il est reconnu depuis bien longtemps que l’objectif d’un système de justice ou de tribunaux militaires distincts est de permettre aux forces armées de s’occuper des questions liées au respect du code de discipline militaire et au maintien de l’efficacité et du moral des Forces canadiennes, comme il a été établi dans l’arrêt R c Généreux, [1992] 1 RCS 259, à la page 293. Cela étant dit, la peine infligée par un tribunal, qu’il soit militaire ou civil, devrait être la peine la moins sévère selon les circonstances particulières de l’affaire.

 

[5]               En l’espèce, le procureur de la poursuite a recommandé que la Cour vous condamne à une peine d’emprisonnement de 90 jours, à la destitution du service de Sa Majesté ainsi qu’à une rétrogradation au rang de soldat. Par ailleurs, l’avocat de la défense a fait valoir à la Cour que la rétrogradation au rang de soldat répondrait aux exigences de la justice en l’espèce. Si, pour une raison quelconque, la Cour décide de prononcer aussi une peine d’emprisonnement, il a demandé à la Cour, conjointement avec le procureur de la poursuite, de suspendre l’exécution de la peine d’emprisonnement.

 

[6]               L’imposition d’une peine représente une des tâches les plus difficiles que le juge doit accomplir. Comme l’a reconnu la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Généreux :

 

Pour que les Forces armées soient prêtes à intervenir, les autorités militaires doivent être en mesure de faire respecter la discipline interne de manière efficace.

 

La Cour souligne que, dans le contexte particulier de la justice militaire :

 

Les manquements à la discipline militaire doivent être réprimés promptement et, dans bien des cas, punis plus durement que si les mêmes actes avaient été accomplis par un civil.

 

[7]               Toutefois, la loi n’autorise pas une cour militaire à infliger une peine qui se situerait au-delà de ce qui est requis dans les circonstances de l’affaire. Comme je l’ai mentionné avant, toute peine infligée par un tribunal doit être individualisée et représenter l’intervention minimale requise puisque la modération est le principe fondamental des théories modernes de la détermination de la peine au Canada.

 

[8]               L’objectif fondamental de la détermination de la peine par une cour martiale est d’assurer le respect de la loi et le maintien de la discipline en infligeant des peines visant un ou plusieurs des objectifs suivants : 

 

a)                  protéger le public, y compris les Forces canadiennes;

 

b)                  dénoncer le comportement illégal;

 

c)                  dissuader le contrevenant, et quiconque, de commettre les mêmes infractions;

 

d)                 isoler, au besoin, les contrevenants du reste de la société;

 

e)                  réadapter et réformer les contrevenants.

 

[9]        Lorsqu’il détermine la peine à infliger, le tribunal militaire doit également tenir compte des principes suivants :

 

a)                  la peine est proportionnelle à la gravité de l’infraction;

 

b)                  la peine doit tenir compte de la responsabilité du contrevenant et des antécédents de celui-ci;

 

c)                  l’harmonisation des peines, c'est-à-dire l’infliction de peines semblables à celle infligées à des contrevenants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables;

 

d)                 l’obligation, avant d’envisager la privation de liberté, d’examiner la possibilité de sanctions moins contraignantes lorsque les circonstances le justifient. En bref, la Cour ne devrait avoir recours à une peine d’emprisonnement ou de détention qu’en dernier ressort, comme l’ont établi la Cour d’appel de la cour martiale et la Cour suprême du Canada;

 

e)                  l’adaptation de la peine aux circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration de l’infraction ou à la situation du contrevenant.

 

[10]      Je suis arrivé à la conclusion que, dans les circonstances de l’espèce, la peine doit surtout viser les objectifs de dénonciation et de dissuasion générale.

 

[11]      En l’espèce, la Cour est appelée à statuer sur trois types d’infractions : la désertion, en contravention de l’article 88 de la Loi sur la défense nationale; l’absence sans permission, en contravention de l’article 90 de la Loi sur la défense nationale; et l’omission de se conformer à une condition imposée sous le régime de la section 3 par un officier réviseur, en contravention de l’article 101.1 de la Loi sur la défense nationale. Tous ces types d’infractions font référence directement à certains principes éthiques, tels que la responsabilité et la fiabilité.

 

[12]      En 2012, le caporal Caza était membre du 424e Escadron de transport et de sauvetage à Trenton. Il s’agit d’une unité de priorité 1, à savoir une unité opérationnelle comme l’a précisé son commandant devant la Cour. Le 20 août 2012, le caporal Caza ne s’est pas présentée au travail. Elle a été arrêtée le 3 septembre de la même année et a été libéré sous conditions. Elle a suivi un programme de désintoxication liée à la toxicomanie en établissement en Colombie-Britannique pendant deux semaines, à l’automne 2012. Elle a été également astreinte, le 14 décembre 2012, à un régime de mise en garde et de surveillance relativement à sa consommation de drogues Une fois de plus, elle ne s’est pas présentée au travail le 21 janvier 2013, et a été arrêtée le 31 juillet 2013. Pendant cette deuxième période d’absence, elle a omis de se conformer à trois conditions : premièrement, de se présenter quotidiennement à 8 h, à son lieu de travail, à son superviseur immédiat ayant le grade de caporal‑chef ou un grade supérieur; deuxièmement, de ne pas communiquer avec M. Richard Booth; et troisièmement, de ne pas consommer de drogues non prescrites. 

 

[13]      Je dirais que le témoignage du major Nugent a joué un rôle important dans la détermination de la peine. Le major Nugent a décrit en détail la situation du caporal Caza concernant sa dépendance aux drogues et à l’alcool. Il a dit à la Cour que, selon lui, au moment de son enrôlement, le caporal Caza avait déjà certains problèmes liés à la dépendance aux drogues et à l’alcool. Il a précisé que le système de soins de santé des Forces canadiennes est venu en aide au caporal Caza de différentes façons, en lui donnant la possibilité de consulter des psychiatres, des travailleurs sociaux, des intervenants en toxicomanie ainsi que de suivre des traitements en établissement, dont celui qu’elle a suivi récemment. Le major Nugent a clairement établi devant la Cour que le caporal Caza souffre d’une dépendance physique et psychologique aux drogues et à l’alcool. 

 

[14]      En outre, il ressort clairement des différents témoignages livrés devant la Cour que le caporal Caza est une personne intelligente. Elle est très compétente et, avant de connaître des difficultés en raison de sa dépendance, elle était reconnue pour l’excellence dont elle faisait preuve dans son travail au sein de l’unité. Comme je l’ai mentionné plus tôt lors de ma discussion avec le procureur de la poursuite et l’avocat de la défense, il est arrivé quelque chose à l’été 2012 qui a déclenché la dépendance du caporal Caza. Jusqu’à présent, on ignore toujours le problème qui a entraîné cette situation, mais, de toute évidence, tout allait bien avant 2012 en ce qui concerne la Cour.

 

[15]      Le major Nugent a établi également que le caporal Caza doit toujours faire face à des problèmes de santé mentale et que la période de transition aux services de soins de santé civils est possible, dans la mesure où il a des contacts qui l’aideraient et la soutiendraient manifestement si elle devait retourner à la vie civile. De plus, le major Nugent a été en mesure de la placer dans une position supérieure sur une liste de priorités afin de s’assurer qu’en cas de libération des Forces canadiennes, certaines personnes pourront prendre soin d’elle. J’estime également que le caporal Caza est manifestement consciente de ses problèmes et qu’elle ne les dissimule pas, ce qui, sur le plan de la santé, constitue, à mon avis, une attitude positive qu’elle doit continuer de garder. La Cour a aussi été avisée que le caporal Caza est le principal soutien de son frère qui vit avec elle. 

 

[16]      Pour fixer la peine qu’elle estime juste et appropriée, la Cour a pris en considération les circonstances aggravantes et les circonstances atténuantes suivantes :

 

a)                  la Cour considère la gravité objective des infractions comme un facteur aggravant. Vous êtes accusée d’une infraction prévue à l’article 88 de la Loi sur la défense nationale, qui est passible d’un emprisonnement à perpétuité. Vous êtes aussi accusée des infractions prévues aux articles 90 et 101.1 de la Loi sur la défense nationale, encourt comme peine maximale un emprisonnement de moins de trois ans;

 

b)                  en ce qui a trait à la gravité subjective de l’infraction, la Cour a considéré trois éléments :

 

(i)                 le premier facteur est l’abus de confiance. Le fait de ne plus être fiable au sein des Forces canadiennes a de graves conséquences et je suis convaincu que vous en êtes consciente. Je n’ai pas à insister sur ce point, mais il n’en demeure pas moins que vous avez quitté votre unité à deux reprises. La première fois, il s’agissait d’une courte période, mais la deuxième fois, vous vous êtes absentée pendant une longue période. De plus, vous ne vous êtes pas conformée aux conditions de votre libération après avoir été arrêtée, ce qui témoigne du fait que des gens, vos collègues, les membres de votre unité, ne peuvent pas compter sur vous pour exécuter les tâches et la mission qui vous sont assignées. En ce qui a trait à l’abus de confiance, il y a aussi l’élément lié à la responsabilité. Il ressort clairement de la preuve que vous ne vous êtes pas soucié des conséquences. Il est possible que cela vous tienne à cœur, je ne dis pas le contraire, mais, d’après ce que j’ai constaté, dans l’ensemble, votre travail ne figurait pas parmi vos priorités à l’époque. Cet aspect se rattache à l’abus de confiance et doit être considéré comme une circonstance aggravante,

 

(ii)               le deuxième facteur porte sur la durée de votre absence. La première fois, il s’agissait d’environ deux semaines, alors que la deuxième était de plus de six mois, période qui aurait pu être plus longue si, probablement par coïncidence, vous n’aviez pas été arrêtée. Cet aspect doit être aussi considéré comme une circonstance aggravante,

 

(iii)             enfin, le troisième facteur est la préméditation. Vous vous êtes absentée sans permission, pendant 11 jours je crois, vous avez suivi un traitement en établissement, vous avez été astreinte à un régime de mise en garde et de surveillance, donc vous avez été avertie des conséquences si vous n’étiez pas en mesure de régler vos problèmes personnels et vous ne vous présentiez pas au travail. Vous avez quand même planifié de récidiver et vous vous êtes de nouveau absentée sans permission, et pire encore, vous avez omis de vous conformer à trois conditions. Il ne s’agit pas d’actes qui se sont produits par hasard, qui sont arrivés soudainement. Il s’agit plutôt d’actes qui ont demandé une certaine planification, et c’est la raison pour laquelle je dois considérer ces éléments confirmant la préméditation comme une autre circonstance aggravante.

 

[17]      Cela étant dit, la Cour a pris en compte les circonstances atténuantes suivantes :

 

a)                  il s’agit de votre plaidoyer de culpabilité à l’égard des deuxième, quatrième et cinquième chefs d’accusation. La Cour estime que votre aveu de culpabilité constitue un véritable signe de remords et démontre que vous assumez l’entière responsabilité de vos actes et que vous voulez demeurer un atout pour la société canadienne;

 

b)                  il s’agit aussi de votre âge, soit 31 ans. Vous êtes jeune et vous avez un bel avenir. Je ne suis probablement pas le premier qui vous le dit, mais cela ne dépend que de vous et vous devez en être convaincue;

 

c)                  contrairement à ce qui a été mentionné par la poursuite, je considère le fait que vous avez dû comparaître devant la présente cour martiale comme un facteur atténuant. Tout d’abord, selon le témoignage de votre commandant, il est très rare qu’un procès devant la cour martiale ait lieu dans le cadre de l’unité. Si je ne me trompe pas, sur une période de deux ans, seules deux personnes de votre unité (dont vous-même) ont fait l’objet d’accusations. À mon avis, le que cet événement hors du commun ait eu lieu en présence de certains de vos collègues et de certains de vos pairs, a certainement eu un effet dissuasif très important sur vous et sur eux. Le message est que le genre de conduite que vous avez eue ne sera toléré d’aucune manière et que ce genre de comportement sera réprimé en conséquence;

 

d)                 je dois également tenir compte des 78 jours de détention avant procès et des conditions qui ont été appliquées pendant cette période;

 

e)                  je dois également considérer comme un facteur atténuant vos problèmes liés à la dépendance aux drogues et à l’alcool. Il s’agit d’un aspect de votre situation qui est présent, que vous affrontez et qu’il faut ainsi prendre en compte;

 

f)                   en outre, il s’agit du fait que vous vous verrez attribuer un casier judiciaire pour vos actes, ce qui emporte une conséquence souvent ignorée par les autres parce qu’elle passe inaperçu, mais la déclaration de culpabilité par une cour martiale donne lieu à un casier judiciaire, ce qui pourrait avoir d’importantes conséquences;

 

g)                  je dois aussi tenir compte de l’absence d’annotation sur votre fiche de conduite. Dans le système militaire, sur le plan administratif, la fiche de conduite a pour but de révéler les bonnes et les mauvaises choses que vous avez faites dans votre carrière; il n’y pas d’annotation quant à une condamnation semblable ou à toute autre condamnation, donc, à mon avis, il s’agit d’un élément que je dois également prendre en considération.

 

[18]      Comme vous l’avez entendu, la poursuite a proposé une peine d’emprisonnement de quatre-vingt-dix jours. Concernant le fait que la Cour doit infliger une peine d’incarcération au caporal Caza, tout d’abord, comme je l’ai déjà mentionné, eu égard aux principes dont la Cour doit tenir compte, l’incarcération ne devrait être infligée qu’en dernier recours. La Cour suprême du Canada a précisé que l’incarcération sous la forme d’un emprisonnement n’est adéquate que lorsqu’aucune autre sanction ou combinaison de sanctions n’est appropriée pour l’infraction et le contrevenant. La Cour estime que ces principes sont pertinents dans un contexte de justice militaire et qu’ils ont été confirmés dans l’arrêt R c Baptista, 2006 CACM 1.

 

[19]      Compte tenu de la nature des infractions, surtout de la désertion, mais non seulement celle-ci, des principes de détermination de la peine applicables, principalement de la dénonciation et de la dissuasion générale, ainsi que des facteurs aggravants et atténuants que j’ai exposés ci-dessus, je conclus qu’en l’espèce, l’incarcération constituerait la peine minimale nécessaire à être imposée pour ces infractions.

 

[20]      Maintenant, la question est quel type d’incarcération? Le système de justice militaire dispose de mesures disciplinaires comme la détention, qui vise à réhabiliter les détenus militaires et à leur redonner l’habitude à l’obéissance. Je considérerais cela comme une obligation dans les circonstances de l’espèce, principalement en raison de vos problèmes de dépendance. Du point de vue psychologique et physique, je ne crois pas que vous ayez un grave problème de désobéissance et il n’est pas nécessaire de vous redonner l’habitude d’obéir. J’estime qu’il conviendrait d’envisager l’emprisonnement qui constituerait la seule sanction appropriée dans les circonstances. 

 

[21]      Alors, quelle devrait être la durée d’une telle peine d’emprisonnement pour assurer la protection du public et le maintien de la discipline? Il est évident que la Cour veut transmettre le message que le genre de conduite que vous avez eue est inacceptable et qu’elle menacerait l’efficacité et le moral si elle n’était pas découragée.

 

[22]      Les Forces canadiennes doivent être en mesure d’accomplir leur mission en tout moment et en toutes circonstances. En conséquence, contrairement à la proposition de la poursuite, une période d’emprisonnement de six mois aurait manifestement pour effet de transmettre ce message.

 

[23]      La poursuite a également proposé une combinaison de peines prévues par la Loi sur la défense nationale.

 

[24]      La rétrogradation est la première peine que je voudrais examiner. La poursuite a recommandé à la Cour de prononcer une rétrogradation au rang de soldat. Selon la décision de la Cour d’appel de la cour martiale dans l’arrêt R c Fitzpatrick, 1995 CMAJ 9, et, aussi de la même Cour, la décision dans l’arrêt Reid c R : St-Clair c R, 2010 CACM 4, au paragraphe 39, la rétrogradation est une peine purement militaire qui traduit la perte de confiance à l’endroit du membre contrevenant. Eu égard au contexte présenté par la Cour d’appel, j’estime qu’il s’agit également en l’espèce d’une perte de confiance, malgré les nombreuses tentatives de vous venir en aide, et que cette peine le reflétera parfaitement. En dépit de ce que les gens pourraient penser, vous jouez un rôle important au sein des Forces canadiennes, dans votre travail et dans le cadre de votre unité. Vous avez été avertie à maintes reprises et, à mon avis, les gens en sont à cette étape du point de vue du travail.

 

[25]      En outre, la poursuite m’a proposé d’envisager la destitution du service de Sa Majesté. Si je comprends bien, cette peine aura pour effet de dénoncer le défaut de remplir vos fonctions liées au profilage au sein d’une équipe responsable du soutien de ceux qui ont pour mission de sauver des vies. Vous n’avez pas joué un rôle direct, mais vous avez toutefois apporté votre contribution. D’une certaine façon, sur le plan du travail, vous avez trahi votre unité, vos collègues, ainsi que la confiance de nombreuses personnes qui vous entourent. Compte tenu de la nature même de l’infraction de désertion et de votre manque de fiabilité sur le plan du travail, la combinaison de la rétrogradation et de la destitution aurait pour effet d’accentuer cette dénonciation. La Cour estime qu’il s’agit d’une sanction appropriée en l’espèce.

 

[26]      Il y a lieu maintenant d’examiner deux éléments. Tout d’abord, j’ai délibérément mentionné l’existence de la confiance et de la fiabilité dans votre milieu de travail, ce qui ne signifie pas que les gens ne vous font pas confiance, ou que moi-même je ne vous fais pas confiance. J’estime que les gens ont confiance en vous parce qu’ils ont déployé beaucoup d’efforts pour vous aider à surmonter vos problèmes. À mon avis, d’après ce que j’ai entendu, vous avez encore beaucoup de travail à faire, mais vous devez commencer quelque part. Personnellement, je crois que vous pouvez y arriver. Cela étant dit, le procureur de la poursuite et l’avocat de la défense ont recommandé la suspension de la peine d’emprisonnement. 

 

[27]      Je tiens à souligner que, dans certaines décisions, j’ai énoncé quelques facteurs permettant de prononcer la suspension de la peine d’emprisonnement. La plus récente décision concernait le soldat Vezina (voir R c Vezina, 2013 CM 3015). Il a été proposé à la Cour de suspendre la peine d’emprisonnement en vertu du pouvoir qui lui est conféré par l’article 215 de la Loi sur la défense nationale, une telle mesure étant justifiée compte tenu de la situation exceptionnelle de la contrevenante aujourd’hui invoquée. L’article 215 de la Loi sur la défense nationale prévoit ce qui suit :

 

Le tribunal militaire peut suspendre l’exécution de la peine d’emprisonnement ou de détention à laquelle il a condamné le contrevenant.

 

[28]      Cette disposition figure à la section 8 du code de discipline militaire de la Loi sur la défense nationale, qui a trait à l’emprisonnement et à la détention. La suspension de l’exécution d’une peine d’emprisonnement est un pouvoir discrétionnaire et exceptionnel qui peut être exercé par un tribunal militaire, ce qui inclut une cour martiale. Il s’agit d’un pouvoir différent de celui prévu à l’article 731 du Code criminel qui permet à un tribunal civil de juridiction criminelle de surseoir au prononcé d’une peine tout en soumettant un contrevenant à une probation, ou encore de celui prévu à l’article 742.1 du Code criminel relatif à l’emprisonnement avec sursis qui permet toujours à un tribunal civil de juridiction criminelle de condamner un contrevenant à purger une peine d’emprisonnement dans la collectivité.

 

[29]      La Loi sur la défense nationale ne prévoit aucun critère particulier pour l’application de l’article 215. À ce jour, l’interprétation assez claire qu’a retenue la cour martiale a été établie par différents juges militaires dans d’autres affaires. En tant que juge militaire, j’ai décrit mon approche concernant cette question dans l’affaire de la cour martiale R. c. Paradis, 2010 CM 3025, et l’ai réitérée dans R. c. Masserey, 2012 CM 3004, et dans la décision Vezina.

 

[30]      En substance, si la contrevenante démontre, selon la prépondérance des probabilités, que sa situation particulière ou que les besoins opérationnels des Forces canadiennes justifient de suspendre la peine d’emprisonnement ou de détention, la Cour rendra une ordonnance à cet effet. Par contre, avant d’agir ainsi, la Cour se doit d’examiner, une fois qu’elle conclut qu’une telle ordonnance est appropriée, si la suspension de cette peine ne minerait pas la confiance du public dans le système de justice militaire, en tant qu’élément du système de justice canadien en général. Si elle conclut que non, la Cour rendra l’ordonnance. 

 

[31]      Il a été clairement établi que le caporal Caza a un problème lié à la dépendance aux drogues. Selon la source, il s’agit non seulement d’un problème de nature physique, mais aussi de nature psychologique. Le caporal Caza a suivi récemment un traitement qui semble avoir donné de bons résultats, mais la réussite de ce traitement comporte la surveillance du personnel médical, plus précisément la surveillance d’un médecin. Pour être efficace, je dirais qu’elle a besoin d’avoir accès à son traitement et à ce genre de supervision. Le caporal Caza subvient aussi au besoin de son frère à la maison. Selon le témoignage du major Nugent, l’accès au traitement est très limité. Le fait de purger une peine d’emprisonnement aurait une énorme incidence sur sa capacité de franchir la prochaine étape dans sa vie et sa réhabilitation.

 

[32]      Même si vous n’avez pas présenté de témoignage, ce qui tient à votre droit et qui ne me pose aucun problème, je crois comprendre, selon les témoins que j’ai entendus, que vous êtes apte à changer et réussir. Il y a vraiment quelque chose au fond de vous qui tient à réussir. Vous faites preuve d’ouverture d’esprit au sujet de vos problèmes, vous acceptez le fait de vous confronter à ces problèmes et vous ne les avez jamais dissimulés. Il ne fait aucun doute que vous voulez prendre votre vie en main d’une manière ou d’une autre. 

 

[33]      Selon la preuve qui m’a été présentée, la transition de la vie militaire à la vie civile serait plus facile, au point de vue du traitement et probablement sous d’autres points de vue. Je conclus donc que le caporal Caza a démontré, selon la prépondérance des probabilités, que sa situation particulière justifie de suspendre la peine d’emprisonnement de six mois. J’estime que la suspension de cette peine ne minerait pas la confiance du public dans le système de justice militaire, compte tenu des circonstances. Je prononcerai donc une ordonnance à cet effet, suivant les recommandations du procureur de la poursuite et de l’avocat de la défense. 

 

[34]      Les gens qui vous entourent ont tenté à maintes reprises de vous aider, espérant que vous allez, d’une manière ou d’une autre, revenir à la réalité et prendre votre vie en main, parce que, selon les témoignages, vous êtes quelqu’un de bien. J’espère que vous tirerez des leçons du procès que vous avez subi et que les changements que vous apporterez à votre vie, le cas échéant, seront définitifs. J’estime que personne ne souhaite que cette situation se reproduise et que cela marquera la fin d’une étape, mais la vie continue et je crois que vous êtes assez forte pour surmonter cette épreuve.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[35]      VOUS DÉCLARE coupable des premier, deuxième, troisième, quatrième et cinquième chefs d’accusation énoncés dans l’acte d’accusation.

 

[36]      VOUS CONDAMNE à une peine d’emprisonnement d’une durée de six mois, à une rétrogradation au rang de soldat et à la destitution du service de Sa Majesté . La Cour suspend l’exécution de la peine d’emprisonnement d’une durée de six mois.

 


 

Avocats :

 

Le directeur des poursuites militaires, tel que représenté par le major A.‑C. Samson

 

Lieutenant‑colonel D. Bernsten, service d’avocats de la défense, avocat du caporal R.W. Caza

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