Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 17 mars 2014.

Endroit : BFC Gagetown, édifice F-1, Oromocto (NB).

Chefs d’accusation :
- Chef d’accusation 1 (subsidiaire au chef d’accusation 2) : Art. 130 LDN, harcèlement criminel (art. 264 C. cr.).
- Chef d’accusation 2 (subsidiaire au chef d’accusation 1) : Art. 129 LDN, comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.
- Chef d’accusation 3 : Art. 83 LDN, a désobéi à un ordre légitime d’un supérieur.

Résultats :

VERDICTS : Chef d’accusation 1 : Non coupable. Chefs d’accusation 2, 3 : Coupable.
SENTENCE : Un blâme et une amende au montant de 3000$.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. McKenzie, 2014 CM 2017

 

Date : 20140923

Dossier : 201354

 

Cour martiale permanente

 

Base des Forces canadiennes Gagetown

Gagetown (Nouveau- Brunswick), Canada

 

Entre : 

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Adjudant (retraité) D.P. McKenzie, contrevenant

 

 

En présence du : Colonel M.R. Gibson, J.M.


 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Prononcés de vive voix)

 

[1]        Adjudant (retraité) McKenzie, ayant accepté et enregistré votre plaidoyer de culpabilité à l’égard du troisième chef d’accusation de l’acte d’accusation, la Cour vous déclare maintenant coupable de ce chef d’accusation. De plus, à l’issue d’un procès, la Cour vous a trouvé coupable du deuxième chef d’accusation. Il m’incombe maintenant de déterminer une sentence appropriée, équitable et juste.

 

[2]        Pour ce faire, la Cour a tenu compte des principes de la détermination de la sentence appliqués par le système de justice militaire, des faits de l’espèce révélés par les témoignages entendus par la Cour et des documents présentés en preuve, ainsi que des observations des avocats du poursuivant et de la défense.

 

[3]        Dans le système de justice militaire, la détermination de la sentence par les tribunaux militaires, dont font partie les cours martiales, a pour objectifs essentiels de favoriser l’efficacité opérationnelle des Forces canadiennes en contribuant au maintien de la discipline, de la bonne organisation et du moral, et de contribuer au respect de la loi et au maintien d’une société juste, paisible et sûre.

 

[4]        L’atteinte de ces objectifs essentiels se fait par l’infliction de sanctions justes visant un ou plusieurs des objectifs suivants : renforcer le devoir d’obéissance aux ordres légitimes; maintenir la confiance du public dans les Forces canadiennes en tant que force armée disciplinée; dénoncer les comportements illégaux; dissuader les contrevenants et autres personnes de commettre des infractions; favoriser la réinsertion sociale des contrevenants; favoriser la réinsertion des contrevenants dans la vie militaire; isoler, au besoin, les contrevenants des autres officiers et militaires du rang ou de la société en général; assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité; susciter le sens des responsabilités chez les contrevenants, notamment par la reconnaissance des dommages causés à la victime et à la collectivité.

 

[5]        Le principe fondamental de la détermination de la sentence est qu’une sentence doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du contrevenant.

 

[6]        Parmi les autres principes de détermination de la sentence, mentionnons les suivants : l’adaptation de la sentence aux circonstances aggravantes et atténuantes; l’harmonisation des sentences, c’est-à-dire l’infliction de sentences semblables à celles infligées pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables; l’obligation, avant d’envisager la privation de liberté par l’emprisonnement ou la détention, d’examiner la possibilité de sanctions moins contraignantes lorsque les circonstances le justifient; l’infliction de la sentence la moins sévère possible qui permette de maintenir la discipline, la bonne organisation et le moral; la prise en compte des conséquences indirectes du verdict de culpabilité ou de la sentence.

 

[7]        Dans l’affaire dont la Cour est saisie aujourd’hui, je dois déterminer si les buts et objectifs de la détermination de la sentence seraient mieux servis par la dissuasion, la dénonciation, la réinsertion sociale ou une combinaison de ces facteurs.

 

[8]        La Cour doit infliger la sentence la moins sévère possible qui permette de maintenir la discipline, la bonne organisation et le moral. La discipline, c’est cette qualité que doit posséder chaque membre des Forces canadiennes, celle qui lui permet de faire passer les intérêts du Canada et ceux des Forces canadiennes avant ses intérêts personnels. Elle lui est nécessaire parce qu’il doit obéir promptement et volontiers, sous réserve qu’ils soient légitimes, à des ordres qui peuvent avoir pour lui des conséquences très graves telles que des blessures ou même la mort. La discipline est définie comme une qualité, car, au bout du compte, bien qu’elle représente une conduite que les Forces canadiennes développent et encouragent par l’instruction, l’entraînement et la pratique, c’est une qualité intérieure et l’une des conditions fondamentales de l’efficacité opérationnelle de toute armée.

 

[9]        Un des éléments les plus importants de la discipline dans le contexte militaire, c’est l’autodiscipline. Le comportement de l’adjudant McKenzie démontre que c’est un domaine dans lequel il a eu des faiblesses. Comme je l’ai indiqué dans les motifs de mon verdict, la conduite de l’adjudant McKenzie pendant cette période a été odieuse, non professionnelle et irresponsable.

 

[10]      Les faits de l’espèce ont été établis au cours des témoignages présentés devant la Cour durant l’instruction du procès sur les premier et deuxième chefs d’accusation. En résumé, l’adjudant McKenzie a entretenu une liaison consensuelle à caractère sexuel avec l’adjudant Christine Prudhomme, dans le cadre d’une liaison extraconjugale, pour une période d’environ quatre ans. Lorsque cette relation s’est détériorée et qu’elle a ultimement pris fin en 2012, l’adjudant McKenzie a désobéi à un ordre légitime de ne pas communiquer avec l’adjudant Prudhomme et il l’a harcelée en entrant en contact de façon répétée avec elle, même après qu’elle lui ait clairement indiqué qu’elle ne le voulait plus. Certains termes utilisés dans ses courriels pourraient clairement être interprétés comme constituant un comportement menaçant.

 

[11]      En l’espèce, la Cour considère que les facteurs aggravants sont les suivants :

 

a)                  la gravité objective des infractions pour lesquelles l’adjudant McKenzie a été déclaré coupable. L’infraction de comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline aux termes de l’article 129 de la Loi sur la défense nationale est punissable de destitution ignominieuse du service de Sa Majesté ou d’une sentence moindre. L’infraction de désobéissance à un ordre légitime visée à l’article 83 de la Loi sur la défense nationale est punissable d’un emprisonnement à perpétuité;

 

b)                  le fait que la désobéissance de l’adjudant McKenzie à un ordre légitime était un acte prémédité qui a persisté au cours d’une longue période;

 

c)                  le fait que l’adjudant McKenzie ait agi de cette façon malgré la formation approfondie qu’il avait reçue en matière de harcèlement;

 

d)                 le fait que l’adjudant McKenzie était expérimenté et avait acquis de l’expérience, en plus d’avoir le grade de militaire du rang supérieur qui aurait dû faire preuve de meilleur jugement.

 

[12]      En l’espèce, les facteurs atténuants sont les suivants :

a)                   d’abord et avant tout, le fait que l’adjudant McKenzie a plaidé coupable à l’infraction prévue à l’article 83. Il s’agit toujours d’un facteur atténuant important qui indique que le contrevenant a reconnu sa responsabilité;

 

b)                  l’absence d’une fiche de conduite ou d’autre indication de condamnations antérieures;

 

c)                  le rendement solide démontré de façon constante sur plusieurs années par l’adjudant McKenzie comme l’indiquent les cinq rapports d’évaluation du rendement déposés en preuve comme pièce 25;

 

d)                 les lettres de soutien encourageantes à son égard ainsi que diverses lettres et divers courriels déposés comme pièce 26;

 

e)                  enfin, la Cour devrait aussi prendre en compte les conséquences indirectes du verdict de culpabilité et de la sentence, qui en l’espèce, comme l’indique une lettre rédigée par son employeur actuel déposée en preuve comme pièce 26, comprend la perte probable de son emploi civil actuel s’il était condamné à une sentence d’emprisonnement.

 

[13]      Les principes de détermination de la sentence qui, selon la Cour, doivent être mis en évidence en l’espèce sont la dénonciation et la dissuasion générale et individuelle. Les membres des Forces canadiennes sont à juste titre tenus de respecter des normes très élevées. Le comportement de l’adjudant McKenzie constitue une dérogation importante à ces normes. Il ne doit jamais récidiver et les autres membres des Forces canadiennes doivent aussi comprendre que de tels actes ne sont tout simplement pas tolérables et  être dissuadés de les commettre.

 

[14]      Le harcèlement mine le fondement de la discipline militaire et porte gravement préjudice au moral, à la cohésion et à l’efficacité de toute unité au sein de laquelle il est pratiqué. Comme l’indiquent les Directives et ordonnances administratives de la Défense 5012-0 :

 

Les Forces canadiennes et le ministère de la Défense nationale considèrent qu'il est essentiel d'offrir un milieu de travail qui favorise l'esprit d'équipe et encourage les personnes à fournir leurs meilleurs efforts pour atteindre les objectifs de défense du Canada. La confiance mutuelle, le soutien et le respect de la dignité et des droits de toute personne sont des éléments essentiels dans ce milieu. Non seulement le harcèlement est-il sous certaines formes contre la loi, mais il mine la confiance mutuelle et le respect des personnes et peut créer un milieu de travail malsain. Par conséquent, l'efficacité opérationnelle, la productivité, la cohésion de l'équipe et le moral peuvent en souffrir.

 

[15]      La désobéissance à un ordre légitime constitue de toute évidence une des infractions dont l’effet est le plus néfaste au maintien de la discipline et du professionnalisme au sein de nos Forces armées.

 

[16]      La poursuite et la défense ont formulé une recommandation conjointe au sujet d’une sentence composée d’un blâme et d’une amende de 3 000 $, payable immédiatement.

 

[17]      Lorsqu’il y a une recommandation conjointe, comme l’a réitéré la Cour d’appel de la cour martiale dans l’affaire R. c. Chadwick Taylor, 2008 CMAC 1, la question que la Cour doit se poser n’est pas de savoir si la sentence proposée est celle que la Cour aurait infligée si elle n’avait pas reçu de recommandation conjointe; la Cour doit plutôt se demander s’il y a des motifs impérieux d’aller à l’encontre de cette recommandation conjointe; c’est-à-dire si la sentence est inappropriée, déraisonnable, de nature à déconsidérer l’administration de la justice ou contraire à l’intérêt public.

 

[18]      Un aspect qu’il conviendrait d’examiner est celui de savoir si, lorsque dans des circonstances comme celles en l’espèce où le contrevenant a été libéré des Forces canadiennes avant la tenue du procès, un blâme imputé garde tout son sens. Je souscris à cet égard aux observations formulées par le Colonel Dutil, juge militaire en chef, dans R. c. Goulet, 2010 CM 1017, au paragraphe 16 de la décision, où il dit :

 

La libération d'un membre des Forces canadiennes avant la tenue d'une cour martiale ne rend pas caduques certaines sentences prévues à l'article 139 de la Loi sur la défense nationale. Si c'était le cas, le législateur en aurait fait expressément mention. Il est raisonnable de croire que certaines sentences puissent être jugées inadéquates lorsque le contrevenant a déjà été libéré des Forces canadiennes. Mais, ces sentences ne sont pas inadéquates en soi. Elles sont pertinentes si elles visent des objectifs valables et justifiables dans les circonstances. D'aucuns pourraient prétendre qu'une sentence de blâme est sans objet dans le contexte d'un contrevenant qui a déjà été libéré des Forces canadiennes avant la tenue d'un procès. Avec respect, une telle approche ne tiendrait pas compte de l'objectif visé par la sentence de blâme dans l'exercice de pondération que constitue la détermination d'une sentence juste et appropriée. Dans cette affaire, le blâme vise à atteindre l'objectif de dissuasion générale et la dénonciation du comportement pour que les membres des Forces canadiennes comprennent que ce genre d'infraction est néfaste à la discipline militaire parce qu'elle mine la confiance mutuelle nécessaire qui doit exister entre les membres d'une force armée.

 

[19]      J’ai passé soigneusement en revue tous les cas qui m’ont été soumis par les avocats et qui peuvent servir de précédents en matière de détermination de la sentence. Les observations des avocats en l’espèce se situent dans la ligne de tels précédents.

 

[20]      Je soulignerai qu’en l’absence de recommandation conjointe la Cour se serait demandé s’il n’y avait pas lieu d’imposer un montant d’amende plus élevé. Et, si l’adjudant McKenzie avait été déclaré coupable de l’accusation de harcèlement criminel prévue à l’article 264 du Code criminel, une sentence d’emprisonnement aurait été activement considérée.

 

[21]      La Cour ne considère cependant pas que la sentence proposée au regard d’une déclaration de culpabilité quant aux deuxième et troisième chefs d’accusation est inappropriée, déraisonnable, de nature à déconsidérer l’administration de la justice ou contraire à l’intérêt public. Par conséquent, la Cour va accepter la recommandation conjointe des avocats de la poursuite et de la défense en ce qui a trait à la sentence.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :


[22]      VOUS DÉCLARE coupable des deuxième et troisième chefs d’accusation inscrits à l’acte d’accusation.

 

[23]      VOUS CONDAMNE à un blâme et à une amende de 3 000 $, payable immédiatement.


 

Avocats :

 

Capitaine de corvette D.T. Reeves, Service canadien des poursuites militaires

Procureur de Sa Majesté la Reine

 

Major S.L. Collins, Direction du service d’avocats de la défense, Avocat de l’adjudant (retraité) D.P. McKenzie

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