Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 25 janvier 2005.
Endroit : 6080 rue Young, 5e étage, salle d’audience, Halifax (NÉ).
Chefs d’accusation:
• Chefs d’accusation 1, 3, 4 : Art. 130 LDN, abus de confiance par un fonctionnaire public (Art. 122 Cr. cr.).
• Chefs d’accusation 2, 5, 6 : Art. 130 LDN, fraude (Art. 380(1) C. cr.).
• Chefs d’accusation 7, 8 : Art. 129 LDN, comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.
• Chef d’accusation 9 : Art. 125 LDN, a fait volontairement une fausse déclaration dans un document officiel signé de sa main.
Résultats:
• VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 2, 3, 5, 6, 7, 8, 9 : Retirés. Chef d’accusation 4 : Coupable.
• SENTENCE : Un blâme et une amende au montant de 3000$.

Contenu de la décision

SRéférence : R. c. LEx-premier maître de 2e classe G.A. Tobin,2005CM01

 

 

Dossier : S200501

 

 

 

COUR MARTIALE PERMANENTE

CANADA

NOUVELLE-ÉCOSSE

BASE DES FORCES CANADIENNES HALIFAX

 

 

Date : 9 septembre 2005

 

 

PRÉSIDENT : COLONEL K.S. CARTER, J.M.

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE

c.

LEX-PREMIER MAÎTRE DE 2E CLASSE G.A. TOBIN

(Accusé)

 

 

SENTENCE

(Prononcée oralement)

 

 

 

TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE

 

[1]                    Ancien premier maître de 2e classe Tobin, il est d’usage pour notre cour de demander à l’accusé de se lever au moment de recevoir sa peine. Toutefois, en raison de votre état de santé et du fait que l’exposé détaillé des motifs qui sous-tendent la peine prendra plusieurs minutes, la cour vous autorise à rester assis jusqu’à ce qu’elle en vienne au prononcé de la peine proprement dite.

 

[2]                    Ayant accepté et enregistré votre plaidoyer de culpabilité, la Cour vous déclare coupable à l’égard du chef d’accusation no 4 inscrit sur l’acte d’accusation dont le libellé, par suite de la présentation d’un avis de requête en précisions, a été remplacé en partie par ce qui suit : [traduction] « du 7 décembre 2001 jusqu’au 31 mai 2002  »."

 


[3]                    Comme point de départ des présents motifs, mentionnons que l’ancien premier maître de 2e classe Tobin a été déclaré coupable d’abus de confiance, en contravention de l’article 122 du Code criminel du Canada. La perpétration de l’infraction en question, qui s’est déroulée sur une période d’environ cinq mois, a eu lieu il y a de cela trois ans, soit en 2002 .

 

[4]                    Pour rendre sa décision, la Cour a tenu compte de l’énoncé des circonstances, des témoignages des premiers maîtres de 1re classe Pratt et Doucette, de celui du délinquant lui-même et enfin, des documents produits sous les cotes 19 à 25.  Afin de déterminer la peine appropriée en l’espèce, la Cour a examiné un certain nombre de choses : les principes généraux de détermination de la peine, que l’on retrouve dans les décisions judiciaires, tant en droit pénal que militaire, qui portent sur des infractions ou des circonstances de nature similaire ou apparemment similaire; la nature de l’infraction à laquelle vous avez plaidé coupable et dont vous avez été déclaré coupable; vos antécédents; les facteurs atténuants ou aggravants que la preuve a révélés; l’énoncé des précisions; la preuve documentaire produite; les dépositions des témoins et, finalement, les observations des avocats.

 

[5]                    L’objectif fondamental de la détermination de la peine est la protection de la société. Cet objectif est atteint si l’imposition de peines légales parvient, d’une part, à dissuader le délinquant reconnu coupable d’une infraction à commettre une récidive et, d’autre part, à décourager ceux qui envisagent de perpétrer une infraction de passer à l’acte. L’imposition d’une peine juste engendre le respect de la loi et la société s’en trouve mieux protégée.  La peine ne doit pas être trop sévère, c’est-à-dire motivée par la vengeance, ni trop clémente, en raison d’une sympathie mal placée. Les principes généraux de détermination de la peine appliquées à la fois par les cours martiales et les tribunaux pénaux du Canada reposent sur cet objectif fondamental, à savoir la protection du public, y compris les Forces canadiennes et chacun de ses membres.

 

[6]                    C’est contre les comportements illégaux et ses conséquences que l’on cherche à protéger la société. Un certain nombre de principes sont appliqués pour réaliser cet objectif. Il y a d’abord le principe de dissuasion, qui inclut la dissuasion spécifique, dirigée vers le délinquant, et la dissuasion générale, qui vise toute autre personne qui se trouve dans des circonstances semblables et pourrait envisager de poser les mêmes gestes. Il y a aussi le principe de la dénonciation, qui se veut l’expression du rejet du comportement en question par la société. Enfin, il y a le principe de la réadaptation et de la réinsertion du contrevenant, lesquelles peuvent avoir lieu au sein de la collectivité militaire ou de la société canadienne en général.

 


[7]                    Par ailleurs, il existe un autre principe sous-jacent, soit celui de la proportionnalité. La peine infligée doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant. Selon ce principe, une peine convenable tiendra compte non seulement de la nature de l’infraction mais également de la culpabilité morale du délinquant, de son caractère, des circonstances qui entourent la perpétration de l’infraction et de ses conséquences. Le juge doit aussi tenir compte des facteurs atténuants, tel un plaidoyer de culpabilité, le fait que le délinquant a réparé ses torts ou qu’il en est à sa première infraction, et des facteurs aggravants, comme la préméditation et le degré de privation subi par la victime. Finalement, le juge doit s’abstenir d’imposer une sentence disproportionnée par rapport à celles qui sont normalement imposées à des délinquants similaires dans des circonstances similaires.

 

[8]                    La cour martiale est également tenue, lorsqu’elle inflige une peine, de respecter les directives contenues dans l’ORFC 112.48, laquelle l’oblige à tenir compte de toute conséquence indirecte du verdict ou de la sentence et à prononcer une sentence proportionnée à la gravité de l’infraction et aux antécédents du contrevenant.  Tant en droit pénal que militaire, l’infraction doit être punie par l’imposition de la peine minimale nécessaire pour réaliser ces fins. 

 

[9]                    Par ailleurs, la Cour s’est aussi laissée guider par les objectifs du prononcé des peines énoncés à l’article 718 du Code criminel du Canada. Ces objectifs sont de dénoncer tout comportement illégal, de dissuader les délinquants et quiconque de commettre des crimes, d’isoler au besoin les délinquants du reste de la société, de favoriser la réinsertion sociales des délinquants, d’assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité et de susciter la conscience de leurs responsabilité chez les délinquants, notamment par la reconnaissance du tort qu’ils ont causé aux victimes et à la collectivité. Ces principes sont très semblables à ceux que l’on retrouve dans la  Loi sur la défense nationales et les Ordonnances et règlements royaux.

 

[10]                  La Cour a en outre connaissance de la directive donnée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Gladue, [1999] 1 R.C.S. 688, où elle affirme, au paragraphe 36 de ses motifs, que l’emprisonnement devrait être la sanction pénale de dernier recours.  De même, la Cour est consciente que le but ultime du prononcé de la peine est de restaurer la discipline chez le contrevenant, si celui-ci est toujours membre des Forces canadiennes et, dans le cas contraire, de restaurer cette discipline au sein de la communauté militaire en général, la discipline étant cette qualité que tout membre des Forces canadiennes doit posséder et qui le porte à faire passer l’intérêt des Forces et du Canada avant son propre intérêt.  La discipline repose sur la confiance mutuelle entre supérieurs et subordonnés; cette confiance exige que chaque membre des Forces canadiennes puisse être convaincu que les autres membres ne feront pas passer leur intérêt personnel devant celui des Forces.

 


[11]                  Voilà donc exposées les considérations générales que la Cour doit garder à l’esprit pour déterminer la sentence qu’il convient d’imposer en l’espèce ou, autrement dit, celle qui correspondra à la gravité de l’infraction, protégera le public, rétablira le respect de la loi et de la discipline et tiendra compte non seulement de la gravité de l’infraction, mais aussi des circonstances de sa perpétration, de vos antécédents, de votre situation actuelle et de ce qui est nécessaire, au minimum, pour restaurer la discipline.

 

[12]                  La poursuite prétend que l’objectif principal du prononcé de la peine, dans le cas d’un abus de confiance, est de dissuader le public en général.  Le procureur a d’ailleurs indiqué qu’il existait à cette fin un vaste éventail de peines – bien qu’il n’ait trouvé à ce sujet que des affaires relevant des tribunaux civils – et que ces peines allaient, selon les circonstances, de l’absolution inconditionnelle à l’emprisonnement.  De l’avis de la poursuite, les facteurs atténuants dans la présente affaire sont qu’il s’agit de votre première infraction, que vous comptez 25 années de service, que vous avez avoué votre culpabilité et que votre éprouvez présentement des problèmes de santé. Quant aux facteurs aggravants, la poursuite note que vous avez posé un geste délibéré dans le cadre d’un stratagème assez sophistiqué faisant appel à la tromperie et que vous avez utilisé les connaissances que vous avez en votre qualité de technicien principal en approvisionnement pour en tirer des avantages personnels.

 

[13]                  La poursuite plaide qu’il s’agit d’un cas qui nécessite une peine d’emprisonnement, c’est-à-dire 34 jours, pour être plus précis. Cependant, la poursuite exhorte la Cour à considérer les 17 jours que vous avez passés en détention pendant votre procès, essentiellement, comme annulant cette sentence, sur la base du principe que chaque jour de détention avant le procès équivaut à deux jours d’emprisonnement purgés par suite d’une condamnation. Ce que la Cour a compris au départ, c’est que la poursuite proposait que vous soyez condamné à un nombre de jours d’emprisonnement égal à zéro,  ce qui revient, pour ainsi dire, à ne vous imposer aucune sentence. Par la suite, la poursuite a clarifié qu’elle demandait 34 jours, mais sans ordonnance de détention, affirmant que la Cour en a le pouvoir en vertu de l’article 179 de la Loi sur la défense nationale. Plus tard, à titre de mesure subsidiaire, la poursuite a convenu que la peine de 30 jours proposée par la défense produirait le même résultat.

 


[14]                  L’avocat assurant votre défense a fait valoir qu’un certain nombre de facteurs atténuants devaient être considérés en l’espèce. Il a souligné le fait que vous en étiez à votre première infraction et que vous aviez bien servi les Forces canadiennes, comme l’ont indiqué les premiers maîtres de 1re classe Pratt et Doucette lorsqu’ils ont témoigné au sujet de vos années de service entre 1997 et 2001. Il a aussi mis l’accent sur vos problèmes d’ordre psychologique et médical de même que sur les difficultés d’ordre financier que vous éprouviez à l’époque.  Il a parlé de votre intention de parfaire votre éducation : selon lui, la meilleure façon de favoriser cela serait de vous renvoyer le plus rapidement possible sur les bancs d’école.  Votre avocat a fait mention de votre plaidoyer de culpabilité et du fait que la cour n’avait été saisie d’aucune preuve tendant à démontrer que les Forces canadiennes n’avaient pas reçu les articles commandés auprès de DA Imports, l’argument défendu étant le suivant : bien qu’il soit vrai que vous ayez tiré des avantages personnel de la transaction, il appert que les Forces canadiennes n’ont subi aucune perte en conséquence. De plus, votre avocat a fait remarquer que la valeur de ces avantages était estimée à environ 2500 $, et non 20 000 $.

 

[15]                  Votre avocat convient que la sentence appropriée est un emprisonnement de 34 jours. Cela dit, si la Cour devait ne pas accepter d’opérer compensation en tenant compte des jours déjà passés en détention, votre avocat recommanderait alors un emprisonnement de 30 jours avec sursis. Il a fait vaguement référence à l’affaire de l’adjudant-maître Gallagher – que la Cour, soit dit en passant, considère comme une affaire beaucoup plus grave – où la sentence aurait été de quatre mois. En fait, la sentence avait été fixée à deux mois d’emprisonnement et assortie d’une rétrogradation au rang de soldat.

 

[16]                  La Cour se doit de dire que ces propositions lui posent certaines difficultés. Tout d’abord, la peine d’emprisonnement avec sursis n’est pas prévue par la loi. Seul l’emprisonnement peut être imposé : il doit être de moins de deux ans, dans le cas d’un procès devant la cour martiale permanente, mais peut être à perpétuité, si le procès a lieu devant la cour martiale générale. Dans certains cas où il est établi que l’emprisonnement constitue une sentence appropriée, le sursis peut être justifié. En effet, plusieurs raisons peuvent motiver l’octroi d’un sursis : par exemple, la maladie, si le contrevenant est en phase terminale, ou la situation familiale, s’il est le seul soutien d’une personne très vulnérable. Il y a aussi des cas où la réinsertion du contrevenant serait sérieusement retardée s’il devait purger une peine d’emprisonnement.

 

[17]                  Eu égard aux faits dont elle a connaissance, la Cour estime qu’aucune peine d’emprisonnement n’a été purgée comme tel. La Cour reconnaît que le temps passé en détention avant le procès peut être déduit de la peine d’emprisonnement infligée et qu’il l’est souvent dans les faits, quoiqu’il ne s’agisse pas d’une règle obligatoire. Lorsqu’une telle déduction a lieu, on créditera le plus souvent deux jours d’emprisonnement pour chaque jour passé en détention avant le procès. Cependant, ce n’est pas toujours le cas, et le calcul dépendra des circonstances.  Il conviendrait d’ajouter que si vous aviez été reconnu coupable de fraude, la Cour envisagerait alors certainement l’imposition d’une peine d’emprisonnement à purger à la Caserne de détention et prison militaire des Forces canadiennes, à Edmonton.  En outre, même si la Cour avait consenti à réduire votre peine pour tenir compte du temps passé sous garde, vous auriez quand même à purger un certain temps en prison à Edmonton.  Par ailleurs, la Cour désire faire remarquer que rien ne justifie un sursis dans les informations qu’elle a reçues.

 


[18]                  Ceci étant dit, ce n’est pas de fraude dont vous être coupable, mais d’abus de confiance. Par conséquent, il importe avant tout de déterminer, en l’espèce, si l’emprisonnement est ou non justifié. Considérons que, selon la recommandation conjointe des avocats des deux parties, un emprisonnement de 34 jours constitue, dans les circonstances, une sanction appropriée pour l’infraction que vous avez perpétrée, et faisons de cette recommandation le point de départ de notre analyse.  Le reste de la proposition ne tient que si ce fait est accepté.  En corollaire, les avocats soutiennent que vous ne devriez purger aucune peine d’emprisonnement dans les faits, soit, d’une part, parce que la Cour est convaincue que vous devriez recevoir une réduction de peine à raison de deux jours de détention post-condamnation pour chaque jour de détention pendant l’instance et qu’elle a le pouvoir de déclarer que vous avez déjà purgé votre peine en vertu de l’article 179 de la Loi sur la défense nationale et de ne pas signer d’ordonnance de mise sous garde, empêchant ainsi l’application de la sentence, soit, d’autre part, parce que la Cour a été convaincue qu’il existe de bonnes raisons de surseoir à l’emprisonnement.

 

[19]                  Bien qu’elle ne comprenne pas tout à fait clairement pourquoi la période d’emprisonnement proposée est de 34 jours, outre le fait que ce nombre est égal à 2 fois 17 jours, la Cour pense qu’il s’agit d’une proposition sincère.  Ce n’est pas tant la durée proposée que la nature de la punition qui soulève des préoccupations pour la Cour. Toutefois, les recommandations conjointes relatives à la sentence doivent faire l’objet d’un examen sérieux par les tribunaux.  À ce sujet, les propos de la Cour d’appel de la cour martiale, dans R. c. Paquette, un jugement rendu en 1998 et portant le n418, sont sans équivoque. Ainsi, au paragraphe 19 du jugement, la Cour d’appel écrit :

 

Il ressort des motifs pris par le président quil savait que le juge appliquant la peine ne devait pas dévier de la recommandation conjointe à moins que la peine proposée ne jette le discrédit sur la justice ou ne soit contraire à lintérêt général...

 

[20]                  Dans l’arrêt R. c. Dubuc, D-u-b-u-c, 131 C.C.C. (3d) 250, la Cour d’appel du Québec, dans un jugement rédigé par le juge Fish (tel était alors son titre), a fait un certain nombre de déclarations concernant les recommandations conjointes.  D’abord, le juge Fish fait l’observation suivante :

 

[Traduction] Ce plaidoyer est le résultat dune entente conclue au termes de discussions sérieuses entre avocats dexpérience dun côté comme de lautre.

 

Puis il enchaîne en citant l’arrêt R. v. Wood, rendu en 1998 par la Cour d’appel de l’Ontario.  Ainsi, à la page 2 du jugement, le juge Fish fait siens les propos suivants de la Cour d’appel de l’Ontario :

 

[Traduction] « Il est bien établi en droit que le tribunal se réserve toujours le pouvoir discrétionnaire daccepter ou de rejeter les recommandations des avocats relativement à la sévérité de la peine, même lorsquil sagit dune recommandation conjointe présentée par des avocats dexpérience ...

 

Et, plus loin :

 


... Mais il est tout aussi clair que le tribunal se doit dexaminer sérieusement les recommandations du procureur de la Couronne, en particulier lorsque peu de faits sont rapportés par suite de lenregistrement dun plaidoyer de culpabilité.  Le tribunal se doit alors de reconnaître que le procureur de la Couronne connaît mieux que lui les circonstances aggravantes et les facteurs atténuants qui caractérisent linfraction et qui nont pas nécessairement été révélés en totalité dans le résumé des faits ....

 

[21]                  Souvent, pour diverses raisons, la peine faisant l’objet d’une recommandation conjointe se situera au bas de l’échelle des peines appropriées, particulièrement si l’intention de l’accusé de plaider coupable aux infractions dont il est inculpé ou à certaines d’entre elles en dépend – quoique cela ne semble pas être le cas en l’espèce; ou encore, on sera en présence d’une situation où la poursuite a pris certaines décisions qui reposent sur des critères liés à la preuve ou à l’intérêt public et qu’elle se doit d’applique­r, ce qui n’apparaîtra pas comme une évidence pour le tribunal dans le cadre de l’examen usuel des facteurs aggravants et atténuants, à moins qu’il n’en soit avisé.

 

[22]                  Il y a certainement une place pour le règlement des affaires au moyen d’ententes entre la poursuite, qui défend l’intérêt du public et, en particulier, des Forces canadiennes, et l’avocat de la défense, qui représente l’accusé. Cependant, comme la loi l’indique, les tribunaux ne sont pas liés par les ententes relatives au plaidoyer ou à la sentence, quoiqu’ils les considéreront avec respect.  Ce respect, toutefois, sera accordé à moins que la proposition des parties ne jette le discrédit sur la justice ou ne soit contraire à l’intérêt général.  La Cour n’est pas liée en droit par de telles recommandations mais pourrait en fait s’estimer l’être par la logique contenue dans une recommandation.

 

[23]                  L’objet des préoccupations de la Cour en l’espèce diffère quelque peu de la situation habituelle en ce qu’elle considère que la peine qui constitue le point de départ de la proposition, soit une emprisonnement de plus de 30 jours, est si élevée qu’il ne serait pas dans l’intérêt général de l’accepter. Subsidiairement, si elle en venait à juger que la recommandation conjointe consiste en réalité à dire que le contrevenant ne devrait pas être puni pour l’infraction qu’il a perpétrée et que l’emprisonnement a été proposé uniquement dans le but d’être annulé ou d’y surseoir, la Cour conclurait que le fait d’accepter la recommandation aurait pour effet de jeter le discrédit sur la justice.  Ainsi, comme vous pouvez le constater, la Cour ne se considère pas liée en l’espèce par la logique de la recommandation.

 


[24]                  Avant de passer à la prochaine étape de la procédure que la Cour devrait suivre lorsqu’elle conclut qu’elle ne peut accepter une recommandation conjointe, j’aimerais porter à l’attention des avocats ce dont la Cour a tenu compte pour déterminer la peine et quelle sentence elle envisage.  Dans la présente affaire, le contrevenant, l’ancien premier maître de 2e classe Tobin, a été déclaré coupable d’une seule infraction, l’abus de confiance; considérée objectivement, cette infraction est moins grave que la fraude ou le vol, notamment le vol d’une chose dont la responsabilité nous a été confiée.  Les Forces canadiennes ont reçu tout le matériel commandé, et ce, à un juste prix. L’accusé en a tiré un bénéfice, mais comme je l’ai déjà indiqué, cela ne s’est pas fait aux dépens des Forces canadiennes ou du ministère de la Défense nationale.

 

[25]                  Néanmoins, la perpétration de l’infraction reprochée s’est déroulée sur une période ininterrompue de cinq mois et faisait partie d’un stratagème dolosif.  Les incidents se sont produits il y a plus de trois ans.  En fait, en supposant que la présente instance ait eu lieu en janvier 2005, conformément à l’échéancier prévu, une partie de l’infraction aurait été vieille de plus de trois ans, même à l’époque.  Le contrevenant a servi dans les Forces canadiennes pendant plus de 25 ans. Toutes ces années, à compter du moment où il a suivi son cours de qualification militaire de base en 1979, il les a passées en poste en Nouvelle-Écosse, dont 18 dans la Force aérienne, comme en témoigne la pièce produite sous la cote no 21.

 

[26]                  Les deux témoins, premiers maîtres de 1re classe, ont indiqué avoir été très satisfaits des services de leur technicien en approvisionnement.  Originaire de Terre-Neuve, le contrevenant est retourné s’y établir après sa libération en 2004.  Depuis la fin de ses études secondaires en 1978, il a terminé un certain nombre de cours d’apprentissage du métier militaire de même que deux cours de perfectionnement professionnel : Organisation et effectifs de la défense, en 2000, et Introduction à la gestion de la défense, en 2002.  Depuis sa libération, il a profité de ses prestations de réadaptation médicale pour terminer cinq cours d’un programme de certificat en administration des affaires dispensé par la Memorial University, et il espère être en mesure de s’inscrire à un programme de maîtrise en janvier 2006. 

 

[27]                  La santé physique et psychologique de l’ancien premier maître de 2e classe Tobin a décliné au cours des trois dernières années et il souffre présentement de problèmes dégénératifs au dos et de problèmes psychologiques.  Ses problèmes psychologiques sont de l’ordre de la dépression et il souffrirait également, semble-t-il, du syndrome de stress post-traumatique, quoique la Cour n’ait été mise au fait d’aucune preuve quant à l’origine de ce syndrome et ne sait pas s’il est relié à ses fonctions miliaires.  Il est présentement traité pour tous ces problèmes.

 

[28]                  Le contrevenant est marié et sa femme détient un emploi.  La valeur nette de leur maison est d’environ 15 000 $.  Jusqu’en mai prochain, l’ancien premier maître de 2e rang Tobin recevra environ 50 000 $ par an, ce qui représente 75 pour cent de son salaire avant la retraite.  Par la suite, le revenu net qu’il recevra des divers régimes de retraite diminuera pour atteindre approximativement 2450 $ par mois.  En raison des investissements qu’il a faits en vue d’un concert qui n’a pas eu lieu, l’ancien premier maître de 2e rang Tobin a contracté des dettes importantes mais il espère rectifier cette situation en investissant prudemment dans les concerts à venir cette année.

 


[29]                  La Cour est d’accord avec l’affirmation voulant que dans les cas d’abus de confiance, l’objectif le plus important que vise à atteindre le prononcé de la peine est la dissuasion générale.  Elle estime qu’en l’espèce, les facteurs atténuants sont les suivants. D’abord, le contrevenant en est à sa première infraction et il compte plusieurs années de service au sein des Forces canadiennes qui en ont profité.  Ensuite, il a plaidé coupable, ce qui, à n’importe quelle étape de l’instance, constitue une acceptation de responsabilité. Il a reconnu publiquement qu’il avait mal agi et a exprimé des remords. En outre, aucune preuve n’a démontré que les Forces canadiennes et le ministère de la défense nationale auraient été victimes d’une privation. Par ailleurs, beaucoup de temps s’est écoulé depuis la perpétration des infractions en cause. Enfin, l’ancien premier maître de 2e rang Tobin souffre présentement de maux physiques et psychologiques.

 

[30]                  Quant aux circonstances aggravantes, la Cour juge que l’infraction était planifiée et intentionnelle et qu’elle s’est poursuivie pendant un certain temps.  Il a été question du fait que l’ancien premier maître de 2e rang Tobin avait eu recours à un stratagème consistant à utiliser des personnes qui lui vouaient une confiance et un respect manifestes.  La Cour tient à mentionner qu’elle n’a pas considéré cet élément comme une circonstance aggravante pour la détermination de la peine en l’espèce.

 

[31]                  Parce que l’on rencontre, dans les instances civiles, tout un éventail de peines dont les extrémités sont très éloignées l’une de l’autre, la Cour s’est tournée vers des jugements des cours martiales mettant en cause des infractions comme la fraude et le vol qui, si elles sont plus graves objectivement parlant, sont néanmoins semblables. Elle a adopté cette voie afin de réduire l’éventail des peines envisageables pour une infraction de cette nature à un volume acceptable.  Le premier jugement examiné a été R. c. Vanier, rendu par la Cour d’appel de la cour martiale en date du 4 février 1999. Le lieutenant-colonel Vanier avait été déclaré coupable de six chefs d’accusation reliés à des fraudes commises entre juillet et octobre 1996, fraudes dont le montant était estimé à 13 000 $, quoique, au paragraphe 7 de son jugement, la Cour d’appel de la cour martiale rappelle la conclusion de la cour martiale selon laquelle, en ce qui avait trait à la fraude subie par l’État, le lieutenant-colonel Vanier n’avait reçu rien d’autre que la somme qu’il aurait pu réclamer de plein droit.  Il a été rétrogradé et condamné à une amende de 10 000 $.

 

[32]                  Dans R. c. Legaarden, un autre jugement rendu par la Cour d’appel de la cour martiale en 1999, le commandant Legaarden a été déclaré coupable d’une série de gestes frauduleux et condamné à six mois d’emprisonnement. Il a interjeté appel de la sentence.  La Cour d’appel de la cour martiale a accepté qu’il fallait tenir compte du fait que la somme volée serait restituée et qu’elle s’élevait à 2400 $US et, par conséquent, elle a condamné le contrevenant à un blâme et à une amende de 10 000 $.

 


[33]                  Dans R. c. Lévesque, une décision de la Cour martiale permanente datant de 1999, le caporal-chef Lévesque a plaidé coupable à des accusations de conspiration, de méfait et d’acte de caractère frauduleux, tous reliées à un stratagème visant à frauder une compagnie d’assurance en faisant une réclamation pour des dommages causés à ses meubles dans le cadre d’une demande de remboursement de frais de déménagement.  La Cour martiale permanente l’a condamné à un blâme de même qu’à une amende de 4 000 $.  La Cour d’appel de la cour martiale a conclu qu’il ne s’agissait pas d’une peine déraisonnable vu que la fraude ne s’était pas réalisée et que les 35 615,42 $ réclamés n’avaient pas été payés.  Le caporal-chef Lévesque avait plaidé coupable et n’avait, lui aussi, aucun casier judiciaire.

 

[34]                  Dans R. c. Deg, un jugement de la Cour d’appel de la cour martiale rendu en 1999 et portant le no 427, le lieutenant(N) Deg avait plaidé coupable à une accusation de vol d’une chose dont il avait la garde de même qu’à 24 chefs d’accusation connexes.  La Cour d’appel de la cour martiale a jugé qu’en définitive, le montant en cause était de 619 $. L’accusé, par ailleurs, avait été déclaré coupable, comme je l’ai indiqué, de vol alors qu’il était investi d’une responsabilité, mais la sentence à laquelle il avait été condamné en cour martiale a été réduite par la Cour d’appel à 5 000 $ d’amende et à un blâme.

 

[35]                  L’affaire R. c. St-Jean a déjà été mentionnée.  Le sergent St-Jean avait plaidé coupable à une accusation de fraude portant sur un montant de 30 835,05 $.  Cette fraude a été commise sur une période de six mois, pendant lesquels l’accusé a présenté de fausses demandes d’indemnité générale.  Dans sa décision, la Cour d’appel de la cour martiale a conclu qu’il en était à sa première infraction et que sa carrière de 26 ans était sans tache.  Au moment où la CACM a rendu sa décision, seuls 450 $ avaient été remboursés.  La Cour d’appel de la cour martiale a rétrogradé le sergent St-Jean au rang de caporal et l’a condamné à une amende de 8 000 $.

 

[36]                  L’affaire R. c. Lechmann, jugée par la Cour d’appel de la cour martiale en 2001, en est une autre qui s’est conclue par une amende et une peine avec sursis.  Je me permets également de mentionner l’affaire du Sergent Bernard, datant de 1999. Le sergent Bernard a été déclaré coupable par la cour martiale de vol de l’objet qui lui avait été confié et de fausse déclaration dans un document officiel relativement à une somme de 2 000 $.  L’accusé, dans cette affaire, a été rétrogradé au rang de caporal et condamné à une amende de 2 000 $.

 

[37]                  La cour martiale a également été saisie de l’affaire du Caporal-chef Bouchard en 2001.  L’accusé avait plaidé coupable à quatre chefs d’accusation concerna­nt la production frauduleuse d’une série de chèques qu’il avait subséquemment encaissés.  Les sommes en jeu s’élevaient à environ 14 000 $.  La plupart des infraction avaient eu lieu en l’espace d’un mois, l’accusé en était à ses premières infractions, il occupait une poste de confiance et un lapse de temps important s’était écoulé depuis les infractions.  Il a été condamné à un blâme et à une amende de 4 000 $.

 


[38]                  Bien qu’il ne soit pas interdit ni, donc, impossible d’imposer une peine d’emprisonnement dans une affaire d’abus de confiance, la Cour est d’avis qu’il convient de réduire l’éventail des peines envisageables puisqu’il est si vaste. Et pour cette affaire en particulier, la Cour a pris connaissance de peines analogues prononcées dans le cadre de procès en cour martiale afin de déterminer une gamme de peines appropriée. Or, selon la Cour, pour une infraction de la nature qui nous intéresse, la gamme de peines appropriée consiste en une rétrogradation, un blâme et une amende.  La Cour est d’avis que l’imposition d’une amende est particulièrement utile en matière de dissuasion du public en général lorsque l’infraction est de nature à générer un gain pécuniaire pour son auteur, comme c’est le cas ici.  Par conséquent, la Cour envisage une peine de ce genre.  Étant donné les retards dans l’instance et le risque peu élevé de récidive, puisque l’ancien premier maître de 2e classe Tobin n’est plus membre des Forces; étant donné qu’il n’y a pas de preuve que les Forces ont été spoliées et étant donné que, ayant plaidé coupable d’abus de confiance – un plaidoyer qui a été enregistré –  l’ancien premier maître de 2e classe Tobin aura désormais un casier judiciaire qui pourra lui rendre la tâche difficile s’il veut obtenir un emploi qui requiert qu’il soit cautionné, la Cour concède qu’une rétrogradation n’est pas nécessaire.  La Cour envisage plutôt une infraction‒‒envisage une sentence constituée d’un blâme et d’une amende de 3 000 $, soit le montant minimum qui, de l’avis de la Cour, est requis pour dissuader le public tout en reconnaissant le caractère unique des circonstances présentes.

 

[39]                  La marche à suivre par suite du rejet d’une recommandation conjointe consiste à expliquer en quoi le tribunal juge cette recommandation probléma-tique, à informer les avocats de la sentence envisagée, à motiver ce choix et, enfin, à donner aux avocats l’occasion de présenter d’autres observations, s’ils le souhaitent, en réponse aux questions soulevées. Je vais donc suspendre la séance et donner aux avocats 15 minutes pour décider s’ils ont quelque chose à ajouter et, le cas échéant, pour se préparer.  La séance est maintenant suspendue et reprendra dans 15 minutes.

 

LA COUR ÉCOUTE LES OBSERVATIONS DES AVOCATS.

 

[40]                  La Cour a examiné les observations additionnelles présentées pas les avocats.  La poursuite, en particulier, a fait valoir que la Cour n’avait pas tenu compte de la preuve au procès alors qu’elle aurait dû le faire. Elle a fait expressément référence au témoignage de madame St-Onge concernant un appauvrissement présumément subi par le ministère de la Défense nationale, et à ceux des acheteurs qui ont décrit la supercherie dont ils ont été victimes aux mains de l’ancien premier maître de 2e classe Tobin. Finalement, la défense a fait valoir que la Cour n’avait pas appliqué correctement les critères concernant les retards dans l’instruction de la présente affaire.

 


[41]                  La poursuite prétend qu’en tenant dûment compte de ces critères et en les appliquant correctement, on pourrait conclure qu’un emprisonnement supérieur à 30 jours constitue une peine convenable en regard de l’infraction.  Pour l’essentiel, la poursuite se fonde sur ce qui a été qualifié d’inférence ou d’inférence raisonnable, et non simplement sur des faits.  Et comme je l’ai mentionné, c’est la poursuite qui prétend que, si on l’étudie correctement, la peine proposée de 34 jours d’emprisonnement à la ­Caserne de détention et prison militaire des Forces canadiennes d’Edmonton est la sentence qui convient pour l’infraction en cause.

 

[42]                  La preuve testimoniale, dans la mesure où elle est pertinente eu égard à l’accusation et conforme à l’énoncé des circonstances, a été examiné par la Cour et celle-ci tient à indiquer que l’ensemble de la preuve testimoniale examinée était fidèle au contenu de l’énoncé des circonstances et qu’elle n’a pu y déceler aucune contradiction.  Par exemple, le document produit en preuve sous la cote no 17 fait état de 11 transactions d’une valeur totale de 19 635,24 $.  La Cour ne croit pas que le fait d’avoir laissé tomber ces 24 cents dans l’énoncé des circonstances soit à même de constituer une contradiction.

 

[43]                  La première question en litige tourne autour de l’argument voulant que les Forces canadiennes aient été privées des gains que M. Tobin aurait, par déduction, tirés des activités décrites au numéro 4 de l’acte d’accusation.  Le fait qu’il ait empoché un bénéfice ou, en d’autres termes, qu’il ait reçu un avantage est, évidemment, une composante essentielle de l’abus de confiance.  La Cour est prête à accepter qu’il est raisonnable d’inférer que ce bénéfice se situe autour de 2000 $ à 2500 $.  Cependant, il convient de se demander si on peut en déduire que le MDN s’est appauvri d’autant.  Il est certain qu’une telle conclusion serait possible si, par exemple, les biens fournis avaient coûté davantage que ceux énumérés dans d’autres soumissions.  De la même manière, il pourrait y avoir eu appauvrissement si les membres des FC, notamment les acheteurs, étaient assujettis à l’obligation d’obtenir des soumissions non pas des fournisseurs, mais de ceux auprès desquels ces fournisseurs s’approvisionnent.  Dans un tel cas, il ne suffirait pas à un acheteur de demander à une organisation telle J.M. Murphy ou Big Eric, déjà mentionnée, de lui faire un prix parce qu’il est clair que ces organisations obtiennent leur matériel auprès d’autres organisations.  Il lui incomberait de s’adresser plutôt directement aux fournisseurs de ces organisations pour obtenir un prix.

 

[44]                  De l’avis de la Cour, l’existence d’une telle obligation et d’un manquement à cette obligation n’ont pas été démontrés.  Par conséquent, la Cour ne peut conclure que la preuve d’une privation a été faite.  Il est clair que les achats dont la valeur ne dépasse pas 1000 $ ne requièrent qu’une seule soumission. Sur ce point, la seule preuve dont dispose la Cour est l’évaluation du prix faite par les acheteurs dans leur témoignage, et ceux-ci ont affirmé qu’il s’agissait d’un prix juste, ce que confirme l’énoncé des circonstances.  Leur témoignage ne souffre que d’une exception, mais celle-ci concernait non pas DA Imports mais plutôt l’autre entreprise, A2Z, et une question de justification de la valeur d’une marque de café.

 


[45]                  En somme, la Cour n’est pas convaincue que la preuve d’une privation a été faite. J’ajouterais que le fait de spolier quelqu’un de quelque bien par supercherie constitue essentiellement une fraude et que l’ancien premier maître de 2e classe Tobin n’a pas été déclaré coupable de fraude et ne sera pas puni pour ce dont il n’a pas été reconnu coupable. 

 

[46]                  Pour ce qui est de la deuxième question soulevée, qui a trait à l’utilisati­on par le contrevenant de collègues qui lui faisaient confiance et à l’affirmation de la Cour selon laquelle elle n’avait pas à en tenir compte au chapitre des facteurs aggravants, la Cour dirait ceci : il est évident que lorsqu’il traitait avec des acheteurs, l’ancien premier maître de 2e classe Tobin était généralement respecté et apprécié. Mais il n’y a aucune preuve qui démontre qu’il les aurait impliqués dans un stratagème en tentant, par exemple, de les convaincre de passer par-dessus un détail ou de céder à ses pressions. Par ailleurs, l’abus de confiance que la Cour était chargée d’examiner et dont l’accusé a été déclaré coupable, a été commis à l’endroit d’une institution, et non de particuliers.

 

[47]                  La troisième question qu’a soulevée la poursuite est celle des retards et elle reproche à la Cour de n’avoir pas compris ou fait un usage approprié de la preuve à cet égard.  Comme je l’ai dit auparavant, la Cour estime que trois ans se sont écoulées entre la date de la dernière infraction inscrite sur l’acte d’accusation et le début de l’instruction de la présente affaire en cour martiale.  Je devrais dire, en fait, 2 1/2 ans à compter de la dernière infraction, qui a pris fin le 31 mai 2002, mais environ trois, si on considère que l’accusation à laquelle l’ancien premier maître de 2e classe Tobin a plaidé coupable fait mention de janvier 2002.  La preuve indique égale qu’au cours de cette période de trois ans, l’ancien  premier maître de 2e classe Tobin a été libéré des Forces canadiennes et a reçu des prestations d’assurance-maladie.

 

[48]                  La Cour consent volontiers à inférer qu’il est improbable que l’enquête ait débuté plus tôt qu’aux alentours du 31 mai 2002, soit à la date mentionnée à  la dernière accusation.  De même, il est évident qu’une enquête de cette complexité n’a pu être bouclée en 30 ou même 60 jours.  Selon la preuve soumise, l’enquête était toujours en cours en décembre 2002 : dans un affidavit produit sous la cote no 9, il est écrit que des documents ont été présentés à la police militaire en décembre 2002.  Comme l’a fait remarquer la poursuite à une étape antérieure, aucune preuve ne permet de déterminer le moment exact du dépôt des accusations dans cette affaire, de sorte que la Cour n’est pas en mesure de dire à partir de quel moment l’ancien premier maître de 2e classe Tobin s’est trouvé dans une situation compromettante.  Certains éléments de preuve produits en cour font état de la découverte récente, soit la semaine dernière, de ce que l’on pourrait appeler des documents connexes, c’est-à-dire étayant les conclusions de l’enquête.

 


[49]                  La Cour n’est pas en mesure d’affirmer si les retards sont justifiés ou non. Par contre, elle peut conclure que ces trois années représentent un délai relativement long, et c’est ce qu’elle a fait en l’espèce.  La Cour a procédé à un nouvel examen des arguments de la poursuite afin de voir s’ils parviennent à la convaincre qu’un emprisonnement de 34 jours est justifié ou s’ils font la démonstration que le raisonnement de la Cour est entaché d’une erreur fondamentale qui pourrait l’amener à réévaluer la peine proposée.  La Cour a conclu qu’aucune des questions soulevées ne justifie de reconsidérer l’emprisonnement et pour cette raison, son évaluation demeure la même.

 

[50]                  L’avocat de la défense a soumis deux observations. La première, en résumé, concernait le montant de l’amende proposée : l’avocat a émis l’hyptohèse que ce montant ne devrait peut-être pas dépasser celui des gains.  À cela, la Cour répondrait qu’elle ne s’est pas laissée guidée par ce critère en l’espèce, bien qu’il puisse par ailleurs  servir à déterminer le montant minimum de toute amende.  En fait, n’eût été des facteurs atténuants que la preuve a révélés, la Cour aurait infligé une amende beaucoup plus élevée. La défense a également demandé si la Cour avait tenu compte des documents non communiqués dans cette affaire. La réponse est que s’ils avaient occasioné d’autres retards, la Cour en aurait tenu compte dans l’éventualité où l’accusé aurait été déclaré coupable.  Compte tenu des circonstances, on n’en a pas tenu compte et ils n’ont pas servi à réduire la peine.

 

[51]                  La Cour a écouté et examiné les observations des avocats et demeure convaincue qu’un emprisonnement de plus de 30 jours n’est pas justifié eu égard à l’infraction et à son auteur et qu’une telle peine ne servirait pas l’intérêt général.

 

[52]                  Ancien premier maître de 2e classe, veuillez vous lever.  La Cour vous condamne à un blâme de même qu’à une amende de 3000 $.  L’audience tenue par la présente cour martiale concernant l’ancien premier maître de 2e classe Tobin est levée.

 

 

 

 

COLONEL K.S. CARTER, J.M.

 

 

Avocats :

 

 

Le major A.J. Carswell, Direction des poursuites militaires, région du Centre

Procureur de Sa Majesté la Reine

Major R.F. Holman, Direction des poursuites militaires, région de l’Atlantique

Procureur de Sa Majesté la Reine

Le lieutenant-colonel D.T. Sweet, Direction du service d’avocats de la défense

Avocat de l’Ex- premier maître de 2e classe Tobin

 

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