Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 17 mars 2014.

Endroit : BFC Gagetown, édifice F-1, Oromocto (NB).

Chefs d’accusation :
- Chef d’accusation 1 (subsidiaire au chef d’accusation 2) : Art. 130 LDN, harcèlement criminel (art. 264 C. cr.).
- Chef d’accusation 2 (subsidiaire au chef d’accusation 1) : Art. 129 LDN, comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.
- Chef d’accusation 3 : Art. 83 LDN, a désobéi à un ordre légitime d’un supérieur.

Résultats :

VERDICTS : Chef d’accusation 1 : Non coupable. Chefs d’accusation 2, 3 : Coupable.
SENTENCE : Un blâme et une amende au montant de 3000$.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. McKenzie, 2014 CM 2016

 

Date : 20140922

Dossier : 201354

 

Cour martiale permanente

 

Base des Forces canadiennes Gagetown

Gagetown (Nouveau-Brunswick), Canada

 

Entre : 

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Adjudant (retraité) D.P. McKenzie, accusé

 

 

En présence du : colonel M.R. Gibson, J.M.


 

MOTIFS DU VERDICT

 

(Prononcés de vive voix)

 

[1]        L’adjudant (retraité) McKenzie est accusé de trois infractions : la première accusation, punissable aux termes de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale, en est une de harcèlement criminel, en contravention de l’alinéa 264(2)d) du Code criminel; la deuxième accusation, portée subsidiairement à la première accusation, a trait à un comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline, en contravention de l’article 129 de la Loi sur la défense nationale, soit avoir prétendument harcelé l’adjudant Christine Prudhomme, contrairement aux Directives et ordonnances administratives de la Défense (DOAD) 5012-0, Prévention et résolution du harcèlement; et la troisième accusation, à laquelle l’adjudant McKenzie a plaidé coupable, soit désobéissance à un ordre légitime contrairement à l’article 83 de la Loi sur la défense nationale.

 

[2]        Pour exposer la décision de la Cour, je vais d’abord passer en revue les faits de l’espèce ainsi qu’ils ont été établis au moyen des témoignages entendus par la Cour, puis faire un rappel du droit applicable avant de signaler les conclusions que j’ai tirées concernant la crédibilité de certains témoins. Je vais par la suite appliquer le droit aux faits pour expliquer l’analyse que j’ai faite, avant de présenter la décision de la Cour sur les deux premières accusations.

 

[3]        De nombreux éléments de preuve ont été présentés par la poursuite et la défense dont une partie seulement est en lien direct avec la période du 1er janvier au 10 décembre 2012, soit celle visée par les deux premières accusations. La preuve révèle que, pendant un certain nombre d’années depuis 2008, l’adjudant McKenzie et l’adjudant Prudhomme ont eu des rapports sexuels consensuels dans le cadre d’une liaison extraconjugale qu’ils ont entretenue. La relation intermittente avait un caractère volatile et très émotionnel à l’occasion de laquelle les ruptures se succédaient de façon régulière. Ce qui est au cœur du présent procès consiste à déterminer ce qui s’est produit lorsque cette relation a commencé à se détériorer, pour finalement prendre fin, durant l’année 2012 en cause.

 

[4]        Pour arriver à une conclusion appropriée en l’espèce, la Cour doit relever le droit applicable. En premier lieu, il convient de décrire les éléments de l’infraction dont l’adjudant McKenzie est accusé. La première accusation inscrite à l’acte d’accusation, soit celle de harcèlement criminel, contrairement à l’alinéa 264(2)d) du Code criminel, est constituée des éléments suivants :

 

a)                  l’identité;

 

b)                  la date et le lieu tels que décrits dans l’acte d’accusation;

 

c)                  le fait que l’adjudant McKenzie a accompli l’acte reproché; soit, s’être comporté d’une manière menaçante à l’égard de l’adjudant Prudhomme;

 

d)                 le fait qu’il n’avait aucune autorité légitime pour agir comme il l’a fait;

 

e)                  le fait qu’il harcelait l’adjudant Prudhomme par son comportement;

 

f)                   le fait que l’adjudant McKenzie savait qu’il harcelait l’adjudant Prudhomme par son comportement, ou qu’il ne s’en souciait pas;

 

g)                  le fait que l’adjudant Prudhomme craignait pour sa sécurité en raison du comportement de l’adjudant McKenzie;

 

h)                  le fait que la crainte ressentie par l’adjudant Prudhomme était raisonnable dans les circonstances.

 

[5]        La deuxième accusation concerne le paragraphe 129(2) de la Loi sur la défense nationale, qui est ainsi libellé :

 

Est préjudiciable au bon ordre et à la discipline tout acte ou omission constituant une des infractions prévues à l’article 72, ou le fait de contrevenir à :

 

a)                   une disposition de la présente loi;

 

b)                   des règlements, ordres ou directives publiés pour la gouverne générale de tout ou partie des Forces canadiennes;

 

c)                   des ordres généraux, de garnison, d’unité, de station, permanents, locaux ou autres.

 

[6]        Ainsi, pour une personne assujettie au code de discipline militaire, toute violation volontaire d’un règlement pris en vertu de la Loi sur la défense nationale serait réputée avoir un effet préjudiciable au bon ordre et à la discipline. Afin de prouver l’infraction, il faut démontrer que la personne avait l’intention de commettre l’acte sous-jacent illicite qui constituerait une contravention à l’ordonnance ou au règlement, et que cet acte contrevenait bel et bien à l’ordonnance ou au règlement.

 

[7]        La deuxième accusation inscrite dans l’acte d’accusation comporte donc les éléments suivants :

 

a)                  l’identité;

 

b)                  la date et le lieu;

 

c)                  le fait que l’adjudant McKenzie ait posé volontairement les gestes reprochés;

 

d)                 le fait que ces gestes constituaient du harcèlement à l’égard de l’adjudant Prudhomme, selon les termes des Directives et ordonnances administratives de la Défense 5012-0;

 

e)                  le fait qu’il y ait eu une notification et une publication suffisantes des Directives et ordonnances administratives de la Défense 5012-0.

 

            Comme je l’ai déjà mentionné, si la preuve de ces éléments était établie, l’élément de préjudice au bon ordre et à la discipline serait prouvé en raison de l’effet déterminatif du paragraphe 129(2).

 

[8]        La complexité du premier chef d’accusation est plus grande que celle du deuxième, et sa preuve est plus exigeante. Comme je l’ai souligné, les accusations ont été portées de façon subsidiaire.

 

[9]        La deuxième question de droit que la Cour doit examiner concerne la présomption d'innocence et la norme de preuve hors de tout doute raisonnable.

 

[10]      Il est juste de dire que la présomption d’innocence est probablement le principe le plus fondamental du droit pénal canadien, et le principe de la preuve hors de tout doute raisonnable est un élément essentiel du droit régissant les procès criminels au Canada. Dans les affaires relevant du code de discipline militaire, tout comme les affaires de droit criminel au Canada, toute personne accusée d’une infraction criminelle est présumée innocente jusqu’à ce que la poursuite prouve sa culpabilité hors de tout doute raisonnable. Un accusé n’a pas à prouver qu’il est innocent. C’est à la poursuite qu’il incombe de prouver hors de tout doute raisonnable chacun des éléments essentiels de l’infraction. L'accusé est présumé innocent tout au long de son procès jusqu'à ce que le juge des faits rende un verdict.

 

[11]      La norme de la preuve hors de tout doute raisonnable ne s’applique pas à chacun des éléments de preuve ou aux différentes parties de la preuve présentés par la poursuite, mais plutôt à l’ensemble de la preuve sur laquelle cette dernière s’appuie pour établir la culpabilité de l’accusé. Pour obtenir une condamnation, la poursuite doit prouver, selon la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable, chacun des éléments essentiels de l’infraction reprochée. Le fardeau de prouver hors de tout doute raisonnable la culpabilité de l’accusé incombe à la poursuite, jamais à l’accusé.

 

[12]      La Cour doit, après avoir considéré l’ensemble de la preuve, déclarer l’accusé non coupable si elle a un doute raisonnable quant à sa culpabilité relativement à tous les éléments essentiels de l’infraction. L’expression « hors de tout doute raisonnable » est employée depuis très longtemps. Elle fait partie de notre histoire et de nos traditions juridiques.

 

[13]      Dans l’arrêt R. c. Lifchus, [1997] 3 RCS 320, la Cour suprême du Canada a proposé un modèle de directives à l’intention du jury concernant le doute raisonnable.  Les principes établis dans cet arrêt ont été appliqués dans de nombreux arrêts de la Cour suprême et des cours d’appel. Essentiellement, un doute raisonnable n’est pas un doute farfelu ou frivole; il ne doit pas être fondé sur la sympathie ou sur un préjugé. Il repose sur la raison et le bon sens. C’est un doute qui survient à la fin du procès et qui est fondé non seulement sur ce que la preuve révèle à la Cour, mais également sur ce qu’elle ne lui révèle pas. Le fait qu’une personne ait été accusée n’est absolument pas une indication qu’elle est coupable.

 

[14]      Au paragraphe 242 de l’arrêt R. c. Starr, [2000] 2 RCS 144, la Cour suprême a statué ainsi :

 

[...] une manière efficace de définir la norme du doute raisonnable à un jury consiste à expliquer qu’elle se rapproche davantage de la certitude absolue que de la preuve selon la prépondérance des probabilités [...]

 

Par contre, il faut se rappeler qu’il est presque impossible d’apporter une preuve conduisant à une certitude absolue. La poursuite n’a pas à le faire. La certitude absolue est une norme de preuve qui n’existe pas en droit. La poursuite doit seulement prouver la culpabilité de l’accusé, hors de tout doute raisonnable.

 

[15]      Pour placer les choses en perspective, si la Cour est convaincue que l’accusé est probablement ou vraisemblablement coupable, elle doit l’acquitter car la preuve d’une culpabilité probable ou vraisemblable ne constitue pas une preuve de culpabilité hors de tout doute raisonnable.

 

[16]      La troisième question a trait à l’appréciation des témoignages. La preuve peut comprendre des affirmations solennelles ou des témoignages sous serment de personnes appelées à témoigner sur ce qu’elles ont vu ou fait. Il peut s’agir de documents, de photographies, de vidéos, de cartes ou d’autres éléments de preuve matérielle présentés par des témoins, des témoignages d’experts, des faits admis devant la Cour par la poursuite ou par la défense, ou des questions dont la Cour a connaissance d’office.

 

[17]      Il n’est pas rare que des éléments de preuve présentés à la Cour soient contradictoires. Les témoins ont souvent des souvenirs différents d’un fait. La Cour doit déterminer les éléments de preuve qu’elle juge crédibles et fiables.

 

[18]      La crédibilité n’est pas synonyme de vérité et l’absence de crédibilité n’est pas synonyme de mensonge. De nombreux facteurs doivent être pris en compte dans l’évaluation que la Cour fait de la crédibilité d’un témoin. Par exemple, elle évaluera la possibilité qu’a eue le témoin d’observer les événements, et les raisons qu’il a de s’en souvenir. Quelque chose en particulier a-t-il aidé le témoin à se souvenir des détails de l’événement qu’il a décrit? Les événements étaient-ils remarquables, inhabituels et frappants ou plutôt relativement anodins, donc naturellement plus faciles à oublier? Le témoin a-t-il un intérêt dans l’issue du procès; en d’autres termes, a-t-il une raison de favoriser la poursuite ou la défense, ou est-il impartial? Ce dernier facteur s'applique d'une manière quelque peu différente à l'accusé. Bien qu’il soit raisonnable de présumer que l’accusé a intérêt à se faire acquitter, la présomption d’innocence ne permet pas de conclure que l’accusé mentira lorsqu’il décide de témoigner.

 

[19]      L’attitude du témoin quand il témoigne est un facteur dont on peut se servir pour évaluer sa crédibilité : le témoin était-il réceptif aux questions, honnête et franc dans ses réponses, ou évasif, hésitant? Argumentait-il sans cesse? Il faut toutefois évaluer l’attitude du témoin avec prudence et évaluer dans un même temps si son témoignage était cohérent en soi et compatible avec les faits non contestés ou admis en preuve. La Cour d’appel de l’Ontario et la Cour d’appel de la cour martiale ont signalé qu’il ne faut pas trop se fier au comportement à titre de facteur dans l’appréciation de la crédibilité des témoins et de la fiabilité de la preuve.

 

[20]      De légères contradictions peuvent se produire, et cela arrive en toute innocence; elles ne signifient pas nécessairement que le témoignage devrait être écarté. Il en va tout autrement, par contre, d’un mensonge délibéré. Un tel mensonge est toujours grave, et il pourrait bien vicier l’ensemble du témoignage.

 

[21]      La Cour n’est pas tenue d’accepter le témoignage d’une personne à moins que celui-ci ne lui paraisse crédible. Elle peut accepter en entier ou en partie le témoignage d’une personne ou l’écarter. Dans l’arrêt Clark c. La Reine, 2012 CACM 3, la Cour d’appel de la cour martiale a formulé des lignes directrices très claires pour l’évaluation de la crédibilité des témoins. Le juge Watt a élaboré les principes directeurs.  Premièrement, un témoin n’est pas « présumé dire la vérité ». Le juge des faits doit apprécier le témoignage de chaque témoin en tenant compte de tous les éléments de preuve produits durant l’instance, sans s’appuyer sur aucune présomption, sauf peut-être la présomption d’innocence. Deuxièmement, le juge des faits n’est pas nécessairement tenu d’admettre le témoignage d’un témoin simplement parce qu’il n’a pas été contredit par le témoignage d’un autre témoin ou par un autre élément de preuve. Le juge des faits peut se fonder sur la raison, le sens commun et la rationalité pour rejeter tout élément de preuve non contredit. Il peut accepter ou rejeter tout ou partie d’un témoignage versé au dossier.

 

[22]      L’appréciation de la crédibilité n’est pas dépourvue de nuances. On ne peut non plus déduire de la conclusion selon laquelle un témoin est crédible que son témoignage est fiable. Une conclusion selon laquelle un témoin est crédible n’oblige pas le juge des faits à accepter sans réserve le témoignage d’un témoin. Il n’y a aucun parallèle entre la crédibilité et la preuve. Voici ce que le juge Watt a signalé au paragraphe 48 de l’arrêt Clark :

 

Un témoignage peut soulever des problèmes de véracité et d’exactitude. Les problèmes de véracité renvoient à la sincérité du témoin, à sa volonté de dire la vérité telle qu’il la perçoit, bref, à sa crédibilité. Les problèmes d’exactitude concernent l’exactitude du récit du témoin, à savoir, son caractère fiable. Le témoignage d’un témoin crédible, honnête personne au demeurant, peut néanmoins ne pas être fiable.

 

[23]      L’accusé, l’adjudant McKenzie, a témoigné à son procès et son témoignage se résume pour l’essentiel à une dénégation de plusieurs faits ayant un lien direct avec les éléments essentiels des infractions en cause. Dans ces circonstances, la Cour doit examiner le critère énoncé, et les motifs prononcés, par le juge Cory dans l’arrêt de la Cour suprême du Canada R. c. W.(D.), [1991] 1 RCS 742, pour les causes où, comme en l’espèce, l’accusé a témoigné et où son témoignage ne constitue pour l’essentiel qu’une dénégation d’un des éléments essentiels de l’accusation. Les directives formulées à cet égard sont les suivantes : premièrement, si je crois la déposition de l’accusé, je dois alors prononcer l’acquittement; deuxièmement, si je ne crois pas le témoignage de l’accusé, mais que j’ai un doute raisonnable, je dois prononcer l’acquittement; troisièmement, même si je n’ai pas de doute à la suite de la déposition de l’accusé, je dois me demander si, en vertu de la preuve que j’accepte, je suis convaincu hors de tout doute raisonnable par la preuve de la culpabilité de l’accusé.

 

[24]      Dans l’arrêt R. c. J.H.S., 2008 CSC 30, au paragraphe 12, la Cour suprême du Canada a repris, en l’approuvant, le passage suivant de l’arrêt R. c. H. (C.W.) (1991), 68 CCC (3d) 146 (C.A. C.-B.), où le juge Wood a formulé une directive supplémentaire :

 

[traduction]  Dans ces cas, j’ajouterais la directive supplémentaire suivante qui, logiquement, devrait être la deuxième : « Si, après un examen minutieux de tous les éléments de preuve, vous êtes incapables de décider qui croire, vous devez  prononcer l’acquittement. »

 

[25]      Je vais maintenant passer à une appréciation de la preuve en l’espèce et à la question de savoir si la poursuite s’est acquittée de son fardeau de prouver la culpabilité de l’accusé relativement à chaque élément essentiel de l’infraction, suivant la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable.

 

[26]      Mettant en application le cadre analytique de l’arrêt W(D), j’examine d’abord le témoignage de l’accusé, l’adjudant McKenzie. Je ne crois pas que l’adjudant McKenzie est, de façon générale, un témoin crédible, et je n’accepte pas l’essentiel de son témoignage. Je n’accepte pas des parties de son témoignage parce qu’elles ne sont pas cohérentes, qu’elles sont illogiques, ou qu’elles sont contredites par d’autres témoignages que je trouve dignes de foi. De plus, tout en gardant à l’esprit les limites et réserves se rapportant à la prise en compte du comportement du témoin pour évaluer sa crédibilité (signalées ci-dessus), j’ai conclu, à titre d’élément secondaire de mon évaluation, que les réponses et le comportement de l’adjudant McKenzie durant son contre-interrogatoire étaient particulièrement peu convaincants, obstructifs et totalement évasifs.

 

[27]      Somme toute, je ne crois pas le témoignage de l’adjudant en ce qui a trait à plusieurs des éléments importants de l’infraction, et son témoignage ne soulève pas dans mon esprit de doute raisonnable. Par conséquent, je dois maintenant examiner si, en vertu de la preuve que j’accepte, je suis convaincu hors de tout doute raisonnable de la preuve de la culpabilité de l’accusé.

 

[28]      Je vais commencer en examinant la crédibilité et la fiabilité des dépositions des témoins de la poursuite, en gardant à l’esprit les lignes directrices de la Cour d’appel de la cour martiale, exposées ci-dessus. La question clé à cet égard a trait à la crédibilité du témoin principal de la poursuite, l’adjudant Prudhomme, et à la fiabilité de son témoignage. L’issue de l’affaire pour la poursuite repose en grande partie sur cette question.

 

[29]      La crédibilité de l’adjudant Prudhomme pose problème. D’une part, elle a témoigné de façon convaincante devant la Cour, reconnaissant qu’elle avait menti dans le passé en ce qui a trait à la présente affaire, tout en insistant pour soutenir qu’elle disait maintenant la vérité. Son récit n’a pas été aisé, empreint d’émotion et truffé de détails concernant son comportement dont la révélation en cour lui a sûrement causé beaucoup d’embarras et de difficultés. À première vue, elle s’est comportée comme un témoin sympathique mais, par ailleurs, comme l’a fait valoir la défense, elle avait des antécédents importants en matière de mensonges relativement aux événements concernant les chefs d’accusation dont la Cour est saisie. Elle a fait de fausses déclarations sur des faits importants à la police militaire à Gagetown et à Kingston. Elle a induit en erreur sa chaîne de commandement, particulièrement un adjudant-chef menant une enquête. Elle a enfreint l’ordre direct de ne pas s’approcher de l’adjudant McKenzie. Elle a menti à l’avocat de la défense, le major Collins. Et peut-être ce qui importe le plus encore, c’est qu’elle a en tout premier lieu menti à l’avocat de la poursuite lors des préparatifs pour le présent procès. De plus, le fond de l’histoire de sa relation et du rôle qu’elle y a joué ressortant de l’ensemble de la preuve présente un portrait dont le caractère est beaucoup plus nuancé et complexe.

 

[30]      Tous ces facteurs laissent nécessairement planer un doute sérieux sur la crédibilité du témoignage donné par l’adjudant Prudhomme dans le cadre de la présente affaire. De plus, sa déposition comporte de nombreuses incohérences. Elle a, par exemple, affirmé dans son témoignage avoir reçu copie du courriel que l’adjudant McKenzie a transmis à son conjoint alors qu’elle se trouvait au Koweït, dans lequel sa liaison avec l’adjudant était mentionnée. Elle a par la suite indiqué qu’elle n’avait pas vu ce courriel et qu’elle avait dû s’enquérir de sa teneur.

 

[31]      Une grande partie des témoignages présentés à la Cour portait sur ce qu’on pourrait considérer comme étant le contexte général des événements survenus dans les années en cause; toutefois, cela n’avait pas de lien direct avec les accusations dont la Cour est saisie. Il est important que tous comprennent que, au bout du compte, la tâche de la Cour est de se pencher sur les accusations précises dont elle est saisie et qui visent des incidents précis, et de rendre une décision. Compte tenu des conclusions auxquelles j’en suis venu, il n’est pas nécessaire de revoir l’ensemble de la preuve en détail.

 

[32]      Je vais maintenant passer à une analyse de chaque accusation. En ce qui a trait à la première accusation, les éléments relatifs à l’identité, à la date et au lieu de l’infraction sont établis. Comme il est indiqué dans les courriels déposés comme pièces 4, 5 et 6, l’adjudant McKenzie a fait des déclarations, par exemple, [traduction] « œil pour œil, dent pour dent », « je vais toujours te hanter », « tu dois m’appeler dès maintenant avant que ma colère me conduise à faire des choses que je ne veux pas faire » qui pourraient être raisonnablement vues comme étant des menaces. Mais cela devient problématique lorsqu’il s’agit de déterminer si l’adjudant Prudhomme craignait vraiment pour sa sécurité. Au cours des années en cause, plusieurs indices laissent croire qu’elle pourrait ne pas avoir craint pour sa sécurité. Elle a continué de rencontrer l’adjudant McKenzie en violation d’un ordre direct de ne pas le faire, au minimum à dix reprises durant cette période, et elle a eu des relations sexuelles consensuelles avec lui à trois reprises au moins durant cette période. Elle a continué d’avoir un nombre élevé d’interactions par courriel avec lui. Rendu au mois de septembre 2012, je n’ai aucun doute que l’adjudant Prudhomme craignait que l’adjudant McKenzie communique avec ses enfants ou qu’il pose un geste quelconque pour la mettre dans l’embarras, mais cela ne signifie pas pour autant qu’elle craignait pour sa sécurité. Son témoignage sur ce point était révélateur des ambiguïtés qu’il comporte.

 

[33]      Le comportement de l’adjudant McKenzie durant cette période a été odieux, injustifié, non professionnel et stupide. Il était clairement obsédé par l’adjudant Prudhomme et éprouvait de grandes difficultés à raisonner clairement et à abandonner la relation qui dominait sa vie et embrouillait son jugement. Son comportement ne peut en aucune façon être toléré. Toutefois, pour justifier une déclaration de culpabilité en matière criminelle, les éléments de l’infraction doivent être interprétés de façon restrictive. Compte tenu de la preuve dans son ensemble, en prenant en considération les questions que pose la crédibilité de l’adjudant Prudhomme en ce qui a trait aux aspects auxquels j’ai fait référence ci-dessus et les conclusions qu’on peut tirer de son comportement constant durant la période en question, j’estime qu’il doit y avoir un doute raisonnable quant à cet élément de l’infraction et qu’il serait imprudent de justifier une déclaration de culpabilité sur ces faits tels qu’ils ont été présentés en preuve.

 

[34]      Par conséquent, en ce qui a trait à la première infraction, la Cour conclut que la poursuite ne s’est pas acquittée de son fardeau de prouver tous les éléments essentiels de l’infraction hors de tout doute raisonnable.

 

[35]      En ce qui a trait à la deuxième accusation, les éléments relatifs à l’identité, à la date et au lieu de l’infraction sont établis. La preuve révèle que l’adjudant McKenzie était directement au courant de la teneur de la DOAD 5012-0 en vertu de la formation reçue qui découlait de ses fonctions secondaires au sein de l’unité.

 

[36]      Aux fins de la DOAD 5012-0, voici ce qu’il faut entendre de la notion de harcèlement :

 

« tout comportement inopportun et injurieux, d'une personne envers une ou d'autres personnes en milieu de travail, et dont l'auteur savait ou aurait raisonnablement dû savoir qu'un tel comportement pouvait offenser ou causer préjudice. Il comprend tout acte, propos ou exhibition qui diminue, rabaisse, humilie ou embarrasse une personne, ou tout acte d'intimidation ou de menace. »

 

[37]      Les courriels en question transmis entre les mois de septembre et octobre 2012 sont clairement visés par cette définition, et ils ont été envoyés au compte de messagerie électronique du RID de l’adjudant Prudhomme, à l’ACD Kingston. Ils constituaient donc clairement un cas de harcèlement en milieu de travail.

 

[38]      Cette violation des DOAD par l’adjudant McKenzie est réputée être, par effet de la loi en vertu du paragraphe 129(2) de la Loi sur la défense nationale, préjudiciable au bon ordre et à la discipline. Par conséquent, en ce qui a trait à la deuxième infraction, la Cour conclut que la poursuite s’est acquittée de son fardeau de prouver tous les éléments essentiels de l’infraction hors de tout doute raisonnable.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[39]      VOUS DÉCLARE non coupable du premier chef d’accusation inscrit sur la liste d’accusation.

 

[40]      VOUS DÉCLARE coupable du deuxième chef d’accusation inscrit sur la liste d’accusation.


 

Avocats :

 

Capitaine de corvette D.T. Reeves, Service canadien des poursuites militaires

Procureur de Sa Majesté la Reine

 

Major S.L. Collins, Direction du service d’avocats de la défense, Avocat de l’adjudant (retraité) D.P. McKenzie

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