Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l'ouverture du procès : 5 mai 2009

Endroit : Le manège militaire du Lieutenant-colonel George Taylor Denison lll, 1 Yukon Lane, Toronto (ON)

Chefs d'accusation
•Chef d'accusation 1 (subsidiaire au chef d'accusation 2) : Art. 75h) LDN, agissant comme sentinelle, a dormi.
•Chef d'accusation 2 (subsidiaire au chef d'accusation 1) : Art. 129 LDN, négligence préjudiciable au bon ordre et à la discipline.
•Chef d'accusation 3 (subsidiaire au chef d'accusation 4) : Art. 75h) LDN, agissant comme sentinelle, a dormi.
•Chef d'accusation 4 (subsidiaire au chef d'accusation 3) : Art. 129 LDN, négligence préjudiciable au bon ordre et à la discipline.
•Chef d'accusation 5 (subsidiaire au chef d'accusation 6) : Art. 75h) LDN, agissant comme sentinelle, a dormi.
•Chef d'accusation 6 (subsidiaire au chef d'accusation 5) : Art. 129 LDN, négligence préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

Résultats
•VERDICTS : Chefs d'accusation 1, 2, 3, 4, 5, 6 : Non coupable.

Contenu de la décision

Référence : R. c. Sergent M.G. Swaby, 2009 CM 4010

 

Dossier : 200874

 

COUR MARTIALE GÉNÉRALE

CANADA

ONTARIO

LIEUTENANT-COLONEL G.T. DENISON III ARMOURY, TORONTO

 

 

 


Date : Le 7 mai 2009

 

 


SOUS LA PRÉSIDENCE DU LIEUTENANT-COLONEL J-G PERRON, J.M.

 

 


SA MAJESTÉ LA REINE

c.

SERGENT M.G. SWABY

(applicant)

 

 


DÉCISION À L'ÉGARD D'UNE DEMANDE VISANT À FAIRE DÉCLARER QUE LA COMPOSITION DU COMITÉ CONTREVIENT AUX DROITS DE L'ACCUSÉ GARANTIS À L'ALINÉA 11d) DE LA CHARTE CANADIENNE DES DROITS ET LIBERTÉS

(Prononcée de vive voix)

 

 

 


TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE

 

[1]      Le demandeur, le sergent Swaby, a présenté une demande en vertu de l’alinéa 112.05(5)e) des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (les ORFC) dans laquelle il fait valoir que les paragraphes 2 à 7 de l’article 167, l’alinéa 168e) de la Loi sur la défense nationale1, le paragraphe 111.03(1) et l'article 111.04 des ORFC contreviennent à l'alinéa 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés. Le demandeur fait valoir que ces dispositions sont inconstitutionnelles parce qu’il n’existe pas de raison valable d'empêcher les officiers dont le grade est inférieur à celui de capitaine et les militaires du rang dont le grade est inférieur à celui d’adjudant d'être membres du comité. Plus précisément, le demandeur fait valoir que le fait d’exclure ces personnes rend le comité moins représentatif, tant en réalité qu'en apparence, et soutient que cela constitue une atteinte à l’équité. Le demandeur fait également valoir que le fait de déterminer la composition du comité en se fondant sur le grade de l’accusé créé l'impression d'un système judiciaire à plusieurs niveaux, ce qui contrevient au droit à un procès équitable garanti à l'alinéa 11d) de la Charte.

 

[2]      Le demandeur plaide que ce système donne l'impression que les officiers sont plus importants et qu'ils sont avantagés par les militaires les plus hauts gradés, tandis que les affaires concernant des militaires du rang ne sont instruites que par un comité composé d'une minorité de militaires du rang. Il fait valoir que les membres n'étant pas actuellement admissibles à siéger au sein des comités des cours martiales pourraient normalement être membre d'un jury dans un procès au criminel pour des questions similaires, particulièrement dans le cadre d'infractions jugées en vertu de l'article 130 de la Loi sur la défense nationale. S'appuyant sur des publications récentes et des articles de journaux des Forces canadiennes, en particulier : Canadian Forces Non-Commissioned Member General Specifications, dans les notes et autorités du demandeur, volume II, onglet 32; The Non-Commissioned Member Corps 2020, dans les notes et autorités du demandeur, doctrine, volume II, onglet 3; Servir avec honneur, dans les notes et autorités du requérant, doctrine, volume I, onglet 2; The Strategic Corporal: Leadership in the Three Block War, dans les notes et autorités du demandeur, doctrine, volume II, onglet 6; et Three-Block Warriors Learning from the US Infantry Tactical Leadership in Afghanistan, dans les notes et autorités du demandeur, doctrine, volume II, onglet 5, il soutient qu'il n'existe aucune raison logique d’empêcher un militaire du rang d'un grade inférieur à celui d'adjudant de siéger au sein d'un comité de la Cour martiale, si l'on tient compte des habiletés requises de la part de chacun des membres des Forces canadiennes, indépendamment du grade.              

 

[3]      Le demandeur ajoute que le rôle des membres du comité a été réduit à celui de  juge des faits et que le rôle des militaires du rang au sein des Forces canadiennes a également évolué. Ainsi, un comité de la Cour martiale générale doit maintenant être composé de personnes provenant d'un bassin englobant tous les membres des Forces canadiennes.

 

[4]       La défenderesse fait valoir que les articles 167 et 168 de la Loi sur la défense nationale ne contreviennent pas à l'alinéa 11d) de la Charte puisque les personnes qui comparaissent devant les tribunaux militaires n'ont pas droit à un procès devant jury. Les comités de la Cour martiale n'ont pas été créés afin qu’un accusé soit jugé par ses pairs. Les membres d'un comité sont plutôt des officiers et des militaires du rang expérimentés dont la tâche est de maintenir la discipline au sein des Forces canadiennes et qui ont été formés de façon à être conscients de l’importance de la discipline, de l'obéissance et du sens du devoir pour les membres des forces armées en plus de l’exigence d’efficacité militaire. Elle ajoute que contrairement à ce qui se passe dans la société civile contemporaine, les divisions fondées sur le grade continuent de jouer un rôle important dans la culture militaire et qu’elles sont inhérentes à la structure hiérarchique des Forces canadiennes. Enfin, la défenderesse fait valoir que d'un point de vue objectif, une personne raisonnable et bien au fait des réalités de la vie militaire ne penserait pas que le fait que les comités sont structurés en fonction du grade contribue à créer une impression de partialité.

 

[5]       Le demandeur voudrait que la Cour déclare inopérants, en vertu de l'article 52 de la Loi constitutionnelle, les paragraphes 2 à 7 de l'article 167, l'alinéa 168e) de la Loi sur la défense nationale, le paragraphe 111.03(1) et l'article 111.04 des ORFC.

 

[6]       Le demandeur et la défenderesse s'appuient sur des documents présentés sur consentement. Ces documents se trouvent dans leurs notes et autorités. La Cour a pris judiciairement connaissance de certains faits et de certaines questions, suivant l'article 15 des Règles militaires de la preuve. À la demande de la défenderesse, et avec l'accord du demandeur, la Cour a pris judiciairement connaissance suivant l'alinéa 16(2)i) des Règles militaires de la preuve, de la déclaration suivante : il est reconnu de tous qu'il y a moins de majors que de capitaines; moins de lieutenant-colonels que de majors; moins de colonels que de lieutenants-colonels; moins de brigadiers-généraux que de colonels; moins de majors-généraux que de brigadiers-généraux; moins de lieutenants-généraux que de majors-généraux et moins de généraux que de lieutenants-généraux dans les Forces canadiennes. 

 

[7]       Il est utile d’entreprendre l'analyse de cette question par un examen de l'arrêt R. c. Généreux, [1992] 1 R.C.S. 259, de la Cour suprême du Canada. Le juge en chef Lamer, tel qu’il était alors, a expliqué au paragraphe 60 de cet arrêt que l’objectif premier d’un système de tribunaux militaires distinct « est de permettre aux Forces armées de s'occuper des questions qui touchent directement à la discipline, à l'efficacité et au moral des troupes ». Il a également ajouté :

 

Pour que les Forces armées soient prêtes à intervenir, les autorités militaires doivent être en mesure de faire respecter la discipline interne de manière efficace. Les manquements à la discipline militaire doivent être réprimés promptement et, dans bien des cas, punis plus durement que si les mêmes actes avaient été accomplis par un civil. Il s’ensuit que les Forces armées ont leur propre Code de discipline militaire qui leur permet de répondre à leurs besoins particuliers en matière disciplinaire. En outre, des tribunaux militaires spéciaux, plutôt que les tribunaux ordinaires, se sont vus conférer le pouvoir de sanctionner les manquements au Code de discipline militaire. Le recours aux tribunaux criminels ordinaires, en règle générale, serait insuffisant pour satisfaire aux besoins particuliers des Forces armées sur le plan de la discipline. Il est donc nécessaire d’établir des tribunaux distincts chargés de faire respecter les normes spéciales de la discipline militaire.

 

 

[8]       Il a ensuite cité les observations du juge Cattanach dans MacKay c. Rippon. Aux paragraphes 61 et 62 de Généreux, le juge en chef Lamer a déclaré :

 

Un tel code de discipline serait moins efficace si les Forces armées n'avaient pas leurs propres tribunaux pour le faire respecter. Toutefois, je partage les préoccupations exprimées par le juge en chef Laskin et le juge McIntyre, dans l'arrêt MacKay c. La Reine, au sujet des problèmes d'indépendance et d'impartialité qui sont inhérents à la nature même des tribunaux militaires. À mon avis, les liens nécessaires entre la hiérarchie militaire et les tribunaux militaires -- le fait que des membres des Forces armées fassent partie de ces tribunaux -- portent atteinte à l'indépendance et à l'impartialité totales de ces tribunaux. Comme je vais l'expliquer plus en détail ci-après, les membres d'une cour martiale, qui sont les juges des faits, et le juge-avocat, qui préside l'instance à peu près de la même manière qu'un juge, sont choisis parmi les militaires. Les membres de la cour martiale sont aussi des supérieurs hiérarchiques ayant au moins le grade de capitaine. Leur formation vise à assurer qu'ils sont sensibles à la nécessité de la discipline, de l'obéissance et du sens du devoir de la part des Forces armées, ainsi qu'à l'exigence d'efficacité militaire. La cour martiale traduit inévitablement, dans une certaine mesure, les préoccupations des personnes responsables de la discipline et du moral des troupes. À mon avis, une personne raisonnable pourrait bien considérer que l'appartenance aux Forces armées des personnes qui composent une cour martiale influera sur sa façon d'aborder les affaires qui lui sont soumises.

 

Cela n'est pas suffisant en soi pour constituer une violation de l'al. 11d) de la Charte. À mon avis, la Charte ne vise pas à miner l'existence d'organismes qui veillent eux-mêmes au maintien d'une discipline, comme, par exemple, les Forces armées canadiennes et la Gendarmerie royale du Canada. L'existence d'un système parallèle de droit et de tribunaux militaires, pour le maintien de la discipline dans les Forces armées, est profondément enracinée dans notre histoire et elle est justifiée par les principes impérieux analysés plus haut. C'est dans ce contexte qu'il faut interpréter le droit d'être jugé par un tribunal indépendant et impartial que garantit à l'accusé l'al. 11d) de la Charte.

 

 

[9]       Il a ensuite ajouté aux paragraphes 64 et 65 :

 

À mon avis, toute interprétation de l'al. 11d) doit se faire dans le contexte des autres dispositions de la Charte. Sous ce rapport, j'estime qu'il est approprié que l'al. 11f) de la Charte indique que le contenu de certaines garanties juridiques pourra varier selon l'institution en cause:

 

            11.  Tout inculpé a le droit:

 

                                            . . .

 

f)  sauf s'il s'agit d'une infraction relevant de la justice militaire, de bénéficier d'un procès avec jury lorsque la peine maximale prévue pour l'infraction dont il est accusé est un emprisonnement de cinq ans ou une peine plus grave;

 

L'alinéa 11f) révèle, à mon sens, que la Charte prévoit l'existence d'un système de tribunaux militaires ayant compétence sur les affaires régies par le droit militaire. C'est donc en ayant cela à l'esprit qu'il faut interpréter les garanties de l'al. 11d).  Le contenu de la garantie constitutionnelle              d'un tribunal indépendant et impartial peut très bien différer selon qu'il s'agit du contexte militaire ou de celui d'un procès criminel ordinaire. Toutefois, un tel système parallèle est lui-même assujetti à un examen fondé sur la Charte et, si son organisation mine les principes fondamentaux de l'al. 11d), il ne peut survivre à moins que les atteintes soient justifiables en vertu de l'article premier.

 

 

[10]     Dans R. c. Trépanier, 2008 CACM 3, la Cour d’appel de la cour martiale a décrit l’histoire et l’importance des procès devant jury en droit criminel aux paragraphes 75 à 80 et l’histoire des cours martiales dans le système de justice militaire aux paragraphes 81 à 87. La Cour d’appel de la cour martiale a convenu que le système de justice militaire est unique en droit et est assujetti à la constitution du Canada. Cette décision est la dernière d’une longue lignée de décisions de la CACM (voir R. c. Lunn (1993) 5 C.A.C.M. 145; R. c. Deneault, (1994) 5 C.A.C.M. 182; et R. c. Brown (1995) CACM 372), qui ont toujours maintenu que les cours martiales étaient uniques en droit. En d’autres termes « un procès devant une cour martiale générale n'est pas un procès avec jury, encore que pareille cour et un procès criminel avec jury dans le contexte civil puissent avoir certaines caractéristiques en commun » (voir Deneault, paragraphe 16).

 

[11]     Comme il est dit dans R. c. Lunn :

                                                               Une cour martiale disciplinaire et un procès criminel civil devant un jury ont certaines caractéristiques en commun; les membres de la cour sont seuls juges des faits et doivent suivre les directives du juge-avocat en ce qui a trait au droit. Par contre, ce sont deux procédures bien différentes à certains égards. Par exemple, comme le démontrent les explications données plus loin, les membres de la cour peuvent prendre judiciairement connaissance, dans une large mesure, de questions propres à leur milieu, ce qui n'est pas permis aux jurés; ils rendent un verdict d'acquittement ou de culpabilité à la majorité et ce sont eux, plutôt que le juge-avocat, qui prononcent la sentence. Dans le cas d'un procès devant jury, il va sans dire que l'accusé a le droit d'être déclaré coupable par ses pairs. Or, les membres d'une cour martiale sont, historiquement, des officiers commissionnés; ils ne sont pas nécessairement les pairs de la personne qu'ils jugent. Il serait vain d'essayer de tracer un tableau complet des similitudes et des différences entre ces procédures. Les cours martiales sont des tribunaux sui generis. La procédure devant la cour martiale disciplinaire n'a pas été conçue pour équivaloir et n'équivaut effectivement pas, dans le contexte militaire, à un procès devant jury dans le contexte civil.

 

 

[12]     Bien qu’il puisse parfois être utile d'établir un lien entre les procès devant jury et ceux devant un comité lorsque vient le temps d'aborder la question des droits des accusés garantis par la Charte canadienne des droits et libertés dans le contexte militaire, ces comparaisons doivent être employées avec retenues. Comme l'affirme le juge Létourneau aux paragraphes 73 et 74 de Trépanier :

 

[73] Sur ce point, l’avocat de l’intervenant a fait une comparaison utile avec les procès avec jury devant les tribunaux civils. Précisons que notre Cour a statué à maintes reprises que les procès devant les cours martiales disciplinaires ou générales, qui siègent en comité, ne sont pas des procès avec jury : voir R. c. Nystrom, précité; R. c. Brown, précité. Dans Lunn, précité, bien que le juge en chef Mahoney ait reconnu que la cour martiale disciplinaire partage certaines des caractéristiques d’un procès criminel civil devant jury, il a indiqué les différences substantielles suivantes : contrairement aux jurés, les membres d’un comité peuvent prendre connaissance d’office des affaires propres à leur communauté, acquitter ou condamner par un vote majoritaire, et ils ne sont pas des pairs au sens usuel du terme parce qu’ils sont des militaires, pour la plupart

                des officiers

 

[74] Cela étant dit, comme nous le verrons, la comparaison entre les procès devant jury et les cours martiales siégeant en comité demeure fort utile tant historiquement que pour comprendre les objectifs recherchés par le législateur. Nous débuterons par un bref historique des procès devant jury en droit criminel.

 

 

            Il a ensuite ajouté au paragraphe 102 :

 

[102] Il est bien établi en droit que les conclusions des jurés (ou d’un comité dans le système de justice militaire) sont celles qui procurent la meilleure protection à l’accusé. Dans son rapport, le juge en chef à la retraite Lamer insiste sur l’importance de cette protection. Il écrit, à la page 37 :

 

                               La protection qu’offrent à un accusé les délibérations des membres d’un comité de la cour martiale est de la plus haute importance.

 

                               Les délibérations des membres du comité sont secrètes, l’appréciation des faits relève de leur compétence exclusive et ils ne rendent que leur verdict final : voir les arrêts R. c. Ferguson,2008 CSC 6; R. c. Krieger, [2006] 2 R.C.S 501, dans lesquels la Cour a ordonné la tenue d’unnouveau procès devant jury au motif que le juge, en imposant un verdict de culpabilité, a usurpéle rôle du jury, qui consiste à colliger et à évaluer les faits et à décider ensuite, à partir de cesfaits, de la culpabilité ou de l’innocence de l’accusé. Il se peut que la négation, à l’alinéa 11f) dela Charte, du droit de l’accusé comparaissant devant un tribunal militaire de subir un procèsdevant jury ait été jugée plus acceptable par le législateur en raison de l’existence, dans lesystème de justice militaire, d’une longue tradition de procès tenus devant un juge et un comitéde membres, qui assurait une protection équivalente.

 

[13]     Le système judiciaire militaire canadien a subi de profondes modifications depuis l'arrêt Généreux de la Cour suprême du Canada en 1992. Les modifications apportées en 1999 à la Loi sur la défense nationale ont changé considérablement le fondement de la justice militaire. De nos jours, les juges militaires sont nommés par le gouverneur en conseil et ils président chaque procès. Auparavant, les juges militaires n'étaient que des juges-avocats qui conseillaient le président de la Cour martiale générale ou de la Cour martiale disciplinaire. Le juge militaire est désormais chargé de déterminer chaque peine, alors que cette responsabilité relevait auparavant du comité de la Cour martiale générale ou de la Cour martiale disciplinaire.  Les militaires du rang possédant un grade équivalent ou supérieur à celui d'adjudant peuvent siéger à titre de membre d'un comité si l'accusé est un militaire du rang. Le directeur des poursuites militaires, un avocat militaire, a le pouvoir de déposer des accusations qui seront jugées par la cour martiale et l'administrateur de la cour martiale est chargé de convoquer les cours martiales. Nous sommes loin d'un système judiciaire soumis à l'examen de la Cour d'appel de la cour martiale, tel qu'il existait à l'époque des décisions Lunn, Deneault et Brown.

 

[14]     À la suite de la décision Trépanier, d'autres changements importants ont eu lieux en 2008. Désormais, il n'existe plus que deux types de cours martiales : la Cour martiale générale et la Cour martiale permanente. La peine maximale pouvant être prononcée n'est pas déterminée par le type de cour martiale, mais plutôt par les dispositions applicables aux infractions jugées. Le comité doit désormais rendre un verdict unanime et non plus majoritaire.  L'accusé, selon la gravité des infractions contrenues dans l'acte d'accusation, peut choisir le type de cour martiale devant laquelle il veut comparaître.

 

[15]     Bien que ces nombreuses modifications en profondeur aient à bien des égards rapproché notre système de justice militaire du système canadien de justice pénale, il ne faut pas perdre de vue les fondements de chacun de ces deux systèmes. Le procès devant jury, ou le droit d'être jugé par ses pairs, représentait à l'origine un des moyens dont disposaient les individus et les institutions démocratiques pour contrebalancer les pouvoirs étendus du Roi et, par la suite, de l'État (voir Trépanier, paragraphes 75 à 80).  Suivant la description qui en est faite dans Généreux, les cours martiales sont conçues de façon à faire respecter le Code de discipline militaire. Dans le cas où l'accusé est un militaire du rang, les membres du comité doivent être au nombre de trois officiers d'un grade égal ou supérieur à celui de capitaine et de deux militaires du rang d'un grade supérieur à celui de sergent. Dans l'éventualité où l'accusé serait un adjudant, un adjudant-maître ou un adjudant­-chef, cela ne signifierait pas pour autant que ce dernier est jugé par ses pairs.

 

[16]     Le demandeur a-t-il démontré à la Cour que les dispositions législatives actuelles portent atteinte à son droit à un procès équitable? Bien que les Forces canadiennes changent constamment afin de s'adapter à un monde en pleine évolution et aux nouvelles technologies, certains principes doivent demeurer. En principe, la profession militaire doit adhérer à un éthos militaire reflétant les valeurs de la société et demeurer subordonnée à l’autorité civile (voir Servir avec honneur, page 7). Bien que les champs de bataille et les théâtres d'opérations modernes exigent, tant des commandants de section que des caporaux, qu'ils aient un niveau élevé de connaissances et d’expertise, il est également nécessaire que les officiers, les militaires du rang et les adjudants fassent preuve de leadership (voir Servir avec honneur, aux pages 18 et 19).

 

[17]     À la page 21 de Servir avec honneur, on peut lire ce qui suit :

 

 


Vu la répartition actuelle des responsabilités et de l’expertise entre les officiers et les MR, chaque corps possède sa propre identité. Ces identités respectives se reflètent dans l’insigne de grade, marque visible de la responsabilité, de l’autorité et de l’expertise, ainsi que dans des traditions comme les mess séparés et les marques de respect. Les officiers brevetés s’identifient en tant que commandants et chefs potentiels, aux deux niveaux (direct et stratégique). Les MR s’identifient en tant que militaires responsables de l’exécution efficace de toutes les tâches, tout en ne cessant de veiller au bien-être immédiat des subalternes. Ils savent que leur leadership direct et la discipline des subalternes sont absolument essentiels à l’efficacité professionnelle de la force dans son ensemble et à l’accomplissement de la mission.


 

 

[18]     L'article 3.09 des ORFC porte sur l'ordre d'ancienneté. Le paragraphe 1 prévoit qu'« un officier prend rang d’ancienneté sur tous les militaires du rang ». Le paragraphe 2 prévoit que « [s]ous réserve de l’article 3.10 (ancienneté entre les genres de grades), les officiers ont rang d’ancienneté entre eux et les militaires du rang entre eux en conformité de l’ordre des grades prescrit à l’article 3.01 ». L’article 3.41 porte sur la préséance des officiers et militaires du rang. Le paragraphe 1 prévoit que « [l]es officiers ont préséance sur tous les militaires du rang ». Le paragraphe 2 prévoit que « [l]e chef d’état-major de la défense a préséance sur tous les autres officiers ».  Le paragraphe 3 porte sur les officiers commandant un commandement, les officiers commandant une formation, une base ou une unité et sur les commandants en second. Le paragraphe 4, le dernier de cet article, prévoit que « [d]ans tous les cas non expressément prévus au présent article, le militaire supérieur dans l’ordre hiérarchique a préséance ». L’article 4.02 des ORFC prévoit que les officiers doivent « promouvoir le bien-être, l’efficacité et l’esprit de discipline de tous les subordonnés ».

 

[19]     La Cour conclut que le demandeur n'a pas démontré que les comités composés en majorité d'officiers et de militaires du rang dont le grade est égal ou supérieur à celui d’adjudant sont fondalement injustes ou qu'ils pourraient être perçus comme tels. Au contraire, dans l'avant-propos du premier examen indépendant des dispositions et de l'application du projet de loi C-25, Loi modifiant la loi sur la défense nationale et d'autres lois en conséquence conformément à l'article 96 des Lois du Canada 1998, ch.35, connu comme « le rapport Lamer », figurant à l'onglet 1 de la partie doctrine des notes et autorités du demandeur, volume 1, le très honorable Antonio Lamer C.P., C.C., C.D. a conclu qu'en général le système de justice militaire fonctionne bien. Il était « heureux de pouvoir dire que, par suite des modifications apportées par le projet de loi C-25, le Canada s’est doté d’un système très solide et équitable de justice militaire dans lequel les Canadiens peuvent avoir confiance ».

 

[20]     Malgré qu'il ait fait de nombreuses observations et recommandations concernant l'amélioration du système de justice militaire, le très honorable Antonio Lamer n'a émis aucun commentaire négatif au sujet de la composition de la Cour martiale générale. Il a ajouté à la page 34 :

 

Alors qu’avant l’adoption du projet de loi C-25 seuls des officiers pouvaient être membres des cours martiales générales et disciplinaires, les comités de celles-ci doivent dorénavant, si l’accusé est un militaire du rang, comprendre deux militaires du rang détenant au moins le grade d’adjudant afin de mieux tenir compte des différentes personnes qui sont chargées de la discipline et de l’éthique dans le système de justice militaire.

 

 

[21]     À la page 39, il a confirmé qu’un comité militaire n’est  « tout simplement pas l’équivalent d’un jury civil ».

 

[22]     J'estime que la Cour d'appel de la cour martiale dans Trépanier a clairement confirmé le principe établi de longue date voulant que les cours martiales soient des formations uniques en droit. La Cour suprême du Canada et la Cour martiale de la cour d'appel ont toujours maintenu la notion de justice militaire distincte au Canada parce que celle-ci s'appuie sur la nécessité de faire respecter le Code de discipline militaire. Les arrêts de la Cour suprême du Canada et de la Cour d'appel de la cour martiale n'ont toujours pas remis en question la composition des comités militaires. Au contraire, j'estime que la Cour d'appel de la cour martiale, au paragraphe 102 de Trépanier, a confirmé la légitimité de ces comités en affirmant :

 


Il se peut que la négation, à l’alinéa 11f) de la Charte, du droit de l’accusé comparaissant devant un tribunal militaire de subir un procès devant jury ait été jugée plus acceptable par le législateur en raison de l’existence, dans le système de justice militaire, d’une longue tradition de procès tenus devant un juge et un comité de membres, qui assurait une protection équivalente.


 

 

[23]     Je conclus également que le demandeur n'a pas fourni à la Cour les preuves et la jurisprudence nécessaires au soutien de son assertion que les paragraphes 2 à 7 de l'article 167, l'alinéa 168e) de la Loi sur la défense nationale, le paragraphe 111.03(1) et l'article 111.04 des ORFC portent atteinte à l'alinéa 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés.

 

[24]     Pour ces motifs, la Cour rejette la demande présentée en vertu de l'alinéa 112.05(5)e). La présente instance est terminée.

 

 

LIEUTENANT-COLONEL J-G PERRON , J.M.

 

 

 

 

 

Avocat de Sa Majesté la Reine :

 

Major S. MacLeod, Service canadien des poursuites militaires

Avocat de Sa Majesté la Reine

Capitaine C. Walsh-Naraine, Adjoint au juge-avocat général, chef d'état-major Ottawa

Avocat adjoint de Sa Majesté la Reine

 

Capitaine de corvette P. Lévesque, Direction du Service d’avocats de la défense

Avocat du Sergent Swaby    

 



1 L.R., 1985, ch. N-5

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