Cour martiale
Informations sur la décision
Date de l'ouverture du procès : 24 novembre 2008
Endroit : Garnison Sydney, Sydney (NÉ)
Chefs d'accusation
•Chef d'accusation 1 (subsidiaire au chef d'accusation 2) : Art. 130 LDN, homicide involontaire en utilisant, en portant ou manipulant une arme à feu (art. 236a) C. cr.).
•Chef d'accusation 2 (subsidiaire au chef d'accusation 1) : Art. 130 LDN, négligence criminelle causant la mort en utilisant, en ayant possession, en portant ou en manipulant une arme à feu (art. 220a) C. cr.).
•Chef d'accusation 3 : Art. 124 LDN, a éxécute avec négligence une tâche militaire.
Résultats
•VERDICTS : Chef d'accusation 1 : Une suspension d'instance. Chefs d'accusation 2, 3 : Coupable.
•SENTENCE : Emprisonnement pour une période de quarte ans et destitution du service de Sa Majesté.
Cour martiale générale (CMG) (est composée d'un juge militaire et d'un comité)
Contenu de la décision
Référence : R. c. Caporal M.A. Wilcox, 2009 CM 2022
Dossier : 200849
COUR MARTIALE GÉNÉRALE
CANADA
NOUVELLE‑ÉCOSSE
PARC VICTORIA, SYDNEY
Date : 25 juin 2009
SOUS LA PRÉSIDENCE DU CAPITAINE DE FRÉGATE P.J. LAMONT, J.M.
SA MAJESTÉ LA REINE
c.
CAPORAL M.A. WILCOX
(Accusé)
DÉCISION RELATIVE À LA RECEVABILITÉ D’ÉLÉMENTS DE PREUVE
(Prononcée de vive voix)
TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE
[1] La présente décision fait suite à un voir‑dire tenu à la demande de la poursuite pour statuer sur la recevabilité d’une série de déclarations orales attribuées à l’accusé par des membres de son unité. Certaines d’entre elles auraient immédiatement suivi un coup de feu entendu en provenance de la tente que l’accusé et la victime occupaient dans le terrain d’aviation de Kandahar en Afghanistan, à la date mentionnée dans l’acte d’accusation. D’autres auraient été faites pendant une période s’étendant de quelques jours à plusieurs mois suivant le décès de la victime.
[2] Au fur et à mesure du voir‑dire, la portée de cette procédure s’est élargie, la poursuite présentant des éléments de preuve relatifs à d’autres incidents impliquant l’accusé, soutenant, entre autres, qu’ils étaient recevables à titre de preuve de faits similaires.
[3] La défense a aussi soutenu qu’il n’y avait pas lieu de permettre la présentation au comité du témoignage d’opinion donné par un infirmier au cours du voir‑dire.
[4] Il va sans dire que les conclusions de fait tirées à l’issue du voir‑dire ne portent que sur les points strictement nécessaires pour trancher les questions soulevées devant moi, puisque c’est au comité de cette cour qu’il appartient de se prononcer sur les faits de l’espèce.
[5] Les questions à trancher font intervenir plusieurs dispositions des Règles militaires de la preuve (RMP) énoncées aux sections IV, V et VI, ainsi que les règles de preuve applicables en matière criminelle au Canada. Les dispositions applicables des RMP sont les règles 20 et 22 (faits semblables), la règle 30 (mots spontanés dans une situation d’urgence), les règles 39 et 40 (aveu officiel), les règles 41 et 42 (aveu non officiel) et la règle 49 (déclarations non considérées comme aveux).
[6] La poursuite soutient en outre que certaines déclarations sont recevables parce qu’elles constituent des aveux faits par l’accusé contre son intérêt. Selon moi, l’argument selon lequel des déclarations peuvent en l’espèce êtres admises en application de règles de preuve de common law comme celle de l’aveu contraire à l’intérêt est voué à l’échec.
[7] La règle 26(1) des RMP prévoit ce qui suit :
26.(1) Sauf dispositions de la présente section, de la section VI et de la section VII, une déclaration extrajudiciaire n’est pas recevable.
[8] On pourrait soutenir que la formulation large de cette règle de preuve peut même entraîner l’exclusion des déclarations extrajudiciaire non présentées en matière de ouï‑dire. Cette question n’ayant pas été soulevée devant moi, je pars du principe que la raison pour laquelle une déclaration est présentée n’entre pas en ligne de compte. Pour qu’une déclaration soit admise en preuve, une règle précise doit en permettre la présentation. Il faut donc que la poursuite convainque la cour que la déclaration extrajudiciaire soumise est recevable en vertu d’au moins une des RMP. Il s’ensuit également que lorsqu’une déclaration est irrecevable aux termes des RMP, elle ne peut être mise en preuve devant le comité de la cour.
[9] Les déclarations en cause appartiennent à deux grandes catégories. Entrent dans la première catégorie les déclarations ou propos attribués à l’accusé par les témoins, qui auraient été tenus immédiatement après le coup de feu entendu en provenance de la tente occupée par l’accusé et la victime ou qui l’auraient suivi de près. Elles sont rapportées dans les témoignages du caporal Andrews, du sergent Joyce, du sergent Aston, du caporal‑chef McKay, du caporal‑chef Pouchelu, du caporal Henry et du caporal‑chef Morse.
[10] Certaines des déclarations de la première catégorie semblent avoir été faites directement aux personnes ayant témoigné au sujet de leur teneur, tels le caporal Andrews, le sergent Joyce, le sergent Crosby et le caporal‑chef Morse. Les autres déclarations s’apparentent davantage à des appels à l’aide ou à une invocation à Dieu. Les caporaux‑chefs McKay, Pouchelu et Morse ont témoigné avoir entendu des déclarations de l’accusé apparemment adressées à la victime, où celui‑ci s’excusait en tentant de la soulager ou essayait de lui prodiguer des soins médicaux pendant les derniers moments de sa vie.
[11] La règle 30 des RMP, figurant à la section V, prévoit ce qui suit :
Lorsqu’une personne a participé à des actes ou à des événements ou observé des actes ou des événements qui ont quelque rapport avec l’accusation en question, et que ces actes ou événements avaient un caractère excitant, étonnant ou choquant, les mots prononcés spontanément à leur sujet par le participant ou l’observateur, alors qu’il était sous l’influence de la première excitation ou du premier choc engendrés par lesdits actes ou événements, que ce soit durant ou après leur survenance, sont admissibles et peuvent être cités par un témoin rapporteur.
[12] J’accepte l’argument de la poursuite selon lequel les dépositions de ces témoins au sujet des déclarations ou propos qu’ils attribuent à l’accusé et qui ont été tenus au moment du coup de feu ou peu de temps après sont admissibles en vertu de l’article 30. Il ressort clairement des circonstances, notamment la nature du rapport entre l’accusé et la victime, et de la preuve de l’état de choc et de consternation dans lequel se trouvait l’accusé, que la décharge de l’arme et la blessure de la victime étaient un événement étonnant ou choquant pour celui‑ci, dont l’influence s’est fait sentir pendant un bon moment après le coup de feu. J’estime que les paroles et propos que ces témoins attribuent à l’accusé ont été dits alors que celui‑ci était sous l’influence du premier choc causé par la décharge de l’arme et la blessure de la victime. Ils ont également été prononcés spontanément, sans invite ou incitation de la part d’aucun des témoins, exception faite des déclarations adressées au sergent Joyce.
[13] La défense fait valoir qu’il y a lieu d’exclure la totalité de ces déclarations parce que les témoins ont tous donné une version différente et, peut‑être, incohérente des propos tenus par l’accusé, et qu’en l’absence de preuve irréfutable de ce qui s’est dit précisément, les témoignages ne doivent pas être entendus par le comité. Cet argument ne tient pas.
[14] Selon mon interprétation de son argument, l’avocat ne soutient pas que les témoins ont donné des versions contradictoires des paroles attribuées à l’accusé. La preuve et l’argumentation de la poursuite me convainquent suivant la prépondérance des probabilités que les déclarations en cause sont celles de l’accusé, et cela suffit pour justifier que le comité les examine[1].
[15] Je conviens également avec la poursuite que certaines des déclarations qui sont recevables en tant que mots spontanés tenus en situation d’urgence peuvent également l’être en tant qu’aveux non officiels sous le régime de la règle 42 des RMP. Les raisons fondant cette conclusion apparaîtront clairement lorsqu’il sera question de la deuxième catégorie de déclarations.
[16] La défense conteste la recevabilité du témoignage du sergent Joyce concernant les déclarations que l’accusé lui a faites, au motif que ces déclarations sont des aveux officiels inadmissibles en vertu de la règle 40(1) des RMP.
[17] La règle 39 des RMP est intitulée « Définition de l’aveu officiel ». Elle prévoit ce qui suit :
Un aveu officiel est un aveu fait par le prévenu, qu’il ait été accusé ou non, ou pourrait s’attendre d’être accusé, d’une infraction à l’époque où il a fait une déclaration [...]
Elle énonce en outre, plus loin :
b) lorsqu’il fournit des renseignements conformément aux règlements ou aux ordres donnés par le chef de l’état‑major de la défense en vertu de l’article 1.23 des ORFC, ou qu’il agit en réponse à un ordre que lui a donné un officier supérieur de fournir les renseignements requis pour toutes fins militaires utiles.
J’adhère à l’argument de la défense selon lequel les déclarations de l’accusé au sergent Joyce constituent des aveux officiels. Elles ont été faites en réponse à ce que l’accusé pouvait raisonnablement percevoir comme l’ordre d’un officier supérieur de fournir des renseignements requis pour une fin militaire utile, à savoir la compréhension des circonstances entourant la décharge non autorisée d’une arme dans une situation dangereuse. Ainsi, bien que ces déclarations puissent être admises en application de la règle 30 des RMP, comme mots spontanés en situation d’urgence, le témoignage du sergent Joyce relativement aux déclarations qui lui ont été faites par l’accusé et aux gestes qui les ont accompagnées sont inadmissibles parce qu’il s’agit d’aveux officiels.
[18] La deuxième catégorie est constituée de déclarations orales attribuées à l’accusé, que celui‑ci aurait faites au cours de conversations avec les témoins rapporteurs une fois dissipés les effets des circonstances choquantes sur son état d’esprit. Elles sont rapportées dans le témoignage du caporal Ryles, qui a parlé avec l’accusé en faisant la file devant le Tim Hortons un jour ou deux après le coup de feu, dans celui du caporal‑chef Keigan, qui a conversé avec lui après leur retour au Canada, dans celui du sergent Crosby, qui s’est entretenu avec l’accusé dans une tente un jour ou deux après le coup de feu et dans celui du caporal Woodland.
[19] Je conviens avec la poursuite que le témoignage du caporal Ryles, du caporal‑chef Keigan et du sergent Crosby concernant les déclarations qui leur ont été faites par l’accusé sont admissibles en application de la règle 42 des RMP en tant qu’aveux non officiels. Voici le texte de cette règle :
(1) Sous réserve du paragraphe (9) ainsi que de la section IX (Intérêt public et privilèges), la déclaration d’un accusé, considérée comme un aveu non officiel, peut être présentée à titre de preuve par le procureur à charge si celui‑ci prouve
a) qu’il existe une preuve que l’accusé a fait la déclaration qui lui est attribuée; et
b) que la déclaration était volontaire, en ce sens qu’elle n’a pas été faite par l’accusé alors ou parce qu’il était ou aurait pu être, de façon significative, en ce qui concerne l’infraction en question, sous l’influence
(i) de la crainte de quelque préjudice à la suite de menaces formulées, ou
(ii) de l’espoir d’un avantage à la suite de promesses faites, exercée par une personne en autorité.
(2) Les seules incitations sous forme de menaces ou de promesses significatives aux fins d’exclure une déclaration de l’accusé prévue au paragraphe (1), sont celles qui, de l’avis d’un homme raisonnable, auraient une tendance à porter un accusé innocent à faire de faux aveux.
[20] La défense fait valoir que les déclarations ont été faites à des personnes en autorité. Cette expression est définie ainsi par la règle 42(3) des RMP :
Une personne en autorité est une personne qui, en ce qui concerne l’accusé, était en mesure, au moment opportun, de recourir à des incitations de la nature décrite aux paragraphes (1) et (2), ou était une personne qui aurait raisonnablement paru à l’accusé être dans une telle mesure.
Il s’agit là d’une définition semblable à celle qui est appliquée en common law à l’égard de la même expression et qui a été examinée par la Cour suprême du Canada dans R. c. Grandinetti. À mon avis, il doit exister un lien entre la personne en position d’incitation et le processus d’enquête, d’accusation ou de poursuite visant l’auteur de la déclaration pour qu’on puisse affirmer qu’une personne à qui une déclaration est faite est une personne en autorité. En l’espèce, aucun élément de preuve n’a été présenté au sujet de l’existence d’un tel lien entre l’un quelconque des témoins ayant déposé au sujet de déclarations que leur aurait faites l’accusé et l’enquête, l’accusation ou la poursuite relatives aux infractions alléguées.
[21] Selon la défense, ces témoins, dont le grade ou poste est supérieur à celui de l’accusé, doivent être considérés comme des personnes en autorité. La règle 42(5) des RMP, reproduite ci‑dessous, répond complètement à cet argument :
Une personne qui détient un grade militaire plus élevé que celui de l’accusé n’est pas, pour cette unique raison, une personne en autorité au sens du paragraphe (3).
[22] La défense prétend également que certains militaires des forces américaines et des forces canadiennes qui faisaient partie, dans certains cas, de la police militaire ou des forces de sécurité et qui ont pu avoir des contacts avec l’accusé pendant sa détention n’ont pas été entendus, de sorte qu’on ne peut savoir si l’un d’entre eux a pu formuler des menaces ou des incitations. Cet argument ne tient pas car les promesses ou menaces pouvant entraîner l’exclusion des déclarations obtenues par ce moyen ne peuvent provenir que des « personnes en autorité » au sens de la définition des RMP, et il n’existe tout simplement aucun élément de preuve permettant de conclure que l’une quelconque de ces personnes est une « personne en autorité » au sens de cette définition. Même si, du fait de leur appartenance à une hiérarchie militaire, ils ont pu exercer une certaine autorité, au sens ordinaire, cela n’en fait pas des personnes en autorité pour l’application de la règle 42 des RMP.
[23] Qui plus est, vu la preuve dont je dispose, la formulation de menaces ou de promesses par l’un quelconque de ces inconnus relève entièrement de la supposition.
[24] Même si un témoin rapporteur pouvait être considéré comme une personne en autorité, on n’a présenté aucun élément de preuve établissant que l’une quelconque des déclarations faites au caporal Ryles, au caporal‑chef Keigan et au sergent Crosby découlait d’incitations prenant la forme de menaces ou de promesses. C’est plutôt le contraire qui ressort de la preuve, à savoir que tous ceux qui ont été en contact avec l’accusé jusqu’à ce qu’il quitte le théâtre d’opérations quelques jours après le coup de feu l’ont traité avec compréhension et de façon cordiale, professionnelle et, même, amicale pendant cette période.
[25] Je conclus que les déclarations que le caporal Ryles, le caporal‑chef Keigan et le sergent Crosby attribuent à l’accusé sont admissibles en tant qu’aveux non officiels en application de la règle 42 des RMP.
[26] Le caporal Woodland a témoigné qu’au cours d’une conversation privée avec son ami, l’accusé, ce dernier lui a dit qu’il avait agi stupidement et qu’il ne voulait pas tirer sur Kev. La conversation aurait eu lieu en février ou mars de cette année alors qu’ils se déplaçaient dans un véhicule. En contre‑interrogatoire, le témoin est revenu sur cette partie du témoignage, admettant en définitive n’être pas certain que l’accusé avait reconnu avoir tiré. Dans ces circonstances, je considère que la preuve que l’accusé a fait une déclaration au témoin est réellement insuffisante et que la condition de recevabilité établie par la règle 42(1)a) des RMP et par l’arrêt R. c. Evans de la Cour suprême du Canada n’est pas remplie.
[27] J’aborde à présent la question des faits similaires. Au cours du voir‑dire, la preuve de deux incidents au cours desquels l’accusé aurait « joué à qui dégaine le plus vite » a été présentée. Je comprends qu’il s’agit d’un concours où les participants cherchent à tirer le plus rapidement possible une arme de son étui et, peut‑être, à la pointer comme le dépeignent les westerns hollywoodiens, de façon peut‑être exagérée.
[28] Le premier incident s’est produit au Camp Wainwright où l’unité de l’accusé se trouvait pour l’instruction préparatoire au déploiement en Afghanistan, et le second serait arrivé au camp, à Kandahar, quelques jours avant l’infraction alléguée. Selon la poursuite, cette preuve indique la propension de l’accusé à s’adonner à ce jeu et elle est pertinente pour établir l’état d’esprit de l’accusé au moment du décès par balle du caporal Megeney et l’actus reus d’une ou plusieurs des infractions qui lui sont reprochées, pour faire obstacle à certaines défenses qu’il pourrait soulever et comme témoignage narratif concernant la norme de diligence à laquelle les soldats doivent se conformer en matière de maniement d’armes dans les circonstances où se trouvait l’accusé.
[29] La poursuite soutient que cette preuve de faits similaires est admissible même si elle peut peindre l’accusé sous un jour défavorable, dans la mesure où sa valeur probante à l’égard d’une des questions en jeu est supérieure au préjudice causé à l’accusé.
[30] Ce genre de preuve est généralement inadmissible. La règle 20 des RMP énonce ce qui suit :
Sauf prescriptions de la présente section, le procureur à charge ne doit présenter aucune preuve de la mauvaise réputation en général de l’accusé, ni d’un ou de plusieurs autres actes de l’accusé semblables, dans des détails essentiels, à l’acte faisant l’objet de l’accusation.
Toutefois, la règle 22(1) des RMP prévoit l’exception suivante :
S’il a été établi que l’acte mentionné dans l’accusation a été perpétré par quelqu’un, mais que l’état d’esprit ou l’identité de l’auteur fait l’objet d’un doute, le procureur à charge peut, sous réserve des paragraphes (2) et (3) présenter la preuve d’un autre acte ou d’autres actes de l’accusé semblables, dans leurs détails essentiels, à l’acte faisant l’objet de l’accusation, que l’un ou l’autre des faits suivants ou les deux soient en litige et que la preuve tende à prouver l’un ou les deux :
a) l’état d’esprit de l’accusé était malfaisant ainsi qu’on s’en est plaint au moment précis, c’est‑à‑dire qu’il a commis l’acte incriminé soit sciemment ou dans un but, dans un dessein ou pour un motif délictueux; ou
b) il n’y a eu aucune erreur d’identité de l’accusé comme étant la personne qui a commis l’acte incriminé.
[31] Selon moi, les Règles militaires de la preuve diffèrent substantiellement des règles de la common law pour ce qui est de la preuve de faits similaires. Une différence importante, en l’espèce, est que la preuve de faits similaires n’est admissible que pour les deux fins prévues par la règle 22(1). Cette règle ne permet donc pas la présentation d’une telle preuve pour établir l’actus reus de l’infraction reprochée. Autrement dit, elle ne permet pas à la poursuite d’affirmer que l’accusé ayant déjà joué à qui dégaine le plus vite, c’est ce qu’il faisait au moment visé par les accusations. Elle ne permet pas non plus de recourir à la preuve de faits similaires pour faire obstacle à un moyen de défense ou comme témoignage narratif.
[32] Par conséquent, le seul motif de recevabilité acceptable invoqué à l’appui de cette preuve de faits similaires est l’établissement de l’état d’esprit de l’accusé au moment des faits. Parce que l’accusé est poursuivi pour homicide involontaire coupable découlant de négligence dans l’utilisation d’une arme à feu ou de négligence criminelle et pour négligence dans l’exécution d’une tâche militaire, l’état d’esprit dont la poursuite doit faire la preuve est soit la négligence soit l’insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui.
La règle 22(3) des RMP énonce :
Bien que le procureur à charge ait à fournir une preuve aux termes des paragraphes (1) et (2), le juge‑avocat doit exclure cette preuve s’il décide qu’elle n’a qu’une faible valeur probante ou qu’elle aurait une tendance indue à faire naître des préjugés contre l’accusé, ce qui nuirait à l’impartialité du procès.
Les « préjugés contre l’accusé » s’entendent, dans ce contexte, d’un effet pernicieux sur le raisonnement des juges des faits, en l’occurrence le comité de la présente cour martiale générale, soit parce que la preuve d’autres faits pourrait distraire le comité de sa tâche principale, qui est d’établir ce qui s’est passé lors de la présumée infraction, soit parce qu’elle l’amènerait incorrectement à penser que l’accusé s’étant comporté d’une certaine manière dans le passé il se comportait pareillement dans ce cas.
[33] À mon avis, la preuve des deux concours de dégainage rapide a peu de valeur probante concernant l’état d’esprit de l’accusé au moment visé par les accusations, et elle pourrait susciter les préjugés dont j’ai fait état et compromettre l’équité du procès. La preuve de faits similaires est exclue.
[34] Pour plus de clarté, je conclus que quelques‑unes des déclarations attribuées à l’accusé sont admissibles. Certaines d’entre elles peuvent mentionner les mots « jouer à qui dégaine le plus vite ». Si un témoignage rapportant des propos attribués à l’accusé comprend les mots « jouer à qui dégaine le plus vite », ma conclusion relative à l’inadmissibilité de la preuve de faits similaires n’a pas pour effet de l’exclure. En outre, le témoin rapportant une déclaration de l’accusé faisant état de ce jeu peut témoigner au sujet de sa propre compréhension de cette expression, mais il ne peut témoigner que l’accusé a pu se livrer à un tel jeu.
[35] Je suis disposé à reconsidérer ces conclusions à la demande renouvelée de la poursuite si la nature ou le déroulement de la défense, pendant l’instruction, soulève une question pour laquelle la preuve relative au jeu de qui dégaine le plus vite pourrait avoir une valeur probante supérieure à celle qu’elle paraît avoir à ce stade de l’instance.
[36] Enfin, je considère que le témoignage d’opinion du capitaine Harvey, infirmier, est admissible. On ne saurait l’exclure ni au motif du secret médial ni au motif que l’interrogatoire a été ordonné par les autorités militaires. Il ne s’agit pas d’un cas analogue à l’affaire R. c. White[2], où une loi provinciale obligeait l’accusée à faire la déclaration et où on cherchait à la présenter pour faire la preuve d’un élément de l’infraction, en dérogation au droit à la protection contre l’auto‑incrimination garanti par la Charte.
[37] Ordonnance en conformité des présents motifs.
Capitaine de frégate P.J. Lamont, J.M.
Avocats :
Le major J.J. Samson, procureur militaire régional, région Atlantique,et le capitaine de corvette R. Fetterly, Service canadien des poursuites militaires
Avocats de Sa Majesté la Reine
Le major S. Turner et le lieutenant-colonel D.T. Sweet, Direction du service d’avocats de la défense
Avocats du caporal M.A. Wilcox