Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 24 novembre 2014.

Endroit : BFC Petawawa, édifice L-106, 48 terrain de parade Nicklin, Petawawa (ON).

Chefs d’accusation :

• Chefs d’accusation 1, 2 : Art. 129 LDN, comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.
• Chefs d’accusation 3, 4 : Art. 130 LDN, voies de fait (art. 266 C. cr.).

Résultats :

• VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 2 : Coupable.
• SENTENCE : Une amende au montant de 1000$.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. Bilodeau, 2014 CM 4014

 

Date : 20141124

Dossier : 201437

 

Cour martiale permanente

 

Base des Forces Canadiennes Petawawa

Petawawa (Ontario) Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Caporal J.D.F Bilodeau, contrevenant

 

Devant : Capitaine de frégate J.B.M. Pelletier, J.M.


 

MOTIFS SUR SENTENCE

 

[1]               Caporal Bilodeau, ayant accepté et enregistré votre plaidoyer de culpabilité sur les premiers et deuxième chefs à l’acte d’accusation, la cour vous déclare coupable de ces chefs en vertu de l’article 129 de la Loi sur la défense nationale (LDN), pour comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

 

[2]               Il est maintenant de mon devoir en tant que juge militaire présidant cette Cour martiale permanente d’imposer la sentence. Dans le cours de mes délibérations, j’ai pris en considération les principes applicables à la détermination de la peine qui s’imposent aux cours de juridiction criminelles et pénales au Canada ainsi qu’aux cours martiales. J’ai également pris en considération les faits pertinents de la présente cause tels qu’ils apparaissent à l’énoncé des faits lu par le procureur de la poursuite, le résumé des faits soumis par le procureur de la défense, ainsi que les documents et la preuve soumise lors de l’audition sur la détermination de la sentence. J’ai également pris en considération les plaidoiries des avocats, autant de la poursuite que de la défense.

 

[3]               Le système de justice militaire est le moyen ultime pour imposer la discipline au sein des Forces canadiennes et un élément fondamental de la vie militaire. L’objet de ce système est de renforcer les comportements positifs en pénalisant adéquatement ceux qui commettent des gestes d’inconduite. C’est par la discipline qu’une force armée peut s’assurer que ses membres accomplissent de manière fiable et digne de confiance des missions remplies de succès. En permettant la sanction des personnes assujetties au Code de discipline militaire, ce système sert l’intérêt du public à ce que les lois soient respectées.

 

[4]               Il est reconnu depuis longtemps que le but principal d’un système de justice et de tribunaux militaires est de permettre aux forces armées de disposer des affaires qui se rapportent au respect du Code de discipline militaire de manière à encourager l‘efficacité et le moral au sein des Forces canadiennes.

 

[5]               Tel que reconnu par la Cour Suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Généreux, [1992] 1 RCS 259 à la page 293 : 

 

[...] Pour que les Forces armées soient prêtes à intervenir, les autorités militaires doivent être en mesure de faire respecter la discipline interne de manière efficace. 

 

À la même page, la Cour a mis l’emphase sur le fait que dans le contexte particulier de la justice militaire :

 

[...] Les manquements à la discipline militaire doivent être réprimés promptement et, dans bien des cas, punis plus durement que si les mêmes actes avaient été accomplis par un civil.

 

[6]               Ceci étant dit, toute punition devant être imposée par tout tribunal, civil ou militaire, devrait correspondre à l’intervention minimale nécessaire dans les circonstances spécifiques de toute affaire. En effet, la modération est le principe de base qui soutient les théories modernes de détermination de la peine au Canada. Ce que le juge qui impose la sentence doit faire est d’imposer une peine proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du contrevenant, tel que spécifié aux Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC). En d’autres mots, toute sentence doit être adaptée au contrevenant en tant qu’individu et à l’infraction qu’il ou elle a commis.

 

[7]               La détermination de la peine a pour objectifs essentiels de favoriser l’efficacité opérationnelle des Forces canadiennes en contribuant au maintien de la discipline, de la bonne organisation et du moral, et de contribuer au respect de la loi. Ces objectifs essentiels peuvent être atteints par l’infliction de sanctions visant un ou plusieurs des objectifs suivants :

 

a)                  protéger le public, qui inclut les Forces canadiennes;

 

b)                  dénoncer les comportements illégaux;

 

c)                  dissuader les contrevenants et des autres personnes de commettre des infractions;

 

d)                  réparer les torts causés aux victimes ou à la collectivité;

 

e)                  isoler, au besoin, les contrevenants des autres officiers et militaires du rang ou de la société en général; et

 

f)                    finalement, réintégrer les contrevenants dans la société ou dans la vie militaire.

 

[8]               Le tribunal militaire qui détermine la peine à infliger tient compte également des principes suivants :

 

a)                  l’harmonisation des peines : considérant que la peine doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction commise, ainsi qu’au degré de responsabilité du contrevenant, le juge doit infliger des peines semblables à celles infligées à des contrevenants semblables ayant commis des infractions semblables dans des circonstances semblables;

 

b)                  l’infliction de la peine la moins sévère possible qui permette de maintenir la discipline, la bonne organisation et le moral;

 

c)                  l’obligation, avant d’envisager la privation de liberté par l’emprisonnement ou la détention, d’examiner la possibilité de sanctions moins contraignantes lorsque les circonstances le justifient;

 

d)                  la prise en compte des conséquences indirectes du verdict de culpabilité ou de la sentence; et

 

e)                  finalement, la modulation de la peine en lien avec les circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration de l’infraction ou à la situation du contrevenant.

 

[9]               Je suis venu à conclure que dans les circonstances de la présente affaire, l’imposition de la sentence devrait cibler les objectifs de dénonciation et de dissuasion, autant spécifique que générale, la peine à être imposée devant non seulement dissuader le contrevenant mais également d’autres personnes qui, dans une situation similaire, pourraient songer à commettre le même type d’infraction.

 

[10]           Tel que mentionné plus tôt, le juge doit infliger des peines semblables à celles infligées à des contrevenants semblables. Le caporal Bilodeau est âgé de 31 ans. Il s’est joint à la Force Régulière le 20 juillet 2011, après un séjour de plusieurs années dans la Première Réserve, au sein des Fusiliers de Sherbrooke. Depuis novembre 2012, il sert en tant que technicien de véhicule au 2e Bataillon des Services ici même à la Garnison Petawawa. Il est célibataire et demeure sur la Garnison. Le caporal Bilodeau a produit un énoncé des faits dans lequel il dit regretter ses gestes, qui n’ont pas leur place dans la société et encore moins dans les Forces armées canadiennes.

 

[11]           Un énoncé conjoint des faits a été lu par le procureur et accepté comme étant véridique par le caporal Bilodeau. Les circonstances des infractions sont les suivantes :

 

a)                  en février 2014, le caporal Bilodeau faisait partie d’un groupe de Techniciens de véhicule sur une formation en cours d’emploi au 1er Bataillon, Royal Canadian Regiment, à la Garnison Petawawa. 

 

b)                  le 24 février 2014, une consoeur du grade de soldat prenait les présences devant le groupe. Lorsqu’elle a posé les yeux sur le caporal Bilodeau, ce dernier lui a dit en anglais : « What the fuck are you looking at? My dick is down here ». Le caporal Bilodeau a alors, de la main, pointé vers ses parties génitales. 

 

c)                  Le 28 février 2014, le caporal Bilodeau tenait un morceau de bois et s’est approché de cette même consoeur en tentant de lui donner un coup au postérieur. Celle-ci a mentionné à trois reprises qu’elle ne désirait pas être frappée. Le caporal Bilodeau l’a néanmoins frappé au postérieur avec le morceau de bois. La consoeur a mentionné que ces gestes n’étaient pas corrects et non appréciés.

 

d)                  Le caporal Bilodeau a admis les faits des incidents aux responsables de la formation . L’adjudant responsable lui a demandé de s’excuser auprès de sa consoeur, ce qui fut fait au cours des minutes suivantes. Le caporal Bilodeau a été retiré de la formation au 1er Bataillon, Royal Canadian Regiment et retourné à son unité. 

 

[12]           Dans son évaluation de ce qui pourrait constituer une peine juste et appropriée, la cour a considéré la gravité objective de l’infraction qui, telle que prévue à l’article 129 de la Loi sur la défense nationale, est passible au maximum de destitution ignominieuse du service de Sa Majesté.

 

[13]           La cour considère comme aggravante, dans les circonstances de cette affaire, la sévérité subjective des infractions commises, en ce qu’elles ont été commises dans le cadre d’un programme d’instruction, et pour au moins l’une d’entre elle, devant un groupe de militaires. Le harcèlement de nature sexuelle ciblant une collègue de travail va à l’encontre de l’éthique militaire et du droit de tous les membres des Forces canadiennes d'être traités avec équité, respect et dignité dans un milieu de travail exempt de harcèlement, et leur responsabilité de traiter les autres de la même façon, une condition importante du service au sein des Forces armées canadiennes.  

 

[14]           Bien qu’aucune preuve ne fut présentée sur un quelconque impact sur la consœur ciblée par les remarques et les gestes harcelants, il appert des faits que les infractions ont eu un impact sur l’unité au sein de laquelle tous deux servaient au moment des faits, ainsi que sur leur unité d’appartenance, ne serait-ce que par l’obligation d’enquêter et de prendre certaines autres mesures administratives en lien avec les infractions. De plus, la cour a considéré la fiche de conduite du caporal Bilodeau, qui révèle une condamnation antérieure pour ivresse en 2007, bien que l’absence de détails sur les circonstances de cette infraction ne permette pas de considérer le contrevenant comme étant un récidiviste.

 

[15]           La cour a également considéré les facteurs atténuants suivants, tels que mentionnés aux plaidoiries des avocats et illustrés par la preuve introduite lors de l’audition sur la peine, principalement par l’avocat de la défense :

 

a)                  tout d’abord et de manière importante, le plaidoyer de culpabilité du contrevenant, que la cour considère comme étant une indication de ses remords, et la preuve telle que mentionné à l’énoncé des faits, qu’il accepte la responsabilité pour ses gestes. Le caporal Bilodeau a communiqué son plaidoyer rapidement, de manière à éviter les dépenses relatives à un procès.

 

b)                  malgré mes observations antérieures sur la gravité subjective des infractions de harcèlement sexuel, il demeure que la preuve révèle un comportement immature, non prémédité de la part du caporal Bilodeau, qui ne s’est pas comporté comme un prédateur sexuel, d’aucune manière. Tel que le procureur l’a mentionné, les circonstances placent les infractions à un niveau plutôt bas dans l’échelle de gravité des infractions de comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline;

 

c)                  les performances et la durée du service du caporal Bilodeau au sein des Forces canadiennes. La lettre d’un superviseur, ainsi que les rapports de développement du personnel soumis en preuve révèlent que le caporal Bilodeau est un technicien de véhicules qui démontre une attitude positive et sur lequel les confrères peuvent généralement se fier; et

 

d)                  finalement, le potentiel du contrevenant, qui, de toute évidence, peut continuer à contribuer à la société canadienne et aux Forces armées canadiennes, tel qu’il semble avoir été reconnu par le fait qu’il eut complété avec succès la période de supervision et d’évaluation de sa conduite qui lui a été imposée de manière administrative suite aux évènements. 

 

[16]           La poursuite et la défense ont présenté une soumission conjointe à la cour, en ce qui concerne la peine à être imposée. Les avocats recommandent que cette cour impose une sentence composée d’une amende au montant de 1,000 dollars de manière à rencontrer les fins de la justice. La cour, devant seule exercer le pouvoir discrétionnaire de déterminer la peine, n’est pas liée par une telle soumission conjointe. Elle est, par contre tenue de prendre sérieusement en considération la peine proposée tel qu’il fut décidé par la Cour d'appel de la cour martiale (CACM) dans l’arrêt R. c. Taylor 2008 CACM 1 au paragraphe [21] :

 

le juge chargé de la détermination de la peine ne doit aller à l'encontre de la recommandation conjointe que s'il existe des motifs impérieux de le faire, notamment lorsque la peine est inappropriée, déraisonnable, de nature à déconsidérer l'administration de la justice ou contraire à l'intérêt public.

 

[17]           En l’espèce, la cour a considéré la seule cause spécifiquement soumise par les procureurs, c’est-à-dire R. c. Cpl J.F. Turgeon, 2006 CM 1020 qui porte sur un chef d’harcèlement de nature sexuelle. La discussion avec les procureurs sur cette cause me permet d’évaluer adéquatement quel type de peines seraient appropriées pour sanctionner le comportement du caporal Bilodeau dans les circonstances de la présente affaire. En considérant la nature des infractions, les circonstances dans lesquelles elles ont été commises, les principes d’imposition de la peine applicable, incluant une peine infligée à un autre contrevenant pour une infraction similaire par une cour martiale et les facteurs atténuants et aggravants mentionnés précédemment, je suis d’avis que la sentence proposée conjointement par les avocats se trouve dans un créneau des sentences appropriées dans les circonstances de la présente affaire. La soumission conjointe proposée par les avocats n’est pas déraisonnable, ni de nature à déconsidérer l'administration de la justice. Je vais donc accepter de l’entériner.

 

[18]           Caporal Bilodeau, les circonstances des infractions que vous avez admis avoir commises révèlent un comportement complètement inacceptable de la part d’un militaire membre des Forces canadiennes. Je crois que vous avez compris ça. J’espère qu’à partir de maintenant vous serez en mesure de réaliser votre plein potentiel et que vous ferez tout en votre possible pour que je sois la dernière personne en autorité qui ait à vous sanctionner pour ce genre de comportement.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[19]           DÉCLARE le caporal Bilodeau coupable des deux chefs d’accusation de comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline portés en vertu de l’article 129 de la Loi sur la défense nationale.

 

[20]           CONDAMNE au paiement d’une amende de 1,000 dollars payable en cinq  versements égaux de 200 dollars par mois, commençant au plus tard le 1 janvier 2015, la somme totale devant être totalement payée le 1 juillet 2015, ou au moment de votre libération de la Force Régulière, si cette libération devait avoir lieu avant cette date.


 

Avocats:

 

Major J.E. Carrier, Service canadien des poursuites militaires

Avocat de la poursuivante

 

Capitaine de corvette P.D. Desbiens, Service d'avocats de la défense

Avocat pour le caporal J.D.F. Bilodeau

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.