Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l'ouverture du procès : 16 juin 2011

Endroit : 6080 rue Young, 5e étage, salle d'audience, Halifax (NÉ)

Chefs d'accusation
•Chefs d'accusation 1, 4, 6, 8 : Art. 90 LDN, s'est absenté sans permission.
•Chef d'accusation 2 : Art. 83 LDN, a désobéi à un ordre légitime d'un supérieur.
•Chef d'accusation 3 : Art. 101.1 NDA, a omis de se conformer à une condition imposée sous le régime de la section 3.
•Chefs d'accusation 5, 7 : Art 101.1 NDA, a omis de se conformer à une condition d'une promesse remise sous le régime de la section 3.

Résultats
•VERDICTS : Chefs d'accusation 1, 3, 4, 5, 6, 7, 8 : Coupable. Chef d'accusation 2 : Retiré.
•SENTENCE : Détention pour une période de 23 jours et une amende au montant de 2000$.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

Référence : R c Coombs, 2011 CM 3006

 

Date : 20110616

Dossier : 201128

 

Cour martiale permanente

 

Base des Forces canadiennes Halifax

Halifax (Nouvelle-Écosse), Canada

 

Entre: 

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

et

 

Matelot de 3e classe K. C. Coombs, contrevenant

 

 

Devant : Lieutenant-colonel L.-V. d’Auteuil, J.M.

 


 

TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE

 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Prononcés de vive voix)

 

[1]               Matelot de 3e classe Coombs, la cour a accepté et inscrit votre plaidoyer de culpabilité à l’égard du premier et du troisième au huitième chefs d’accusation figurant dans l’acte d’accusation et vous déclare maintenant coupable de ces infractions. Le deuxième chef d’accusation ayant été retiré par la poursuite, la cour n’a donc aucune autre accusation à examiner.

 

[2]               À titre de juge militaire présidant la cour martiale permanente, il m’incombe maintenant de déterminer la peine.

 

[3]               Le système de justice militaire constitue l’ultime recours pour faire respecter la discipline, qui est une dimension essentielle de l’activité militaire dans les Forces canadiennes.  Le but de ce système est de prévenir l’inconduite ou, de façon plus positive, de favoriser la bonne conduite.  C’est grâce à la discipline que les forces armées s’assurent que leurs membres rempliront leurs missions avec succès en toute confiance et fiabilité.  Le système veille également au maintien de l’ordre public et assure que les personnes assujetties au code de discipline militaire sont punies de la même façon que toute autre personne vivant au Canada.

 

[4]               Il est reconnu depuis longtemps que l’objectif d’un système de justice ou de tribunaux militaires distincts est de permettre aux forces armées de s’occuper des questions liées au respect du code de discipline militaire et au maintien de l’efficacité et du moral des Forces canadiennes[1]. Cela étant dit, la peine infligée par un tribunal, qu’il soit militaire ou civil, devrait constituer l’intervention minimale nécessaire qui est adéquate dans les circonstances particulières.

 

[5]               En l’espèce, le procureur de la poursuite et l’avocat du contrevenant ont présenté une recommandation conjointe quant à la peine devant être infligée par la cour.  Ils ont recommandé que la cour vous condamne à une détention pour une période de trente-cinq jours et à une amende de 2 000 $ afin de répondre aux exigences de la justice.  Bien que la cour ne soit pas liée par cette recommandation conjointe, il est généralement reconnu que le juge qui prononce la peine ne devrait s’écarter de la recommandation conjointe que lorsqu’il a des raisons convaincantes de le faire.  Ces raisons peuvent notamment découler du fait que la peine n’est pas adéquate, qu’elle est déraisonnable, qu’elle va à l’encontre de l’intérêt public ou qu’elle a pour effet de jeter le discrédit sur l’administration de la justice.

 

[6]               L’imposition d’une sentence est la tâche la plus difficile d’un juge. La Cour suprême du Canada a reconnu dans l’arrêt Généreux[2] que, pour « que les Forces armées soient prêtes à intervenir, les autorités militaires doivent être en mesure de faire respecter la discipline interne de manière efficace »[3].  Elle a souligné que, plus particulièrement dans le contexte de la justice militaire, « [l]es manquements à la discipline militaire doivent être réprimés promptement et, dans bien des cas, punis plus durement que si les mêmes actes avaient été accomplis par un civil »[4]. Toutefois, la loi n’autorise pas une cour militaire à infliger une peine qui serait au-delà de ce que les circonstances requièrent.  Or, le droit ne permet pas à un tribunal militaire d’imposer une sentence qui se situerait au-delà de ce qui est requis dans les circonstances de l’affaire. En d’autres mots, toute peine infligée par un tribunal doit être adaptée au contrevenant et doit constituer l’intervention minimale requise puisque la modération est le principe fondamental de la théorie moderne de la détermination de la peine au Canada.

 

[7]               L’objectif fondamental de la détermination de la peine par une cour martiale est d’assurer le respect de la loi et le maintien de la discipline en infligeant des peines visant un ou plusieurs des objectifs suivants :

 

a.                   protéger le public, y compris les Forces canadiennes;

 

b.                  dénoncer le comportement illégal;

 

c.                   dissuader le contrevenant, et quiconque, de commettre les mêmes infractions;

 

d.                  isoler, au besoin, les délinquants du reste de la société;

 

e.                   réadapter et réformer les contrevenants.

 

[8]               Les peines infligées qui composent la sentence imposée par un tribunal militaire doivent également prendre en compte les principes suivants :

 

a.                   la proportionnalité en relation à la gravité de l’infraction;

 

b.                  la peine doit être proportionnelle à la responsabilité et aux antécédents du contrevenant;

 

c.                   l’harmonisation des peines, c’est-à-dire l’imposition de peines semblables à celles infligées à des contrevenants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables;

 

d.                  l’obligation, avant d’envisager la privation de liberté, si cela s’applique dans les circonstances, d’examiner la possibilité de peines moins contraignantes lorsque les circonstances le justifient.  En bref, la cour ne devrait avoir recours à une peine d’emprisonnement ou de détention qu’en dernier ressort comme l’ont établi la Cour d’appel de la cour martiale et la Cour suprême du Canada;

 

e.                   Enfin, toute peine qui compose une sentence devrait être adaptée aux circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration de l’infraction ou à la situation du contrevenant.

 

[9]               Je conclus qu’en l’espèce, la cour devrait se concentrer sur les objectifs suivants dans le cadre de la détermination de la peine : la dénonciation et la dissuasion générale et spécifique.

[10]           En l’espèce, la cour est saisie d’infractions de nature purement militaire. Entre autres, vous êtes accusé de vous être absenté de votre navire sans permission à quatre reprises pour un total de 102 jours et de ne pas avoir respecté une condition imposée par l’officier réviseur de la détention à une occasion et par deux juges militaires différents à deux reprises suivant une audience en révision du maintien sous garde à la suite de votre arrestation. Toutes ces infractions touchent essentiellement à la discipline militaire. Ces types d’infractions visent l’application de principes de responsabilité et d’intégrité. À titre de matelot, être digne de foi et fiable en tout temps est plus qu’essentiel pour toute mission au sein de forces armées et particulièrement sur un navire, quels que soient les fonctions ou le rôle dont vous devez vous acquitter.

 

[11]           Pour fixer la peine qu’elle estime juste et appropriée, la cour a pris en compte les circonstances aggravantes et les circonstances atténuantes suivantes :

 

a.                   La cour considère la gravité objective de l’infraction comme un facteur aggravant.  Les infractions dont vous êtes accusé ont été portées en vertu de l’article 90 de la Loi sur la défense nationale, soit de vous être absenté sans permission, au titre duquel tout contrevenant encourt comme peine maximale un emprisonnement de moins de deux ans, et en vertu de l’article 101.1 de la Loi sur la défense nationale, au titre duquel tout contrevenant encourt également comme peine maximale un emprisonnement de moins de deux ans;

 

b.                  Ensuite, la cour estime que la gravité subjective des infractions porte sur quatre aspects :

 

                                                  i.                  Le premier facteur aggravant d’un point de vue subjectif est la durée de votre absence. La durée de votre absence révèle clairement une attitude insouciante et un manque de considération de votre part envers les gens et l’organisation que vous avez laissés tomber. Vous avez quitté votre équipage sur le navire sans vous préoccuper des répercussions de votre absence, en ne portant pas attention à la charge de travail additionnelle que vous avez ainsi imposée à vos collègues et à votre unité. Essentiellement, cela révèle clairement une attitude égoïste étant donné que vous avez décidé de vous préoccuper de votre personne avant tout sans penser aux conséquences de votre décision;

 

                                                ii.                  Le deuxième facteur aggravant est la répétition de l’infraction. Vous avez fait, de façon répétée et délibérée, la même chose sur une période de six mois. Vous avez été averti des conséquences et malgré les sérieux engagements auxquels vous avez souscrit, vous n’avez pas été en mesure de les respecter. Vous avez clairement fait preuve d’un important manque de respect à l’égard de vos supérieurs, la chaîne de commandement et le système de justice militaire;

 

                                              iii.                  Conformément à l’article 194 de la Loi sur la défense nationale, le fait que vous avez reconnu avoir commis, le 6 juin 2011, deux infractions d’ordre militaire de la même nature que celles dont la cour vient de vous déclarer coupable doit être considéré par la cour comme un facteur aggravant. Cela révèle que vous n’avez toujours pas compris l’importance de respecter des instructions de base;

 

                                              iv.                  Enfin, l’existence d’une fiche de conduit pour une infraction similaire qui s’est produite quelque huit mois plus tôt doit également être considérée comme un facteur aggravant.

 

[12]           Il y a aussi des facteurs atténuants :

 

a.                   Premièrement, il y a votre aveu de culpabilité.  Vu les faits présentés en l’espèce, la cour doit considérer que votre aveu de culpabilité constitue un véritable signe de remords et que vous êtes très sincère lorsque vous dites que vous voulez demeurer un atout pour les Forces canadiennes. Cet aveu démontre également que vous assumez l’entière responsabilité de vos actes;

 

b.                  Votre âge et vos possibilités de carrière militaire comme membre des Forces canadiennes.  À 21 ans, il vous reste de nombreuses années pour contribuer positivement aux Forces canadiennes et à la société en général;

 

c.                   Le fait que vous avez été maintenu sous garde pendant un total de 12 jours.  Cela a exercé un effet dissuasif spécifique sur vous et il se peut que cela exerce un effet dissuasif général sur d’autres;

 

d.                  Les mesures administratives prises par votre chaîne de commandement. Le fait que l’on considère de vous libérer des Forces canadiennes n’est pas une peine en soi.  Toutefois, la cour doit considérer ceci comme un facteur atténuant puisque cet événement pourrait avoir un effet dissuasif sur vous, mais également sur d’autres qui pourraient être tentés de commettre des actes similaires.

 

[13]           S’agissant de l’imposition d’une peine d’incarcération au matelot de 3e classe Coombs, la Cour suprême du Canada a bien établi, dans l’arrêt Gladue[5], que l’incarcération ne devrait être infligée qu’en dernier recours. La Cour suprême du Canada a précisé que l’incarcération sous forme d’emprisonnement ne convient que lorsqu’aucune autre sanction ou combinaison de sanctions n’est appropriée pour l’infraction et le délinquant.  La cour estime que ces principes sont pertinents dans un contexte de justice militaire, compte tenu des principales différences entre le régime des peines qu’applique le tribunal civil siégeant en matière pénale et celui prévu dans la Loi sur la défense nationale pour un tribunal militaire.  Cette manière de procéder a été confirmée par la Cour d’appel de la cour martiale dans l’affaire Baptista[6] où on a conclu que l’incarcération ne devrait être infligée qu’en dernier recours.

 

 

[14]           Dans la présente affaire, compte tenu de la nature des infractions, soit des infractions de nature purement militaire, des circonstances dans lesquelles elles ont été commises, des principes de détermination de la peine applicables et des facteurs aggravants et atténuants susmentionnés, je conclus qu’il n’y a aucune sanction ou combinaison de sanctions autre que l’incarcération qui semble être une peine appropriée en l’espèce.  Sur ce point, la cour souligne l’accord des deux avocats.

 

[15]           Le système de justice pénale au Canada a ses propres particularités, comme l’emprisonnement avec sursis, qui est différent des mesures probatoires, mais qui constitue néanmoins une peine d’emprisonnement comportant des applications précises permettant au contrevenant de purger sa peine dans la collectivité afin de combiner les objectifs de punition et de correction. De la même manière, le système de justice militaire dispose, quant à lui, de mesures disciplinaires comme la détention, qui vise à réhabiliter les détenus militaires et à leur redonner l’habitude d’obéir dans un cadre militaire structuré. Ces derniers seront donc soumis à un régime d’entraînement qui insiste sur les valeurs et les compétences propres aux membres des Forces canadiennes, pour leur faire voir ce qui les distingue des autres membres de la société.  La détention peut avoir un effet dissuasif important sans pour autant stigmatiser un militaire condamné au même degré que les militaires condamnés à l’emprisonnement, comme il ressort des notes ajoutées aux articles 104,04 et 104,09 des ORFC.

 

[16]           Malgré le fait que la cour a été informée que vous pourriez être libéré des Forces canadiennes à la suite de la révision administrative en cours, vous resterez tout de même dans les Forces canadiennes pendant un certain temps, et peut-être pendant longtemps.  Il serait alors bénéfique si certains principes et valeurs militaires de base vous étaient inculqués à nouveau à ce stade de votre carrière, particulièrement si vous avez l’intention de rester.  De plus, la détention servira d’effet dissuasif général pour ceux qui seraient tentés d’adopter une telle conduite dans les Forces canadiennes.

 

[17]           S’agissant de la duré de la détention, compte tenu de l’ensemble des facteurs aggravants et atténuants, la cour estime qu’une détention d’une période de 35 jours, moins les 12 jours de maintien sous garde avant l’audience, serait suffisante.  Cette peine répondrait aux principes et objectifs de détermination de la peine et permettrait de maintenir la discipline et la confiance à l’égard de l’administration de la justice militaire.

 

[18]           En conséquence, la cour fera droit à la recommandation conjointe des avocats de vous condamner à une détention et à une amende totalisant 2 000 $, étant donné que cette peine n’est pas contraire à l’intérêt public et qu’elle ne risque pas de déconsidérer l’administration de la justice.  En ce qui concerne la durée de la détention, la cour estime que le nombre de jours proposé par les deux avocats répond aux principes et objectifs de la détermination de la peine, comme la parité des peines, la dissuasion générale ainsi que le maintien de la discipline et de la confiance dans l’administration de la justice militaire.

 

POUR CES MOTIFS LA COUR

 

[19]           Vous DÉCLARE coupable du premier, quatrième, sixième et huitième chefs d’accusation, pour une infraction visée à l’article 90 de la Loi sur la défense nationale, et du troisième, cinquième et septième chefs d’accusation, pour une infraction visée à l’article 101.1 de la Loi sur la défense nationale.

 

[20]           Vous CONDAMNE à un emprisonnement d’une durée de 23 jours et à une amende de 2 000 $.  L’amende devra être payée par versements mensuels de 400 $ chacun, à partir d’aujourd’hui et pour les quatre mois suivants.  Si, pour quelque raison que ce soit, vous étiez libéré des Forces canadiennes avant que l’amende ne soit entièrement acquittée, le montant impayé deviendrait exigible le jour précédant votre libération.

 


 

Avocats

 

Capitaine de corvette D.T. Reeves, Service canadien des poursuites militaires

Procureur de Sa Majesté la Reine

 

Major S.L Collins, Direction du service d’avocats de la défense

Avocat du Matelot de 3e classe K.C. Coombs

 



[1] R c. Généreux, 70 C.C.C. (3d) 1, par. 59

[2] [1992] 1 R.C.S. 259

[3] Idem note 1

[4] Idem

[5] R. c. Gladue, [1999] 1 R.C.S. 688, par. 38 et 40.

[6] R. c. Baptista, 2006 CACM 1, par. 5 et 6.

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