Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 11 janvier 2005.
Endroit : BFC Borden, édifice T-127, Borden (ON).
Chefs d’accusation:
• Chef d’accusation 1 : Art. 114 LDN, vol.
• Chefs d’accusation 2, 3, 4 : Art. 90 LDN, s’est absenté sans permission.
Résultats:
• VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 2, 3, 4 : Coupable.
• SENTENCE : Emprisonnement pour une période de 18 jours. L'exécution de la peine d'emprisonnement a été suspendue.

Contenu de la décision

Référence : R. c. Ex-soldat J.M. Vautier, 2005CM3

 

Dossier : S20053

 

 

 

COUR MARTIALE PERMANENTE

CANADA

ONTARIO

BASE DES FORCES CANADIENNES BORDEN

 

 

Date : 1er février 2005

 

 

 

PRÉSIDENT : COMMANDANT P.J. LAMONT, J.M.

 

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE

c.

EX-SOLDAT  J.M. VAUTIER

(Accusé)

 

 

 

SENTENCE

(Prononcée oralement)

 

 

 

 

TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE

 

[1]                    Monsieur Vautier, après avoir accepté et enregistré votre plaidoyer de culpabilité pour le premier, le deuxième, le troisième et le quatrième chefs d’accusation, la Cour vous déclare coupable de toutes ces infractions dans l’acte d’accusation.

 

[2]                    Il m’incombe maintenant de déterminer votre peine. Pour ce faire, j’ai tenu compte des principes de la détermination de la peine appliqués par les tribunaux de droit commun du Canada ayant compétence en matière pénale et par les cours martiales. J’ai tenu compte également des faits de l’espèce consignés dans l’Énoncé des circonstances, pièce 3, de la preuve révélée par les témoignages que j’ai entendus pendant le procès ainsi que des plaidoiries de la poursuite et de la défense.

 


[3]                   Les principes de la détermination de la peine guident la Cour dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en vue de déterminer une peine adéquate et adaptée à chaque cas. En règle générale, la peine doit correspondre à la gravité de l’infraction et au degré de culpabilité de son auteur, ainsi qu’à la situation du délinquant.

 

[4]                   La Cour se fonde sur les peines prononcées par les autres tribunaux dans des affaires similaires, non parce qu’elle respecte aveuglément les précédents, mais parce que son sens commun de la justice veut qu’elle juge de façon similaire les affaires similaires. Néanmoins, lorsqu’elle détermine la peine, la Cour tient compte des nombreux facteurs qui distinguent chaque affaire dont elle est saisie, des circonstances aggravantes susceptibles de justifier une peine plus lourde et des circonstances atténuantes susceptibles d’en diminuer la sévérité.

 

[5]                   Les buts et les objectifs recherchés lorsque l’on détermine la peine ont été exposés de diverses manières dans de nombreuses affaires antérieures. En général, ils visent à protéger la société, y compris bien entendu les Forces canadiennes, en favorisant le développement et le maintien d’une collectivité juste, paisible, sûre et respectueuse de la loi. Fait important, dans le contexte des Forces canadiennes, ces objectifs incluent le maintien de la discipline, c’est-à-dire cette habitude d’obéissance si nécessaires à l’efficacité d’une force armée.

 

[6]                   Les buts et objectifs comprennent aussi l’aspect dissuasion de l’individu afin que le délinquant ne récidive pas et la dissuasion générale afin que d’autres ne suivent pas l’exemple du délinquant. La peine vise aussi à assurer la réinsertion du délinquant, à promouvoir son sens de la responsabilité et à dénoncer les comportements illégaux. Il est normal que certains de ces buts et objectifs prévalent sur d’autres au cours du processus de détermination de la peine juste et appropriée à chaque cas. Toutefois, il incombe au tribunal chargé de déterminer la peine de les prendre en compte; une peine juste et appropriée est une combinaison des ces buts, adaptée aux circonstances particulières de chaque affaire.

 

[7]               Comme je vous l’ai expliqué lors de votre plaidoyer de culpabilité, l’article 139 de la Loi sur la défense nationale énumère la liste des différentes peines que les cours martiales peuvent infliger. Ces peines sont limitées par la disposition de la loi créant les infractions et prévoyant les peines maximales; elles sont limitées aussi par la compétence susceptible d’être exercée par cette cour.

 


[8]                   Une seule peine peut être infligée au délinquant, qu’il soit déclaré coupable d’une seule infraction ou de plusieurs. Mais la peine peut comporter plus d’une sanction. Un principe important veut que le tribunal inflige la peine la moins sévère qui permettra de maintenir la discipline. Pour déterminer la peine dans cette affaire, j’ai tenu compte des conséquences directes et indirectes de la déclaration de culpabilité et de la peine que je vais infliger.

 

[9]                   Les faits relatifs aux infractions figurent à la pièce 3, soit l’Énoncé des circonstances présenté devant la cour.  En résumé, en ce qui concerne le premier chef d’accusation de vol, les faits démontrent que le contrevenant a volé une somme d’argent à partir d’un guichet automatique en utilisant une carte bancaire qu’il aurait volée de son ami et compagnon de chambre. Ce soldat a tout de suite signalé la perte de la carte aux autorités policières, mais je ne possède aucune information sur la manière dont on a découvert que le contrevenant était l’auteur du vol.

 

[10]                 Le contrevenant a utilisé l’argent pour payer comptant certaines réparations effectuées sur sa voiture. Il a pris la carte du portefeuille de son ami et compagnon de chambre. Pour retirer de l’argent, il devait connaître le numéro d’identification personnel; il a obtenu l’information directement de son ami quand quelques jours avant la perpétration de l’infraction, ce dernier lui a demandé d’aller lui acheter des cigarettes et lui a remis à cette fin, sa carte bancaire.

 

[11]                 En ce qui concerne les trois autres accusations d’absences non justifiées, les faits sont très clairs. À trois reprises en novembre 2003, le contrevenant a quitté son poste pendant 26 heures et 10 minutes, 24 heures et finalement 8 heures et 25 minutes.

 

[12]                 On m’informe que depuis la perpétration de ces infractions et depuis février 2004, le contrevenant a été libéré des Forces canadiennes pour inaptitude.

 

[13]                 La défense a demandé à la Cour, en vertu de l’article 194 de la Loi sur la défense nationale, de tenir compte d’une autre infraction qui n’est pas spécifiquement reprochée au contrevenant dans l’acte d’accusation. Les faits démontrent qu’il pourrait s’agir d’une infraction à l’article 118.1 de la Loi sur la défense nationale, à savoir d’avoir fait défaut de comparaître devant un tribunal militaire ou de ne pas être présent alors que dûment convoqué.

 

[14]                 Les faits entourant cet incident démontrent que le 11 janvier 2005, la cour a été dûment convoquée en vue de statuer sur les quatre chefs d’accusation pour lesquels le contrevenant a reconnu sa culpabilité. À cette occasion, le contrevenant a fait défaut de se présenter. À la suite de la demande de la poursuite, j’étais convaincu que le contrevenant avait reçu signification de l’ordre de convocation l’enjoignant de comparaître devant cette cour le 11 janvier 2005.  Par ailleurs, les documents produits à l’occasion de cette demande révélaient que le contrevenant avait reçu un billet d’avion par voie électronique pour se rendre d’Edmonton à Toronto en vue de comparaître devant la présente cour martiale. 

 


[15]                 Comme j’étais convaincu que le contrevenant avait fait défaut de comparaître devant moi tel que requis, j’ai accueilli la demande de la poursuite et délivré un mandat d’arrestation à l’encontre du contrevenant. On m’informe que le mandat d’arrestation a été exécuté le 27 janvier 2005 et que le contrevenant est détenu sous garde militaire depuis cette date.

 

[16]                 Le paragraphe 194(1) de la Loi sur la défense nationale précise sous le titre  « infractions semblables » :

 

194(1)  À la demande du contrevenant, la cour martiale peut tenir compte, en vue de la sentence à rendre, des autres infractions d'ordre militaire de nature semblable à celle dont le contrevenant a été déclaré coupable et dont il reconnaît être l'auteur comme s'il en avait été accusé, jugé et déclaré coupable.

 

[17]                 Comme je l’ai indiqué, la poursuite m’a demandé d’appliquer cette disposition et de tenir en compte du défaut de comparaître de l’accusé en date du 11 janvier 2005, aux fins de prononcer une peine appropriée.

 

[18]                 Le contrevenant a témoigné au cours de la phase de la détermination de la peine. Il a déclaré que le jour où il devait venir de Leduc (Alberta) pour sa comparution, il ne s’est pas réveillé à temps et qu’il a paniqué.  Par la suite, il a déclaré qu’il avait eu peur. C’est la seule preuve ou la seule  information que je détiens relativement aux raisons expliquant pourquoi le contrevenant n’a pas comparu le 11 janvier 2005, tel que requis.

 

[19]                 Je n’accepte pas le témoignage du contrevenant selon lequel il se serait réveillé trop tard et aurait paniqué. Il me semble plus probable que son défaut de comparaître au début du mois soit dû simplement à sa lâcheté.  Je remarque que les documents produits dans la demande démontrent qu’il avait réservé son billet d’avion et qu’il devait quitter Edmonton à destination de Toronto le 10 janvier 2005. Son avion devait décoller à 9 h 10. Nous savons tous que l’aéroport d’Edmonton est situé loin de la ville d’Edmonton, mais qu’il est tout près de Leduc où l’accusé réside et résidait au moment des faits. Qui plus est, l’accusé n’a fait aucun effort pour communiquer avec son avocat lorsqu’il a fait défaut de monter à bord de l’avion tel que prévu et requis.  Il a agi ainsi même après avoir manifesté son intention d’enregistrer un plaidoyer de culpabilité et en avoir informé son avocat dès qu’il a pris connaissance des accusations portées contre lui en octobre 2004.

 

[20]                 Tels sont les faits relatés dans les documents déposés et étayés par les éléments de preuve produits concernant l’infraction relative au défaut de comparaître devant un tribunal. L’avocat de la défense soutient que si la cour décide de tenir compte de cette infraction, elle devrait la considérer comme un facteur atténuant. J’aborderai dans les paragraphes suivants cette proposition de la défense.

 


[21]                 Dans le cadre de leurs observations, la poursuite et la défense ont conjointement recommandé à la cour une peine d’emprisonnement d’un jour avec sursis. Il va sans dire que seule la cour est habilité à décider de la peine à infliger. Cependant, en vue de prononcer une peine appropriée, la cour accorde une grande importance à la recommandation conjointe des avocats. Après tout, ils représentent les deux parties à l’instance. La poursuite doit représenter les intérêts de la collectivité, notamment ceux des Forces canadiennes. L’avocat de la défense agit au nom du contrevenant, il a un devoir de loyauté envers son client de le représenter au meilleur de ses compétences. Par ailleurs, l’avocat de la défense et la poursuite ont un devoir envers la cour. Il est parfois difficile pour les avocats de soupeser ces obligations, qui quelque fois semblent incompatibles et peut-être même contradictoires. Par conséquent, lorsque les deux avocats, après avoir examiné attentivement tous les faits pertinents et représenté les intérêts de leur client, sont en mesure de produire une recommandation conjointe relativement à la peine que la cour devrait infliger, cette recommandation conjointe, comme je l’ai indiqué, jouit d’une grande audience auprès de la Cour.

 

[22]                 Les tribunaux d’appel du Canada, notamment la Cour d’appel de la cour martiale, ont établi que sauf si la recommandation conjointe relativement à la peine risque de déconsidérer l’administration de la justice ou est contraire à l’intérêt public, elle doit être acceptée par la cour.

 

[23]                 J’ai soigneusement pris en considération la peine recommandée, mais pour les motifs qui vont suivre, je conclus qu’il est manifestement inapproprié d’infliger une peine d’emprisonnement d’un jour avec sursis compte tenu des circonstances liées à ces infractions ou de la situation du contrevenant. Je rejette la recommandation conjointe des avocats.

 

[24]                 Il existe plusieurs facteurs aggravants que la cour doit prendre en considération pour déterminer la peine à infliger.  En ce qui concerne l’infraction de vol, comme je l’ai indiqué, les circonstances démontrent qu’il y a eu vol d’un ami et compagnon de chambre, un autre soldat. Les circonstances en vertu desquelles de nombreux membres des Forces canadiennes s’acquittent de leurs fonctions entraînent souvent une perte de leur vie privée que les autres Canadiens tiennent pour acquis. En raison de leurs obligations, ils doivent vivre, travailler, manger et s’amuser en étroite proximité avec leurs compagnons. Dans ces circonstances, l’infraction de vol, qui est déjà une infraction grave dans la vie civile, est encore plus grave lorsque perpétrée dans le contexte d’un environnement militaire.

 


[25]                 Les faits démontrent que l’accusé a planifié, quoique peut-être d’une manière profane, son acte en vue de voler l’argent de son compagnon. De plus, aucune restitution d’argent n’a été faite à la victime, sauf 60 $ ou 70 $, malgré que le contrevenant a admis avoir commis l’infraction; en effet, dès le début de l’instance, il a demandé à son avocat d’enregistrer un plaidoyer de culpabilité et ce même si, compte tenu des éléments de preuve présentés, le contrevenant semble avoir les moyens de s’acquitter de cette obligation financière relativement mineure.

 

[26]                 Il semble croire qu’en raison des torts que la victime lui aurait causés dans cette affaire, il est libéré de l’obligation de rembourser la totalité de l’argent volé.

 

[27]                 Il existe des circonstances aggravantes concernant les infractions d’absence non justifiée. En novembre 2003, le contrevenant a perpétré, au cours d’une période relativement courte, plusieurs infractions. Ni les observations des avocats ni les éléments de preuve produits n’expliquent la raison pour laquelle le contrevenant ne s’est pas présenté quand il devait le faire tel qu’il appert aux chefs d’accusation deux, trois et quatre.  Comme je vais le démontrer dans un instant, ces infractions d’absence non justifiée semblent être les dernières d’une longue séries d’infractions semblables pour lesquelles le contrevenant a été jugé sommairement. En effet, au cours de sa brève carrière au sein des Forces canadiennes, qui a débuté en juillet 2002, le contrevenant a accumulé 11 accusations d’absence non justifiée antérieurement aux trois accusations qui lui sont reprochées aujourd’hui et qui figurent dans l’acte d’accusation.

 

[28]                 Comme l’indique sa fiche de conduite des Forces canadiennes, il a commis de nombreuses infractions connexes ou semblables aux infractions dont la cour est saisie. Il a été accusé d’absence non justifiée de durée variable, allant de plusieurs heures à quatre jours, 16 heures et 20 minutes pour laquelle il a été condamné à une peine de 14 jours de détention le 25 octobre 2003, soit quelques semaines avant la perpétration des infractions dont la cour est saisie aujourd’hui. Par ailleurs, je remarque qu’il a fait l’objet d’une deuxième accusation d’absence non justifiée d’une durée de deux jours, une heure et 40 minutes perpétrée le 15 septembre 2003.

 

[29]                 En plus des accusations d’absence non justifiée, la fiche de conduite indique la perpétration d’une infraction de voies de fait, contrairement à l’article 266 du Code criminel, pour laquelle il a été jugé le 15 avril 2003, en même temps que deux autres accusations d’absence non justifiée perpétrées le 22 février 2003 d’une durée de 49,5 heures et le 14 mars 2003, d’une durée de 72 heures.  En avril 2003, il a été condamné à une amende de 300 $ et à une peine de deux jours de détention.

 

[30]                 Selon la fiche de conduite du contrevenant, il a été condamné à une peine de 19 jours de consignation aux quartiers le 28 juillet 2003, pour d’autres accusations d’absence non justifiée, soit moins de deux semaines après le vol du soldat Pinksen, à une peine de sept jours d’emprisonnement avec sursis et à une peine de cinq jours de détention infligée en septembre 2003, avant la condamnation à une peine de 14 jours de détention prononcée le 25 octobre 2003 dont j’ai déjà fait état.

 


[31]                 Finalement, la fiche de conduite indique que le 2 octobre 2003, il a été reconnu coupable devant les tribunaux civils de l’infraction du refus d’obtempérer à un ordre donné par un agent de la paix de fournir un échantillon d’haleine en vue de procéder à une analyse  à l’aide d’un appareil de détection approuvé et condamné à une amende de 600 $ et à une interdiction de conduire pour une période d’un an.

 

[32]                 Tel qu’il ressort des infractions inscrites sur la fiche de conduite du contrevenant, il me semble qu’au cours de sa courte carrière au sein des Forces canadiennes, le contrevenant a témoigné d’un mépris total à l’égard des obligations qui lui incombaient en vertu du droit militaire; il agissait comme si ces infractions étaient sans importance. Je précise que le contrevenant n’est pas aujourd’hui à nouveau jugé pour les infractions perpétrées antérieurement et figurant sur la fiche de conduite. En l’absence du contraire, j’accepte que les peines infligées et consignées sur la fiche de conduite étaient appropriées dans les circonstances.

 

[33]                 Toutefois, la liste des infractions antérieures figurant sur la fiche de conduite donne des indices des perspectives de réadaptation du contrevenant et à l’évidence, ces antécédents renforcent l’objectif de la dissuasion spécifique de la peine.

 

[34]                 Finalement, je remarque que les dernières infractions inscrites sur la fiche de conduite ont été perpétrées le 2 octobre 2003, avant les absences non justifiées dont la cour est saisie aujourd’hui; autrement dit, je ne possède aucune information, autre que l’infraction qu’on me demande de prendre en considération en vertu de l’article 194, concernant toute autre infraction commise par le contrevenant pour laquelle il aurait eu affaire au système de justice pénale.

 

[35]                 Il existe plusieurs facteurs atténuants que la cour prend en considération en l’espèce.  Le premier est que le contrevenant a reconnu sa culpabilité à l’égard des quatre chefs d’accusation devant la Cour. En effet, il semble qu’il ait communiqué à son avocat son souhait d’enregistrer un plaidoyer de culpabilité relativement à ces infractions et ce, dès qu’il a pris connaissance que l’affaire serait portée devant la Cour martiale. En principe, la Cour considère un plaidoyer de culpabilité comme une marque de remords de la part du contrevenant concernant les infractions qui lui sont reprochées. Toutefois, il ne s’agit pas d’une règle invariable. Dans certains cas, un plaidoyer de culpabilité peut être simplement un accommodement à l’inévitable. Dans d’autres cas, le plaidoyer de culpabilité peut représenter simplement une expression du souhait de l’accusé de statuer aussi vite que possible sur les infractions reprochées. Le poids que la Cour accorde au plaidoyer de culpabilité en tant que facteur atténuant varie au cas par cas.

 

[36]                 D’autres facteurs atténuants concernent la situation personnelle du contrevenant. Il est âgé de 25 ans, ce qui est relativement jeune. Il est célibataire et réside à Leduc (Alberta). Après sa libération des Forces canadiennes, il a été embauché par une compagnie de forage pétrolier, après avoir suivi une formation pertinente dans ce domaine.


[37]                 L’autre facteur atténuant en l’espèce pris en considération par la cour est le temps passé en détention relativement à ces chefs d’accusation. Comme je l’ai indiqué, le contrevenant est gardé en détention militaire  depuis son arrestation le 27 janvier 2005, soit un total de six jours jusqu’à aujourd’hui.

 

[38]                La manière dont la cour considère le temps passé en détention, en attendant le prononcé d’une peine, relève de son pouvoir discrétionnaire. Je renvoie les avocats à l’affaire R. c. Wust tranchée par la Cour suprême du Canada. C’est devenu une habitude pour les tribunaux civils, au moment de prononcer la peine d’emprisonnement appropriée, d’inscrire double crédit à un contrevenant pour la période passée en détention avant le prononcé de la peine relativement aux questions dont la cour est saisie. Cette pratique de deux pour un ne repose pas sur la primauté du droit, mais il s’agit d’une règle de pratique qui reconnaît que le temps passé en détention avant le prononcé de la peine est purgé dans des circonstances qui peuvent être radicalement différentes de celles en vertu desquelles une peine d’emprisonnement prononcée par la cour sera purgée. Par exemple, avant le prononcé d’une peine l’accusé pourrait être détenu sans pouvoir jouir des programmes de réadaptation et autres offerts pendant qu’il purge une peine d’emprisonnement prononcée par un tribunal. Qui plus est, la période passée en détention avant le prononcé de la peine n’entraîne pas une réduction de la peine méritée qui autrement permettrait de diminuer la période passée dans un établissement de détention par une personne reconnue coupable. Ce principe, selon moi, s’applique également à ceux qui purgent une peine d’emprisonnement prononcée en vertu du Code de discipline militaire prévu dans la Loi sur la défense nationale. Le Règlement des prisons militaires et des casernes de détention pris en vertu de la Loi sur la défense nationale prévoit à l’article 5.08 un régime de remise des jours de peine en vertu duquel un prisonnier militaire ou un détenu peut en raison de sa bonne conduite dans l’institution, faire l’objet d’une remise de peine, c’est à dire obtenir une diminution du nombre de jours qu’il purgera dans l’institution .

 

[39]                Pour ces motifs,  j’ai accepté les arguments selon lesquels la période que le contrevenant a passée en détention relativement à ces chefs d’accusation devrait être portée à son actif en vue de déterminer une peine appropriée  pour chaque infraction dont est saisie la cour.

 


[40]                 Comme je l’ai déjà indiqué dans la liste des facteurs atténuants que la cour a pris en considération, la défense a demandé à la cour de tenir compte de l’infraction d’avoir fait défaut de comparaître le 11 janvier 2005 en rapport avec ces chefs d’accusation. On soutient qu’accepter le règlement de l’affaire conformément à l’article 194, constitue un facteur atténuant qui devrait permettre la diminution de la peine que la cour autrement infligerait. Cet argument me cause certaines difficultés. Le paragraphe 194(1), que j’ai déjà mentionné, permet à la cour de prendre en considération des infractions d’ordre militaire qui sont « de nature semblable » aux infractions dont la cour est saisie et pour lesquelles une peine doit être prononcée. Il ne me semble pas que le défaut de comparaître devant un tribunal après avoir été convenablement convoqué constitue une infraction de nature semblable  à l’infraction d’absence non justifiée contenue dans les chefs d’accusation deux, trois et quatre sur lesquels je dois statuer. Toutefois, même à supposer que le défaut de comparaître devant un tribunal constitue une infraction de nature semblable, tel que prévu à l’article 194,  je ne suis pas d’avis, en raison des circonstances de l’espèce, que tenir compte de cette infraction devrait diminuer la peine que la cour doit infliger relativement à ces accusations.

 

[41]                 On m’a renvoyé à l’affaire du soldat Stuart de la cour martiale dont le procès s’est tenu à Gagetown en août 2003. Stuart faisait face à une accusation de possession de drogue. Lors de son procès devant la cour martiale relativement à cette accusation, il a demandé à la cour de prendre en considération une série de quatre ou cinq autres infractions liées à la drogue, pour lesquelles il n’a pas été accusé, mais à l’égard desquelles il a reconnu sa culpabilité. Le juge militaire a déclaré dans cette affaire au début de la page 52, ligne 39 :

 

[ Traduction ] Maintenant, voyons les facteurs atténuants. Je dois vous dire, soldat Stuart, quil existe très peu de facteurs atténuants dans cette affaire. Toutefois, la cour tient compte du fait que vous ayez reconnu votre culpabilité concernant linfraction dont la cour a été saisie et que conformément à larticle 194 de la Loi sur la défense nationale, vous ayez formellement admis avoir commis cinq autres infractions de trafic. Il sagit du plus important facteur atténuant dans votre cas. La cour est davis que ces aveux de culpabilité sont une reconnaissance de votre inconduite et il sagit dun facteur que jestime essentiel dans le cadre de lamendement et de la réadaptation de tout contrevenant, et à plus forte raison dans votre cas. Ces aveux ont, selon la poursuite, permis à la Couronne déviter des dépenses importantes liées à linstruction de laffaire non seulement concernant linfraction sur laquelle la cour doit trancher, mais également concernant les autres infractions perpétrées pour lesquelles vous avez reconnu votre culpabilité.

 

[42]                 Ce principe consistant à prendre en considération d’autres infractions, c’est à dire des infractions autres que celles dont la cour a été saisie, en vue de déterminer une peine, est prévu à l’article 194 de la Loi sur la défense nationale, mais ne se retrouve pas dans la pratique des tribunaux civils de juridiction criminelle au Canada. Néanmoins,  je comprends qu’en vertu du droit pénal tel qu’appliqué en Angleterre, il est depuis longtemps établi que des contrevenants peuvent demander à la cour de tenir compte d’autres conduites répréhensibles pour lesquelles aucune accusation n’a encore été portée en vue de déterminer une peine appropriée relativement aux accusations dont la cour a été saisie.

 


[43]                 Selon moi, cette pratique britannique, qui comme je l’ai déjà indiqué n’est pas appliqué au Canada par les tribunaux civils de juridiction criminelle, vise à permettre à un contrevenant de tout avouer concernant les infractions qui pourraient faire l’objet d’une enquête par les autorités policières. Il va de soi que ce régime est avantageux pour le contrevenant; une fois que ces infractions ont été prises en considération conformément à ce principe, on ne peut par la suite, l’accuser de ces infractions, le déclarer coupable et lui infliger une autre peine pour ces infractions distinctes.

 

[44]                 Je ne pourrais dire si le modèle de la Loi sur la défense nationale se fonde sur la pratique britannique; toutefois, je suis convaincu que le fait de tenir compte d’autres infractions qui n’ont fait l’objet d’aucune accusation n’atténue pas, en règle générale, la peine que la cour devrait infliger relativement aux infractions reprochées pour lesquelles le contrevenant a reconnu sa culpabilité. S’il en était autrement, cela donnerait lieu à une anomalie manifeste en vertu de laquelle un contrevenant pourrait perpétrer d’autres infractions après avoir fait l’objet de certaines accusations et demander à la cour de tenir compte de ces infractions subséquentes en vue d’atténuer la peine relativement à l’infraction pour laquelle il doit être condamné. Selon moi, un tel régime serait manifestement irrationnel.

 

[45]                 Par conséquent, je ne crois pas qu’en tenant compte du défaut de comparaître devant un tribunal, je doive atténuer la peine à infliger concernant les infractions reprochées de vol et d’absence non justifiée. Toutefois, je reconnais qu’en tenant compte du défaut de comparaître, je dois prendre en considération le fait que le contrevenant a clairement reconnu sa culpabilité pour cette infraction et que s’il m’incombait de déterminer une peine appropriée relativement au défaut de comparaître devant un tribunal, je considérerais l’aveu de l’accusé comme un facteur atténuant.

 

[46]                 Les autres facteurs atténuants que je dois examiner en l’espèce concernent les retards. Tout d’abord, il y a un retard relativement aux services d’un avocat de la défense. Lorsque ces accusations ont été déférées devant la cour martiale le 16 février 2004, on a demandé au commandant de l’unité, en vertu du libellé clair de l’article 109.04 des ORFC, de prendre certaines mesures en vue d’informer le contrevenant de l’existence du renvoi et de déterminer s’il souhaitait obtenir les services d’un avocat pour le représenter, nommé par le directeur des services d’avocats de la défense, s’il avait l’intention de retenir les services d’un avocat à ses propres frais ou encore s’il n’avait pas besoins de services d’un avocat pour le moment.

 

[47]                 Selon les renseignements dont je suis saisi, le commandant de l’unité a omis de s’acquitter de cette obligation réglementaire. Ce n’est qu’en août 2004 qu’une lettre a été envoyée au contrevenant. On me dit qu’à ce moment-là, le contrevenant ne recevait plus ses lettres et qu’il a pris connaissance de la lettre qu’en octobre. Il va de soi que le commandant n’est pas responsable du délai qui s’est écoulé entre août et octobre; toutefois, selon moi, rien ne justifie pourquoi cette obligation n’a pas été respectée.

 


[48]                 Dans le passé,  j’ai eu l’occasion de formuler des observations sur le défaut des commandants de respecter cette obligation. Selon moi, cette question peut revêtir une importance extrême. Pour des motifs d’équité, on devrait informer un membre des Forces canadiennes que les accusations portées contre lui réduites à un procès-verbal de procédure disciplinaire seront renvoyées devant la cour martiale à la demande d’un membre de la chaîne de commandement. Qui plus est, les avocats de la défense ont un rôle important à jouer pour obtenir communication des éléments de preuve qui seront présentés contre leur client relativement à l’affaire.  Les membres des Forces canadiennes ont le droit d’être convenablement représentés dès les premières étapes des procédures. Cette obligation peut être acquittée seulement si les commandants des unités ont à coeur l’obligation prévue à l’article 109.04 des ORFC.

 

[49]                 En ce qui concerne les circonstances atténuantes, elles varient au cas par cas. En l’espèce, je ne considère pas que M. Vautier a subi un préjudice grave concernant sa défense en raison du retard à lui offrir les services d’un avocat. Dans d’autres cas, la situation peut être différente et ce fait renforce la nécessité pour les unités d’accorder une extrême importance à l’obligation prévue à l’article 109.04.

 

[50]                 Le deuxième retard est dû au délai à faire instruire cette affaire à partir du moment où un membre de l’unité a présenté une requête auprès de la chaîne de commandement le 16 février 2004, jusqu’à ce que l’affaire ait été confiée au Directeur des poursuites militaires en juin 2004. Selon moi, il est important que les accusations graves portées devant la cour martiale reçoivent toute l’attention requise et ce, à tous les niveaux de la chaîne de commandement, avant que l’affaire soit confiée au Directeur des poursuites militaires.

 

[51]                 Il n’y a pas de place pour des accusations folles. Néanmoins, le temps écoulé en l’espèce entre février et juin me laisse croire que l’affaire n’a pas été traitée avec la célérité requise par la Loi sur la défense nationale. Une fois encore, le contrevenant n’a signalé aucun préjudice subi en raison du délai à instruire l’affaire. Cependant, on peut déduire qu’en raison du retard de plusieurs mois, les accusations ont pesé lourd pour le contrevenant. Je considère qu’il s’agit d’une circonstance atténuante.

 


[52]                 J’ai déjà mentionné les principes de détermination de la peine applicables. D’autres principes de détermination de la peine peuvent également s’appliquer, selon les circonstances. Dans cette affaire, d’autres principes sont pris en considération par la cour, notamment le fait que le contrevenant a déjà commis plusieurs infractions semblables. Un de ces principes concerne la gradation des peines. Généralement, lorsqu’un contrevenant est condamné plusieurs fois pour des infractions semblables, la peine infligée par le tribunal sera plus sévère que celle prononcée auparavant pour le même genre d’infraction, et ce pour des raisons évidentes. Si on considère que la dissuasion constitue un objectif important de la détermination de la peine, l’imposition des peines de plus en plus sévères peut être nécessaire en vue de dissuader un contrevenant récidiviste.

 

[53]                 La cour ne dispose pas de beaucoup de moyens pour donner suite à ce principe, mais l’un d’entre eux est d’imposer des peines plus sévères relativement à des infractions semblables perpétrées de manière répétitive. Il y a plus derrière le principe de la gradation des peines; en effet, il est important de se rappeler qu’en imposant des peines plus sévères, la cour fait un pas en avant, mais ce n’est pas un pas de géant. En l’espèce, le contrevenant a commis beaucoup d’autres infractions d’absence non justifiée et les officiers habilités à le juger semblent avoir appliqué le principe de gradation des peines; en effet, le contrevenant a été condamné pour l’infraction la plus récente d’absence injustifiée à une peine de détention de 14 jours.

 

[54]                 Selon le deuxième principe pris en considération par la cour, il ne suffit pas simplement de faire le total de la durée appropriée de la peine infligée pour chacune des infractions reprochées et d’infliger cette peine. La cour doit tenir compte du fait que la peine infligée, c’est à dire la seule peine infligée, est une réponse globale à toutes les accusations dont elle est saisie.

 

[55]                 En l’espèce on m’a demandé de suspendre l’exécution de la peine d’emprisonnement. L’article 215 de la Loi sur la défense nationale précise :

 

215        Le tribunal militaire peut suspendre l'exécution de la peine d'emprisonnement ou de détention à laquelle il a condamné le contrevenant.

 

[56]                  La Loi sur la défense nationale ne prévoit pas de guide législatif en vue d’aider le tribunal à appliquer cette disposition. Par ailleurs, aucune jurisprudence ne précise dans quels cas le tribunal peut suspendre l’exécution de la peine d’emprisonnement ou de détention.

 

[57]                  Je conclus qu’on doit statuer sur chaque cas compte tenu des faits et circonstances de l’espèce.  Dans cette affaire, les faits et les circonstances démontrent que le contrevenant s’est bien intégré à la vie civile. Il a trouvé un emploi stable, relativement bien payé, après avoir suivi un programme de formation peu après sa libération des Forces canadiennes. Il a fondé une famille à Leduc (Alberta). S’il souffre encore de problèmes de dépendance en matière de drogue, je suis convaincu que son emploi actuel l’aidera à surmonter ces difficultés.

 


[58]                  Comme je l’ai indiqué, il incombe à la cour d’examiner tous ces facteurs  en vue de prononcer une peine appropriée. Comme je l’ai déjà mentionné aussi, j’ai rejeté la recommandation conjointe des avocats ayant trait à une peine d’emprisonnement d’un jour avec sursis. Compte tenu de toutes les circonstances liées aux infractions et au contrevenant, je suis d’avis qu’une peine d’emprisonnement de 30 jours est la peine minimale que la cour peut infliger. Comme je l’ai déjà indiqué, j’ai pris en considération la période de détention avant le prononcé de la peine, à savoir 6 jours que le contrevenant a déjà purgés et je lui accorde un crédit de deux jours pour chaque jour passé en détention. Par conséquent, j’inscris au crédit du contrevenant un total de 12 jours relativement à la période de détention avant le prononcé de la peine.

 

[59]                  Veuillez vous lever, M. Vautier. Je vous condamne à une peine d’emprisonnement de 18 jours.  En vertu de l’article 215 de la Loi sur la défense nationale, je suspends l’exécution de la peine d’emprisonnement.

 

[60]                  Par les présentes, les délibérations de cette cour martiale concernant l’ex- soldat Vautier sont terminées.

 

 

 

 

COMMANDANT P.J. LAMONT, J.M.

 

 

Avocats :

 

 

Capitaine S.M.A. Raleigh, Directeur des poursuites militaires

Procureur de Sa Majesté la Reine

Le major A. Appolloni, Direction du service d’avocats de la défense

Avocat de l’ex- soldat Vautier

 

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