Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l'ouverture du procès : 4 avril 2011

Endroit : 6080 rue Young, 5e étage, pièce 506, Halifax (NÉ)

Chefs d'accusation
•Chefs d’accusation 1, 2, 3 : Art. 85 LDN, a insulté verbalement un supérieur.

Résultats
•VERDICTS : Chefs d’accusation 1 ,2, 3 : Non coupable.

Remarque:
Aux termes du paragraphe 192(2) de la Loi sur la défense nationale, les membres du comité d’une cour martiale générale doivent uniquement rendre les verdicts applicables au cas. Par conséquent, les membres du comité de la cour martiale ne motivent pas leurs décisions.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

Référence : R c MacLellan, 2011 CM 3005

 

Date : 20110520

Dossier : 201067

 

Cour martiale générale

 

Base des Forces canadiennes Halifax

Halifax (Nouvelle-Écosse) Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Capitaine J. C. MacLellan, accusé

 

 

Devant : Lieutenant-colonel L.-V. d’Auteuil, J.M.

 


 

TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE

 

MOTIFS CONCERNANT LA DEMANDE FAITE PAR L’ACCUSÉ EN VUE DE FAIRE UN NOUVEAU CHOIX QUANT AU TYPE DE COUR MARTIALE

 

(Prononcés de vive voix)

 

INTRODUCTION

 

[1]               Le Capitaine MacLellan est accusé de trois infractions punissables en vertu de l’article 85 de la Loi sur la défense nationale (LDN) pour avoir insulté verbalement un supérieur.  Il aurait essentiellement tenu des propos insultants à trois moments différents au cours d’une vive altercation avec son commandant, le Lieutenant-colonel Lewis, le 24 juillet 2010, à l’école de vol à voile de Debert (Nouvelle-Écosse).

 

[2]               À la suite d’une seconde audition préliminaire, avant le plaidoyer et après les prestations de serment, l’avocat de la défense, conformément à l’article 191 de la Loi sur la défense nationale (LDN), a demandé au juge militaire présidant la présente cour martiale de statuer, en l’absence des membres du comité de la cour martiale, sur la question du droit de l’accusé de faire un nouveau choix quant au type de cour martiale afin de permettre au Capitaine MacLellan de choisir à nouveau d’être jugé par une cour martiale permanente.

 

[3]               Cette requête préliminaire a été présentée dans le cadre d’une demande faite en vertu de l’alinéa 112.05(5)e) et de l’article 112.07 des Ordonnances et règlements royaux (ORFC) à l’égard d’une question de droit ou d’une question mixte de droit et de fait devant être tranchée par le juge militaire présidant la présente cour martiale générale, et l’audience a été tenue par vidéoconférence le 21 avril 2011.

 

PROCÉDURES

 

[4]               Les trois accusations énoncées dans l’acte d’accusation du 29 novembre 2011 ont été prononcées par le directeur des poursuites militaires le 1er décembre 2010.

 

[5]               Étant donné que les articles 165.191 et 165.192 de la LDN ne prévoient aucune demande en raison de la nature de l’infraction reprochée à l’accusé, soit l’insubordination au sens de l’article 85 de la LDN, l’administrateur de la cour martiale (ci-après appelé l’ACM) a informé le Capitaine MacLellan qu’il pouvait faire un choix en vertu du paragraphe 165.193(2), et ce dernier a choisi, selon son avocat, d’être jugé par une cour martiale générale.

 

[6]               Conformément à l’article 165.25 de la LDN, le juge militaire en chef m’a désigné pour présider la cour martiale du Capitaine MacLellan.  Le 1er mars 2011, l’ACM a convoqué la cour martiale générale du Capitaine MacLellan en vue de sa tenue le 4 avril 2011 à Halifax.

 

[7]               Le 4 avril 2011, la cour a dû se pencher sur une première demande préliminaire faite par la poursuite concernant l’admissibilité d’un aveu non officiel fait par l’accusé.  À la fin de l’audition de cette première demande, le 6 avril 2011, l’avocat de la défense a indiqué à la cour que le Capitaine MacLellan avait intérêt à faire un nouveau choix quant au type de cour martiale.  L’avocat de la poursuite a dit à la cour qu’il souhaitait en discuter avec les autorités du DPM avant de prendre position sur cette question.

 

[8]               Le lendemain, avant le début de l’audition de la demande préliminaire de l’accusé fondée sur la Charte canadienne des droits et libertés (ci-après appelée la Charte) concernant une allégation d’abus de procédure, l’avocat de la poursuite a indiqué à la cour que, dans l’éventualité où l’accusé voudrait faire un nouveau choix quant au type de cour martiale en choisissant d’être jugé par une cour martiale permanente plutôt que par une cour martiale générale, il ne consentirait pas à ce que le Capitaine MacLellan fasse ce nouveau choix.

 

[9]               J’ai alors indiqué à l’avocat de la défense que s’il voulait que la cour se penche sur cette question, il devait présenter une demande préliminaire en ce sens.  L’avocat de la défense a dit à la cour qu’il ne voulait pas présenter une telle demande à ce moment.

 

[10]           À la fin de la seconde audition, le 16 avril 2011, l’avocat de la défense a clairement indiqué à la cour qu’il avait l’intention de présenter une demande visant à permettre à son client de faire un nouveau choix quant au type de cour martiale.  L’avocat de la poursuite a répété qu’il ne consentirait pas à ce que l’accusé fasse un nouveau choix lui permettant d’être jugé par une cour martiale permanente.  J’ai dit aux deux parties qu’une fois mes décisions prises quant aux deux demandes préliminaires, je serais prêt à me pencher sur cette demande.  Cependant, j’ai clairement dit à l’avocat de la défense qu’il allait devoir donner un avis écrit conformément aux paragraphes 112.04(1) et (2) des ORFC.  Il a dit qu’il allait le faire au cours des deux semaines suivantes.

 

[11]           Cependant, le 20 avril 2011, à ma demande, une conférence téléphonique a eu lieu avec l’avocat de la poursuite et l’avocat de la défense au cours de laquelle je leur ai dit que j’étais prêt à entendre la demande de l’accusé concernant son droit de faire un nouveau choix quant au type de cour martiale par vidéoconférence, c’est-à-dire plus tôt que je l’avais annoncé initialement, parce que je croyais que cela permettrait d’accélérer les procédures.  Ils ont tous les deux consenti à procéder de cette façon, et l’audience concernant la présente demande préliminaire a été tenue par la cour le 21 avril 2011, en présence du Capitaine MacLellan.

 

POSITION DU DEMANDEUR

 

[12]           Le Capitaine MacLellan fait valoir qu’il n’existe aucune règle ni aucun règlement régissant la question d’un nouveau choix à la présente étape.  Selon lui, le juge militaire présidant la présente cour martiale générale a une compétence inhérente à l’égard de sa procédure en vertu de l’alinéa 179(1)d), comme l’indique la décision rendue par la cour martiale dans l’affaire Lelièvre[1], et il peut permettre à l’accusé de faire un nouveau choix lui permettant d’être jugé par une cour martiale permanente.

 

[13]           L’avocat de la défense a dit à la cour que, selon la décision rendue par la Cour d’appel de la cour martiale (ci-après appelée la CACM) dans l’affaire Trépanier[2], il était clairement établi que le droit de l’accusé de choisir son type de cour martiale fait partie du principe de justice fondamentale de la défense pleine et entière garanti par la Charte.

 

[14]           Ainsi, le droit de prendre une décision éclairée quant au type de cour martiale que l’accusé aimerait voir connaître des accusations fait partie de ce principe de justice fondamentale selon notre Constitution.  À la suite de ce qu’il a découvert au sujet de la preuve dans le cadre des deux voir-dire précédents, l’avocat de la défense estime que son client a le droit de faire un nouveau choix parce que sa compréhension de ce qui l’attend est meilleure maintenant qu’au premier jour des procédures.  L’avocat de la défense affirme que, s’il est autorisé à faire un nouveau choix quant au type de cour martiale afin d’être jugé par une cour martiale permanente, cela évitera un dédoublement des éléments de preuve qu’il entend présenter à la cour martiale et qu’il est convaincu que son client bénéficiera d’un procès équitable devant une cour martiale permanente présidée par le même juge militaire que celui qui préside la présente cour martiale générale.  Aussi, étant donné que les membres du comité n’ont pas encore prêté serment, il est encore temps pour son client de procéder à un nouveau choix.  Enfin, il soutient que le droit de choisir comprend le droit de choisir à nouveau si la situation a changé, ce qu’il prétend être le cas en l’espèce.

 

[15]           Enfin, si son client est autorisé à faire un nouveau choix, il aimerait que la cour ordonne que tous les éléments de preuve présentés dans le cadre des deux voir-dire soient transférés dans le procès principal.

 

POSITION DE LA DÉFENDERESSE

 

[16]           L’avocat de la poursuite soutient que le paragraphe 165.193(5) de la LDN contient toutes les réponses quant à la procédure à suivre relativement à un nouveau choix de l’accusé lui permettant d’être jugé par un type différent de cour martiale.  Il prétend donc que, pour ce faire, le consentement écrit du DPM est nécessaire pour que l’accusé puisse choisir à nouveau d’être jugé par une cour martiale permanente, et il a été décidé qu’un tel consentement ne serait pas accordé.

 

[17]           Il affirme que l’article 165.193 de la LDN a été édicté en 2008 par le législateur, avec certaines autres dispositions, pour donner suite à la décision de la CACM dans l’affaire Trépanier[3].  Il prétend que le paragraphe 5 de cet article vise à faire contrepoids au pouvoir discrétionnaire du poursuivant.  Il dit que le DPM a le droit de refuser une demande en ce sens faite par l’accusé sans donner de raison, et que la cour n’a pas le droit de contrôler l’exercice par le DPM du pouvoir discrétionnaire du poursuivant que lui confère la LDN et qui lui permet de prendre une décision en cette matière.

 

[18]           Il affirme que l’accusé a d’abord fait un choix quant au mode de procès, soit celui d’être jugé par une cour martiale, et que lorsqu’on le lui a demandé, il a fait un choix quant au type de cour martiale par laquelle il voulait être jugé, soit une cour martiale générale.  L’accusé a chaque fois pris une décision éclairée, et l’avocat de la poursuite est d’avis que le comité de la présente cour martiale peut faire le travail sans aucun problème.

 

[19]           Enfin, l’avocat de la poursuite affirme que la cour n’a pas le pouvoir de transférer les éléments de preuve dans le procès principal parce que, du point de vue de la meilleure preuve à présenter à la cour, cela ne peut se faire que si l’avocat de la poursuite y consent.  Comme il n’y a aucun consentement de la part de la poursuite, la seule façon de produire des éléments de preuve pour les deux parties est de citer des témoins et de produire des documents conformément aux règles de la preuve.

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

[20]           La présente demande faite par le demandeur soulève certaines questions, et à la lumière de la position respective des parties, les questions auxquelles la cour doit répondre peuvent être formulées de la façon suivante :

 

a.       Le paragraphe 165.193(5) de la LDN s’applique-t-il à la présente étape du présent procès devant une cour martiale générale, et dans l’affirmative, comment s’applique-t-il en l’espèce?

 

b.      Si la réponse à la première question est non, existe-t-il une autre disposition applicable de la LDN ou de toute autre loi qui indique si l’accusé peut ou non faire un nouveau choix lui permettant d’être jugé par une cour martiale permanente?

 

c.       S’il n’existe aucune autre disposition ou loi applicable, la cour a-t-elle le pouvoir inhérent de décider si l’accusé peut faire un nouveau choix lui permettant d’être jugé par une cour martiale permanente?

 

d.      Si la présente cour permet au Capitaine MacLellan de choisir d’être jugé par une cour martiale permanente, qui en sera le président?

 

e.       Si le Capitaine MacLellan est jugé par une cour martiale permanente, la preuve produite dans le cadre des deux voir-dire peut-elle être transférée à titre de preuve dans le procès principal?

 

ANALYSE

 

Application du paragraphe 165.193(5) de la LDN

 

[21]           Le 24 avril 2008, la CACM a rendu sa décision dans l’affaire Trépanier[4].  Comme je l’ai mentionné dans les décisions que j’ai rendues dans les affaires Strong[5] et Brisson[6] au sujet du droit de l’accusé de choisir le type de cour martiale par laquelle il aimerait être jugé, cette décision a fait deux choses :

 

a.       elle a déclaré nul ab initio le pouvoir conféré par la LDN au DPM de déterminer le type de cour martiale devant juger un accusé et, en conséquence, elle a déclaré inconstitutionnellement invalides l’article 165.14 de la LDN et le passage « conformément à la décision du [DPM] prise aux termes de l’article 165.14 » figurant dans le paragraphe 165.19(1) de la LDN et le paragraphe 111.02(1) des ORFC;

 

b.       elle a établi qu’une personne assujettie au code de discipline militaire et accusée d’une infraction d’ordre militaire doit avoir la possibilité d’exercer son droit de choisir le type de cour martiale par laquelle elle veut être jugée après que le DPM a prononcé la mise en accusation, et que ce droit ne peut être exercé par personne d’autre.

 

[22]           Faisant suite à la décision Trépanier[7], le législateur a apporté des modifications à la LDN pour encadrer le droit d’un accusé de choisir le type de cour martiale par laquelle il aimerait être jugé.  Ces modifications sont entrées en vigueur le 18 juillet 2008.

 

[23]           Entre autres modifications, les articles 165.191 à 165.193 de la LDN ont été ajoutés dans la section de l’Administrateur de la cour martiale pour permettre à la personne accusée, dans certaines circonstances, de choisir le type de cour martiale qui sera convoquée.  Alors que l’article 165.191 de la LDN concerne les infractions d’ordre militaire pour lesquelles une cour martiale générale doit être convoquée par l’ACM, et que l’article 165.192 de la LDN concerne celles pour lesquelles l’ACM doit convoquer une cour martiale permanente, l’article 165.193 de la LDN traite de celles pour lesquelles l’ACM doit convoquer le type de cour martiale choisi par l’accusé.  L’accusé a fait son premier choix conformément à l’article 165.193 de la LDN en raison de la nature des accusations portées contre lui.

 

[24]           D’ailleurs, les dispositions réglementaires correspondant à ce dernier article de la LDN se trouvent au chapitre 111 des ORFC, qui s’intitule « La convocation des cours martiales et l’administration préliminaire des procès ».  Plus précisément, les articles 111.023, 111.024 et 111.025 des ORFC traitent de la question du choix du type de cour martiale par l’accusé.

 

[25]           Une simple lecture de l’article 165.193 de la LDN révèle clairement que celui-ci a été ajouté par le législateur pour donner à l’accusé la possibilité de dire à l’ACM par quel type de cour martiale il veut être jugé.  Une fois que la cour martiale a commencé, l’ACM n’a aucun pouvoir d’imposer un changement de type de cour martiale.

 

[26]           J’estime donc que l’article 165.193 de la LDN ne s’applique que pour permettre à une personne accusée, dans certaines circonstances, de choisir le type de cour martiale qui sera convoquée par l’ACM et qu’il ne s’applique pas une fois que la cour martiale a commencé conformément à l’ordre de convocation.

 

[27]           Je conclus que l’article 165.193 de la LDN ne s’applique pas à la présente étape de la présente instance devant une cour martiale générale.

 

Existe-t-il une autre disposition applicable de la LDN ou de toute autre loi?

 

[28]           Une lecture de la LDN révèle aussi clairement qu’il n’existe aucune disposition applicable à l’égard d’un nouveau choix du type de procès par l’accusé une fois que la cour martiale a commencé et avant le plaidoyer.  Sur le plan de la procédure, il n’y a rien dans la règlementation, mis à part l’article 101.07 des ORFC, qui prévoit ceci :

 

Lorsqu’au cours de procédures intentées en vertu du code de discipline militaire se produit une situation que ne prévoient ni les ORFC ni les ordres ou directives donnés aux Forces canadiennes par le chef d’état-major de la défense, on suit la méthode qui semble la plus susceptible de rendre justice.

 

[29]           Très souvent, l’autre loi que la cour peut utiliser comme source de comparaison pour certaines questions de procédure est le Code criminel du Canada.  Curieusement, personne n’a fait état des dispositions du Code criminel en matière de nouveau choix et de la mesure dans laquelle elles pouvaient être pertinentes quant à la présente question.

 

[30]           Selon l’article 536 du Code criminel, si le prévenu est inculpé d’une infraction lui permettant de choisir le mode de procès, c’est-à-dire d’être jugé par un juge sans jury ou par un tribunal composé d’un juge et d’un jury, il est autorisé à faire ce choix.

 

[31]           D’ailleurs, si pour une raison quelconque, ce prévenu veut choisir à nouveau le mode de procès en demandant d’être jugé par un juge sans jury plutôt que par un tribunal composé d’un juge et d’un jury, l’alinéa 561(1)c) du Code criminel donne des indications au sujet de ce nouveau choix.  Il prévoit notamment ce qui suit :

 

561. (1) Un prévenu qui a choisi ou qui est réputé avoir choisi d’être jugé autrement que par un juge de la cour provinciale peut choisir 

 

...

 

cà partir du quinzième jour qui suit la conclusion de son enquête préliminaire, tout mode de procès avec le consentement écrit du poursuivant.

 

[32]           Ce que cela signifie pour la cour, c’est qu’un juge de cour supérieure présidant un procès devant juge et jury pourrait permettre à un prévenu, dans certaines circonstances, comme lorsque le jury n’a pas encore été constitué ou appelé à siéger pour la première fois après l’inscription du plaidoyer, de choisir à nouveau son mode de procès.  Il appartient toutefois au juge présidant ce procès d’apprécier les circonstances et aussi de demander le consentement du poursuivant en ce sens.

 

[33]           La jurisprudence indique clairement que le consentement du poursuivant est nécessaire en vertu de cet article et que la cour ne peut substituer son propre pouvoir discrétionnaire à celui du poursuivant ou contester l’exercice de celui-ci sans avoir une indication claire qu’il a été exercé d’une manière abusive.

 

[34]           Cependant, cette disposition ne s’applique pas en soi à la procédure qui doit être suivie par une cour martiale.

 

[35]           La cour conclut donc qu’il n’existe aucune autre disposition applicable de la LDN ou de toute autre loi qui indique si l’accusé peut ou non faire un nouveau choix lui permettant d’être jugé par une cour martiale permanente.

 

La cour a-t-elle le pouvoir inhérent de décider si l’accusé peut faire un nouveau choix lui permettant d’être jugé par une cour martiale permanente?

 

[36]           Compte tenu de l’absence de disposition pouvant indiquer à la cour comment procéder à l’égard d’une demande faite par l’accusé en vue de faire un nouveau choix quant au type de cour martiale une fois qu’elle a commencé, mais avant l’inscription d’un plaidoyer, la cour peut donc se demander s’il s’agit d’une question qu’elle peut régler de sa propre autorité.

 

[37]           Comme je l’ai indiqué précédemment, la décision de la CACM dans l’affaire Trépanier[8] éclaire la cour sur la nature même du droit de l’accusé de choisir le type de cour martiale.  À cet égard, la CACM a établi ce qui suit :

 

a.       une personne assujettie au code de discipline militaire et accusée d’une infraction d’ordre militaire doit avoir la possibilité d’exercer son droit de choisir le type de cour martiale par laquelle elle veut être jugée après que le DPM a prononcé la mise en accusation;

 

b.      le droit de choisir le type de cour martiale ne peut être exercé par personne d’autre.

 

[38]           Au paragraphe 93 de la décision Trépanier[9], la CACM a parlé de la nature de ce droit de choisir et de la façon dont il participe du droit à une défense pleine et entière :

 

En toute déférence, le droit en cause dans la présente instance n’est pas le droit de choisir, mais le droit d’une personne inculpée de présenter une défense pleine et entière et de contrôler la conduite de sa défense. Ce droit à une défense pleine et entière et au contrôle de sa défense est garanti par l’alinéa 11d) de la Charte dans le cadre du droit à une audience équitable. Nous l’avons mentionné, il s’agit d’un droit constitutionnel qui, a déclaré la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Swain, relève des principes de justice fondamentale… C’est à ce niveau, toutefois, que le droit de choisir le juge des faits peut empiéter sur le droit constitutionnel de l’accusé de présenter une défense pleine et entière et de contrôler la conduite de cette défense de façon à le priver de ce droit constitutionnel, en violation des principes de justice fondamentale.

 

[39]           La cour doit donc décider s’il y a lieu, à la présente étape de l’instance, de permettre à l’accusé de choisir une deuxième fois le juge des faits dans le cadre de l’exercice de son droit constitutionnel d’obtenir une audience équitable, c.-à-d. de présenter une défense pleine et entière et de contrôler la conduite de sa défense.

 

[40]           Qu’est-ce qui pourrait autoriser la cour à prendre une telle décision?  L’accusé a laissé entendre que le paragraphe 179(1) de la LDN était la disposition qui autorisait la cour à prendre cette décision.  Ce paragraphe se lit ainsi :

 

179. (1) La cour martiale a, pour la comparution, la prestation de serment et l’interrogatoire des témoins, ainsi que pour la production et l’examen des pièces, l’exécution de ses ordonnances et toutes autres questions relevant de sa compétence, les mêmes attributions qu’une cour supérieure de juridiction criminelle, notamment le pouvoir de punir l’outrage au tribunal.

 

[41]           Je conviens avec l’avocat de la défense que, comme l’a affirmé le juge militaire en chef dans l’affaire Lelièvre :

 

… la cour martiale a le pouvoir inhérent de contrôler sa procédure sur des questions résiduelles qui ne sont pas traitées dans la loi ou les règlements[10].

 

[42]           Cependant, la cour martiale peut le faire s’il s’agit d’une question qui relève de sa compétence, c’est-à-dire quelque chose qu’une cour supérieure de juridiction criminelle est habilitée à faire.  Compte tenu de mes commentaires à l’égard de l’application de l’alinéa 561(1)c) du Code criminel, je conclus que, lorsqu’elle se trouve à la même étape de l’instance que la présente cour, une cour supérieure de juridiction criminelle est investie du pouvoir de permettre à un accusé de choisir à nouveau le mode de procès afin d’être jugé par un juge sans jury plutôt que par un tribunal composé d’un juge et d’un jury.

 

[43]           Après avoir conclu que la demande de l’accusé visant à déterminer si la cour peut lui permettre de faire un nouveau choix quant au type de cour martiale afin d’être jugé par une cour martiale permanente est une question qui relève de la compétence de la présente cour martiale générale, la cour doit maintenant décider s’il y a lieu de permettre au Capitaine MacLellan de le faire à la présente étape de l’instance.

 

[44]           Il apparaît clairement à la cour qu’en l’absence de disposition de la LDN traitant de cette question, elle doit donner effet au droit constitutionnel de l’accusé d’obtenir un procès équitable en lui permettant de choisir d’être jugé par une cour martiale permanente plutôt que par une cour martiale générale.  La cour permettra ainsi à l’accusé de présenter une défense pleine et entière et de contrôler la conduite de sa défense.

 

[45]           D’ailleurs, l’avocat de la défense a clairement indiqué à la cour que les choses ont changé depuis que son client a choisi d’être jugé par une cour martiale générale parce que, à la suite des deux voir-dire, celui-ci a maintenant une meilleure compréhension de la preuve relative à la présente affaire.  Essentiellement, la cour comprend que, comme il n’existe aucun processus d’enquête préliminaire dans le système des cours martiales, les deux voir-dire ont également servi de processus de communication préalable permettant à l’accusé de préparer sa cause, ce qui l’a amené à demander à la cour de lui donner une autre possibilité de choisir le juge des faits.

 

[46]           La cour considère que ce qui est invoqué par l’accusé à l’appui de sa demande correspond exactement au motif pour lequel il doit être autorisé à faire un nouveau choix quant au type de procès.  Si l’accusé soutient que, parce qu’il a maintenant une meilleure connaissance de la preuve qui lui a été communiquée dans la présente affaire qu’avant le début du procès, il aimerait être jugé par une cour martiale permanente et conduire sa défense devant celle-ci, il doit être autorisé à le faire dans le cadre de l’exercice de son droit constitutionnel à un procès équitable.

 

[47]           Cela peut-il se faire à la présente étape de l’instance devant la présente cour martiale générale?  La cour conclut que, dans les circonstances de l’espèce, cela peut se faire parce que :

 

a.       l’accusé n’a pas encore inscrit de plaidoyer;

 

b.      les membres du comité n’ont pas été appelés et assermentés.  Aucun élément de preuve n’a donc été soumis au juge des faits pour que celui-ci se prononce sur l’innocence ou la culpabilité de l’accusé à l’égard des trois chefs d’accusation énoncés dans l’acte d’accusation;

 

c.       malgré les deux décisions que j’ai rendues sur des questions préliminaires soulevées par les deux parties à titre de questions de droit ou de questions mixtes de droit et de fait devant être tranchées par le juge militaire présidant la cour martiale, l’une concernant l’admissibilité d’un aveu non officiel fait par l’accusé, et l’autre une demande de suspension de l’instance devant la cour martiale, quel qu’en soit le type, le type de cour martiale n’a pas été considéré comme un facteur dans aucune d’elles.  En réalité, la décision aurait été la même, peu importe le type de cour martiale;

 

d.      bien que l’on puisse considérer que le procès a débuté parce que la cour martiale a commencé à entendre la preuve se rapportant à l’innocence ou à la culpabilité de l’accusé puisque je me suis prononcé sur une partie de celle-ci dans le cadre du voir-dire relatif à l’admissibilité de l’aveu non officiel fait par l’accusé, le juge militaire qui présiderait la cour martiale, quel qu’en soit le type, serait le même, ce qui n’aurait aucune incidence sur le déroulement ou l’équité du procès.  Je reviendrai sur ce point plus loin lorsque j’aborderai la question de savoir qui peut présider.

 

[48]           Maintenant que j’ai décidé que l’accusé peut être autorisé à faire un nouveau choix quant au type de cour martiale et que ce choix peut être exercé à la présente étape de la présente instance, l’approbation du DPM est-elle nécessaire pour ce faire?

 

[49]           La présente cour conclut que l’approbation du DPM n’est pas nécessaire pour permettre à l’accusé d’exercer son droit de choisir à nouveau d’être jugé par une cour martiale permanente.  Dans la décision Trépanier, la CACM a clairement indiqué qu’il n’a pas le statut de procureur au sens du Code criminel.  La CACM a dit ceci :

 

le Directeur est une création récente de la loi et que, à la différence du procureur général du Canada et des procureurs généraux des provinces, il ne possède aucun des privilèges et prérogatives historiques découlant de la common law que détient et exerce le procureur général d’Angleterre[11].

 

[50]           Étant donné que la CACM a conclu que le DPM ne possède aucun des privilèges et prérogatives découlant de la common law que détient un procureur puisque cette fonction est définie dans le Code criminel, et que la LDN ne contient aucune disposition permettant au DPM d’exercer de tels privilèges et prérogatives à la présente étape, je conclus donc qu’aucun pouvoir discrétionnaire du poursuivant ne doit être exercé par le procureur militaire au nom du DPM pour que la cour puisse permettre à l’accusé de faire un nouveau choix quant au type de cour martiale.

 

[51]           Je conclus que la présente cour martiale générale a le pouvoir inhérent de permettre au Capitaine MacLellan de choisir d’être jugé par une cour martiale permanente et que le DPM ne possède aucun pouvoir discrétionnaire du poursuivant obligeant la cour à obtenir son consentement pour le faire.

 

Qui présidera la cour martiale?

 

[52]           Maintenant, si l’accusé choisissait d’être jugé par une cour martiale permanente, le juge militaire qui préside la cour martiale générale pourrait-il présider ce différent type de cour martiale?

 

[53]           Le juge militaire en chef a désigné un juge pour chaque cour martiale, comme l’exige l’article 165.125 de la LDN, qui se lit ainsi :

 

165.25 Le juge militaire en chef désigne un juge militaire pour chaque cour martiale et lui confie les fonctions judiciaires prévues sous le régime de la présente loi.

 

[54]           Le terme « cour martiale » est défini à l’article 2 de la LDN et signifie ceci :

 

« cour martiale » La cour martiale pouvant siéger sous les appellations de cour martiale générale ou cour martiale permanente.

 

[55]           Je conclus qu’une fois qu’un juge militaire a été désigné pour une cour martiale par le juge militaire en chef, il est désigné pour les deux types de cour martiale, qu’il y ait ou non un changement.  D’ailleurs, je peux dire aux deux parties que j’ai été désigné par le juge miliaire en chef pour présider la cour martiale du Capitaine MacLellan.

 

[56]           Par conséquent, je considère que si le Capitaine MacLellan choisit, une fois qu’il y aura été autorisé, d’être jugé par une cour martiale permanente, je continuerai à présider sa cour martiale conformément à son choix quant au type de cour martiale.

 

La preuve produite dans le cadre des deux voir-dire peut-elle être transférée à titre de preuve dans le procès principal?

 

[57]           La cour conclut que la preuve produite dans le cadre des deux voir-dire tenus par la cour martiale générale ne pourra servir de preuve dans le procès principal devant la cour martiale permanente que si les deux parties y consentent.  Le droit est clair sur ce point.  La preuve produite dans le cadre d’un voir-dire ne peut être utilisée dans le procès principal lui-même que si les deux parties y consentent[12].

 

 

DÉCISION

 

[58]           Donc, la cour :

 

ACCUEILLE en partie la demande faite par le Capitaine MacLellan.

 

PERMET au Capitaine MacLellan de faire un nouveau choix quant au type de cour martiale lui permettant d’être jugé par une cour martiale permanente.

 

REJETTE la demande par laquelle le Capitaine MacLellan a demandé à la cour d’ordonner le transfert de la preuve produite dans le cadre des deux voir-dire dans le procès principal.

 


 

Avocats :

 

Major P. Rawal, Service canadien des poursuites militaires

Procureur de Sa Majesté la Reine

 

M. Kevin MacDonald, Crowe Dillon Robionson, Avocats, 2000-7075 Bayers Road, Halifax (Nouvelle-Écosse) B3L 2C1

Avocat du Capitaine John C. MacLellan

 



[1] Voir R. c. Lelièvre, 2007 CM 1011, au par. 5

[2] R. c. Trépanier, 2008 CACM 3

[3] Id. note 2

[4] Ibid.

[5] Voir R. c. Strong, 2008 CM 3019, au par. 34

[6] Voir R. c. Brisson, 2008 CM 3004, au par. 9

[7] Supra note 2

[8] Ibid.

[9] Supra note 2

[10] Ibid. note 1

[11] Supra note 2, au par. 98

[12] Voir R. c. Erven, [1979] 1 R.C.S. 926, à la p. 932 et R. c. Darrach, 2000 CSC 46, au par. 66.

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