Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l'ouverture du procès : 26 avril 2011.

Endroit : 6080 rue Young, 5e étage, salle d'audience, Halifax (NÉ).

Chefs d'accusation :
•Chef d’accusation 1 (subsidiaire au chef d’accusation 2) : Art. 130 LDN, homicide involontaire en utilisant, en portant ou manipulant une arme à feu (art. 236a) C. cr.).
•Chef d’accusation 2 (subsidiaire au chef d’accusation 1) : Art. 130 LDN, négligence criminelle causant la mort en utilisant, en ayant possession, en portant ou en manipulant une arme à feu (art. 220a) C. cr.).
•Chef d’accusation 3 : Art. 124 LDN, a exécuté avec négligence une tâche militaire.

Résultats :
•VERDICTS : Chef d’accusation 1 : La cour a déterminé qu’elle n’a pas juridiction. Chefs d’accusation 2, 3 : Coupable.
•SENTENCE : Emprisonnement pour une période de trois ans et 289 jours.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence :  R c Wilcox, 2011 CM 3012

 

Date :  20111118

Dossier :  201061

 

Cour martiale permanente

 

Salle d’audience de Halifax

Halifax (Nouvelle‑Écosse), Canada

 

Entre : 

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Caporal Wilcox M.A, contrevenant

 

Devant :  Lieutenant‑colonel L.-V. d’Auteuil, J.M.

 


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Prononcés de vive voix)

 

[1]               Le système de justice militaire constitue l’ultime recours pour faire respecter la discipline, qui est une dimension essentielle de l’activité militaire dans les Forces canadiennes. Ce système vise à prévenir l’inconduite ou, d’une façon plus positive, à promouvoir la bonne conduite. C’est grâce à la discipline que les forces armées s’assurent que leurs membres rempliront leurs missions avec succès en toute confiance et fiabilité. Le système veille également au maintien de l’ordre public et fait en sorte que les personnes assujetties au code de discipline militaire soient punies de la même façon que toute autre personne vivant au Canada.

 

[2]               Il est reconnu depuis bien longtemps que l’objectif d’un système de justice ou de tribunaux militaires distincts est de permettre aux forces armées de s’occuper des questions liées au respect du code de discipline militaire et au maintien de l’efficacité et du moral des Forces canadiennes. Cela étant dit, la peine infligée par un tribunal, qu’il soit militaire ou civil, devrait être la peine la moins sévère selon les circonstances particulières de l’affaire.

 

 

[3]               Le Caporal Wilcox a été déclaré coupable par la cour d’une infraction d’ordre militaire aux termes de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale pour négligence criminelle ayant causé la mort en utilisant une arme à feu, contrairement à l’alinéa 220a) du Code criminel, et d’une infraction d’ordre militaire pour exécution négligente d’une tâche ou mission militaire, contrairement à l’article 124 de la Loi sur la défense nationale.

 

[4]               En l’espèce, la poursuite a proposé à la cour de condamner le Caporal Wilcox à une peine d’emprisonnement de six ans, à la destitution des Forces canadiennes ainsi que de rendre une ordonnance suivant l’article 147.1 de la Loi sur la défense nationale, lui interdisant à vie d’avoir en sa possession des armes à feu prohibées, armes à autorisation restreinte, armes prohibées, dispositifs et munitions prohibés, et lui interdisant pour une période de dix ans d’avoir en sa possession autres armes à feu que celles que je viens d’énumérer, ainsi qu’arbalètes, munitions, armes à autorisation restreinte et substances explosives. En outre, la poursuite a demandé à la cour de rendre une ordonnance autorisant le prélèvement sur le contrevenant d’un échantillon d’ADN suivant le paragraphe 196.14(3) de la Loi sur la défense nationale.

 

[5]               Par contre, les avocats de la défense ont proposé une peine d’emprisonnement d’un an mois la période qu’il a déjà purgée, soit 73 jours, de détention avant procès et de détention conformément à la condamnation à la suite du premier procès. Ils ont proposé que la cour double la période d’emprisonnement, mais que la peine minimale soit d’un an moins le temps passé en prison.

 

[6]               L’imposition d’une sentence est la tâche la plus difficile d’un juge. La Cour suprême du Canada a reconnu, dans l’arrêt R c Généreux, [1992] RCS 259, que pour que « les Forces armées soient prêtes à intervenir, les autorités militaires doivent être en mesure de faire respecter la discipline interne de manière efficace ». Elle a souligné que dans le contexte particulier de la discipline militaire, « [l]es manquements à la discipline doivent être réprimés promptement et, dans bien des cas, punis plus durement que si les mêmes actes avaient été accomplis par un civil ». 

 

[7]               Or, le droit ne permet pas à un tribunal militaire d’imposer une sentence qui se situerait au‑delà de ce qui est requis dans les circonstances de l’affaire. En d’autres mots, toute peine infligée par le tribunal doit être individualisée et représenter l’intervention minimale requise puisque la modération est le principe fondamental des théories modernes de la détermination de la peine au Canada.

 

[8]               L’objectif fondamental de la détermination de la peine par une cour martiale est d’assurer le respect de la loi et le maintien de la discipline en infligeant des peines visant un ou plusieurs des objectifs suivants :

 

a)            protéger le public, y compris les Forces canadiennes;

 

b)                  dénoncer le comportement illégal;

 

c)                  dissuader le contrevenant, et quiconque, de commettre les mêmes infractions;

 

d)                 isoler, au besoin, les contrevenants du reste de la société;

 

e)                  réadapter et réformer les contrevenants.

 

[9]               Lorsqu’il détermine la peine à infliger, le tribunal militaire doit également tenir compte des principes suivants :

 

a)                  la peine doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction;

 

b)                  la peine doit tenir compte de la responsabilité du contrevenant et des antécédents de celui‑ci;

 

c)                  la peine doit être semblable à celles infligées à des contrevenants ayant commis des infractions semblables dans des circonstances semblables;

 

d)                 le cas échéant, le contrevenant ne doit pas être privé de liberté, si une peine moins contraignante peut être justifiée dans les circonstances. En bref, la cour ne devrait avoir recours à une peine d’emprisonnement ou de détention qu’en dernier ressort comme l’ont établi la Cour d’appel de la cour martiale et la Cour suprême du Canada;

 

e)                  enfin, toute peine devrait être adaptée aux circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration de l’infraction et à la situation du contrevenant.

 

[10]           J’arrive à la conclusion que, dans les circonstances de l’espèce, la peine doit surtout viser les objectifs de dénonciation et de dissuasion générale.

 

[11]           Selon moi, il convient de considérer le châtiment dans certaines circonstances pour refléter la culpabilité morale du contrevenant. Toutefois, comme je l’ai indiqué à la poursuite, une partie de la culpabilité morale appartient, selon la cour, aux Forces canadiennes et au manque de leadership dans les circonstances de l’espèce. 

 

[12]           En agissant de la manière dont ils l’ont fait, les leaders, les commandants de section, les commandants de peloton, les commandants de peloton, les commandants de compagnie, les personnes responsables des militaires déployés en Afghanistan à ce moment‑là, ont créé un climat qui a permis aux soldats de penser que ce n’était pas grave s’ils oubliaient de décharger leur arme. Ce n’était pas inquiétant. 

 

[13]           Les incidents survenus avant le déploiement et qui ont été présentés à la cour, notamment le fait que le Caporal‑chef Crosby a braqué son arme de 9 mm, qui était heureusement déchargée, sur la tête du Sergent Joyce, se faire prendre en photo avec des armes, l’attitude, le fait que les soldats jouaient à qui dégainerait son pistolet le plus rapidement, ainsi que les incidents survenus pendant le déploiement, à savoir l’incident survenu au champ de tir avec le peloton 1 section 3 concernant le Caporal‑chef Crosby et le Sergent Joyce, mais aussi la situation présentée par le autorités là‑bas, qu’elles devaient composer quotidiennement avec les soldats qui portaient sur le camp des armes chargées, en dépit de la directive donnée à cet égard, et que la seule mesure qu’elles ont décidé de prendre a été d’avertir les militaires en question que leur pratique était inacceptable et qu’ils n’avaient qu’à retirer le chargeur de leurs armes. 

 

[14]           Aucune mesure disciplinaire n’a été imposée à l’exception de l’avertissement, et tous ces faits ont mené à un climat ou un contexte où un être humain a oublié de décharger son arme, a braqué celle‑ci sur quelqu’un, a tiré et a tué cette personne. Il porte la responsabilité de son acte, mais les Forces canadiennes doivent être tenues responsables de ne pas avoir exercé le leadership adéquat dans les circonstances. Donc, je ne suis pas prêt à considérer le châtiment comme principe servant à déterminer la peine en l’espèce dans ces circonstances.

 

[15]           En l’espèce, la cour est saisie d’une infraction de négligence criminelle ayant causé la mort, ce qui constitue en soi une infraction criminelle ainsi que ce qu’on appelle habituellement une pure infraction d’ordre militaire, à savoir l’exécution négligente d’une tâche ou mission militaire, contrairement à l’article 124 de la Loi sur la défense nationale.

 

[16]           Selon moi, les circonstances qui ont entraîné la commission de ces infractions portent surtout sur le fait qu’au moment de quitter le point no 3 contrôlant l’accès, le Caporal Wilcox a déchargé ses armes, mais après avoir retiré le chargeur du pistolet Browning de 9 mm, il a décidé plutôt de le remettre dans son arme. Lorsqu’il retournait à la tente, dans le camion, il aurait pu décharger son arme, mais il ne l’a pas fait. 

 

[17]           Une fois de retour dans la tente, alors qu’il transportait son équipement et que le Caporal Megeney se trouvait sur place, il a vu une arme braquée contre lui, probablement un pistolet, mais puisque le geste était posé par le Caporal Megeney, sa réaction a été de jouer en quelque sorte à qui dégainerait son pistolet le plus rapidement. À mon avis, il ne s’agissait pas d’un geste officiel, puisque ce n’était pas la première fois qu’ils se prêtaient à ce jeu. Donc, il a dégainé son pistolet, l’a braqué sur le Caporal Megeney, a appuyé sur la gâchette et a tiré. Il me paraît évident qu’il a été tout de suite sous le choc, parce qu’il ne s’attendait pas à un coup de feu, et de la part de son collègue, de son frère d’armes. Finalement, cet incident a entraîné la mort du Caporal Megeney. 

 

[18]           Voici les principales circonstances sur lesquelles je me fonde. C’est ce qui s’est passé selon moi. Pour fixer la peine qu’elle estime juste et appropriée, la cour a pris en compte les facteurs aggravants et les facteurs atténuants suivants :

 

a)                  Tout d’abord, la cour considère la gravité objective de l’infraction comme un facteur aggravant. Vous avez été accusé d’une infraction prévue à l’article 130 de la Loi sur la défense nationale qui renvoie au paragraphe 220a) du Code criminel, infraction punissable d’une peine d’emprisonnement à perpétuité, la peine minimale étant de quatre ans. En outre, vous avez été accusé conformément à l’article 124 de la Loi sur la défense nationale et cette infraction est passible au maximum de destitution ignominieuse du service de Sa Majesté;

 

b)                  La cour a également considéré la gravité subjective des infractions qui porte sur trois éléments. D’abord, comme je l’ai indiqué dans ma décision relative au verdict, vous êtes un caporal bien formé et vous possédez une solide expérience. Au moment de l’incident, vous connaissiez bien les armes, je dirais même très bien. Vous avez utilisé certaines armes plus souvent et d’autres moins souvent, mais vous saviez au moins comment vous servir de ces armes, notamment du pistolet Browning de 9 mm et vous auriez dû être mieux avisé lorsque vous avez utilisé cette arme;

 

c)                  Un autre facteur aggravant, quant à la négligence, est le fait que vous avez remis le chargeur dans le pistolet, braqué votre arme et appuyé sur la gâchette, malgré la formation reçue alors que vous connaissiez les conséquences. C’était un geste dangereux que vous ne deviez pas faire, mais vous l’avez fait;

 

d)                 De plus, je dois considérer comme un facteur aggravant les répercussions sur les victimes. Votre vie a changé, mais la vie d’autres personnes a également changé. Une certaine incertitude subsiste relativement à votre vie, mais il y a beaucoup d’incertitudes relativement à la vie d’autres personnes, et la cour doit prendre en compte ce fait.

 

[19]           J’ai également tenu compte des facteurs atténuants suivants : 

 

a)                  Tout d’abord, votre âge et vos perspectives de carrière. Il ressort clairement de votre rendement au travail et de votre rendement scolaire que vous avez beaucoup de potentiel dans le cadre de la société canadienne et que vous demeurez un atout pour cette société;

 

b)                  Un autre facteur atténuant est que vous avez dû comparaître devant la cour martiale, ce qui s’est avéré être un long processus, et ce, à deux reprises;

 

c)                  Je dois tenir compte comme facteur atténuant de la détention avant procès pendant trois jours lorsque vous étiez en Afghanistan et aussi de la détention pendant soixante-dix jours à la suite de la sentence prononcée par le juge Lamont dans le cadre du premier procès;

 

d)                 En outre, comme l’a indiqué le Lieutenant‑colonel Sweet, je dois prendre en compte comme facteur atténuant, dans une certaine mesure, le traitement administratif inéquitable réservé par les Forces canadiennes. Plus particulièrement, je fais référence au fait que la décision par laquelle la CACM a ordonné la tenue d’un nouveau procès a annulé, sur le plan juridique, toutes les décisions rendues dans le cadre du premier procès, et a rétabli la situation où vous étiez avant le premier procès. Les mesures prises par les FC auraient logiquement visé à vous garder au sein des Forces ou à vous réenrôler et de vous rendre votre statut de Caporal dans le cadre de votre unité; or, en agissant de la sorte, les FC n’ont rien fait. Il semble qu’elles ont pris une décision vous concernant alors que vous étiez innocent. Donc, j’ai certaines réserves à cet égard et j’estime qu’il s’agit d’un facteur atténuant;

 

e)                  En ce qui concerne la conduite des autorités poursuivantes, la situation est différente à mon avis, parce qu’on peut avoir ou adopter une position légale à l’égard d’un procès en pensant du point de vue juridique avoir adopté une position valide et, à la toute fin, on peut changer d’avis parce que d’autres avocats ou d’autres personnes participeront à l’affaire et réaliseront ou feront valoir qu’il n’est pas nécessaire de poursuivre certains éléments. Donc, s’agissant de la conduite de la poursuite, je ne considère pas cet élément comme un facteur atténuant;

 

f)                   Je dois préciser qu’il ressort des documents qui m’ont été présentés à l’étape de la détermination de la peine, que vous avez bénéficié, et je comprends que vous  bénéficiez toujours du soutien de votre unité, malgré ce qui est arrivé. Vous avez commis des infractions graves, mais malgré tout, vous camarades sont prêts à vous accueillir dans leur unité.  C’est un énorme engagement à votre sujet de la part de votre unité et de ses membres. En agissant ainsi, ils disent pratiquement à la cour que vous ne représentez pas un danger, que votre sécurité n’est pas menacée, ce qui m’amène à conclure, lorsque j’examine tout ce que vous avez accompli, que l’incident était en définitive inhabituel, unique. À cet égard, je pense que c’est la raison pour laquelle votre unité vous appuie toujours.

 

[20]           Je dois préciser que la cour ne prononcera qu’une seule sentence contre vous, malgré le fait que vous avez été reconnu coupable de plusieurs infractions, ce qui est conforme à l’article 148 de la Loi sur la défense nationale, lequel prévoit expressément ce qui suit :

 

Dans un procès intenté sous le régime du code de discipline militaire, une seule sentence peut être prononcée contre le contrevenant; lorsque celui‑ci est reconnu coupable de plusieurs infractions, la sentence est valable si elle est justifiée par l’une des infractions. 

 

Rappelons-le, une cour supérieure de juridiction criminelle prononcerait contre vous une sentence pour chacune des infractions. Une cour martiale prononce une seule sentence malgré le nombre d’infractions.

 

[21]           Cela étant dit, on m’a présenté une interprétation du paragraphe 130(2) de la Loi sur la défense nationale, dont voici le libellé : 

 

                Sous réserve du paragraphe (3), la peine infligée à quiconque est déclaré coupable aux termes du paragraphe (1) est :

 

                a)  la peine minimale prescrite par la disposition législative correspondante, dans le cas d’une infraction :

 

                 (i)  commise au Canada, en violation de la partie VII de la présente loi, du Code criminel ou de toute autre loi fédérale et pour laquelle une peine minimale est prescrite,  

 

                (ii)  commise à l’étranger et prévue à l’article 235 du Code criminel;

 

                b)            dans tout autre cas :

 

                (i)  soit la peine prévue pour l’infraction par la partie VII de la présente loi, le Code criminel ou toute autre loi pertinente,  

 

                (ii)  soit, comme peine maximale, la destitution ignominieuse du service de Sa Majesté.

 

[22]           Essentiellement, la poursuite a fait valoir que la cour n’a pas d’autre choix que d’appliquer l’alinéa b) pour infliger une peine minimale en raison de l’alinéa 220a) du Code criminel, qui prévoit une peine minimale de quatre ans, et que la cour ne doit pas avoir le choix entre la peine minimale d’emprisonnement et la destitution ignominieuse du service de Sa Majesté parce que, pratiquement, le contrevenant en l’espèce mérite une peine plus sévère, à savoir une peine d’emprisonnement de six ans. 

 

[23]           Par contre, les avocats de la défense en l’espèce font valoir, à mon avis, que la cour est autorisée à exercer ce choix. La cour a abordé cette position et, si je comprends bien, le juge Lamont n’a pas tranché cette question lors du procès antérieur. Dans le contexte de l’espèce, j’estime il n’y a aucun élément de preuve à l’appui d’un argument permettant d’agir autrement qu’une cour supérieure de juridiction criminelle. Si je comprends bien, j’accepte l’explication sur l’existence de telles dispositions. Les conditions préalables ou les conditions justifiant le fait que la cour peut exercer un choix n’existent que depuis 1998, alors que la Loi sur la défense nationale a été modifiée, principalement, pour prévoir que lorsqu’il n’y a pas d’autre peine prévue, il faut infliger une peine d’emprisonnement. 

 

[24]           Selon mon approche, un soldat canadien qui est membre des Forces canadiennes est citoyen canadien. Il ne peut être jugé différemment des autres citoyens canadiens; il ne mérite pas un traitement différent, particulièrement lorsque la cour applique les dispositions du Code criminel. Je fais ainsi un choix et d’une seule façon parce que je suis d’avis que la cour doit infliger la peine prévue pour l’infraction par le Code criminel telle quelle, donc elle doit infliger la peine minimale. La peine peut être plus sévère, mais la cour estime qu’elle ne peut pas être inférieure à quatre ans.

 

[25]           Essentiellement, il n’y a pas lieu d’appliquer différemment cette disposition parce qu’il s’agit du contexte militaire et que vous faites l’objet d’un procès militaire. De plus, je me fonde, d’une certaine manière, sur les arrêts de la Cour suprême du Canada R c Morrisey, 2000 CSC 39, et R c Ferguson, 2008 CSC 6. Compte tenu de ces arrêts, je ne vois aucune raison de procéder d’une autre façon que d’appliquer en l’espèce la disposition relative à la peine minimale. La cour doit donc décider quelle est la période appropriée d’incarcération. Est‑il indiqué dans les circonstances d’infliger une peine d’emprisonnement pour une période de six ans, comme le propose la poursuite, une peine différente ou la peine minimale?

 

[26]             J’estime qu’il faut imposer la peine minimale en l’espèce, à savoir la peine d’emprisonnement de quatre ans, et rien de plus, essentiellement parce que, lorsqu’elle examine les circonstances aggravantes et les circonstances atténuantes, la cour est d’avis qu’une période d’emprisonnement de quatre ans suffit pour dissuader quiconque de faire un mauvais usage d’une arme dans un contexte militaire sur un théâtre d’opérations. 

 

[27]           En outre, comme je l’ai déjà indiqué, votre âge, votre volonté et le fait que vous avez prouvé à la cour au moyen des documents présentés que vous essayez manifestement de tourner la page et passer à autre chose, sont des facteurs atténuants que la cour a pris en considération. Et je tiens également compte du blâme infligé par ma décision, mais vous devez partager ce blâme, du point de vue moral, avec les autorités des Forces canadiennes et, à titre de facteur atténuant, j’estime que la peine d’emprisonnement de quatre ans est suffisante. 

 

[28]           Il y a lieu maintenant de tenir compte de la détention avant procès. Il faut multiplier ces trois jours par deux. Je ne vois aucun motif de multiplier par deux les soixante‑dix jours de détention déjà infligés. Par conséquent, je suis d’avis de soustraire soixante‑seize jours de la période de quatre ans, ce qui donne un total de trois ans et deux cent quatre‑vingt‑six jours.

 

[29]           Et la suspension? J’aimerais traiter de la question de l’incarcération en l’espèce. Qu’en est‑il de la suspension? J’ai dû examiner cette question en profondeur dans la décision R c Paradis, 2010 CM 3025, où les deux parties ont conjointement proposé à la cour, de suspendre l’exécution de la peine d’emprisonnement de quarante‑cinq jours. Tout d’abord, je tiens à énoncer l’article 215 de la Loi sur la défense nationale, dont voici le libellé :

 

Le tribunal militaire peut suspendre l’exécution de la peine d’emprisonnement ou de détention à laquelle il a condamné le contrevenant

 

[30]           Je dirais que mon analyse dans la décision Paradis a été effectuée dans le contexte où, comme en l’espèce, le contrevenant a été libéré des Forces canadiennes. L’article 215 de la Loi sur la défense nationale se trouve à la section 8 du code de discipline militaire, qui énonce les dispositions applicables à l’emprisonnement et à la détention. La suspension de l’exécution d’une peine d’emprisonnement ou de détention est un pouvoir discrétionnaire et exceptionnel qui peut être exercé par un tribunal militaire, ce qui inclut une cour martiale. Il s’agit d’un pouvoir différent de celui prévu à l’article 731 du Code criminel qui permet à un tribunal civil de juridiction criminelle de surseoir au prononcé d’une peine tout en soumettant un contrevenant à une probation ou encore de celui prévu à l’article 742.1 du Code criminel relatif à l’emprisonnement avec sursis qui permet toujours à un tribunal civil de juridiction criminelle de condamner un contrevenant à purger une peine d’emprisonnement dans la collectivité. Il est à noter que, puisque l’infraction prévue à l’alinéa 220a) du Code criminel est une infraction comportant une peine minimale d’emprisonnement, l’utilisation de ces deux dernières mesures est expressément exclue par les dispositions du Code criminel

 

[31]           Il n’existe pas de critères particuliers énumérés dans la Loi sur la défense nationale pour l’application de l’article 215. À ce jour, depuis la décision Paradis, l’interprétation qu’a donnée la cour martiale de l’application de cette disposition est très claire et a été formulée par différents juges militaires dans des décisions comme R c Constantin, 2004 CM 29, R c Labrie, 2008 CM 1013, R c Bryson, 2008 CM 1002, et R c Tardif, 2008 CM 3010.

 

[32]           Essentiellement, si l’accusé démontre, selon la prépondérance des probabilités, l’existence de circonstances particulières qui lui sont propres ou d’exigences opérationnelles propres aux Forces canadiennes justifiant alors la nécessité de suspendre l’exécution de la sentence d’emprisonnement ou de détention, alors la cour émettra une telle ordonnance. Par contre, avant d’agir ainsi, la cour se doit d’examiner, une fois qu’elle conclut qu’une telle ordonnance est appropriée, si la suspension de cette peine ne minerait pas la confiance du public dans le système de justice militaire, en tant qu’élément du système de justice canadien en général. Si elle conclut par la négative, alors la cour émettra l’ordonnance.

 

[33]           Les avocats de la défense ont affirmé que la libération du Caporal Wilcox des Forces canadiennes – la cour peut cependant exercer dans ce contexte un choix qui n’a pas caractère obligatoire – commande la suspension de l’exécution de la sentence. Cet argument s’apparente un peu à ce qui a été dit dans l’arrêt R c St‑Onge, 2010 CACM 7, ou à l’interprétation de l’arrêt St-Onge ou de son application. Je dirais toutefois – et cet arrêt a été infirmé par la Cour suprême du Canada dans St‑Onge, 2011 CSC 16 – que la cour doit prendre en compte votre libération des Forces canadiennes, mais que celle‑ci ne commande pas nécessairement la suspension de l’exécution de la sentence.

 

[34]           Je tiens à rappeler qu’il ne s’agit pas de déterminer si la cour doit infliger une peine d’emprisonnement puisque la peine est imposée automatiquement par application de la loi, comme peine minimale. Il s’agit plutôt de déterminer si la sentence doit être exécutée, compte tenu notamment de la libération du contrevenant des Forces canadiennes. Il a été établi, en outre, qu’il poursuit ses études et donc qu’il a passé à autre chose. Il est de mon devoir de procéder à l’examen de cette question dans la perspective de l’imposition d’une sentence à l’égard d’une infraction criminelle et non pas strictement disciplinaire. Il m’apparaît important de le rappeler.

 

[35]             J’estime toujours que, malgré les éléments de preuve supplémentaires présentés par le contrevenant et les observations des avocats de la défense, le contrevenant n’a pas réussi à établir, selon la prépondérance des probabilités, l’existence de circonstances particulières qui lui sont propres et qui justifient la suspension de l’exécution de la peine d’emprisonnement de trois ans et deux cent quatre-vingt-neuf jours infligée par la cour.

 

[36]           Je comprends aussi que, malgré les répercussions sur votre vie, cette ordonnance ne mettra pas en péril vos chances de retourner à l’école et d’accomplir vos projets actuels. De plus, je ne dispose d’aucun autre élément de preuve indiquant que l’ordonnance aurait une autre incidence négative sur votre vie. À mon avis, elle aura pour effet de retarder des projets, mais ne constituera pas un obstacle incontournable, compte tenu notamment de votre âge.

 

[37]           J’estime que la suspension de l’exécution de la peine d’emprisonnement infligée par la cour minerait la confiance du public dans le système de justice militaire, en tant qu’élément du système de justice canadien en général. Agir dans ce sens ne traduirait pas la volonté de la société de ne pas tolérer de tels comportements lorsque des infractions de cette nature sont commises et irait aussi à l’encontre des objectifs de dénonciation et de punition découlant de la commission d’infractions aussi répréhensibles.

 

[38]           En ce qui concerne l’ordonnance d’interdiction suivant l’article 147.1 de la Loi sur la défense nationale, les avocats auraient pu formuler des commentaires sur ce point précis. Comme dans le cas de l’imposition de cette peine, malgré le fait que je suis appelé à exercer un pouvoir discrétionnaire en pareilles circonstances, en particulier au regard de l’article 109 du Code criminel, si dans les mêmes conditions l’ordonnance d’interdiction avait caractère obligatoire, pour l’essentiel, je n’ai aucune raison d’agir autrement qu’une cour supérieure de juridiction criminelle. Je comprends que l’article 147.1 de la Loi sur la défense nationale me confère un certain pouvoir discrétionnaire, mais je ne vois rien de différent en l’espèce qui me permettrait de conclure que je ne devrais pas rendre une telle ordonnance.

 

[39]           En ce qui concerne l’ordonnance en vertu de l’article 196.14 de la Loi sur la défense nationale, qui n’est pas obligatoire, mais que la poursuite réclame, je ne vois aucune raison la justifiant. Il est certain qu’il s’agit d’une infraction grave, mais les répercussions sur la vie privée d’une personne sont énormes. À l’exception de l’incident lui‑même, rien n’indique que le Caporal Wilcox a recours à la violence ou qu’il a fait preuve d’une conduite répréhensible. En fait, il ressort de la preuve qu’après l’incident en cause il a obtenu une arme, qu’il s’est servi d’une arme et qu’il n’y a pas eu de problème. Il s’agit d’un facteur atténuant dans les circonstances qui s’inscrit parmi les autres facteurs atténuants. À mon avis, l’ordonnance causerait des difficultés inutiles à sa vie privée, à sa vie en général, parce qu’il devrait se présenter à différents moments pendant une certaine période pour se soumettre au prélèvement et je ne veux pas que cela arrive. Il est inutile de rendre cette ordonnance. Je ne crains pas pour la sécurité du Caporal Wilcox ou de quiconque, étant donné particulièrement l’ordonnance d’interdiction relative à la possession d’armes. Par conséquent, je ne vois aucune raison justifiant une telle ordonnance. Caporal Wilcox, veuillez vous lever.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[40]           Vous CONDAMNE à une peine d’emprisonnement de trois ans et deux cent quatre-vingt-neuf jours.

 

[41]           ORDONNE, dans l’exercice du pouvoir conféré par l’article 220 de la Loi sur la défense nationale, que vous soyez conduit à Springhill Institution, 330, rue McGee, Springhill, Nouvelle‑Écosse.

 

[42]           Vous INTERDIT, suivant l’article 147.1 de la Loi sur la défense nationale, d’avoir en votre possession des armes à feu, armes à autorisation restreinte, armes prohibées, dispositifs prohibés et munitions prohibées, où l’un ou plusieurs de ces objets requis dans le cadre de vos fonctions comme membres des Forces canadiennes, et ce, à perpétuité.

 

[43]           Vous INTERDIT d’avoir en votre possession des armes à feu, autres que des armes à feu prohibées ou des armes à feu à autorisation restreinte, des arbalètes, des armes à autorisation restreinte, munitions et substances explosives, et ce, pas avant dix ans après votre mise en liberté. Conformément à l’article 147.3 de la Loi sur la défense nationale, mais sous réserve de toute autre condition de la présente ordonnance, les objets visés par la présente ordonnance qui, à la date de l’ordonnance, sont en la possession du contrevenant, le cas échéant, sont confisqués au profit de Sa Majesté pour en être disposé selon les instructions du ministre. 

 

[44]           ORDONNE que vous soyez tenu, dans les trente jours, de remettre à l’officier ou au militaire du rang nommés aux termes des règlements d’application de l’article 156 de la Loi sur la défense nationale, ou au commandant, tous les objets visés par l’interdiction en votre possession, les autorisations, permis et certificats d’enregistrement afférents à ces objets dont vous êtes titulaire à la date de l’ordonnance. Suivant l’article 147.4 de la Loi sur la défense nationale, l’ordonnance emporte sans délai la révocation ou la modification – dans la mesure qu’elle précise – des autorisations, permis et certificats d’enregistrement qui vous ont été délivrés, et qui sont afférents aux objets visés par l’interdiction.


 

Avocats :

 

Capitaine de frégate R. Fetterly et Major A. Tamburro,

Service canadien des poursuites militaires

Procureurs de Sa Majesté la Reine

 

Me D. Bright, BoyneClark, 99 Wyse Rd, bureau 600, Halifax (Nouvelle‑Écosse), B3A 4S5, et

Lieutenant‑colonel T. Sweet, Direction du service d’avocats de la défense

Avocats de l’ex-Caporal M.A. Wilcox

 

 

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